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Le 21 novembre dernier, Gilead Sciences (Nasdaq : GILD – capitalisation boursière de 30 milliards US$) a annoncé l’acquisition de Pharmasset (Nasdaq : VRUS – capitalisation boursière de 5,8 milliards US$) au prix stupéfiant de 11 milliards US$ ! Est-ce étonnant ? Non, dans la biopharma, les opérations à ce niveau de valeur ne sont pas exceptionnelles. Sanofi a par exemple finalisé la reprise de Genzyme en avril 2011 pour environ 20 milliards US$, complétés par des certificats de valeur conditionnels (CVC) représentant environ 3.8 milliards US$, une fois les problèmes de production rencontrés (GMP) résolus, et les objectifs commerciaux atteints. En 2010, Genzyme a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 4 milliards US$. Le cas de Pharmasset est différent. L’entreprise pèse moins d’un million de dollars de chiffre d’affaires, presque rien pour ainsi dire. Elle ne dispose pas d’AMM pour ses produits non plus. En clair, Pharmasset est donc une clinical stage en phase II avec deux molécules (PSI 7977 et PSI 938) pour le traitement de l’hépatite C (VHC). D’où ces interrogations légitimes sur les rationnels pour sa capitalisation boursière préacquisition. Pourquoi une telle prime de 89 % a-t-elle été payée par Gilead Sciences sans milestones (compléments de prix) établis sur la base de résultats des études finales de phase III et d’une AMM aux États-Unis et/ou en Europe ? À l’analyse, nous estimons que les réponses sont plurifactorielles. Pour Pharmasset, toutes les étoiles de la « constellation hépatite C » se sont alignées en une droite de croissance boursière avec un angle de 45° depuis avril 2010, date du début des études de phase II. Ces étoiles représentent le marché potentiel, l’environnement compétitif, les fondamentaux et progrès des molécules de Pharmasset en clinique, et, last but not least , le fondateur scientifique de Pharmasset. Examinons tout cela plus en détail. Le standard of care pour le traitement de l’hépatite C, établi depuis de nombreuses années, est une double thérapie, combinant peginterferon alpha (injectable une fois par semaine ; le chiffre d’affaires annuel des peginterferon est d’environ 2,6 milliards US$) et ribavirine (un générique oral, pris quotidiennement). Le traitement recommandé s’établit sur six mois pour une efficacité maximale. Le problème néanmoins, pour les médecins traitants et les patients, est que seule une fraction des malades atteints, environ 30 %, est éligible et observe ce traitement, ce pour de multiples raisons médicales. Ceux traités répondent, ou pas, à cette double thérapie, et les effets secondaires - du type dépression profonde - ne sont pas rares. Clairement, il y a donc de la place pour une amélioration de la thérapie anti-VHC. Vertex (Nasdaq : VRTX) a récemment mis sur le marché une autre molécule (Incivek) pour une trithérapie à efficacité sur trois mois (au lieu des six mois en double thérapie). Les prévisions de ventes d’Incivek, validées par les analystes, sont de 3,7 milliards US$ en 2014. Un nouvel anti-VHC, combiné au peginterferon alpha + ribavirine, a donc un marché potentiel de 4 milliards US$, tout en ne s’adressant qu’à une fraction de patients éligibles. Si une nouvelle molécule pouvait remplacer le peginterferon, sous forme orale, avec moins d’effets secondaires, une meilleure efficacité et un spectre d’activité plus large, quel serait son marché annuel ? 10 ? 15 milliards US$ ? Il existe 170 millions d’individus atteints du virus de l’hépatite C dans le monde, dont 80 millions dans les pays d’Asie en forte croissance ! Voilà donc l’énorme potentiel des molécules de Pharmasset. Les données cliniques actuelles de bithérapie PSI 7977 + ribavirine font apparaître un taux d’efficacité clinique amélioré, un spectre d’activité plus large (tous les génotypes du virus), une absence de résistance à court terme, une atteinte de virémie basse et constante post- traitement (3 mois seulement), et bien sûr, l’absence d’effets secondaires liés au peginterferon. L’environnement concurrentiel ? Les analystes prédisent que si le PSI 7977 est mis sur le marché en 2014, les ventes d’Incivek vont s’effondrer. Les tentatives pour un « meilleur » interferon alpha ont échoué (albuferon de Human Genome Sciences - Nasdaq : HGSI) ; les autres sont soit en préclinique, soit en phase II. Et ce sont toujours des injectables. Plus actifs ? On peut en douter. Moins toxiques peut-être, mais cela ne sera pas suffisant ! Les concurrents doivent être en plein questionnement aujourd’hui. À titre indicatif, nous avons identifié à ce jour 51 programmes en développement pour le VHC entre le stade de discovery et les phases I/IIa ; plus late stage , BIOTECH FINANCES • 5 décembre 2011 • N° 529 Expertise © Editions Européennes de l’Innovation. La photocopie non autorisée est un délit. (suite p.7) 6 PHARMASSET – GILEAD SCIENCES : ONZE MILLIARDS DE RAISONS DINVESTIR DANS LES BIOTECHS ? EUROPE Analyse et leçons à tirer d’une acquisition « hors normes », par Bernard Cambou, PhD, MBA et Christian Girard, managing partners, Alliance4Growth (*) – Strategic partners in life sciences en exclusivité pour Biotech finances. L’ÉNORME POTENTIEL des MOLÉCULES DE PHARMASSET ? 170 MILLIONS d’individus ATTEINTS DU VIRUS de l’HÉPATITE C

