Affaire Cestaro c. Italie

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    QUATRIME SECTION

    AFFAIRE CESTARO c. ITALIE

    (Requte no6884/11)

    ARRT

    STRASBOURG

    7 avril 2015

    Cet arrt deviendra dfinitif dans les conditions dfinies larticle 44 2 de laConvention. Il peut subir des retouches de forme.

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    En laffaire Cestaro c. Italie,La Cour europenne des droits de lhomme (quatrime section), sigeant

    en une chambre compose de :Pivi Hirvel,prsidente,Guido Raimondi,George Nicolaou,Ledi Bianku,

    Nona Tsotsoria,Krzysztof Wojtyczek,Faris Vehabovi,juges,

    et de Franoise Elens-Passos,greffirede section,Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil le 17 mars 2015,Rend larrt que voici, adopt cette date :

    PROCDURE

    1. lorigine de laffaire se trouve une requte (no 6884/11) dirigecontre la Rpublique italienne et dont un ressortissant de cet tat,M. Arnaldo Cestaro ( le requrant ), a saisi la Cour le 28 janvier 2011 envertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhommeet des liberts fondamentales ( la Convention ).

    2. Le requrant a t reprsent devant la Cour par MesNicol Paoletti et

    Natalia Paoletti, avocats Rome, Me Joachim Lau, avocat Florence, etMeDario Rossi, avocat Gnes.

    Le Gouvernement italien a t reprsent par son agente,MmeErsiliagrazia Spatafora, et par sa coagente, Mme Paola Accardo.

    3. Le requrant allgue que la nuit du 21 au 22 juillet 2001, la fin dusommet dit du G8 de Gnes, il se trouvait dans un lieu dhbergementde nuit, savoir lcole Diaz-Pertini.

    Invoquant larticle 3 de la Convention, le requrant se plaint davoir tvictime de violences et de svices qui peuvent selon lui tre qualifis detorture lors de lirruption des forces de lordre dans lcole Diaz-Pertini.

    Invoquant ensuite les articles 3, 6 et 13 de la Convention, il soutient queles responsables de ces actes nont pas t sanctionns de manire adquateen raison, notamment, de la prescription au cours de la procdure pnale dela plupart des dlits reprochs, de la remise des peines dont certainscondamns auraient bnfici et de labsence de sanctions disciplinaires lencontre de ces mmes personnes. Il ajoute en particulier que ltat, ensabstenant dinscrire en dlit tout acte de torture et de prvoir une peineadquate pour un tel dlit, na pas adopt les mesures ncessaires pour

    prvenir puis sanctionner les violences et les autres mauvais traitementsdont il se plaint.

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    4. Le 18 dcembre 2012, la requte a t communique auGouvernement.

    5. Tant les requrants que le Gouvernement ont dpos des observationscrites sur la recevabilit ainsi que sur le fond de laffaire.

    Des commentaires conjoints ont t reus du Parti radical non violenttransnational et transparti, de lassociation Non c pace senza giustizia et des Radicaux italiens (anciennement Parti radical italien) que lavice-prsidente de la section avait autoriss intervenir dans la procdurecrite (article 36 2 de la Convention et article 44 3 du rglement).

    EN FAIT

    I. LES CIRCONSTANCES DE LESPCE

    6. Le requrant est n en 1939 et rside Rome.

    A. Le contexte dans lequel sest tenu le G8 de Gnes

    7. Les 19, 20 et 21 juillet 2001 se droula Gnes, sous la prsidenceitalienne, le vingt-septime sommet du G8.

    8. En vue de ce sommet, de nombreuses organisations non

    gouvernementales avaient constitu un groupe de coordination nommGenoa Social Forum ( GSF ), dans le but dorganiser Gnes, la mmepriode, un sommet altermondialiste (voir le Rapport final de lenquteparlementaire dinformation sur les faits survenus lors du G8 de Gnes( Rapport final de lenqute parlementaire ), pp. 7-18).

    9. Depuis la runion de lOrganisation mondiale du commerce tenue Seattle en novembre 1999, pareilles manifestations du mouvementaltermondialiste se droulent lors des sommets intertatiques ou lors desrunions dinstitutions internationales concernant les divers aspects de lagouvernance globale. Elles saccompagnent parfois dactes de vandalisme etdaccrochages avec la police (ibidem).

    10. La loi no

    349 du 8 juin 2000 ( la loi no

    349/2000 ) avait confilorganisation des runions prliminaires et du sommet final des chefsdtat et de gouvernement prvu pour juillet 2001 une structure

    plnipotentiaire cre au sein de la prsidence du Conseil des ministres.Plusieurs runions rassemblrent les reprsentants du GSF, le chef de lastructure plnipotentiaire, le prfet de Gnes, le Ministre de lIntrieur, leMinistre des Affaires trangres et des reprsentants des institutions locales(Rapport final de lenqute parlementaire, pp. 18-21).

    11. Un important dispositif de scurit fut mis en place par les autoritsitaliennes (Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, 12, CEDH

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    2011). La loi no 349/2000 autorisait le prfet de Gnes recourir aupersonnel des forces armes. En outre, une zone rouge avait t

    dlimite dans le centre historique de la ville concern par les runions duG8, dans laquelle seuls les riverains et les personnes qui devaient ytravailler pouvaient pntrer. Laccs au port avait t interdit et laroportferm au trafic. La zone rouge tait enclave dans une zone jaune qui, sontour, tait entoure dune zone blanche (zone normale).

    12. Daprs les informations rassembles par la prfecture de policedeGnes jusquen juillet 2001 (Rapport final de lenqute parlementaire,

    p. 23), les divers groupes attendus dans le cadre des manifestationspouvaient, en fonction de leur dangerosit, tre rapports divers blocs :le bloc rose , non dangereux ; le bloc jaune et le bloc bleu ,considrs comme comprenant des auteurs potentiels dactes de vandalisme,

    de blocages de rues et de rails, et daffrontements avec la police ; et, enfin,le bloc noir , dont faisaient partie plusieurs groupes anarchistes et, plusgnralement, des manifestants qui, agissant cagouls, masqus et vtus denoir, auraient loccasion dautres sommets systmatiquement commis dessaccages ( les black blocks ).

    13. Le 19 juillet 2001, deux manifestations se droulrent pendant lajourne sans aucun incident. Des dsordres se produisirent dans la soire(Rapport final de lenqute parlementaire, p. 25).

    14. Le 20 juillet, plusieurs manifestations taient annonces dansdiverses zones de la ville et des rassemblements taient prvus sur certaines

    places (piazze tematiche) (Rapport final de lenqute parlementaire,pp. 25-27).

    15. Le matin du 20 juillet, les black blocks provoqurent de nombreuxincidents et des accrochages avec les forces de lordre, et saccagrent des

    banques et des supermarchs (Giuliani et Gaggio, prcit, 17). La prisonde Marassi fut attaque et divers commissariats de police furent lobjetdactes de vandalisme (Giuliani et Gaggio, prcit, 134, et Rapport finalde lenqute parlementaire, p. 26).

    16. Les black blocks provoqurent le mme type dincidents lors dupassage dans la rue Tolemaide du cortge des Tute Bianche, un groupesusceptible dtre rang dans le bloc jaune . Ce cortge fut ensuite la

    cible dengins lacrymognes lancs par une unit de carabiniers, quiavancrent en faisant usage de leurs matraques ou de btons nonrglementaires. Certains manifestants se dispersrent, dautres ragirent lassaut en lanant vers les forces de lordre des objets contondants ;les vhicules des forces de lordre, leur tour, parcoururent vive allure leslieux des accrochages, dfonant les barricades places par les manifestantset repoussant ceux-ci. Les accrochages entre manifestants et forces delordre se poursuivirent dans les alentours (Giuliani et Gaggio, prcit, 17-20, 126-127 et 136).

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    17. Des heurts similaires se produisirent vers 15 heures, place Manin(Rapport final de lenqute parlementaire, p. 26).

    18. Vers 17h20, au cours dun accrochage place Alimonda,Carlo Giuliani, un jeune manifestant, fut atteint par un coup de feu

    provenant dune jeep de carabiniers qui tentaient dchapper desmanifestants (Giuliani et Gaggio, prcit, 21-25).

    19. Le 21 juillet, la manifestation finale des altermondialistes eut lieu ;environ 100 000 personnes y participrent (Giuliani et Gaggio, prcit, 114).

    20. Les saccages et les dvastations commencrent le matin et sepoursuivirent dans la ville tout au long de la journe. Au dbut de laprs-midi, la tte du cortge rencontra sur son parcours un groupe dune centainede personnes qui se tenaient face aux forces de lordre. De nouveaux

    accrochages clatrent, avec projection de gaz lacrymogne et charges desforces de lordre, auxquels le cortge fut ml (Rapport final de lenqute

    parlementaire, pp. 27-28).21. Au cours des deux jours dincidents, plusieurs centaines de

    manifestants et de membres des forces de lordre furent blesss ouintoxiqus par les gaz lacrymognes. Des quartiers entiers de la ville deGnes furent dvasts.

    B. La constitution dunits spciales de forces de lordre afin

    darrter les black blocks

    22. Le matin du 21 juillet 2001, le chef de la police ordonna au prfetA., chef adjoint de la police et chef de la structure plnipotentiaire, deconfier la direction dune perquisition de lcole Paul Klee M.G., chef duservice central oprationnel de la police criminelle ( SCO ) (voir larrtno1530/2010 de la cour dappel de Gnes du 18 mai 2010( larrt dappel ), p. 194). Une vingtaine de personnes furent arrtes lissue de cette opration, mais elles furent immdiatement remises enlibert sur ordre du parquet ou du juge des investigations prliminaires(arrt dappel, p. 196).

    23. Il ressort des dclarations du prfet A. devant le tribunal de Gnes

    que lordre du chef de la police sexpliquait par sa volont de passer uneligne de conduite plus incisive devant aboutir des arrestations afindeffacer limpression que la police tait reste sans raction devant lessaccages et les dvastations commis dans la ville. Le chef de la police auraitsouhait la constitution de grandes patrouilles mixtes, places sous ladirection de fonctionnaires des units mobiles et du SCO et coordonnes pardes fonctionnaires ayant sa confiance, et ce dans le but darrter les black

    blocks (voir le jugement no 4252/08 du tribunal de Gnes, rendu le13 novembre 2008 et dpos le 11 fvrier 2009 ( le jugement de premireinstance ), p. 243 ; voir aussi larrt no38085/12 de la Cour de cassation du

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    5 juillet 2012, dpos le 2 octobre 2012 ( larrt de la Cour de cassation ),pp. 121-122).

