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Alcie de Christophe Kauffman

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Dans le monde des sorciers, la petite école de Tongreden en Belgique s'est longtemps tenue à l'écart de tout. Ses élèves ne sont pourtant pas moins doués que ceux de Poudlard, mais il y a à Tongréden un secret qui plonge ses racines dans les temps les plus anciens. Ce secret, Alcie, Mounch et Arabesque vont devoir l'affronter lorsque, par négligence, les jeunes sorciers de l'école décident d'organiser pour les gens du village la plus grande et la plus terrifique des fêtes d'Halloween. Confrontés à une magie dont ils ignorent jusqu'à l'existence, les habitants de ce petit hameau des Ardennes risquent bien d'être beaucoup plus effrayés qu'ils ne l'imaginaient. Le secret de Tongreden serait-il à l'origine de tout ce qui sépare les sorciers du reste de l'humanité ?

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Page 1: Alcie de Christophe Kauffman

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Page 2: Alcie de Christophe Kauffman

AlcieChristophe Kauffman

Rue des Bransons, 37

4623 Magnée

[email protected]

0486 94 38 50

Version complète : http://www.amazon.fr/Alcie-Christophe-Kauffman-

ebook/dp/B00P8XDRSG

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Page 3: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 1

Autoscrypto !

Ça marche ! Merde ça marche ! Ah non ! Effacer ! Effacer !

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Chapitre 2

Autoscrypto !

Bon, je commence ici. Il faudra que je corrige et ça m'énerve.

Pour une fois que je tiens un sort qui fonctionne vraiment... C'est

de l'écriture de pensée... au-to-ma-tique ! Incroyable ce que ça va

vite une pensée, à peine elle est là, qu'elle est partie, sauf que

maintenant, elle est déjà sur le papier. Il faudra que je trie moi-

même. Pensées sur le papier. Pensées sur le papier. Pensées sur le

papier. Il faudra que j'apprenne à penser droit.

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Page 5: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 3

Autoscrypto !

Ce que vous verrez à partir de maintenant est le résultat d'un

patient travail de correction. Le sort d'écriture automatique est un

foutu piège.

Je m'appelle Alceste Skoepenarden. Mes copains disent

« Alcie ».

Je m'appelle Alceste Skoepenarden et Harry Potter m'énerve. Il

m'énerve même tellement que j'ai fini par le détester. Attention, je

ne déteste pas Potter jusque comme ça par hasard ou par jalousie,

je déteste Potter pour tout un tas de raisons. D'abord parce qu'il

est célèbre, et puis parce qu'il est « teeeellement modeste »

comme le dit ma copine Arabesque.

Arabesque est amoureuse de Potter, c'est évident. Ça se voit à sa

manière de prononcer son prénom, « Harryyyy » en terminant

comme si le souffle allait lui manquer, comme si elle allait

s'évanouir d'un instant à l'autre. Quand je dis amoureuse de

Potter, je veux dire amoureuse de sa photo évidemment. En vrai

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on ne l'a jamais vu. Et on ne le verra jamais. Môssieur Potter est à

Poudlard ! Môssieur Potter ne fréquentera jamais des provinciaux

comme nous. Bon sang qu'est-ce qu'il m'énerve !

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Page 7: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 4Autoscrypto !

Quand on lit les journaux des sorciers, La Gazette ou le

Mouchard, même l'Aspic.... on croirait qu'il n'y a que Poudlard

comme école ! Couillonnades ! Moi je suis à Tongreden, une

petite école perdue en Belgique. À Tongreden évidemment, il n'y

a pas quatre classes, ni choipeau magique, ni points distribués par

les professeurs pour des actions d'éclat dont personne n'a grand-

chose à foutre faire ! Une seule classe par année ! Des petits

locaux un peu misérables, un jardin potager où la seule magie

qu'on trouve c'est un sort d'apluviosa pour empêcher que les

légumes soient continuellement noyés par les torrents de flotte

qui nous tombent dessus de janvier à décembre. Comme le sort

empêche la pluie de tomber, on est obligé d'arroser le potager

sans arrêt, même les jours où il tombe des cordes. Je ne vous dis

pas le ridicule : des élèves trempés comme des soupes,

enveloppés des pieds à la tête dans des capes de pluies, qui

portent sous la pluie des seaux remplis d'eau jusqu'à un potager

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Page 8: Alcie de Christophe Kauffman

qui a tout du désert de Gobi.

On n'a pas de forêt magique non plus... Enfin, si il y en a bien

une, mais elle est à plusieurs dizaines de kilomètres de chez nous,

dans les Ardennes. Les rares fois où on y va, c'est une vraie

aventure rien que pour avoir un putain de une cochonnerie de

magicobus (il faut absolument que j'apprenne à contrôler mon

esprit !). D'ailleurs, la plupart du temps, on prend un bus de

moldus, ce qui n'a rien de très agréable, j'aime autant de vous le

dire. C'est pas que les moldus Belges soient pires qu'ailleurs,

mais leurs bus sont épouvantables. Ils sont minuscules, sales, mal

entretenus, mal éclairés... On est obligé d'y poser son sac sur ses

genoux, on se retrouve toujours serré comme des sardines contre

des gens qui ont dû oublier de se laver depuis plusieurs jours et

puis les bus des moldus sont toujours en retard. Faut dire qu'ils ne

sont pas aidés non plus... Comment tu veux être à l'heure si t'es

obligé de t'arrêter partout ? C'est insensé !

La dernière fois qu'on en a pris un, on l'a attendu quatre jours !

Évidemment, Monsieur Jusdappel n'avait pas compris tout à fait

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le fonctionnement du système, le paiement et tout ça. Il a fallu

que je lui explique plusieurs fois. Pour moi, c'est plus facile, ma

mère est une personne normale. Enfin quand je dis normale, je

veux dire « pas sorcière ». Mais alors là pas du tout. D'un autre

côté, ma mère, même comme moldue, elle n'est pas tout à fait

normale. Je crois que c'est un peu ma faute.

Donc on était tous à la sortie de l'école quand monsieur

Jusdappel, qui est prof de calligraphie opératoire et technique,

m'a appelé :

— Alcie !

— Oui, m'sieur, j'ai dit.

— Aurais-tu l'obligeance (il parle tout le temps comme ça,

Jusdappel, c'est chiant énervant comme pas possible, mais c'est

un peu touchant aussi) de m'indiquer le processus d'appel de

l'autobus ?

— Mais, m'sieur, ici y a pas d'appel, il faut marcher jusqu'à l'arrêt

du bus...

Et on s'est mis en route. On a marché quatre heures. On aurait pu

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Page 10: Alcie de Christophe Kauffman

marcher toute notre vie. Jusdappel pensait qu'il fallait marcher

jusqu'à ce qu'un bus s'arrête, vous voyez ? Jusqu'à l'arrêt du bus...

Pas une seconde il n'a imaginé que « l'arrêt du bus », ça pouvait

être un endroit.

J'ai fini par le lui dire. Au début, j'ai bien rigolé, mais après

quatre heures de marche, je ne rigolais plus du tout, alors je lui ai

dit.

Je l'aime bien Jusdappel. Il est ringard total, mais je l'aime bien. Il

ne fait pas semblant, il n’essaie pas de faire le jeune, d'être

comme un adulte qui pourrait être comme un copain, il est

ringard et c'est tout. Et puis, j'aime bien le cours de calligraphie.

D'ailleurs, c'est le cours de calligraphie qui m'a donné l'idée

d'écrire. Je ne suis pas encore certain que ce soit une bonne idée,

mais bon... Bonne idée ou pas, sans le sort d'autoscrypto, j'y

serais jamais arrivé. C'est fatigant d'écrire.

Pour le moment, je suis fatigué tout le temps.

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Chapitre 5Autoscrypto !

Le 13 octobre

Je vais rajouter les dates, sinon je ne m'y retrouverais pas.

Ce matin a été tout à fait étrange. Les professeurs étaient tous là

avant nous, ce qui n'arrive pour ainsi dire jamais. Normalement,

au moment où les élèves se pointent à l'école, plus ou moins en

retard en fonction de l'envie qu'ils avaient d'y aller ce matin-là, il

n'y a de présents que Mme Bougniéfort, la Directrice et

Mme Sompur, femme à tout faire. Mais aujourd'hui toute l'équipe

était là, dans la cour, en grand conciliabule, et quand les élèves

ont été suffisamment nombreux, les profs ont arrêté de parler

entre eux. Comme s'ils voulaient éviter qu'on les remarque ou

qu'on les entende.

C'est évidemment stupide de leur part puisqu'il leur suffit

d'invoquer un sort de Firmata surdita pour que plus personne ne

puisse écouter leur conversation. À moins qu'ils n'en soient pas

capables, bien entendu.

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Page 12: Alcie de Christophe Kauffman

Bien sûr que c'est une blague. Ils en sont parfaitement capables.

Tout le monde n'est pas Dumbledore, c'est sûr, mais quand

même ! Ce n’est pas parce qu'on est de la province qu'on est

complètement idiot !

À voir leurs têtes, on a tous compris qu'il y avait un souci.

— y a une arête dans la banane, a dit Mounch. Et ça l'a fait

rigoler.

Mounch en réalité s'appelle Mauril, mais le dernier qui l'a appelé

comme ça court toujours... Mounch rigole absolument tout le

temps. Même quand il n'y a aucune raison de rigoler. Je me suis

toujours dit que ça cachait quelque chose, mais je n'ai jamais

cherché quoi. Peut-être parce que j'adore ça qu'il rigole tout le

temps. Ça fait un peu la balance avec moi, qui ne rigole pas très

souvent.

J'ai rencontré Mounch quand je suis arrivé en première, il y a six

ans. Merde mince six ans ! Ça fait un bail qu'on se connaît dit

donc ! Et depuis le jour où je l'ai rencontré, Mounch n'a jamais

arrêté de rigoler. Même le jour où on a raté notre cinquième

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Page 13: Alcie de Christophe Kauffman

année, il rigolait. Pourtant, la perspective de d'annoncer à ses

parents qu'il allait devoir doubler son année aurait dû le faire

trembler ou pleurer ou s'enfuir très vite et se cacher très loin...

Mais non, il rigolait.

Mounch est un type énorme. Pas tout à fait un géant, mais

suffisamment grand pour que n'importe qui paraisse petit à côté

de lui. Alors forcément, il a intérêt à rigoler... quand il ne rigole

pas, il fait peur. Surtout depuis qu'on a décidé de s'habiller

différemment. Quoique « décidé », c'est vite dit. Vous trouvez

qu'on décide, vous ? Moi, finalement, je ne suis pas sûr. C'est

plutôt une évolution vers quelque chose, une dégradation lente et

insidieuse, vous voyez ce que je veux dire ? Ça se passe sans

qu'on s'en aperçoive vraiment, mais en même temps, on le sait...

On le sait très bien qu'on a commencé à être « différents ». Alors,

je pense que comme on le sait, on finit par avoir envie que les

autres le sachent aussi. Par avoir envie qu'ils le voient. Donc on

s'habille différemment.

Mounch et moi, on a commencé par mettre des blousons en cuir,

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Page 14: Alcie de Christophe Kauffman

comme les moldus. Des blousons avec des clous, des chaînes et

tout ça. Puis au bout de quelques mois, ça ne devait plus nous

suffire parce qu'on avait ajouté des grosses godasses de militaires

moldus, des tatouages et des piercings. Les parents de Mounch,

j'ai cru qu'ils allaient devenir fous.

La première fois qu'il l'a vu avec une petite barre métallique à

travers le sourcil, le père de Mounch n'a rien dit, il a sorti sa

baguette et il a marmonné un truc, je ne sais pas quoi, en tout cas

sur le coup, Mounch s'est retrouvé plié en deux par terre, le

souffle coupé et des larmes plein la figure. Le lendemain, quand

Mounch est arrivé à l'école, il avait le visage complètement

renettoyé.

