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1580 : Agrippa d'Aubigné, gouverneur de Montaigu (ce qu'en a dit Marcel Guillaumé dans la Revue du District de Montaigu, n° 3, déc. 1971, pp. 33 à 35)

Montaigu était, en 1580, un petite cité fortifiée cernée de tous côtés par des remparts et bien défendue par une situation géographique privilégiée.

Elle avait cruellement souffert deux siècles auparavant, sous l'occupation anglaise, et devait, sous la Renaissance, pâtir plus que d'autres au cours des guerres de Religion et notamment en cette année où elle eut à subir un siège mémorable pendant plus de huit mois.

Dans la plus grade partie du royaume, la guerre civile de caractère religieux faisait ses ravages, tantôt sporadique, tantôt continuelle, suivant les provinces ; guerre idéologique où s'affrontaient la doctrine réformée inspirée par Calvin et la doctrine catholique alors affirmée par le Concile de Trente.

Les conversions au protestantisme furent nombreuses dans l'Ouest à la suite d'un séjour de Calvin à Poitiers, en 1543, et des succès qu'il obtint dans cette ville et ses environs.

La Réforme gagna peu à peu ce qui sera plus tard la Vendée et déjà, en 1560, les gentilshommes de la baronnie de Montaigu déléguèrent à l'Assemblée des états du Poitou, se tenant comme il se devait à Poitiers, Raymond de Gastinaire, seigneur de la Preuille en Saint-Hilaire-de-Loulay, fidèle adepte de la doctrine de Calvin.

Il faut dire aussi que bien souvent l'intérêt particulier tout autant que la conviction religieuse guidait ces conversions, et tel qui embrassait la Réforme, abjurait, ensuite s'il croyait plus avantageux de brûler ce qu'il avait adoré. Tel était le cas pour Charles Rouault du Landreau, cité plus loin, qui avait adopté tout d'abord la Réforme puis, ayant abjuré, était ensuite rentré au bercail catholique.

A la cour, le roi Henri III, depuis un séjour prolongé à Venise en rentrant de la cour de Pologne, avait rapporté de cette ville à la civilisation la plus raffinée d'Europe, des habitudes qui, ajoutées à son tempérament libertin, lui faisaient mener une vie fastueuse et dissolue, entouré de ses Mignons-Bretteurs et de " l'Escadron volant" créé par sa mère, Catherine de Médicis, où voltigeaient des demoiselles nobles auxquelles il était demandé plus de séduction et de complaisance que de vertu. Ces aimables personnes avaient pour fonction, ou bien de récompenser de leurs faveurs les services rendus à la royauté, ou bien encore de pratiquer dans le secret des alcôves un espionnage profitable à leur souverain.

Quant à lui, lors des grandes réceptions à la cour, il paraissait volontiers en travesti féminin, ce qui faisait écrire à Agrippa d'Aubigné :

"Si bien qu'en le voyant, chacun était en peine S'il voyait un roi femme ou bien un homme reine."

Mais revenons à Montaigu, dont la baronnie appartenait alors à Claude de la Trémoille, sous la tutelle de sa mère, duchesse de la Trémoille, veuve de Louis du même nom, décédé en 1577, détenteur du duché de Thouars.

La cité comptait environ douze cents habitants, répartis pour la plus grande partie à l'intérieur des remparts, les faubourgs "Saint-Jacques et Saint-Nicolas" n'étant alors que de simples hameaux d'une centaine d'âmes, bien que possédant chacun sa petite église, situées, celle de Saint-Jacques, à l'extrémité sud-est du cimetière actuel et celle de Saint-Nicolas, sur l'emplacement de la route nationale actuelle au niveau de son presbytère, dont la maison a survécu en sa même apparence.

Quant à la place forte elle-même, située malheureusement pour elle à un point stratégique très enviable, à l'intersection des voies conduisant au nord, à Nantes ; au sud, à La Rochelle ; à l'est, à Cholet par Tiffauges et à l'ouest, à Vieillevigne, puis à l'Océan, elle se tassait à l'intérieur de ses remparts, sillonnée du nord au sud par une rue principale reliant la porte de Nantes à celle de La Rochelle, dénommée porte Saint-Jacques ou porte Jarlet, dont un jambage était adossé au bastion de la Barbacane et à l'est par la rue de Tiffauges aboutissant à la porte Notre-Dame, près de l'église du même nom, ou porte de Tiffauges, enfin en tous sens par des rues très étroites subsistant encore, où le soleil n'avait presque jamais droit d'asile.

