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Alice Jan Švankmajer, Tchécoslovaquie, 1988, film d’animation, couleur Sommaire Générique, résumé .................................................................. 2 Autour du film ............................................................................ 3 Le point de vue de Pascal Vimenet : La disjonction du corps ................................................................ 6 Déroulant ................................................................................... 13 Analyse de deux séquences .............................................. 17 Une image-ricochet ............................................................... 25 Promenades pédagogiques ............................................... 26 Adaptations cinématographiques ................................. 29 Petite bibliographie et glossaire..................................... 30 Ce Cahier de notes sur… Alice a été réalisé par Pascal Vimenet. Il est édité dans le cadre du dispositif École et Cinéma par l’association Les enfants de cinéma. Avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, ministère de la Culture et de la Communication, et la Direction générale de l’enseignement scolaire, le SCÉRÉN-CNDP, ministère de l’Éducation nationale.

Alice - Premiers Plans

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Page 1: Alice - Premiers Plans

Alice

Jan Švankmajer, Tchécoslovaquie,1988, film d’animation, couleur

Sommaire

Générique, résumé ..................................................................2Autour du film ............................................................................3Le point de vue de Pascal Vimenet :La disjonction du corps ................................................................6Déroulant ................................................................................... 13Analyse de deux séquences .............................................. 17Une image-ricochet ............................................................... 25Promenades pédagogiques ............................................... 26Adaptations cinématographiques ................................. 29Petite bibliographie et glossaire ..................................... 30

Ce Cahier de notes sur… Alice a été réalisé par Pascal Vimenet.

Il est édité dans le cadre du dispositif École et Cinémapar l’association Les enfants de cinéma.Avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, ministère de la Culture et de la Communication,et la Direction générale de l’enseignement scolaire,le SCÉRÉN-CNDP, ministère de l’Éducation nationale.

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Autour du film — 32 — Générique - Résumé

En exergue du générique, une voix off enfantine énonce le principe du film : « Alice se dit en elle-même : je vais vous montrer un film. Un film pour les enfants, peut-être. Peut-être, si l’on se fie au titre. Pour cela, il faut fermer les yeux. Sinon, vous ne verrez rien du tout. »Très librement inspiré du récit de Carroll, Alice conte donc, comme sa lointaine cousine littéraire, une dégringolade au pays des rêves qui se teinte parfois de cauchemars.Alice, enfant solitaire, vit une aventure intérieure. Son ima-ginaire l’entraîne loin de sa chambre et de ses objets fami-liers. Bientôt, la frontière entre rêve et réalité devient poreu-se : le lapin empaillé d’Alice n’a-t-il pas frémi ? Alice se lance à la poursuite du Lapin blanc. On connaît la suite ? Pas du tout. Alice doit d’abord affronter une table à l’étrange tiroir, symbole chez Jan Švankmajer d’un feu dévastateur : rite ini-tiatique nécessaire à la découverte accidentelle de l’accès au royaume du Lapin blanc - univers biseauté où la logique du réel n’intervient que fragmentairement.Dès lors, une, mécanique aveugle - dont on entrevoit de loin en loin les raisons - se met en marche, entraînant Alice dans son maelström. Alice en poursuivant le Lapin blanc, décou-vrant son univers, va s’éprouver elle-même. Les tabous et les interdits sont si tentants ! Petits gâteaux secs et fioles em-plies de breuvages mystérieux vont alimenter les tourments corporels d’Alice et les modifications de points de vue. Ali-ce, tour à tour, va découvrir la mer de larmes, la maison du Lapin blanc, un ver à soie, le Chapelier et le Lièvre de Mars, le terrain de croquet de la Reine et la salle de procès où, à sa stupéfaction, elle sera jugée, sous les applaudissements imbéciles de la foule d’étranges animaux, par un roi et une reine de carton-pâte aux maximes sans appel. Va-t-on pou-voir rouvrir les yeux ? Pas sûr, le rêve est ensorcellement…

Alors qu’Alice était sur le point d’être présenté en France, j’ai eu la chance en septembre 1989 de pouvoir rencontrer Jan Švankmajer à Prague. Pour moi, le contexte qui entoure Alice est intimement lié à la découverte rapide mais très influente que je fis alors de l’univers de Jan Švankmajer.

