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1.2 - L'origine de la vie sur Terre
Bien que l'on s'accorde à penser que la vie résulte de conditions physico-
chimiques particulières, deux théories soutiennent cependant des origines
entièrement différentes, lesquelles ne sont d'ailleurs pas incompatibles : selon la
théorie endogène, la Terre a réuni toutes les conditions physico-chimiques
nécessaires à l’apparition de la vie ; selon la théorie exogène, la vie est apparue sur
Terre à partir de molécules nées dans l’espace.
1.2.1 - La théorie endogène
Des processus chimiques, physiques et organiques sont à l'origine de la vie sur
Terre. Si la création de la première cellule n'est pas divine, il faut admettre une
génération spontanée de la vie, c'est-à-dire la création d'un système vivant à partir de
molécules minérales et organiques. Or, en 1862, devant l'Académie des Sciences,
dans son Mémoire sur les corpuscules organisés qui existent dans l'atmosphère,
Louis PASTEUR a démontré son inexistence. Il clôt la querelle centenaire de la
génération spontanée. Néanmoins, il est nécessaire d'admettre la possibilité d'une
génération spontanée dans les conditions qui étaient celles d'une Terre primitive. Les
spécialistes du sujet estiment que la génération spontanée prébiotique n'a pas été
immédiate ; le passage du minéral à l'organique s'est réalisé progressivement ;
l'évolution de la vie précambrienne a commencé par être chimique avant de devenir
biologique.
Les molécules du vivant
Les cellules comportent trois types principaux de molécules : les molécules de
compartimentation, les molécules instructives (ADN et ARN) et les molécules
réactives (enzymes). Les problèmes afférents à chacune d'entre elles seront
envisagés.
- Les molécules de compartimentation
Pour éviter la dilution de leurs constituants et garder leur individualité, les
protocellules devaient être pourvues de membrane plasmique. Pendant longtemps, le
biochimiste russe Alexandre Ivanovich OPARIN (1894-1980) a concentré ses
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 28
recherches sur les solutions aqueuses de polymères, qui forment spontanément des
gouttelettes colloïdales riches en polymères : les coacervats. Diverses combinaisons
de polymères ont été utilisées : protéine-glucide, protéine-protéine, protéine-acide
nucléique (ADN ou ARN) ; vers 1955, Sidney FOX s'est intéressé aux protéinoïdes,
enchaînements aléatoires d'acides aminés aux propriétés enzymatiques. Les
coacervats ressemblent aux actuels liposomes, gouttelettes dont la cavité est utilisée
pour transporter des médicaments ou des produits cosmétiques, selon l'industrie
envisagée. Leur taille varie entre 1 et 500 micromètres. Les coacervats de S. FOX,
limités par des protéinoïdes, augmentent régulièrement de volume par addition de ces
composés encore présents dans la solution. Ils peuvent bourgeonner et se dédoubler
exactement comme le ferait une Bactérie.
La durée de vie des coacervats est limitée à quelques heures ; cependant,
A. OPARIN a trouvé que l'addition dans les solutions d'une enzyme, la phosphorylase,
et de glucose phosphate (G-1-P) donnait aux coacervats, avec la synthèse d'amidon,
un semblant de métabolisme (fig. 1.8) et prolongeait leur vie.
Fig. 1.8
L'amidon, nouveau polymère, se fixe sur la paroi du coacervat qui augmente de
volume et finit par éclater. Seuls les coacervats néoformés, qui possèdent la
phosphorylase, subsistent et croissent : une activité métabolique est donc un facteur
de survie. A. OPARIN a obtenu également une prolongation de leur existence en
rajoutant dans la solution une deuxième enzyme, l'amylase (fig. 1.9) ; la dégradation
de l'amidon néoformé donne des molécules de maltose, suffisamment petites pour
franchir la paroi du coacervat.
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 29
Fig. 1.9
Ces structures ressemblent à celles des premières cellules rudimentaires : les
protobiontes. Finalement, d'après ces travaux, la vie a pu apparaître à partir de
composés plus ou moins complexes, présents dans les « soupes » originelles. Rien
ne s'opposait à leur multiplication et leur survie était prolongée grâce à des activités
métaboliques. Au début du Précambrien, la sélection naturelle est exclusivement
chimique.
