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doi: 10.2143/TVF.72.1.2047018 © 2010 by Tijdschrift voor Filosofie. All rights reserved. Tijdschrift voor Filosofie, 72/2010, p. 79-100 Emmanuel Alloa (1980) est chercheur postdoctoral au NCCR Eikones — Iconic Criticism de l’Université de Bâle. Dernières publications: La résistance du sensible. Merleau-Ponty critique de la transparence, Paris, Éditions Kimé, 2008 (traduction espagnole 2009); Penser l’image (dir.), Dijon, Presses du réel, 2010. Cet article reprend la communication faite au Symposium phaenomenologicum de Perugia de 2008 dédié au thème ‘Phénoménologie et anthropologie’. Nous avons fait le choix d’en garder, pour l’es- sentiel, le caractère oral. 1 E. Husserl, ‘Nachwort zu meinen Ideen’, Jahrbuch für Philosophie und phänomenologische Forschung 11/1930, pp. 549-570 (cité d’après Id., Ideen III, éd. W. Biemel (Husserliana, 5), Den Haag, Nijhoff, 1971, p. 140. Tr. fr. de A. Kelkel: Revue de Métaphysique et de Morale 62/1957, pp. 369-398). 2 E. Husserl, ‘Phänomenologie und Anthropologie’ (1931), Philosophy and Phenomenological Research 2/1941, pp. 1-14 (Réédition in: E. Husserl, Aufsätze und Vorträge (1922-1937), éd. H. R. Sepp et . Nenon (Husserliana, 27), Dordrecht, Kluwer, 1989, pp. 164-181.) LA PHÉNOMÉNOLOGIE COMME SCIENCE DE L’HOMME SANS L’HOMME par Emmanuel Alloa (Basel) Associer phénoménologie et anthropologie ne va pas de soi — Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty et d’autres ont successivement indiqué pour- quoi le phénoménologisme ne saurait être un humanisme. Dans sa postface aux Idées, Husserl ne laisse aucune place au doute: la phéno- ménologie n’est pas une “anthropologie, qu’elle soit empirique ou aprio- rique” et considérer l’anthropologie comme philosophie, “c’est retomber dans l’‘anthropologisme transcendantal’ ou plutôt dans le ‘psycholo- gisme transcendantal’”. 1 Pourtant, malgré ces mises au point sans équi- voque, développées plus tard dans la conférence ‘Phénoménologie et anthropologie’, 2 le spectre de l’homme continue indéniablement à hanter le projet phénoménologique. Si Heidegger avait déjà cru pouvoir dénoncer les vestiges d’humanisme inscrits dans le fondement même

当代现象学,无人的人学

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doi: 10.2143/TVF.72.1.2047018 2010 by Tijdschrift voor Filosofie. All rights reserved.Tijdschrift voor Filosoe, 72/2010, p. 79-100EmmanuelAiioa(1980)estchercheurpostdoctoralauNCCREikonesIconicCriticismde lUniversitdeBle.Dernirespublications:Larsistancedusensible.Merleau-Pontycritiquedela transparence,Paris,ditionsKim,2008(traductionespagnole2009);Penserl image(dir.),Dijon, Presses du rel, 2010.Cet article reprend la communication faite au Symposium phaenomenologicum de Perugia de 2008 ddiauthmePhnomnologieetanthropologie.Nousavonsfaitlechoixdengarder,pourles-sentiel, le caractre oral. 1E.Hussiii,NachwortzumeinenIdeen,JahrbuchfrPhilosophieundphnomenologische Forschung11/1930,pp.549-570(citdaprsIo.,IdeenIII,d.W.Biixii(Husserliana,5),Den Haag,Nijho,1971,p.140.Tr.fr.deA.Kiixii:RevuedeMtaphysiqueetdeMorale62/1957, pp. 369-398).2E.Hussiii,PhnomenologieundAnthropologie(1931),PhilosophyandPhenomenological Research 2/1941, pp. 1-14 (Rdition in: E. Hussiii, Aufstze und Vortrge (1922-1937), d. H. R. Siii et T. Nixox (Husserliana, 27), Dordrecht, Kluwer, 1989, pp. 164-181.)LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMMEpar Emmanuel Aiioa (Basel)Associer phnomnologie et anthropologie ne va pas de soi Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty et dautres ont successivement indiqu pour-quoilephnomnologismenesauraittreunhumanisme.Danssa postfaceauxIdes,Husserlnelaisseaucuneplaceaudoute:laphno-mnologie nest pas une anthropologie, quelle soit empirique ou aprio-rique et considrer lanthropologie comme philosophie, cest retomber danslanthropologismetranscendantaloupluttdanslepsycholo-gisme transcendantal.1 Pourtant, malgr ces mises au point sans qui-voque,dveloppesplustarddanslaconfrencePhnomnologieet anthropologie,2lespectredelhommecontinueindniablement hanter le projet phnomnologique. Si Heidegger avait dj cru pouvoir dnoncerlesvestigesdhumanismeinscritsdanslefondementmme 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 79 07-04-2010 11:57:0380Emmanuel ALLOA3M. Biaxcuor, Lathisme et lcriture. Lhumanisme et le cri, in: Io., Lentretien inni, Paris, Gallimard, 1969, pp. 373 sq.4D. Jaxicauo, La phnomnologie clate, Paris, lclat, 1998. E. Aiiiiz, De l impossibilit de la phnomnologie, Paris, Vrin, 1995. 5H. Siiiciiniic, Te Phenomenological Movement. A Historical Introduction, Den Haag, Nijho, 1960, 2 volumes.de lentreprise husserlienne, le constat ne semble plus faire aucun doute avecletournantpost-phnomnologiquedesannes60.Letoposde lclipse, de leacement et enn de la mort de lhomme ne voilent qu peine leur cible: ces sciences dites humaines dont Michel Foucault aretraclmergenceetledclinetdontlaphnomnologiereprsen-terait le dernier avatar.Laphnomnologie,unesciencehumaine?Cetteidenticationpeut paratre bizarre premire vue, si lon considre que la phnomnologie najamaisprtenduavoirlhommepourobjet.Maislasciencede l hommepeutsentendreduneautrefaonencore.Onrappelleraavec Maurice Blanchot que les sciences de lhomme ne sont pas ncessaire-mentcellesquiontpourobjetlessencedelhomme.Silhommeest absent des sciences humaines, cela ne veut pas dire quil soit lud ou supprim. Cest, au contraire, pour lui la seule manire dy tre prsent dune manire qui ne fasse de ce qui la rme niunobjetuneralitnaturellequelconque,niunesubjectivitou encore une pure exigence morale ou idologique: dune manire donc qui ne soitniempiriquenianthropomorphiquenianthropologique.Maiscette absence nest pas pure indtermination; elle est aussi toujours et chaque fois (selonleszonesenvisages)dtermine,cest--diredterminante[...]Lam-bigutglissantedunetranscendanceoudunapriori(quineveutpasse dclarer)etdunepositivit(quinemanquepasdesedsavouer)constitue loriginalit des nouvelles sciences humaines o lhomme se cherche comme absent.3Quest-cedoncquechercherlatracedelhommedanslaphnom-nologie?Lemotphnomnologiea-t-ilencoreunsensunepoque oloncroitpouvoirconstatersonclatementvoirequonposeson impossibilitmme?4Sansdoute,cequelonapuappelerlemouve-ment phnomnologique5 ne consiste pas tant en une cole aux ensei-gnements tablis mais ressemble