— t'as tout enlevé ?

J'étais un peu surpris. J'aurai plutôt crû qu'il se serait battu toute la

nuit avec son père et qu'il aurait fini par gagner. Pas qu'il soit plus

fort que son père, un fils devrait jamais savoir s'il est vraiment

plus fort que ses parents, mais je crois qu'il est plus têtu.

Mounch m'a regardé, puis il a rigolé. Ça m'a fait un bien fou...

— J'ai rien enlevé du tout, j'ai opté pour une opération

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Page 15: Alcie de Christophe Kauffman

camouflage... optiviusa !

Il avait à peine dit ça qu'une sorte de fumée a semblé sortir tout

droit de sa figure. Tous les pores de sa peau dégorgeaient une

espèce de buée chaude qui s'évaporait tout de suite en lui donnait

l'air d'être entouré d'un petit nuage pour lui tout seul. Et quand le

nuage s'est dissipé...

— La vache ! Mais t'en as remis d'autres !

— Ouais ! Cette nuit...

— T'es sorti cette nuit ?

— Mwais...

Mounch avait un peu hésité en disant ça, mais j'avais compris. Il

était bel et bien sorti de chez lui au beau milieu de la nuit.

Quelque chose avait changé. Définitivement changé.

Et moi je ne voulais pas rester sur le quai... alors, j'ai décidé de

changer aussi. C'est ce jour-là qu'on est devenu vraiment

« différent ». Ça, c'était il y a trois mois à peine. On venait de

recommencer l'année. Pour Mounch et moi, recommencer était le

bon mot puisqu'on la faisait pour la deuxième fois...

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Page 16: Alcie de Christophe Kauffman

Donc, on était là, à attendre le début des cours quand on a été

rejoint par Arabesque. Mounch a continué à rigoler, mais un peu

différemment. Maintenant, c'était le rire de quelqu'un qui veut

qu'on l'entende rire. Comme si on pouvait ne pas remarquer

Mounch en train de rigoler. Généralement, une sorte de bruit de

locomotive qui démarre sortait de sa bouche et entamait aussitôt

une accélération lente et inexorable vers un boucan de plus en

plus assourdissant. Mais depuis quelque temps, j'avais remarqué

que Mounch riait autrement quand il y avait une fille dans les

environs immédiats. Là aussi quelque chose était en train de

changer. Pour ne rien cacher, j'avoue que moi aussi j'avais

tendance à émettre de drôles de sons de temps à autre, je veux

dire en présence des filles. Ridicule, mais je ne parviens à m'en

empêcher. Comme si je ne parvenais plus à maîtriser ma voix.

Bordel. Zut.

Là quand même, j'ai été surpris. Je n’avais jamais vraiment

remarqué qu'Arabesque était une fille.

Pourtant, en la regardant bien, c'en était une.

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Page 17: Alcie de Christophe Kauffman

Plutôt jolie d'ailleurs. Un peu grande quand même, près d'un

mètre nonante-cinq, mais jolie.

Je n’ai pas eu trop le temps de m'attarder sur le physique

d'Arabesque parce que dans la cour un drôle de silence était en

train de s'installer.

Ça a mis un moment. Un peu comme un malaise. Comme quand

on s'aperçoit que quelqu'un vient de faire une grosse connerie

commettre un gros impair, mais qu'il ne s'en est pas encore aperçu

et que tout le monde le regarde, tu vois ? Les regards se tournent

vers la personne, petit à petit, et les conversations s'interrompent.

Une vague qui retombe, mais doucement.

Dans la cour, quarante-cinq élèves se tournaient petit à petit vers

six professeurs groupés, presque alignés contre le mur du fond.

En silence.

Du côté des profs, il y a eu comme un toussotement collectif.

Madame Bougniéfort a jeté un regard vers Mandalle, le prof de

culture physique (ça, c'est une particularité de chez nous, je crois

que nous sommes, dans la grande fraternité — tu parles ! — des

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sorciers, la seule école à disposer d'un prof de gym. Il faut dire

qu'un sorcier digne de ce nom dispose de tout un tas de moyens

d'action en dehors de la force physique. D'un autre côté, un

sorcier totalement mou du genou ne parviendra jamais à lancer un

sort correct. Ça, ils ne le disent jamais dans les journaux qui

vantent les exploits de Môssieur Potter !). Mandalle lui a rendu

son regard et l'a encouragé silencieusement. Un peu piteusement

aussi, comme s'il lui semblait évident tout d'un coup que c'est lui,

l'homme fort de l'équipe, qui aurait dû prendre la parole à cet

instant.

Le silence dans la cour n'avait jamais été aussi épais. Même

Mounch avait presque cessé de rigoler.

— Chers étudiants, a commencé Mme Bougniéfort. Puis elle s'est

arrêtée pour reprendre son souffle. « J’ai une nouvelle bien

désagréable à vous annoncer... »

— Vas-y ! Accouche ! a murmuré Mounch sans s'apercevoir qu'il

parlait à voix haute.

— Notre école va fermer.

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Chapitre 6Autoscrypto !

Le 14 octobre

Ça fait un choc quand même ! Putain ! Tiens, je ne le corrige pas

celui-là, l'école le mérite. Bon sang ! Tongreden va fermer... Vous

auriez vu la tête de la directrice quand elle nous a annoncé ça. Un

visage tout chiffonné, une petite bouche tremblante, des yeux

prêts à pleurer. Ça nous a fait mal. C'est vrai, Bougniéfort a beau

être un peu sinistre, on ne peut pas s'empêcher d'avoir une sorte

de respect pour elle au bout de quelque temps.

Notre école... D'accord, on pourrait se dire qu'elle n’est pas

terrible. À part le porche d'entrée qui a de la gueule avec son côté

château hanté de film de série Z, ses gargouilles qui hurlent à la

mort dès qu'elles aperçoivent quelqu'un dans le lointain et son

pont-levis à chausse-trappes. Mais pour le reste, faut avouer qu'on

ne réunit pas vraiment le confort nécessaire.

Ho, j'en entends qui se moquent déjà : « évidemment, avec des

profs aussi minables et des apprentis aussi médiocres, on ne peut

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Page 20: Alcie de Christophe Kauffman

pas obtenir grand-chose de plus qu'une façade ! »

D'abord, on est loin d'avoir des profs minables ! Et puis tout ceux

qui ont étudiés, ne fut ce que le début des premiers livres de

pratique des sorts domestiques le savent, on ne peut faire qu'avec

ce qu'on a. Rien ne se crée. Évidemment, nous sommes capables

de transformer une tente de camping basique en palace, comme

n'importe qui ! Mais si la tente est trouée, la toile usée jusqu'à la

corde et les piquets manquants, l'enchantement ne pourra jamais

créer qu'un château au toit percé et aux murs branlants, sans

fenêtres et sans chauffage.

Notre école, elle est comme la tente trouée. Juste derrière le

porche d'entrée, il y a une cour, enfin une courette. Elle ne fait pas

plus de trente mètres de long. Faut dire qu'on n'est pas beaucoup

évidemment, mais même à pas beaucoup, dans un rectangle de

trente sur vingt, on est vite serrés. On a tendance à l'oublier très

vite pourtant. D'abord parce qu'on s'habitue à tout, même au pire,

et ensuite parce que les profs ont fait preuve d'une imagination

sans bornes au niveau de la décoration.

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Page 21: Alcie de Christophe Kauffman

Et surtout, il y a un sort sur la cour. Un truc de fou. Ça te donne

l'impression qu'elle est vachement plus grande. Pas gigantesque,

hein ! Juste la sensation que tu peux t'y promener vraiment,

comme dans un parc, tranquille. C'est une sorte de sort

d'évitement... je n’ai jamais réussi à retenir son nom, mais ça fait

en sorte que les élèves qui s'y promènent ont le plus grand mal à y

rencontrer qui que ce soit. On voit parfaitement qu'il y a d'autres

personnes qui s'y trouvent, mais elles ont toujours l'air d'être plus

loin qu'on ne le pense, ou d'être en train de s'éloigner. Ça donne

une sensation tout à fait étrange... En tout cas au début. Après...

On s'habitue.

L'école va fermer... Il y a eu une sorte de murmure quand

Mme Bougniéfort nous a annoncé la nouvelle. Une espèce

d'excitation contenue. Tous les élèves se sont mis à parler entre

eux à voix basse (enfin dans le cas de Mounch, c'est plutôt une

voix de contrebasse, je crois qu'il est incapable d'être discret pour

le moment).

Il a fallu un bon moment pour que le sens des paroles de la

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Page 22: Alcie de Christophe Kauffman

directrice nous parvienne vraiment. Tous les élèves, les plus petits

comme les plus grands, se posaient les mêmes questions : quand

est-ce qu'on ferme ? Où est-ce qu'on va aller ? Et l'école, qu'est-ce

qu'elle devient ?

C'est bizarre, quand tu vis depuis plusieurs années dans un

endroit, il devient comme une personne. Alors, l'abandonner ? Ça

va pas non ! On n'abandonne pas les gens comme ça !

Quand on est rentré en classe, c'était déjà évident. Pour Mounch,

Arabesque et moi en tout cas. On allait faire quelque chose ! Sûr !

Quoi ? On ne savait pas bien, mais quelque chose !

Et on n'était pas les seuls. Benvenutto, un petit mec avec des

lunettes si épaisses qu'il donne toujours l'impression de vous

regarder depuis l'autre côté d'un aquarium, était déjà en train de

rédiger des plans d'attaque. Il n'avait même pas pris le temps de

s'asseoir, ni d'enlever son manteau. Tu l'aurais vu foncer ! Il a

bousculé Mounch, qui fait facilement trois fois son poids et deux

fois sa taille, pour aller se planter devant la bibliothèque avec un

bloc de papier et un stylo. En temps normal, Mounch lui en aurait

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Page 23: Alcie de Christophe Kauffman

retourné une belle, mais là, rien.

On avait cours avec Monsieur Rémy.

Monsieur Rémy est un moldu.

Ben oui ! Dans notre école, tous les profs ne sont pas des sorciers

de renommée internationale ! Qu'est-ce que tu crois ? Qu'il faut

être sorcier pour être quelqu'un de bien ? Mon cul, oui ! Monsieur

Rémy est l'humain le plus humain que je connaisse ! Il a l'air

d'être sorti tout droit d'une chanson de Pierre Bachelet.

Ah oui, évidemment tu ne connais pas Pierre Bachelet. Moi je ne

connais que lui ! À cause de ma mère. Elle écoute du Pierre

Bachelet sur un tourne-disque (tu peux l'imaginer ça ? Un tourne-

disque ! Une platine ! Comme dans les années soixante du siècle

dernier ! Un machin énorme avec une sorte de plateau rond qui

tourne sur laquelle tu poses une galette ronde, en plastique, et un

bras avec une aiguille superfine et ça donne un son pas

possible !). Pierre Bachelet est un chanteur moldu. Ce mec, c'est

un concentré de désespoir. Faut dire, il est belge et la Belgique a

un petit côté désespérant. Si. Franchement, tu t'es déjà levé un

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Page 24: Alcie de Christophe Kauffman

matin de février pour regarder la mer du Nord ? Ou les forêts

ardennaises ? D'accord, c'est beau, mais d'une beauté qui pleure.

Ben, Monsieur Rémy est comme ça. Surtout les yeux. Même

quand il éclate de rire, on dirait qu'il va pleurer. On dirait une

sorte de capitaine Haddock qui aurait perdu son navire ou qui

aurait arrêté de boire.

C'est notre prof de français.

Monsieur Rémy nous a fait découvrir des histoires incroyables.