L’univers de Jan ŠvankmajerEn pénétrant chez lui, j’ai vu immédiatement, ressenti phy-

siquement, le rapport qui pouvait exister entre l’esthétique de son film et lui-même. Sa maison, située dans les hauteurs de Prague, dans l’un des plus anciens quartiers, celui des alchi-mistes du XVIe siècle, donnant de plain-pied dans une petite ruelle, était un capharnaüm où je reconnus d’abord certains des éléments de décor d’Alice. Il y avait l’un des squelettes animaliers, qui vous fixait tendrement de ses grands yeux de verre. Et, au sol, une boîte de plexiglas qu’avait réintégrée le Lapin blanc. Les rebords des fenêtres, presque à ras du sol, proposaient aux (rares) passants des pots de céramique blan-che aux formes arcimboldesques, desquels jaillissaient, par des orifices ménagés à cet effet, des cactées. Dans les deux pièces où nous étions, les objets étaient omniprésents : des cé-ramiques blanches dont un visage d’Alice figé dans la matière brillante, un bronze de Max Ernst, des assemblages de co-quillages qui formaient des têtes à la manière d’Arcimboldo, des bocaux, une chaise de bois délabrée sur laquelle était fixé un vieux mutoscope. Lorsque l’on faisait défiler ses images, un collage ambigu et pornographique s’animait… Il y avait même quelque part me semble-t-il des couvercles et des us-tensiles de dînette.

Jan Švankmajer est né à Prague en 1934. De 1950 à 1954, il a suivi des cours à l’École supérieure des arts décoratifs, puis s’est spécialisé en suivant ceux de la Faculté de théâtre et des beaux-arts de Prague (sur la marionnette). D’emblée,

quand nous avons pu communiquer, grâce d’abord à sa fem-me Eva, auteur des céramiques et de plusieurs tableaux, Jan Švankmajer a insisté sur un aspect de son travail : il se conçoit d’abord comme membre du groupe surréaliste pragois, aux activités duquel il a participé à partir des années soixante-dix après sa rencontre avec Vratislav Effenberger, son chef de file. Son itinéraire cinématographique est tout entier rattaché à ce choix qu’il explicite et justifie longuement. Son travail de dessinateur et de « plasticien » a en partie nourri celui du ci-néaste. Le choix du volume, des objets, par exemple, semble s’affirmer par des échanges successifs.

Si, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le surréa-lisme était perçu déjà par beaucoup en Europe occidentale comme appartenant à la muséographie, il n’en était pas de même dans la démocratie populaire de Tchécoslovaquie. Par essence, se proclamer surréaliste là où le réalisme socialiste était un dogme culturel d’État prenait un autre sens, avait une efficience corrosive. Corrosion que Švankmajer confirme en qualifiant lui-même, en opposition au surréalisme lyrique d’André Breton, son propre surréalisme de « sarcastique ».

Mais Jan Švankmajer ne théorise pas sa pratique cinéma-tographique : « Les “spécialistes” en peinture, en écriture, en théorie, en cinéma et arts décoratifs ne sont que des profes-sionnels du confort intellectuel. »

Sa filmographie, qui commence en 1964 avec le Dernier Truc de Monsieur Schwarzewald et de Monsieur Edgar, est influencée

Générique Autour du film

Un surréalisme sarcastique

Résumé

Alice,Jan Švankmajer, 1988, Tchécoslovaquie,84 minutes, animation, couleur, 35 mm.

Titre original : Neco Z Alenky / Scénario et réalisation : Jan Švankmajer, d’après Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll / Animation : Bedrich Glaser, Svatopluk Maly / Dé-cors : Eva Švankmajerova, Jan Švankmajer / Son : Ivo Spalj, Robert Jansa / Montage : Marie Zemanova / Production : Condor Features / Coproduction : Film Four International, Hessischer Rundfunk / Distribution : Mission Distribution.

Interprète : Kristina Kohoutova (Alice) / Bouche et voix ori-ginale : Camilla Power / Voix française : Marion Balança.

Tournage : 1987. Sortie : novembre 1989.Prix du long métrage des Journées internationales du ciné-ma d’animation d’Annecy 1989.

Jan Švankmajer et son Alice (photo : P. Vinemet)

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4 — Autour du film Autour du film — 5

d’abord par la scénographie théâtrale. Certains des films qui suivent, La Fabrique de petits cercueils (1966) ou Dom Juan (1970), révèlent une fascination pour les marionnettes et les décors et les dispositifs de trompe-l’œil. Plusieurs combinent la prise de vues réelles et le cinéma d’animation, parmi lesquels La Chute de la maison Usher (1981) et Le Puits, le pendule et l’espérance (1984), qui sont des adaptations de l’un des grands auteurs de prédilection de Jan Švankmajer : Edgar Allan Poe. Alice prend place, après une certaine interruption, juste derrière ce dernier film. Il est le premier long métrage de l’auteur.