plutt selon la formule heureuse de 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 80 07-04-2010 11:57:03LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME816P. Ricoiui, A l cole de la phnomenologie, Paris, Vrin, 1987 (2004), p. 9.7N.W. Boxuovi, Phnomenologie. Ursprung und Entwicklung des Terminus im 18. Jahrhundert, Utrecht, University of Utrecht, 1991.Paul Ricoeur une longue succession dhrsies.6 Si lon se refuse fairedelhistoiredesdogmeset,parconsquent,delhistoiredes hrsies (une bonne partie de ce qui se rclame aujourdhui de la ph-nomnologie sy rsume, ce qui prouve certes en un tout autre sens quuntournantthologiqueabieneulieu),letempsestpeut-tre venuderchirplusgnralementsurcetteinterrogationpremire delaphnomnalitdontlavnementhistoriquedelaphnomnolo-gie peut se lire comme une rponse. Voici donc lhypothse: il y aurait du phnomnologique avantla phnomnologie, comme on parle aussi duncaractreromantiquepourdesobjets,desuvresetdesperson-nes qui sont postrieures ou antrieures, bref: extrieures au XIXe si-cle.Orsilonsentientladnitionduphnomnologiquelaplus minimale qui soit llucidation des modes dapparition dune chose quand (et chaque fois que) celle-ci nous apparat cette interrogation estbiensrantrieureHusserl;7elleprcdemmeHegel,Kantou Lambert,pourvenirseconfondreaveclevisagemmedelaphiloso-phie occidentale. Enanalysantdeplusprslesmoments,danslhistoiredessavoirs, o cette question surgit, on ne peut quobserver que lmergence de la questionduphnomneconcideaveclmergencedelaquestionde lhomme.Toutsepassedonccommesiunecorrlationintimeet pourtantjamaisthmatisecommetellesenouaitentreleproblme de la phnomnalit et le problme de lhumain. Le phnomne serait inexorablementtoujourshumain,auraitlhumaincommeadresseet commemesure;linverse,lhumainseraitnonseulementcequoi sontdestinslesphnomnes:sondestinmmeestdtresousla conditiondesphnomnes.Ceparadigmephnomnico-anthropologi-quemerge,semble-t-il,pourlapremirefoisautournantduVeau IVesicleAthnes,etilaccompagneleprocessusdedirenciation de la philosophie grecque classique davec la sophistique. 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 81 07-04-2010 11:57:0382Emmanuel ALLOA8Pioracoias, Fr. 1 (= DK 80 B1).9R.A. Piiii, Toughts on the Archaic Use of Metron, Classical World 70/1976, pp. 161-69.10Axaxacoii, Fr. 1 (= DK 59 B1). Hiiaciiri, Fr. 90 (= DK 22 B90).11Aiisrori, Met. K 6, 1062b19.1. La iiovocariox iioracoiiixxi ou: ii iaiaoicxi uuxaix ou iuixoxixisxiLenomdeProtagorasestindissociablementlicettemaxime: pantnchrmatnmetronanthrponeinai,lhommeestlamesurede toutechose.8Souventrpte,cettemaximeposecependantplusde problmes quelle nen rsout. Quel est le statut de ces chrmatoi, de ces choses? Quelle est la porte ontologique de cet anthrpos? Que signi-e enn rellement mesure?LapremireprovocationdrivedumotquemploieProtagoraspour indiquer la mesure: metron. Car ce nest pas ici un terme pistmolo-giqueoupragmatiquetelquekriterionquiestemploy,maisbienun termecosmologiqueindiquantlamesuredumonde.9Quenest-il ensuite des chrmatoi? Rduire le mot aux simples objets dchange renvoyantuneconomiedelachrmatistique,cestmanquer encoreunefoislasecondeprovocation:Protagorasreprendicimot motlaformuledAnaxagoreetdHraclitesurtoutesleschosesdu cosmos et il sagit donc bien dune thse porte cosmologique.10 Mais quen est-il alors de cet anthrpos devenu preuve universelle? Dans le livre K de la Mtaphysique o il engage le dbat avec Prota-goras, Aristote propose une singulire reformulation du problme et en indique, sans mme se pencher sur les ambivalences du mot anthrpos, demble les lignes de fuite. Lorsqu la suite dune longue analyse des direntespositionssoutenuesparProtagoras,Aristotersumedun motlapositiondusophiste,cenestgurelanthrposquiestrigen mesure, mais aussi paradoxal que cela peut paratre le phainome-non.Lemetrondetoutchose,peut-onlire,estcequiapparattout unchacun().11Toutsepassealorscommesi AristotenelisaitpastantProtagorascommeunpenseurdelhomme mais comme inaugurant le champ de la phnomnalit. 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 82 07-04-2010 11:57:03LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME8312Piarox, Leg., 716c.13Piarox, Rep. X, 598b3.14Aiisrori, Met. G 6, 1011a21.Cettelectureparatmoinssurprenanteunefoisquelleestmiseen regard avec la lecture quen propose Platon. Tout en ragissant dans le dialogue des Lois lhybris protagorenne et rappelant que seul Dieu est la mesure de toute chose,12 Platon ne sattarde pas sur lanthrpos, mais semble suivre la mme logique de retournement quand il a rme quelessophistesprennentlapparaissanttelquilapparatpour paradigmedetoutechose.13Malgrladirencedeslectures,les reformulations proposes par Platon et Aristote convergent donc dans lareconnaissancedufaitquelessophistesprocdentunevritable autonomisationduchampphnomnal.Enhypostasiantlapparatre danssonapparatremme,celui-cinadsormaisplusdefondement quen soi, il devient pour ainsi dire son propre paradigme. Cette auto-nomisation de la phnomnalit est galement accompagne Aris-tote le souligne dune saigne ontique: le monde se dsagrge entre nosmains,leschosesseliquentenunlacisderapportsinniset nous demeurons face un monde vid de ses objets, Protagoras ayant transform toute chosit en relations.14 Pour pouvoir cependant prtendre une explication convaincante de lexprience, Aristote ajoute que le sophiste ne peut sarrter l. En eet, une telle ontologie des relations nest prcisment pas innie, mais doit tre structure selon une perspective prfrentielle. Le phnomnal pro-tagoren est donc bien focalis vers un pros hen, un en vue de quoi: lanthrpos.Ladsubstantialisationdumondeopredunctsetra-duitparuneconstitutiondunenouvelleentitsolidedelautre: lhomme. Lquation phnomnologico-anthropologique arrive ainsi son aboutissement ou, plus exactement, le phnomnalisme de Protago-ras rvle ici son talon dAchille quAristote ne manquera de pointer. Aristote invoque le cas de gure suivant: que se passe-t-il si un homme nesetournepasversunobjetquelconquedumonde,maisversun autrehomme?Ncessairementlammeoprationanaloguequepour tous les autres objets: il se dmultipliera en dinnombrables perspectives 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 83 07-04-2010 11:57:0384Emmanuel ALLOA15Cf. largumentation ramasse dans Aiisrori, Met. 6, 1011b10-13.16SextusEmpiricusasemble-t-ilformulenpremiercetteinterprtation(SixrusExiiiicus, Pyrrh. hyp. I, 218-19) et elle a trouv de nombreux dfenseurs au XIXe et XXe sicle.17G.W.F.Hicii,VorlesungenberdieGeschichtederPhilosophie,I,d.E.Moioixuauiiet K.M.Micuii (Werke, Band 18), Frankfurt, Suhrkamp, 1986, pp. 428-434.18Aristote ne fait quvoquer cet argument (Met. A 9, 990b15-17; Met. M 4 1079a-b; Met. Z 13, 1039a2sq.;Soph.El.22,178b36-179a10)quila,selonlesfragmentsquinousensontparvenus, dvelopp dans l uvre de jeunesse, le De ideis. Lide mme du tritos anthrpos se trouve dj chez Platon (Parm.132a-b). 