Au sud, se dressait altièrement le château reconstruit à la suite du saccage par les Anglais, lors de leur occupation de la place forte après le traité de paix de Brétigny, signé par Jean le Bon en 1360, attribuant notamment le Poitou à ces derniers.

Ils y séjournèrent jusqu'en 1373, date à laquelle ils en furent chassés par le connétable de Clisson et Du Guesclin.

Il comprenait divers bâtiments importants, d'architecture sévère, dont seul subsiste encore celui appelé "pavillon des Nourrices", où se réfugiaient, pendant les sièges, les enfants en bas âge et leurs mères, et qui leur était spécialement destiné.

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Les remparts au sud et au sud-est du château baignaient leurs fondations dans un étang dont le plan d'eau s'étirait harmonieusement depuis sa chaussée de retenue joignant la Maine jusque vers la porte de Tiffauges où le ruisseau l'Asson l'alimentait de ses eaux.

La Maine et ce plan d'eau constituaient une excellente défense pour la place forte car aucune escalade des remparts ne pouvait être envisagée par des assaillants sur toute leur étendue.

Sur les autres faces, les remparts étaient protégés par des fossés larges et profonds existant encore en grande partie, qui faisaient leur plein d'eau à la saison des pluies.

Durant la saison sèche, subsistaient seules quelques mares boueuses où les enfants pataugeaient à plaisir et où d'innombrables moustiques tourbillonnaient en rondes infernales aux yeux ronds et hébétés de grenouilles somnolentes qui, dès la tombée de la nuit, retrouvaient leur vigueur pour tenir les habitants en éveil.

Les églises ne manquaient pas aux fidèles. En outre, de la collégiale Saint-Maurice, non loin du pavillon des Nourrices, qui servait également de chapelle au château, avant son transfert rue de Tiffauges, on comptait encore Saint-Jean-Baptiste à son emplacement actuel et Notre-Dame, près de la porte de Tiffauges à laquelle elle donna son nom.

Montaigu, par son emplacement à un nœud important de communications, était véritablement une plate-forme tournante et la structure de ses fortifications en faisait, depuis une vingtaine d'années, l'enjeu des convoitises des armées catholiques et réformées. Elle avait déjà connu plusieurs sièges et était passée tantôt aux mains des protestants, tantôt aux mains des catholiques qui, sous l'impulsion et la direction du baron du Landreau, avaient mis à profit, par ordre d'Henri III, quelques années paisibles, à partir de 1575, pour améliorer sa défense.

Mais l'accalmie ne devait pas être de longue durée. Le 17 mars 1580, le jour commençait à peine à poindre à l'horizon dans le ciel blafard chargé de

nuages. La sentinelle, de garde à la poterne du château ouvrant sur la rivière, sommeillait étendue sur le chemin de garde, quand un bruit insolite la sortit de sa torpeur.

"Qui va là ?... - Matelot !" (c'était le mot de passe). Notre homme ouvre nonchalamment la poterne. Une troupe de dix-sept huguenots se précipite, le

bouscule, l'assomme à moitié au passage, fait irruption dans la salle des gardes du château où les soldats présents, croyant avoir affaire à forte partie, se rendent à souhait. Le capitaine de la petite garnison, qui comprenait une quarantaine de "Mortes payes" (soldats gardiens de citadelles), impressionné par l'effet de surprise et surtout par le vacarme intentionnel des assaillants, se croit investi par une troupe considérable et se rend sur-le-champ.

Voilà la place forte prise sans coup férir qui tombe une fois de plus aux mains des réformés. Le coup, il faut le reconnaître, avait été préparé de main de maître par un officier huguenot nommé

de Pommiers, d'origine gasconne qui, au cours d'une entreprise de pillage des "Mortes payes", véritables soudards, à l'encontre de marchands rentrant d'une foire, réussit, en se mêlant à eux, après boire, à se procurer le mot de passe.