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Le 21 novembre dernier, GileadSciences (Nasdaq : GILD – capitalisationboursière de 30 milliards US$) aannoncé l’acquisition de Pharmasset(Nasdaq : VRUS – capitalisationboursière de 5,8 milliards US$) au prixstupéfiant de 11 milliards US$ ! Est-ceétonnant ? Non, dans la biopharma, lesopérations à ce niveau de valeur ne sontpas exceptionnelles. Sanofi a parexemple finalisé la reprise de Genzymeen avril 2011 pour environ 20 milliardsUS$, complétés par des certificats devaleur conditionnels (CVC) représentantenviron 3.8 milliards US$, une fois lesproblèmes de production rencontrés(GMP) résolus, et les objectifscommerciaux atteints.

En 2010, Genzyme a réalisé un chiffred’affaires d’environ 4 milliards US$. Lecas de Pharmasset est différent.L’entreprise pèse moins d’un million dedollars de chiffre d’affaires, presque rienpour ainsi dire. Elle ne dispose pasd’AMM pour ses produits non plus. Enclair, Pharmasset est donc une clinicalstage en phase II avec deux molécules(PSI 7977 et PSI 938) pour le traitementde l’hépatite C (VHC).

D’où ces interrogations légitimessur les rationnels pour sa capitalisationboursière préacquisition. Pourquoi unetelle prime de 89 % a-t-elle été payéepar Gilead Sciences sans milestones(compléments de prix) établis sur la

base de résultats des études finales dephase III et d’une AMM aux États-Uniset/ou en Europe ?

À l’analyse, nous estimons que lesréponses sont plurifactorielles.Pour Pharmasset, toutes les étoiles de la« constellation hépatite C » se sontalignées en une droite de croissanceboursière avec un angle de 45° depuisavril 2010, date du début des études dephase II. Ces étoiles représentent lemarché potentiel, l’environnementcompétitif, les fondamentaux et progrèsdes molécules de Pharmasset enclinique, et, last but not least, lefondateur scientifique de Pharmasset.Examinons tout cela plus en détail.

Le standard of care pour letraitement de l’hépatite C, établidepuis de nombreuses années, est unedouble thérapie, combinant peginterferonalpha (injectable une fois par semaine ;le chiffre d’affaires annuel despeginterferon est d’environ 2,6 milliardsUS$) et ribavirine (un générique oral,pris quotidiennement). Le traitementrecommandé s’établit sur six mois pourune efficacité maximale. Le problèmenéanmoins, pour les médecins traitantset les patients, est que seule une fractiondes malades atteints, environ 30 %, estéligible et observe ce traitement, ce pourde multiples raisons médicales. Ceuxtraités répondent, ou pas, à cette doublethérapie, et les effets secondaires - dutype dépression profonde - ne sont pasrares. Clairement, il y a donc de la placepour une amélioration de la thérapieanti-VHC. Vertex (Nasdaq : VRTX) arécemment mis sur le marché une autremolécule (Incivek) pour une trithérapie àefficacité sur trois mois (au lieu des sixmois en double thérapie). Les prévisionsde ventes d’Incivek, validées par lesanalystes, sont de 3,7 milliards US$ en

