6
oùlog.l zc? .lurN 2oL4 o(,C 4C.D.I, -- Lycée Boissy d'Anglas 0U, rY, Jcan Jaures- 07100 ANNONAY ïôt, 04 7e §e a5 s(] Sociolog ie des or gan isations BERNARD DREVON Lo sociologie contemporaine des organisations o été morquée par les trovoux de Crozier et Fiedberg, plaçont l'octeur au cæur de lo construction de l'orgonisotion et remettont en couse /e « one best way » et le modèle bureou- crotique wébérien. Sons rejeter le rôle essenfie/ de l'octeur, les opproches culturelles déplocent l'onalyse des questions de pouvoir et de conflit vers celles des identités ou trovail, des cultures d'entreprise ou de la régulotion. Enfin, l'émer- gence d'approches en termes de conventions et de troduc- tion, qui mettent l'occent sur lo problémotique de l'occord et de lo coopérotion, entre en cohérence ovec l'évolution des entreprises, désormois plus proches de structures de réseaux que des grondes orgonisations de lo période fordiste. .? a réflexion sur les organisations une firme sans dimension dans un uni- Lerarra au xrx'siècle avec la concen- vers de concurrence pure et parfaite. Une tration des entreprises et la formation organisation peut être définie comme d'administrations publiques dans les États un groupement humain rassemblé pour modernes. Ces ensembles de grande taille atteindre un objectif unique ou des objec- posent des problèmes nouveaux. Le ter- tifs précis en nombre limité. Ainsi, l'en- rain est laissé libre par l'économie néo- treprise réunit des agents pour produire classique qui raisonne initialement sur un bien ou un service. Ladministration de l'Education nationale, un syndicat, une université, une entreprise publique peuvent aussi s'inscrire dans ce cadre. Elle est caractérisée par la stabilité dans le temps : elle s'oppose en cela à la foule, à la famille, à la bande. Elle se caracté- rise aussi par une division des rôles et des fonctions et par une hiérarchie. Des règles écrites structurent les comportements et prévoient les attributions de chacun. Cette définition provisoire s'appuie sur des caractères propres aux administra- tions et aux entreprises du xx'siècle. La fin de ce siècle et le début du xxr' siècle ont été caractérisés par des changements profonds qui rendent les ensembles orga- nisés plus instables et moins structurés. LES PREMIÈRES APPROCHES DE L'ORGANISATION Le développement de la réflexion sur l'organisation est d'abord le fait de prati- ciens (ingénieurs, chefs d'entreprises) qui cherchent à améliorer la productivité du travail des ouvriers et la rentabilité glo- bale des entreprises. Aux États-Unis, F. W. Taylor (tso3, tstt), ingénieur, attribue l'attitude de « flânerie systématique » des ouvriers aux déficiences de l'orga- nisation des ateliers au sein des entre- prises américaines. ll convient selon lui de s'appuyer sur la science pour résoudre les problèmes humains et matériels de J|

07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

oùlog.l zc?

.lurN 2oL4 o(,C4€

C.D.I,

-- Lycée Boissy d'Anglas0U, rY, Jcan Jaures- 07100 ANNONAY

ïôt, 04 7e §e a5 s(]

Sociolog ie des or gan isationsBERNARD DREVON

Lo sociologie contemporaine des organisations o été

morquée par les trovoux de Crozier et Fiedberg, plaçont

l'octeur au cæur de lo construction de l'orgonisotion et

remettont en couse /e « one best way » et le modèle bureou-

crotique wébérien. Sons rejeter le rôle essenfie/ de l'octeur,

les opproches culturelles déplocent l'onalyse des questions

de pouvoir et de conflit vers celles des identités ou trovail,

des cultures d'entreprise ou de la régulotion. Enfin, l'émer-

gence d'approches en termes de conventions et de troduc-

tion, qui mettent l'occent sur lo problémotique de l'occord

et de lo coopérotion, entre en cohérence ovec l'évolution des

entreprises, désormois plus proches de structures de réseaux

que des grondes orgonisations de lo période fordiste.

.? a réflexion sur les organisations une firme sans dimension dans un uni-Lerarra au xrx'siècle avec la concen- vers de concurrence pure et parfaite. Une

tration des entreprises et la formation organisation peut être définie commed'administrations publiques dans les États un groupement humain rassemblé pourmodernes. Ces ensembles de grande taille atteindre un objectif unique ou des objec-posent des problèmes nouveaux. Le ter- tifs précis en nombre limité. Ainsi, l'en-rain est laissé libre par l'économie néo- treprise réunit des agents pour produireclassique qui raisonne initialement sur un bien ou un service. Ladministration

de l'Education nationale, un syndicat,une université, une entreprise publiquepeuvent aussi s'inscrire dans ce cadre.Elle est caractérisée par la stabilité dansle temps : elle s'oppose en cela à la foule,à la famille, à la bande. Elle se caracté-rise aussi par une division des rôles et desfonctions et par une hiérarchie. Des règlesécrites structurent les comportementset prévoient les attributions de chacun.Cette définition provisoire s'appuie surdes caractères propres aux administra-tions et aux entreprises du xx'siècle. La

fin de ce siècle et le début du xxr' siècleont été caractérisés par des changementsprofonds qui rendent les ensembles orga-nisés plus instables et moins structurés.