    24. Le 21 juillet, 19 h 30, M.G. ordonna M.M., chef de la divisiondes enqutes gnrales et des oprations spciales (DIGOS) de Gnes, demettre disposition des agents de son unit afin que fussent formes, avecdautres agents de lunit mobile de Gnes et du SCO, les patrouilles mixtes(Rapport final de lenqute parlementaire, p. 29).

    C. Les faits ayant prcd lirruption de la police dans les coles

    Diaz-Pertini et Diaz-Pascoli

    25. La municipalit de Gnes avait mis la disposition du GSF, entreautres, les locaux de deux coles adjacentes, situes dans la rue CesareBattisti, pour quun centre multimdia pt y tre install. En particulier,lcole Diaz-Pascoli ( Pascoli ) abritait une unit de presse et des bureaux

    provisoires davocats ; lcole Diaz-Pertini abritait quant elle un pointdaccs Internet. la suite des orages qui staient abattus sur la ville etqui avaient rendu impraticables certaines zones de camping, la municipalitavait autoris lutilisation de lcole Diaz-Pertini comme lieudhbergement de nuit pour les manifestants.

    26. Les 20 et 21 juillet, des habitants du quartier signalrent aux forcesde lordre que des jeunes habills en noir taient entrs dans lcole Diaz-Pertini et quils avaient pris du matriel dans le chantier qui y tait ouvert en

    raison de travaux en cours.27. Au dbut de la soire du 21 juillet, lune des patrouilles mixtestransita dans la rue Cesare Battisti, provoquant une raction verbaleenflamme de la part de dizaines de personnes qui se trouvaient devant lesdeux coles. Une bouteille vide fut lance en direction des vhicules de

    police (jugement de premire instance, pp. 244-249, et arrt de la Cour decassation, p. 122).

    28. De retour la prfecture de police, les fonctionnaires de police quidirigeaient la patrouille relatrent les faits lors dune runion tenue par les

    plus hauts fonctionnaires des forces de lordre (notamment le prfet A., leprfet L.B., le prfet de policeC. et M.G.).

    29. Aprs avoir pris contact avec le responsable du GSF auquel lcoleDiaz-Pertini avait t confie, ils dcidrent de procder une perquisitionpour recueillir des lments de preuve et, ventuellement, arrter lesmembres des black blocks responsables des saccages Aprs avoir cartlhypothse dun assaut de lcole au gaz lacrymogne, ils retinrent lesmodalits suivantes : une unit de la police, constitue majoritairementdagents appartenant une division spcialise dans les oprationsantimeute et ayant suivi une formation ad hoc (le VII Nucleoantisommossa, constitu au sein de lunit mobile de Rome) devait scuriser le btiment ; une autre unit devait procder la perquisition ;

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    enfin, une unit de carabiniers devait entourer le btiment afin dempcherla fuite des suspects. Le chef de la police fut galement inform de

    lopration (jugement de premire instance, pp. 226 et 249-252, et Rapportfinal de lenqute parlementaire, pp. 29-31).

    30. En fin de soire, un grand nombre dagents des forces de lordre,issus de divers units et services, quittrent la prfecture de police de Gneset se dirigrent vers la rue Cesare Battisti (Rapport final de lenqute

    parlementaire, idem). Daprs larrt de la Cour de cassation, le nombretotal de participants lopration slevait environ 500 agents de policeet carabiniers, ces derniers tant chargs seulement dencercler le

    btiment . Larrt dappel (p. 204) souligne que ce nombre na jamais tdtermin avec exactitude.

    D. Lirruption de la police dans lcole Diaz-Pertini

    31. Vers minuit, une fois arrivs proximit des deux coles, lesmembres du VII Nucleo antisommossa, munis de casques, boucliers etmatraques de type tonfa, ainsi que dautres agents quips lidentiquecommencrent avancer au pas de course. Un journaliste et un conseillermunicipal, qui se trouvaient lextrieur des btiments des deux coles,furent attaqus coups de pied et de matraque (jugement de premireinstance, pp. 253-261).

    32. Certains occupants de lcole Diaz-Pertini qui se trouvaient

    lextrieur regagnrent alors le btiment et en fermrent la grille et lesportes dentre, essayant de les bloquer avec des bancs de lcole et desplanches de bois. Les agents de police samassrent devant la grille quilsforcrent avec un engin blind aprs avoir tent en vain de lenfoncer coups dpaule. Enfin, lunit de police dcrite ci-dessus enfona les portesdentre (ibidem).

    33. Les agents se rpartirent dans les tages du btiment, partiellementplongs dans le noir. Avec, pour la plupart dentre eux, le visage masqu parun foulard, ils commencrent frapper les occupants coups de poing, de

    pied et de matraque, en criant et en menaant les victimes. Des groupesdagents sacharnrent mme sur des occupants qui taient assis ou allongs

    par terre. Certains des occupants, rveills par le bruit de lassaut, furentfrapps alors quils se trouvaient encore dans leur sac de couchage ; dautresle furent alors quils se tenaient les bras levs en signe de capitulation ouquils montraient leurs papiers didentit. Certains occupants essayrent desenfuir et de se cacher dans les toilettes ou dans des dbarras du btiment,mais ils furent rattraps, battus, parfois tirs hors de leurs cachettes par lescheveux (jugement de premire instance, pp. 263-280, et arrt dappel,

    pp. 205-212).34. Le requrant, g de soixante-deux ans lpoque des faits, se

    trouvait au rez-de-chausse. Rveill par le bruit, il stait, larrive de la

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    police, assis dos contre le mur ct dun groupe doccupants et avait lesbras en lair (jugement de premire instance, pp. 263-265 et 313). Il fut

    frapp surtout sur la tte, les bras et les jambes, les coups ports causant demultiples fractures : fractures du cubitus droit, du stylode droit, de la fibuledroite et de plusieurs ctes. Daprs les dclarations de lintress devant letribunal de Gnes, le personnel sanitaire entr dans lcole aprs la fin desviolences lavait pris en charge en dernier, malgr ses appels au secours.

    35. Le requrant fut opr lhpital Galliera de Gnes, o il demeuraquatre jours, puis, quelques annes plus tard, lhpital Careggi deFlorence. Il se vit reconnatre une incapacit temporaire de travailsuprieure quarante jours. Il a gard des blessures dcrites ci-dessus unefaiblesse permanente du bras droit et de la jambe droite (jugement de

    premire instance, pp. XVII et 345).

    E. Lirruption de la police dans lcole Pascoli

    36. Peu aprs lirruption dans lcole Diaz-Pertini, une unit dagents fitirruption dans lcole Pascoli, o des journalistes taient en train de filmerce qui se passait tant lextrieur qu lintrieur de lcole Diaz-Pertini.Une station radio relatait ces vnements en direct.

    37. larrive des agents, les journalistes furent forcs de mettre fin auxprises de vue et lmission de radio. Des cassettes qui contenaient lesreportages films pendant les trois jours du sommet furent saisies et les

    disques durs des ordinateurs des avocats du GSF furent gravementendommags (jugement de premire instance, pp. 300-310).

    F. Les vnements qui suivirent lirruption dans les coles Diaz-

    Pertini et Pascoli

    38. Aprs lirruption dans lcole Diaz-Pertini, les forces de lordrevidrent les sacs dos et les autres bagages des occupants, sans chercher en identifier les propritaires respectifs ni expliquer la nature delopration en cours. Elles runirent une partie des objets ainsi collectsdans un drapeau noir qui se trouvait dans la salle de gymnastique de lcole.

    Au cours de cette opration, certains occupants furent emmens dans cettemme salle et contraints de sasseoir ou de sallonger par terre (jugement de

    premire instance, pp. 285-300).39. Les quatre-vingt-treize occupants de lcole furent arrts et accuss

    dassociation de malfaiteurs visant au saccage et la dvastation.40. Ils furent pour la plupart conduits dans des hpitaux de la ville.

    Certains dentre deux furent transfrs immdiatement dans la caserne deBolzaneto.

    41. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le chef de l unit de presse de lapolice italienne, interview proximit des coles, dclara que, au cours de

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    la perquisition, la police avait trouv des vtements et cagoules noirssimilaires ceux utiliss par les black blocks. Il ajouta que les nombreuses

    taches de sang dans le btiment sexpliquaient par les blessures que laplupart des occupants de lcole Diaz-Pertinise seraient faites au cours desaccrochages de la journe (jugement de premire instance, pp. 170-172).

    42. Le lendemain, la prfecture de policede Gnes, la police montra la presse les objets saisis lors de la perquisition, dont deux cocktailsMolotov. La tenue dun agent, qui avait particip lirruption dans lcoleDiaz-Pertini, fut galement montre ; elle prsentait une dchirure nette qui

    pouvait avoir t cause par un coup de couteau (ibidem).43. Les poursuites engages contre les occupants des chefs dassociation

    de malfaiteurs visant au saccage et la dvastation, de rsistance aggraveaux forces de lordre et de port abusif darmes ont abouti lacquittement

    des intresss.

    G. La procdure pnale engage contre des membres des forces de

    lordre pour lirruption dans les coles Diaz-Pertini et Pascoli

    44. Le parquet de Gnes ouvrit une enqute en vue dtablir les lmentssur lesquels stait fonde la dcision de faire irruption dans l cole Diaz-Pertini, et dclaircir les modalits dexcution de lopration, lagression aucouteau qui aurait t perptre contre lun des agents et la dcouverte descocktails Molotov, ainsi que les vnements qui avaient eu lieu dans lcole

    Pascoli.45. En dcembre 2004, aprs environ trois ans dinvestigations, vingt-huit personnes parmi les fonctionnaires, cadres et agents des forces delordre furent renvoyes en jugement. Par la suite, deux autres procdures,concernant trois autres agents, furent jointes la premire.

    46. Le requrant stait constitu partie civile laudience prliminairedu 3 juillet 2004. Au total, le parties civiles, dont des dizaines doccupantsitaliens et trangers des deux coles ainsi que des syndicats et d autresassociations non gouvernementales, taient au nombre de cent dix-neuf.