19Aiisrori, Met. 6, 1011a11.etsonunitsedissoudradanscettemultiplicit.Cequiconstituaitla mesure de toute chose saaisse donc. En toute rigueur, lhomo-mensura doittrecompriscommeunecontradictiondanslestermes.15Reste se demander ici quoi correspond un tel anthrpos. Certains interpr-tes,surtoutmodernes,ontconsidrquilnefallaitpastantyvoirla marque dun individu quun pluriel gnrique,16 lhomo mensura expri-mant moins un simple individualisme, mais plutt Hegel avait mis cettehypothselagerminationdelasubjectivittranscendantale.17 Commetel,lanthrposnepourraitcertesplustreopposeentant quhumain singulier un autre anthrpos. Et pourtant, une tension demeure, qui est celle entre lhomme gn-rique et lhomme individuel. Cette tension rejoint le problme de lcart interne la doctrine platonicienne des ides, dcrit prcisment dans les termesduproblmedutroisimehomme.Carenvisageruntroi-simegenredhomme,communtouslesdeux,onouvriraitlavoie touteslesapories.Nonseulementcetroisimehommeestdi cile trouver,maissonrapportauxhommesprcdentsdevratreexpliqu par un quatrime et ainsi de suite, provoquant une rgression innie.18Ensomme,lacritiquedAristoteviseraitnonpastantlerelativisme de Protagoras que son inconsquence qui consiste, pour arrter la rgres-sion,devoirpostulerunanthrpos,substantiel.Orilsavrequune tellesubstantialisationnestnullementncessaire:ilsu tdepenser lanthrpos comme simple position dadresse, comme ce quoi quelque choseapparat,toutapparatretanttoujoursncessairementAris-totelerappelleunapparatrepourquelquun.19Penserquetoute phnomnalit se donne quelquun ou quelque chose (quelle est donc 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 84 07-04-2010 11:57:03LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME8520M.Hiioiccii,DerSatzdesProtagoras,NietzscheII,d.B.Scuiiinacu(Gesamtausgabe, 6.2), Frankfurt a.M., Klostermann, 1997, pp. 118-123 (Hiioiccii, La proposition de Protagoras, Nietzsche II, trad. fr. P. Kiossowsxi, Paris, Gallimard, 1971, pp. 110-114). 21H. Aiixor, La vie de lesprit, I. La pense, Paris, PUF, 1981, p. 2.pourainsidirencessairementdclineaudatif)nimpliquetoutefois encore en rien que ladresse de cet apparatre en soit le principe substan-tielniencoremoinslacause.SurcepointHeideggerlasoulign laconceptiondelanthrposdeProtagorasscartecatgorialement delegocartsien.20Ilyauraiticirelirelhritagedunetelleposition non-gologique dont on trouve, au XXe sicle, dautres prolongements, notamment chez Hannah Arendt. Il nest pas fortuit que celle-ci ouvre songrand-uvretardif,LaViedelEsprit,parlideque,silemonde estcomposdlmentsayanttousencommundeparatre,dtre faits pour tre vus, entendus, touchs, sentis et gots par des tre sen-sibles,riendetoutcelaneseraitpossiblesansquelquunquicela sadresse,rienneparatrait,lemotapparencenauraitaucunsenssil nexistait pas de tels rcepteurs des apparences.212. Aiisrori: Uxi iiixiiii ioixuiariox oi ia ruioiii oi iixrixrioxxaiiri:Mais si tout apparatre est toujours un apparatrepour quelquun, il estencoretoujoursapparatredequelquechose.Cestprcismentce deuxime terme qui se perd dans lpistmologie protagorenne quand apparatre et apparaissant se confondent et la connaissance se rduit une tautologie. Stricto sensu, la vision sophistique du monde (et Aris-toteneconsidrequelonnousconcdeicilaformulequesa versionsophistique,cest--direcelledeProtagoras)revientdire que ce ne sont pas des objets sensibles que lon peroit, mais une per-ception. Autrement dit: la connaissance na pas pour contenu un objet deconnaissance,maisuneautreconnaissance.Pousseainsilex-trme,lapuissanteidededpartdelasophistique(unemultiplicit 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 85 07-04-2010 11:57:0386Emmanuel ALLOA22Aiisrori, Met. 15, 1021b1.23Aiisrori,Met.I6,1057a12.Cf.galementlalecturehusserliennedelarvolutionkantienne, E. Hussiii, Erste Philosophie, d. R. Boiux (Husserliana, 7), Den Haag, Nijho, 1956, pp. 208-229.direntielle du champ de lapparatre qui sintensie jusqu un di-rendquineconnatplusdinstancergulatriceunique)serduirait enndecompteunintellectualismemisreux.Intellectualisme quAristote contestera avec force, en posant ce qui ressemble bien la premire formulation dune thorie de lintentionnalit: La vision est vision de quelque chose et non de ce dont elle est la vision.22Cetteassertion(quelquepeulaborieuse,ilestvrai)indiquesimple-mentquunacteperceptifnepeutpassavoirsoi-mmecommeobjet, sansquelaperceptionsoitabolieentantqueperceptionetquelle devienneunepensedelaperception.Sansexclurelapossibilitde retournements rexifs (par exemple par les eets de synesthsie dcrits dans le De anima et le De sensu) et sans rduire la signication du per-cevant (ou plus gnralement: du connaissant) dans la constitution des apparitions, Aristote insiste nanmoins sur le fait que quelque chose ne peut apparatre que si ct de celui qui quelque chose apparat il y abienquelquechosequiapparat.Noncontentdesoulignerlances-saire corrlation entre les deux ples, Aristote en vient renverser lasy-mtrie protagorenne pour une nouvelle formulation qui lui est diam-tralementoppose.SilaconnaissanceestdcritedansMtaphysique par la catgorie de la relation, il sagit ici dune relation dans laquelle les deuxtermesnesontprisdansaucunerversibilitspculaire.Tandis que le connaissant dpend immdiatement du connaissable, la rcipro-quenesappliquepasdelammefaon.Lemondereoitainsiune prioritformellesurlhommeconnaissantqueniaitprcismentle sophiste. A linverse de la rvolution copernicienne de Kant, le connais-sable nest pas soumis la loi du sujet connaissant, mais, au contraire, la connaissance se mesure au connaissable.23 La discussion dAristote avec les sophistes aura donc permis de dga-gerunedsolidarisationduparadigmephnomnico-anthropologique; lhomme lui-mme se voit pour ainsi dire mis entre parenthse. Avant de revenir dans la partie nale (5) sur une autre conception de lhomme 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 86 07-04-2010 11:57:03LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME8724E. Hussiii, Logische Untersuchungen, I. Prolegomena zu einer reinen Logik, d. E. Hoiixsriix (Husserliana, 18), Den Haag, Nijho, 1975, p. 7 (non traduit en franais).25Ibid.,p.122.