LES PREMIÈRES APPROCHESDE L'ORGANISATION

Le développement de la réflexion surl'organisation est d'abord le fait de prati-ciens (ingénieurs, chefs d'entreprises) quicherchent à améliorer la productivité dutravail des ouvriers et la rentabilité glo-bale des entreprises. Aux États-Unis, F. W.

Taylor (tso3, tstt), ingénieur, attribuel'attitude de « flânerie systématique »

des ouvriers aux déficiences de l'orga-nisation des ateliers au sein des entre-prises américaines. ll convient selon luide s'appuyer sur la science pour résoudreles problèmes humains et matériels de J|

Page 2: 07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

Le « one bestwoy», Taylor (tgtt), Fayol (1916) La bureaucratie idéal-typique, Weber (t9ZO)

La rationalité limiteeMarch et Simon, 1rgonizotions (t958)

Crozier, le Phénomènebureoucrotique (1 963)

fo'=

L'effet Hawthorne et l'Ecoledes relations humaines, Mayo (1933)

Souffrances humaines, Linhart (1 978),Friedmann (1956), Weil (1951)

Le rôle de l'environnement (Écolede la contingence), Mintzberg (tgz9) Le modèle stratégique Crozier et Friedberg, L'Acteur èt k système (1977)

La régulation,Reynaud (1 989)

La cultured'entre pri se,

Schein (1985)

Les cultures nationales,Maurice, Sellier et Silvestre

(t gez), d'lribarne (1 989)

L identité au travail,Sainsaulieu (t 977)

Sociologie de la traduction, Callon (1986), Callon et Latour (199'1)Les conventions, Boltanski et Thévenot,Les Économies de lo grondeur(1987), De lo justificotion (1991\

l'entreprise. Sa conception de l'ouvrierest cynique : il serait motivé par le gainet individualiste. C'est à la direction depenser et de prendre en charge l'orga-nisation des ateliers. Taylor est persuadéqu'il existe pour chaque problème organi-sationnel une seule solution optimale, le

« one best woy ». Cet ensemble que l'ondénomme organisation scientifique dutravail s'imposera dans le monde entier.ll sera parachevé par les travaux d'HenriFord. En France, Henri Fayol (tgt0), ingé-nieur également, théorise l'organisationet la gestion de la totalité de l'entrepriseindustrielle. ll établit la liste des fonctionsde l'entreprise, ce qui permettra de définirles différents services et leurs relations,ainsi que les grandes directions dans l'or-ganigramme. La fonction administrativedoit reposer sur une ligne directrice claireet un commande ment unique.

Max Weber (t gzo) joue un rôle impor-tant avec le concept de bureaucratie.ll recherche les caractères communs etcruciaux à l'ensemble des organisationssoclales pour en dresser l'idéal-§pe. La

bureaucratie permet la précision, la conti-nuité et la rapidité de l'action collective.Ce qui la caractérise fondamentalementc'est la rationalité de l'action. ll s'y déploiel'action ration nel le pa r fi nalité (ada ptationconstante des moyens à un but fixé). Les

acteurs y recherchent la plus grande effi-cacité. La bureaucratie élimine l'arbitrairedans le commandement qui repose surdes bases rationnelles et légales. Les traitsprincipaux de la bureaucratie sont l'exis-tence de règles écrites, la définition précise

des fonctions de chacun et de sa positionhiérarchique. La communication interneprend la forme de documents écrits. Lor-ganisation bureaucratique du travail ausein des entreprises expliquerait le succèsdu capitalisme occidental au xrx" siècle.

C'est sur la base de la critique de cesthéories que le développement de I'ana-lyse des organisations va se poursuivre(encadré 1). Michel Crozier (1922-2013)initie la sociologie contemporaine del'organisation. ll est attaché à l'enquêtede terrain, ce qui le conduit au Centre dechèques postaux de Paris (1956) et à la

SEITA (Service d'exploitation des tabacs etallumettes à l'époque monopole O'État). tt

étudie l'organisation et les relations e ntreouvriers, dirigeants et techniciens dansles manufactures de tabac. Le phénomènebureaucratique (tge:) ne sera qu'un pre-mier pas vers le développement du modèlestratégique mais un pas décisif. En effet,Michel Crozier remet e n cause l'efficacitédu modèle wébérien. Loin d'être rationnel,il est devenu source de dysfonctionne-ments et de cercles vicieux conduisant à

sa rigidité et à sa faible productivité. Le

concept de « bureaucratie » prend uneconnotation péjorative. Pourtant, ce sys-tème perdure et souvent à la satisfactionde ses membres. En effet, il offre unegrande sécurité et l'absence de relationsviolentes de face à face. ll fonctionnedonc comme une structure protectriceassurant aux salariés divers avantages (la

sécurité de l'emploi, l'avancement à l'an-cienneté...). Le changement du systèmene serait possible que par crises violentes.