Bien que les lipides soient les constituants fondamentaux des systèmes
membranaires, on ne sait toujours pas comment ils ont pu se former dans des
conditions prébiotiques.
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 30
- Les molécules instructives
Les deux acides nucléiques ADN et ARN sont formés par des unités répétitives :
les nucléotides. Chaque nucléotide est composé d'un sucre (ribose ou désoxyribose)
d'un phosphate et d'une base [adénine (A), guanine (G), thymine (T) ou uracile (U) et
cytosine (C)]. De même que les biochimistes expliquent difficilement l'apparition de
chacun de ces constituants, de même ils ignorent la façon dont ceux-ci ont pu
s'assembler correctement pour former les acides nucléiques. En utilisant le ribose, on
sait polymériser dans des conditions artificielles abiotiques des chaînes
nucléotidiques (fig 1.10) ; les liaisons les plus fréquentes qui unissent les nucléotides
sont de type 5'- 2' et non, comme c'est le cas dans l'ADN ou l'ARN, 5'-3'. Cette
dernière, dont l'apparition est difficile à dater, possède sans doute un avantage
sélectif, car plus fiable que l'autre : l’ADN artificiel double brin 5’-2’ se révèle en effet
instable.
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 31
Fig 1.10
Après la découverte des ribozymes et malgré les objections au « monde ARN »,
on a estimé probable que l’existence de l’ARN a précédé celle de l’ADN, qui s’est
imposé, après une sélection plus chimique que biologique, pour deux raisons. La
première est la plus grande stabilité de l’ADN, car le désoxyribose ne contient plus
l’oxygène réactif du ribose ; la deuxième est la plus grande fiabilité de l’ADN, car le
message génétique contenu dans l’ADN est moins facilement dégénéré : dans l’ARN,
les bases sont (A), (U), (G) et (C), la transformation spontanée possible de la cytosine
(C) en uracile (U) dénature le message contenu sur l’unique brin d’ARN, mais le
complexe enzymatique correcteur ne peut la détecter car la copie complémentaire
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 32
originale est inexistante. Dans l’ADN, les bases complémentaires des deux brins sont
(A)-(T), (G)-(C) et la transformation de la cytosine en uracile ne peut manquer d’être
repérée et corrigée. La position interne des bases dans l’hélice α renforce la stabilité
de l’ADN.
- Les molécules de réaction
L'acide aminé est l'élément de base de toute protéine, et donc des enzymes.
Dans la nature, il existe quelques 300 acides aminés, mais seulement 20 d'entre eux
entrent dans la composition des protéines. Dans leurs expériences de 1953, Stanley
MILLER et Harold UREY ont obtenu, au moins pour moitié, des composés non
organiques et, pour l’autre moitié, des isomères organiques en proportions égales.
C'est le cas des acides aminés, qui appartiennent à des formes D (dextrogyres) ou
bien des formes L (lévogyres). Seules les formes L entrent dans la composition des
protéines. L'origine de leur sélection n'est toujours pas élucidée : le protocode
génétique permettrait l'utilisation des deux isomères et la contingence aurait retenu
les formes L par la suite. Aucune hypothèse n'est à rejeter, car on ignore comment
s'est formé le code génétique.
La nature chimique des premières enzymes est incertaine : des peptides divers
manifestent spontanément une activité catalytique, tels les protéinoïdes de S. FOX. En
1981, Thomas CECH et Sidney ALTMAN ont découvert chez un Protozoaire proche de la
Paramécie, Tetrahymena pyriformis, un ARN ribosomique doué de propriété
autocatalytique. Pour devenir mature, cet ARN doit perdre un segment de sa
molécule ; en 1986, ils ont montré que le petit fragment de l'ARN est capable de
procéder lui-même à son excision et d'épisser ensuite les deux extrémités de l'ARN.
