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Afrique reelle 36
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Mali, le
dessous des
cartes
Compte tenu de
l’état de l’armée
malienne et des
difficultés rencon-
trées dans la
constitution du
contingent pro-
mis par la Cedeao, la reconquête du
nord Mali ne semble pas pouvoir être
programmée avant la fin de la pro-
chaine saison des pluies, donc pas
avant les mois de septembre-octobre
2013. D’ici là, les formateurs étrangers,
notamment français, auront la lourde
tâche de créer en quelques mois une
force de 2600 combattants maliens.
En attendant, les négociations qui vont
bon train et qui se déroulent en cou-
lisses à Ouagadougou sont peut-être en
passe de rebattre les cartes.
Ces pourparlers qui se font à deux ni-
veaux concernent d’une part les Toua-
reg du MNLA et ceux d’Ansar Eddine,
d’autre part ces deux mouvements et
les « autorités » de Bamako avec pour
objectif d’isoler les islamistes.
Les signes de l’évolution du dossier
sont de plus en plus nets.
Le 16 novembre 2012, les autorités burki-
nabe déclarèrent ainsi que le MNLA et
Ansar Eddine étaient disposés à négocier
avec Bamako. Certains responsables
d’Ansar Eddine allèrent alors jusqu’à af-
firmer qu’ils se joindront à l’entreprise
qui visera à libérer le nord du Mali des
« groupes étrangers » - lire islamistes -,
qui l’occupent.
En retour, le 18 novembre, les autorités
maliennes, par la voix du Premier mi-
nistre Modibo Diarra répondirent
favorablement à cette ouverture en souli-
gnant que le MNLA et Ansar Eddine
étant composés de Maliens, rien n’inter-
disait donc de négocier avec eux.
Parallèlement la reprise du dialogue
entre les factions Touareg et Bamako, le
rapprochement inter-Touareg est enga-
gé. Ses trois principales composantes
sont :
1) Le MNLA qui n’a plus de position
hégémonique depuis qu’il a été écrasé
par les islamistes.
2) Ansar Eddine dont le chef, l'Ifora Iyad
Ag Ghali n’a jamais véritablement cou-
pé les ponts avec les autres Touareg et
qui a, semble t-il, réussi à ramener à lui
la plupart de ceux qui avaient rejoint
Aqmi. Son jeu est complexe car après
s’être aligné sur les positions
extrémistes des fondamentalistes isla-
mistes, aujourd’hui, il est prêt à leur
faire la guerre.
3) Les forces du colonel Ag Gamou, un
Imghad replié au Niger et qui pense
pouvoir engerber des combattants issus
des diverses populations du nord Mali
comme les Songhay, les Peul, les
Arabes et certains touareg. Le colonel
Ag Gamou est soutenu par l’Algérie.
De leur côté, les islamistes n’ignorent
pas qu’ils risquent de devoir combattre
sur plusieurs fronts à la fois. Comme ils
n’ont jamais fait du Mali leur objectif
prioritaire, lorsque le danger se précise-
ra, ils abandonneront donc leurs posi-
tions de Tombouctou et de Gao pour se
diluer dans le désert afin de se porter
sur le sud de la Libye. Les conditions ré-
gionales y sont idéales pour la constitu-
tion d’un « Sahélistan » aux confins du
Tchad et du Darfour, cependant qu’un
continuum fondamentaliste pourra être
établi avec les islamistes de Boko Haram
du nord Nigeria.
Bernard Lugan
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
LETTRE MENSUELLE
PAR INTERNET
UNIQUEMENT PAR
ABONNEMENT
N°36 -Décembre 2012
Troisième année
PAGE 1
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
L’ANNÉE 2012 EN AFRIQUE
B. LUGAN
En Afrique, l’année 2012 fut riche en évènements politiques et militaires. Elle a également vu la confirmation
d’une grande tendance observable depuis une décennie qui est la baisse de l’influence commerciale
européenne et l’essor de celle de la Chine.
LES CONFLITS OUVERTS
Trois grandes zones de conflictualité ont ensanglanté
l’Afrique en 2012, la Corne, le Sahel (Mali) et le Kivu.
La Corne
Après une phase de guerre ouverte ayant éclaté au dé-
but de l’année 2012 entre le Nord et le Sud Soudan, le
26 septembre, les présidents Omar el-Béchir et Salva
Kiir ont décidé de créer une zone démilitarisée de 10
kilomètres de part et d’autre de la frontière entre leurs
deux Etats.
Le fond du problème est que l’indépendance du Sud
Soudan a privé le Nord Soudan des 2/3 de ses revenus
pétroliers. Le Nord Soudan qui dispose des oléoducs
d’évacuation vers la mer Rouge a voulu limiter ses
pertes en imposant de colossaux droits de transit sur le
pétrole extrait dans le Sud Soudan. En réponse, ce der-
nier a cessé ses exportations, ce qui a mis à genoux l’éco-
nomie du Nord Soudan.
Les deux pays étaient cependant condamnés à s’en-
tendre car :
- Le Sud Soudan qui a décidé de créer son propre oléo-
duc avec pour terminal Lamu au Kenya, sait très bien
qu’un tel projet va prendre des années durant lesquelles
il ne pourra pas vendre son pétrole.
- Le Nord Soudan ne peut quant à lui se priver des
droits de transit du pétrole du Sud Soudan
Ayant montré sa capacité de nuisance, le Sud Soudan se
trouva en position de force et le Nord Soudan accepta
de baisser ses taxes sur le transit pétrolier.
Les risques de guerre se sont-ils pour autant éloignés ?
Non, car la question du saillant d’Abyei n’est pas ré-
glée
[1]
. Lors du référendum d’appartenance de cette
autre riche région pétrolière, les Ngok-Dinka vont en
effet voter pour le rattachement au Sud Soudan et c’est
pourquoi Khartoum voudrait pouvoir faire voter les tri-
bus arabes immigrées qui lui sont favorables, ce que le
Sud Soudan refuse.
En Somalie
[2]
, après deux décennies de guerre, les chefs
de clans ont fini par désigner une assemblée consti-
tuante reflétant les véritables rapports de force socio-
claniques du pays. Le 8 septembre, cette dernière
désigna Hassan Cheikh Mohamoud, un Hawiyé du
clan Agbal, comme président de la Somalie. Le nou-
veau président est réputé proche des Frères musulmans.