(Tr.fr.:E.Hussiii,Rechercheslogiques.Prolgomneslalogiquepure,trad. H. iii, A.L. Kiixii et R. Scuiiii, Paris, PUF, 2.d. 1969, p. 127.)quisedgageaudtourdunpassagedelthiqueNicomaqueetqui nous servira dintuition pour savancer vers une pense de la mdialit, nous voquerons prsent une deuxime constellation o le paradigme anthropologico-phnomnologiquesecondense:laconstitutiondune mthodephnomnologiquechezHusserlsurfonddupsychologisme et de lanthropologisme de la n du XIXe sicle. 3.Hussiii: ia iuixoxixoiocii isr-iiii ux iiiarivisxi:DanslesProlgomnesdesesRecherchesLogiquesquilpublieen novembre 1899, Husserl tente de clarier le statut du concept dinten-tionnalit, resmantis par Brentano partir de lusage quen faisaient lesmdivaux.PourHusserl,lintentionnalitdoitpermettrederen-drecomptedelarelationentrelasubjectivitdelaconnaissanceet lobjectivit du contenu de connaissance.24 Dans le cadre dun projet defondationdunelogiquepure,cestavanttoutlaportedecette subjectivitquiexigeunedtermination.Husserlcommencepar envisagerdirentssensdecemot,pourlesramenernalement,au 34, Protagoras. Cette subjectivit, dit Husserl, onentrouveuneconceptionprimitivedanslaformuledeProtagoras Lhommeestlamesuredetouteschoses,pourautantquenouslinterpr-tionsdanslesenssuivant:lhommeentantquindividuestlamesurede toute vrit. Est vrai pour chacun ce qui lui apparat comme vrai; pour lun, ce sera telle chose, pour lautre le contraire, sil lui apparat comme tel. Nous pourrions,parconsquent,choisiricilaformulesuivante:toutevrit(et touteconnaissance)estrelativeausujetquijugeaccidentellement.Sipar contre, au lieu du sujet, nous prenons lespce contingente des tres qui jugent commepointderfrence,unenouvelleformederelativismemerge.Cest lhommecommetelquiestalorslamesuredetoutevrithumaine.Tout jugementquiasaracinedanscequiestspciquelhomme,dansleslois qui le constituent, est vrai pour nous autres hommes.2593250_TSvFilosofie_2010-1.indd 87 07-04-2010 11:57:0388Emmanuel ALLOA26E.Hussiii,Manuscritindit.Ms.BIV,1,f.74(dcembre1909).JeremercielesArchives Husserl de Freiburg et son directeur Hanns-Helmuth Gander pour mavoir permis la consultation de ces documents.27Io., Prolegomena, p. 134.28Io.,DieLebenswelt.AuslegungendervorgegebenenWeltundihrerKonstitution,d.R.Sowa (Husserliana, 39), Dordrecht, Springer, 2008.Untelanthropologismepistmiqueinvestitmmeundomainequi taitrestjusquelexemptdetoutrelativismehumain:lalogique. Husserl sintresse ici au cas de Benno Erdmann, logicien ayant dfendu prcismentunetellepositionanthropologiquedelalogique.Dansle 40 des Prolgomnes, Husserl discute ainsi lassertion dErdmann selon laquellelesprincipeslogiquesdpendentfoncirementdeslimites humainesdelentendement.LalogiqueestdoncpourErdmannence sensspciquequelledpendconstitutivementdelespcehumaine. Cette limitation marque cependant aussi sa contingence. A ct dune logique spciquement humaine, il nest donc pas exclu pour Erdmann dimaginerdautresformeslogiques.PourHusserl,largumentestirre-cevable,danslamesureolesloislogiquesnesontnispciquesni contingentes.Nosloisgomtriquessontidentiquescellesvoil lexemple donn dans un manuscrit plus tardif dune hypothtique gomtrie des martiens.26 Contre Sigwart, dont la pense est galement qualie danthropologisme psychologiste, Husserl souligne que les lois gravitationnelles de Newton nont pas t institues quand celui-ci les a pensesetquellesneperdrontpasleurvaliditquandellescesseront dtre actuellement le contenu dune pense.27Leddurelativismesefaitcependantdautantpluspressantquil neconcerneplusdesloislogiquesouencorephysiques,maislesrela-tions de la Lebenswelt. Aprs avoir refus de ramener la logique au psy-chologique, Husserl constate, dans la priode sparant les Prolgomnes delaPhilosophiecommesciencerigoureuse,limpossibilitdefonderla logique par la logique elle-mme et interroge le site de son avoir-lieu: le mondevcu.Toutaulongdescritspostrieurs,Husserltenterade distinguerunbondunmauvaisrelativisme.Sadterminationla plus explicite se situe dans les manuscrits posthumes sur la Lebenswelt, ditsrcemment.28Aladirencedunmauvaisrelativismequise 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 88 07-04-2010 11:57:03LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME8929I. Kaxr, Critique de la raison pure, B 72.30I. Kaxr, Critique de la Facult de Juger, 77, B 348.31Hat Gott eine Anschauung von Dingen, so muss er auch unsere haben, denn zum Wesen des DingesgehrtdieBeziehungzudieserundkeineranderenAnschauung.E.Hussiii,Manuscrit indit, Archives Husserl, Ms. B IV, 1/33b (dcembre 1909).contenteraitdtablirquetoutestreliavectout,unbonrelativisme partirait du principe que tout apparatre est un apparatre pros ti, relatif uneexprience.Quunobjetsoitrouge,chaudourugueuxnelui revient pas par essence, mais par exprience.Maisrevenonslaquestionanthropologique,pluspineuse.Car, ctdunsubjectivismeomni-englobant,ilyauraituneautreversion, plussournoise,delanthropologisme,etquiconsistecettefoisenun anthropologisme de linadquation. Husserl voit ce risque poindre avec Kant,quandcelui-ciprocdeunerinterprtationdelintellectus archetypusdelascolastiquecommeintuitusoriginarius,dplaantce quintaitquedelordredunepenseversuneintuition.Suivanten ceci lide de Mamonide, Kant rinterprte lintellectus archetypus (que TomasdAquinqualiaitencoredunitentremensuransetmensura-tus o ce qui pense est la fois rcepteur et auteur des objets) comme uneintuitionoriginaire(intuitusoriginarius)etnondrive(intuitus ectypus),uneintuitionpurementspontaneetparfaitementadquate quineseraitdslorspensablequepouruntresuprme.29Husserl reprocheaucontraireauconceptdintuituskantiendenepasavoir coup avec les racines scolastiques dont il procde. Calqu sur lintellec-tus archetypus divin lintuitus engage de fait lide dune autre entende-ment (anderer Verstand),30 distinct de lentendement humain. Aprslesubstantialismeanthropologique,cettenouvelleversion cette fois limitative - du paradigme phnomnico-anthropologique nen est,auxyeuxdeHusserl,pasmoinsproblmatique.Lalimitationde toute intuition, le fait que les choses ne soient toujours donnes