Ce fragment d'ARN, doué de capacités catalytiques, a été baptisé ribozyme. Cette
découverte a étonné, car on croyait que l'activité catalytique était réservée
uniquement aux protéines ; ce phénomène a été retrouvé chez de nombreux ARN
d'origine variée. L'ARN est donc une possibilité sérieuse et non une curiosité réservée
à Tetrahymena. Probablement à la suite de cette découverte, Walter GILBERT (1986) a
élaboré sa théorie du monde ARN : les premiers organismes seraient des molécules
d'ARN qui auraient été capables de synthétiser des protéines et de se répliquer. En
outre, Manfred EIGEN a prouvé que des ARN peuvent s'adapter à plusieurs molécules
et évoluer. Cette activité métabolique, ces synthèses et cette évolution ont le temps
de s’accomplir car les vitesses des réactions anaboliques, c’est-à-dire des réactions
créatrices de nouvelles molécules, sont plus rapides que les vitesses des réactions
cataboliques, c’est-à-dire destructrices, dues principalement à deux phénomènes
majeurs : pyrolyse assurée par le passage de la totalité des eaux océaniques dans
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 33
les sources hydrothermales à 350°C en 10 Ma, et hydrolyse naturelle, qui demande
parfois des centaines d’années ; par exemple, la tranformation spontanée de la
cytosine (C) en uracile (U) demande trois cents ans.
La réplication de ces protoorganismes d'ARN se serait réalisée par formation
spontanée d'un brin complémentaire inactif, qui aurait ensuite servi de modèle à un
autre brin complémentaire actif. On pense également que deux brins
complémentaires restés associés ont donné naissance à la molécule d'ADN, une fois
le ribose remplacé par le désoxyribose.
Mais la théorie du monde ARN n'est pas entièrement satisfaisante, pour les
raisons biochimiques suivantes :
- Les molécules d'ARN sont difficiles à produire en laboratoire, et le seraient
certainement plus encore dans des conditions naturelles, parfois défavorables.
- Les bases pyrimidiques (C, T ou U) sont exceptionnellement obtenues dans des
conditions prébiotiques.
- La polymérisation se réalise si les nucléotides sont dextrogyres, les autres
conditions expérimentales étant optimales. Des chimistes tels que Stanley MILLER ou
Leslie ORGEL ont montré que le mélange équimolaire des formes lévogyres et
dextrogyres qui devaient exister dans les océans primitifs inhibe la polymérisation.
- À la suite d'expériences, L. ORGEL n'a jamais pu observer la formation spontanée
d'ARN complémentaires ; l'addition d'enzyme(s) s'est toujours avérée nécessaire à sa
réplication.
- La chaîne de synthèse du ribose entraîne la formation de sucres divers,
inhibiteurs de la synthèse du ribose lui-même et de l'ARN.
- Le ribose n'est le produit final d'aucune réaction connue. Des interactions entre
des molécules de formaldéhyde (H-CHO) donnent parfois du ribose, mais il est très
peu abondant.
- L’oxygène libre du ribose est réactif. Si la température est élevée, comme on peut
le supposer à l’ère archéenne, cet oxygène déstabilise la molécule d’ARN en coupant
les liaisons qui unissent les nucléotides entre eux.
- Les phosphates, éléments rares, deviennent des composants essentiels.
On peut donc maintenant compléter la chronologie des événements
hypothétiques archéens qui ont conduit aux cellules actuelles :
- apparition des monomères et polymères prébiotiques,
- apparition de l’ARN et naissance de protocellules, les protobiontes,
- sélection de l’ADN et naissance des progénotes LUCA.
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 34
La synthèse de molécules organiques
En 1924, A. OPARIN et, en 1929, un mathématicien, généticien et biochimiste
anglais John Burdon Sanderson HALDANE (1892-1964) ont expliqué, chacun dans un
article, que la génération spontanée aurait pu résulter de molécules inertes et
organiques présentes dans certaines conditions physico-chimiques. J. HALDANE, le
premier, a suggéré la nature exceptionnelle de ces conditions uniques qui ont permis
l'apparition de la vie : une atmosphère réductrice sans oxygène, sans couche d'ozone
pour filtrer les rayons ultraviolets qui fournissaient de l'énergie aux systèmes
chimiques et déclenchaient une photochimie semblable à celle qui existe dans les
nuages interstellaires. Ainsi, l'eau (H2O), le dioxyde de carbone (CO2) et l'ammoniac
(NH3) sont capables d’engendrer pour partie des molécules précurseurs ou présentes
chez les êtres vivants.