L’objet-acteurLa démarche qu’il a mise en place autour d’Alice est pas-

sionnante : « Alice […] appartient à ma mythologie. Je tour-nais autour de ce roman depuis longtemps. Preuves en sont mes films précédents, Jabberwocky et Dans la cave. Ce n’est que plus tard que j’ai eu le courage de me mesurer au vrai Alice. Je devais affronter également les interprétations d’Alice déjà existantes. La plupart du temps on le présente comme un conte pour enfants. Pour moi ce n’est pas un conte de fées mais un rêve1. »

Dans l’esprit de Jan Švankmajer, Alice se situe dans le vieux Prague et son rapport aux objets est déterminant. Švankmajer

reliait son choix surréaliste à un rapport très particulier aux objets, une sorte de réutilisation du « ready-made » de Marcel Duchamp mâtiné par l’écho du maniérisme pragois : « Les objets ont toujours été pour moi plus vivants que les hommes […]. Les objets recèlent les actions dont ils ont été témoins2. »

Pour Alice, il est parti de plusieurs objets témoins : des ob-jets déjà utilisés dans d’autres films et « qui avaient encore quelque chose à dire », comme la table, la vaisselle miniature, les cubes, le Chapelier fou (qu’il avait utilisé autrement pré-cédemment), etc. ; et d’autres, que le sujet du film imposait. Le Lapin blanc et le Lièvre de Mars, la poupée représentant Alice que, fidèle à son habitude, il devait trouver dans l’envi-ronnement pragois. Eva Švankmajerova m’avait dit : « Dans beaucoup des films de Jan, je fais quelque chose. Là, je me suis occupée de créer le Lièvre de Mars. J’ai des enfants. Ils ont des peluches. Je suis partie d’une peluche… » Jan Švankmajer plaisantait sur la réaction de ses enfants, un peu effrayés du sort infligé à leur jouet. Pour la petite poupée, il a cherché un modèle de poupée qu’on voyait fréquemment quelques années auparavant.

Le choix d’Alice-KristinaIl a poursuivi sa démarche en mettant beaucoup de temps

pour se décider à choisir son actrice : « J’ai d’abord pensé à un enfant ayant une expérience au cinéma ou à la télévision. […] Mais je n’ai pas trouvé d’Alice parmi les “professionnels”. Tous les enfants étaient trop “pourris”. Et nous avons donc commencé à chercher une Alice dans les écoles. J’étais déses-péré parce que dans chaque Alice quelque chose me déran-geait. Chez l’une les cheveux, chez une autre la façon de se tenir, chez une troisième la bouche. À un moment, j’ai même pensé que plusieurs petites filles joueraient le rôle d’Alice et que je choisirais seulement les séquences qui me convien-draient. Pour un film, ce sont les yeux qui sont le plus impor-tant et c’est pourquoi à la fin, j’ai choisi la petite Kristina (elle avait neuf ans). Mais la bouche appartient à une autre petite fille, Camilla. »

Švankmajer ajoute que les yeux de Kristina exprimaient,

selon lui, le rêve et l’inquiétude. Parfois, lorsqu’elle perdait cette expression, il interrompait le tournage.

La démarche scénaristique« Beaucoup de mes films sont nés à partir d’une improvi-

sation directe face à la caméra […], sans scénario technique. Certains films, au contraire, ont eu un scénario dessiné et tra-vaillé avec précision, par exemple Alice. Cependant, j’ai tour-né une semaine au maximum d’après ces scénarios, puis je m’en suis débarrassé. J’ai écrit un nouveau scénario, séquence après séquence, directement en fonction de tel objet, de tel accessoire ou de tel environnement. Au cours de ce processus de création […], cela a souvent permis de cristalliser réelle-ment l’idée profonde du film. »

La déclaration est assez rare, dans le monde du cinéma d’animation, pour mériter d’être relevée. Jan Švankmajer pro-longe d’ailleurs cette réflexion, à l’instar de nombreux réali-sateurs de prise de vues réelles, en concluant que le « dernier mot revient au travail sur la table de montage ».

Le tournagePour les raisons qui viennent d’être énoncées, Jan

Švankmajer a conçu son tournage, prise de vues réelles et ani-mation, en essayant de se donner le maximum de latitude. Il a donc utilisé deux caméras, pour disposer de plusieurs solu-tions au montage. Bien évidemment, les tournages prise de vues réelles et animation étaient dissociés. Jan Švankmajer a donc filmé par « à-coups », entrecoupant le tournage réel par celui de l’animation – ce qui n’a pas été sans poser quelques problèmes : à la fin du tournage, Kristina avait grandi…

Du tournage avec Kristina, il dit : « Je pense qu’il fut une souffrance pour Kristina, à l’exception des jeux dans l’eau où elle s’amusait sincèrement : pouvoir se baigner en vête-ments et avec ses chaussures était pour elle toute une affaire et une expérience au cours de laquelle elle outrepassait un interdit. […] La mise en scène s’est passée avec des ordres du genre “Regarde à droite”, “Incline toi”, “Roule des yeux, mais pas trop” et ainsi de suite tout au long de l’année de travail sur le film. » Et Kristina ajoute qu’elle avait refusé,

comme Jan le lui demandait, de prendre un insecte noir avec ses doigts. Mais dans l’ensemble, elle n’a pas été effrayée.