    47. Cette procdure porta sur les vnements de lcole Diaz-Pertini,lieu dhbergement du requrant (paragraphes 31-34 ci-dessus), et sur ceux

    de lcole Pascoli (paragraphes 36 et 37 ci-dessus). Elle comporta lauditionde plus de trois cents personnes parmi les accuss et les tmoins(dont beaucoup dtrangers), deux expertises et lexamen dun abondantmatriel audio-visuel.

    1. Sur les vnements de lcole Diaz-Pertini

    48. Les chefs daccusation retenus relativement aux vnements delcole Diaz-Pertini furent les suivants : faux intellectuel, calomnie simpleet aggrave, abus dautorit publique (notamment du fait de larrestation

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    illgale des occupants), lsions corporelles simples et aggraves ainsi queport abusif darmes de guerre.

    a) Le jugement de premire instance

    49. Par le jugement no 4252/08 du 13 novembre 2008, dpos le11 fvrier 2009, le tribunal de Gnes dclara douze des accuss coupablesde dlits de faux (un accus), de calomnie simple (deux accuss) et decalomnie aggrave (un accus), de lsions corporelles simples et aggraves(dix accuss) ainsi que de port abusif darmes de guerre (deux accuss).Le tribunal les condamna des peines comprises entre deux et quatre ansdemprisonnement, linterdiction dexercer des fonctions publiques

    pendant toute la dure de la peine principale ainsi que, solidairement avec leministre de lIntrieur, au paiement des frais et dpens et au versement dedommages-intrts aux parties civiles, auxquelles le tribunal accorda une

    provision pouvant aller de 2 500 50 000 euros (EUR).Le requrant, en particulier, se vit accorder une provision de

    35 000 EUR, qui fut verse en juillet 2009 la suite dune saisie-arrt.50. Lors de la dtermination des peines principales, le tribunal prit en

    compte, en tant que circonstances attnuantes, le fait que les auteurs desdlits avaient un casier judiciaire vierge et quils avaient agi en tat de stresset de fatigue. Un condamn bnficia de la suspension conditionnelle de la

    peine et de la non-mention dans le casier judiciaire. Par ailleurs, enapplication de la loi no241 du 29 juillet 2006 tablissant les conditions

    remplir pour loctroi dune remise gnrale des peines (indulto), dix descondamns bnficirent dune remise totale de leur peine principale et lundeux, condamn quatre ans demprisonnement, bnficia dune remise de

    peine de trois ans.51. Dans les motifs du jugement (373 pages sur 527 au total), le tribunal

    carta, tout dabord, la thse selon laquelle lopration aurait t organiseds lorigine comme une expdition punitive contre les manifestants. Il ditadmettre que les forces de lordre pouvaient croire, la lumire desvnements qui avaient prcd lirruption (en particulier, les indicationsdes habitants du quartier et lagression contre la patrouille dans laprs-mididu 21 juillet paragraphes 26-27 ci-dessus), que lcole Diaz-Pertini

    hbergeait aussi des black blocks. Il estima cependant que les vnementslitigieux constituaient une violation claire la fois de la loi, de la dignithumaine et du respect de la personne (di ogni principio di umanit e dirispetto delle persone). En effet, selon lui, mme en prsence de black

    blocks, les forces de lordre ntaient autorises utiliser la force que dansla mesure o lemploi de celle-ci aurait t ncessaire pour vaincre larsistance violente des occupants, et ce sous rserve de respecter un rapportde proportionnalit entre la rsistance rencontre et les moyens utiliss.Or, souligna le tribunal, ni le requrant ni, par exemple, une autre occupantequi tait de petite stature nauraient pu accomplir des actes de rsistance tels

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    quils auraient justifi les coups qui leur avaient t assens et qui avaientcaus ecchymoses et fractures.

    52. Le tribunal souligna galement que le parquet navait pas demandle renvoi en jugement des auteurs matriels des violences, compte tenu de ladifficult de procder leur identification, et que la police navait pascoopr efficacement. Il nota cet gard que des photos anciennes desfonctionnaires accuss avaient t fournies au parquet et que sept ansavaient t ncessaires pour identifier un agent particulirement violent film au cours de lirruption , alors que sa coiffure le rendait aismentreconnaissable.

    53. Dans son apprciation de la responsabilit individuelle des accuss,le tribunal estima que, compte tenu des circonstances de laffaire, lesauteurs matriels avaient agi avec la conviction que leurs suprieurs

    tolraient les actes qui avaient t les leurs. Il prcisa que le fait que certainsfonctionnaires et cadres, prsents sur les lieux ds le dbut de l opration,navaient pas immdiatement empch la poursuite des violences avaitcontribu aux agissements des agents du VII Nucleo antisommossa et desautres membres des forces de lordre. Ds lors, aux yeux du tribunal, seulsces fonctionnaires et cadres pouvaient tre jugs coupables de complicit dedlit de lsions.

    54. Le tribunal se pencha ensuite sur la thse du parquet selon laquelleles forces de lordre avaient fabriqu de fausses preuves et relat desvnements fallacieux dans le but de justifier, a posteriori, la fois la

    perquisition et les violences.55. En ce qui concernait, notamment, le comportement des occupants

    avant lirruption de la police, le tribunal observa que les enregistrementsvido verss au dossier ne montraient pas de jets dobjets de grandedimension depuis le btiment mais que lon pouvait considrer, daprs lesdclarations dun tmoin et daprs lattitude des agents, films avec leurs

    boucliers levs au-dessus de leur tte, que quelques petits objets (pices demonnaie, boulons, etc.) avaient vraisemblablement t lancs sur les agents

    pendant quil essayaient denfoncer la porte dentre de lcole.56. Quant lagression au couteau prtendument subie par un agent, le

    tribunal, au vu des rsultats de lexpertise ralise sur la tenue de cet agent

    et des lments dont il disposait, exposa quil ne pouvait ni conclure quecette agression avait rellement eu lieu ni en exclure la possibilit.57. En outre, le tribunal nota que les deux cocktails Molotov montrs

    la presse le 22 juillet avaient t trouvs par la police dans la ville au coursde laprs-midi du 21 juillet et apports ensuite, linitiative du prfet de

    police adjoint de Gnes, dans la cour de lcole vers la fin de la perquisition,et quils staient pour finir retrouvs, dans des circonstances peu claires,

    parmi les objets collects qui avaient t rassembls dans le gymnase.58. Enfin, le tribunal estima que le procs-verbal de lopration

    contenait une description trompeuse des faits, car il faisait tat dune

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    rsistance violente de la part de lensemble des occupants et ne mentionnaitgure que la plupart de ceux-ci avaient t blesss par les forces de lordre.

    b) Larrt dappel

    59. Saisie par les accuss, par le parquet prs le tribunal de Gnes, par leprocureur gnral, par le ministre de lIntrieur (responsable civil) et par laplupart des victimes, dont le requrant, la cour dappel de Gnes, par sonarrt no 1530/10 du 18 mai 2010, dpos le 31 juillet 2010, rforma

    partiellement le jugement entrepris.60. Elle dclara les accuss coupables des dlits de faux (dix-sept

    accuss), de lsions aggraves (neuf accuss) et de port abusif d armes deguerre (un accus). Elle les condamna des peines comprises entre trois anset huit mois et cinq ans demprisonnement, et linterdiction prononce

    pour cinq ans dexercer des fonctions publiques. En application de la loino241 du 29 juillet 2006, tous les condamns bnficirent d une remise de

    peine de trois ans.61. Le dlai de prescription des dlits de calomnie aggrave

    (quatorze accuss), dabus dautorit publique du fait de larrestationillgale des occupants de lcole Diaz-Pertini (douze accuss) et de lsionssimples (neuf accuss) tant chu, la cour dappel pronona un non-lieu

    pour ceux-ci. Un non-lieu fut galement prononc en raison decirconstances attnuantes en faveur du chef du VII Nucleo antisommossa,condamn en premire instance pour lsions aggraves. Enfin, la cour

    dappel acquitta une personne accuse des dlits de calomnie simple et deport abusif darme de guerre, et une autre personne accuse du dlit decalomnie simple.

    62. Les condamnations au versement de dommages-intrts ainsi quauxfrais et dpens, rendues en premire instance, furent essentiellementconfirmes, avec extension des obligations civiles aux accuss qui avaientt condamns pour la premire fois en deuxime instance.

    63. Dans les motifs de larrt (120 pages sur 313 au total), la courdappel prcisa tout dabord que, mme si les soupons relatifs la prsencedes armes utilises par les black blocks lors de saccages pouvaient justifier,en principe, la perquisition des coles, les indices permettant de conclure

    que tous les occupants des deux coles taient arms et pouvaient treconsidrs comme appartenant aux black blocks taient nanmoins trsfaibles.

    64. La cour dappel indiqua ensuite que plusieurs lments dmontraientque lopration ne visait nullement lidentification des black blocks etquelle tait dune tout autre nature.

    65. En premier lieu, les plus hauts responsables de la police auraient, dsla planification de la perquisition , prvu que les premires lignes desforces de lordre seraient constitues du VII Nucleo antisommossa etdautres agents lourdement arms ; aucune consigne, notamment concernant

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    lutilisation de la force contre les occupants, naurait t donne cesunits, leur seule tche tant de scuriser (mettere in sicurezza) le

    btiment.66. En deuxime lieu, mme des personnes qui se trouvaient

    lextrieur de lcole Diaz-Pertini et qui navaient pas montr le moindresigne de rsistance auraient t immdiatement attaques par les forces delordre.

    67. En troisime lieu, les forces de lordre auraient donn lassaut endfonant les portes sans avoir essay ni de parlementer avec les occupantsen leur expliquant quune perquisition inoffensive devait avoir lieu, nide se faire ouvrir pacifiquement la porte, lgitimement ferme par ceux-ciselon la cour dappel. Une fois dans le btiment, les agents auraientsystmatiquement frapp les occupants dune faon cruelle et sadique,

    y compris au moyen de matraques non rglementaires. Selon la courdappel, les traces de sang visibles sur les photos prises au cours delinspection des lieux taient fraches et ne pouvaient tre que le rsultat deces violences, contrairement la thse honteuse ( vergognosa tesi)selon laquelle elles provenaient des blessures survenues lors desaccrochages des jours prcdents.