Quelques jours après son élection, il échappa à un atten-
tat suicide perpétré par les Shabaab, les milices isla-
mistes qui contrôlent encore une partie du sud de la
Somalie.
Pour ce qui est de la piraterie maritime à partir des
côtes somaliennes, au mois de novembre 2012, le Bu-
reau maritime international a totalisé 71 tentatives d’at-
taque depuis le début de l’année contre 199 en 2011 à la
même période. Quant aux attaques réussies, elles se
sont élevées à 13 contre 28 en 2011 durant les mêmes
périodes. Les otages capturés en mer et détenus par les
pirates ne sont plus que 154 alors qu’ils étaient 758 au
mois de novembre 2011. Les mesures de sécurité sont
donc couronnées de succès.
La mort de Melès Zenawi Premier ministre éthiopien le
20 août 2012 pose en termes nouveaux la géopolitique
de la Corne. La renaissance éthiopienne va-t-elle en
effet lui survivre ? Au contraire, les forces de dissocia-
tion qu’il avait su canaliser ne vont-elles pas mettre à
bas le seul Etat-nation de la région ? Quoiqu’il en soit,
l’Ethiopie ne pourra restaurer sa puissance que si elle
retrouve un accès à la mer, option passant soit par le re-
tour du port d’Assab, ce qui implique un démembre-
ment de l’Erythrée, soit par la reconnaissance de
l’indépendance du Somaliland sous garantie éthio-
pienne, ce qui assurerait à Addis-Abeba l’utilisation du
port de Berbera.
Le Mali
[3]
Au mois de janvier 2012, de retour de Libye, les Toua-
reg du MNLA (Mouvement national de libération de
l’Azawad), culbutèrent l’armée malienne avant de pro-
clamer l’indépendance de la région.
PAGE 2
[1] Voir l’Afrique Réelle du mois d’octobre 2012.
[2] Voir l’Afrique Réelle du mois d’octobre 2012.
[3] Voir l'Afrique Réelle des mois de mars et de novembre 2012.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
Profitant de l’aubaine, les islamistes d’Al Qaida et ses di-
verticules régionaux se joignirent au mouvement avec
des objectifs totalement différents puisqu’ils prônent la
création d’un califat transnational, rêvant de faire du
Sahel un nouvel Afghanistan. Dans un premier temps
ces groupes islamistes et maffieux nouèrent des
alliances de circonstance avec certaines fractions toua-
reg, ce qui leur permit d’étendre leur zone d’influence.
Puis ils les doublèrent avant de les chasser de
Tombouctou, de Gao et du fleuve Niger, les repoussant
vers la frontière algérienne.
Au mois de novembre 2012, la CEDEAO affirma qu’elle
était prête à lancer une offensive de reconquête du
nord Mali et qu’elle n’attendait que le feu vert de
l’ONU pour la déclencher. Certes, mais toute interven-
tion qui ne serait pas précédée du règlement politique
de la question touareg ne serait qu’un coup d’épée
dans l’eau.
Si l’expédition de la CEDEAO a en effet pour seul but
d’en revenir à la situation antérieure, c'est-à-dire
permettre au sud Mali de continuer à coloniser le nord
Mali, rien ne sera réglé. Or, rien n’a été décidé quant à
la nécessaire réorganisation administrative du Mali
après la reconquête de ses villes du nord, les res-
ponsables français n’ayant pas imposé à Bamako un vé-
ritable fédéralisme ou mieux, un confédéralisme, en
échange de l’intervention militaire.
Le Kivu
[4]
Depuis 1996 le Rwanda occupe les deux Kivu et pille
leurs richesses. A chaque fois que Kinshasa a voulu réta-
blir son autorité sur la région, ce fut la guerre. Le
Rwanda fut ainsi l’initiateur de trois rébellions, prati-
quant à travers elles une stratégie du chaos destinée à
interdire le retour de la région dans le giron de
Kinshasa.
En 2012, pressé par son opposition et par son opinion
publique, le président Kabila a semblé vouloir re-
prendre le contrôle du Kivu ; pour l’en empêcher le
Rwanda a instrumentalisé le M23, milice tutsi locale diri-
gée par le « général » Bosco Ntaganda que la Cour pé-
nale internationale (CPI) considère comme un criminel.
Longtemps paralysé par Kigali qui jouait avec habileté
la « carte génocidaire », le président congolais a semblé
plus libre de ses mouvements, les inconditionnels alliés
de Paul Kagamé semblant en effet moins bien disposés
à son égard en raison de sa politique au Kivu. Mais le
Rwanda est face à un dilemme car sa prospérité est
pour moitié bâtie sur le pillage des richesses du Kivu et
pour moitié sur les dons faits par les pays occidentaux
qui contribuent à 50% du budget de l’Etat. Or, en conti-
nuant à occuper le Kivu, Kigali se braque certains des
principaux donateurs dont le Royaume-Uni et les Pays-
Bas.
LES CONFLITS RÉCURRENTS
Les conflits non éteints et qui ressurgissent périodique-
ment sont au nombre de trois, il s’agit de celui de la
Côte d’Ivoire, de celui du Sahara occidental et de celui
du Darfour. Ce dernier n’ayant pas connu d’évolution
notable durant l’année 2012, seuls les deux premiers se-
ront ici envisagés.
En Côte d’Ivoire où, mal élu, le président Ouattara a
du mal à s’imposer, une véritable guerre larvée a éclaté
le long de la frontière du Liberia où les FRCI (Forces ré-
publicaines de Côte d’Ivoire) sont considérées par les
populations comme une armée d’occupation. Des
incidents continuels se produisent dans le grand ouest
ivoirien, notamment dans la région de Duékoué entre
indigènes Guéré et immigrés malinké.