Mais, accueillis avec le plus grand scepticisme, les travaux d'A. OPARIN et de
J. HALDANE sont restés sans écho jusqu'à ce que S. MILLER et H. UREY les relancent en
1952. À l'aide de décharges électriques, ils sont arrivés, au bout d'une semaine, à
synthétiser des molécules organiques à partir d'un mélange de gaz réducteurs
composé de méthane (CH4), d'ammoniac (NH3) mais surtout du diazote (N2), d'eau
(H2O) et de dihydrogène (H2). Le méthane, l’ammoniac et l’eau atmosphériques
représentent respectivement la forme complètement réduite du carbone, de l'azote et
de l'oxygène. Actuellement, on ne croit plus guère à l'abondance du NH3 dans
l'atmosphère primitive qui, sans doute, a été moins réductrice qu'on ne l'a dit.
Quelques composés organiques obtenus au cours de leurs diverses expériences sont
présentés dans la figure 1.11.
fig. 1.11
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 35
Le dégazage des laves est sans doute l'origine des gaz atmosphériques choisis
par S. MILLER et H. UREY. Il y a émission de CH4 et de CO2 ; NH3 et H2 résultent de la
décomposition respective de nitrures et de sulfures (le dihydrogène sulfuré H2S par
exemple). Comme la formation de molécules organiques nécessite un apport
d'énergie, S. MILLER et H. UREY ont fait un inventaire des sources énergétiques
naturelles (fig. 1.12) et une estimation de leur puissance. Même occasionnelles, la
plupart d'entre elles sont suffisantes pour favoriser la genèse des molécules
organiques. Les rayons ultraviolets, source énergétique non négligeable, sont connus
surtout pour leur pouvoir mutagène ; mais filtrés par les eaux, ils deviennent ainsi
compatibles avec l'évolution des premières cellules qui naîtront à partir des molécules
prébiotiques.
Fig. 1.12
Après avoir changé le mélange atmosphérique et remplacé le rayonnement
ultraviolet par des décharges électriques, ces chercheurs ont chaque fois réalisé la
synthèse de molécules organiques, parmi lesquelles de nombreux acides aminés. La
chaîne simplifiée de synthèse d'un acide aminé, la glycine, est donnée figure 1.13.
L'acide cyanhydrique (HCN) et/ou le cyanogène (CN)2 et les aldéhydes R-CHO (le
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 36
formaldéhyde H-CHO en particulier) se forment rapidement à mesure que les gaz
initiaux disparaissent ; ces composés constituent une étape intermédiaire inévitable
qui conduit, en particulier, à l'acide propanoïque (CH3-CH2-COOH). Sa combinaison
avec l'ammoniac aboutit à la synthèse d'un acide aminé, la glycine : NH2-CH2COOH.
Fig. 1.13
La synthèse de polymères organiques
Seule l'apparition de monomères (molécules simples) a été abordée, mais la
matière organique comprend des polymères, enchaînement de très nombreuses
molécules, soit identiques dans le cas des homopolymères (amidon...), soit différentes
dans le cas des hétéropolymères (protéines, acides nucléiques...), dont l’importance
dans les systèmes vivants est fondamentale. Leur synthèse suppose des conditions
physico-chimiques différentes de celles nécessaires à la formation des monomères.