LE MODELE STRATEGIOUE :

L'ORGANISATION, UNCONSTRUIT PAR LES ACTEURS

Cette analyse est exposée par Crozieret Friedberg [8]. Ces derniers critiquentles théories classiques de l'organisa-tion soit en raison du postulat du « onebest woy », soit du déterminisme latentqu'elles contiennent (surestimation del'influence de la culture et de l'environne-ment). lls sont opposés au concept d'ac-teur rationnel (l'« homo æconomicus ,),ainsi qu'aux théories psychologisantes(théorie des « relations humaines ») repo-sant sur une nature humaine invariante.Pour ces auteurs, l'organisation est unconstruit, en aucun cas une réponseaux contraintes extérieures. Ce sont les

acteurs qui construisent ensemble les

réponses à ces contraintes. Les hommesn'acceptent jamais d'être traités commedes moyens au service des buts des orga-nisateurs. Chacun a ses objectifs propres.

Uaccent est mis sur l'autonomie de l'ac-teur. Les stratégies des acteurs sont tou-jours rationnelles mais d'une rationalitélimitée et contingente (March et Simon).Chacun défend son domaine et le faitavec conviction. Le concept de stratégieest central mais l'acteur a rarement uneidée claire de ce qu'il convient de faire :

il recherche un seuil minimal de satis-faction, en fonction des situations etdes problèmes qui se présentent à lui. Ce

courant, qui s'inscrit dans l'individualismeméthodologique, s'appuie sur plusieurs7-

Page 3: 07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

concepts clés : pouvoir, zone d'incertitudeet système d'action concret.

La vie quotidienne d'une organisationest constituée de conflits de pouvoir. Les

objectifs des acteurs diffèrent et souvents'affrontent. Des conflits naissent quiappellent à leur tour un pouvoir régulateurde ces conflits. « Le pouvoir de A sur B peutêtre défini comme la capacité de A d'obte-nir que, dans sa relation avec B, les termesde l'échange lui soient favorables , [2].

Ainsi, chaque grande fonction de l'e n-treprise est occupée par des personnesaux formations différentes et dont les

objectifs sont en partie contradictoires.Par exemple, les objectifs de la produc-tion (produire en série) ne coïncidentpas avec ceux du commercial (adapter le

produit aux exigences du client), ni avecceux des financiers (dégager une margesuffisante). De plus, le pouvoir n'est pas

seulement lié à une position hiérarchiquesupérieure. Dans la manufacture de la

SEITA, les ouvriers d'entretien obtiennentde nombreux avantages de leurs chefsd'atelier car ils ont un pouvoir sur eux.Le pouvoir est ici fondé sur la possession

d'une spéclalisation fonctionnelle diffi-cilement remplaçable. ll peut aussi êtrelié aux incertitudes venant des relationsentre l'organisation et son environne-ment (voir le « marginal sécant » : le cadrequi a ses entrées à la préfecture ou à la

banque...). ll tient également à l'accèsà des sources d'information internes ouexternes. Enfin, il est lié à la connaissancedes règles organisationnelles. La règlepeut ainsi être utllisée comme une pro-tection contre la hiérarchie.

Le pouvoir des ouvriers d'entretiendans l'usine de la SEITA tenait au contrôled'une zone d'incertitude (eux seuls étaienthabilités à entretenir les machines). llsdétenaient de plus des compétences quirendaient leur comportement nécessairemais également imprévisible. Plus généra-lement, chaque acteur dispose d'une zoneau sein de laquelle il rend son comporte-ment incertain, imprévisible pour les autresacteurs. ll peut agir avec zèle ou traîner les

pieds... Ceci est cohérent avec l'idée d'au-tonomie de l'acteur et de stratégie. Chacunpeut user de son pouvoir pour tirer béné-fice de sa position dans l'organisation.

