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Desgrenouillesquiadhèrentauxrocherspar leventre
Vahé TerMinassian
Sautantde rocheen roche, les gre-nouillesdites «des torrents»peuventremonter les rivières lesplus tumul-tueuses sans jamais trébucher.Cette
aptitudeà s’agripperauxparois escarpéesetmouillées s’expliquerait-ellepar les propriétésextraordinairesdes«pelotes» (ou«ventou-ses») dont sontdotées les extrémitésdespat-tesd’unepartiede ces animaux?Uneéquiped’Ecosseet deBrunei avoulu répondreà cettequestionqui, loind’être frivole, estunenjeupour la conceptiond’adhésifs«bio-inspirés»adaptésaumilieuaquatique.
ThomasEndlein,professeurà l’universitédeGlasgow(Royaume-Uni), et ses collèguesontcomparé les capacitésdedeuxespècesdeBru-nei – l’unedes torrents et l’autrearboricole– àtenir, sansglisserni tomber, surdes supportspentuset trempés. Seloneux,unegrenouillehabituéeàvivredans les ruisseauxcommeStauroisguttatus réussit bienmieuxà s’agrip-per aux surfacesd’escarpement,de rugosité etdemouillageextrêmesqueRhacophoruspar-dalis, l’unede ses cousines forestières.Mais cet-teperformancene serait pasdueà la seulenature spécialede ses «pelotes»!
Laplupartdesgrenouilles arboricolesdispo-sent sur leursdoigts,mais aussi sur leurventreet à l’intérieurdes cuisses,de cesminusculesappendices.«Elles serventà sécréterunmucusqui, en s’étalant, formeun filmdequelquesnanomètresd’épaisseurpermettantà l’animald’adhéreraux surfacespar capillarité, et doncdegrimperoudedemeurer fixé surunebran-cheou surune feuille», expliqueAnnemarieOhler,duMuséumnationald’histoirenaturel-le, à Paris. Certaines grenouilles«torrentico-les» sont, elles aussi, équipéesde cesorganesmaisuniquementauboutdesdoigts.
Ledispositif imaginépar les chercheursétait constituéd’unsupportd’inclinaisonvaria-ble sur lequel il étaitpossiblede faire coulerdel’eauàdébit contrôlé. Ils ontplacé sur ces subs-
trats, tourà tour lissesou rugueux,des gre-nouillesdesdeuxespèces. Puis ils ont filméetmesuré,pour chacundes 73 individus testés,l’angleàpartir duquel il commençait à glisseret celuioù il semettait à tomber. Leurs conclu-sions, livréesdansPlosOne, sont renversantes.Eneffet, surune surface lisse et sèche, Stauroisguttatusdes torrents etRhacophoruspardalisdesarbresontdes capacitésde frottementetd’adhésioncomparables.Mais lorsqu’il s’agitde s’attaquer, sousdes cataractes, àuneparoirugueuse, la premièrese révèlebeaucoupplushabile: laplupartdes cobayesdemeurentaccrochés, la tête renversée, jusqu’à l’anglede170˚, contre90˚àpeinepour les arboricoles!
Pourquoi cette différence? Certes, les cellu-les de la surface des «pelotes» de Staurois gut-tatus sont allongées, ce qui lui permettrait dedrainerplus facilement l’excèsd’eau sous sespattes.Mais, en outre, l’animal aunepropen-sionà s’étaler pour augmenter sa surface decontact avec la paroi. Alors qu’à des anglesextrêmes la grenouille arboricolene compteque sur ses doigts pour s’accrocher, la gre-nouille des torrents colle encore avec la peau,faiblementadhésive, de sonventre et de sescuisses!
«Cette intéressante étudea lemérited’avoirréponduà laquestionposéeaudépart, estimeHassanZahouani,professeurà l’Ecole centraledeLyon.Mais il est dommageque l’équipen’aitpas tentédemesurer lespropriétés viscoélasti-quesdes “pelotes”. Cela lui auraitpermisd’esti-meravecunemeilleureprécision les forces capil-lairesgénéréespar ces organes.» p
z o o l o g i e
r e n d e z - v o u s SCIENCE&MÉDECINE
CatherineMary
ClémenceGandillot, illustratrice et scé-nographe, est aussi un personnage dethéâtre qui, comme son double réel,entretientavec lessciencesunrapport
intimeetsingulier.DansFromagedetête, lapiè-ce de la compagnie Les Ateliers du spectacle,qui sera présentée les 5 et 6octobre à L’Heurebleue, à Saint-Martin-d’Hères (Isère), lors de labiennale arts-sciences à Grenoble (Rencon-tres-i.eu), ce personnage occupe un coin de lascène.«Soit le temps“n”pour l’axedesabscissesetquelquechosequisepassesur l’axedesordon-nées», réfléchit-il, en écho aux digressions desespartenaires.
«Au départ, on voulait savoir à quoi ça pour-rait ressembler si on mettait les pieds dans latête de Clémence Gandillot quand elle fait desmathématiques», explique la vraie ClémenceGandillot,ausujetdutravaildegestationmenéavec les comédiens Léo Larroche, BalthazarDaninos etMickaël Chouquet, qu’elle a embar-qués dans son aventure. «Nous avons créé despersonnages inspirés de nous-mêmes. Baltha-zar invente des nouvellesmachines, Mickaël vitles choses, Léo les raconte etmoi je les théorise.»