La polymérisation par condensation, seule possible alors, requiert l'élimination de
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 37
molécules d'eau et un apport énergétique important ; le bilan réactionnel suivant
résume cette réaction :
M + M + M + M + E <----------> M-M-M-M + H2O
La polymérisation aurait commencé dans les océans ; si la réaction se déroule
dans l'eau, l'équilibre du bilan réactionnel précédent devrait se déplacer vers la
gauche et le polymère M-M-M-M se dissocier. Pour déplacer l'équilibre vers la droite,
c'est-à-dire vers la formation du polymère, plusieurs solutions sont possibles :
1) Augmenter la concentration des molécules M ou enlever l'eau dès qu'elle se
forme. Selon J. HALDANE, les polymères sont apparus dans des lagunes, des flaques
dont l'évaporation est forte ; l'eau de mer concentrée constitue alors un milieu
favorable à l'apparition des molécules organiques. C'est l'hypothèse de la « soupe
primitive » de J. HALDANE.
2) Coupler la réaction de polymérisation avec une deuxième qui, elle, libère de
l'énergie. Par un couplage enzymatique entre les deux réactions, les molécules M se
polymérisent en utilisant l'énergie dégagée par la dégradation des molécules A.
A <----------> A' + énergie E1
M + M + M + M + E1 <-------> M-M-M-M + H2O
Les premiers composés énergétiques étaient probablement le cyanogène (CN)2, N -
= C-C =- N, ou le cyanamide 2(N -= C-NH2) ou encore le carbodiimide CN2 (N -C =-
N). Ces molécules énergétiques se fixent préférentiellement sur les monomères plutôt
que sur d'autres composés et, en particulier, sur les molécules d'eau : le couplage
préalable des monomères sur des molécules chargées négativement, comme les
groupements phosphates, aurait pu concurrencer efficacement l'attraction exercée
par les molécules d'eau sur les composés énergétiques.
Une remise en question de l'hypothèse de la « soupe primitive »
Si la vie est apparue il y a 4 000 Ma, la Terre vit une période de son histoire
particulièrement agitée et spécifique :
- Les impacts météoritiques nombreux et parfois cataclysmiques participent à
l’échauffement de la planète. La Terre est soumise à un bombardement incessant de
météores et météorites de toutes tailles : selon le scénario qui semble consensuel
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 38
aujourd’hui, la Lune serait un fragment de la Terre arrachée par l’impact tangentiel
d’un météore de la taille de Mars.
- La proximité de la Lune aux alentours de 20 000 km de la Terre (contre 384 403
km aujourd’hui) participe également à l’échauffement de la planète en provoquant
une intense activité volcanique : du fait de l’attraction lunaire, la croûte terrestre est
soumise à des contraintes qui provoquent sa rupture. La température des eaux
océaniques pouvaient atteindre 80°C.
- Cette proximité lunaire provoque aussi des gigantesques marées dont l’amplitude
serait 200 fois celles d’aujourd’hui.
- L’énergie solaire probablement plus faible possède un spectre différent ; le soleil
encore assez jeune commence à transformer son hydrogène en hélium.
- Le rayonnement U-V, toujours aussi mutagène, est beaucoup plus intense.
Dans ces conditions, il s’avère peu probable que la vie ait pu s’organiser aussi vite
alors que les différents facteurs externes sont globalement défavorables d’une part à
son apparition et d’autre part à l’existence de milieux aquatiques calmes, tièdes et
protégés (cf. R. RAYNAL : « Les origines de la vie », APBG, n° 2, 2004).
Les biochimistes s'accordent à dire que les conditions d'évaporation et de
concentration du milieu étaient favorables non seulement à la concentration des
monomères, mais aussi à la disparition des précurseurs de monomères, tels que
l'acide cyanhydrique (HCN), le cyanogène (CN)2, les aldéhydes (R-CHO) ou
l'ammoniac (NH3) qui sont tous volatils. L'explication de J. HALDANE comporte donc une
lacune.
La stabilité dans l'eau de certaines molécules, précurseurs des macromolécules,
est parfois trop courte. Par exemple, André BRACK estime que les nucléosides
(association d'une base azotée et d'un groupement phosphate) ont une demi-vie d'un
millier d'années à 25°C et pH = 8, temps bien insuffisant pour qu'ils aient pu former
des macromolécules. La fixation des molécules sur des argiles augmenterait leur
stabilité.