Au Sahara occidental redevenu marocain depuis la
marche verte du 6 novembre 1975, le dossier a connu
une évolution en 2007 avec le projet marocain de large
autonomie qui a vidé la revendication du Polisario. De-
puis cette date, le mouvement connaît un effritement
de ses militants qui rallient le Maroc et une érosion de
ses soutiens internationaux. Alors que 70 Etats recon-
naissaient la RASD il y a deux décennies, ils ne sont
plus qu’une trentaine aujourd’hui et seulement 8 sur
54 en Afrique. N’ayant plus guère d’illusions sur
l’avenir de leur combat, certains des derniers irréduc-
tibles du Polisario se sont reconvertis dans les trafics
en tous genres.
La grande question qui se pose est désormais la
suivante : le contexte sécuritaire régional ayant changé,
l’Algérie a-t-elle encore intérêt à soutenir le Polisario ?
Qu’attend-elle du Maroc pour changer de position ?
Peut-elle se renier du jour au lendemain ? Cette
question ne trouvera pas de réponse tant que la succes-
sion du président Bouteflika ne sera pas réglée.
AFRIQUE DU SUD ET NIGERIA, DEUX GÉANTS
CONTINENTAUX AFFAIBLIS.
En Afrique du Sud où le chômage touche environ 40%
des actifs, où 15 millions de Noirs ne survivent que
grâce aux aides sociales, où chaque travailleur fait
vivre en moyenne 8 personnes, où le climat social qui
n’a cessé de se dégrader est empoisonné par les
criantes inégalités nourries par les « Black Diamonds »,
ces nouveaux riches noirs qui ont fait main basse sur
l’économie, où plus de cinquante meurtres sont com-
mis quotidiennement, où l’Affirmative Action ou « Sé-
grégation Positive », a désorganisé le monde du travail
et où les Blancs diplômés ont quitté le pays, les grèves
PAGE 3
[4] Voir l'Afrique Réelle des mois d'août et septembre 2012.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
des mineurs et des routiers furent le révélateur du cli-
mat social et politique dégradé que connaît le pays,
illustré par le massacre de la mine de Marikana
[5]
.
Avec en toile de fond la lutte interne à l’ANC entre par-
tisans et adversaires du président Zuma.
Le Nigeria
[6]
connaît quant à lui trois types de conflits :
- Un mouvement social qui a atteint un pic au mois de
janvier 2012 avec une grève générale traduisant la
faillite du pays qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas réussi
à profiter de la manne pétrolière.
- Une guérilla dans la région du Delta du Niger qui
touche la zone de production de pétrolière et à la-
quelle s’ajoute une piraterie maritime endémique.
- Des tensions ethno religieuses qui prennent peu à
peu la forme d’une guerre civile et dont l’évolution est
telle qu’il est désormais permis de se demander si le
pays pourra y survivre.
L’AFRIQUE DU NORD
Un an après la « révolution de Jasmin », la Tunisie est
ruinée et la chape religieuse y tombe insidieusement
sur une bourgeoisie occidentalisée qui s’est « tiré une
balle dans le pied » en renversant le président Ben Ali
dont on ne dira jamais assez qu’il fut un grand chef
d’Etat en dépit de la cleptocratie mise en place par cer-
tains de ses proches.
En Egypte, le phénomène est voisin mais quand l’explo-
sion qui couve s’y produira, les conséquences seront ré-
gionales en raison de son poids géopolitique, de sa
surpopulation et de l’existence d’une minorité
chrétienne.
En Libye
[7]
, l’année 2012 a débuté avec de sanglants rè-
glements de comptes et elle s’est poursuivie avec l’as-
sassinat de l’ambassadeur américain. Le président
Idriss Déby a parfaitement résumé la situation en décla-
rant :
« Quand je regarde l’état actuel de la Libye, où chaque locali-
té est gouvernée sur une base tribale par des milices surar-
mées ou par ce qu’il reste des forces fidèles à Kadhafi,
notamment aux frontières sud et ouest, ma crainte a un
nom : la somalisation ». (Entretien à Jeune Afrique, 15
juillet 2012).
Elues au mois de juillet 2012, les nouvelles autorités
ont jusqu’à présent été incapables de rétablir l’autorité
de l’Etat et de régler trois problèmes urgents :
1) Mettre au pas les milices.
2) Inventer une nouvelle organisation de l’Etat sous
une forme très déconcentrée, avec une grande autono-
mie reconnue aux régions et aux villes tout en ne favo-
risant pas le tribalisme et la partition.
3) Eviter que le pays soit réduit à une bande côtière
coupée en deux blocs séparés par 1000 km de désert,
avec une Tripolitaine regardant vers Tunis et une
Cyrénaïque tournée vers l’Egypte.
DES ANNONCES ÉCONOMIQUES QUI
RELÈVENT DE LA MÉTHODE COUÉ
En dépit des annonces l’Afrique n’a pas davantage dé-
collé que les années précédentes, du moins, si nous
nous basons sur les chiffres de son commerce exté-
rieur qui constituent une donnée moins sujette aux
interprétations que les chiffres du PIB lesquels ne sont
que relatifs.
La part du continent dans les échanges mondiaux fut
en effet de 3,2% en 2011, soit trois fois moins qu’au
moment des indépendances puisqu’en 1960, l’Afrique
représentait 9,1% du commerce mondial. Pour mé-
moire, ce pourcentage était tombé à 5,3% en 1980, à
4,1% en 1987, à 3% en 1996, à 1,8% en 1998 avant de
« remonter » à 1,9% en 2000 et à 2% en 2002. En 2011,
l’Afrique a donc simplement retrouvé le pourcentage
qui était le sien en 1996…
De plus, ce commerce est essentiellement constitué de
l’exportation de matières premières et non de produits
transformés avec valeur ajoutée. Il s’agit donc d’un
commerce d’une grande fragilité dont les bénéfices ou
les excédents servent non à l’investissement, mais à
acheter des produits alimentaires et manufacturés.
La principale nouveauté commerciale est la part de
plus en plus importante prise par de nouveaux parte-
naires aux dépens des anciens. C’est ainsi qu’entre
2000 et 2011, la part de la Chine dans les exportations
de toute l’Afrique est passée de 3 à 13%, celle de l’Inde
de 3 à 4% pendant que celle de l’UE baissait de 46 à
34%. Pour ce qui est du pétrole et des minerais, la part
de la Chine est passée de 5% en 1995 à un peu plus de
25% en 2011
[8]
.