    68. la lumire de ces lments, la cour d appel estima que le but detoute lopration tait de procder de nombreuses arrestations, mme enlabsence de finalit dordre judiciaire, lessentiel tant que celles-ci

    parviennent restaurer auprs des mdias limage dune police peruecomme impuissante. Les plus hauts fonctionnaires des forces de lordreauraient donc rassembl autour du VII Nucleo antisommossa une unitlourdement arme, quipe de matraques de type tonfa dont les coups

    pouvaient tre mortels, et lui auraient donn pour unique consigne deneutraliser les occupants de lcole Diaz-Pertini, en stigmatisant ceux-cicomme tant de dangereux casseurs, auteurs des saccages des jours

    prcdents. La conduite violente et coordonne de tous les agents ayantparticip lopration aurait t la consquence naturelle de ces indications.

    69. Ainsi, daprs la cour dappel, au moins tous les fonctionnaires enchef et les cadres du VII Nucleo antisommossataient coupables des lsionsinfliges aux occupants. Quant aux responsables de la police de rang plus

    lev, la cour dappel prcisa que la dcision de ne pas demander leurrenvoi en jugement empchait dapprcier leur responsabilit au pnal.70. De plus, selon la cour dappel, une fois prise la dcision dinvestir

    ltablissement et de procder aux arrestations, les forces de lordre avaienttent de justifier leur intervention a posteriori.

    71. cet gard, la cour dappel nota, dune part, que, au cours delenqute, on avait attribu aux occupants des dlits qu ils navaient pascommis : en effet, selon elle, il ne ressortait aucunement de linstruction nique les occupants eussent rsist aux forces de lordre ni quils eussentlanc des objets sur elles tandis quelles stationnaient dans la cour de

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    lcole, les boucliers de quelques agents tant levs vraisemblablement parsimple prcaution ; et surtout, compte tenu de lensemble des circonstances,

    lagression au couteau prtendument subie par un agent au cours delirruption se serait rvle comme tant une impudente mise en scne .

    72. La cour dappel releva dautre part que les plus hauts fonctionnairesdes forces de lordre, prsents sur les lieux, avaient convenu de placer lesdeux cocktails Molotov, trouvs ailleurs au cours de laprs-midi, parmi lesobjets recueillis lors de la perquisition, et ce dans le but de justifier ladcision deffectuer la perquisition et darrter les occupants de lcole.Pour la cour dappel, cette arrestation, dpourvue de toute base factuelle et

    juridique, avait donc t illgale.73. Dans la dtermination des peines infliger, la cour dappel estima

    que, exception faite du chef du VII Nucleo antisommossaqui avait essay de

    limiter les violences et avait, finalement, avou les dlits au cours desdbats, aucune circonstance attnuante ne pouvait tre retenue pour lesautres accuss. Sappuyant notamment sur les dclarations du requrant, lacour dappel souligna que les agents des forces de lordre staienttransforms en matraqueurs violents , indiffrents toute vulnrabilit

    physique lie au sexe et lge ainsi qu tout signe de capitulation, mmede la part de personnes que le bruit de lassaut venait de rveiller

    brusquement. Elle indiqua que, cela, les agents avaient ajout injures etmenaces. Ce faisant, ils auraient jet sur lItalie le discrdit de lopinion

    publique internationale. De surcrot, une fois les violences perptres, lesforces de lordre auraient avanc toute une srie de circonstances la chargedes occupants, inventes de toutes pices.

    Le caractre systmatique et coordonn des violences de la part despoliciers ainsi que lesdites tentatives de les justifier a posterioridnotaient,aux yeux de la cour dappel, un comportement conscient et concert pluttquun tat de stress et de fatigue.

    74. Cependant, tenant compte du fait que toute lopration en cause avaitpour origine la directive du chef de la police de procder des arrestationset que les accuss avaient ds lors clairement agi sous cette pression

    psychologique, la cour dappel dtermina les peines en prenant en compte leminimum prvu par la loi pnale pour chacun des dlits en question.

    c) Larrt de la Cour de cassation

    75. Les accuss, le procureur gnral prs la cour dappel de Gnes, leministre de lIntrieur (responsable civil) et certaines des victimes se

    pourvurent en cassation contre larrt dappel ; le requrant et dautresvictimes se constiturent parties dans la procdure.

    76. Par larrt no38085/12 du 5 juillet 2012, dpos le 2 octobre 2012, laCour de cassation confirma pour lessentiel larrt entrepris, dclaranttoutefois prescrit le dlit de lsions aggraves pour lequel dix accuss et

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    neuf accuss avaient t condamns respectivement en premire et endeuxime instance (paragraphe 49 et 60 ci-dessus).

    77. Dans les motifs de son arrt (71 pages sur 186 au total), la Cour decassation se pencha tout dabord sur lexception de constitutionnalit delarticle 157 du code pnal, en matire de prescription des infractions

    pnales, souleve par le procureur gnral sur le terrain de larticle 3 de laConvention et, par ricochet, de larticle 117, premier alina, de laConstitution. Elle observa que comme les dcisions de premire et dedeuxime instance lauraient constat et comme, dailleurs, cela naurait

    jamais t contest les violences perptres par la police au cours de leurirruption dans lcole Diaz-Pertini [avaient] t dune gravit inhabituelle .La gravit absolue aurait tenu ce que ces violences gnralises,commises dans tous les locaux de lcole, staient dchanes contre des

    personnes lvidence dsarmes, endormies ou assises les mains en lair ;il sagissait donc de violences injustifies et, comme laurait soulign

    juste titre par le procureur gnral, [exerces dans] un but punitif, un but dereprsailles, visant provoquer lhumiliation et la souffrance physique etmorale des victimes . Ces violences, daprs la Cour de cassation,

    pouvaient relever de la torture aux termes de la Convention contre latorture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dgradants ou

    bien des traitements inhumains ou dgradants aux termes de larticle 3de la Convention.

    78. La Cour de cassation releva que, en labsence dune infractionpnale ad hoc dans lordre juridique italien, les violences en cause avaientt poursuivies au titre des dlits de lsions corporelles simples ouaggraves, lesquels, en application de larticle 157 du code pnal, avaientfait lobjet dun non-lieu pour cause de prescription au cours de la

    procdure. Elle nota que ctait la raison pour laquelle le procureur gnralavait dnonc la contradiction entre la rglementation de la prescription desinfractions pnales prvue par larticle 157 du code pnal dans la mesureo cette disposition ne compterait pas les mauvais traitements aux termes delarticle 3 de la Convention parmi les dlits imprescriptibles et larticle 3de la Convention qui, selon une jurisprudence bien tablie de la Cour,entranerait lobligation de sanctionner de faon adquate les mauvais

    traitements et ferait ds lors obstacle la prescription des dlits ou delaction pnale en la matire.La Cour de cassation estima, cependant, quun changement des rgles de

    la prescription, tel quenvisag par le procureur gnral, chappait auxpouvoirs de la Cour constitutionnelle, au motif que, selon larticle 25 de laConstitution italienne, seule la loi pouvait tablir les infractions et lessanctions pnales.

    79. Sagissant des condamnations pour dlits de lsions corporelles, laCour de cassation, aprs avoir rappel les faits ayant prcd l irruptionlitigieuse de la police (paragraphes 25-30 ci-dessus), estima logique la

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    constatation de la cour dappel selon laquelle la directive du chef de lapolice de procder des arrestations aurait entran, ds lorigine, la

    militarisation de lopration de perquisition que la police tait censeraliser dans lcole. Pour la Cour de cassation, le nombre trs levdagents, le dfaut dinstructions quant aux alternatives un assaut au gazlacrymogne contre lcole (paragraphe 29 ci-dessus) et labsence de toutedirective concernant lutilisation de la force contre les occupants montraient,

    parmi dautres lments, que cette opration navait pas t conue commeune perquisition inoffensive. Ces modalits oprationnelles auraient entranle passage tabac de presque tous les occupants de l cole, do laconfirmation de la responsabilit, entre autres, des fonctionnaires la ttedu VII Nucleo antisommossa. Dabord, ceux-ci nauraient fourni aucuneindication sur la manire de scuriser le btiment et n auraient jamais

    inform les agents de la possible prsence de personnes inoffensives ;en outre, ils nauraient pas empch lagression contre des personnes qui setrouvaient lextrieur du btiment, lirruption violente dans lcole etlassaut contre les occupants du lieu. En conclusion, comme la cour d appellaurait jug raison, ces fonctionnaires auraient t conscients que laviolence tait concomitante de ce type dopration.

    La Cour de cassation nota que, cependant, mme les dlits de lsionscorporelles aggraves avaient t prescrits le 3 aot 2010 par le jeu desdlais, des critres de calcul et des interruptions procdurales prvues parles articles 157 et suivants du code pnal, tels que modifis par la loi n o251du 5 dcembre 2005.

    80. La Cour de cassation confirma, en outre, les conclusions de l arrtdappel quant aux dlits de faux, de calomnie et de port abusif d armes deguerre commis, dans le cadre dune opration sclrate de mystification ,

    pour justifier a posteriori les violences perptres dans lcole etlarrestation des occupants. Elle releva, dune part, que les occupants delcole navaient pas oppos de rsistance, ni avant lenfoncement de la

    porte dentre ni lintrieur des locaux, et, dautre part, que les occupantsntaient pas en possession de cocktails Molotov, ceux-ci ayant tintroduits dans lcole par la police depuis lextrieur. Aussi la Cour decassation conclut-elle au caractre fallacieux des rapports de police qui

    attestaient le contraire et au caractre calomnieux de laccusationdassociation de malfaiteurs formule contre les occupants. Quant auxconclusions de larrt dappel concernant lagression au couteau

    prtendument subie par un agent, la Cour de cassation se limita prciser lapeine prononce contre deux agents condamns de ce fait pour faux (troisans et cinq mois, comme indiqu dans la motivation de l arrt dappel, aulieu de trois ans et huit mois, comme indiqu dans le dispositif). Enfin, elle

    pronona une peine de trois ans et trois mois contre un condamn pour dlitde faux, du fait de la prescription du dlit de lsions corporelles aggraves et

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    de linapplicabilit en dcoulant du critre de calcul prvu par larticle 81 ducode pnal en raison du caractre continu des dlits.

    2. Sur les vnements de lcole Pascoli

    81. Les chefs daccusation retenus pour les vnements de lcolePascoli furent, notamment, les dlits de perquisition arbitraire et dedommages matriels.