Selon Antoine DANCHIN, la « soupe primitive » devait contenir non seulement les
petites molécules du métabolisme intermédiaire, précurseurs des macromolécules,
mais aussi des molécules très proches des précédentes, constituant des poisons
métaboliques. L'affinité des enzymes pour ces poisons est variable et parfois bien
supérieure à celle des substrats normaux. Mais, dans tous les cas, la formation du
complexe enzyme-poison est irréversible. Dans ces conditions, on conçoit que tout
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 39
système métabolique risque d'être bloqué à plus ou moins long terme. C'est pourquoi
A. DANCHIN rejette définitivement l'hypothèse de la « soupe primitive ».
Dans les années 1960, le chimiste John Desmond BERNAL et son collègue
Aharon KATCHALSKY ont proposé une explication différente : la concentration des
monomères a pu augmenter malgré le milieu liquide, à la condition que ceux-ci se
fixent sur des minéraux, comme les argiles ou les micas chargés électriquement. La
constitution de ces minéraux en feuillets, véritables pièges à ions, favorise également
la fixation d'un grand nombre de monomères, créant des conditions favorables à leur
polymérisation. Des polymérisations d'acides aminés ont été obtenues après leur
fixation sur une argile. Le basalte s'est également révélé doué de propriétés
catalytiques ; après avoir placé 18 acides aminés au contact d'un basalte à la
température de 170°C, S. FOX avait obtenu des protéinoïdes. De nombreuses
synthèses de molécules, dont l'importance biologique est reconnue, ont été ainsi
réussies. Mais les argiles sont très polymorphes et le dosage des composés
organiques dans une matrice argileuse est très difficile ; aussi les résultats
expérimentaux sont-ils peu reproductibles. On ne sait pas encore déterminer
précisément si l'argile constitue une surface adsorbante ou catalytique.
Dans le modèle de Christian De DUVE (1974), la source d'énergie nécessaire aux
protocellules provient de la synthèse de thioesters qui requiert un milieu chaud, acide
et riche en sulfures, comme le sont les sources hydrothermales sous-marines. À
l'origine de la vie, il n'est donc pas surprenant de constater la présence de thioesters
dans le métabolisme des cellules actuelles.
Le biochimiste Günther WÄCHTERSHÄUSER, en 1985, propose un autre modèle. Les
premiers organismes chimiolithotrophes primitifs et très rudimentaires, chargés
négativement, se sont fixés sur des surfaces minérales chargées positivement. Si le
minéral était de la pyrite (FeS2), le sulfure de fer réagissant avec le dihydrogène
sulfuré (H2S) d'origine diverse, les protocellules ont pu tirer bénéfice de cette réaction
en profitant de l'énergie libérée pour fixer le carbone du CO2 atmosphérique et donner
de l’acide succinique (CH2-COOH)2. Les premières protocellules se seraient donc
développées autour d'un grain de pyrite.
Dans le modèle d'Alexandre Graham CAIRNS-SMITH, le support n'est plus la pyrite
mais l'argile, dont les charges auraient retenu les composés organiques. Les feuillets
argileux capables de concentrer des acides aminés favorisent leur polymérisation
même en milieu liquide. L'évolution de ces composés aurait été spontanée, mais
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 40
tributaire des ratés de la réplication des feuillets d'argile : un nouveau feuillet mal
formé entraîne la formation d'un nouveau composé organique.
Ces propriétés étonnantes, jointes aux arguments défavorables à l'hypothèse
de la « soupe primitive », font de ces minéraux de nouveaux candidats au berceau de
la vie.
Malgré ces divergences, il est néanmoins admis que les conditions terrestres
initiales ont été favorables à l'apparition de la vie. Mais, depuis la découverte dans
l'espace interstellaire de nombreuses molécules organiques, des chercheurs ont
pensé qu'accidentellement quelques-unes d'entre elles ont pu être déposées sur
Terre. Bénéficiant de conditions favorables, elles ont donné naissance ensuite aux
proto-cellules : c'est l'hypothèse de la théorie exogène.
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 41
1.2.2 - La théorie exogène
Bien qu'il ne puisse représenter une théorie scientifique, le dogme biblique
fixiste de la création divine est rappelé dans la figure 1.14.