Pour comprendre le concept de sys-tème d'action concret définissant l'orga-nisation, nous devons articuler raison-

nement stratégique et raisonnementsystémique. Lindividualisme méthodolo-gique souligne que chaque acteur chercheà s'assurer un minimum d'autonomie. Sa

conduite est liée aux opportunités degain ou de perte dans une situation. Le

sociologue peut ainsi reconstituer le jeuglobal qui permet de rendre compte detoutes ces actions également rationnelles.Les acteurs contribuent finalement aubut commun et construisent le systèmed'action concret" Les acteurs parviennentdonc à un minimum de coopération touten maintenant leur autonomie d'agentslibres. Le système organisationnel exerceen retour une contrainte sur leur com-portement car il leur échappe en partie.Le raisonnement permet de comprendrela logique des réticences face au chan-gement et les dysfonctionnements del'organisatlon. L introduction de l'infor-matique dans la gestion de stocks dansune PME, la recherche du zéro stock a

entraîné une forte dégradation des rela-tions sociales. [enquête a montré que

cette intervention bouleversait le systèmed'action concret construit dans le passé.

Les ouvriers aimaient disposer de pièces

de rechange en abondance pour répondreaux besoins des commerciaux qui dési-raient satisfaire au plus vite leurs clients...C'est ainsi l'analyse des stratégies des

acteurs qui permet de révéler l'originedu problème et de mettre sur la piste desolutions pour le résoudre [1]. « 0n peutdéfinir le système d'action concret commeun ensemble humain structuré qui coor-donne les actions de ses participants pardes mécanismes de jeux relativementstables et qui maintient sa structure pardes mécanismes de régulation qui consti-tuent d'autres jeux, [g].

Toute organisation a besoin de la par-ticipation de ses membres et cette partici-pation est toujours négociée. Les acteursne pourront poursuivre leurs objectifsqu'au travers de la poursuite des buts del'organisation. Les acteurs acquièrent uncertain pouvoir en ajustant plus ou moinsleurs actions au but commun. Des négo-ciations, des échanges ont lieu au sein del'organisation entre individus et groupesla constituant. Un état d'équilibre plus oumoins stable en résulte : l'organisation estenvisagée comme un compromis fait derelations de coopération conflictuelle. Cetensemble est relativement indépendant

de son environnement, même s'il doit s'yadapter. Cette vision politique de l'organi-sation est très originale et s'impose. Elle

ouvre la voie aux enquêtes de terrain, lesociologue reconstituant les systèmes derelations et les logiques d'acteurs pourremédier aux dysfonctionnements.

IDENTTÉ; CULTURE ET RÈGLES

Renaud Sainsaulieu (1 977) considèreque l'identité est fondée sur trois élé-ments. Le premier élément est celui del'expérience quotidienne du pouvoir. L iné-galité des rapports au savoir, au contrôledes informations, à l'autonomie dans le

travall serait source de formes particu-lières d'identité. La vie en organisationpropose aussi des expériences comme la

formation, la mobilité professionnelle, le

militantisme et la lutte collective. Enfin,les grands changements techniques per-mettent des apprentissages par essais,

erre urs, expérimentations. Sainsaulieu dis-tingue ainsi le modèle de la fusion, carac-téristique des ouvriers ou des employéspeu qualifiés, privés de ressources, quijouent le groupe comme une unité contrela direction. Le modèle de la négociationest caractéristique des ouvriers qualifiésqui acceptent le débat au sein du groupe.Le modèle des affinités apparaît dans des

situations de promotion, où l'acteur faitl'expérience de la perte d'appartenance augroupe de travail. C'est le cas des tech-niciens et des cadres. Le rapport au chefprend une place considérable et I'indi-vidu recherche la réussite personnelle. Le

groupe est perçu comme dangereux, toutcomme les conflits sociaux. Le derniermodèle, celui du retrait, se retrouve dansdes situations où l'expérience du pouvoirest tellement sporadique qu'elle ne per-met qu'un faible investissement dans les

relations personnelles au travail. C'est lecas des travailleurs peu qualifiés et pré-caires, qui ne s'investlssent ni dans leurtravail ni dans l'action collective. C'est un« acteur ailleurs »...

Lapproche en termes de cultured'entr'eprise est liée au thème précé-dent. La permanence des identités ausein des groupes professionnels incite à

son usage. 0n ne peut faire l'impasse surce concept puisque les lieux de profes-sionnalisation, les métiers, les branches

-l

Page 4: 07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

industrielles contribuent à la formation decultures spécifiques. Mais il convient del'utiliser avec prudence. ll se prête à desutilisations multiples et peu rigoureuses.Nous pouvons avec Philippe Bernouxdéfinir la culture comme un ensemble demodes d'action et de pensée, inventé parun groupe pour faire face à ses problèmeset qui a assez bien fonctionné pour êtrevalidé, partagé et enseigné.