    82. Par le jugement no4252/08 (paragraphe 49 ci-dessus), le tribunal deGnes estima que lirruption des agents de police dans lcole Pascoli taitla consquence dune erreur dans lidentification du btiment

    perquisitionner. Il jugea en outre quil ny avait pas de preuves certainespermettant de conclure que les accuss avaient effectivement commis danslcole Pascoli les dgts dnoncs.

    83. Par larrt no1530/10 (paragraphe 59 ci-dessus), la cour dappel deGnes estima, en revanche, quil ny avait pas derreur ou de malentendu lorigine de lirruption de la police dans lcole Pascoli. Selon la courdappel, les forces de lordre avaient voulu supprimer toute preuve filme delirruption qui se droulait dans lcole voisine Diaz-Pertini et elles avaientendommag volontairement les ordinateurs des avocats. La cour dappel

    pronona toutefois un non-lieu lgard du fonctionnaire de police accuspour cause de prescription des dlits litigieux.

    84. Par larrt no 38085/12 (paragraphe 76 ci-dessus), la Cour decassation confirma cette dcision. Elle souligna que la cour d appel avait

    pleinement justifi ses conclusions en relevant que, dans lcole Pascoli, lapolice avait accompli une perquisition arbitraire, visant la recherche et ladestruction du matriel audiovisuel et de toute autre documentationconcernant les vnements de lcole Diaz-Pertini.

    H. Lenqute parlementaire dinformation

    85. Le 2 aot 2001, les prsidents de la Chambre des dputs et du Snatdcidrent quune enqute dinformation (indagine conoscitiva) sur les faitssurvenus lors du G8 de Gnes serait mene par les commissions desAffaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. cette fin, il

    fut cr une commission compose de dix-huit dputs et de dix-huitsnateurs.

    86. Le 20 septembre 2001, la commission dposa un rapport contenantles conclusions de sa majorit, intitul Rapport final de lenqute

    parlementaire sur les faits survenus lors du G8 de Gnes . Daprs cerapport, la perquisition dans lcole Diaz-Pertini appar[aissait] commetant peut-tre lexemple le plus significatif de carences organisationnelleset de dysfonctionnements oprationnels .

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    II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A. Les dispositions pnales pertinentes

    87. Larticle 39 du code pnal (CP) distingue les infractions pnalessuivant deux catgories : les dlits (delitti) et les contraventions(contravvenzioni).

    1. Les chefs dinculpation retenus relativement aux vnements delcole Diaz-Pertini et les dispositions pertinentes aux fins de ladtermination des peines

    88. Daprs larticle 323 du CP, lofficier public ou la personne charge

    dun service public qui, dans laccomplissement de ses fonctions ou de sonservice, de manire intentionnelle et en violation de dispositions lgales ourglementaires, se procure ou procure dautres un avantage patrimonialinjuste ou cause autrui un prjudice injuste (dlit dabus dautorit

    publique) est puni dune peine demprisonnement de six mois trois ans.89. Selon larticle 368 1 et 2 du CP, toute personne qui, par le biais

    dune dnonciation adresse soit lautorit judiciaire soit toute autreautorit ayant le devoir de saisir lautorit judiciaire, accuse une personnedavoir commis un dlit tout en sachant que celle-ci est innocente oufabrique des indices la charge de celle-ci est puni dune peinedemprisonnement de deux six ans. La peine est augmente si le dlit qui

    constitue lobjet de la dnonciation calomnieuse est puni dau moins six ansdemprisonnement.90. Aux termes de larticle 479 du CP, lofficier public ou lindividu

    charg dun service public qui, en recevant ou en produisant un documentdans lexercice de ses fonctions, atteste tort lexistence matrielle des faitsexposs comme ayant t accomplis par lui-mme ou comme stant passsen sa prsence ou qui altre autrement la prsentation des faits dont ledocument vise tablir la preuve (faux intellectuel en critures) est punidune peine demprisonnement dun an six ans ou, si le document a fait foi

    jusqu inscription de faux, de trois dix ans.91. Larticle 582 du CP tablit que toute personne qui cause autrui une

    lsion ayant entran une infirmit physique ou mentale est punie de troismois dix ans demprisonnement.

    Aux termes de larticle 583 du CP, la lsion est considre comme grave et est punie dune peine demprisonnement de trois sept ans sielle entrane, notamment, une infirmit ou une incapacit temporairesuprieure quarante jours.

    Selon larticle 585 du CP, ces peines sont augmentes, en particulier,jusqu un tiers en prsence des circonstances aggravantes envisages parlarticle 577 du CP (par exemple si le dlit est commis avec prmditation

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    ou dans une des circonstances aggravantes prvues par larticle 61, nos 1 et 4(paragraphe 93 ci-aprs)).

    92. Selon larticle 2 de la loi no

    895 du 2 octobre 1967, la dtentionillgale darmes ou dexplosifs est punie dune peine demprisonnementdun an huit ans ainsi que dune amende.

    Larticle 4 de la mme loi sanctionne le port darmes ou dexplosifs dansun lieu public ou ouvert au public dune peine demprisonnement de deux huit ans, en sus dune amende ; ces peines sont augmentes, entre autres, sile dlit est commis par deux ou plusieurs personnes ou sil est commis lanuit dans un lieu habit.

    93. Le CP prvoit comme circonstances aggravantes communes, entreautres, la commission du dlit pour des motifs futiles ou abjects(article 61 1), la commission du dlit pour cacher un autre dlit (article 61

    2), la commission de svices ou dactes cruels lencontre dune personne(article 61 4) et, enfin, la commission du dlit dabus de pouvoir inhrents lexercice dune fonction publique ou de violation des devoirs inhrents lexercice dune fonction publique.

    Larticle 62 numre les circonstances attnuantes communes.Aux termes de larticle 62-bisdu CP, dans la dtermination de la peine, le

    juge peut prendre en considration toute circonstance qui nest pas viseexpressment par larticle 62 et qui peut justifier la diminution de la peine.

    94. En cas de condamnation dans la mme dcision du chef de plusieursdlits, les peines demprisonnement se cumulent tout comme les amendes

    prvues pour les divers dlits (articles 71, 73 et 74 du CP). Toutefois, lapeine demprisonnement ainsi calcule ne peut pas dpasser, globalement,le quintuple de la peine la plus lourde dont est passible un de ces dlits et,en tout tat de cause, elle ne peut pas dpasser trente ans (article 78 1 duCP).

    95. Si plusieurs dlits sont commis par le biais de plusieurs actions ouomissions en lien avec le mme projet dlictuel, le juge doit infliger la peine

    prvue pour le dlit le plus grave, augmente jusquau triple et toujours dansla limite des plafonds indiqus, notamment, par l article 78 (article 81 duCP).

    2. La prescription des infractions pnales96. La prescription constitue lun des motifs dextinction des infractions

    pnales (Chapitre I du Titre VI du Livre I du CP). Sa rglementation a tmodifie par la loi no251 du 5 dcembre 2005 et par le dcret-loi no92 du23 mai 2008.

    97. Daprs larticle 157 1 du CP, linfraction pnale est prescrite aprslcoulement dun laps de temps quivalent la dure de la peine maximale

    prvue par la loi et pour autant que ce laps de temps ne soit pas infrieur six ans pour les dlits et quatre ans pour les contraventions.

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    98. Les deuxime, troisime et quatrime paragraphes de larticle 157fixent les critres de calcul du dlai de prescription ; le cinquime

    paragraphe prvoit un dlai de prescription de trois ans pour une infractionpnale si celle-ci nest punie ni par la dtention ni par une peine pcuniaire.Le sixime paragraphe double les dlais de prescription, calculs l aunedes paragraphes prcdents, pour certains dlits (dont lassociation demalfaiteurs de type mafieux, la traite dtres humains, lenlvement, le traficde drogue). Aux termes du huitime paragraphe du mme article, les dlitssanctionns par la peine demprisonnement perptuit sontimprescriptibles.

    99. Laccus peut toujours renoncer expressment la prescription(article 157 7 du CP).

    100. Larticle 158 1 du CP dispose que le dlai de prescription court

    partir de la commission de linfraction pnale.101. Daprs larticle 160 du CP, le dlai de prescription est prorog en

    cas dinterruptions de nature procdurale, parmi lesquelles figure lejugement de condamnation. Selon le deuxime paragraphe de larticle 161,exception faite de certains dlits qui ne sont pas pertinents en l espce,lesdites interruptions ne peuvent pas prolonger le dlaicalcul laune delarticle 157 de plus dun quart et, dans certains cas, de plus de la moiti(dans certains cas de rcidive), de plus de deux tiers (dans le cas de rcidiveritre) ou de plus du double (si lauteur de linfraction est un dlinquanthabituel).

    B. La loi no241 du 29 juillet 2006 (octroi dune remise de peine)

    102. La loi no 241 du 29 juillet 2006 tablit les conditions de l octroidune remise gnrale des peines (indulto). Elle contient un seul article qui,dans sa partie pertinente en lespce, se lit comme suit :

    1. Pour tous les dlits commis jusquau 2 mai 2006, il est octroy une remise depeine de trois ans maximum sagissant dune peine demprisonnement et de10 000 euros maximum sagissant dune peine pcuniaire seule ou en conjonctionavec une peine demprisonnement (...)

    C. Laction civile en lien avec une infraction pnale

    103. Daprs les articles 75 et 76 du code de procdure pnale, toutepersonne ayant subi un prjudice rsultant dune infraction pnale peutintroduire une action civile devant les juridictions civiles ou devant les

    juridictions pnales.104. Devant les juridictions pnales, laction civile est introduite par la

    voie de la constitution de partie civile dans la procdure pnale.

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    D. Rapport sur ladministration de la justice pour lanne 2013

    105. Le Rapport sur ladministration de la justice pour lanne 2013 dupremier prsident de la Cour de cassation, prsent le 24 janvier 2014 lorsde louverture de lanne judiciaire, se lit ainsi dans sa partie pertinente enlespce (page 29, traduction du greffe) :

    Depuis 1989, [...] lItalie a ratifi la Convention des Nations unies contre la torture,sengageant [ainsi] introduire dans notre systme juridique cette infraction pnaletrs grave, et tablissant son imprescriptibilit ainsi que linapplicabilit de mesurescomme lamnistie et la grce. Vingt-cinq ans aprs rien n a t fait, de sorte que lesactes de torture qui sont commis en Italie tombent invitablement sous l empire de la

    prescription, faute dune loi sanctionnant la torture en tant que telle par linfliction depeines adquates proportionnes la gravit des faits.