La grande critique qui est faite à la politique
commerciale chinoise est qu’il s’agit de prédation et
non d’engagement à long terme. Certes, la Chine se
fournit dans les mines mais en échange elle construit
routes et hôpitaux qu’elle livre clés en mains. Cela fait
certes marcher sa propre industrie mais présente l’im-
mense avantage de ne pas générer des détournements
d’argent.
[5] Voir l'Afrique Réelle du mois de septembre 2012.
[6] Voir l'Afrique Réelle du mois de février 2012.
[7] Voir l'Afrique Réelle du mois d'octobre 2012.
[8] Tous ces chiffres proviennent de la Cnuced et de l’Union africaine.
PAGE 5
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
PAGE 7
Les Etats-Unis ont longtemps négligé l’Afrique sudsaharienne. Durant la décennie 1990 ils ont semblé la
« découvrir » et leur politique fut particulièrement active dans la région de la Corne avec leur malheureuse
intervention en Somalie, et dans celle des Grands Lacs avec leur puissant soutien à Yoweri Museveni en
Ouganda et à Paul Kagamé au Rwanda.
L’Afrique de l’Ouest devint ensuite pour eux une priorité en raison de ses potentialités pétrolières, la région
étant de plus à l’écart des turbulences du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la lutte contre le terrorisme leur a
permis de s’enraciner au Sahel.
L’Afrique intéresse les Américains en raison de ses matières premières (manganèse, cobalt, chrome, vanadium,
germanium, antimoine, coltan, fluor etc). L’Afrique détient également 30% des réserves prouvées en minéraux,
10% réserves prouvées en pétrole et en gaz naturel. Pour les Etats-Unis, se pose donc un grand problème
d’ordre stratégique qui est à la fois de contrôler l’accès aux mines et de sécuriser les voies de communication
qui y mènent.
L’Afrique est-elle pour autant devenue une zone prioritaire pour les Etats-Unis, à l’image de la zone Asie-
Pacifique où se trouvent les pays en développement les plus prometteurs et où le fond des océans contient
d’immenses gisements de pétrole et de gaz ? Il est permis d’en douter.
En effet, même si, dans les années à venir, le continent va devenir la 2
e
source d’approvisionnement
américaine en pétrole et gaz - en 2020, 25% du pétrole consommé aux Etats-Unis viendra d’Afrique contre 12%
en 2007 -, même si le pétrole africain va fournir une opportunité de diminuer la dépendance vis-à-vis du
pétrole du Moyen Orient, une donnée géopolitique et géostratégique nouvelle risque de rendre obsolète la
grille de lecture actuelle et il s’agit de l’annonce de l’indépendance énergétique des Etats-Unis en 2020 et cela
pour des centaines d’années grâce à la production de l’oil shale (huile de schiste ou schiste bitumineux).
La question qui se pose est donc de savoir si les Etats-Unis ne sont pas d'abord présents en Afrique pour y
contrecarrer leur vrai rival, la Chine.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
PAGE 8
LA NOUVELLE POLITIQUE AFRICAINE
DES ETATS-UNIS
Au mois de juin 1997, Bill Clinton définit une politique
spécialement destinée au continent noir
[1]
. Son but était,
en stimulant artificiellement les exportations africaines
de développer de nouvelles relations sur la base d’un
partenariat commercial afin de sortir de l’impasse des
rapports inégalitaires entre donateurs et assistés. Ce fut
le « Trade not Aid » assorti de propositions visant à
exempter de droits de douane, et sous conditions,
certaines productions africaines entrant sur la marché
américain.
Cette idée fut combattue par la droite républicaine,
dont le sénateur Jesse Helms se fit le porte-parole en
déclarant : « Je ne pense pas que la vocation commerciale de
notre pays soit de favoriser les économies des pays émergents
au détriment des travailleurs américains ».
La crainte de certains milieux américains était que le
marché textile soit envahi par des produits ayant
simplement transité par l’Afrique, ce qui aurait risqué
de ruiner l’industrie textile nationale.
En 1998, le président Clinton effectua un premier
voyage en Afrique où il affirma tout l’intérêt que son
pays portait au continent.
Pourtant, cette année là, l’Afrique dans son ensemble ne
représentait que 1% de tout le commerce extérieur
américain. De plus, 90% de ce 1% étaient constitués par
le seul pétrole. L’Afrique était donc loin d’être au coeur
des préoccupations américaines comme le montrent
également les chiffres de l’APD (Aide aux pays en voie
de développement).
En 1999, l’APD consentie par les Etats-Unis équivalait à
1% du budget fédéral, soit 13,3 milliards de dollars. Sur
cette somme, 5 milliards furent attribués à Israël et à
l’Egypte alors que l’Afrique sudsaharienne ne reçut
qu’un milliard de dollars, soit environ à peine 6% de
toute l’APD américaine.
En 2000-2001, rien n’avait changé, l’APD américaine à
l’Afrique n’ayant atteint que 6,2% de toute l’APD
nationale.
Une accélération se produisit au mois de juillet 2003
quand le président George. W Bush effectua un voyage
éclair en Afrique, visitant cinq pays, le Sénégal,
l’Afrique du Sud, le Botswana, l’Ouganda et le Nigeria.
Durant sa campagne électorale contre Al Gore, il avait
pourtant déclaré que l’Afrique n’était pas stratégique
pour les Etats-Unis, mais il changea d’avis quand la
lutte contre le terrorisme devint la priorité absolue pour
son gouvernement. Les attentats de Mombasa en
novembre 2002 et de Casablanca au mois de mai 2003
venant à la suite de ceux de 1998 contre les ambassades
américaines au Kenya et en Tanzanie montraient en
effet que le continent n’était pas à l’abri de cette menace.
Après l’échec somalien (1992-1994), les Etats-Unis se détournèrent un moment de l’Afrique, puis, le président
Clinton relança la politique africaine de Washington à travers l’économie. Au même moment, la pression du
lobby noir américain s’exerçait sur la Maison Blanche.
[1] Depuis 1976, était en vigueur le GSP (Generalized System of Preference) accordé sans réciprocité à tous les pays sous-développés mais ce
dispositif était très restrictif.