Tous les vendredis après-midi, il nous en lit un morceau. Il faut

avoir vécu ça au moins une fois dans sa vie : une lecture de

Monsieur Rémy. Le silence qu'il y a dans la classe à ce moment-

là, la profondeur de ce silence, ça donne une idée de l'infini.

— Benvenutto ! Tu t'assieds ! Il a dit.

— Mais, m'sieur ! C'est important...

— C'est toujours important !

J'étais surpris parce que Benvenutto est plutôt du genre petite

souris. C'est pas le mec à s'opposer à quoi que ce soit, tu vois ?

Mais c'était un jour spécial, évidemment.

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Page 25: Alcie de Christophe Kauffman

— Tu t'assieds et tu m'écoutes !

Je ne l'avais pas souvent entendu grogner Monsieur Rémy, mais

les rares fois où il l'avait fait, j'avais été impressionné.

Ben, là aussi. Et avec moi, toute la classe. Sauf Benvenutto qui est

resté planté devant la bibliothèque, rouge comme la courgette que

Mounch a transformé en cours de magie domestique, en bégayant

des trucs incompréhensibles.

— Mais M'sieur ! Il faut... on peut pas... il f... il f...

Il en avait des hoquets et la voix chevrotante comme les gosses

qui vont s'écrouler en grosses larmes. Ses lunettes s'étaient

tellement embuées qu'on l'aurait crû perdu dans le brouillard.

Mais il ne bougeait pas ! Une main accrochée au coin d'un meuble

et l'autre qui battait l'air en essayant d'y dessiner les explications

que sa voix ne parvenait plus à nous donner.

Alors, Monsieur Rémy s'est levé.

C'est quand il est debout qu'on comprend pourquoi personne ne

lui désobéit jamais. Ce n’est pas vraiment qu'il soit grand, mais

quand il est debout... il est debout ! Tu vois ? Il est là quoi ? Je ne

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Page 26: Alcie de Christophe Kauffman

sais pas bien l'expliquer, il est... présent. Fort. Inébranlable. Ça

doit être le bon mot ! Inébranlable, comme une montagne ou une

sculpture immense, un menhir, quelque chose de suffisamment

puissant pour qu'on aie envie de se réfugier en dessous, mais sans

se faire remarquer.

Benvenutto, ça ne l'a pas empêché de continuer son cinéma,

jusqu'au moment où Monsieur Rémy s'est planté devant lui.

Puis il l'a pris dans ses bras. Il l'a serré dans ses grandes paluches

de marin perdu et il est resté comme ça, longtemps. Les

protestations de Benvenutto se sont transformées en sanglots et

les sanglots en grosses larmes silencieuses et Monsieur Rémy l'a

ramené jusqu'à son banc.

Quand Monsieur Rémy s'est assis, on se taisait. Finalement, c'est

beau une classe qui se tait. C'est rare. C'est même exceptionnel.

Ça sent l'évènement.

— Comme Bougniéfort vous l'a dit, à commencer Monsieur

Rémy, notre école va fermer. Question d'argent. Le Ministère de

la Magie, section enseignement, souhaite réunir les écoles en

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Page 27: Alcie de Christophe Kauffman

centres d'enseignements plus importants, une série de hautes

écoles qui délivreront toutes un diplôme équivalent.

Tu veux que je te dise ce que j'en fais moi, des hautes écoles ? Ce

n’est pas juste ! Qu'est-ce que j'en ai à cirer moi d'avoir un

diplôme reconnu ? Reconnu par qui d'abord ? Et pour faire quoi ?

Pour trouver un travail dans un ministère ? En sortant de

Tongreden, je n’ai aucune chance de trouver ! Chez nous les gens,

sorcier ou pas sorcier, c'est dans des usines qu'ils travaillent ! Et

qu'on soit moldus ou pas, ça ne change pas grand-chose, c'est la

même merde, du début de ta vie à la fin ! Le même petit train-

train quotidien, tous les jours, du matin jusqu'au soir ! Alors

perso, je m'en moque de la reconnaissance des diplômes, je n’ai

aucune envie de quitter l'endroit où je vis depuis toujours !

Qu'est-ce que tu crois ? Que les sorciers ne travaillent pas ? Et où

est-ce qu'ils achètent leur nourriture ? Et leurs vêtements, qui les

fabriquent ? Et qui les vend ? Leurs poubelles, qui ramassent leurs

poubelles ? Des métiers pourris, il y en a autant chez nous que les

moldus ! On ne les pratique pas de la même façon, mais ils ne

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Page 28: Alcie de Christophe Kauffman

sont pas plus drôles, je peux te l'assurer.

— Monsieur ? a demandé Arabesque, ils vont nous mettre où ?

— Burkesselt. La HEM la plus proche est à Burkesselt.

Je regardais Arabesque quand elle a posé la question. C'est pour

ça que j'ai vu qu'elle pleurait. Je crois que c'est ça, cette larme qui

a coulé le long de sa joue jusque dans son cou, qui a décidé pour

moi. Il n'est pas question, pas question une seconde, que ça se

passe comme ça ! C'était une question d'argent ? Alors, on allait

en trouver de l'argent ! Et pas plus tard que tout de suite !

Je ne l'avais jamais trouvée aussi belle.

Chapitre 7Autoscrypto !

Le 18 octobre

Quatre jours. Quatre jours depuis l'annonce de Bougniéfort et on a

abattu un boulot de fou. On va trouver une solution. On est en

train de trouver une solution ! Ils veulent du pognon ? Le pognon

va tomber de partout, tu vas voir !

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Page 29: Alcie de Christophe Kauffman

Je suis un peu énervé... ce n’est pas le mot, un peu euphorique !

Ça, c'est juste ! Je n'imaginais pas qu'il y aurait un rassemblement

pareil ! Je crois que tous les élèves étaient là, il y avait même

quelques profs, l'air de ne pas y toucher, mais qui s'intéressaient

de près à...

C'est vrai, je n'ai même pas encore expliqué !

Bon, en deux mots, on va tous s'y mettre et on va organiser des

activités pour rassembler des fonds. Quand on aura assez, on

écrira au ministère pour exiger qu'il laisse l'école ouverte. S'il le

faut, on paiera nous même les profs et l'entretien des bâtiments

et...

Je sais, je m'emballe un peu. Mais quand même, cet après-midi,

c'était un beau moment.

C'est Benvenutto qui a pris la parole au nom des élèves de

dernière année. Je ne l'en aurai pas crû capable, mais il l'a fait !

— Vous savez tous pourquoi nous sommes là, a-t-il commencé, le

ministère chargé de l'enseignement veut fermer notre école ! Leur

prétexte ? Le manque d'argent ! Donc le problème est simple :

29

Page 30: Alcie de Christophe Kauffman

trouver de l'argent. J'attends vos idées !

À peu près cent cinquante voix ont hurlé « wouaiiiis » dans un bel

ensemble. Et j'avoue que j'ai crié aussi fort que les autres. Puis il y

a eu comme un flottement. Parce que, bien sûr, on voulait tous la

même chose, mais strictement personne n'avait commencé à

réfléchir sur le comment faire...

Je me suis retourné pour interroger Mounch et Arabesque du

regard. Pour Mounch évidemment j'ai dû lever un peu les yeux,

mais j'ai eu beau les lever, dans les siens j'ai trouvé exactement ce

qu'il devait trouver dans les miens : un vide abyssal. Pas une idée.

Pas la queue d'une idée. Comme si tout d'un coup l'ampleur du

projet nous interdisait d'oser exprimer le moindre début de

solution. Ça a toujours l'air facile quand c'est un exercice. Tu sais,

quand tu dois inventer un truc qui ne sera jamais réalisé, comme

ça, juste pour le plaisir de l'imaginer... mais quand on se trouve

plongé dans la réalité, c'est différent. Toutes les idées qui viennent

normalement, librement, facilement dans mon cas parce que je

suis plutôt un mec à idées (et je le dis sans me vanter, vraiment),

30

Page 31: Alcie de Christophe Kauffman

toutes ces idées-là, elles disparaissent derrière les obstacles du

raisonnable.

Franchement, c'est ça le problème : le raisonnable. La petite voix

qui te dit « ça ne sert à rien », « ça ne marchera jamais », « même

pas la peine d'essayer », « trop difficile », « trop coûteux »...

— Arabesque ? » a dit Mounch.

Je ne savais pas. C'était même plutôt bizarre parce que j'avais la

certitude qu'elle était avec nous depuis le début. Alors forcément,

je suis tombé sur le cul quand j'ai vu qu'il y avait un mouvement

du côté de Benvenutto et que la personne (la grande personne) qui

faisait bouger tout ce beau monde était Arabesque elle-même.

Benvenutto était monté sur une sorte de piédestal (une table

bancale calée avec un livre de classe, je pense) pour être mieux

vu, mais quand Arabesque est arrivée à côté de lui, elle était

presque au niveau de son visage. Avec le genre qu'elle se

trimballait ces jours-ci, c'était plutôt difficile de ne pas la

remarquer.

Depuis une semaine, elle s'essayait à une série de sorts de

31

Page 32: Alcie de Christophe Kauffman

coiffure. Arabesque m'a dit une fois qu'elle voulait devenir

coiffeuse-visagiste ou styliste...

Je ne dis pas ça pour me moquer, mais y a quand même des trucs

que je ne comprendrais jamais chez les filles. En sept jours, elle

avait à peu près essayé toutes les possibilités de coiffure qu'une

imagination débridée peu vous faire venir à l'esprit : couleurs

parfaitement inattendues, coupes bizarres, avec ou sans cheveux...

et là, c'était une immense crête de pointes jaunes et brillantes. Et

quand je dis brillantes, le mot est faible : ça étincelait comme un

feu d'artifice au solstice d'été. De toutes les pointes, une série de

petites étincelles se déversaient en continu, en lui faisant comme

une traîne de comète derrière la tête. De temps en temps, une des

étincelles explosait en milliers de petites flammèches de toutes les

couleurs. Pas franchement le genre de truc qui passe inaperçu.

Pendant une seconde, j'ai eu peur pour elle. J'ai eu peur qu'un

immense éclat de rire vienne secouer les cent cinquante élèves et

profs qui avaient tous l'air de se demander ce qui venait de leur

tomber dessus. Ça m'a serré le coeur. S'ils avaient ri..., je ne sais

32

Page 33: Alcie de Christophe Kauffman

pas ce que j'aurai fait, mais je crois que j'aurais fait une connerie.

Mais personne n'a ri. Sauf Mounch. Mais pour Mounch, c'est

différent.

Arabesque était peut-être ridicule, mais elle avait l'air si... si

grave ! Si sérieuse ! Quand elle s'est retournée vers nous, on a

senti comme un souffle magique passer sur la cour. Ben ouais,

qu'est-ce que tu crois, chez les sorciers aussi il y a de la magie...

— Moi, j'ai une idée, elle a dit. On va organiser des fêtes ! Les

fêtes les plus gigantesques qu'on n’ait jamais vu ! Des fêtes pour

lesquelles les gens paieront des sommes astronomiques !

Là-dessus, le silence est devenu encore plus pesant. Des fêtes ?

Quoi, c'est tout ce qu'elle avait à proposer ? Des fêtes ? Des

soupers spaghettis ? Des soirées dansantes ? Mais personne

n'aurait l'idée de payer plus d'un centi-gallion pour aller à une fête

organisée par les élèves de Tongreden...

Sauf que nous n'avions pas encore compris. Arabesque avait une

autre idée en tête et quand elle nous l'a expliquée, le silence s'est

transformé en un hurlement formidable, un délire complet où

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Page 34: Alcie de Christophe Kauffman

chacun essayait de crier plus fort que les autres. Parce que ce

qu'Arabesque nous proposait, personne n'aurait osé le proposer,

personne ne l'avait jamais fait :

— On va faire des fêtes pour les moldus !