que par aspects, Abschattungen ou esquisses, nest pas le propre dune conscience humaine,elledterminetouteintuition.SiDieuauneintuitiondes choses,critHusserl,ildoitgalementavoirlantre,carcestdans lessencedeschosesquedappartenircetteintuition-ci,etnonune autre.31 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 89 07-04-2010 11:57:0390Emmanuel ALLOA32Surladistinctionentreoriginaritetadquation,cf.R.Bainaias,Lestroismomentsde lapparatre, in: Io., Le dsir et la distance. Introduction une phnomnologie de la perception, Paris, Vrin, 1999, pp. 82-102.33AnnotationmanuscritedeHusserllap.13deSeinundZeit.Surlaportedecettenote, cf. D. Soucui-Dacuis, La lecture husserlienne de Sein und Zeit, Philosophie 1989/21, p. 10.Lemalentendukantienreposeraitdslorssuruneidenticationde loriginaritetdeladquation.Unechosepeutapparatresousesquis-ses,defaonpartielleetinadquate;cestnanmoinselle-mmequi apparat et non une image delle.32 Le cur de lide dintentionnalit rsidedoncbienenceci:quandnousvoyonsauloindanslescollines delOmbriesedresserunefermeentredeuxpinsparasol,nousne voyons irrmdiablement toujours quun angle de maison. Et pourtant, lavisionnestpasdirigeverslanglemaisverslamaisonentantque telle; langle ne constituant que le comment (quomodo) et non le quoi (quid)delintuition.Dansunetelleoptique,leconceptdintuition originaire de Kant demeurerait problmatique, car loriginarit demeure icipensecommeIde-limite.Entermeskantiens,ilsagiraitdslors duneimpossibilitrelle,alorsquepourlaphnomnologiehusser-lienne, une telle intuition originaire constitue bien le principe des prin-cipes (Prinzip der Prinzipien). On na pas su samment soulign que dans ces deux interprtations deloriginaire,onobserveunetensiontraversanttoutelaphnom-nologieposthusserlienne,tendueentreloptimismerationalistede sonfondateuretsaversionnitistekantiennedanslaquellepuisera Heidegger.LesreprochesadresssparHusserlHeideggerrestent encesensinvitablementopaquestantquonnelesramnepasla lecture kantienne de la nitude humaine. A premire vue, les lectures critiques adresses Husserl dans tre et Tempsontdequoisurprendre,tantellessemblentmanquerintgrale-ment la porte du travail heideggerien. Sans se soucier de la distinction quHeidegger tablit lui-mme entre le Dasein et lhomme, Husserl ny voit quun changement dtiquette:Heideggertransposellucidation[]detouteslesrgionsdeltantetde luniversel,largiontotalemonde,danslordredelanthropologie.Toutela problmatique est un transfert: lego correspond le Dasein, etc.; par l tout prend une profondeur de sens pleine dobscurit, et perd sa valeur philosop-hique.3393250_TSvFilosofie_2010-1.indd 90 07-04-2010 11:57:03LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME9134E. Hussiii, Notes sur Heidegger, Paris, d. de Minuit, 1993, p. 13.35M.Hiioiccii,KantunddasProblemderMetaphysik(1929)(Gesamtausgabe),Frankfurt a.M., Klostermann, 1991, p. 242.36M.Foucauir,Lesmotsetleschoses,Paris,Gallimard,1966,pp.323sq.Cf.galementIo., Introduction I. Kant Anthropologie dun point de vue pragmatique, Paris, Vrin, 2008.37E.Hussiii,Manuscritindit.ArchivesHusserl,Ms.AVII,14/91b(sansdoute1925): Prinzipielllehntsie[i.e.diePhnomenologie]alleVerendlichungenab,ebensowohldieVerend-lichungeinervermeintlichfertigenSystemphilosophiealsauchdieVerendlichungdurchngierte Schranken der menschlichen Erkenntnis und die Flucht in eine trbe Mystik. Alles, was sinnvoll ist, ist erkennbar; und ist es fr uns heute unerreichbar, so ist es an sich doch erreichbar.PourHusserl,lanalytiqueexistentielleduDaseinrelveencoredune anthropologie philosophique qui ne dit pas son nom.34 Ce jugement qui a souvent t lu comme un symptme criant de la mcomprhension totale de Husserl lgard du projet ontologique hei-deggerien prend toutefois une autre coloration si on la rfre aux deux interprtations diamtralement direntes que font Husserl et Heideg-ger de la question de la connaissance chez Kant. La Herausarbeitung der Endlichkeit dont parle Heidegger dans le Kant-Buch35 (rendu trs librementparVuilleminsousletitreduneanalytiquedelanitude et qui allait devenir, comme on sait, lide-matresse de la lecture fou-caldiennedeKant36)reposesurunpostulatfondamental,maisinas-sum: le postulat dun caractre humain auquel on pourra attribuer in necettenitude.Husserl,danssonoptimismeintuitionniste,vite dentredejeulesalternancesentreuneanthropologieetsad(con)struction,lorsquilrefusetouteidedeVerendlichung,conceptquele terme de limitation ne rend quimparfaitement. Car pour Husserl, les limites sont des limites provisoires, actuelles, et non principielles, essen-tielles. Dans une note de 1925, il crit ainsi: Parprincipe,laphnomnologierefuseaussibienlesnitisations[Verendli-chungen] dune philosophie systmatique prtendument complte que la ni-tisationpardeslimitationsctivesdelaconnaissancehumaineetlafuite versunemystiquemorne.Toutcequiestsensestconnaissableetsibien mme cela reste pour nous aujourdhui inatteignable, cest malgr tout attei-gnable en soi.37Avec Derrida (qui reprend ici lui-mme un thme de Tran Duc Tao), on peut dire que, dans la mesure o elle ouvre une tlologie innie, la philosophie de Husserl engage non pas une Verendlichung, mais une 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 91 07-04-2010 11:57:0492Emmanuel ALLOA38J.Diiiioa,LeproblmedelagensedanslaphilosophiedeHusserl,Paris,PUF,1990.Tiax Duc Tuao, Phnomnologie et matrialisme dialectique, Paris, d. Minh-Tan, 1951, en particulier les pp. 200 sq.39M. Miiiiau-Poxr\, Merleau-Ponty la Sorbonne. Rsum de cours 1949-1952, Cynara, 1988, p. 398 sq.40Io., Psychologie et pdagogie de lenfant. Cours de Sorbonne 1949-1952, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 402.Verunendlichung.38LaKrisisdelhommeeuropen(Krisisdeseuro-pischenMenschentums)nadailleursriendunconstatanthropologi-que, la crise est un diagnostic historique. DansundesescourslaSorbonne,Merleau-Pontyrevientsurcet enjeu,enrappelantquelaphnomnologiestaitprcismentinsti-tue en raction une crise des sciences de lhomme, enfermes dans lachimredunsavoirpositifetexhaustifdelhomme.39Latension entre lidal mathmatique de lintuition adquate et la conscience que leectuation des idalits (le Nachvollzug) ne peut se raliser que dans le temps, cette tension si magniquement mise en lumire par Derrida landuProblmedelagense,Merleau-Pontylersumedunmot: mdiationinnie.40Pourconclure,nousvoqueronspourquoiil noussemblequeMerleau-Pontyreprendprcismentsurcepointet dans toutes ses tensions aportiques lhritage de Husserl, tout en indi-quant au passage une autre formulation possible du problme de lan-thropologie. 