Quelques jours après, une garnison de protestants, forte de quinze cents hommes, occupait déjà la ville, sous le commandement d'Agrippa d'Aubigné, devenu son gouverneur militaire.

Il avait alors vingt-huit ans. Son père Jean d'Aubigné, de petite noblesse saintongeoise, menait une vie paisible dans une modeste gentilhommière des environs de Pons-Saintonge, actuellement Charente-Maritime. C'est là que d'Aubigné vit le jour le 8 février 1552. Sa mère étant décédée en le mettant au monde, son père convole en secondes noces et le petit Théodore, privé de tendresse maternelle, sous la férule d'une marâtre odieuse, aspire au plus tôt à quitter la maison paternelle. Sa première enfance s'écoule le plus souvent à Pons, chez Antoinette d'Albret, parente d'Henri de Navarre, futur Henri IV, où les deux enfants, sensiblement du même âge, partagent leurs études et leurs jeux.

A dix ans, son père l'envoie à Paris, puis à Orléans et enfin à Genève pour y poursuivre ses études.

C'est un sujet brillant et remarqué ; il est élevé dans la religion réformée de Calvin qu'il embrasse avec tout l'enthousiasme d'une nature ardente et à laquelle il devait toute sa vie rester passionnément attaché.

Au physique, son visage où pétillaient des yeux perçants était serti dans un collier de barbe prolongé par des favoris. Son esprit vif et son humeur enjouée s'exaltaient dans une imagination débordante, le tout accompagné d'une mémoire très fidèle. L'équitation constituait son sport favori et le prédisposait au métier des armes.

Agrippa d'Aubigné (1552-1630) musée de Bâle

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Le 15 mai 1580, l'armée catholique, commandée par le baron Rouault du Landreau, amorce une attaque en force pour reprendre la ville, mais d'Aubigné et ses 1500 hommes tiennent bon et du Landreau doit rapidement lâcher prise devant le mordant des assiégés et surtout l'excellent état des fortifications qu'il regrettait amèrement d'avoir si parfaitement restaurées.

Henri III, tenu au courant de cet échec, ordonne aussitôt à Guy du Daillon, comte du Lude, de prendre personnellement en mains l'attaque de la forteresse. Sans plus tarder, du Lude fait mettre à sa disposition le régiment de Lancôme en cantonnement à Brouage-Saintonge, se montant à 2 000 hommes, qu'il augmente considérablement en cours de route, notamment dans la région de Pouzauges où de nombreuses recrues se joignent à lui.

En même temps, la Hunaudaye, lieutenant-général du roi en Bretagne, descendait de Nantes avec huit compagnies d'arquebusiers et quelques compagnies de chevan-légers.

De Saint-Maixent arrivait enfin un régiment de gens de pied (infanterie). Toutes ces troupes s'installent en cantonnement autour de Montaigu ; les unes à Saint-Georges-de-Montaigu où du Lude fixe son état-major ; les autres, à la Barillère, à Matifeu, à la Lande, à la Borderie, aux Souillères et à la Pâtissière.

De juillet à septembre, diverses escarmouches mirent aux prises les adversaires, mais aucun fait saillant ne mérite d'être signalé, sinon que le dernier lundi de septembre, sur l'ordre du gouverneur, son frère Jean d'Aubigné, de plusieurs années plus jeune, issu du second mariage de leur père, capitaine d'une compagnie de "Salades" (cavaliers lourds) courageux et enthousiaste, comme on peut l'être à cet âge, part en reconnaissance vers Matifeu et la Barillère, où commandait du Landreau, afin de tâter l'ardeur de l'armée catholique et d'y rompre quelques lances. La petite troupe chevauchait en rangs serrés, quand d'Aubigné aperçut soudain, à l'orée d'un bois taillis, des cavaliers ennemis débouchant à vive allure dans sa direction.