Quant au travail d’animation proprement dit, Jan Švankmajer a toujours été relativement laconique sur la question. Ce sont les techniques habituelles du cinéma image par image, que ce soit une animation de volume ou de papier. Il se défend seule-ment, lorsque des critiques non avertis l’évoquent, d’une quel-conque filiation avec la tradition de la marionnette tchèque incarnée par Jiri Trnka et répond aux éternels rapprochements avec Walt Disney qu’il n’a en commun que la caméra…

De cette évocation, l’image qui me reste maintenant est celle de la fin de notre entretien. Pendant que je disais au revoir à Jan Švankmajer, Kristina était sagement assise dans l’autre pièce, bien droite, un air fragile, toussotant de temps en temps, face à un téléviseur posé au sol, dont le rayonne-ment bleuté irradiait tout autour. Kristina regardait pour la seconde fois seulement Alice, dont elle n’avait découvert le récit de Carroll que quelques jours auparavant…

1 Positif n° 345, 1989, entretien avec Michel Ciment et Lorenzo Codelli.2 Toutes les citations sont extraites du dossier de sortie de film, article « Les laby-rinthes de Jan Švankmajer », septembre 1989, de l’interview réalisée par Pascal Vimenet pour Océaniques, diffusée le 26 octobre 1989, ou de l’article qu’il a publié, « Jeu sur le rêve » dans les Cahiers du cinéma n° 424.

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Point de vue — 7

La disjonction du corps

par Pascal Vimenet

Par définition, Alice ne peut être, ne doit être, s’il est conforme, dans l’esprit, à son modèle initial, qu’un film où l’on se perd. Jusqu’au vertige, jusqu’à l’abîme, jusqu’au néant.

Sous cet angle, le film de Jan Švankmajer est un chef-d’œu-vre : tenter de l’appréhender vous précipitera toujours dans un dédale disloqué où vous ne vous reconnaîtrez pas toujours et où les autres ne vous reconnaîtront pas toujours non plus. Alice est un film-piège, un film actif, qui laisse de vraies traces sur son public.

Nous n’avons pas été si nombreux, lors de sa sortie, à le défendre. Mais, peu à peu, il prend sa place et se révèle. D’où vient sa force ? D’abord de l’intransigeance du point de vue général de Jan Švankmajer : « Les enfants sont […] pres-sés de devenir adultes – ce qui, bien sûr, est de leur part une erreur analogue à l’idéalisation de l’enfance qui nous vient avec l’âge. Personne ne sait être aussi cruel qu’un enfant… Mais je ne veux pas, par là, désavouer mon enfance ; je veux seulement garder à son égard une attitude “active”1 ». Cette attitude active s’exprime dans Alice par la mise en place d’un point de vue unique et symbolique, celui de Švankmajer, qui se dédouble et se triple via Alice et sa poupée. Celui-ci ren-voie tout au long du film à des niveaux de visionnement et de lecture différents. Chacun, en définitive, s’y reconnaît, parce que le film parle de la difficulté d’être enfant et de l’angoisse de grandir. Et il pose en passant, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités, une question plutôt dérangeante au cinéma

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8 — Point de vue Point de vue — 9

d’animation : comment incarner le corps en devenir, comment le conjuguer activement à ce qu’il y a de cadavérique dans toute animation ?

Alice est paradoxal comme l’est son alter ego littéraire. Mais le film provoque souvent plus de réactions de rejet de la part des adultes que de celle des enfants. C’est l’un de ses intérêts.

Pour paraphraser Virginia Woolf évoquant le récit de Carroll, je suis tenté d’affirmer, pour évacuer d’emblée le faux débat qui nous guette, qu’Alice « n’est pas un film pour en-fants mais plutôt un film par lequel nous de-venons enfants ».