« Le concept de culture a aussi unenracinement dans le monde des sym-boles et des mythes. Le groupe humainconstituant l'entreprise produit du senset des significations qui s'expriment à

travers cet univers de symboles, lesquelsà leur tour interagissent sur Iui » [a]. Les

sociologues de l'organisation sont toute-fois réticents face à un usage anthropo-logique de la notion de culture commeensemble de valeurs et de normes « incar-nées et intouchables » [8]. Selon eux, la

culture ne détermine jamais les compor-tements des acteurs, même si elle exerceune certaine influence sur eux.

Les entreprises sont insérées dans dessociétés caractérisées par des culturesnationales spécifiques. Les pays industria-lisés ne connaissent pas un modèle uniquede développement (comme la France etl'Allemagne). Cette interrogation sur l'in-fluence de la culture nationale est redou-blée aujourd'hui avec l'essor des paysémergents. Louvrage fondateur est celuide Maurice, Sellier et Silvestre (1982),qui a analysé et comparé les modèlesproductifs allemand et français. Les dif-férences importantes tiennent au rapportéducatif (forte valorisation de la forma-tion générale en France versus appren-tissage et formation professionnelle enAllemagne) et au rapport organisation-nel (importance de I'autorité, des règlesimpersonnelles de gestion en France, dela position hiérarchique liée au diplômeversus un encadrement plus profession-nel favorisant l'autonomie des travailleurset la polyvalence en Allemagne). Enfin, lesystème des relations professionnelles etde travail fait que l'entreprise allemandeest plus intégrée au tissu social qu'elle nel'est en France. Les entreprises allemandessont caractérisées par une direction col-légiale (les représentants du personnelsiègent au conseil d'administration) et les

syndicats sont infiniment plus puissantset légitimes qu'en France. C'est ce triple

rapport qui expliquerait les différencesconstatées et les performances relativesdes entreprises des deux pays à l'avantagede l'Allemagne [9].

Jean-Daniel Reynaud (t989) insistesur la nécessaire construction de règlespour assurer la stabilité de l'organisation,par oppositlon à Crozier et Friedberg [8]qui raisonnent sur les jeux de pouvoir,source de déréglementation permanente.Le groupe n'existe pas spontanément : lesacteurs se dotent de normes pour le sta-biliser. Reynaud considère que les règlessont le fruit d'une élaboration conjointe,fruit d'un compromis entre les groupesconstituant l'entreprise ou l'organisation.ll définlt la régulation de contrôle quiest constituée de l'ensemble des règlesémises par la direction et le management.ll la distingue de la régulation autonomequi vient des membres du groupe quijouent avec les régulations de contrôlepour recréer un ensemble conforme à

leurs objectifs et leurs stratégies. Fina-lement, on aboutirait à une articulationentre ces deux sources de régulation, à

une forme d'équilibre temporaire, fondésur une succession de compromis. Les

règles naîtraient des situations de travailet de la recherche de zones de consensusdans la production. Reynaud insiste sur laliberté des acteurs dans la constructiondes règles. ll est donc fidèle à l'individua-lisme méthodologique, tout en recher-chant l'origine d'une certaine stabilité dessystèmes sociaux d'entreprise.

LES NOUVELLES APPROCHESDE LA SOCIOLOGIEDE L'ORGANISATIONET DE I]ENTREPRISE

lssue du croisement de l'économie etde la sociologie, l'approche de Boltanskiet Thévenot (1987, 1991) considère quela sociologie classique des organisationss'est trop axée sur les relations de pouvoirgénératrices de conflits entre les acteurs.L'approche culturaliste serait elle aussiréductrice en faisant des acteurs le jouetde routines intériorisées. ll conviendraitd'envisager les organisations (et parmicelles-ci les entreprises contemporainesen restructuration permanente) commedes lieux de compromis, d'accords tran-sitoires, ce que synthétise le concept de

convention. Les conventions, explicites outacites, sont définies comme des règlesd'accord, des formes de coordination desactions que les personnes s'entendent à

reconnaître comme justes au moins pro-visoirement. ll faudrait donc se penchersur ce qui permet l'élaboration de cesconventions nécessaires à la vie com-mune. Les personnes ont besoin de se

repérer dans l'univers social qui est diverset caractérisé par des principes d'évalua-tion des actions hétérogènes. Les auteursrepèrent ce qu'ils dénomment différents« mondes » (ou « cités ») dans la sociétécomme dans les organisations. Ces« mondes » sont caractérisés par des prin-cipes d'évaluation (valeurs) qu'ils dénom-ment des « grandeurs » communes.