La rencontre a lieu ; sous la violence du choc, du Landreau qui tenait la tête du peloton est jeté à bas de sa monture par un coup d'épieu de d'Aubigné et son cheval disparaît dans la mêlée, quand quelques cavaliers de du Landreau, qui le serraient de près, se jettent sur le jeune capitaine et le transpercent mortellement.

Quelques jours auparavant, le gouverneur avait dit à son jeune frère : "Tu as gagné ta réputation de soldat, ne sois donc pas avare de ta vie, mais tout de même, ménage-la."

"J'aurai bientôt le plaisir d'être honoré ou de ne plus être du tout" fut sa réponse. Hélas ! il n'était plus. Ses soldats ramènent son corps à Montaigu ; sa mort sème la consternation dans l'armée

protestante, où il était estimé et aimé de tous. Puis, n'était-il pas aussi le frère du gouverneur ? Ses obsèques ont lieu avec les honneurs militaires dus à sa bravoure et à son rang, dans la

collégiale du château aménagée pour le culte calviniste ; les trompettes de la garnison lui rendent un vibrant hommage et les étendards s'inclinent pieusement sur la dépouille d'une victime de la cause réformée, passée de vie à trépas par les hommes de main de ce renégat de du Landreau et de ses "suppôts papistes" !... Puis son corps est descendu dans la crypte où il repose encore aujourd'hui en compagnie de Marguerite de Valois, épouse de Jean III de Montaigu, sœur légitimée de Charles VII, roi de France, qui l'y avait précédé en 1449, année du décès de son amie Agnès Sorel.

Quant au comte du Lude, auquel le roi avait confié, comme on l'a vu, la mission de s'emparer de la ville, il brûlait d'impatience de mener à bonne fin les ordres transmis par le duc d'Anjou, frère du roi et décochait volontiers à du Landreau d'aimables reproches sur l'empressement avec lequel il avait fait réparer, cinq ans plus tôt, les brèches des fortifications qui rendaient ainsi Montaigu quasi inexpugnable.

Que dirait le roi d'une telle lenteur, alors qu'il a fait mettre à sa disposition tous les moyens en hommes et en munitions pour faire capituler ce scélérat de d'Aubigné et sa garnison

Au fond de lui-même, son amour-propre était blessé profondément, il fallait en finir au plus tôt avec ces "maudits huguenots" !...

Aussi, le 1er octobre, du Lude masse ses troupes à l'est de Montaigu sur Matifeu et la Barillère, où il dispose de 4 000 hommes d'infanterie et de cavalerie.

L'objectif de l'offensive est de s'emparer de la forteresse par la porte de Tiffauges, après avoir fait voler en éclats la porte elle-même à l'aide de boulets bien placés des pièces de canon que la ville de Nantes lui avait récemment envoyées. Mais pour cela, les pièces doivent être amenées à bonne distance afin de pratiquer un tir de plein fouet, et il faut les couvrir tant à leur avant que sur leur flanc par plusieurs compagnies d'arquebusiers.

Voilà donc toute l'armée qui s'ébranle sur le "Grand Champ de la Barillère" (ainsi nommé par d'Aubigné) parsemé de boqueteaux et s'étendant à proximité de l'ancienne voie gallo-romaine de Matifeux jusqu'au ruisseau l'Asson à travers le coteau.

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Mais les sentinelles du gouverneur veillent sur les remparts et donnent l'alarme ; les assiégés ne peuvent laisser l'artillerie adverse faire sauter la porte par laquelle feront irruption le gros des assaillants pendant que d'autres, à l'aide d'échelles et autres moyens, escaladeront les remparts.

Sur-le-champ, d'Aubigné, avec la rapidité de décision qui le caractérise, ordonne une sortie de masse, tandis qu'en face l'infanterie catholique dévale le Grand Champ et le coteau.

Les adversaires sont rapidement aux prises dans la vallée, où les corps à corps sont meurtriers, pendant que les canons suivent les arrières des fantassins du comte. Ce dernier, inquiet de l'issue du combat, fait donner sa cavalerie pour dégager le terrain, mais les arquebusiers du gouverneur, accrochés dans les boqueteaux, résistent opiniâtrement pendant plusieurs heures et ce n'est que le soir, à la brume d'octobre que, sous le poids du nombre, ils sont contraints de se replier, mais en bon ordre, vers la porte de Tiffauges.

