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Annales Pharmaceutiques Françaises (2009) 67, 231—233 ÉDITORIAL À propos de la loi de Bioéthique About the bioethics’ law La révision de la loi relative à la bioéthique, qui est prévue en 2010 engage l’avenir et les générations futures. Elle concerne tous les citoyens, mais aussi les professionnels de santé et notoirement les pharmaciens dans leurs activités professionnelles. Les sujets débattus relèvent de la science, mais peut-être plus encore de la conscience de chacun. Elle doit mettre le progrès au service de « l’homme », tout en prenant en compte des impératifs éthiques. L’article 40 de la loi de Bioéthique de 2004 [1] dispose que : « I. - La présente loi fera l’objet d’un nouvel examen d’ensemble par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur ». « II. - Elle fera en outre l’objet, dans un délai de quatre ans, d’une évaluation de son application par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techno- logiques ». Cette évaluation a été faite de fac ¸on très approfondie. On peut donc penser que les délais seront respectés au contraire de ce qui s’était produit pour la révision de la loi de 1994. En outre, les articles 25 et 26 qui portent sur la recherche sur l’embryon et les cel- lules souches interdisent la recherche sur l’embryon humain tout en l’autorisant à titre exceptionnel pour une période limitée à cinq ans. Ce moratoire commence à la date de publication du décret d’application de ces disposi- tions, soit le 6 février 2006. Le 5 février 2011 est donc d’une date butoir pour l’application de la loi actuellement en vigueur. La loi de Bioéthique est une loi très importante pour notre société, car elle concerne le présent, mais aussi les générations futures. On peut donc se réjouir que de nombreuses réflexions préalables soient d’ores et déjà engagées. Un colloque parlementaire a été organisé dès février 2007 : l’Office parle- mentaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) [2], le Sénat, l’Agence de la biomédecine (ABM) [3], le Comité consultatif national d’éthique [4] ont publié des rapports en 2008. Parallèlement, depuis quelques mois, de nombreuses institutions (société savantes, associations de patients, groupes de pensées) on fait part de leur point de vue sur divers aspects de la loi. 0003-4509/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pharma.2009.05.001

À propos de la loi de Bioéthique

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nnales Pharmaceutiques Françaises (2009) 67, 231—233

DITORIAL

propos de la loi de Bioéthique

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La révision de la loi relative à la bioéthique, qui est prévue en 2010 engage l’avenir et lesgénérations futures. Elle concerne tous les citoyens, mais aussi les professionnels de santéet notoirement les pharmaciens dans leurs activités professionnelles. Les sujets débattusrelèvent de la science, mais peut-être plus encore de la conscience de chacun. Elle doitmettre le progrès au service de « l’homme », tout en prenant en compte des impératifséthiques.

L’article 40 de la loi de Bioéthique de 2004 [1] dispose que :

« I. - La présente loi fera l’objet d’un nouvel examen d’ensemble par le Parlement dansun délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur ».

« II. - Elle fera en outre l’objet, dans un délai de quatre ans, d’une évaluation de sonapplication par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techno-logiques ».

Cette évaluation a été faite de facon très approfondie. On peut donc penser que lesdélais seront respectés au contraire de ce qui s’était produit pour la révision de la loi de1994.

En outre, les articles 25 et 26 qui portent sur la recherche sur l’embryon et les cel-lules souches interdisent la recherche sur l’embryon humain tout en l’autorisant à titreexceptionnel pour une période limitée à cinq ans.

Ce moratoire commence à la date de publication du décret d’application de ces disposi-tions, soit le 6 février 2006. Le 5 février 2011 est donc d’une date butoir pour l’applicationde la loi actuellement en vigueur.

La loi de Bioéthique est une loi très importante pour notre société, car elle concernele présent, mais aussi les générations futures.

On peut donc se réjouir que de nombreuses réflexions préalables soient d’ores et déjàengagées. Un colloque parlementaire a été organisé dès février 2007 : l’Office parle-mentaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) [2], le Sénat,

l’Agence de la biomédecine (ABM) [3], le Comité consultatif national d’éthique [4] ontpublié des rapports en 2008.

Parallèlement, depuis quelques mois, de nombreuses institutions (société savantes,associations de patients, groupes de pensées) on fait part de leur point de vue sur diversaspects de la loi.