Dans le monde de l'inspiration, les

objets valorisés sont ceux qui renvoientau génie créateur. Lartiste, le « créatif »

dans une agence de publicité, le grandarchitecte participent de ce monde. Lac-cord avec d'autres « mondes » est souventdifficile pour ces acteurs qui sous-esti-ment souvent les contraintes techniquesou celles du marché. Le monde domes-tique est celui de Ia famille, de la tradi-tion. Les relations sont stables dans ce

monde car elles re posent sur le sens del'honneu( le respect des anciens, de leursavoir. Les relations entre le « patron »

hospitalier et ses subordonnés sont decette nature. Le monde de l'opinion estcelui de la renommée, de l'action spec-taculaire qui engendre l'admiration del'opinion publique. Le patron, le politicienmédiatiques sont des exemples actuelscourants. Une action, un projet serontévalués à l'aune de la renommée procu-rée. Le monde civique est celui oir primel'intérêt collectif sur l'intérêt particulier.Ses valeurs sont l'équité, la liberté, la

solidarité. Les fonctionnements démocra-tiques des organisations sont valorisés. Le

monde marchand est celui des « lois dumarché » : être concurrentiel, réussir uneaffaire sont des objectifs qui illustrent ce

qui importe dans la relation marchande.Le monde industriel est celui de la perfor-mance technique, de la science appliquéeà la prbduction. La grandeur valorisée estla perfection du système de machines, duréseau de relations informatiques et detransport de données et de marchandises(la « logistique »). Iingénieur, le techni-cien adhèrent pleinement à ces valeurs.

-l

Page 5: 07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

Evidemment, ces « mondes » n'existentà l'état pur que dans la théorie. Toutesituation concrète donne naissance à unerencontre entre ces mondes. Apple et sonmédiatique PDG Steve Jobs appartenaienttout à la fois au monde de l'inspiration, aumonde marchand, au monde industriel etau monde de l'opinion.

Dans un même monde, peuvent se pro-duire des controverses. Par exemple, dans le

monde industriel, il peut y avoir désaccordsur l'introduction d'une nouvelle machinedans l'entreprise. Chacun s'entendant surla nécessité de rechercher l'efficacité, une« épreuve » sera engagée (test technique)où les objets (instrume nts de mesure) etles sujets (ingénieurs, chercheurs, techni-ciens) seront mobilisés. ll est fort probableque la controverse pourra s'éteindre au vudes résultats acceptés par tous.

La controverse dans des « mondes »

différents est le cas le plus fréquent. Elle

peut déboucher par exemple sur la clari-fication. Dans un hôpital, une controversesurgit entre un médecin et les infirmières.Le service accompagne des malades can-céreux tant au plan médical que psycho-logique. Le médecin souhaiterait soignerjusqu'au bout un malade qui apparaît enphase terminale aux infirmières. ll mul-tiplie les protocoles et les examens, pro-longeant les souffrances du malade. Les

infirmières s'insurgent contre ce com-portement qui leur apparaît contradic-toire avec les valeurs de leur « monde »,

ici quallfié de « domestique » : le ser-vice, sous l'impulsion du « patron », estconsidéré comme une grande famille oùdomine la dignité humalne du patient. Le

chef de clinique apparaît comme relié au

Au début des années soixante-dix, un phénomène nouveau se produit dans la baiede Saint-Brieuc: la raréfaction des coquilles Saint-Jacques (CSJ). Les marins-pêcheurssubissent cette situation comme une fatalité. Des chercheurs d'un laboratoire commencentà s'intéresser au phénomène pour des raisons scientifiques. Les pouvoirs publics se préoc-cupent de la question sans trop savoir que faire. Apparemment le problème est sans solu-tion. Pourtant, une quinzaine d'années plus tard, la difficulté semble réglée durablementqrâce à la constitution d'un réseau autour d'une cause et le partage d'un savoir commun cequi a nécessité un gros effort d'information et l'établissement d'une relation de confianceentre les « actants ». Les marins, initialement « chasseurs prédateurs » vont se muer volon-tairement en « cultivateurs de la mer ». Les CSJ réapparaîtront en masse [1].

« monde industriel » où prime l'efficacitédes traitements. Devant la souffrance dupatient, le traitement sera supprimé. La

controverse se clôt dans un même mondepar validation par le chef de clinique duprincipe supérieur commun [1].

Lintérêt de cette approche est d'abor-der directement la problématique del'accord nécessaire à l'adaptation dans unenvironnement plus instable, alors que la

sociologie traditionnelle a privilégié l'ana-lyse du conflit [4]. Cette soclologie pro-longe en fait les théories classiques de la

sociologie des organisations et ne peutêtre utile qu'en étant mise en cohérenceavec elles. Chaque situation organisation-nelle est un lieu de conflit de pouvoirs etd'élaboratlon de compromis, sans qu'au-cune de ces configurations n'exclue l'autre.