Bill Clinton, président des Etats-Unis
de 1993 à 2001
L’AGOA est une mesure unilatérale américaine puisque
c’est Washington qui dresse à la fois la liste des pro-
duits éligibles aux tarifs douaniers préférentiels et celle
des pays bénéficiaires.
Il ne s’agit donc pas d’un accord commercial négocié,
mais de libéralités accordées selon le bon vouloir de
Washington à la condition que les récipiendaires ne s’op-
posent pas aux Etats-Unis, ne votent pas contre eux
dans les instances internationales, adoptent leurs cri-
tères politiques et philosophiques etc.
Entré en vigueur en 2000, l‘AGOA supprime les droits
de douane dans de très nombreux domaines pour 42
pays africains éligibles. Ce dispositif repose sur le Trade
and Development Act. L’AGOA (Africa Growth and Oppor-
tunity Act) ou Loi sur la croissance et les opportunités écono-
miques en Afrique accorde un régime de préférence à
certaines importations notamment textiles et agricoles
sud-sahariennes et a été adopté par le Sénat le 11 mai
2000. L’Afrique du Nord en est exclue.
Dans la réalité les Etats-Unis proposent à l’Afrique sud
saharienne un statut commercial privilégié de pré-
férence tarifaire. Dans un premier temps, durant huit
années, les Etats africains éligibles bénéficièrent
d’exemptions fiscales pour certaines marchandises au
premier rang desquelles le textile, mais à la condition
qu’il soit fabriqué à partir de fil et de tissu made in USA.
Les produits entrant en concurrence directe avec les
productions américaines pouvaient être exclus de l’ac-
cord. Les Etats-Unis ne prenaient pas de grands risques
car, sur les années 2000-2010, les exportations africaines
de tissus n’ont représenté que de 2 à 3% de toutes les
importations américaines de textiles. En 1999, sur 60
milliards de dollars d’importations textiles américaines,
moins de 600 millions provenaient ainsi d’Afrique
[1]
.
Les conditions restrictives sont particulièrement draco-
niennes. En effet :
1) Si les importations se développent trop, la loi prévoit
le retour des quotas.
2) La traçabilité des produits devra pouvoir être fournie.
3) Les douaniers américains sont autorisés à se rendre
dans les pays concernés pour y inspecter les usines de
fabrication.
4) Toute fraude entraînera une suspension pour cinq an-
nées du régime préférentiel.
Les règles pour pouvoir prétendre bénéficier de
l’AGOA sont au nombre de quatre :
1) Bonne gouvernance et démocratie.
2) Levée des barrières douanières pour les investisse-
ments et les productions américaines.
3) Lutte contre la corruption.
4) Réduction de la pauvreté.
Quels sont les résultats de l’AGOA ?
- En 2001, les produits africains importés en vertu de
l’AGOA ont représenté 8 milliards de dollars dont 7,6
milliards de dollars en produits pétroliers avec les rap-
ports suivants : Nigeria 5,7 milliards ; Gabon, 0,938 et
RSA 0,417. Or, les Etats-Unis n’avaient pas attendu
l’AGOA pour importer pétrole et minéraux…
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
PAGE 9
L’AGOA ET SES LIMITES
Au mois de mars 1999, se tint à Washington une réunion rassemblant plusieurs dizaines de hauts responsables
africains auxquels fut présenté l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) qui élargissait l’accès des
produits africains au marché américain.
[1] Dans le cas de pays particulièrement pauvres - ceux dont le PIB annuel par habitant est inférieur à 1500 dollars -, la loi permet d’importer
aux Etats-Unis des vêtements, même s’ils ont été confectionnés à partir de tissus non américains et cela pour une période d’essai de quatre ans.
Hillary Clinton devant l'AGOA en 2009.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
- En 2002, les Etats-Unis importèrent pour 9 milliards de
dollars de biens en provenance d’Afrique selon les procé-
dures de l’AGOA, soit une augmentation de 1 milliard
de dollars par rapport à 2001.
- En 2006, les importations américaines atteignirent 18
milliards de dollars, mais elles portaient quasi exclusive-
ment sur le pétrole.
- En 2007, les importations américaines bondirent à 67,4
milliards de dollars mais les hydrocarbures représen-
taient 93% des achats faits en Afrique sud saharienne, le
reste des importations n’atteignant que 3,4 milliards de
dollars.
- En 2011, les importations américaines depuis l’Afrique
sud saharienne atteignirent 87 milliards de dollars dont
plus de 85% pour les seuls hydrocarbures.
L’AGOA n’a en définitive profité qu’aux producteurs
de pétrole et à l’Afrique du Sud grâce au platine, aux
diamants et aux produits ferreux.
De plus, au premier trimestre 2012, les échanges entre
l’Afrique sud saharienne et les Etats-Unis ont baissé de
24% par rapport à l’année précédente alors qu’avec le reste
du monde, les exportations américaines augmentèrent de
12%. Durant la même période, les exportations améri-
caines vers la RSA diminuèrent de 13% et celles vers le
Nigeria de 10%, les exportations africaines vers les Etats-
Unis baissant quant à elles de 31% par rapport à 2011.
Face à cette situation, le président Obama décida de ré-
agir et au mois de juin 2012, le Département d’Etat amé-
ricain produisit un document intitulé « Stratégie
américaine en Afrique subsaharienne » qui était destiné
à redéfinir les relations dans une Afrique sud saha-
rienne présentée comme porteuse d’immenses espoirs.
L’AGOA pourrait s’achever en 2015 car les règles inter-
nationales du commerce interdisent favoritisme et ob-
ligent à la symétrie pour supprimer les régimes
préférentiels.
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La réalité des investissements américains en
Afrique
En 2002, les investissements américains en Afrique
sud saharienne étaient de 798 millions de dollars,
soit à peine 0,1% de tout l’investissement extérieur
américain. De plus, ce faible volume était concentré
sur l’Afrique du Sud et sur quatre pays pétroliers,
l’Angola, la Guinée équatoriale, le Nigeria et le
Tchad.
En 2010 les investissements américains en Afrique
sud saharienne bondirent à 3,2 milliards de dollars
mais au même moment, le reste du monde, dont la
Chine, y investissait 36 milliards.
Forum de l'AGOA en 2008.