    E. Proposition de loi visant lintroduction du dlit de torture dans

    lordre juridique italien

    106. Le 5 mars 2014, le Snat italien a approuv une proposition de loi(noS-849, qui fusionne les projets nosS-10, S-362, S-388, S-395, S-849 etS-874) visant lintroduction du dlit de torture dans lordre juridiqueitalien. Cette proposition a t transmise par la suite la Chambre desdputs pour approbation.

    III. LMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL

    A. Dclaration universelle des droits de lhomme

    107. Larticle 5 de la Dclaration universelle des droits de lhomme du10 dcembre 1948 dispose :

    Nul ne sera soumis la torture, ni des peines ou traitements cruels, inhumains oudgradants.

    B. Pacte international relatif aux droits civils et politiques

    108. Larticle 7 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques du 16 dcembre 1966, entr en vigueur le 23 mars 1976 et ratifipar lItalie le 15 septembre 1978, dispose :

    Nul ne sera soumis la torture ni des peines ou traitements cruels, inhumains oudgradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libreconsentement une exprience mdicale ou scientifique.

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    ARRT CESTARO c. ITALIE 21

    C. Convention contre la torture et autres peines ou traitements

    cruels, inhumains ou dgradants

    109. Les articles pertinents en lespce de la Convention contre la tortureet autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dgradants du10 dcembre 1984, entre en vigueur le 26 juin 1987 et ratifie par lItalie le12 janvier 1989, sont ainsi libells :

    Article 1

    1. Aux fins de la prsente Convention, le terme torture dsigne tout acte parlequel une douleur ou des souffrances aigus, physiques ou mentales, sontintentionnellement infliges une personne aux fins notamment d obtenir delle oudune tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir dun acte quelleou une tierce personne a commis ou est souponne davoir commis, de lintimider ou

    de faire pression sur elle ou dintimider ou de faire pression sur une tierce personne,ou pour tout autre motif fond sur une forme de discrimination quelle quelle soit,lorsquune telle douleur ou de telles souffrances sont infliges par un agent de lafonction publique ou toute autre personne agissant titre officiel ou son instigationou avec son consentement exprs ou tacite. Ce terme ne s tend pas la douleur ouaux souffrances rsultant uniquement de sanctions lgitimes, inhrentes cessanctions ou occasionnes par elles.

    2. Cet article est sans prjudice de tout instrument international ou de toute loinationale qui contient ou peut contenir des dispositions de porte plus large.

    Article 2

    1. Tout tat partie prend des mesures lgislatives, administratives, judiciaires etautres mesures efficaces pour empcher que des actes de torture soient commis danstout territoire sous sa juridiction.

    2. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle quelle soit, quil sagisse de ltat deguerre ou de menace de guerre, dinstabilit politique intrieure ou de tout autre tatdexception, ne peut tre invoque pour justifier la torture.

    3. Lordre dun suprieur ou dune autorit publique ne peut tre invoqu pourjustifier la torture.

    Article 4

    1. Tout tat partie veille ce que tous les actes de torture constituent desinfractions au regard de son droit pnal. Il en est de mme de la tentative de pratiquerla torture ou de tout acte commis par n importe quelle personne qui constitue une

    complicit ou une participation lacte de torture.2. Tout tat partie rend ces infractions passibles de peines appropries qui prennent

    en considration leur gravit.

    Article 5

    1. Tout tat partie prend les mesures ncessaires pour tablir sa comptence auxfins de connatre des infractions vises larticle 4 dans les cas suivants :

    a) Quand linfraction a t commise sur tout territoire sous la juridiction dudit tatou bord daronefs ou de navires immatriculs dans cet tat ;

    b) Quand lauteur prsum de linfraction est un ressortissant dudit tat ;

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    c) Quand la victime est un ressortissant dudit tat et que ce dernier le jugeappropri.

    2. Tout tat partie prend galement les mesures ncessaires pour tablir sacomptence aux fins de connatre desdites infractions dans le cas o l auteur prsumde celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et o ledit tat ne lextrade

    pas conformment larticle 8 vers lun des tats viss au paragraphe 1 du prsentarticle.

    3. La prsente Convention ncarte aucune comptence pnale exerceconformment aux lois nationales.

    Article 10

    1. Tout tat partie veille ce que lenseignement et linformation concernantlinterdiction de la torture fassent partie intgrante de la formation du personnel civilou militaire charg de lapplication des lois, du personnel mdical, des agents de la

    fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde,linterrogatoire ou le traitement de tout individu arrt, dtenu ou emprisonn dequelque faon que ce soit.

    2. Tout tat partie incorpore ladite interdiction aux rgles ou instructions dictesen ce qui concerne les obligations et les attributions de telles personnes.

    Article 11

    Tout tat partie exerce une surveillance systmatique sur les rgles, instructions,mthodes et pratiques dinterrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et letraitement des personnes arrtes, dtenues ou emprisonnes de quelque faon que cesoit sur tout territoire sous sa juridiction, en vue dviter tout cas de torture.

    Article 12

    Tout tat partie veille ce que les autorits comptentes procdentimmdiatement une enqute impartiale chaque fois quil y a des motifs raisonnablesde croire quun acte de torture a t commis sur tout territoire sous sa juridiction.

    Article 13

    Tout tat partie assure toute personne qui prtend avoir t soumise la torturesur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autoritscomptentes dudit tat qui procderont immdiatement et impartialement lexamende sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et destmoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plaintedpose ou de toute dposition faite.

    Article 14

    1. Tout tat partie garantit, dans son systme juridique, la victime dun acte detorture, le droit dobtenir rparation et dtre indemnise quitablement et de manireadquate, y compris les moyens ncessaires sa radaptation la plus complte

    possible. En cas de mort de la victime rsultant dun acte de torture, les ayants causede celle-ci ont droit indemnisation.

    2. Le prsent article nexclut aucun droit indemnisation quaurait la victime outoute autre personne en vertu des lois nationales.

    Article 16

    1. Tout tat partie sengage interdire dans tout territoire sous sa juridictiondautres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dgradants

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    ARRT CESTARO c. ITALIE 23

    qui ne sont pas des actes de torture telle quelle est dfinie larticle premier lorsquede tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personneagissant titre officiel, ou son instigation ou avec son consentement exprs outacite. En particulier, les obligations nonces aux articles 10, 11, 12 et 13 sontapplicables cables moyennant le remplacement de la mention de la torture par lamention dautres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dgradants.

    2. Les dispositions de la prsente Convention sont sans prjudice des dispositionsde tout autre instrument international ou de la loi nationale qui interdisent les peinesou traitements cruels, inhumains ou dgradants, ou qui ont trait lextradition ou lexpulsion.

    D. Dclaration sur la protection de toutes les personnes contre la

    torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou

    dgradants

    110. Les articles pertinents en lespce de la Dclaration sur laprotection de toutes les personnes contre la torture et autres peines outraitements cruels, inhumains ou dgradants, adopte par lAssemblegnrale des Nations unies le 9 dcembre 1975, sont ainsi libells :

    Article 4

    Tout tat, conformment aux dispositions de la prsente Dclaration, prend desmesures effectives pour empcher que la torture et autres peines ou traitements cruels,inhumains ou dgradants ne soient pratiqus dans sa juridiction.

    Article 7

    Tout tat veille ce que tous les actes de torture, tels quils sont dfinis larticlepremier, soient des dlits au regard de sa lgislation pnale. Les mmes dispositionsdoivent sappliquer aux actes qui constituent une participation, une complicit ou uneincitation la torture ou une tentative de pratiquer la torture.

    Article 10

    Si une enqute effectue conformment larticle 8 ou larticle 9 tablit quunacte de torture, tel quil est dfini larticle premier, a t manifestement commis, une

    procdure pnale est institue, conformment la lgislation nationale, contre le oules auteurs prsums de lacte. Si une allgation concernant dautres formes de peinesou traitements cruels, inhumains ou dgradants est considre comme fonde, le oules auteurs prsums font lobjet de procdures pnales ou disciplinaires ou d autres

    procdures appropries.

    Article 11

    Quand il est tabli quun acte de torture ou dautres peines ou traitements cruels,inhumains ou dgradants ont t commis par un agent de la fonction publique ou soninstigation, la victime a droit rparation et indemnisation, conformment lalgislation nationale.

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    24 ARRT CESTARO c. ITALIE

    E. Principes de base de lONU sur le recours la force et lutilisation

    des armes feu par les responsables de lapplication des lois

    111. Adopts le 7 septembre 1990 par le huitime Congrs des Nationsunies pour la prvention du crime et le traitement des dlinquants, ces

    principes disposent, en leurs parties pertinentes en lespce :

    (...)

    3. La mise au point et lutilisation darmes non meurtrires neutralisantes devraientfaire lobjet dune valuation attentive afin de rduire au minimum les risques lgard des tiers et lutilisation de telles armes devrait tre soumise un contrlestrict.

    4. Les responsables de lapplication des lois, dans laccomplissement de leursfonctions, auront recours autant que possible des moyens non violents avant de faire

    usage de la force ou darmes feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou d armes feu que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d escompter lersultat dsir.

    5. Lorsque lusage lgitime de la force ou des armes feu est invitable, lesresponsables de lapplication des lois :

    a) En useront avec modration et leur action sera proportionnelle la gravit delinfraction et lobjectif lgitime atteindre ;

    b) Sefforceront de ne causer que le minimum de dommages et d atteintes lintgrit physique et de respecter et de prserver la vie humaine ;

    c) Veilleront ce quune assistance et des secours mdicaux soient fournis aussirapidement que possible toute personne blesse ou autrement affecte;

    d) Veilleront ce que la famille ou des proches de la personne blesse ou autrementaffecte soient avertis le plus rapidement possible.

    (...)

    7. Les Gouvernements feront en sorte que lusage arbitraire ou abusif de la force oudes armes feu par les responsables de l application des lois soit puni comme uneinfraction pnale, en application de la lgislation nationale.

    8. Aucune circonstance exceptionnelle, comme linstabilit de la situation politiqueintrieure ou un tat durgence, ne peut tre invoque pour justifier une drogation ces Principes de base.

    (...)