La sociologie de la traduction, élabo-rée par Callon et Latour [5, 6], peut com-pléter la sociologie classique. La questionde la production de la coopération autourd'un changement ou d'une innovationest centrale. Comment une innovationpeut-elle être acceptée par un ensembled'acteurs aux projets et aux intérêts ini-tialement diverqents ? De cette réflexion

naît une nouvelle école théorique qui peutêtre qualifiée de sociologie de la traduc-tion. Elle se rattache toutefois au corpusde l'analyse stratégique au travers deson option pour le paradigme de l'acteur.Elle repose sur quelques notions clés. Le

« réseau » est illustré par l'exemple descoquilles Saint-Jacques (CSJ) (encadré 2)et défini comme une « métaorganisation »

rassemblant des humains (les pêcheurs,les chercheurs...) et des non-humains(les CSJ) mis en relation les uns avec lesautres. La « traduction » est définie commeune relation symbolique « qui transformeun énoncé problématique particulier dansle langage d'un autre énoncé particulier ».

Ainsi le problème écologique (raréfac-tion des CSJ) est-il « traduit » en langagescientifique (la reproduction des CSJ)

et économique (maintenir une activité)afin de modifier le comportement despêcheurs (votre intérêt est de préserverla ressource). La « controverse » est uneautre notion fondamentale, elle désigne le

processus qui conduit de la découverte à

l'innovation, le cheminement qui conduitune communauté à considérer commevrai un nouveau savoir.

Oui, je m'abonne à Écoflash (tO n*/an) au prix de 32 € . Bulletin à retourner accompagné de votre règlement au Canopé-CNDP Agence comptable-abonnementsIéléport 1 - l,avenuedu FuturoscopeC5S0l 58 -86961 FuturoscopeCedex- Relationsabonnés:03 4462 43 98.Télécopie :03 445844 1 2. Email :[email protected]

ECOFLASH OUANT1TE IOTAlFRANCF ÊTNANGFR

I an 32€ 39€2 ans 58€ 75€

Nom, prénom (écrire en majusculesl

Établissement

N' Rue, voie, boite postale

Localité

nÈoutvrptw À il colittuaruoe. Par chèque bancaire ou postal à l'ordrede l'Agent comptable du CNDB ou à celuidu CRDP de votre académie. Par mândât administratif à l'ordrede l'Ag€nt amptable du CNDP,

Trésorerie générale de PoitiersCode établissement 10071,code guichet 86000n' de compte 00 001 003 010, clé 86Nom de l'organisme payeur:

Signature e1 cachet de l'organisme payeur

Prix valables jusqu'au 31 mars 2015

vENTE A L',UNITE 4 €. À la librairie de l'éducation, l3, rue du four,75006 Paris o Dans les librairies Canopé de votre académie ou de votre départe-ment . Par correspondânce au Canopé de votre académie. Retrouvez sur www.cndp.lr, rubrique le « réseau ,, toutes les adresses du réseau Canopé.

N'dêCCPMerci de ious indiquer le n'RNE devotre établisemert.,,,

EI Code postal

Page 6: 07100 ANNONAY Sociolog ie des or gan isations

Les faits seraient des constructionssociales comme le prouve l'exemple desCSJ. La reconnaissance de l'impact dela pratique a impliqué le partage parl'ensemble des membres du réseau d'unedéfinition que ces auteurs dénomment« entre-définition ». Enfin le « principe desymétrie » énonce que les réseaux sontdes dispositifs d'action mêlant humainset non-humains et que les faits scienti-fiques puisent leur légitimité en dehorsd'eux-mêmes. Entreprises et organi-sations peuvent s'appréhender commedes « réseaux » ou comme des maillonsd'un réseau confronté au problème duchangement comme innovation. Mêmesi le contenu du changement est perÇu

comme bénéfique par la direction, il n'estpas du tout garanti que ce sera le casde l'ensemble des membres du person-nel. Une controverse peut naître sur sonopportunité et il conviendra d'associer lesmembres du réseau à l'élaboration d'une« connaissance commune » pour que le

changement soit adopté. La « confiance »

sera un élément fondamental, de mêmeque le partage de I'information.

LA SOCIOLOGIEDES ENTREPRISESDANS LA MONDIALISATION

années 1990, Ies grandes organisationsn'apparaissent plus comme des modèles deréussite. Nous ne pouvons pas cependantéliminer l'apport de l'analyse stratégiquequi reste central. Lentreprise conserve unaspect organisationnel, même si « à unmonrent, il paraît plus utile de l'analysersous une autre forme (réseau, conven-tions, culture) » [3]. Lautre raison est que

l'apport de la sociologie de l'acteur sembleincontournable pour aborder l'étude desensembles organisés comme l'entreprise.