Un générique emblématiqueLe générique annonce ce parti pris para-

doxal du film : en introduisant à huit repri-ses, en inserts très courts, le gros plan d’une bouche – image violente malgré son carac-tère enfantin –, il développe d’emblée l’idée, du seul fait du discours que tient la bouche dans le même temps, que le film sera un récit sur le paradoxe de la pensée, sur la pensée paradoxale (comme on le dit du sommeil). Il est l’annonce aussi d’une logique : le film fonctionnera sur un jeu de collages associatifs au sein duquel le langage n’adhérera pas en permanence aux autres parties montrées du corps. La bouche sera vue dans son obscénité. Le langage sera disjoint du corps. Il n’aura d’efficience qu’à condition de solliciter notre part enfouie, l’inconscient : « Un film pour les enfants, peut-être. Peut-être, si l’on se fie au titre. Pour cela, il faut fermer les yeux. Sinon, vous ne verrez rien du tout… »

On croit presque entendre Luis Buñuel citer Octavio Paz : « Il suffit à un homme enchaîné de fermer les yeux pour qu’il ait le pouvoir de faire éclater le monde… ».

Fermons les yeux. Collage. Max Ernst, dont Jan Švankmajer a célébré plus d’une fois « l’intelligence miraculeuse », a écrit : « L’esprit du collage […] est avant tout celui de la rencontre fortuite. » Dans Alice, les rencontres entre Jan Švankmajer et des influences plastiques ou cinéma-tographiques ne sont pas toutes fortuites. Max Ernst a illustré à plusieurs reprises Lewis Carroll et certaines de ses toiles

font explicitement référence dans leur intitulé à Alice (Pour les amis d’Alice, 1957 ; Alice envoie un message aux poissons, 1964). Quant à Luis Buñuel, il est l’auteur, notamment dans Un chien andalou, de quelques plans qui ont marqué durable-ment l’imaginaire des spectateurs (un œil de femme tranché à la lame de rasoir ; des fourmis grouillant dans une main). Ce dernier plan fait écho à l’un des plans d’Alice : celui des cafards s’échappant de la boîte de conserve.

Jan Švankmajer est un cinéaste-logicien. Il énonce ses rè-gles en même temps qu’il les applique. Il l’a démontré magis-tralement dans deux films qui ont précédé Alice : Jabberwocky et Possibilités du dialogue. Ce dernier est un modèle très ex-pressif de la logique de Švankmajer. Le cinéaste l’a conçu, à l’instar de certaines peintures de la Renaissance dont il tire

l’argument de départ, comme un triptyque : ce court mé-trage renvoie dans chacune de ses parties aux trois principes récurrents du récit cinématographique identifiés par Gilles Deleuze2 : action - passion- anéantissement.

Les principes du collageDans Alice, la logique est plus complexe à identifier. Elle

s’appuie sur ce générique, qui annonce en même temps le thème principal du film, le rêve. Mais elle vient se redou-bler ou achever de se définir dans la première séquence de la chambre d’Alice.

C’est le décor, fait de bric et de broc, de fragments hété-roclites, qui vient totalement mettre en place le thème de la disjonction du corps : le corps d’Alice opposé à son double-

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10 — Point de vue Point de vue — 11

en place, par le truchement du regard d’Alice, un premier « point de fusion » entre le réel et le truquage animé, lorsque le Lapin blanc se meut pour la première fois. Ce premier tru-quage, qui ne joue encore que sur un effet de montage champ-contrechamp, annonce les suivants (le Lapin blanc tapant sur les doigts d’Alice, essuyant ses mains pleines de beurre sur les chaussettes de celle-ci, le Lièvre de Mars roulant sur ses pieds, etc.). Si Alice suit le Lapin blanc, il faudra résoudre la disparité d’échelle pour qu’une rencontre puisse se produire. Le corps d’Alice est donc déjà menacé. Menacé d’autant plus que nombre d’objets familiers découverts auparavant sont dangereux : pinçants, tranchants, piquants…

Si, dans un premier temps, la bouche d’Alice en gros plan n’a qu’un effet d’interpellation esthétique, il n’en est plus de

même à partir du moment où les collages se succèdent et où Alice est de plus en plus confrontée au royaume du Lapin blanc. La répétition de cet insert (quatre-vingts fois en tout) joue évidemment un rôle de narration intérieure et provoque en même temps chez le spectateur, parce que le gros plan est en soi agressif, des « sorties » du récit animé : l’esthétique ultraréaliste remet sans arrêt à distance et à plat l’autre esthé-tique, tout en dévoilant le procédé lui-même. Ce principe de répétition, comme chez Buñuel, s’autodésigne loi du monde et est utilisé à la fois comme une scansion pulsionnelle et une manière de nommer le temps ou son absence. Il s’applique, par contamination, à la totalité des éléments du film. Répétition évolutive, exact contrepoint de la dynamique du collage. L’in-sert de cette bouche, édictant un principe d’alternance entre la

poupée, à la totalité des objets qui peupleront son rêve ainsi qu’au volume qui les contient. Ce que détaillent longuement les panoramiques d’ouverture (voir Déroulant, 3).