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Page 35: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 8Autoscrypto !

Le 18 octobre trente-cinq minutes plus tard.

J'ai dû m'arrêter, ma mère m'appelait pour souper.

Des fêtes pour les moldus ! Non, mais vous imaginez ça ? Des

soirées organisées par des sorciers pour des non-sorciers ! C'est

l'évidence même ! À se demander comment personne n'y avait

pensé plus tôt !

Évidemment, il faudra faire attention. Depuis toujours les sorciers

vivent cachés des autres, dans le secret. C'est tellement important

qu'il y a des gens qui sont payés uniquement pour vérifier que les

moldus ne risquent jamais d'être mis au courant de notre

existence. Il y a même un ministère du Bonnerel. Le B.R. pour

bonnes relations tu vois ? Mais on dit Bonnerel. Je le sais parce

qu'on vient de l'étudier en Histoire de la magie. Mme Rozoux,

c'est la prof d'histoire, nous a farcis la tête de tous les grands

mouvements liés à l'histoire de la magie et entre autres choses,

depuis qu'on a communautarisé les compétences de certains

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Page 36: Alcie de Christophe Kauffman

ministères (maintenant, nous sommes la communauté française de

magie et le ministère du Bonnerel ne s'occupe plus que de la

partie francophone du pays), de tout ce qui nous lie aux Moldus.

C'est assez incroyable les efforts qu'on peut faire pour conserver

le secret. Parce que c'est ça évidemment les « bonnes relations »,

c'est le secret. Pas question que le moldu moyen puisse découvrir

ne serait-ce qu'un minuscule indice de notre présence ! Il y a pas

moins de dix-huit commissions qui étudient la question en

permanence ! Le ministre qui a le Bonnerel en charge est

questionné sans arrêt, pas un jour sans qu'il y ait un début de

scandale dans les journaux, pas une semaine sans qu'on remette

en question la façon dont ses services camouflent notre existence.

Ministre du Bonnerel, c'est comme ministre de l'emploi ou des

pensions chez les moldus, c'est un truc impossible. Indispensable,

mais impossible.

C'est pour ça qu'au moment où Arabesque nous a lancé son idée,

Mme Rozoux est devenue rouge pivoine et qu'elle s'est mise à

crier. Mais comme on criait tous en même temps qu'elle, personne

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Page 37: Alcie de Christophe Kauffman

n'y a vraiment fait attention.

C'est peut-être même pour ne pas l'entendre qu'on criait si bien.

Si je dois dire le fond de ma pensée, la proposition d'Arabesque

est une proposition de fou. Et encore de fou totalement désespéré.

Rien qu'à l'idée de faire ça, j'ai tous les poils des bras qui se

hérissent, j'ai le coeur qui bat, pour tout dire... j'en suis presque

malade.

Depuis que je suis tout petit, mes premiers souvenirs sont

rattachés à ça : être discret. Ne pas se faire remarquer. Être

incognito, toujours et partout.

Faut dire... Pour ce que j'en sais, la dernière fois que des sorciers

se sont fait remarquer, les moldus ont inventé l'inquisition.

Inquisition... Inquisitio en latin, ça veut dire « enquête ». À

l'époque, les moldus croyaient qu'il existait des sorciers. Ils

avaient raison évidemment, le problème c'est qu'ils en voyaient

partout. Et surtout, ils en avaient peur. Une trouille bleue. Et la

peur, c'est la mort de l'esprit. Alors à chaque fois qu'ils pensaient

coincer un sorcier, les moldus voulaient l'interroger et le faire

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Page 38: Alcie de Christophe Kauffman

avouer. Pour ça, ils ont utilisé des moyens... affreux.

Des trucs à gerber.

Le ministre de l'époque a fait tout ce qu'il pouvait, mais rien à

faire : les moldus n'ont peut-être pas de pouvoirs magiques, mais

ils ont une force dans l'acharnement à faire s'écrouler les falaises.

Quand j'y réfléchis, je me dis que tous les sorciers sont élevés

dans la méfiance des moldus. Une méfiance qui va jusqu'au

racisme. C'est pour ça... les « sangs de bourbe », tu sais l'injure

suprême pour un sorcier ! Comme si le fait d'avoir un père ou une

mère Moldu pouvait avoir une importance ! Ça m'énerve ! Ça m'a

toujours énervé !

Parce que moi, je suis un « sang de bourbe », tu vois. Ma mère est

une Moldue pur jus, une femme tout ce qu'il y a de bien, mais qui

n'a pas plus de pouvoir magique qu'un canard en vacances. À part

quand elle fait son hachis parmentier du dimanche, là je ne te dis

pas ! Le plus puissant des sorts du plus puissant des faiseurs de

potions n'atteint pas la cheville du hachis parmentier du dimanche

de ma mère !

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Page 39: Alcie de Christophe Kauffman

Tout ça pour dire que si on veut organiser des fêtes et y inviter des

moldus, y va falloir faire supergaffe. Si jamais on se fait prendre,

c'est la prison à coup sûr. Et s'il y a une chose qui fonctionne bien

dans le monde merveilleux des sorciers, c'est la prison.

Je vais aller dormir.

Putain ! La prison...

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Page 40: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 9Autoscrypto !

Le 20 octobre

On va le faire. La date est fixée au 31 prochain, forcément. La

fête d'Halloween, un truc qui excite énormément les Moldus

depuis quelques années. S'ils savaient d'où ça vient, ça les

calmerait vite fait, je peux te le dire, mais ils ne savent pas et c'est

très bien comme ça. Il y a des choses que même les sorciers

aimeraient mieux ne pas savoir.

Il a fallu négocier ferme. Rozoux nous a fait un de ces cinéma !

Hier, à la place du cours d'histoire, elle avait convoqué Merrick, le

docteur du village.

Bon, d'accord, je mélange un peu tout.

Commençons par le commencement. Hier matin, en arrivant à

l'école, on a tous eu droit à une circulante. La circulante, c'est un

peu comme une lettre, la même pour tout le monde, sauf que la

circulante te suit partout. Ça dépend de l'importance que celui qui

l'a envoyée lui accorde évidemment, mais elle peut te suivre

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Page 41: Alcie de Christophe Kauffman

comme ça plusieurs heures de suite. Plus il y en a, plus c'est

difficile, mais ici il faut croire que Rozoux y avait mis toute sa

puissance, parce que pendant toute la matinée il y en a eu dans

toute l'école. T'imagine pas le bruit que ça peut faire, presque trois

cent cinquante feuilles de papier qui bruissent dans tous les coins,

qui se plient et se déplient, en forme d'avion, de planeur, de fusée,

d'oiseau, d'insecte... elles se promènent partout et dès qu'elles

perçoivent un bruit, elles se déplient et elles diffusent leur

message, à voix haute et même très haute !

— À l'attention de tout élève de l'école de Tongreden !

Abandonnez cette idée dangereuse et ridicule de fête à moldus !

Vous allez vous mettre hors la loi ! Vous allez risquer la vie de

millions de sorciers de par le monde ! Vous aurez sur la

conscience la fin d'une civilisation de connaissance et de sagesse !

Et il y en avait comme ça pendant au moins huit minutes. Toute la

matinée. Comme elles réagissent au bruit, plus personne n'osait

bouger. Le souci c'est qu'une circulante réagit à tous les bruits :

une porte qui grince, un chat qui miaule, une souris qui gratte

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Page 42: Alcie de Christophe Kauffman

sous le plancher, un éternuement... C'est fou ce que ça entend bien

ces trucs-là !

À midi, on aurait crû qu'un sort de Statuquo avait été lancé sur

toute l'école. Chaque classe s'était transformée en musée plein de

statues, même les profs n'osaient plus rien dire, de peur de voir se

réveiller la vingtaine de circulantes planquée dans tous les coins

de la pièce.

Lorsque l'horloge du hall d'entrée à commencer à sonner on s'est

tous bouché les oreilles. Ça n'a pas servi à grand-chose, les trois

cent cinquante circulantes se sont mises à hurler en même temps.

Huit minutes de hurlements ininterrompus, on a cru qu'on

devenait fous ! Les plus petits s'étaient cachés sous leurs bureaux,

il y en a même quelques-uns qui pleuraient, puis tout d'un coup

elles se sont tues. Après ça, le silence était tellement énorme qu'on

aurait dit que lui aussi faisait du bruit.

Puis on a eu Rozoux.

La circulante n'était pas signée, mais c'était évident pour tout le

monde : c'est bien elle qui l'avait envoyée.

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Page 43: Alcie de Christophe Kauffman

Mademoiselle Rozoux, c'est un peu une planche à repasser qu'on

aurait transformée en femme par inadvertance. Elle est maigre

comme un chat abandonné sur une aire d'autoroute, avec l'air

continuellement fâché d'une prof qui n'a pas dû connaître des

débuts faciles. Toujours tirée à quatre épingles, mais avec un style

vestimentaire qui est devenu assez rare depuis une vingtaine

d'années. Le problème avec Rozoux c'est que même en pesant

quarante-cinq kilos toute mouillée, elle est capable

d'impressionner n'importe quel type qui fait trois fois son poids et

deux fois sa taille juste en le regardant méchamment. Les regards

méchants, elle connaît.

Et à midi et demi, on a connu aussi.

Elle était là quand on est entré en classe. Assise à son bureau. Du

bout du doigt, elle faisait tournoyer une chaise à l'autre bout de la

pièce, juste comme ça, sans avoir l'air d'y penser. Moi j'ai déjà

essayé, mais à part envoyer les meubles se fracasser sur les murs,

je ne suis jamais parvenu à rien.

On est entré avec une discipline parfaitement nouvelle. Presque

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Page 44: Alcie de Christophe Kauffman

en chuchotant. Puis quand on a tous été assis, elle a levé les yeux

vers nous et la chaise est tombée avec un grand bruit de métal

tordu. La seule qui ne s'est pas retournée, c'est Arabesque. Elle

attendait l'affrontement.

Rozoux s'est mise à fixer Arabesque, droit dans les yeux. Elle

avait l'air d'attendre une réaction, je ne sais pas quoi, une

explication ? Une justification ? N'importe quoi qui lui aurait

permis d'argumenter. C'est son grand domaine ça, l'argumentation.

Cette bonne femme, tu ne peux pas discuter avec, elle finit

toujours par avoir raison. En même temps, je crois que c'est pour

ça qu'on adore discuter avec elle.

Mais là, rien n'est venu. Du côté d'Arabesque, c'était la guerre des

yeux. Au premier qui les baissera, tu vois ? Et ma copine à ce jeu-

là, elle est forte ! Elle s'y entraîne depuis qu'elle est toute petite

(enfin quand je dis « petite », je veux dire toute « jeune », parce

que petite, je ne me souviens pas qu'elle ait été).

Puis sans qu'aucune des deux ait cillé, il y a eu un grand éclat de

voix.

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Page 45: Alcie de Christophe Kauffman

— Obvium Oclusia !

Et on s'est tous retrouvé... ailleurs.

Il y a d'abord eu des odeurs. La puanteur d'une foule de gens qui

ne se seraient pas lavés depuis le Noël précédent : sueur, crasse,

haleine de types qui mangent des oignons et de l'ail au petit

déjeuner. Odeur de caniveau, de merde animale accumulée depuis

des siècles, odeur d'égouts à ciel ouvert, mais par-dessus tout ça,

bien plus étrange, il flottait dans l'air une odeur que j'ai mis

plusieurs secondes à définir. Ce n'était pas tant l'odeur elle-même

que ce qui lui manquait... ça sentait... le propre ! Au-delà de toute

cette puanteur, l'air me paraissait lavé. J'ai eu la même impression

que lorsque nous étions au cœur de la forêt des Ardennes, au plus

profond des bois, dans l'un des rares endroits que les sorciers ont

préservé de toute présence humaine depuis l'aube des temps : une

absence totale de pollution.