L’Afrique du Sud fut choisie en raison de ses infra-
structures héritées de l’ancien régime d’avant 1994 et de
ses cadres blancs. Or, la situation politique, économique
et sociale du pays ne cessant de se détériorer, le pays
connaît une émigration de son encadrement blanc.
Politiquement les relations se sont un moment tendues
entre Washington et Pretoria. Outre l’opposition totale
à la guerre contre l’Irak, le contentieux entre les deux
pays portait sur trois grands points :
1) L’Afrique du Sud refusait de garantir l’immunité aux
citoyens américains qui pourraient être amenés à compa-
raître devant la Cour pénale internationale (CPI).
2) L’Afrique du Sud refusait de suivre les Etats-Unis
dans leur condamnation du régime Mugabe au
Zimbabwe.
3) Washington jugeait que l’intervention de l’Etat sud-
africain dans les entreprises afin de favoriser le « Black
Economic Empowerment » était contraire à la liberté des
entreprises. Or le partenariat américain ne pouvait se
faire qu’avec des pays garantissant la libre entreprise.
La question est cependant complexe car l’Afrique du
Sud profite de l’AGOA. Entre 2000 et 2002, ses exporta-
tions vers les Etats-Unis faites dans ce cadre ont ainsi
augmenté de 30%. En 2011, l’Afrique du Sud était le
principal partenaire des Etats-Unis en Afrique sud saha-
rienne avec des échanges annuels de 22 milliards de
dollars.
Le Nigeria fut retenu en raison de son poids démogra-
phique. Pour Washington, ce pays se devait d’être le
pendant africain de la Turquie et comme cette dernière
dans sa zone d’influence, il aurait eu un rôle de police
régional ou même continental avec un encadrement de
conseillers américains.
Illustration de ce choix, l’aide américaine au Nigeria
passa de 7 millions de dollars en 1998, époque de la dic-
tature militaire à 109 millions en 2000. Mais la situation
chaotique du Nigeria tempéra les analyses américaines
car le pays est en effet profondément divisé, éclaté et
même au bord de la guerre civile et religieuse.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
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LA FRAGILITÉ DES PARTENAIRES
PRIVILÉGIÉS
Dans un premier temps, les Etats Unis ancrèrent leur nouvelle politique africaine sur deux Etats clés ou anchor
states, l’Afrique du Sud et le Nigeria, pensant avoir trouvé en eux les supplétifs locaux auxquels ils pourraient
en quelque sorte « sous-traiter » les questions africaines. Les faiblesses de ces deux partenaires ont remis en
question cette politique.
Les grandes étapes de cette nouvelle politique sont les
suivantes :
- En 1998, la FRCA fut remplacée par l’IRCA (Initiative
de réponse aux crises africaines), ACRI en anglais (African
Crisis Response Initiative). Son but était clairement un sou-
tien à des actions ponctuelles de « maintien de la paix »
ou à des missions humanitaires par la modernisation de
forces africaines dotées de matériel américain.
- En 1999 fut créé le CAES (Centre africain d’études straté-
giques) African Center for Stategic Studies (ACSS) qui dé-
pend du Pentagone.
- Au mois d’août 2000, lors de sa tournée africaine, le
président Clinton séjourna au Nigeria où il obtint de
son homologue Olesungu Obasanjo la création d’une
force d’intervention rapide composée de cinq bataillons
mécanisés, forte de 8000 à 10.000 hommes totalement
pris en charge, équipés et entraînés par Washington.
Mis à la disposition de l’ONU, ils pourraient intervenir
en lieu et place des troupes américaines.
- En 2002, deux importantes nouveautés virent le jour.
L’IRCA-ACRI devint ACOTA (African Contingency Opera-
tions Training Assistance) avec pour but l’entraînement of-
fensif de petites unités africaines sur le modèle des
forces spéciales. L’ACOTA était associé aux centres de
formation du Joint Combined Arms Training System
(JCATS). Le premier centre fut ouvert à Abuja en 2003.
Au mois de novembre 2002 fut créée la Pan Sahel Initia-
tive (PSI), qui était une mission de formation et d’as-
sistance à 9 pays de la région, l’Algérie, le Maroc, la
Mauritanie, la Tunisie, le Sénégal, le Mali, le Niger, le
Tchad et le Nigeria, afin de les aider à lutter contre le ter-
rorisme. L’Etat-major du PSI fut installé à Dakar
En plus de l’ACOTA et du PSI, une quarantaine de pays
africains participaient alors à un programme de forma-
tion des officiers.
- Au mois de mars 2004 les chefs d’état-major de huit
pays (Algérie, Tchad, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger,
Sénégal et Tunisie) se réunirent à Stuttgart, au siège de
l’US-Eucom afin de mettre au point la « lutte globale
contre le terrorisme dans la région du Sahel et du golfe
de Guinée. Fut alors créé le TSCPT (Trans-Sahara Coun-
ter Terrorism Partnership). Au même moment les forces
spéciales américaines participaient à une action com-
mune Algérie-Mali-Niger-Tchad, contre le GSPC en
étroite liaison avec l’armée algérienne. Cette opération
fut organisée dans le cadre du PSI.
- En 2006, le TSCPT devint TSCTI (Trans-Sahara Counter
Terrorism Initiative). Il s’agissait d’un nouveau pro-
gramme du gouvernement américain fondé sur le long
terme et qui était basé sur l’amélioration des capacités
militaires des pays de la zone (Mauritanie, Niger,
Tchad, Nigeria, Sénégal et Mali), tout en coopérant avec
le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Dans la réalité, il s’agis-
sait d’une extension du PSI dont la composante mili-
taire était l’OEF-TS (Operation Enduring Freedom Trans
Sahara).
- En 2007 le Pentagone créa un commandement mili-
taire régional pour l’Afrique qui était destiné à supervi-
ser les actions contre-terroristes et les relations
américaines avec les pays du continent.
- Le 1
er
octobre 2008, l’AFRICOM devint opérationnel.
Jusque là répartie entre plusieurs commandements ré-
gionaux en place depuis 2004, la sécurité régionale fut
alors transférée à AFRICOM.
- En 2012 à Thies, au Sénégal, dans le cadre de
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
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LA POLITIQUE MILITAIRE DES
ETATS-UNIS EN AFRIQUE
A partir de 1996 les Etats-Unis s’impliquèrent militairement en Afrique où ils créèrent un système d’assistance
militaire connu sous le nom de FRCA (Force de réponse aux crises africaines).