    24. Les pouvoirs publics et les autorits de police doivent faire en sorte que lessuprieurs hirarchiques soient tenus pour responsables si, sachant ou tant censssavoir que des agents chargs de lapplication des lois placs sous leurs ordres ont ouont eu recours lemploi illicite de la force ou des armes feu, ils n ont pas pristoutes les mesures en leur pouvoir pour empcher, faire cesser ou signaler cet abus.

    F. Observations du Comit des droits de lhomme des Nations unies

    112. Les Observations finales du Comit des droits de lhomme desNations unies concernant lItalie, publies le 18 aot 1998

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    (UN Doc. CCPR/C/79/Add.94), se lisent comme suit en leurs partiespertinentes en lespce :

    13. Le Comit demeure proccup par linsuffisance des sanctions lencontredes membres de la police et du personnel pnitentiaire qui abusent de leur pouvoir. Ilrecommande de suivre avec la vigilance requise le rsultat des plaintes dposescontre des membres des Carabinieri et du personnel pnitentiaire.

    (...)

    19. Le Comit note que des obstacles continuent de retarder ladoption des textes delois suivants : incorporation dans le Code pnal du dlit de torture au sens o il estdfini en droit international (article 7 [du Pacte international relatif aux droits civils et

    politiques] (...)

    G. Actes du Comit des Nations unies contre la Torture

    113. Les Observations conclusives du Comit des Nations unies contrela torture ( CAT ) publies le 1erjanvier 1995 (UN Doc. A/50/44(SUPP)),se lisent ainsi en ce qui concerne lItalie :

    157. Le Comit recommande ce qui suit ltat partie :

    (...)

    d) Vrifier que les plaintes faisant tat de mauvais traitements et dactes de torturesoient promptement lobjet dune enqute efficace, et imposer aux responsablesventuels une peine approprie, qui sera effectivement excute (...).

    114. Les Observations conclusives du CAT publies le 1erjanvier 1999(A/54/44(SUPP)), se lisent ainsi en ce qui concerne lItalie :

    141. Le Comit note avec satisfaction :

    a) Que lintroduction dans le droit interne dune caractrisation du crime de tortureest ltude, de mme que lexistence dun fonds spcial lintention des victimesdactes de cette nature (...).

    (...)

    145. Le Comit recommande :

    a) Que le lgislateur italien qualifie de crime au regard du droit interne tout acterpondant la dfinition de la torture donne larticle premier de la Convention, etquil prenne les dispositions voulues pour instituer des moyens de rparation

    appropris pour les victimes de la torture (...)

    115. Les Conclusions et recommandations du CAT concernant lItalie,publies le 16 juillet 2007 (UN Doc. CAT/C/ITA/CO/4), se lisent ainsi :

    5. Bien que ltat partie affirme que tous les actes pouvant tre qualifis detorture au sens de larticle premier de la Convention sont punissables en vertu duCode pnal italien et tout en prenant note du projet de loi (proposition de loisnatoriale no1216) qui a t approuv par la Chambre des dputs et est actuellementen attende dexamen par le Snat, le Comit demeure proccup par le fait que ltat

    partie na pas encore incorpor en droit interne le crime de torture tel qu il est dfini larticle premier de la Convention (articles 1 et 4). (...)

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    Le Comit ritre sa prcdente recommandation (A/54/44, par. 145 a)) tendant ceque ltat partie entreprenne dincorporer le crime de torture dans son droit interne etadopte une dfinition de la torture couvrant tous les lments contenus dans larticle

    premier de la Convention. Ltat partie devrait aussi veiller ce que ces infractionssoient sanctionnes par des peines appropries qui prennent en considration leurgravit, comme le prvoit le paragraphe 2 de larticle 4 de la Convention.

    H. Rapports du Comit europen pour la prvention de la torture et

    des peines ou traitements inhumains ou dgradants et rponses du

    gouvernement italien

    116. Le rapport du CPT au gouvernement italien sur la visite qu il aeffectue en Italie du 21 novembre au 3 dcembre 2004 (CPT/Inf (2006)16 du 27 avril 2006) se lit ainsi dans sa partie pertinente en lespce :

    11. Le CPT a suivi, et ce depuis de nombreuses annes, le cheminement auParlement du projet de texte visant lintroduction du dlit de torture dans le Code

    pnal. Ces efforts connurent leur apoge le 22 avril 2004, avec la discussion, ensance plnire, dun nouvel article 613 bis.

    Toutefois, ce projet de texte fit lobjetdun amendement de dernire minute (ladjonction de la notion de violences ou demenaces rptes), qui restreignit de manire excessive la notion de tortureenvisage au pralable. Il fut convenu dun nouveau texte, ne reprenant pas cettelimitation, au sein de la Commission de la Justice du Parlement le 9 mars 2005.Depuis lors, le processus lgislatif est bloqu.

    Le CPT espre vivement que les autorits italiennes persvreront dans leurs effortsvisant lintroduction dans le Code pnal du dlit de torture.

    (...)14. Le CPT a engag, ds 2001, un dialogue avec les autorits italiennes concernant

    les vnements qui se sont drouls Naples (le 17 mars 2001) et Gnes (du 20 au22 juillet 2001). Les autorits italiennes ont continu dinformer le Comit sur lessuites rserves aux allgations de mauvais traitements formules lencontre desforces de lordre. Dans ce cadre, les autorits ont fourni, loccasion de la visite, uneliste des poursuites judiciaires et disciplinaires en cours.

    Le CPT souhaite tre tenu rgulirement inform de lvolution des poursuitesjudiciaires et disciplinaires ci-dessus. En outre, il souhaite recevoir des informationsdtailles sur les mesures prises par les autorits italiennes visant viter lerenouvellement dpisodes similaires dans le futur (par exemple, au niveau de lagestion des oprations de maintien de lordre denvergure, au niveau de la formation

    du personnel dencadrement et dexcution, et au niveau des systmes de contrle etdinspection).

    117. La rponse publie la demande du gouvernement italien (CPT/Inf(2006) du 27 avril 2006), est libelle comme suit :

    With specific regard to the insertion and the formal definition of the crime oftorturein the Italian Criminal Code, the absence of such crime in the Criminal Codedoes not mean in any case that in Italy torture exists. If, on the one hand, torture doesnot exist because this is a practice far from our mentality, on the other hand somesections of the Criminal Code severely punish such behavior, even though the term"torture" as such is not included in the Code itself. Moreover, we are considering the

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    possibility, in relation to the adjustment of our legal system to the Statute of theInternational Criminal Court, to insert the crime of torture in our system, through awider and more comprehensive definition if compared to the relevant internationalConventions. However, the substance will not change; with or without the word"torture" in the Criminal Code. Art.32 of Bill No. 6050 (2005), as introduced at theSenate level, envisages inter alia that: Anybody who harms an individual underhis/her control or custody with serious sufferings, both physical and psychological, isconvicted to detention penalty of up to ten years (...)

    (...)

    As to the so-called Genoa events, the judicial proceedings refer and concernthree different episodes:

    (...)

    iii. As to the criminal proceeding following the events occurred at the

    Diazprimary school premises, the last hearing took place on 11 January 2006.The outcome of the cited hearing is awaited. The cited indications underline that suchconduct does not lack of punishment. In fact, despite the lack of the nomen of torturein the Italian relevant code, several provisions are applied when such conduct isreported.

    In light of Article 11 of Presidential Decree No.737/1981, no disciplinary measureshave been applied so far to the Police staff who are subject of criminal proceedings inconnection with the cited events, due to the fact that, even if sanctions were imposed,these would necessarily have to be suspended. The reasoning behind this provision isself-evident: to avoid any interference with the criminal action for events that are still

    being evaluated by the Judicial Authority both in terms of the detection and historicalreconstruction of facts and of defence safeguards. A disciplinary evaluation ofindividual behaviour will therefore follow the conclusion of the relevant criminal

    cases without a possibility to invoke any statute of limitations. It should be noted inparticular that, after 2001, thanks to various initiatives taken by the Department ofPublic Security at the Interior Ministry also in the training field, no remarks have beenmade with regard to the policing of major events. Moreover, also on the occasion ofordinary events which are important in terms of public order management such assport events a substantial decrease has been registered in the episodes requesting theuse of force or deterrence measures.

    118. Le rapport du CPT au Gouvernement italien sur la visite quil aeffectue en Italie du 14 au 26 septembre 2008 (CPT/Inf (2010) 12 du20 avril 2010) se lit ainsi dans sa partie pertinente en lespce :

    11. Depuis 2001, le CPT est engag dans un dialogue avec les autorits italiennes

    en ce qui concerne les vnements qui se sont drouls Naples (le 17 mars 2001) et Gnes (du 20 au 22 juillet 2001).

    Le Comit a pris note des informations fournies par les autorits italiennes lors de lavisite sagissant des procdures judiciaires en cours relatives aux vnementssusmentionns ; il souhaite tre inform, en temps utile, des rsultats des procduresen question.

    12. Sagissant de la mise en uvre du projet de longue date visant lintroductiondu crime de torture dans le code pnal, le CPT a not que seuls des progrs minimesavaient t faits depuis la visite de 2004. Le Comit encourage les autorits italiennes redoubler defforts afin dintroduire, aussi rapidement que possible, lincrimination

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    de torture dans le code pnal, conformment aux obligations internationales delItalie.

    119. La rponse publie la demande du gouvernement italien (CPT/Inf(2010) 13 du 20 April 2010) se lit comme suit :

    20. As to the criminal code, it is worth recalling Article 606 and other provisions,contained in the same section of the criminal code, safeguard the individual againstillegal arrest, as undue restriction of personal liberty, abuse of office against detaineesand prisoners, illegal inspections and personal searches.

    21. These safeguards are supplemented by provisions under Article 581 (battery),Article 582 (bodily injury), Article 610 (duress, in cases where violence or threat

    being not considered as a different crime) and Article 612 (threat) of the criminalcode. Even more so, the provisions under Article 575 (homicide) and Article 605(kidnapping), to which general aggravating circumstances apply, regarding brutalityand cruelty against individuals and the fact of having committed these crimes byabusing of power and violating the duties of a public office or public service,respectively (Article 61, paragraph 1, number 4 and 9 of the criminal code).

    120. Le rapport du CPT au gouvernement italien sur la visite qu il aeffectue en Italie du 13 au 25 mai 2012 (CPT/Inf (2013) 32 du19 novembre 2013) se lit ainsi dans sa partie pertinente en lespce :

    Avant dexposer les conclusions de la dlgation, le CPT constate avecproccupation quaprs plus de vingt ans de discussions au Parlement et llaborationde neuf projets de loi, le code pnal italien ne contient toujours pas de dispositionsanctionnant expressment le crime de torture.