Puis j'ai été happé par la situation.

Planté au milieu d'une foule de gens, qui avaient l'air d'être

vraiment là (et pourtant, tout ça devait être une illusion, non ?)

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Page 46: Alcie de Christophe Kauffman

j'étais serré, compressé, bousculé, poussé à gauche et à droite par

des personnes parfaitement bizarres qui se dirigeaient toutes vers

un endroit à quelques dizaines de mètres de moi. J'étais entraîné

par la foule vers cet endroit. Les gens autour de moi avaient des

trognes pas possibles, des gueules cassées, dents manquantes ou si

pourries qu'elles auraient aussi bien fait de manquer, des peaux

sales, creusées, ridées, sur des visages qui n'avaient jamais plus de

quarante ans !

J'ai voulu m'arrêter, sortir du rêve (parce que c'était bien un rêve

n'est-ce pas ? Un de ces rêves éveillés créés par un sort d'une

puissance incroyable), mais j'avais beau me concentrer de toutes

mes forces, je n'y parvenais pas.

Un type plus grand que les autres m'est rentré dedans avec une

telle force que j'ai manqué m'étaler dans la boue. Je me suis

retourné pour lui lancer un « connard » bien senti, mais ma langue

est retombée, lourde, au fond de ma bouche. C'était Mounch.

Mais pas le Mounch que je connaissais. Celui-là était aussi grand,

aussi large, mais nettement plus sale, plus abîmé que le Mounch

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Page 47: Alcie de Christophe Kauffman

que je connaissais. Et puis il était habillé de hardes malpropres,

recousues mille fois, d'une couleur qui avait dû friser le brun dans

des temps immémoriaux et qui était passée au sale depuis un bon

moment. Une grande cape à capuche lui couvrait le corps des

épaules jusqu'à terre où elle accumulait la boue en battant sur des

chaussures idiotes qui remontaient presque en boucle au bout du

pied.

Ça m'est revenu à ce moment-là. Tout ce que je voyais autour de

moi avait l'air d'être sorti tout droit d'un livre d'images sur le

moyen-âge.

— Mounch ! Mounch ! Mais réponds ! Merde !

Mais Mounch ne m'entendait pas évidemment. Il avait l'air aussi

pressé que les autres d'aller vers la place qui n'était plus très

éloignée. Suffisamment proche en tout cas pour que je distingue

une sorte de monticule... non un tas de bois... un bûcher !

Rozoux, parce que c'était elle, j'avais bien entendu sa voix lorsque

j'étais dans la classe, nous avait envoyé assister à une exécution !

Là-bas, sur la place, on s'apprêtait à brûler un sorcier.

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Page 48: Alcie de Christophe Kauffman

Je voudrais bien pouvoir dire que je me suis arrêté sur place, que

j'ai refusé d'aller plus loin, ou que c'est la foule qui m'y a entraîné

malgré moi, mais ce ne serait pas juste. Quand j'ai compris, je m'y

suis dirigé de moi-même. Une petite part de moi ne voulait pas y

aller pourtant, la petite part qui m'avertit toujours quand je vais

faire quelque chose d'injuste ou de cruel, mais tout le reste de ma

personne s'est rebellé.

Je me suis mis à suivre la foule des gens et même à jouer des

coudes pour être au premier rang. Je voulais voir, tu comprends ?

J'étais curieux. Après tout, tout ça était faux, non ?

Sauf que lorsque j'ai commencé à marcher, je ne savais plus que

c'était faux. J'étais plongé en plein moyen-âge comme si j'y avais

toujours vécu et je sentais que j'étais excité à l'idée de voir

comment on pouvait brûler quelqu'un !

On est arrivé sur une place pavée de grosses dalles de pierres. Elle

m'a semblé familière, comme si je la connaissais depuis toujours

et pourtant je ne parvenais pas vraiment à la reconnaître. Puis j'ai

compris. J'étais chez moi, à Tongreden, en plein centre du village,

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Page 49: Alcie de Christophe Kauffman

sauf qu'ici, à part l'église qui n'avait pas changé d'une pierre

depuis presque huit cens ans, il n'y avait que quelques maisons.

Pas de rues, pas de voitures, pas de réverbères, pas de trottoirs...

aucun de ces repères qui me font me sentir chez moi. Et en plein

centre, à quelques pas d'une plate forme sur laquelle on avait

disposé deux chaises au haut dossier tendu de tissus rouges liserés

de fourrure beige, le bûcher. Sur le bûcher le sorcier lié à un

poteau profondément fiché dans le sol. Un sorcier qui était... une

sorcière.

— Arabesque !

Son nom a jailli de ma bouche au moment où je l'ai reconnue.

Comme si on me l'arrachait de la gorge.

— Arabesque ! Arabesque !

Je hurlais sans m'en apercevoir. Je hurlais le nom de mon amie

comme si ma vie en dépendait, sans sentir les larmes qui me

coulaient des yeux, des yeux que j'aurais voulu fermer, fermer à

tout jamais pour ne plus voir l'affreux spectacle. Mon amie, ma

seule amie fille, attachée à un poteau, ses cheveux toujours jaunes

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Page 50: Alcie de Christophe Kauffman

et brillants, dressés au dessus d'elle comme si les flammes avaient

déjà commencé à lui roussir la tête !

Je me souviens d'avoir lutté pour sortir du rêve, sortir de ce

maudit sort, je me suis débattu dans un filet de réalité poisseux,

qui me collait, qui m'engluait comme une toile d'araignée dans

cette époque dont je ne voulais pas. Mais il n'y avait rien à faire,

je ne parvenais qu'à faire battre mon coeur si vite que j'en avais

des vertiges.

Autour de moi, personne ne paraissait me remarquer. J'étais bien

là pourtant, physiquement là, je sentais toujours les gens me

heurter en passant, je sentais leur souffle sur ma nuque, je sentais

leur chaleur lorsqu'ils me serraient de trop près, mais eux,

étrangement, ne semblaient pas s'apercevoir de ma présence.

Jusqu'au moment où j'ai senti un regard se poser sur moi.

Je n'ai pas eu à chercher longtemps pour trouver d'où il venait.

Deux personnages venaient de monter sur cette espèce de plate-

forme tout près du bûcher. Un homme et une femme, vêtus à

l'ancienne eux aussi, mais leurs vêtements étaient nettement plus

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Page 51: Alcie de Christophe Kauffman

beaux, enfin, plus riches que ceux des gens qui m'entouraient.

Velours, soie, brocart... La femme me regardait.

Droit dans les yeux.

Mademoiselle Rozoux ! Mlle Rozoux et son célèbre regard noir

de colère.

Je me suis senti coupable. Je n'ai pas honte de le dire, sur le

moment, j'ai eu l'impression que c'est moi qui avait fait quelque

chose de mal. Mais qu'on se rassure, ça n'a pas duré. Cette

impression-là a été remplacée vite fait par un autre sentiment,

beaucoup plus fort, qui m'a presque étouffé : la rage. Une rage

comme je n'en avais jamais connu. Une véritable envie de frapper,

de cogner le plus fort possible sur cette face pincée qui me

regardait comme on regarde un insecte, avec un petit dégoût au

fond de la gorge.

Bien sûr, je n'en ai pas eu le temps. Quatre types dans de grandes

robes brunes, nouées à la taille avec des ceintures en forme de

chapelets énormes, venaient de mettre le feu au bûcher.

Il y a eu une grande expiration dans la foule, comme si plusieurs

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Page 52: Alcie de Christophe Kauffman

dizaines de personnes avaient retenu leur respiration jusque-là et

relâchaient enfin l'air comprimé dans leurs poumons.

Puis des cris.

Les cris d'Arabesque.

Les flammes montaient trop vite sur le bois, on l'avait sans doute

arrosé d'un produit inflammable, il fallait que je fasse quelque

chose et vite !

Je me suis jeté en avant. Je ne sais pas exactement ce que j'avais

l'intention de faire, mais je voulais atteindre le bûcher avant que

les flammes arrivent jusqu'à mon amie. Mais encore une fois, je

ne parvenais à rien. Je ne parvenais pas plus à avancer que je

n'étais parvenu à sortir de ce rêve immonde ! J'avais l'impression

de lutter contre un mur invisible et élastique. La foule devant moi

me repoussait sans arrêt, m'empêchant d'aller plus loin, les corps

se resserraient à chaque fois que je croyais pouvoir passer et

toujours j'étais repoussé vers l'arrière. Dix fois ! Cent fois, j'ai

essayé. Sans succès.

Et les flammes avançaient. Bientôt, elles allaient lécher les pieds

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Page 53: Alcie de Christophe Kauffman

d'Arabesque ! Je pouvais presque sentir leur brûlure sur moi, elles

approchaient... et d'un coup, il y a eu un grand bruit, comme un

ballon gonflé d'air qui éclate et j'ai vu les flammes se jeter sur

Arabesque... je dis bien se jeter sur elle, animal vivant qu'elles

étaient, pour la dévorer. Toute la foule a hurlé d'un coup, un grand

cri de désespoir mêlé de frayeur... et moi aussi, j'ai crié, du peu de

voix cassée et rauque qui me restait, j'ai crié de toutes mes forces,

mais je ne faisais entendre qu'un faible croassement...

Et je me suis retrouvé dans la classe.

Je criais toujours, et je toussais aussi. J'avais l'impression que la

fumée du bûcher était restée dans mes narines, dans mes

poumons, qu'il fallait que je la chasse. J'étais encore assis sur ma

chaise. J'avais les mains agrippées si fort à mon bureau que toutes

mes phalanges étaient blanches et douloureuses.

Autour de moi, les élèves avaient l'air de sortir du pire cauchemar

qu'ils aient fait de toute leur vie. Certains s'étaient levé et avaient

renversé leur banc, d'autres étaient tombés ou s'étaient couchés

par terre pour échapper aux visions que Rozoux nous avait

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Page 54: Alcie de Christophe Kauffman

imposées.

Encore imprégné de ces images horribles, j'ai cherché Arabesque

du regard. Je voulais vérifier qu'elle était bien là, avec nous,

qu'elle n'était pas restée par je ne sais quelle magie, dans ce rêve

dont je sortais difficilement.

Arabesque était là, avec nous. Et pourtant, plus vraiment avec

nous.

Assise à sa table, droite et plus pâle qu'une feuille de papier

blanchie au chlore, elle fixait toujours la prof d'histoire. On aurait

pu croire que pour elle rien ne s'était passé. Sa respiration était

calme, rien ne frémissait sur son visage, mais elle pleurait. Elle

débordait comme une rivière en crue, de larmes silencieuses, des

larmes qui devaient couler depuis un bon moment déjà parce

qu'elles avaient détrempé le livre ouvert sur son bureau. Son livre

d'histoire.

Mlle Rozoux fixait aussi Arabesque, avec un drôle d'air un peu

étonné. Puis elle a détourné le regard et nous a jetés :

— Asseyez-vous !

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Page 55: Alcie de Christophe Kauffman

Autour de moi, la classe se remettait de ses émotions.

Je n'en savais rien à ce moment-là, mais nous avions tous fait un

rêve identique, à la différence près que la personne sur le bûcher

avait changé pour chacun de nous. Nous y avions tous vu la

personne la plus importante pour nous... Enfin, je suppose que

c'était quelque chose de ce goût là. Certains y avaient vu leur

père, un frère, un ami...

Mounch aussi avait vu Arabesque.

Quand il me l'a dit, j'ai senti que quelque chose se tordait dans

mon ventre. Et je vous interdis de penser que ça pouvait être de la

jalousie ! Jaloux, moi ? De mon meilleur ami ? Et encore quoi ?