Plusieurs questions se posent au sujet de la nouvelle
politique militaire américaine en Afrique. La lutte
contre le terrorisme est-elle ainsi la vraie raison de
l’implication de plus en plus visible de Washington ?
Ne serait-elle pas plutôt un alibi permettant de ceintu-
rer la zone africaine « utile » ? N’y a t-il pas contradic-
tion entre le fait que Washington justifie
l’amplification de sa présence militaire par la lutte
contre des groupes islamistes alors que ces derniers
sont financés par les monarchies pétrolières qui sont
ses alliées ? De plus, si nous examinons la situation de
plus près, les menaces terroristes d’aujourd’hui, et
celles de demain ainsi que les migrations à grande
échelle qui sont annoncées, menacent le flanc sud de
l’Europe, pas les Etats-Unis. Dans ces conditions, ne
sommes-nous pas plutôt en présence d’un pré-posi-
tionnement américain face à la Chine afin de gêner
cette dernière dans l’accès aux approvisionnements
notamment énergétiques qui lui permettent de sou-
tenir son expansion ?
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
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l’AFRICOM, se déroulèrent les exercices Western Accord
2012 qui associèrent 600 US Marines et 600 militaires sé-
négalais, burkinabés, guinéens, gambiens ainsi que
quelques français. Durant l’année 2012, 14 exercices
furent organisés par l’AFRICOM qui permirent à des
contingents africains et américain de travailler en-
semble.
Avec l’AFRICOM, les Etats-Unis disposent d’un outil
militaire hautement performant. Le continent est mis
sous surveillance aérienne, notamment à l’aide de
drones, et le stationnement de 5000 hommes dilués
dans une vingtaine de bases, dont certaines plus ou
moins secrètes, permet d’assurer une présence effec-
tive[1].
En 2012, directement ou en soutien, les Etats-Unis
étaient militairement engagés sur plusieurs théâtres:
- Sahel contre les mouvantes islamistes,
- RCA-RDC contre la LRA (Armée de résistance du Sei-
gneur),
- Somalie contre les milices al-Shabaab.
En 2012, AFRICOM a mené 14 stages d’entraînement
conjoints avec les armées du Botswana, du Cameroun,
du Gabon, du Lesotho, du Maroc, du Nigeria, de RSA
et du Sénégal. AFRICOM équipe et entraîne des forces
spéciales en Algérie, au Tchad, en Mauritanie, au Niger
etc.
[1] Nick Turse, « Obama’s Scramble for Africa Secret Wars, Secret Bases, and the Pentagon’s Spice Route » in Africa Thursday, 12 juillet 2012.
Les implantations militaires amé-
ricaines en Afrique sud saharienne
- Djibouti : camp Lemonnier, depuis 2003. Seule base
officielle sur le continent. Effectifs stationnés +-2000
hommes, 180 millions de dollars d’investissement
prévus dont des pistes d’aviation.
- Kenya : Manda Bay, Garissa et Mombasa avec un
projet d’investissement de 50 millions de dollars.
- Ouganda : Kampala, Entebbe.
- RCA : Bangui, Djema, Obo.
- RDC : Dungu.
- Burundi : Mudubugu.
- Sud-Soudan : Nzara.
- Ethiopie : Dire Dawa (Camp Gilbert), Arba Minch.
En plus de ces principales implantations, les Etats-
Unis disposent de dizaines d’emprises secrètes plus
ou moins importantes, permanentes ou ponctuelles
dont des facilités sur certains aéroports comme
Ouagadougou au Burkina Faso. Ces aéroports sont
destinés à recevoir de gros porteurs ou bien à créer
des relais pour de petites structures transportées par
les hélicoptères Chinook dans les régions ne dispo-
sant pas d’aéroports.
Les Etats-Unis ont également recours à des sociétés
aériennes privées qui utilisent des avions civils bour-
rés d’électronique et qui quadrillent certaines zones
sensibles, Opération Tusker Sand.
Au Kenya, colonie de la Couronne de-
puis 1920, éclata en 1952 une révolte
qui ne concerna qu’une fraction du
peuple Kikuyu, qui fut circonscrite à
une partie du pays et qui fut rapide-
ment écrasée par les Britanniques ap-
puyés sur les autres ethnies du pays,
dont les Luo et les Masaï.
Les Kikuyu qui occupaient les hautes
terres du centre de l’actuel Kenya
avaient, à la veille de la colonisation,
presque totalement défriché la forêt qui
recouvrait les Highlands. Ils tentèrent
alors un mouvement de conquête terri-
toriale sur les périphéries de leur home-
land, mais ce mouvement se trouva
bloqué :
- à l’Ouest et au Nord-Est par les
hautes terres incultivables des Aber-
dares et du mont Kenya ;
- au Nord par les plaines de Nyeri qui
étaient occupées par les pasteurs cou-
chitiques Samburu, Boran et Somali ;
- au Sud par les basses terres contrôlées
par les Masaï ;
- à l’Est et au Sud-Est, par les Kamba
qui participaient aux réseaux esclava-
gistes zanzibarites.
La démographie des Kikuyu devint en-
suite galopante en raison du maillage
sanitaire colonial et missionnaire. Leur
population ayant été multipliée par
trois entre 1900 et 1945, les Kikuyu
furent donc à l’étroit sur leur territoire
ce qui provoqua chez eux un fort senti-
ment de frustration mis en évidence en
1938 par un jeune diplômé kikuyu,
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
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LA RÉVOLTE DES MAU MAU (1952-1956)
B. LUGAN
La repentance coloniale n’est pas uniquement française. Il s’agit en effet d’une pathologie européenne. Cette
haine de soi se manifeste en Allemagne avec la question de la guerre des Herero, en France avec la guerre
d’Algérie et depuis peu en Grande Bretagne avec la révolte des Mau Mau. Vendredi 5 octobre 2012, trois
Kenyans ont en effet été autorisés par la justice britannique à intenter un procès à l’Etat pour « crimes » lors de
la répression de cette révolte.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
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Johnston Kamau wa Ngengi qui publia à Londres sous
le pseudonyme de Jomo Kenyatta un livre qui fit l’effet
d’un manifeste politique
[1]
.