4. Di ia xioiiri \ ia xioiaiiri: Miiiiau-Poxr\ ir ii oisrix ouxi caricoiii ciaxxaricaii ouniiiiLaconfrencedeGenvede1951surLhommeetladversitpeut selirecommelindicationdunesciencedelhommesanshomme. Pour Merleau-Ponty, il sagit avant tout, de rfuter lexplication par le haut (qui serait encore le point de vue dune anthropologie limitative ou privative telle que la dessine lIde rgulatrice de lintellectus arche-typus chez Kant), mais galement lexplication par le bas qui rduirait lemondehumainunesommederelationsprdterminesparun 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 92 07-04-2010 11:57:04LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME9341Io., Lhomme et ladversit, in: Io., Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 391.42E.Bixnixir,Natureethumanit.LeproblmeanthropologiquedansluvredeMerleau-Ponty, Paris, Vrin, 2004, pp. 205 sq.43Ibid., p. 392.44M.Miiiiau-Poxr\,Notedetravailindite,Ontologiecartsienne[132](2),dbut1961 (Fonds Merleau-Ponty, Bibliothque Nationale de France).45Io., Note de travail de mars 1961 (Le visible et l invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 222).causalismeinexorable.41Apremirevue,Merleau-Pontysembledonc ritrerungestetraditionnelquiconsistevoirenlhommeuntre intermdiaire,situentrelabteetlesdieux,selonunecosmologie classique dont Kant reproduit le spectre quand il voque lhomme en termes d tre intermdiaire (Zwischenwesen). Une analyse dtaille prouve toutefois quil nen va pas ici que dune anthropologiepositionnellequirduiraitlhommesapositionde mdit,maisbiendunepensegnrativevisantunedimensionde mdialit. Si le thme anthropologique demeurait encore plus fortement prsentdanslapremirephase,tienneBimbenetapumontrercom-mentcelui-ciseaceprogressivement.42Ladernireontologiedontles prmices sont poses en ces annes mme est une ontologie du visible, onlesait,maiscevisiblelui-mmenedoitpastrepenscommeun donn substantiel, mais comme linstitution permanente de visibilits partirdoprationsmdiales.LaconfrencedeGenveprguredonc plutt les tudes gntiques en tmoignent un tournant vers une pensedeloprativitolhommeetlespritnerecevraientplusde position cosmologique, mais ne seraient en eux-mmes quun piphno-mne:lhommeetlespritnesontjamais,ilstransparaissent[].43 Lontologiemerleau-pontienneindiqueraitalorsunevoiequineserait nicelle,heideggerienne,duntredestinalnicelleduneontologie rabattuesurunequelconqueanthropologie.Lontologie[]pardel lanthropologie,voilunedesnotesdetravailprogrammatiques.44 Concrtement:Ilfautdcrirelevisiblecommequelquechosequise ralise travers lhomme, mais qui nest nullement anthropologie.45Mais comment entendre alors cette transversion qui sopre certes traverslhommemaisquinestpasanthropologique?Ilnoussemble quecepassageperdunpeudesonobscuritsilonyvoitlamorce 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 93 07-04-2010 11:57:0494Emmanuel ALLOA46Nousavonstentdesquisserlescontoursdecettephnomnologiemdiale(oudiaphnom-nologie)danslechapitreVdenotreouvrageLarsistancedusensible.Merleau-Pontycritiquedela rsistance, Paris, ditions Kim, 2008.47Cf.ladescriptiondonneparHusserldeladcouvertedelaprioridelacorrlation:Lapre-mire irruption de cet apriori universel de corrlation entre objets dexpriences et types (Weisen) de donne (pendant llaboration de mes recherches logiques autour de 1898) ma branl si profond-mentquedepuistoutmontravailatdominparcettetchedlaborersystmatiquementcet aprioridecorrlation(E.Hussiii,DieKrisisdereuropischenWissenschaftenunddietranszenden-tale Phnomenologie. Eine Einleitung in die phnomenologische Philosophie (1936) (Husserliana, 6), d. W. Biixii, Den Haag, Nijho, 1962, p. 169, note; tr. fr.: Io., La crise des sciences europennes et la phnomnologie transcendantale, trad. G. Giaxii, Paris, Gallimard, 1976, p. 188, note).dune phnomnologie nouvelle qui ne se rsoudrait ni une phnom-nologie eidtique ni une phnomnologie transcendantale, mais une phnomnologie que lon pourrait qualier de mdiale. Celle-ci ne vise-raitnonpastantlessencedecequiapparatnilaconditionpralable pour que quelque chose puisse apparatre, mais dcrirait travers quoi tel apparaissant vient apparatre tel qu il apparat, et non autrement.46 Car aussi bien la rduction eidtique qui vise mettre au jour linvariant detoutapparaissantquelarductiontranscendantalequilucidedes structures ncessaires et aprioriques toute donation, sinterdisent toute prise en compte de la survenance singulire dune apparition. Le fait que quelque chose apparat et non rien ce pralable a t tabli comme ncessaireparleprincipetranscendantaldecorrlation.47Bienque lide husserlienne de lapriori matriel impose de dgager les structures transcendantales partir dun matriau exprientiel singulier, rien nex-pliquepourquoicesttelleapparitionquisedonnemoietnonune autre, moins de retomber dans un idalisme dont Husserl tentait pr-cisment de se dfaire. Penser lapparatre de son mdium, cest le pen-serpartirdecequilafoisluidonneunlieuetluidonnelieu.Une phnomnologie mdiale consisterait ds lors expliciter la signature, le style, lengramme mme lapparatre de ce qui le fait apparatre, son mdium. Faireapparatre,rendrevisibleenfranaisetdanslaplupartdes languesoccidentalesmodernes,cesverbessontemployslactif.Et pourtant, ils ne font que traduire une opration que les langues ancien-nes appellent, selon une terminologie qui est plus ancienne que le par-tageactif-passiflui-mme,lavoxmedia,voixmoyenneoumdiale. 