2014. Un nouvel anti-VHC, combiné aupeginterferon alpha + ribavirine, a doncun marché potentiel de 4 milliards US$,tout en ne s’adressant qu’à une fractionde patients éligibles. Si une nouvellemo lé cu l e pouva i t r emp la ce r l epeginterferon, sous forme orale, avecmoins d’effets secondaires, une meilleureefficacité et un spectre d’activité pluslarge, quel serait son marché annuel ?10 ? 15 milliards US$ ? Il existe 170millions d’individus atteints du virus del’hépatite C dans le monde, dont 80millions dans les pays d’Asie en fortecroissance !

Voilà donc l’énorme potentiel desmolécules de Pharmasset. Lesdonnées cliniques actuelles de bithérapiePSI 7977 + ribavirine font apparaître untaux d’efficacité clinique amélioré, unspectre d’activité plus large (tous lesgénotypes du virus), une absence derésistance à court terme, une atteinte devirémie basse et constante post-traitement (3 mois seulement), et biensûr, l’absence d’effets secondaires liésau peginterferon.

L’environnement concurrentiel ?Les analystes prédisent que si le PSI7977 est mis sur le marché en 2014, lesventes d’Incivek vont s’effondrer. Lestentatives pour un « meilleur »interferon alpha ont échoué (albuferonde Human Genome Sciences - Nasdaq :HGSI ) ; les aut res sont so i t enpréclinique, soit en phase II. Et ce sonttoujours des injectables. Plus actifs ?On peut en douter. Moins toxiquespeut-être, mais cela ne sera passuffisant ! Les concurrents doivent êtreen plein questionnement aujourd’hui. Àtitre indicatif, nous avons identifié à cejour 51 programmes en développementpour le VHC entre le stade de discoveryet les phases I/IIa ; plus l a te s ta g e ,

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E x p e r t i s e

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PHARMASSET – GILEAD SCIENCES : ONZE MILLIARDS DE RAISONS D’INVESTIRDANS LES BIOTECHS ?

EUROPE

Analyse et leçons à tirer d’une acquisition « hors normes », par Bernard Cambou, PhD, MBA etChristian Girard, managing partners, Alliance4Growth (*) – Strategic partners in life sciences enexclusivité pour Biotech finances.

L’ÉNORME POTENTIELdes MOLÉCULES DEPHARMASSET ? 170MILLIONS d’individusATTEINTS DU VIRUS de l’HÉPATITE C

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22 programmes dont 3 en phase III.Compte tenu du marché considérable etdu besoin d’une thérapie à la fois plusefficace et moins toxique, cela estcompréhensible. Pharmasset sera lapremière société à initier une étude dephase III sans peginterferon.

Quid des données cliniques à cejour ? Après un premier échec dû àune molécule insuffisamment activebiologiquement, et grâce au soutiencontinu des investisseurs, les chimistesde Pharmasset ont conçu une nouvellemolécule 15 fois plus active et ontconduit des études de phase I et dephase II de « haut niveau », créant demultiples opportunités de phase III, etpositionnant leur molécule la plusavancée (PSI 7977) comme un remplaçantpotentiel du peginterferon alpha.

Le créateur de Pharmasset ? Leprofesseur Raymond Schinazi, d’Emoryuniversity, est un fondateur scientifiqueà répétition. Selon son université, 90 %des patients traités pour le VIH reçoiventune molécule conçue par ce dernier ! Samission de chercheur académique ?Éradiquer le VIH et les virus de l’hépatite B(VHB) et C (VHC). Avec un petit sourire,Raymond Schinazi a indiqué dans unentretien qu’il avait proposé à GileadSciences d’acheter Pharmasset en 2004pour 400 millions US$. Sans suite...