En 1920, éduqués par les missionnaires protestants, des
intellectuels avaient fondé la Kikuyu Association. Après
la seconde guerre mondiale, Jomo Kenyatta, lui aussi
produit de la Mission, et qui avait longtemps séjourné à
Londres pour ses études, rentra au Kenya où il mena
une active campagne nationaliste.
De nombreux Kikuyu adhérèrent alors à une société se-
crète connue sous le nom de Mau Mau. Ancrée sur le
fonds culturel traditionnel et fondée sur des pratiques
de sorcellerie, elle reposait sur la prestation d’un ser-
ment d’engagement, sur une cérémonie
d’initiation et punissait avec cruauté
toute violation du secret et toute déso-
béissance.
Au mois de mai 1952 les Mau-Mau
commencèrent à assassiner ceux des
Kikuyu qui ne voulaient pas les re-
joindre. Au mois de novembre 1952, les
premiers meurtres d’Européens furent
commis et des renforts militaires en-
voyés.
Au mois de juin 1953 les forces britan-
niques comptaient 7500 hommes, plus
un régiment levé chez les colons, ainsi
que 5000 soldats africains des King’s Afri-
can Rifles plus 21 000 policiers en majori-
té Kamba et Kalenjin. A ces effectifs, il
convenait d’ajouter plusieurs milliers de
volontaires de la Kikuyu Home Guard, car
nombre de Kikuyu étaient opposés aux
Mau Mau, d’où une guerre civile inter-
Kikuyu.
Des supplétifs masaï, kalenjin, luo et
kamba participèrent également à la lutte
contre les Mau-Mau, vue par eux comme
un moyen de régler des comptes an-
cestraux avec les Kikuyu, ce qui laissa
bien des cicatrices dans les mémoires et
expliquer nombre d’affrontements ulté-
rieurs.
A la fin de l’année 1955, la révolte était
écrasée et il ne restait plus que quelques
centaines de Mau Mau réfugiés dans les
zones les plus impénétrables de la forêt
de montagne. La guerre prit fin officielle-
ment au mois d’octobre 1956 avec la cap-
ture du principal chef Mau-Mau, Dedan
Kimathi, suivie de sa pendaison.
Le bilan humain de cette guerre était, chez les Euro-
péens, de 32 civils et de 63 soldats tués, chez les Asia-
tiques, de 26 civils et de 12 soldats ; quant aux
Africains, leurs pertes en vies humaines s’élevaient à
100 policiers ou soldats, 1800 civils et 10 000 Mau Mau.
Un peu plus d’un millier de Mau Mau avaient été pen-
dus et 90 000 suspects étaient détenus.
Après avoir pris l’avantage sur le terrain, les Britan-
niques firent participer les populations du Kenya à la
gestion du territoire, tout en négociant les modalités de
l’indépendance avec Jomo Kenyatta, un des chefs pro-
bables de la révolte Mau-Mau alors emprisonné.
[1] Jomo Kenyatta., Facing Mount Kenya, Londres, 1938.
L'AFRIQUE RÉELLE - N°36 - DÉCEMBRE 2012
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En 1960, Londres organisa une conférence constitution-
nelle qui se tint à Lancaster House et deux partis afri-
cains se créèrent, la Kanu (Kenya African National Union)
et la Kadu (Kenya African Democratic Union).
En réalité, il s’agissait de deux coalitions ethniques :
- La Kanu était une alliance entre les Kikuyu et leurs
cousins Meru, Embu, Kamba et Kisii. Les Luo, auxquels
il avait été promis la possession des grandes propriétés
coloniales de l’ouest du pays, s’y joignirent. La Kanu de-
mandait l’indépendance immédiate et la constitution
d’un Etat unitaire.
- La Kadu avait une vision politique totalement dif-
férente. Constituée par les petites ethnies côtières et nilo-
tiques dirigées par Ronald Ngala
[2]
, un côtier, et Daniel
Arap Moi, un Kalenjin, elle militait pour un Etat fédé-
ral. Sa doctrine, le Majimbo, était un régionalisme identi-
taire, l’idée étant que chaque ethnie devait avoir son
« jimbo », son territoire ancestral ou homeland. Ainsi,
aux « Kamatusa » (acronyme de Kalenjin, Masaï, Turka-
na, Samburu), la vallée du Rift ; aux côtiers le littoral ;
aux Kikuyu les plateaux centraux et aux Luo les ré-
gions de l’Ouest etc.
Lors des élections de 1961, la Kanu obtint 67% des voix et
la Kadu 16%. L’ethno-mathématique avait bien fonction-
né et le rapport ethnique était donc respecté puisque les
bantuphones avaient tous voté pour la Kanu, à l’excep-
tion des côtiers, tandis que les nilotiques, à l’exception des
Luo avaient donné leurs suffrages à la Kadu.
LECTURES
Parmi l’abondante littérature consacrée à la révolte des Mau Mau, l’Afrique Réelle recommande particulièrement
trois romans ou récits.
Le premier est l’incontournable Carnaval des Dieux, de Robert Ruark, deux tomes. Le deuxième est Sous le
masque Mau Mau d’Henri de Monfreid et le troisième, La Piste fauve de Joseph Kessel livre dans lequel un
chapitre est consacré à cette question.
Pour une étude scientifique de cette guerre, voir de Bernard Lugan, Histoire de l’Afrique des origines à nos jours.
2010, pages 795 à 804. Le livre peut être commandé à l’Afrique Réelle.
[2] Il trouva la mort dans un accident automobile en 1972.
NOM ET PRÉNOM :
ADRESSE :
CODE POSTAL ET VILLE :
PAYS :
TÉLÉPHONE :
ADRESSE E-MAIL (OBLIGATOIRE) :
RÉABONNEMENT 2013 : 12 NUMÉROS - 35 EUROS
ABONNEMENT 2013 : 12 NUMÉROS - 35 EUROS
ABONNEMENT 2012-2013 : 24 NUMÉROS - 50 EUROS
INTÉGRALITÉ DES 48 NUMÉROS DE 2010 À 2013 : 100 EUROS
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