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Ah ! Quel dommage qu’on ne puisse pas avoir un amant sans tromper son mari.

C’est la supériorité de l’homme sur l’animal de pouvoir boire quand il n’a pas soif.

À la bonne :« Les Hébrides ? Vous ne savez pas où c’est ? – C’est pas moi qui range ici ! C’est Madame. »

Georges Feydeau (1862-1921) continue de remplir les

théâtres, mais il passe souvent pour misogyne et l’on

raconte qu’enfant il giflait volontiers les petites filles.

En réalité, il fut simplement « convaincu très tôt que

l’humanité entière méritait des baffes », apprend-on en

introduction à cette joyeuse collection de très courts ex-

traits de pièces − véritables sketches pimentés d’anec-

dotes biographiques. Si Feydeau nous fait autant rire,

c’est bien parce que tous ses personnages se parent de

ridicules, quels que soient leur sexe et leur condition.

Hommes et femmes, jeunes et vieux, faux amis et hon-

nêtes gens, ploucs et aristos, médecins et domestiques :

nul n’est épargné, pour notre plus grand bonheur. Un

bonheur assez sadique, confessons-le, redoublé à la lec-

ture de ce recueil cruellement jubilatoire qui est un vau-

deville en soi.

Textes réunis et présentés par Ewan Pez

Les sautes d’humour

de Georges Feydeau

Textes réunis et présentés

par Ewan Pez

PAYOT

DANS LA MÊME COLLECTION

Les Sautes d’humour de Jane Austen

Textes réunis par Dominique Enright

et traduits de l’anglais par Virginie Buhl

Les Sautes d’humour de Winston Churchill

Textes réunis par Dominique Enright

et traduits de l’anglais par Hélène Hinfray

Les Sautes d’humour d’Albert Einstein

Propos réunis par Alice Calaprice

et traduits de l’anglais par Hélène Hinfray

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Propos réunis par Karen Dolby

et traduits de l’anglais par Hélène Hinfray

Les Sautes d’humour du docteur Freud

Propos réunis par Olivier Mannoni

Les Sautes d’humour de Marcel Proust

Textes réunis par Serge Sanchez

Retrouvez l’ensemble des parutions

des Éditions Payot & Rivages sur

payot- rivages.fr

Collection dirigée

par Mario Pasa

© Éditions Payot & Rivages, Paris, 2016.

Illustration de couverture : Éric Doxat

ISBN : 978-2-228-91687-5

sommaire

Avant- propos, 9

La femme sous toutes ses moutures, 15

Mufles vs. muflonnes, 27

Quand on n’a que l’amour… voire moins, 37

Mariage et damnation, 49

Tout un chœur de cocu(e)s, 61

L’auteur du libre- échange, 73

Beaux- Amis, 79

Madame est servie (à peu près), 87

Mi casta no es tu casta, 97

Médecins ! Assassins ! 103

Provinciaux, ploucs & diamants bruts, 109

Quatre péchés très piteux, 117

Cabinet des absurdités, 143

Quand la langue fourche, 157

Autoportrait de l’artiste en deux hommes, 169

Très c(r)u(l), 179

avant- propos

Georges Feydeau et son théâtre avaient de

qui tenir : le père, Ernest, s’essaya à la scène,

donna dans le roman quasi pornographique

– s’aliénant par là son ami Flaubert – et fut

en outre un très fameux cocu, dont la superbe

femme, Léocadie, aurait enfanté le plus grand

vaudevilliste français avec Napoléon III ou le

duc de Morny, au choix. C’est donc un gamin

encouragé par son père qui entama à bientôt

sept ans, un matin dès l’aube, l’écriture de

sa première pièce. La veille, il avait connu

un coup de foudre au théâtre où l’avait mené

sa gouvernante. Dès lors, l’œuvre et la vie

de Georges Feydeau se superposent pour une

grande part.

La réputation de l’enfant Feydeau, « insup-

portable bébé1

», fait penser au jeune Toto

Follavoine que ses parents peinent à purger.

1. Selon l’expression d’Henry Gidel dans son Feydeau

(Paris, Flammarion, rééd. 2011).

Convaincu très tôt que l’humanité entière méri-

tait des baffes, notre vaudevilliste en herbe avait

la réputation de frapper plus particulièrement les

petites filles, sa jeune sœur y compris, inspiré

en cela par une mère qui avait la main leste.