Évidemment, aujourd’hui, les projetssont dérisqués par rapport à 2004, maisle risque d’échec en phase III subsiste.Les spécialistes et les analystess’accordent à dire qu’il est relativementfaible, compte tenu de la solidité desdonnées cliniques actuelles. C’est unélément majeur du prix. C’est clairementce qu’a compris Gilead Sciences.Lorsque le PSI 7977 sera commercialisé,quel sera le risque d’être déplacé dustandard of care PSI 7977 + ribavirinepar de nouvelles molécules ? Faible,même s’il y a un risque long termetoutefois, car personne ne peut prédire

la situation à 8, 12, 20 ans. Ce que l’onsait aujourd’hui, c’est que les donnéesactuelles du PSI 7977 sont telles que, siconfirmées en phase III, la barre dedéplacement va être extrêmementhaute, bien plus haute que « contre » lepeginterferon et l’Invicek. Sur ce point,Pharmasset a un avantage compétitif

sur les suiveurs de petites moléculesorales. Nul doute que Gilead Sciencespar son expérience, sa force de frappe etson propre pipeline anti-VHC sauracapitaliser sur cet avantage. On peutraisonnablement prévoir que le PSI 7977(s’il obtient ses AMM) va être unélément clé de la thérapie sanspeginterferon pendant plusieursannées. Il est probable que viendronts’ajouter d’autres molécules orales enremplacement de la ribavirine pourune meilleure efficacité encore. Cesmolécules peuvent appartenir aupipeline Gilead et de Pharmasset ou àd’autres sociétés.

Enfin, et pour finir, il est certain queGilead Sciences n’est pas la seulesociété à avoir courtisé Pharmasset. Lesprofessionnels disent qu’il n’y a rien demieux qu’une vente aux enchères ! Ceciexplique peut-être, qu’en position deforce, Pharmasset a réussi à s’affranchirde la tendance actuelle d’acquisition« par t ranches » basées sur laréa l i sat ion d ’ob ject i f s c l in iques,réglementaires et commerciaux (typeSanofi-Genzyme). Il se murmure déjàque les candidats à l’acquisitions qui ontété recalés cherchent une autre cible :Achillion (Nasdaq : ACHN), Inhibitex(Nasdaq : INHX) et/ou Idenix (Nasdaq :IDIX) - une société fondée en France etémigrée à Boston - seraient sur la shortlist. Ironie du sort, le fondateur dePharmasset est également un fondateurd’Idenix…

À l’annonce de l’opération, certainsinvestisseurs de Gilead Sciences ontjugé le prix exorbitant. De la mêmemanière, 82 % des analystes de WallStreet interrogés ont estimé que le prixpayé est trop élevé (source : MarkSchoenebaum, analyste, ISI Group). Etles résultats financiers de Gilead serontmécaniquement obérés au cours desprochains exercices par l’amortissementde la survaleur. L’action a perdu 12 %....mais elle est revenue à son niveaupréacquisition aujourd’hui.

En résumé, et en tenant compte deséléments rationnels évoqués, nouspensons que, compte tenu des donnéesactuelles sur les molécules anti-VHC dePharmasset et de l’environnementcompétitif, Gilead Sciences a réalisé,certes à prix élevé, une opération à trèsfort potentiel de croissance. Seul l’avenirconfirmera ou infirmera notre opinion.

Résultat de tout cela : 11 milliardsUS$ dans la poche des investisseurs,fondateurs et managers de Pharmasset !Chapeau bas ! Au fait, Pharmasset estun abrégé de pharma asset. Ceci prendsa pleine mesure aujourd’hui.

Pour finir, au-delà de ces considérationsfinancières, les résultats de Pharmassetet l’implication majeure de GileadSciences (après un tel effort financier !)sont une bonne nouvelle pour tous lespatients atteints du VHC qui, grâce autraitement quand il sera disponible,éviteront une greffe de foie ou un cancerhépatique, extrêmement difficile àtraiter dans l’état actuel de la science etde la médecine. �

(*) Alliance4Growth, strategic partners in lifesciences, est un groupe international de

consultants seniors qui assistent les entreprisesdans leurs stratégies de croissance.

www.alliance4growth.com

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82 % des ANALYSTESde WALL STREETinterrogés ont estiméque le PRIX PAYÉ ESTTROP ÉLEVÉ

Quelle sera la PROCHAINE CIBLE :ACHILLION (Nasdaq :ACHN), INHIBITEX(Nasdaq : INHX) et/ou IDENIX (Nasdaq :IDIX) ?

Bernard Cambou, PhD MBA,

Christian GirardManaging partners -

Alliance4Growth