Parallèlement, une nouvelle sociétéest en train de naître, « une société deprojets » ou il existera toujours des lieuxde production mais où les liens sociauxseront plus faibles, moins durables. Dansce contexte, la sociologie des entreprisesdoit faire face et s'adapter. « La sociologiedes entreprises n'est sûrement plus unesociologie des grandes organisations, ce

qu'elle avait en partie cessé d'être, maisqui restait un modèle fort » [3]. Un nou-veau modèle émerge où les structuresseront moins fortes et moins visibles.Les modèles classiques devront s'adap-ter comme l'initient les sociologies de latraduction et celle issue de l'école desconventions. l.lous pouvons nous asso-cier aux auteurs des nouvelles approches

BIBLIOGRAPHIEPhilippe Bernoux précise dans sa

postface de 2009, que « plus que d'une [1] Amblard H., Bernoux P., Herreros G., Livian Y-F., Les nouvellesopprochessociologiquesévolution de l'entreprise, ilfaudrait parler desorgonisotions, Paris, Seuil, coll. « Sociologie », 1996, 2005.

de révolution [...]. Aujourd'hui, ballottée [2] Bernoux P., Lo Sociologie des orgonisotions: initiotion theorique suivie de douze cos

entre externalisations, rachats, fusions, protiques, Paris, Points, coll. « Points. Essais », 2009.

absorptions, délocalisations, nouvelles [3] Bernoux P., LoSociologiedesentreprise5 Paris, Points, coll. « Points. Essais », 2009.

contraintes financières, nouvelles formes [4] Boltanski 1., Chiapello 8., Le Nouvel esprit du copitolisme, Paris, Gallimard, coll. « NRF

d'emploi, l'entreprise devient de moins Essais», 1999.

en moins un modèle de stabilité [...]. [5] Callon N/., « Éléments pour une sociologie de la traduction», L'Annéesociologique,vol.Nous assistons à la naissance d'une XXXV|,1986,p.169-208.entreprise ou les règles et les normes, [6] Callon IV., Latour 8., lo Science telle qu'elle se foit:onthologie de lo sociologie desmoins stables, moins faciles à saisir, ne sciencesde/ongueongloise, Paris, La Découverte,coll.«Textesà l'appui.Anthropologiedess'incarneraient plus dans des structures sciences et des techniques », 199,1.

fortes et visibles , [g] (voir aussi [4, 7]). [7] Cohen D. Trois leçons sur lo société post-industrielle, Paris, La République des idées,

La sociologie des entreprises naît des Seuil, coll. « La République des idées »,2006.

bouleversements qu'engendrent la mon- [8] Crozier lV., Friedberg E., L'Acteur et le système : les controintes de l'oction collective,

dialisation et la vague de dérégulation Paris, Seuil, coll. « Sociologie politique », 1977.

venue des pays anglo-saxons. Dans les [9] Duval G., ModeinGermony.Lemc4èleollemondou-delàdesmythes, Paris, Seuil,20'1 3.

PUBLICATION DU RISEAU CANOPE, TELTPORT 1 1, AV DU IUIUROSCOPE CS BOl58 .8696I FUTUROSCOPE CEDEX TEL,

05 49 49 15 4b - DIBECTEUq: -EA\-\,4ARC IVICRIAJX Rl DAC'r LB I N CHLI : JIROVI VILL O\ CIVISION : CE- \E CHOLET -l\,1lSI INPAGI :l5ABllllsOllRA BlLAllO\SABON\ES,TE-:o<44b2 lJrB l\,4Pqll\,41 SURDAPII RCI Rl lll PI Ir VPRI 5\l0t\[\,,pRtvLRllouvE t,qLEDUDocTEURSALVI \'00À/A"tNNI OCA\Opl C\Dp DtpO-llGAL4 rq'N,4tSTRt20r4

sociologiques des organisations [1] quiregrettent l'ignorance réciproque danslaquelle se tiennent Ies différents courantsconstitutifs de la sociologie des organisa-tions et de l'entreprise. Les sociologuesqui raisonnent en termes de pouvoir (Cro-zier et Friedberg), de régulation conjointe(Reynaud) ou d'identités (Sainsaulieu)

écartent toute approche renvoyant auxaccords et conventions (Boltanski etThévenot). Réciproquement, ces derniersou les adeptes de la traduction (Latoudmobilisant les concepts de « cités » ou de« convergences entre actants » excluenttoute référence explicite aux dimensionsstratégiques du comportement de l'ac-teur et à ses composantes identitaires.Amblard et o/. [1] plaident pour que soitsurmonté ce cloisonnement théorique,et que se développe une sociologie deslogiques d'action. Celle-ci devrait s'ap-puyer sur une collaboration entre ces dif-férents paradigmes qui s'inscrivent tousdans une même tradition sociologique,celle d'une sociologie compréhensiveadoptant des méthodes individualistes.

BERNARD DREVON,PRorrssruR or SES rru «uÂcrur BL

, IUIUXILI[lL[illilll niffiilittÏ §vr-