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 94 07-04-2010 11:57:04LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME9548M.Miiiiau-Poxr\,NotesdecoursauCollgedeFrance1958-1959et1960-1961,Paris, Gallimard, 1996, p. 371.49E.Bixvixisri,Actifetmoyendansleverbe(1950),Problmesdelinguistiquegnrale,I, Paris, Gallimard, 1966, pp. 168-175.50Cf. la clbre piste de rexion propose par E. Bixvixisri (Catgories de pense et catgo-riesdelangues(1958),ProblmedelinguistiquegnraleI,Paris,1966,pp.63-74)quireprendelle-mme une thse remontante Trendelenburg.Merleau-Ponty y songe pour donner du corps une pense productive qui implique que la voix, au sens grammatical, de ma pense nest ni lactifni,bienentendu,lepassif,ceseraitpluttcegenrequelegrec appellemoyen,cetteactionquelonfaitsursoi-mme,etoonest donc indivisiblement actif et passif .48Cetteformeverbalequelontrouveensanskrit,enpersan,engrec etendautreslanguesanciennes,nesubsisteenlatinetdansleslan-guesnolatinesquesouslappellationdumodusdeponens,cest--dire dun verbe qui aurait dpos sa fonction passive. Le mdial survit ainsi danstouteslesformesditesfactitives,olonfaitfairequelquechose sans tre soi-mme lauteur de ce faire. Or, comme la soulign mile Benveniste dans un clbre article,49 cette prsentation est anachronique, tantelledissimulelefaitquelapaireactif-passifnestelle-mmeque drive dune distinction plus ancienne. On trouve sa premire formula-tionchezlegrandgrammairienindienPninidistinguantlaparole-pour-un-autre(parasmaipada)delaparole-pour-soi(tmanepada). Pnini prend lexemple du verbe sacrier: le brahmane sacrie pour un autre (yajati), la personne qui fait raliser le sacrice le fait raliser pour soi(yajate).Danslapaireactif-mdial,lasecondeformeindiquedonc une opration o celui qui la suscite est lui-mme impliqu dans celle-ci, cequiamneBenvenisteparler,defaonquelquepeuconfondante, de diathse interne, pour viter de parler de mdial entre actif et passif, l o ces deux ples nexistent pas encore. Danslaphilosophieindienne,cescatgoriesverbalesindiquantune rexivit dans laltrit ou encore un rapport soi passant par un autre ont fait lobjet de nombeuses reprises philosophiques. Peut-on parler de la mme transposition de catgories de langue des catgories de pense dans le monde grec?50 Du moins pour la philosophie, le cas de gure est 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 95 07-04-2010 11:57:0496Emmanuel ALLOA51Avant mme la clbre dmonstration de Benveniste, B. Faddegon avait montr ds 1918 que lescatgoriesdelalogiqueVaieikasontuncalquedelastructuregrammaticaleduSanskrit.Les rexions de Benveniste ont t appliques lInde dans le collectif Catgories de langue et catgories de pense en Inde et en Occident, Paris, lHarmattan, 2005. Pour une introduction une comparaison, cf.T.McEviiii\,PhilosophyandGrammar,TeShapeofAncientTought.ComparativeStudies in Greek and Indian Philosophies, New York, Allworth Press, 2002, pp. 672-677. Sur lorigine rituelle delalinguistiqueindienne,cf.F.Sraai,RitualandMantras.RuleswithoutMeaning,Delhi, ShriJainendraPress,1996.Surlimportancedeladimensionorale,cf.G.Bicx,SonicTeology. Hinduism and Sacred Sound, Columbia, University of South Carolina Press, 1993. A propos de lin-teractionentregrammaireetphilosophie,cf.B.K.Mariiai,Logic,LanguageandReality,Delhi, Motilal Banarsidass, 1985, chap. 5 (Interaction of grammar and philosophy), pp. 372-430. 52H. Koiiii, Die Anfnge der griechischen Grammatik, Glotta 37/1958, pp. 5-40.53P.K.Axoiisix,EmpiricalStudiesinDiathesis,Mnster,NodusPublikationen,1994, pp. 149-183.54Nousavonstentledbutdunetelleanalysepourlecorpusaristotlicien.Cf.Metaxu. Figures de la mdialit chez Aristote, Revue de Mtaphysique et de Morale 63/2009, pp. 247-262.55Cf. le concept dexzentrische Positionalitt qui est dvelopp tout au long de H. Piissxii, Die Stufen des Organischen und der Mensch. Einleitung in die philosophische Anthropologie (1928), Berlin/New York, W. de Gruyter, 1975.sansdoutepluscomplexe,tantdonnquelarexionsurlelangage noccupe pas la mme fonction centrale que dans le monde indien avec sonimportanceaccordele cacedelaparoledanslerituel.51Plus que le rituel religieux, cest la musique qui semble fournir ici le modle dunerexionsurlamdialit.52Celaestparticulirementvidentsi lon prend la premire formulation dune tripartition actif-mdial-passif propose par le grammairien Denys le Trace (170-90 av. JC). Celui-ci reprend les dispositions que recense la thorie des humeurs musicales et les reformule en termes linguistiques: entre lenergeia comme signe de lactivit et le pathos comme emblme de rceptivit pure, Denys recense une forme intermdiaire quil qualie de mesots.53 Lopration mdiale seraitdoncuneoprationquinestpasunesimpleactionsurunautre niunerceptionpuredequiestdjconstituailleurs,elleindique plutt une aection de loprateur mme lopration quil induit. Force est de constater quun travail sur les conceptions de la mdialit dans la philosophie grecque en est ses dbuts,54 la mdialit ayant t trop longtemps clips par le problme de la mdit: par trop souvent, on a rduit les gures de lintermdiaire une pense de la position qui situelestresdansunecosmologiexe.Lanthropologiemoderneen gardelestraces,quandelletentedesedfairedecepositionnalisme ena rmantunepositionnalitexcentriquedelhomme(Helmuth Plessner).55Ortandisqueleproblmedelamditcorrespondune 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 96 07-04-2010 11:57:04LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME9756Aiisrori, Nic. Eth. X 10, 1181b15.57Sur le sens possible de cette anthrpeia philosophia, cf. P. Rooiico, Aristote et les choses humai-nes, Bruxelles, Ousia, 1998.58Ce qui nest ici quun rapprochement sera ensuite reformul comme lien prtendument tymo-logique,faisantdrivertheoreindetheos(AiixaxoiioAiuiooisi,CommentairesurlesPremiers Analytiques, 3, 20; Piuraiqui, De musica 27; Puiiooixi, De musica, 23,8). 59Aiisrori, Nic. Eth. X 8, 1178b7-23.pense de la position, le problme de la mdialit engage, elle, une pen-sedelatransformation.Lalanguegrecqueorecetteparticularit quelle permet dappliquer une mdialit ainsi conue lhomme. Dtail signicatif,ladimensionhumainenedsignepasquuneralitsub-stantive, mais galement une ralit verbale. 