En d’autres termes, tous les éléments du collage utilisés ultérieurement dans le cours du film sont rassemblés dans ce décor, comme en écho à une très ancienne remarque de Jean Epstein : « À l’écran, il n’y a pas de nature morte. Les objets ont des attitudes. » Dès lors, la chambre et tout son contenu devient le lieu emblématique du film, son seul véritable es-pace, le condensateur du récit. Il exprime ainsi l’écart de dé-part d’avec le texte de Carroll, qui situait l’essentiel de l’action dans la nature…

Le principe d’emboîtement est l’équivalent du principe littéraire de Carroll qui emboîte, lui, les récits dans le récit. Cette ouverture et ce dispositif, renvoyant au réel, inscrivent le corps vivant d’Alice au cœur du propos et de la mise en scène de Jan Švankmajer.

Cependant, dès l’ouverture, une disjonction a lieu. Que montre vraiment la caméra ? Alice d’une part et, une seule fois, dans la séquence de la chambre, sa bouche, qui, en réalité, ne lui appartient pas (Voir Autour du film). Le corps vivant, dès le départ, est donc lui-même déjà divisé. Les « opérations » de collages et leurs multiples combinaisons réelles et animées sont ainsi autorisées et peuvent dès lors se déployer. Ce que le tiroir de la table va symboliquement ritualiser et mettre en scène. Alice au pays des merveilles est une histoire à tiroirs…

Un truquage ravageurManière de constater que ce corps, déjà soumis à supputa-

tion, l’est surtout à la règle de relativité des éléments qui l’en-tourent. Nous ne sommes pas dans un simple jeu de truquage, mais dans une logique où le truquage est au service (pour une fois) d’un véritable propos : « Dans mon œuvre, l’enjeu n’est pas un petit jeu intellectuel ou des “idées originales” ou un “art sérieux”, il s’agit plutôt d’une sorte d’autothérapie3. »

L’espace de la chambre est le réceptacle premier de ce corps, celui qui abrite Alice et ses rêves. Il apparaît d’emblée matrice et source d’angoisse. C’est après qu’Alice se fut, sem-ble-t-il, légèrement assoupie que l’espace de la chambre met

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12 – Point de vue

prise de vues réelles et le cinéma d’animation, introduit donc un effet déstabilisant. À quel corps avons-nous affaire ?

À un corps en pleine croissance, dont la symbolique chez Jan Švankmajer s’exprime toujours par des métaphores de « décomposition et de transformation4 », liées évidemment à l’angoisse. Ces métaphores, dans Alice, ne reposent pas sur le seul sens symbolique des plans en soi, comme dans Jabber-vocky (où une poupée qui rapetisse perd ses gants devenus trop grands), mais sur une logique de dérobade et de décom-position, d’absorption et d’ingestion. De manière répétitive, l’espace se dérobe : Alice transperce le fond d’un bidon, l’as-censeur disparaît pour abandonner brutalement Alice sur un tas de feuilles mortes, etc. Et la nourriture fait et défait les corps, aux sens propre et figuré. C’est elle qui autorise non seulement les transformations d’Alice mais le « dépeçage » du corps (dès le début, le Lapin perd sa sciure) et, en défini-tive, sa représentation réduite à sa plus simple expression : les squelettes des « animaux ».

Cette image mouvante et fragmentée du corps d’Alice provoque un malaise. Peut-être parce que son visage, qu’il soit humain ou de porcelaine, ne sourit jamais ? Ou ce que le corps suggère est son incapacité d’exister librement dans les espaces qui lui sont proposés ? Dans le premier tiroir, un compas pique le doigt d’Alice, dans la mer aux larmes, le sou-riceau plante des pieux dans sa tête, dans la scène de la mai-son du Lapin, celui-ci essaie de couper le bras d’Alice… Ce malaise d’être renvoie, en dernier lieu, à ce qui est sans doute indirectement désigné par les objets qui environnent Alice : le tourment de la puberté. La sexualité adolescente est nommée par défaut.

Une interprétation radicaleL’interprétation d’Alice que nous propose Jan Švankmajer

est une proposition radicale. Elle balaie les archétypes qui en-touraient l’imagerie d’Alice pour redonner sa liberté à notre imaginaire. Pour ce faire, Jan Švankmajer procède avec son personnage comme avec tous les éléments de son film : la rupture et la discontinuité du récit trouvent une traduction esthétique dans le personnage d’Alice lui-même en lui per-mettant d’amplifier la disjonction inaugurale. Alice n’est pas une, mais plusieurs.