Collégien paresseux, passant les études surveillées

dissimulé derrière un gros dictionnaire de latin à

inventer des dialogues, il ne sera jamais bache-

lier. C’est donc une joyeuse passion qui soutient

d’abord la plume de Feydeau, nourrie par un

sens aigu de l’observation, lequel l’autorise, dès

l’adolescence, à imiter sur scène à la perfection

et avec cruauté les grands acteurs du temps. Et

peut- être serait- il devenu l’un d’eux si le succès

de Tailleur pour dames n’avait fauché, à l’âge de

vingt-quatre ans, le comédien en devenir.

Dès lors la bonne fortune du dramaturge ne

se démentira pas, mais au fil des ans sa nature

angoissée prend le dessus, et même, assez vite,

durant la phase d’écriture de ses pièces, il a

le sentiment de se trouver en prison. Un sens

maniaque du détail le pousse à reprendre inces-

samment ses textes, et il se montre en outre

avec les comédiens un metteur en scène sour-

cilleux en diable. Le succès très vite n’est plus

un cadeau mais devient un devoir ; Feydeau,

condamné à faire rire pour parer aux énormes

dépenses de son ménage, doit se contraindre,

s’enfermer, prend de la cocaïne à des moments

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU10

clés de sa création, et enfante dans la douleur

des pièces dont la légèreté contraste non seule-

ment avec la précision de chimiste qui préside

à leur élaboration, mais aussi avec le personnage

de noctambule plutôt distant qu’il est pour ses

contemporains, habitué des cafés, restaurants

et spectacles des boulevards, où il a coutume

d’observer chaque soir la faune étrange qu’il

transcrit sur scène.

Le vaudevilliste apparaît en effet à tous

comme un homme cordial mais décourageant

la familiarité, un peu sauvage, voire taciturne

– pour tout dire triste. Au milieu des fêtards il

reste sobre et, parlant peu, semble toujours au

travail, à chercher l’inspiration. On ne peut pas

pour autant dire que l’on s’emmerde en soirée

avec Feydeau, mais enfin, on ne se tape guère

sur les cuisses. Et de fait, les bons mots et autres

anecdotes que l’on colporte à son sujet laissent

entrevoir un personnage pour le moins vipérin,

ne sachant à peu près que médire comme une

méchante folle, entre deux bouffées de ces bar-

reaux de chaise qu’on aperçoit coutumièrement

se consumer entre ses lèvres.

Du cynisme, de la misanthropie, son théâtre

en est plein. On a souvent parlé de sa misogynie,

mais chacun dans ses pièces, quels que soient

son sexe et sa condition, se pare de ridicules

en nombre. À peu près personne n’est sympa-

AVANT- PROPOS 11

thique, aimable. Si vous n’aimez pas Feydeau,

soyez bien sûr qu’il ne vous aime pas non plus.

C’est d’ailleurs un des rares écrivains dont on

n’a retrouvé aucune lettre d’amour. Quand on lit

telle biographie, on découvre qu’il multipliait

les aventures ; ces femmes qu’il représentait ridi-

cules, il les aurait beaucoup « aimées », mais

pas longtemps chacune, le temps de les conqué-

rir, quoi, et en personne, grâce à son physique

avantageux et son charme. Quand on lit telle

autre, on apprend qu’aucune aventure féminine

ne lui est connue. Là, on signale qu’il aurait

été homosexuel, avec une prédilection pour les

grooms des grands hôtels et les petits chasseurs

de restaurant. Sans opérer de liens nécessaires et

donc hasardeux, signalons tout de même que

l’homme collectionnait, outre les œuvres de

peintres impressionnistes passés à la postérité,

les flacons de parfum, les petits pots en faïence

et les opales.

Alors, on se prend à imaginer que là gît le

secret d’un personnage ayant eu beaucoup de

goût pour la mystification de son entourage,

s’étant très peu révélé, ayant détesté ces femmes

qui le satisfaisaient si peu comme ces hommes

qu’il n’avait pas le droit d’aimer, représentant

sur scène le mariage comme une mascarade, un

enfer qu’il avait intimement connus, et ce surtout

dans ses pièces en un acte écrites quand, ayant

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU12

fui son ménage pour s’installer à l’hôtel, il put

désormais en parler avec un recul accru.