5.ANTHRPEUESTHAI iuoxxi si iaisaxrA ct du substantif anthrpos, il existe en grec un verbe anthrpeuo-mai (). Or, dtail curieux, ce verbe rare, il est vrai sutiliseprincipalementlavoiemoyenne.Parmisesoccurrences,ily en a une qui est fortement expose. Il sagit du dernier livre de lthique Nicomaque,ocontreunefausseidedelhomme,propageparles sophistes, Aristote dfend lide dune vritable philosophie des choses humaines ( )56 qui nest pas sans rappeler les menschliche Angelegenheiten de Arendt.57Quelquesparagraphesplustt,letextedveloppecequiestconsi-drcommelefondementdelanthropologiearistotlicienne.Trois modesdexistenceysontdistingus,lemodeproductif(lapoesis),le mode pratique (la praxis) et le mode contemplatif (la theoria). Lhomme seraliseavanttoutparlederniermode,quipermetgalementla plusgrandeflicit,carilsersumeunevisionpure.Latheoriaest ainsi rapproche des theoi, des dieux.58 Par consquent, la philosophie serait linstrument dune homoiosis theoi, dune assimilation aux dieux ou encore dun devenir divin de lhomme.59SipourAristote,lhommeserapprochedesdieuxparlintuition thorique, pour Husserl, ce sont au contraire les dieux qui doivent, sils 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 97 07-04-2010 11:57:0498Emmanuel ALLOA60E. Hussiii, Manuscrit de travail, Archives Husserl, Ms. F I 26, 149a (hiver 1902/03). Repris dans Io., Allgemeine Erkenntnistheorie. Vorlesung 1902/03, d. E. Scuuuxaxx (Husserliana, Mate-rialien, Band 3), Dordrecht e.a., Springer, 2001, p. 173.61Aiisrori, Nic. Eth. X 8, 1178b7.veulentavoirlintuitiondequoiquecesoit,sesoumettreauxcondi-tionsduntreni.Dansunmanuscritdetravail,unHusserlparti-culirementironiqueremarquequelatheoriadesdieuxestloindim-pliquer ncessairement la connaissance et que le principe kantien selon lequeltouteintuitionresteaveugletantquelledemeuresansconcept vaut galement pour Dieu. Une vision immdiate et sans concept nest en rien lemblme de la connaissance absolue, mais plutt dune btise absolue qui se rsume tout voir et ne rien comprendre.60 Chez Aristote, une autre ide de lhomme, cette fois non plus drive de ltre divin, se dgage pourtant quelques lignes plus haut. Un homme quinestpassoustraitlapraxis,maisquisetrouveinvariablement engag dans un commerce avec les autres membres de la communaut va devoir composer avec limparfait. Un tel homme naccde peut-tre paslaconditiondivine,maisuneautreralitquAristotequalie avec ce verbe trange qui est ici utilis dans sa forme mdiale:anthr-peuesthai ().61 Un tel zon politikon nest pas demble ce quil est par soi-mme; il ne peut accder son essence que dans lines-sentialitducommerceentrelestants.Anthrpeuesthaiuntel homme,ilfautprendrelaformuleaumot,sefaithomme.Maisun tel vnement ne constitue en rien un vnement historique unique un Dieu qui se serait fait Chair mais bien cette mdiation innie voqueparMerleau-Ponty.Nitransitifnistrictementintransitif, lhommedunetellephnomnologiemdialeseraitdonccequiest perptuellementetinvitablementtoujoursprisensefaisant,nepou-vant se rapporter soi que dans la mdiation dun autre, dans lexposi-tion sa propre incessante altration.Onpourradoncretenir,pourrsumer,quelamiseenregarddes deuxmomentshistoriques(lepassageduVe auIVe etlepassagedu XIXe auXXe sicle)aurapermisdunepartdedgagerunparadigme souterrainquilielaquestiondelaphnomnalitetlaquestionde lhumain.MaissiAristoteetHusserlrefusenttousdeuxdeposer 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 98 07-04-2010 11:57:04LA PHNOMNOLOGIE COMME SCIENCE DE LHOMME SANS LHOMME9962E. Hussiii, Die Krisis, pp. 13-15 (tr. fr. Io., La crise, p. 21; p. 23).63Aiisrori, Met. A 2, 932b12-18; Io., Rhet. I 11, 1371a32 sq.64W. Kuiixaxx, Teoretische und politische Lebensform, Aristoteles und die moderne Wissen-schaft, Stuttgart, Steiner,1988, pp. 401-420.65Aiisrori, Met. A 2, 983a19-21.66Ibid.lhommecommemesureetorigine,ilslepensentmalgrtoutencore toujours depuis un telos: tandis quAristote indique lhorizon dune vie heureusedansuneassimilationdelmehumaineauxdieux,Husserl postuleunidaldeconnaissanceinndanslhumanitverslequel lhumanit est appele, faisant des philosophes les fonctionnaires de lhumanit.62 Paralllementauconstatdecesdterminationsnalistes,notrepar-cours nous a galement permis, par del les anthropologies de lessence et celles de la destination, dgager la piste dune pense de la mdia-litcommedevenirsanstelos.Seuleunetelleperspectivedundevenir aranchidelhorizonduneactualisationdnitivepermetdesauve-garder ce quAristote caractrise, comme Platon avant lui, comme lori-gine de linterrogation philosophique: le thaumazein ou ltonnement. Rappelons-en, avant de conclure, les enjeux: Aristote commence par poser que le thaumazein est commun tous les hommes.63 Le philoso-phe rejoint ici les thologues modernes pour qui, si ltonnement et la curiosit sont propres des nombreuses espces au dbut de leur dve-loppementontogntique,seullhommemaintientcetteattitudetout au long de sa vie.64 Or il y a l un paradoxe manifeste: car si dune part le thaumazein constitue rellement quelque chose comme une dieren-tiaspecicadelhomme,commentexpliquerquedanslaprogression vers la pure contemplation, le thaumazein est amen disparatre dans latheoriaquilinduit?65ForceestdeconstaterqupartirdAristote, deuxsriesinterprtativesdivergentessouvrent:dunepart,unetradi-tiontlologiquetraitantltonnement,unefoislatheoriaacquise, comme perturbation de la contemplation il serait en eet tonnant queladiagonalesoitcommensurable,maiscestprcismentuncas impossible.66Dautrepart,unetraditionquinetraiteraitpasduthau-mazeincommedunretardncessairesurlavoiedelacontemplation 93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 99 07-04-2010 11:57:04100Emmanuel ALLOA67L. Boix, Das Problem der Menschwerdung, Ina, Fischer, 1926. 68Aiisrori, Poet. 4, 1448b13 sq.stable,maiscommelaconditionmmedelhominisation.Cequeles thologuesqualientdeprincipederetarddanslaphylo-etdans lontogense67 constituerait donc non tant un accident dans lhominisa-tion que son trait caractristique. Ds lors, se faire homme anthr-peuesthai ressemblerait non pas au passage sans reste vers une condi-tionthortique,maislacapacitdtreinterpellparcequise montre nous et qui nous entrane ailleurs que l o nous croyons tre. Singulirement, cest celui dont les intuitions se font, comme dit Aris-tote,parintermittences68quisembleplusmmedprouvercette puissance dtonnement que la transformation en savoir actualis aura ni par rsorber.Mors-ciis: anthropologie, phnomnalisme, relativisme, nitude, mdialit. Ki\-woios: anthropology, phenomenalism, relativism, nitude, mediality. Suxxai\: Phenomenology as a Science of Man without ManHusserlian phenomenology sets o as a fundamental rejection of those psycholo-gismsandanthropologismsthatdeducethestructuresofappearancefromsome preexisting essence of man. However, despite a clear rejection of all anthropological foundationsofphenomenology,theexamplesofHusserl,HeideggerandMerleau-Pontyshowthatthequestionofmancontinuestohauntthephenomenological project and constitutes something like a blind spot. Relating these unspoken ten-sionstoanotherhistoricalscene(thedebatebetweentheSophistsandAristotle), the article argues why phenomenology is to be seen as the endeavor of replying to the initial Protagorean provocation to thinking.93250_TSvFilosofie_2010-1.indd 100 07-04-2010 11:57:04