Fig. 1.14
Ce dogme, qui a imprégné pendant de nombreux siècles la réflexion sur
l’histoire de la nature, sera évoqué dans plusieurs chapitres. La séparation entre les
discours scientifiques et religieux s'est nettement accentuée avec la propagation de la
pensée darwinienne.
Si la présence de Bactéries sur Terre est admise dès 3 500 Ma, certains
scientifiques pensent que ces microorganismes sont le fruit d’une évolution qui
repousserait leur apparition de 200 ou 300 Ma. En admettant le postulat d’une
évolution de la vie qui procède du plus simple au plus complexe, on peut penser, en
effet, que les premières Cyanobactéries photosynthétiques, vieilles de 3 700 Ma, sont
issues d’une longue évolution pendant laquelle la photosynthèse anaérobie ou
aérobie s’est mise en place : la photosynthèse est un phénomène complexe qu’il est
difficile d’imaginer apparaissant directement. La vie serait donc apparue aux alentours
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 42
de 4 000 Ma, c’est-à-dire très tôt dans l’histoire de la Terre, qui vit une période
mouvementée, et si rapidement même que le scénario d’une origine de la vie
purement terrestre est remis en question (ibid).
Selon la théorie exogène, les composés organiques simples ne se sont pas
formés sur Terre, mais dans l'espace : la Terre aurait été ensemencée par des
météorites provenant soit du système solaire, comme la majorité d'entre eux, soit d'un
autre système.
Tout commence en 1864, en France, dans le village français d'Orgueil, près de
Montauban en France, où tombe une grosse météorite de la taille d’un ballon de
football qui livre ses secrets à mesure que les techniques d'analyse se perfectionnent.
En 1963, selon les études de chimistes comme Ian KAPLAN, elle contient de
nombreux acides aminés. Soit les acides aminés se sont formés sur la météorite, soit
il y a eu contamination par des microorganismes terrestres. Après de nouvelles
analyses, la météorite contient autant d'acides de forme D que de forme L (D/L =1).
On sait que les cellules ne fabriquent que des formes L ; dans le cas d'une
contamination due aux cellules terriennes, les acides aminés L n'auraient pas pu
donner spontanément naissance à des formes D (voir la section 2.1.1 : « La
racémisation ») dans l'intervalle de temps qui sépare la chute de la météorite et sa
découverte. Les acides aminés d'Orgueil sont donc d'origine abiotique et par
conséquent extraterrestre.
On s'est interrogé sur l'origine de ces acides aminés. En 1970, les astronomes
détectent des molécules organiques dans le nuage interstellaire d'Orion, puis dans
plusieurs autres. Plus d'une centaine ont été identifiées, dont la plus simple : le
formaldéhyde (H-CHO) qui est, avec l'acide cyanhydrique (HCN), à l'origine de
plusieurs chaînes de biosynthèse. Mais on trouve aussi des molécules prébiotiques
plus complexes telles que des hydrocarbures, des alcools dont le méthanol et
l’éthanol, des glycoaldéhydes à l’origine possible du glucose et du ribose, des
quinones à la base des pigments végétaux, des acides aminés. L’énergie nécessaire
à cette chimie interstellaire provient des U-V. Une concentration en deutérium, isotope
de l'hydrogène, 500 à 10 000 fois supérieure à la moyenne terrestre est un cachet
authentifiant l'origine interstellaire des molécules. C'est à partir des nuages
interstellaires que naissent les étoiles ; notre système solaire aurait acquis quelques-
unes de ces molécules à sa naissance et la contamination terrestre aurait été opérée
par des comètes et des météorites. À leur passage à proximité du soleil ou de
l’atmosphère terrestre, les comètes fondent partiellement et ensemencent l’espace de
diverses molécules carbonées qu’elles transportent. Les météorites comme celle
P. Fournier & I. Vallin-Amzzoug 43
d’Orgueil apportent un nombre considérable de molécules prébiotiques. Ainsi, tombée
en 1969, la météorite de Murchison (Australie) a livré jusqu’à maintenant 500
molécules organiques. Les micrométéorites participent également à cet apport ; leur
fusion est, en effet, souvent partielle, car elle dépend non seulement des matériaux
qui les composent, mais aussi de leur masse et de leur vitesse d’entrée dans
l’atmosphère. On estime aujourd’hui à 130 t/an la masse de carbone apportée par les
micrométéorites et à 10 000 109 t. la masse de carbone apportée pendant 300 Ma il y
a 4 000 Ma (ibid). L'étude quantitative des retombées météoritiques montre que le
phénomène est possible : il tombe environ 100 t de météorites de plus de 100 g par
an et 10 000 à 15 000 t de micrométéorites dont la taille est comprise entre 5 et 100
micromètres, estimation sans doute faible par rapport au bombardement beaucoup
plus intense au début du Précambrien, ainsi que le suggèrent les datations de
cratères météoritiques lunaires. Avec une atmosphère ténue, la pulvérisation des
météorites à leur entrée dans l'atmosphère n'était pas aussi complète
qu'actuellement, et la contamination était certainement plus facile et plus fréquente.