Cette mascarade, bien sûr, il la prend d’abord

à la légère. C’est un moraliste frivole qui s’ex-

prime dans ses grandes œuvres, incapable de

sévérité, resté longtemps optimiste puisque les

couples qu’il invente se réconcilient toujours,

avant qu’une certaine noirceur ne prédomine

dans ses dernières pièces, où l’irrationalité de

la femme – pour ne pas dire son invraisem-

blable connerie – et la faiblesse de l’homme

atteignent sommets et abîmes. Mais c’est aussi

là, quand l’amertume de Feydeau est la plus

évidente, que sa plume gagne en comique. Le

spectateur se trouve mis face à un quotidien

bien connu, bassement matériel, et absurde tant

la disharmonie règne au sein des couples sur

scène. La psychologie dans ces courtes pièces,

plus travaillée, laisse mieux voir l’observateur

prodigieusement lucide qu’était le vaudevil-

liste, sensible à tous les ridicules, joliment

déniaisé sur les ressorts humains. Il avançait

que les situations les plus tragiques se prêtent

au burlesque, et qu’un auteur comique pense

« triste » d’abord.

C’est pourquoi, abordant cet ouvrage, je vous

incite à penser vous- même « triste » d’abord, à

oublier que par son titre et son projet ce petit

volume vous somme presque de rire, et à prêter

AVANT- PROPOS 13

l’oreille à ce que vous raconte Feydeau : l’histoire

de prodigieux cocus et de mégères inouïes, de

jeunes filles délurées et de beaufs magnifiques,

de soumission et d’hypocrisie, d’artifice et de

sodomie. Afin qu’il rie comme par accident,

je prie par conséquent le lecteur d’aborder les

pages qui suivent avec une mine bien déconfite,

avec zéro attente, avec tout autre chose que

de la comédie dans la tête. Je lui propose de

s’imprégner plutôt d’images de guerre, de film

d’horreur, de tout petits chats morts, ou encore

de se figurer la fin tragique de notre auteur,

syphilitique et gâteux, cultivant d’une manière

troublante sa ressemblance avec Napoléon III,

tour à tour mégalomane, délirant, prostré ou

bestial. Par contraste, le rire dudit lecteur saura

s’épancher sans frilosité, nerveux, monstrueux,

coupable, enlaidissant, comme un hommage

au rictus géant qu’étale le théâtre de Georges

Feydeau face à l’humanité.

Ewan Pez

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU14

LA FEMME SOUS TOUTES SES MOUTURES

Certes, la femme chez Feydeau, avec un natu-

rel embarrassant, sait superbement enfiler les

costumes de mégère, de puritaine, de niaise et

d’hypocrite ; mais l’homme qu’il dessine est tour

à tour crétin et suffisant, égoïste et cynique,

brute et pleutre. Personne n’est oublié, chacun

porte ses ridicules en sautoir. Qualifier Feydeau

de misogyne paraît donc idiot. Quid des jeunes

filles dessalées, bien conscientes des seconds rôles

qu’on veut leur réserver, joliment lucides sur les

rapports hommes- femmes ?

Choisirez- vous de voir Julie comme une écer-

velée n’ayant à l’esprit que la constipation de

son fils, incapable de se réjouir de la réussite

de son mari, craignant seulement d’être vue

comme la reine des pots de chambre dont il

se veut le roi, ou comme une femme au sens

des priorités troublé parce qu’isolée, maintenue

loin des affaires, confinée à ses rôles d’épouse et

de mère ? Feydeau est- il le misogyne que l’on

dit, ou le témoin véridique de son époque ?

Aujourd’hui, on ne vous épouse que lorsque

vous savez jouer du piano. Il me semble pour-

tant que ce n’est pas pour cela qu’on se marie.

Do ré mi fa sol la si do. Les gammes surtout.

Dieu ! Que c’est ennuyeux !... Mais il paraît

qu’elles délient les doigts… Comme si l’on ne

pouvait pas être une bonne épouse sans avoir

les doigts déliés. Je vous demande un peu !...

Ah ! Si les jeunes filles pouvaient parler libre-

ment… Je dirais tout simplement à celui qui

voudrait m’épouser : « Monsieur, me voilà !

Je vais avoir vingt ans, je ne sais pas jouer

du piano, mais je ne vous demande pas de

savoir jouer de la flûte. Le mariage n’est pas

un concert… C’est… C’est je ne sais pas bien

ce que c’est… Mais enfin l’on ne se marie pas

pour faire de la musique !

Lucile, Amour et piano

Follavoine, avec emballement. – Mais si je

réussis, c’est le pactole ! Je deviens du jour au

lendemain le fournisseur exclusif de l’armée

française.

Julie. – Le fournisseur des pots de chambre

de l’armée française ?

Follavoine, avec orgueil. – De tous les pots

de chambre de l’armée française !

Julie, fronçant le sourcil. – Et… on le saura ?

On purge bébé !

Voilà traduite en deux mots, alors qu’Henriette,

neuf ans, rêve avec son camarade René, onze ans,

l’étroitesse des horizons réservés aux femmes.