Cheveux en bataille, son long visage auxaguets, Clémence Gandillot raconte ClémenceGandillot. Elle doute, déduit, confirme à l’aidedegestesprécis tandisquesonregardbleuclairhésiteentredouceuretgravité.Onla sentméti-culeuse. L’aventure commence en 2004, avecsonmémoiredefind’études,à l’Ecolenationalesupérieuredesartsdécoratifs,àParis.Uneques-tion la taraude, l’obsède: peut-on relier entreelles toutes les choses dont tous les hommesremplissent leur vie entre le moment de leurnaissanceet celui de leurmort?
Pours’ensortir,ellesetournevers lesmathé-matiques.Elle s’empareduprogrammede3eet,durant desmois, cherche àmettre en équationses questions existentielles. Il en résulte unlivre jeunesse aussi sérieux qu’impertinent,intitulé De l’origine des mathématiques(MeMo, 2008), où elle démontre, entre autres,que l’enfant est le produit d’une opérationappelée la soustraction de naissance. «Tou-jours est-il que l’homme, par sa soustraction denaissance, se sent vide de son intérieur (…). Levide n’est pas tant l’absence de choses que l’ab-sence de lien entre les choses», y explique-t-elleà l’aided’un graphismesimple et expressif.
«Il y a dans son ouvrage un émerveillement,une critique et une fraîcheur qui m’ont mis enconfiance, commente le mathématicien Lau-rentGuillopé, de l’université deNantes, sollici-té pour la création de son deuxième spectacle,L’Apéro mathématiques. Elle prend les mots etlesagitedans tous les sens. Celadonnedes résul-tats très féconds qui invitent les mathémati-ciens à réfléchir sur lamanière dont ils utilisentle langage.»
Cette approche n’est pas sans filiation aveccelle de Jean-Pierre Larroche, directeur des Ate-liersduspectacle,dontellevoitunereprésenta-
tion en 2005. Elle en ressort bouleversée. « Ilétait seul sur scène avec un décor qu’il manipu-lait. Il faisait des expériences avec les choses (…)C’estcommes’ilavaitréussisurscèneàreprésen-ter l’espace mental», se souvient-elle. Elle luiécrit. En réponse, il l’inciteà travailleravec trois
comédiensdesacompagniedumêmeâgequ’el-le, en quête de création. Avec Léo, Balthazar etMickaël, ils se retrouvent régulièrement pen-dant trois ans dans un atelier que Jean-PierreLarrochemet à leur disposition dans la régionparisienne, avec pour ambition de mettre enscène l’espace mental de Clémence Gandillot.Le Tden-1, leurpremier spectacle, est le fruit dece travail. On y découvre son personnage enproieauxméandresdesapensée,dansunescé-nographie faisant intervenir une voix off, desimagesprojetéessurlascèneetdesanimations.
Amesurequ’elle apprivoisesonpersonnage,ClémenceGandillots’amusedelamanièredontellepense.D’autresprojetsémergent.Pourquoine pas aller voir ce qui se passe ailleurs, dansd’autres têtes que la sienne, à commencer parcelledesmathématiciens?Pourcela, lesartistesdisposent d’outils bien à eux. Le protocoleCCMdlt, pour «Comment ça marche dans latête?»,quireposesurdesexercicesderéflexiond’uneduréedeseptminutes,etunquestionnai-recontenantdesinterrogationsdéroutantestel-les que: «Quel est lemot que vous employez leplusdansvos recherches?»
Une quinzaine de mathématiciens de l’uni-versité de Nantes, de l’Ecole supérieure desmines de Saint-Etienne et du CEA de Grenoble
se sont ainsiprêtés au jeu.«Undesmathémati-ciens nous a raconté qu’il dessinait des formesgéométriquesquandilpassait sa tondeusedansson jardin, se souvientLéo Larroche.Pournous,c’était de lamatière pour fabriquer des person-nages»,poursuit-il.«Certainscollèguesontsen-ti qu’on allait les questionner sur leur intimité.Au départ, ils ont refusé, se souvient LaurentGuillopé. Mais les artistes ont remarquable-mentbiencompriscertaineschoses,commel’im-portance du travail au tableau noir pour lesmathématiciens.»
Fromage de tête poursuit cette explorationen s’intéressant auxmécanismes de la penséecommunsà chacund’entrenous, lorsquenousdoutons ou que nous avons un cheveu sur lalangue. Il y est question de neurones miroirs,d’un casqueà idées et d’une étrangemachine àréflexion inventéepar Balthazar. Depuis la sal-le, Clémence Gandillot suit la répétition. Lacomédienne Cécile Coustillac la remplacedésormais dans son propre rôle. D’autres pro-jets l’attendent, ailleurs. Elle réalise aussi lesdessinsde filmsd’animationscientifiques. Ellerêved’enécrire les scénariospourquesesques-tions trouvent des échos sur d’autres scènesque le théâtre et continuer ainsi à relier entreelles les chosesde saviepardes fils invisibles.p
ClémenceGandillot,lasciencedanslatêtep o r t r a i t | Lascénographeetillustratriceexplore
sonproprepaysagemental,maisaussiceluidesmathématiciens
a f f a i r e d e l o g i q u e
«Nous avons créédes personnagesinspirés denous-mêmes. Balthazarinventedesnouvellesmachines,
Mickaël vit les choses, Léo les raconteet,moi, je les théorise»
ClémenceGandillot dansle décor de «Fromagede tête»,
une pièce présentée à la Biennalearts-sciencesdeGrenoble,
les 5 et 6octobre.PASCAL BASTIEN/DIVERGENCE POUR «LE MONDE»
«Staurois guttatus» s’agrippeaux surfaces escarpées etmouillées
en les épousant aumaximum.ENDLEIN T, BARNESWJP, SAMUEL DS, CRAWFORD NA, BIAWAB, ET AL.
70123Mercredi 2 octobre 2013