De surcroît, d'après Michel MAURETTE, l'analyse des micrométéorites signale souvent
une teneur en carbone supérieure à celle d'Orgueil. La contamination d'origine
extraterrestre est donc une hypothèse à conserver.
Actuellement, les astronomes considèrent que l’isolement des planètes du
système solaire entre elles n’a jamais été complet : à la faveur d’impacts
météoritiques, des fragments de planètes ont été expulsés dans l’espace et ont pu se
déposer sur d’autres. Les biologistes pensent même que, si des bactéries sont
apparues sur l’une de nos planètes, elles ont été transportées sur les autres. Lorsque
leur exposition au milieu spatial n’est pas directe, les Bactéries peuvent résister à leur
transport.
Alors que le nombre des arguments scientifiques en faveur d’un transfert de
molécules prébiotiques voire de Bactéries d’un monde à l’autre augmente
régulièrement, la théorie exogène qui semblait relever de la science-fiction s’avère de
plus en plus plausible (ibid).
L'histoire de la vie ne correspond pas à un paysage idyllique dans lequel les
formes se seraient diversifiées, tout en augmentant leur degré de complexité. Elle est,
au contraire, fort mouvementée, comme en témoignent les archives paléontologiques,
qui gardent la trace de nombreuses périodes d'explosions démographiques
spécifiques suivies d'extinctions brutales. La section suivante, « Les aléas de la vie »,
retrace quelques-uns de ces épisodes et tente d’y apporter une explication.
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Bibliographie de la section 1.2
Livres
BRACK A. et RAULIN F. , L'Évolution chimique et les origines de la vie, Paris, Masson, 1991.
LOCQUIN M. (Ouvrage coordonné par), Aux origines de la vie, Paris, Fayard, 1987.
MAUREL M.-C. , Les Origines de la vie, Paris, Syros, 1994.La Naissance de la vie - de l’évolution prébiotique à l’évolution
biologique, Paris, Diderot, 1997.
Articles
BRACK A. , « Oparin », « Origine de la vie », Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, Paris, PUF, 1996.
DANCHIN A. , « L'origine de la vie », La Recherche, n° 201, juillet-août 1988.
DICKERSON R. , « L'évolution chimique et l'origine de la vie », Pour La Science, n° spécial : L'évolution, Paris, Belin, 1980.
HORGAN J. , « L'apparition de la vie », Pour La Science, n° 162, avril 1991.
LAMBS L. , « Origine de la vie », La Recherche, n° 270, novembre 1994.
ORGEL L. , « L'origine de la vie sur Terre », Pour La Science, n° 206, décembre 1994.
RAYNAL R. : « Les origines de la vie », APBG, revue de l’Association des Professeurs de Biologie et Géologie, n° 2, 2004.
ROBERT F. , « Les premières molécules organiques », La Recherche, n° 220, avril 1990.
SCHOPF J. W. , « L'évolution des premières cellules », Pour La Science, n° spécial : L'évolution, Paris, Belin, 1980.
SILVERA D. , « Quand les enzymes ne sont pas des protéines », La Recherche, n° 220, avril 1990.
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