René. – Et puis il y a le voyage de noces…

On s’en va tous les deux tout seuls ! Sans la

gouvernante, alors ! On est des hommes… Et

on va très loin… En Italie… En Turquie.

Henriette. – À Saint- Cloud !

Fiancés en herbe

La Comtesse, puritaine comme son amie Eugénie,

diverge sur des questions d’éducation avec son frère le

LA FEMME SOUS TOUTES SES MOUTURES 17

Marquis, aux opinions libérales. Il est ici question

de la fille de ce dernier.

Le Marquis. – Tu la trouves mal élevée ?

La Comtesse. – Je ne la trouve pas élevée

du tout. Tu en as fait une espèce de sauvageon,

de garçon manqué, toujours par monts et par

vaux, tantôt à cheval, tantôt à bicyclette.

Eugénie, avec dégoût. – Des choses qui s’en-

fourchent.

Le Marquis. – Eh ben ?

Eugénie. – Ça donne des idées.

Huguette, la fille du Marquis en question, raconte

ensuite sa dernière aventure, quand, se promenant à

cheval, elle a rencontré un jeune noyé sans connaissance.

Huguette. – Je me plante par terre, les

deux genoux dans la vase, à cheval sur le petit.

Eugénie. – À cheval ! Encore !

La Comtesse. – En amazone, au moins ?

Étiennette, pourtant actrice et encore jeune, semble

appartenir à cette même ancienne génération qu’Eugénie

et la Comtesse, faisant des manières.

Étiennette. – Se baigner avec un tas de gens

qu’on ne connaît pas !… Dans la même eau !

Guérassin. – On ne peut pourtant pas vous

donner une mer par personne.

Le Bourgeon

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU18

Raymonde a reçu par la poste des bretelles qu’un

hôtel a renvoyées à son mari. Elle explique la chose

à une amie.

Raymonde. – Un colis postal que j’ai

ouvert, par mégarde, en inspectant son courrier.

Lucienne. – Et pourquoi l’inspectais- tu, son

courrier ?

Raymonde, du ton le plus naturel. – Pour

savoir ce qu’il y avait dedans. [...]

Lucienne. – C’est ça que tu appelles ouvrir

un colis… par mégarde !

Raymonde. – Mais dame ! Par mégarde

signifie : qui ne m’était pas adressé.

C’est la même Raymonde qui remarque plus loin :

Il n’y a rien de menteur comme un homme…

si ce n’est une femme.

La Puce à l’oreille

Pochet à sa fille Amélie, qui a giflé le jeune

Adonis surpris en train de siffler des liqueurs :

Une femme ne bat pas un homme ! C’est

antistatutaire !

LA FEMME SOUS TOUTES SES MOUTURES 19

Marcel se rend compte qu’il a dormi avec la

même Amélie, que lui a confiée un ami.

Marcel. – Alors, y a pas ! On a bel et bien

couché ensemble !

Amélie. – Mais oui !

Marcel. – Mais c’est épouvantable !… C’est

un abus de confiance ! Je t’ai reçue en dépôt !

Occupe- toi d’Amélie

Outre ce qu’il considère comme du naturisme,

Ventroux reproche à son épouse une trop grande

promiscuité avec leurs invités.

Ventroux. – Il n’y avait pas cinq minutes

que je te l’avais présenté, que tu ne trouves

rien de mieux à lui dire que : « Ah ! Que c’est

curieux, l’étoffe de votre pantalon ! Qu’est- ce

que c’est que ce tissu- là ? » Et tu te mets à

lui peloter les cuisses ! (Il joint le geste à la

parole.)

Clarisse, se dérobant. – Oh ! Les cuisses, les

cuisses ! Je ne m’occupais que de l’étoffe.

Ventroux. – Oui, mais les cuisses étaient

dessous ! Tu trouves que c’est une tenue ?

Clarisse. – Eh ben ! Comment voulais- tu

que je fasse ? Je ne pouvais pourtant pas lui

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU20

demander d’ôter son pantalon, à ce monsieur

que je voyais pour la première fois.

Mais n’te promène donc pas toute nue !

Toudoux cherche à rassurer son épouse qui ressent,

enceinte de huit mois, les symptômes d’un accouche-

ment imminent.

Toudoux. – Ainsi, tiens ! Chose, Machin !

Oh ! Voyons… Tu ne connais que lui… euh…

Philippe le Bel !

Léonie. – Lebel ?… Connais pas !

Toudoux. – Mais si ! Eh bien, j’ai lu ça

quelque part, lui aussi est né à huit mois !

Léonie, avec angoisse. – Ah !… Et… il vit ?