Le pont-levis est remonté en hâte au passage du dernier soldat. La porte qui se referme grince sur ses gonds, elle est barrée précipitamment avec plus de soin que de

coutume. L'artillerie catholique n'avait jamais pu prendre position à bonne portée. L'opération du comte était manquée. Mais, durant ces événements, comment se comportait la population de Montaigu ? La présence de 1500 soldats y devenait, à la longue, bien encombrante pour une agglomération d'un millier

d'habitants vivant en vase clos, restée dans son ensemble attachée à la foi catholique et qui était vraiment lasse de ces luttes idéologiques intestines dont, depuis plus de vingt ans, elle faisait les frais, avec une seule accalmie de cinq années.

Jusqu'à la mi-septembre, les troupes de d'Aubigné effectuaient de fréquentes sorties, d'où elles ramenaient des vivres pillées dans les fermes de la région, poussant parfois même des pointes avancées jusqu'à Pont-Rousseau où elles butaient, à la Loire, mais les habitants n'en profitaient guère autrement que par des achats ou des échanges avec les pillards, et pour survivre, ils devaient eux-mêmes se ravitailler par leurs propres moyens, à une époque où les transports étaient limités à quelques chevaux, bœufs et charrettes cahotant et brinquebalant dans des chemins creux, étroits et non entretenus, où les ornières tenaient lieu d'empierrement.

De leur côté, les paysans, dévalisés par les troupes des deux camps, enterraient ou cachaient dans les granges leurs vivres de subsistance et recevaient les quémandeurs de Montaigu avec une réticence et des arguments frappants qui faisaient souvent reculer les plus audacieux.

Depuis l'échec de la tentative d'assaut du premier dimanche d'octobre sur la porte de Tiffauges, les assauts se transformèrent en blocus. Du Lude et du Landreau sont persuadés que la place forte renferme le double de défenseurs qu'elle n'en possède réellement ; dès lors, pourquoi rechercher par la violence et la perte de vies humaines ce que le temps et la patience leur apporteront à plus ou moins bref délai, d'une façon inéluctable ?

La famine et le défaut de munitions n'ont-ils pas toujours été les plus sûrs garants de la reddition des places fortes ?

L'armée catholique prend donc ses quartiers d'hiver, se contentant d'intercepter toutes les tentatives de sortie des assiégés et aussi des habitants, en pratiquant un blocus inexorable. Ceux qui se risquent de jour ou de nuit à franchir les remparts par les portes, échelles de cordes ou autres moyens, pour se procurer des vivres ou du bois de chauffage, sont capturés, ou s'ils insistent, massacrés impitoyablement.

La vie des civils, dans la petite cité, devient intolérable, le spectre de la famine excite les colères et la garnison est exécrée par la population entière.

D'Aubigné se rend parfaitement compte que le temps travaille pour les assiégeants ; il n'attend aucun secours de l'extérieur et les coureurs qu'il a réussi à faire traverser de nuit les lignes ennemies ne sont pas rentrés porteurs de nouvelles annonçant des renforts. Il doit se résigner, l'honneur étant sauf, à demander une trêve et l'arrêt des hostilités.

Il dépêche donc dix volontaires en chemise, nouveaux "Bourgeois de Calais", auprès du comte du Lude et de son conseil de guerre siégeant à la Barillère, et, comble de honte, ses dix délégués se voient contraints de défiler, en ce simple appareil, devant deux haies de soldats, six cents hommes environ, postés à l'entrée du manoir.

Les conditions de paix ne pouvaient qu'être acceptées, si dures fussent-elles et d'Aubigné, qui se sent acculé, ne peut " in extremis", refuser de passer sous les "Fourches Caudines", bien que certains officiers et une partie des troupes crient au déshonneur et préfèrent se raidir obstinément dans un siège sans espoir.

Elles étaient du reste relativement douces, puisque les assiégés étaient autorisés à quitter la ville sans se constituer prisonniers ; Montaigu devait être livré au duc d'Anjou, frère d'Henri III, le château démantelé et les fortifications rasées.