Cette disjonction du corps existe par résonances, colla-ges, rencontres fortuites. Il se crée une dialectique d’échange entre le corps vivant et le corps animé d’Alice qui lui laisse la chance d’évoluer, comme dans le récit de Carroll, de manière somnambulique, jusqu’à sa fin logique, le rassemblement de tous les morceaux du puzzle éparpillé.

La mise en scène échappe ainsi à la mièvrerie, à la joliesse et au « bien fait » d’images animées majoritairement dévitali-sées, qui ont plusieurs fois gâté la portée du texte de Carroll. Ce que l’épilogue, éloigné de Carroll, traduit à sa manière, non pas en termes de fermeture mais d’ouverture : le puzzle reconstitué n’est plus tout à fait le même qu’au début. La po-rosité entre le réel et le rêve est si ténue…

1 Positif n° 297, 1985, entretien avec Petr Kral.2 Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’Image-temps, Éditions de Minuit.3 Bref n° 25, entretien avec Michel Roudevitch et Jacques Kermabon.4 FIorence Livolsi, « Alice », extrait de « Identité et Spatialité dans les adaptations filmiques d’Alice de Lewis Carroll », thèse de doctorat, sous la direction d’Hélène Puiseux, 1995.

Déroulant

Séquence 1

Séquence 1

Séquence 3

Séquence 3

Séquence 4

Séquence 4

1. Alice s’ouvre par un prégénérique live de quatorze plans : une forêt et une rivière. Alice, une fillette toute de rose vêtue, s’ennuie et jette des cailloux dans l’eau. Ra-brouée par sa grande sœur, Alice nous fixe du regard. Sa bouche, en gros plan, dit : « Alice se dit en elle-même… », et le titre vient s’inscrire sur fond noir.2. [1.21] Les cartons de générique sont entrecoupés à huit reprises par la bouche d’Alice qui poursuit son autoprésentation.3. [2.12] Dans son étrange chambre (bocal, champignon à repriser, collection de pa-pillons et de vertébrés, table, lit, cahier, bouteille d’encre, petits gâteaux, piège à sou-ris, marionnettes, cubes de couleurs, habits de poupée, petite poupée blonde), Alice fait jouer à sa poupée la « scène du talus », en jetant de petits graviers dans une tasse de thé. Bientôt, son Lapin empaillé attire son attention : enfermé dans une cage de verre, il s’en échappe, après avoir revêtu un somptueux costume, et dit, par l’entre-mise de la bouche d’Alice, devenue narratrice : « Mon Dieu, mon Dieu, je vais être en retard… »4. [6.12] Le Lapin se retrouve sans transition dans un champ labouré au bout duquel trône un établi. À ses pieds, il frappe dans ses mains, le tiroir s’ouvre ; il bondit à l’intérieur et le tiroir se ferme. Alice, qui a suivi de sa chambre son manège, s’élance à sa suite. Elle franchit la limite de sa chambre, frappe dans ses mains devant le tiroir de la table, mais celui-ci n’obéit pas. Elle le force, se pique le doigt… À peine a-t-elle plongé les mains dedans qu’elle est comme happée par le tiroir et y disparaît complètement…5. [8.35] Le tiroir est un vrai souterrain qui mène Alice dans un boyau voûté, en pierre, puis dans de petites caves. Dans l’une d’elles, Alice repère le Lapin blanc. Assis à une petite table, il déguste une drôle de mixture. Alice s’enhardit et, sur un ton timide, s’adresse à lui. Mais le Lapin prend peur et s’enfuit. Restée seule, Alice pénètre à son tour dans la cave. Lors de cette exploration, elle butte malencontreusement contre un rateau et tombe à la renverse dans une bassine qu’elle traverse littéralement…6. [12.17] Cette fois, la dégringolade est vertigineuse. Alice atterrit sur une plate-for-me-ascenseur qui s’enfonce dans les entrailles de la terre. Elles abritent des putréfac-tions insoupçonnées. Le mouvement s’accélère et le mot « EXIT » apparaît, lumineux dans les ténèbres. Alice traverse un plafond et chute sur un monticule de feuilles mortes…7. [14.31] Alice explore le nouvel espace, une pièce fermée à clé, où le tas de feuilles mortes dissimule une table au tiroir magique. Alice y trouve une clé minuscule qui ne s’adapte pas à la porte fermée mais à une petite porte gigogne. La petite porte s’ouvre, et Alice contemple, sans pouvoir y pénétrer, le royaume de carton-pâte du Lapin blanc, qui passe précisément par là. Déçue, Alice retourne à la table. Lorsqu’el-le ouvre le tiroir, une petite bouteille, pleine d’une encre bleutée, roule mystérieuse-ment jusqu’à sa main. Elle boit le breuvage et rétrécit d’un seul coup. Devenue sem-blable à la poupée de sa chambre, elle voudrait pénétrer par la petite porte, mais la