Rozoux a attendu que nous soyons calmés. Puis elle a repris son

cours, presque comme si rien ne s'était passé.

— Voilà mesdemoiselles, messieurs... voilà ce que nous risquons

avec votre stupide projet de fête pour moldus ! Avez-vous vrai-

ment envie d'en arriver là ?

Non... Bien sûr que non !

Ça murmurait dans tous les coins. Évidemment que nous ne vou-

lions pas de ça ! Qui aurait été assez fou, cruel et sanguinaire pour

désirer le retour d'une horreur pareille ?

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Page 56: Alcie de Christophe Kauffman

Mais c'était trop facile ! Rozoux nous avait fait vivre un cauche-

mar ! On en sortait à peine, les plus jeunes avaient encore la respi-

ration hoquetante des enfants quand ils viennent de faire une

grosse crise de larmes, et elle voulait savoir si nous avions envie

de recommencer ? C'était trop facile !

— Mademoiselle ?

J'avais commencé à parler avant de réfléchir. Ça m'arrive de plus

en plus souvent.

— Oui, Alceste ?

J'ai horreur qu'on m'appelle Alceste et elle le sait.

— Ça n'arrivera pas.

Je parlais autant pour elle que pour les autres. Suffisamment fort

pour qu'ils prêtent l'oreille, même ceux qui avaient été le plus im-

pressionnés.

— Ça ne peut plus arriver ! Ce que vous nous avez montré, cette

espèce de... de cinéma là, c'était en plein Moyen-Age, non ? Il y a

quoi... mille ans ! En mille ans, vous ne croyez pas que les menta-

lités ont changé ?

— Taisez-vous Alceste ! Rien n'a changé ! Absolument rien !

Qu'est-ce que vous savez de la vie, hein ? Qu'est-ce que vous sa-

vez de ce qui se trame vraiment en dehors de votre petit village ?

Rien !

Sa voix avait enflé, jusqu'à crier. Sans doute qu'il valait mieux

que je me taise finalement.

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Page 57: Alcie de Christophe Kauffman

De toute façon, je n'aurai guère eu le temps de répliquer parce

qu'on a frappé à la porte.

— Entrez !

Un vieil homme a franchi la porte. L'habitude à l'école, c'est de se

lever quand un adulte entre dans la classe. Je crois que je ne me

suis jamais levé aussi vite : l'homme qui venait d'entrer était le

même que celui que j'avais vu assis à côté de Rozoux sur le trône.

Le même qui regardait Arabesque brûler sur un bûcher vieux de

mille ans. Et cet homme, je le connaissais. C'était le docteur Mer-

rick.

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Page 58: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 10Autoscrypto

le 22 octobre

J'ai dit une connerie bêtise hier. La vérité, c'est que je ne

connaissais pas le Dr Merrick. Je croyais le connaître. Comme

tout le monde au village.

Ça fait quinze ans que je vais chez lui trois ou quatre fois par an.

Il me connaît dans les moindres détails, des doigts de pied à la

racine des cheveux. C'est l'une des rares personnes, en dehors de

ma mère, à m'avoir vu tout nu. Et encore, depuis quelque temps je

ne montre plus mes fesses à ma mère non plus. Question de

pudeur.

Le docteur Merrick... Quinze ans que je le côtoie sans avoir

imaginé une seule seconde qu'il pouvait être autre chose qu'un

Moldu. Un humain. Un humain parfaitement bizarre, ça, c'est

vrai, mais un humain tout ce qu'il y a de plus humain.

Quand je l'ai vu entrer dans la classe, hier, j'ai eu l'impression de

recevoir une gifle. Le genre de gifle sèche, celle qu'on n'attend

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Page 59: Alcie de Christophe Kauffman

pas, qui vous laisse la marque de cinq doigts rouges sur la joue et

un sentiment d'humiliation terrible.

Comment ai-je pu être bête à ce point-là ? Comment ai-je pu être

aussi aveugle ? J'aurai dû le deviner ! C'est même pire que ça, je

crois qu'au fond de moi je le savais ! Mais on ne voit jamais que

ce qu'on veut voir, pas vrai ?

Merrick est un bon médecin. Un médecin efficace et plutôt

aimable. Mais il n'est ni trop efficace, ni trop aimable. Juste ce

qu'il faut pour ne pas se faire remarquer. C'est tout un art

finalement, être quelqu'un de remarquable, mais ne pas se faire

remarquer.

Il est médecin homéopathe. C'est-à-dire que ce type soigne avec

rien. Ben oui, si tu lis ce que contiennent réellement les

médicaments homéopathiques, tu t'aperçois très vite qu'ils ne

contiennent... rien. Rien de mesurable en tout cas. Et pourtant, ils

soignent. Ça m'a toujours étonné ça.

Enfin, moins maintenant. Merrick est un sorcier.

C'est un vieil homme avec de grandes mains aux veines

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Page 60: Alcie de Christophe Kauffman

apparentes. Des mains qui n'ont l'air de rien à première vue, mais

qui sont d'une fermeté étonnante quand elles serrent les tiennes.

Pas très grand le docteur pourtant, et toujours fringué n'importe

comment, même pour un moldu. Aucun sens de la mode : vieux

pantalons en velours râpé qui pendouillent bas sous les fesses,

chemise à carreaux, manches roulées sur les bras et parfois il

pousse le mauvais goût jusqu'à arborer un gilet de veston en

velours d'une couleur vaguement verdâtre. Il n'y a que son regard

qui peut surprendre. Le Dr Merrick a des yeux de chat. Je veux

dire, pas des yeux avec la pupille fendue comme un chat, mais des

yeux qui ont toujours l'air de se moquer gentiment, des yeux d'un

vert beaucoup trop clair qui espionnent le monde derrière des

paupières mi-closes.

J'ai compris plein de choses quand il est entré dans la classe. J'ai

compris pourquoi il me posait toujours des questions étranges

quand je passais chez lui pour une grippe ou une rougeole.

Évidemment, les maladies des sorciers ne sont pas toujours de

vraies maladies. Il peut y avoir des sorts qui se perdent, qui

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Page 61: Alcie de Christophe Kauffman

tournent mal, des sorts jetés en l'air comme ça et qui finissent par

vous retomber dessus, puis qui déclenchent des phénomènes

étranges ou désagréables. Très désagréables.

— Asseyez-vous les enfants, a dit Merrick en s'asseyant lui même

à côté de Rozoux.

On s'est assis. Il nous a regardés longtemps... Enfin, ça m'a paru

long, mais finalement ça n'a pas pu durer plus de quelques

secondes. Il avait l'air perdu. Je crois que c'est ça qui nous a tous

impressionnés, son air perdu, hagard ou angoissé, je ne sais pas

bien. En tout cas, pour la première fois depuis que je le

connaissais, il n'avait pas l'air sûr de lui. Et pas très fier non plus.

— Vous venez de vivre une drôle d'expérience, hm ? Je le sais je

l'ai vécue en même temps que vous. Je ne savais pas que votre

professeur d'histoire avait une telle... force de conviction.

Il a jeté un regard du coin de l'oeil sur Rozoux qui s'est un peu

tassée sur sa chaise. Elle était beaucoup moins en colère déjà.

— Mais, je crois qu'elle a bien fait. Parfois, il faut vivre les choses

soi-même pour les comprendre convenablement. Parfois, il faut

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Page 62: Alcie de Christophe Kauffman

pouvoir se mettre en danger.

En ajoutant cela, il fixait Arabesque avec un drôle de sourire.

Arabesque lui a rendu son regard, mais sans aucun sourire de son

côté. J'irai même jusqu'à dire que si un sentiment devait se cacher

quelque part sous la surface de son visage, ça aurait été... de la

haine.

Elle remuait aussi.

Ça m'a paru étrange. Arabesque est une fille plutôt calme en

classe. Pas le genre à se tortiller dans tous les sens en attendant

que la cloche retentisse pour annoncer la récré, tu vois ? Plutôt le

genre zen. Impassible. Impressionnante ? Heu, oui, on peut dire

impressionnante.

Mais là, on aurait dit que... je ne sais pas, qu'elle avait une envie

hyperurgente de courir aux toilettes. Ça m'aurait fait sourire si elle

n'avait pas eu l'air de souffrir autant.

— Ce que vous avez vécu, a repris le docteur d'une voix un peu

cassée, est une réalité pas si lointaine. Et ça c'est passé ici. Sur la

place du village.

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Page 63: Alcie de Christophe Kauffman

On a tous poussé un soupir. Ou un râle. Un truc pour marquer

l'horreur en tout cas. Arabesque y compris.

— Mlle Rozoux vous en a souvent parlé, a-t-il continué, les

sorciers n'ont pas toujours vécu en bonne entente avec les moldus.

En réalité, nous ne vivons dans une relative sécurité (il a insisté

sur le mot relative d'une façon que j'ai trouvée un peu inquiétante)

que depuis que nous nous faisons oublier. Vous savez tous que le

Bonnerel, le ministère des Bonnes Relations, travaille d'arrache-

pied, tous les jours de l'année pour que nous passions totalement

inaperçus. Pour que personne parmi les Moldus ne puisse même

soupçonner notre existence ! Souvent, nous sommes obligés

d'intervenir directement chez eux pourtant. Pourquoi ? Parce que

certains sorciers sont suffisamment imprudents ou étourdis ou

stupides pour laisser échapper un sort, pour oublier un objet

magique... en un mot pour se faire repérer. Dans ce cas, nous

devons faire en sorte de... leur faire oublier ce qu'ils ont vu.

— Monsieur ?  a demandé Arabesque, ça veut dire quoi

exactement « leur faire oublier » ? Ça va jusqu'où ? Jusqu'à les

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Page 64: Alcie de Christophe Kauffman

éliminer ?

— Allons, Mademoiselle... Nous ne sommes pas dans un roman

de gare ! Nous n'éliminons personne ! Il y a bien d'autres moyens

pour que les Moldus oublient.

Merrick lui a répondu en souriant, comme si la question

d'Arabesque venait d'une jeune fille un peu écervelée, le genre

trop romantique ou qui aurait lu un peu de trop de bouquins

d'aventures. Moi perso, j'ai trouvé que la réponse venait un peu

vite et que le ton dégagé du Dr Merrick était un peu trop, je ne

sais pas... trop léger ! D'autant que la minute d'après, il est

redevenu drôlement sérieux.

— Ce que vous avez vécu est exactement ce qui risque de se

reproduire si vous persistez dans votre idée de fête pour moldus !

Il y a eu un brouhaha dans la classe. Personne n'était d'accord

avec ça ! C'est vrai quoi, nous sommes capables de leur faire

croire n'importe quoi, non ? On va déguiser ça en carnaval ou en

fête aux vampires ou... je ne sais pas moi !

— Silence ! Merrick avait haussé le ton. « Vous croyez vraiment

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Page 65: Alcie de Christophe Kauffman

être suffisamment puissant pour empêcher les Moldus de

remarquer qu'il y a de la magie partout autour d'eux ? Vous pensez

les connaître à ce point ? Alceste ?

— Ben... heu...

C'est plus ou moins ce que j'ai répondu. Faut dire que j'étais

surpris aussi ! J'ai pas trop l'habitude qu'on m'interroge en classe,

je suis plutôt du genre discret.

Et puis surtout, il avait posé ses yeux de chat sur moi et ils ne me

lâchaient plus. Ça me donnait une furieuse envie de dire la vérité,

alors que la seconde d'avant, j'étais prêt à jurer sur tout ce qu'il y a

de plus sacré que « oui bien sûr on pouvait leur cacher », mais

avec les yeux du docteur, je me sentais comme obligé d'y réfléchir

un peu, c'était une sorte de démangeaison, tu vois ? Un truc qui te

gratte, mais sans que tu saches bien où exactement.