    Le Comit prie instamment les autorits italiennes de redoubler defforts pour

    introduire dans les plus brefs dlais le crime de torture dans le code pnal,conformment aux obligations internationales de longue date de lItalie. En outre, afindaccrotre la force de dissuasion relativement de tels actes, les mesures ncessairesdevraient tre prises pour garantir que le dlit de torture ne fasse jamais l objet dune

    prescription.

    121. La rponse publie la demande du Gouvernement italien (CPT/Inf(2013) 33 du 19 novembre 2013) est libelle comme suit :

    5. As far as the crime of torture is concerned, besides recalling our previousinformation, we would like to reiterate as follows: Article 606 and other provisions,contained in the same section of the criminal code, safeguard the individual againstillegal arrest, as undue restriction of personal liberty, abuse of office against detaineesand prisoners, illegal inspections and personal searches. These safeguards are

    supplemented by provisions under Article 581 (battery), Article 582 (bodily injury),Article 610 (duress, in cases where violence or threat are not considered as a differentcrime) and Article 612 (threat) of the criminal code. Even more so, the provisionunder Article 575 (homicide) and Article 605 (kidnapping), to which generalaggravating circumstances apply, regarding brutality and cruelty against individualsand the fact of having committed these crimes by abusing of power and violating theduties of a public office or public service, respectively (Article 61, paragraph 1,number 4 and 9 of the criminal code). The code of criminal procedure contains

    principles aiming at safeguarding the moral liberty of individuals: its Article 64,paragraph 2, and Article 188 set out that, during interrogation and while collecting

    evidence, methods or techniques to influence the liberty of self-determination or to

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    alter the ability to remember and to value facts cannot be used, not even with theconsent of the person involved (paragraph 6).

    (...)13. As regards the advocated introduction into the Italian criminal system of the

    offence of torture, many have been the legislative proposals already formulated,however not yet approved by Parliament. According to one of such proposals, theoffence takes place whenever there is a repetition of the criminal conduct over time(in its judgment no. 30780 of 27 July 2012, the Court of Cassation proposed a broadinterpretation of the ill-treatment offence set forth in Art. 572 of the Criminal Code),so that if the violence has been exhausted in one sole action, the factual situationwould not be included in the provision of the new legal instrument.

    EN DROIT

    I. OBSERVATIONS PRLIMINAIRES

    122. Le Gouvernement excipe de la tardivet de la demandedintervention du Parti radical non violent transnational et transparti, delassociation Non c pace senza giustizia et des Radicaux italiens(anciennement Parti radical italien ), arguant quelle a t soumise laCour le 21 juin 2013, savoir plus de douze semaines aprs la date laquelle la requte aurait t porte sa connaissance, soit le21 dcembre 2012 (paragraphes 4 et 5 ci-dessus). Il invoque ce proposlarticle 44 3 du rglement, aux termes duquel les demandes dautorisationaux fins de la tierce intervention doivent tre (...) soumises par crit danslune des langues officielles (...) au plus tard douze semaines aprs que larequte a t porte la connaissance de la Partie contractantedfenderesse .

    123. Le Gouvernement indique ensuite que les interventions de tiercesparties doivent avoir pour but daccrotre la connaissance de la Cour parlapport de nouvelles informations ou darguments juridiquessupplmentaires lgard des principes gnraux pertinents pour lissue delaffaire. Or, en lespce, les tiers intervenants se seraient borns proposer

    des rformes lgislatives en Italie et stigmatiser labsence decriminalisation de la torture, ce qui ne correspond pas, selon leGouvernement, au rle attendu dun amicus curiae devant la Cour.

    124. Pour ces raisons, le Gouvernement soutient que les observationsdes tiers intervenants ne devraient pas tre verses au dossier ou devraientau moins tre ignores par la Cour. Il ajoute que, en tout tat de cause, cesobservations sont dnues de tout fondement en lespce, au motif quelabsence du crime de torture en droit italien na pas, selon lui, empchlidentification et la punition des agents des forces de lordre impliqus dansles vnements de lcole Diaz-Pertini ni le ddommagement du requrant.

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    125. Le requrant na pas formul dobservations cet gard.126. En ce qui concerne le premier volet des observations prliminaires

    du Gouvernement, la Cour se borne rappeler quaux termes delarticle 44 3 in finedu rglement, [l]e prsident de la chambre peut, titre exceptionnel, fixer un autre dlai que celui de douze semainesindiqu dans la premire partie de ce mme article.

    127. Pour le reste, la Cour se bornera prendre en compte lescommentaires des tiers intervenants qui seraient pertinents dans le cadre delexamen des griefs du requrant.

    II. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 3 DE LACONVENTION

    128. Le requrant soutient que, lors de lirruption des forces de lordredans lcole Diaz-Pertini, il a t victime de violences et de svices quilqualifie dactes de torture.

    Il soutient aussi que la sanction des responsables des actes quil dnoncea t inadquate en raison, notamment, de la prescription, au cours de la

    procdure pnale, de la plupart des dlits reprochs, des rductions de peinedont certains condamns auraient bnfici et de labsence de sanctionsdisciplinaires lgard de ces mmes personnes. Il soutient, en particulier,que, en sabstenant dinscrire en dlit tout acte de torture et de prvoir une

    peine adquate pour un tel dlit, ltat na pas adopt les mesures

    ncessaires pour prvenir les violences et les autres mauvais traitementsdont lui-mme se dit victime.Il invoque larticle 3 de la Convention, ainsi libell :

    Nul ne peut tre soumis la torture ni des peines ou traitements inhumains oudgradants.

    129. En ce qui concerne les prtendues dfaillances de lenqutedcoulant, notamment, de la prescription des dlits et de labsence du dlitde torture dans lordre juridique italien, le requrant invoque galement lesarticles 6 1 (dlai raisonnable de la procdure) et 13 de la Convention, prissparment et en combinaison avec larticle 3.

    Eu gard la formulation des griefs du requrant, la Cour estime qu ilconvient dexaminer la question de labsence dune enqute effective sur lesmauvais traitements allgus uniquement sous langle du volet procduralde larticle 3 de la Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11, 33,24 septembre 2013, avec les rfrences qui y figurent).

    130. Le Gouvernement combat la thse du requrant.

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    A. Sur la recevabilit

    1. Lexception du Gouvernement tire de la perte de la qualit devictime

    a) Thses des parties

    i. Le Gouvernement

    131. Le Gouvernement estime que, la lumire dune jurisprudence bientablie (Amuur c. France, 25 juin 1996, 36,Recueil des arrts et dcisions1996-III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, 44, CEDH 1999-VI,

    Labita c. Italie [GC], no 26772/95, 142, CEDH 2000-IV, et Gfgenc. Allemagne [GC], no 22978/05, 115-116, CEDH 2010), la requte

    devrait tre rejete en raison de la perte, selon lui, de la qualit de victimedu requrant.En effet, aux yeux du Gouvernement, la procdure pnale diligente

    contre les personnes responsables des vnements de lcole Diaz-Pertini atabli, notamment, les violations de larticle 3 de la Convention dnonces

    par le requrant. lissue de cette procdure, le requrant, qui staitconstitu partie civile, aurait obtenu la reconnaissance du droit rparationdu prjudice subi et se serait vu verser, en 2009, en excution du jugementde premire instance, le montant de 35 000 EUR titre de provision sur lesdommages-intrts (paragraphe 49 ci-dessus).

    Ds lors, aux yeux du Gouvernement, les autorits internes ont

    pleinement reconnu, explicitement et en substance, les violations dnoncespar le requrant et les auraient redresses.

    132. De surcrot, la dclaration de prescription de certains des dlitsdans le cadre de la procdure pnale en question naurait pas priv lerequrant de la possibilit dentamer une procdure civile ultrieure aux finsdobtenir la liquidation globale et dfinitive des dommages-intrts pour le

    prjudice subi.133. lappui de ses arguments, le Gouvernement se rfre galement

    laffaire Palazzolo c. Italie ([dc.], no 32328/09, 86, 103-104,24 septembre 2014) pour prciser que la Cour ne peut pas connatre degriefs qui nont pas t soulevs au niveau national et quelle na pas pourtche de se substituer aux juridictions internes pour juger en tant quequatrime instance le fond de laffaire.

    ii. Le requrant

    134. Sappuyant, notamment, sur les arrts Gfgen (prcit, 116 etsuivants), Darraj c. France (no34588/07, 45-48, 4 novembre 2010) et

    Dembele (prcit, 62), le requrant indique que, en cas de violation delarticle 3 de la Convention, il est indispensable, pour garantir unerparation adquate au niveau national et ainsi faire perdre l intress la

  • 7/21/2019 Affaire Cestaro c. Italie

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    qualit de victime, didentifier les responsables et de leur infliger dessanctions proportionnes la gravit des mauvais traitements perptrs.

    135. Il soutient quen lespce les autorits nationales nont reconnuaucune violation de larticle 3, que les responsables des mauvais traitementslitigieux sont rests en substance impunis en raison, notamment, de la

    prescription des dlits dont ils taient accuss et quils nont fait lobjetdaucune mesure disciplinaire.

    Il est davis que, dans ces conditions, le ddommagement quil a obtenuen tant que partie civile la procdure pnale concernant les vnements delcole Diaz-Pertini ne suffit pas rparer de manire adquate lesviolations de larticle 3 dont il se dit victime. Ds lors, il estime quelargument du Gouvernement lui reprochant de ne pas avoir entam une

    procdure civile ultrieure pour obtenir la liquidation globale et dfinitive

    des dommages-intrts au titre du prjudice subi ne peut tre retenu.

    b) Apprciation de la Cour

    136. La Cour relve que la question centrale qui se pose quant la pertede la qualit de victime du requrant est troitement lie la substance duvolet procdural du grief tir de larticle 3 de la Convention.En consquence, elle dcide de joindre cette exception au fond (Vladimir

    Romanov c. Russie, no 41461/02, 71-90, 24 juillet 2008, Kopylovc. Russie, no3933/04, 121, 29 juillet 2010, etDarraj, prcit, 28).

    137. Sagissant du fait, relev par le Gouvernement, que le requrant na

    pas entam une procdure civile ultrieure en ddommagement