Toudoux. – Ah ! non, il est mort !

Léonie, désolée. – Ah ! Tu vois !

Mme de Champrinet, belle- mère de Toudoux,

s’emploie peu après à le convaincre de se coiffer d’un

pot de chambre pour satisfaire à la lubie de femme

enceinte de son épouse.

Mme de Champrinet. – Soyez gentil.

Coiffez- vous ! Coiffez- vous !

Toudoux, faiblissant de plus en plus. – Mais

enfin !…

LA FEMME SOUS TOUTES SES MOUTURES 21

Léonie, se lamentant faiblement. – Oh ! J’ai

mal !

Mme de Champrinet, cajoleuse. – Voyez !

Elle a mal ! Julien !… Mettez le pot ! Mettez

le pot !

Toudoux, de même. – Non ! Écoutez, vrai-

ment !… Et puis d’abord… Il ne me va pas !

Mme de Champrinet, cajoleuse. – Qu’est- ce

que vous en savez, vous ne l’avez pas essayé !

Toudoux. – Mais je vois bien !… Il n’est

pas à ma tête !

Mme de Champrinet. – Mettez, voyons !

Toudoux, dans un dernier mouvement de révolte.

– Ah ! non, vous savez… (Il hésite, va pour

mettre le pot, hésite encore une ou deux fois, puis,

prenant un grand parti, se coiffe et alors avec rage.)

Là ! Là ! Vous êtes contentes ! Je l’ai mis, le

pot ! Vous êtes contentes !

Léonie est en avance

Plantarède. – Mes enfants, c’est pas tout

ça ; il faut que nous rentrions nous changer.

Ma femme et moi, nous sommes en sueur !

Micheline. – Hein ?… Mais, parle pour toi !

Plantarède. – Eh bien, soit !… Je suis en

sueur et ma femme est en transpiration.

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU22

Dans la même pièce, Feydeau peint l’Américaine

moins chiante mais plus cruelle que la Française.

Tommy. – Dotty ! Moi je haime vous !

Dotty. – Pauvre Tommy ! Et moi je haime

le ! Ah ! Nous sommes bien malheureux !

Dotty. – Oh ! Dotty, je voudrais avaler

mon tête !

Dotty. – Et pour quelle chose, Tommy ?

Tommy. – Pour la chose que je meure.

Dotty. – Oh ! Sale !… Mon Tommy

je haime vous beaucoup ; mais pas pour le

mariage. Allez lui dire que je haime le ! Je

haime le ! (Elle le pousse vers l’hôtel.)

Tommy. – Oh ! Oh ! Jamais ! Jamais !

(Allant vers l’hôtel, menaçant.) J’aime mieux

tuer le !

Dotty. – Tommy, si vous faites ça, je épou-

serai jamais vous.

Tommy, revenant vivement à elle. – Et si je

fais pas ?

Dotty. – Oh ! Alors, je épouserai le.

Je ne trompe pas mon mari

À un journaliste qui l’invitait à imaginer

un moyen d’empêcher les femmes de conserver

leurs chapeaux au théâtre, Feydeau répondit :

LA FEMME SOUS TOUTES SES MOUTURES 23

« Déclarer que seules pourront garder leurs

chapeaux les femmes âgées de plus de qua-

rante ans. »

À un autre reporter qui lui demandait si

les femmes ont une inclination particulière

pour les humoristes : « Hum ! Rarement ! Les

humoristes, cherchant avant tout à briller, ne

pensent qu’à eux, et les femmes n’aiment que

ceux qui pensent à elles. Il est à remarquer

qu’elles ont généralement une prédilection

pour les imbéciles parce qu’elles s’imaginent

volontiers que c’est le sentiment qu’elles leur

inspirent qui les rend stupides. Et si d’aventure

elles tombent sur un homme d’esprit, le plus

grand triomphe, pour elles, c’est de pouvoir se

dire qu’elles l’ont enfin rendu idiot. »

En 1915, la mode était aux jupes amples.

Un journaliste demanda à Feydeau ce qu’il

en pensait : « La robe 1915 ? Vous ne sauriez

croire combien je la souhaitais. Avec l’ancienne

mode il était impossible de suivre une femme.

Au bout de trois pas on l’avait dépassée. »

LES SAUTES D’HUMOUR DE GEORGES FEYDEAU24

À son épouse qui lui disait un jour qu’elle

aimerait volontiers toucher des droits d’auteur,

Feydeau rétorqua : « C’est ce que tu fais depuis

que nous sommes mariés. »

LA FEMME SOUS TOUTES SES MOUTURES 25