J'ai repensé à ma mère. Moldue pur jus. Et en y pensant, je me

suis dit que finalement c'était peut-être pas une aussi bonne idée

que ça... Parce que ma mère, je ne suis jamais vraiment parvenu à

la rouler sur quoi que ce soit.

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Page 66: Alcie de Christophe Kauffman

Attends ! Ne me fait pas dire ce que je n'ai pas dit. Elle n'est pas

au courant de tout ce que je fais. Ça serait insupportable. Mais à

chaque fois que j'ai fait quelque chose de pas net, j'ai l'impression

bizarre qu'au fond... elle le sait. Même si elle ne me demande rien,

qu'elle n'en parle même pas, j'ai l'impression qu'elle sait.

Évidemment, c'est peut-être juste moi qui me sens coupable dans

ces cas là, mais en ce moment précis, avec ces yeux de chats fixés

droit dans les miens, j'ai eu un doute.

— Alors, Alcie ? Tu crois qu'on pourrait tromper ta mère par

exemple ?

Le salaud ! Il lit dans mes pensées ou quoi ?

— Franchement, je n'en sais rien docteur. Mais avec ma mère,

c'est... différent !

Le docteur a enfin détourné les yeux. Il a eu l'air fatigué tout d'un

coup, et beaucoup, beaucoup plus âgé.

— Je ne pense pas pouvoir aller plus loin aujourd'hui, Mlle. Si

vous le voulez bien, je vais retourner à mon cabinet, j'ai des

patients qui m'attendent. Ne soyez pas trop dure avec eux, ils ne

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Page 67: Alcie de Christophe Kauffman

peuvent pas savoir...

Et il a quitté la classe dans un silence épais.

— Bien, a repris Rozoux avec sa voix des mauvais jours,

interrogation écrite : les grands mouvements historiques qui

définissent nos relations avec les moldus ! Prenez de quoi écrire :

dans le coin supérieur gauche de votre parchemin, nom et

prénom...

Je ne te raconte pas le résultat de l'interro. Pas de quoi se vanter.

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Page 68: Alcie de Christophe Kauffman

Chapitre 11Autoscrypto

Le 25 octobre

Un truc de fou ! Une vraie guerre à l'intérieur de l'école. Entre

ceux qui veulent et ceux qui ne veulent plus, c'est la bagarre en

permanence. On dirait les élections chez les Moldus, chacun y va

de ses arguments, tout le monde prend la parole pour défendre un

point de vue, la plupart du temps sans vraiment avoir réfléchi à ce

qu'il ou elle va bien pouvoir dire.

Ce qu'on ne savait pas en sortant du cours de Rozoux, hier, c'est

qu'elle a fait subir la même expérience à tout le monde. Un vrai

tour de force ! Une sorcière d'une puissance pareille, je ne savais

même pas que ça pouvait exister... enfin si, mais pas chez nous !

À Tongreden ! Mais qu'est-ce qu'elle fait là ? Sa place est dans

une haute école... C'est à Burkesselt qu'elle doit donner cours !

Non, mais t'imagines ça ? Elle a réussi à plonger toute une école

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Page 69: Alcie de Christophe Kauffman

dans un rêve éveillé tellement réaliste que la moitié des élèves en

sont sortis en vomissant et l'autre moitié en essayant de cacher

leurs larmes. Et forcément, y en a pas mal qui ont voulu

abandonner le projet.

En sortant de la classe, j'ai attrapé Mounch par le bras.

— Viens !

— On va où ?

— Parler. Et Arabesque ? Où est-ce qu'elle est encore passée ?

— Je crois que je l'ai vu filer par là...

La demi-classe, bien sûr. C'est toujours là que nous nous

retrouvions quand l'un d'entre nous avait un problème ou juste

quand on avait envie de ne voir personne.

Une demi-classe... Enfin, nous avions appelé ça demi-classe, en

réalité c'était une pièce presque secrète, pas tout à fait là, mais

suffisamment pour que l'on puisse y pénétrer. À condition d'en

connaître l'existence.

Elle était située dans la bibliothèque de l'école, si l'on peut appeler

bibliothèque un endroit qui comporte cinq gros rayonnages de

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Page 70: Alcie de Christophe Kauffman

livres tous aussi banals les uns que les autres. Chez nous, à

Tongreden, lorsque tu as besoin d'un ouvrage de référence un peu

sérieux ou d'un grimoire ancien, tu dois aller jusqu'à la ville la

plus proche ou commander au réseau interbibliothèque, ce qui est

fort pratique, je dois l'avouer, mais extrêmement lent. La dernière

fois, il a fallu six mois pour que le bouquin arrive et encore, il y

manquait quatre chapitres dont celui qui m'intéressait.

Dans la bibliothèque, il n'y a jamais grand monde. Excepté le Père

Adriannus bien sûr. Celui-là ne me demandez pas d'où il vient,

personne n'en sait rien. Je ne suis même pas sûr qu'il soit

réellement... Enfin... de notre monde. Il a l'air tellement âgé, genre

vieux parchemin tout fripé, qu'on a l'impression qu'il va tomber en

poussière. Ses mains sont longues, sèches et tellement ridées

qu'elles ont l'air d'avoir été chiffonnées. Il est toujours assis

derrière un petit bureau, un joli meuble en bois ciré qui a l'air

aussi usé que lui. La plupart du temps, quand on entre dans la

bibliothèque, le Père Adriannus ne bouge pas. Il reste là, tête

penchée, les mains jointes, on ne sait pas s'il dort, s'il prie ou s'il

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Page 71: Alcie de Christophe Kauffman

est mort... Mais à d'autres moments, il lève brusquement les yeux

et il vous fixe jusqu'à ce que vous partiez. C'est un peu flippant.

Surtout qu'il a les yeux complètement blanchâtres d'un vieil

aveugle et les paupières bordées de rouge d'un type qui veille

toute la nuit.

C'est sans doute aussi grâce à lui qu'on ne rencontre pas grand

monde à la bibliothèque.

La demi-classe est située derrière le troisième rayonnage. Enfin,

parfois...

Mounch est entré le premier et s'est arrêté dans l'embrasure de la

porte. Assez brutalement pour que je me prenne son épaule dans

la figure.

— Mais qu'est-ce que tu fous ?

— C'est... Regarde !

Je suis passé devant et j'ai vu pourquoi il s'était arrêté. Adriannus

était debout !

En six années passées ici, je ne l'avais jamais vu bouger ! J'en

avais fini par imaginer qu'il ne bougeait jamais. J'ai d'abord

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Page 72: Alcie de Christophe Kauffman

remarqué à quel point il était grand. Et maigre.

Un mort n'aurait pas été plus maigre.

Il ressemblait à une statue déposée là par un conservateur de

musée un peu distrait, debout, la tête frôlant le plafond, une

grande soutane sombre drapant son corps des épaules jusqu'à

terre, ses vieilles mains serrées l'une contre l'autre si fort qu'elles

en étaient blanches. Il n'a pas bougé d'un pouce quand on est

entré. Il était juste là, figé, les yeux fixés sur un point droit devant

lui, l'air de regarder un truc qu'il était seul à voir.

— Mais qu'est-ce qu'il... a commencé Mounch.

— La demi-classe ! Il regarde la demi-classe !

— Mais c'est pas poss... hé là !

J'ai rarement eu l'occasion de voir Mounch reculer devant quoi

que ce soit. Faut dire qu'avec la masse qu'il se trimballe, il y a peu

de choses naturelles qui puissent le faire reculer. Mais là il a fait

un bond d'un mètre en arrière. Si je ne m'étais pas écarté de sa

route pour voir à l'intérieur, je crois que j'aurais fini écrasé comme

un moustique contre le mur du couloir.

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Page 73: Alcie de Christophe Kauffman

Ce qui l'a fait reculer n'était pas bien épais pourtant. Un regard.

Juste un regard.

Le Père Adriannus s'était retourné vers nous, d'un coup sec, et ses

yeux nous fixait avec un air particulièrement affolant. Puis

surtout, il souriait. Que le Père Adriannus puisse bouger, c'est une

chose acceptable, mais qu'il soit capable de sourire, c'était un peu

trop pour une matinée déjà mouvementée.

— Qu'est-ce qu'on fait ? A murmuré Mounch du coin de la

bouche.

— On y va, j'ai dit. Maintenant !

Et on est passé doucement devant lui, presque sous ses bras. Ce

type était plus grand que Mounch ! Tu ne peux pas bien te rendre

compte comme ça, mais soudain j'avais l'impression que Mounch

avait de nouveau dix ans et que moi j'étais un nain, un sottai des

forêts d'Ardenne...

Le Père Adriannus nous a suivis de son drôle de regard aveugle

jusqu'à ce qu'on soit derrière le troisième rayonnage de la

bibliothèque. Et même là, je crois qu'il nous voyait encore et qu'il

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Page 74: Alcie de Christophe Kauffman

continuait de sourire...

— Liber Véris !

Le sort d'ouverture, c'est Arabesque qui l'a trouvé dans un

bouquin. Il nous a fallu presque trois semaines avant de

comprendre comment il fonctionnait. Ben oui, trois semaines,

qu'est-ce que tu crois ? On a rien sans rien ! La magie c'est du

boulot... les formules, tu peux les trouver à peu près toutes, même

les plus dangereuses, mais les mots restent des mots : en eux-

mêmes, ils n'ont pas de pouvoirs. Tout est dans la volonté de celui

qui les prononce et dans son intention. Si l'intention n'est pas

sincère, tu peux répéter les mots en boucle toute ta vie sans aucun

résultat notable (à part un léger mal de gorge, bien sûr).

Là en plus, il faut prononcer la formule en regardant l'endroit

précis du passage vers la demi-classe, ce qui n'est pas évident

puisque tant que la formule n'a pas opéré, elle est totalement

invisible. Mais à force, maintenant on sait exactement où il faut

regarder. Un point fixe, très précis, mais perdu au milieu du

couloir formé par le troisième et le quatrième rayonnage, juste au

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Page 75: Alcie de Christophe Kauffman

niveau du bouquin de troisième année sur la libéralisation du

marché des objets magiques.

La demi-classe s'est ouverte et j'ai tout de suite compris que

quelque chose n'allait pas.

Mais alors pas du tout !

La demi-classe s'ouvre sur un escalier de trois marches qui monte

vers une pièce très basse de plafond, on doit même s'y tenir

courbé la plupart du temps, c'est pour ça qu'on l'a appelée demi-

classe. À part la hauteur du plafond, c'est plutôt confort comme

endroit : deux grands fauteuils bien rembourrés, murs tendus de

tissus dans les rouges orangés, petite table centrale pour le

goûter... Il y a toujours un goûter qui attend le visiteur, pas

forcément au goût du visiteur d'ailleurs, mais le goûter l'attend.

Et là, dans un des deux fauteuils, il y avait Arabesque, pelotonnée,

les genoux ramenés vers le visage, les yeux ruisselants de larmes.

Ça avait beau être ma copine, j'étais super-ennuyé. Moi les filles

qui pleurent, j'ai du mal. Je ne sais jamais comment il faut réagir.

Et là, ça n'a pas raté, j'ai juste eu l'air d'un gros niais.

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Page 76: Alcie de Christophe Kauffman

— Ara... Qu'est-ce qu'il y a? Ça va pas ?

D'accord, ce n’était pas très intelligent comme question.

Visiblement, ça n'allait pas.

— Mes pieds... ils ont brûlé mes pieds ! Ça fait mal...

C'est là que j'ai vu. La plante de ses pieds était rouge, couverte de

grosses cloques. Certaines avaient déjà éclaté et laissaient

échapper un liquide opaque. Par endroits, on aurait dit que la peau

partait en lambeaux.