D'Aubigné, en sa qualité de gouverneur militaire, est chargé et accepte de faire publier cet armistice qui rend ainsi la reddition immédiate. Il le fait sans trop d'amertume et le traité de Fleix, petite ville du Périgord, consacre, le 26 novembre 1580, l'arrêt des hostilités et les conventions prises.

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Son ordonnance d'exécution est criée sous les murs de la ville, le 21 janvier suivant. Les habitants se félicitent, on le conçoit aisément, de cet état de choses qui ramenait la paix chez

eux et dans la région. Ils ne sont pas près d'oublier l'occupation, les méfaits commis par quelques soudards sans vergogne,

les pillages et surtout la disette qu'ils ont subie pendant plus de huit mois, sans parler de l'effroi causé par la guerre et ses atrocités.

Le démantèlement du château, par suite d'intrigues diverses et d'opposition entre les intérêts en présence, n'eut lieu que progressivement et ne fut vraiment terminé qu'une dizaine d'années plus tard, après que la cité fortifiée, à nouveau investie par les armées protestantes, eut été libérée définitivement par les troupes du duc de Nevers. Ce fut le dernier siège de Montaigu.

Quant à Agrippa d'Aubigné, avant de quitter Montaigu où il s'était particulièrement distingué par son courage opiniâtre et un esprit de décision remarquable, il se recueille une dernière fois devant le tombeau de son frère et part guerroyer en d'autres lieux sous l'impulsion de son ami d'enfance Henri de Navarre, futur Henri IV, auquel il est très attaché, et est nommé maréchal de camp en 1586.

Ce dernier monte sur le trône après l'assassinat d'Henri III qui le désigne avant de mourir pour lui succéder. D'Aubigné paraît alors quelque temps à la cour après la paix de Saint-Germain et s'efforce de s'y plaire, mais sa nature de sectaire farouche s'accommode mal de la vie fastueuse et des intrigues partisanes.

Henri IV est assassiné par Ravaillac en 1610 ; son fils, Louis XIII lui succède sous la régence de sa mère Marie de Médicis, et Richelieu achève la pacification du pays. Dès lors, l'homme de guerre, protestant farouche, n'a plus sa place en France et il part, en 1620, pour Genève, centre calviniste, où il termine ses jours le 9 mai 1630.

Il était réservé à ce champion du protestantisme d'avoir pour fils aîné un renégat à son parti et pour petite-fille Mme de Maintenon, catholique convaincue, devenue épouse morganatique de Louis XIV, par son mariage secret en 1684.

Sur le plan littéraire, il a laissé plusieurs ouvrages, entre autres : sa fameuse Histoire universelle relatant les événements des guerres de religion en France pendant les années 1550 à 1601, où se trouve évoquée sa carrière militaire aux armées protestantes ; la Confession catholique du sieur de Sancy ; les Tragiques, poème qui constitue une glorification du protestantisme et une âpre critique du catholicisme. Et, enfin, les Aventures du baron de Foeneste, roman satirique mais surtout très licencieux, qui fut condamné pour tel et brûlé à Genève.

D'Aubigné n'était pas, en effet, un ange de vertu et, à l'instar de son ami le "Vert Galant", il alliait à une vie privée abondamment pourvue en aventures amoureuses une verdeur de langage devant laquelle la rigidité de la doctrine calviniste se devait de réagir.

En France, les guerres de Religion avaient, pendant un demi-siècle, livré le pays à la guerre civile et à la ruine et plusieurs années furent nécessaires pour en effacer les traces matérielles et morales.

Trois siècles, hélas ! devaient s'écouler ensuite avant que l'œcuménisme préconise par le Concile Vatican II voie enfin le jour.

Marcel GUILLAUME SOURCES :

Histoire universelle, d'Agrippa d'Aubigné. Histoire de Montaigu, de Georges Laronze. Philippe Erlanger, historien. Archives du Poitou à Poitiers.

Rappelons que, par délibération du conseil municipal du 11 janvier 1971, une voie nouvelle de Montaigu porte désormais le nom de rue "Agrippa-d'Aubigné".