003-4509/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.pharma.2009.05.001

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Ce recueil des différentes opinions est encouragé par leouvernement, qui a souhaité organiser des « états générauxe la bioéthique » [5], qui sont pilotés par un groupe de sixersonnalités pour permettre aux citoyens de donner leurvis sur l’ensemble des sujets concernés.

En ouvrant ces « états généraux », Mme Roselyne Bache-ot, ministre de la Santé a déclaré : « Il faut savoir’affranchir de la logique sondagière qui procède par addi-ion de points de vue séparés, produisant ainsi l’illusion’une demande factice. Les états généraux de la bioéthiquent d’abord vocation à promouvoir la réflexion instruitet éclairée du plus grand nombre, sur des questions quingagent notre avenir commun. . . ».

Chaque francais peut s’exprimer sur le site web des étatsénéraux et quatre colloques auront lieu en juin 2009. Uneynthèse sera ensuite réalisée.

Sans aucune exhaustivité, la révision de la loi de Bioé-hique va s’attacher à répondre aux nombreuses questionsui donneront lieu, de la part du législateur, à des précisions,es révisions, voire seront laissées sans réponse.

Ces questions peuvent être regroupées autour de quatrehèmes :

la greffe et le don d’organe ;la procréation médicale assistée (AMP) ;la génétique et la médecine prédictive ainsi que ;la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

a greffe et le don d’organe

e consentement des donneurs doit-il être présumé ou expli-ite ? Quelle doit être la place de la famille dans le recueil duonsentement du donneur décédé ? Les nouvelles techniquese recueil d’organes, en particulier sur des personnes à cœurrrêté, ne nécessitent-elles pas que le problème des critèrese la mort soit réexaminé ? Comment renforcer l’anonymatu donneur et le respect dû à sa famille ? Faut-il développeres greffes à partir de donneur vivant ? Quel encadrementn particulier éthique faut-il apporter à cette technique ?

Quatre grands principes semblent ne pas devoir êtreemis en cause : le consentement associé à la finalitéhérapeutique, la gratuité et le principe de non marchan-isation, l’anonymat du don pour la personne décédée et’interdiction de la publicité à l’exclusion de l’informationu public en faveur du don d’éléments et produits du corpsumain.

a procréation médicale assistée (AMP)

’évolution de la société permet-elle d’élargir le cadre desersonnes susceptibles de bénéficier d’une AMP ? Faut-il uneimite d’âge pour recourir à l’AMP ? Peut-on et dans quellesonditions autoriser un transfert d’embryon postmortem ?a législation actuelle protège l’anonymat des donneurs deamètes, assure la gratuité des dons et la sécurité sanitaire :aut-il une évolution et qu’elles en seraient les conséquen-

es ? Quelles sont les dispositions à prendre pour assurer, aurofit des couples, une véritable transparence des résultatse l’AMP dans les différents centres ?

Par ailleurs, même si des progrès ont été faits depuis0 ans, le taux de grossesses obtenues par AMP n’est que

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Éditorial

e 20 %, le législateur ne devrait-il pas envisager des dis-ositions permettant de faire des recherches au profit de’embryon dans le seul but d’augmenter le taux de grossessesésultant des fécondations in vitro ?

Enfin, la gestation pour autrui, qui ne concerneraitu’une centaine de femmes par an, fait d’ores et déjà’objet d’un large débat passionné avec des positions tout

fait contradictoires. Nul doute que le législateur devrarendre une position.

a génétique et la médecine prédictive

’examen des caractéristiques génétiques d’une personne’est pas un diagnostic classique. Les affections qu’il révèle,uelques fois très graves, peuvent ou non être traitées.ussi, recevoir sans aucun accompagnement les résultats’un tel diagnostic peut être particulièrement traumatisant.

Compte tenu des développements de la génétique et enarticulier de la facilité d’accès aux diagnostics, faut-il doncnterdire aux laboratoires de biologie francais de réaliser cesests sans prescription médicale et doit-on réserver cetterescription aux généticiens ? Comment interdire l’accès auxests génétiques effectués à l’étranger via Internet ?

La question de l’information familiale en cas de maladieénétique grave n’a pas recu de solution malgré une dis-osition législative. Celle-ci sera très certainement revueors de la révision de la loi de Bioéthique en examinant lesifférents cas de figure qui se présentent aux praticiens.