— Merde ! Ara... comment tu t'es fais ça ?

— Le bûcher ! a grogné Mounch.  C'est le bûcher de Rozoux !

C'est ça, non ?

Mounch avait pris une voix de basse que je ne lui connaissais pas.

Il avait les poings serrés, la mâchoire tellement crispée qu'il aurait

fallu un pied de biche pour lui ouvrir la bouche. Quand on dit que

les yeux de quelqu'un lancent des étincelles, généralement, c'est

une façon de parler, mais là pendant une fraction de seconde, j'ai

réellement vu des étincelles sortir des yeux de Mounch. J'ai

supposé que c'était juste un reflet. Il suffit parfois d'une larme qui

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Page 77: Alcie de Christophe Kauffman

coule... mais allez imaginer que Mounch ait pu verser une larme,

faut pas déconner !

Je ne l'avais jamais vu dans une colère pareille.

— oui a soufflé Arabesque. « Je suppose que oui. Lorsque nous

sommes sortis du rêve, j'ai commencé à avoir mal, j'ai crû que

c'était le cas de tout le monde, que cette pauvre folle nous avait

tous réellement envoyé nous faire cramer sur un bûcher du Moyen

Âge, mais visiblement... 

— Moi, je n'étais pas sur le bûcher, juste devant..., ai-je murmuré.

Mais c'est toi que j'ai vu en train de...

— De brûler ! À re-grogné Mounch. « Moi aussi, je t'ai vue ! Je

vais... Je vais...

Mon ami s'étranglait de rage. Puis d'un coup, il s'est retourné et à

foncé vers la sortie. En croisant le regard de Mounch, j'ai pensé

que notre prof d'histoire venait de vivre ses dernières heures, puis

on a entendu un grand boum ! À peu près le bruit que doit faire un

train quand il percute un autre train à 240 km/h de face. Puis un

cri à faire tremble les murs !

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Page 78: Alcie de Christophe Kauffman

— Mais puuuuutain !

Puis d'autres mots, que je préfère ne pas répéter. Et des coups de

poings sur la porte de la demi-classe, suffisamment fort pour faire

trembler les murs, mais visiblement pas assez pour entrouvrir la

porte. Faut dire que contre la magie, la simple force physique

n'est pas d'une grande utilité.

Dans un sens, ça a sauvé Rozoux. Parce que dans son cas, la force

physique de Mounch aurait certainement commis des dégâts

irréparables.

— J'y arrive pas.

Mounch est revenu vers nous, essoufflé comme s'il venait de faire

un cent mètres, avec ce constat tout bête. Et étrangement, ça

semblait l'avoir totalement calmé. Moi ça m'a plutôt inquiété

parce que, depuis presque trois ans que nous fréquentons la demi-

classe, la porte ne nous avait jamais fait ce coup-là. Ça m'a

rappelé la fois où je me suis enfermé dans les toilettes et où je ne

parvenais plus à ouvrir la porte. Une panique totale ! Bon j'étais

petit, évidemment, mais quand j'ai essayé de tourner la clef et que

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Page 79: Alcie de Christophe Kauffman

je me suis rendu compte que je n'y parvenais pas, pire que je ne

comprenais même pas comment j'aurais pu y parvenir tant j'avais

l'impression de tout faire correctement, je me suis tout de suite vu

mourir...

Mounch s'est assis à côté d'Arabesque, moi je me suis levé pour

aller tester la porte. Complètement stupide évidemment : si

Mounch n'y était pas arrivé, il n'y avait absolument aucune raison

que moi j'y parvienne. Mais d'un autre côté, Mounch avait mis

son bras autour des épaules d'Ara, juste un geste pour la consoler,

tu vois, mais ça m'a serré le coeur si fort qu'il a fallu que je bouge,

tout de suite.

— Alcie, m'a dit Arabesque, ça ne sert à rien... la classe ne nous

laissera pas sortir.

— Comment ça, elle ne nous laissera pas ! Mais il faut qu'on

sorte ! On ne va pas rester là pendant... Et depuis quand est-ce que

cette classe à une volonté propre ?

— Depuis toujours. À ton avis, pourquoi est-ce que nous sommes

les seuls à la fréquenter ? Ça ne t'a jamais paru bizarre ça ?

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Page 80: Alcie de Christophe Kauffman

Si évidemment. Je peux même dire qu'au début, j'ai passé presque

chaque minute ici à attendre que quelqu'un d'autre vienne nous

déloger : un autre élève, un prof ou même le Père Adriannus (sauf

que celui-là jusqu'à cet après-midi je ne l'avais jamais vu aussi

loin de son bureau). Mais ce n'était jamais arrivé. Et au bout de

quelques semaines, je crois que nous nous sommes tous habitués.

C'est devenu une chose normale, habituelle, quotidienne.

— Qu'est-ce qu'on fait alors ?

J'ai dit ça d'un ton un poil agressif. Mais c'était seulement une

manière de me calmer, parce que je sentais au fond de mon ventre

un début de panique, de vraie grosse panique, comme quand

j'étais gosse, et si je voulais éviter que ça ne remonte et que me

submerge complètement, il fallait que je trouve de quoi me

calmer. Alors pourquoi pas sur eux ? De toute façon, en

l'occurrence, il n'y avait personne d'autre.

— Le goûter, a dit Mounch.

— Quoi le goûter ? Tu ne penses quand même pas à ton estomac

là maintenant ?

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Page 81: Alcie de Christophe Kauffman

— Non, il a raison, a dit Ara. La demi-classe nous a toujours

préparé un goûter ! Et on n’est jamais sorti d'ici sans l'avoir

mangé.

C'est là que j'ai regardé la table.

Il y avait bien un goûter. Mais pas seulement. C'est en prenant une

pomme (je déteste les pommes, mais j'ai l'impression que je

n'avais pas vraiment le choix) que j'ai vu la fiole. Une bouteille

verdâtre, à peine plus de dix centimètres de haut, fermée par un

bouchon en liège, une inscription calligraphiée à l'ancienne sur

une étiquette jaunie par des siècles d'attente dans une armoire

poussiéreuse. Typiquement le genre de truc qu'on trouve dans une

classe magique d'école magique.

Typiquement le genre de truc dont chacun sait qu'il faut

absolument se méfier.

Bon, en même temps je crois que là non plus, nous n'avions guère

le choix.

— Voilà le goûter, je pense.

Mounch m'a regardé avec un drôle d'air, comme si je venais de lui

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proposer le truc le plus bizarre de l'univers, puis il a tendu la main

vers la fiole.

— Qu'est-ce que ça peut être à votre avis ?

— Je dirais une bonne part de tarte aux cerises, a souri Arabesque,

y a plus qu'à la mettre au four et attendre qu'elle sorte de la

bouteille.

C'est vrai que c'était un peu minable comme humour, mais ça m'a

fait un bien fou. Je crois même que sans ça, quelqu'un aurait fini

par faire une bêtise. Comme frapper Rozoux. Très fort.

— Donne-moi tes pieds, a grogné Mounch. C'est sûrement une

potion de soin. Et sans attendre, il s'est emparé du pied droit d'Ara

pour le poser sur ses genoux. Puis il a ouvert la fiole.

À l'odeur qui s'en est dégagée, on a froncé le nez tous les trois.

— T'es sûr de ce que tu fais ? J'ai demandé.

— Et comment tu veux que je sois sûr ? Donne-moi ton pied, Ara.

Je crois que la façon dont elle lui a souri m'a vraiment énervé

parce que j'ai balancé :

— Tu l'as déjà, Mounch.

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J'ai dû lui dire ça sur un ton un peu moins gentil que je le croyais.

Il m'a lancé un drôle de regard, puis il a ajouté "oui, c'est vrai"

avec un petit air désolé et il s'est enduit les mains du produit

contenu dans la fiole.

— Ouah ! Mais c'est glacé ce machin ! J'ai les mains qui gèlent...

Et Mounch s'est appliqué à enduire la plante des pieds

d'Arabesque de cette espèce de lotion gluante et parfaitement

nauséabonde. Faut croire qu'il ne s'était pas trompé sur la

destination du produit parce qu’Ara a poussé presque tout de suite

un grand soupir de soulagement et un sourire beaucoup plus

naturel est revenu éclairer son visage.

Tout ça ne m'a pas empêché de râler bien sur.

— Bon, c'est bien joli vos histoires de pieds, mais en attendant

nous sommes toujours coincés ici. Et ce n'est pas ta lotion puante

qui va nous ouvrir la porte, je pense...

— D'abord, ce n'est pas ma lotion, a dit Mounch. Et puis rien ne

t'empêche de te rendre utile pendant que je la soigne !

— Que tu la soignes ! Alors ça, c'est la meilleure de l'année tiens.

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Parce que monsieur a trouvé une bouteille par le plus grand des

hasards sur une table, le voilà devenu médecin !

— Dites, on se calme les gars, nous a sermonné Ara. Vous ne

trouvez pas qu'on a suffisamment d'ennuis comme ça ? Mounch,

tu peux lâcher mon pied maintenant.

— Je ne comprends pas pourquoi... Ai-je commencé. Puis je me

suis arrêté.

Évidemment, on se posait tous les trois la même question, mais

tout d'un coup je n'étais plus sûr d'avoir envie d'en connaître la

réponse.

— Oui... M'a encouragé Ara.

— Pourquoi tu es la seule à avoir été brûlée comme ça. Moi,

j'étais un simple spectateur dans ce truc ! Et toi, Mounch ?

— Ben... Oui, moi aussi. Je t'ai vu d'ailleurs, mais quand je t'ai

appelé, tu n'as pas entendu. C'était un rêve bon Dieu ! Pas la

réalité ! Je crois que personne n'aurait dû courir de danger...

— Alors, c'est que tout ça n'était pas prévu, a soufflé Ara. Je

n'aurais pas dû être brûlée, personne n'aurait dû l'être.

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— Et pourquoi toi ? À demandé Mounch.

— Pourquoi pas moi ? Question de chance peut-être ?

— Tu parles d'une chance !

Il y a eu un silence entre nous, le genre de silence lourd de sous-

entendus que les copains ont toujours un peu de mal à supporter.

Puis un raclement de gorge, celle de Mounch qui a semblé

prendre son courage à deux mains avant de reprendre :

— Et qu'est ce qu'on fait pour la fête des moldus ?

Mon sang n'a fait qu'un tour, comme on dit dans les mauvais

romans d'aventures (j'adore les mauvais romans d'aventures).

— Comment ça "qu'est-ce qu’on fait ?" ! On la prépare et on la

fait cette fête ! Comment peut-on s'en sortir sinon ?

J'ai compris immédiatement que ce ne serait pas si simple.

Arabesque continuait à se masser la plante des pieds, mais elle

évitait soigneusement mon regard. Mounch lui me fixait droit

dans les yeux, ce qui est beaucoup plus son genre de réaction

évidemment. Pourtant, c'est Ara qui a repris la parole, timidement,

toujours sans me regarder vraiment :

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— Je crois que... je crois que Rozoux à raison... Il y a des dangers

dont nous ne savons rien. Alcie, le monde de la magie est

beaucoup plus vaste que je ne le croyais... Beaucoup plus puissant

aussi.

— Mais non ! Tu te laisses impressionner parce que tu as été

brûlée, mais ce n'était qu'une erreur de Rozoux, c'est tout ! Juste

une erreur ! Tu l'as dit toi-même, personne n'aurait dû souffrir !

Ça devait rester une sorte de film, un truc pour nous

impressionner, rien d'autre !

— Alcie... En fait... Je ne vous ai pas tout raconté...

La suite est disponible : http://www.ama-zon.fr/Alcie-Christophe-Kauffman-ebook/dp/B00P8XDRSG

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