Dans le domaine de la procréation, le diagnostic préna-al (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) sont trèsncadrés. Faut-il ouvrir plus largement leurs indications ? Laharmacogénétique, qui met en évidence des anomalies sures gènes impliqués dans la réponse à de nombreux médi-aments doit-elle relever, comme beaucoup le pensent, desêmes règles que les autres tests génétiques ?

a recherche sur les cellules souchesmbryonnaires

a loi de 2004 interdit la recherche sur l’embryon et les cel-ules souches embryonnaires humaines (CSEH), mais permeta délivrance de dérogations à des équipes de rechercheans des conditions précises, pour une durée de cinq ans.’ABM a réalisé un bilan détaillé, qui montre que la reprisees recherches sur l’embryon et les CSEH en France aommencé à produire des résultats et a retrouvé peu à peune certaine visibilité au niveau international en la matière.

Des efforts considérables ont été fournis pour produirees systèmes permettant l’usage thérapeutique de cellulesssues de lignées de CSEH, en particulier au travers de laroduction de lignées de grade clinique permettant leur uti-isation en thérapie humaine dans des conditions de sécuritéaximale.Certains traitements ont commencé aux États-Unis,

’autres sont prévus prochainement en France. Cependant,a mise au point de thérapies basées sur l’exploitationes CSEH ne pourra se faire sans l’existence d’un sec-eur pharmaceutique et biotechnologique. Or celui-ci estuasi absent, car les investissements dans ces secteurs sont

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À propos de la loi de Bioéthique

lourds, et ne peuvent être productifs que dans des délaisimportants et par conséquent, incompatible avec la périodede cinq ans fixée en 2004. Parallèlement à ces travaux, delarges progrès ont été réalisés à partir de cellules souchesadultes humaines ou à partir du sang du cordon. Ceux-cin’auraient pu avoir lieu sans les travaux préalables sur lesCSEH. Les spécialistes s’accordent pour dire qu’il faut pour-suivre les recherches dans les deux voies.

Ces questions deviennent donc essentielles dans la révi-sion de la loi ; faut-il interdire ces recherches sur les CSEH ?Faut-il conserver le système actuel ? Faut-il les autorisersous contrôle ou, éventuellement, faut-il simplement lesautoriser ?

La loi de Bioéthique concerne donc le citoyen, mais elle aaussi de grandes implications dans les activités des profes-sionnels de santé et notoirement celles des pharmaciens.À l’initiative de la présidente, une Commission d’éthiquevient d’être créée à l’Académie nationale de pharmacie.Elle n’a pas pour objectif de s’intéresser aux problèmes desociété qui concernent la conscience de chacun. Cependant,elle a entamé une réflexion sur quelques points particuliersoù les dispositions législatives actuelles ou à venir ont desconséquences importantes pour les travaux des biologistespharmaciens.

Comme le montre en particulier le rapport de l’OPECST,la révision de la loi de Bioéthique dépasse largement lesclivages politiques et interroge la conscience de chacun.

En dehors des questions importantes qui ont été évo-quées ci-dessus, quelques grandes questions se posent : la

loi prend elle en compte tous les points relatifs à la bioé-thique ? Faut-il, comme certains le souhaitent, y intégrerles neurosciences ? La loi doit-elle suivre les progrès de lascience ? Comment rédiger une loi pour notre pays quandla circulation transfrontalière est très facile et que des dis-

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ositions différentes existent dans d’autres pays y comprisn Europe ? Ne serait-il pas nécessaire qu’il y ait un renfor-ement des instances européennes et internationales de laioéthique ?

C’est à toutes ces questions que les parlementairesevront répondre, nul doute que le débat en cours les yidera.

La loi de Bioéthique n’est pas une loi comme les autres,lle doit mettre le progrès au service de l’humain, au ser-ice des malades, guidée et confortée par des impératifsthiques.

éférences

1] Loi 2004—800 du 6 août 2004, relative à la bioéthique.2] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et

technologiques : rapport sur l’évaluation de la loi du 6 août 2004relative à la bioéthique — Assemblée nationale — 17 décembre2008.

3] Bilan d’application de la loi de Bioéthique de 2004 — Agence dela biomédecine — octobre 2008.

4] Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vieet de la santé : questionnement pour les états généraux de labioéthique — 9 octobre 2008.

5] www.etatsgenerauxdelabioethique.fr [consulté le 16 février2009].

P. PellerinCommission éthique, Académie nationale de

pharmacie, 22, avenue Jean-Jaurès,86400 Civray, France

Adresse e-mail : [email protected]

Recu le 27 avril 2009 ; accepté le 5 mai 2009

Disponible sur Internet le 4 juin 2009