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clé, restée sur la table, est hors d’atteinte désormais. C’est alors que, du tiroir, tombe un gâteau, identique à ceux qu’elle grignotait dans sa chambre. Elle le croque et devient subitement gigantesque. Sa tête cogne le plafond. Alice ouvre une nouvelle fois la petite porte du royaume du Lapin blanc. Elle appelle le Lapin. Mais celui-ci, agressif, lui tape sur les doigts.8. [21.01] Alice se relève, dépitée, et pleure toutes les larmes de son corps. À sa gran-de surprise, ses larmes forment rapidement une mare, dans laquelle elle est obligée de nager. Sa surprise fait place à l’effarement lorsqu’un souriceau, marin de son état, surgit devant elle, la contourne et escalade sa tête, comme on le ferait d’une île. Le souriceau installe son bivouac sur la tête d’Alice et met celle-ci à rude épreuve. Ne supportant bientôt plus ces tourments, Alice plonge la tête la première dans l’eau, et le souriceau s’enfuit. Pendant qu’Alice émerge des flots, le Lapin fait irruption à bord d’une coquille de noix. Il est pressé de se rendre chez la Reine. Il ne voit pas Alice, s’y cogne, manque de chavirer, fait tomber les gâteaux qu’il transporte et fait demi-tourau plus vite au grand désappointement d’Alice. Sous le nez d’Alice viennent flot-ter les petits gâteaux. Elle en mange et redevient aussitôt poupée. Passagèrement assaillie par des oiseaux effrayants, elle rejoint la table qui flotte au fil de l’eau, s’y hisse, parvient à extraire la grande clé de son tiroir et réussit enfin à ouvrir la grande porte dans un fracas de chute aquatique…9. [26.32] Alice est projetée dans une véritable rivière, peut-être celle du début, et perd connaissance sur la rive. Le Lapin, toujours dans sa coquille de noix, aborde à son tour non loin de là. Le bruit de son embarcation réveille Alice. Elle peut enfin approcher complètement le vieux Lapin blanc. Mais, à sa stupéfaction, le Lapin l’ap-pelle « Marianne » et lui donne l’ordre d’aller chercher une paire de ciseaux. Alice s’exécute.10. [28.01] Alice approche d’un étrange village, mélange d’objets réels et de décors, où arrosoirs et paires de bottes voisinent avec des maisons en cubes de bois. Alice sonne à la porte du Lapin sur laquelle est inscrit, comme sur l’étiquette de la cage de sa chambre : « Lepus Cuniculus ». Une échelle se déploie. Alice pénètre dans les appartements du Lapin, après avoir franchi quelques sas grillagés aux allures de por-tes de clapier. Elle inspecte la chambrette du Lapin, trouve enfin dans le tiroir d’une table plusieurs paires de ciseaux. Elle y découvre aussi un nouveau flacon, qu’elle boit séance tenante : la voici vraie petite fille, géante dans la maison du Lapin.11. [30.53] Dehors, le Lapin blanc, impatient, appelle « Marianne ». Alice se terre et observe derrière la fenêtre. Le Lapin réclame ses ciseaux. N’obtenant pas de réponse, le Lapin décide de monter voir. Alice se barricade dans la chambre avec le mobi-lier. Le Lapin fait plusieurs tentatives pour y pénétrer, mais, à chaque fois, Alice le repousse violemment. Lorsqu’Alice lui jette des cubes de bois, le Lapin, une nou-velle fois repoussé, riposte : à son coup de sifflet, surgit un étrange attelage, hybride-

squelettique-hennissant. Quand Bill, sorte de lézard, descend par la cheminée sur les conseils du Lapin, Alice lui donne un coup de pied et le renvoie à son point de départ. Bill gît, éventré. Le Lapin jette à Alice des cailloux. Ceux-ci, dans la chambre, se transforment en petits gâteaux. Alice en goûte un et rétrécit sur-le-champ. Elle reprend son aspect et sa taille de poupée et s’esquive…12. [38.50] Profitant de l’inattention des « animaux », préoccupés par le sort de Bill, Alice quitte la maison du Lapin blanc. Lorsqu’elle atteint les limites du village, elle est repérée et poursuivie. Alice disparaît derrière une porte…13. [40.07] Alice essaie vainement d’empêcher ses poursuivants de pénétrer où elle se trouve. Pressée de tous côtés par une armée cauchemardesque, Alice, acculée, tombe dans un chaudron plein d’un liquide blanchâtre et y disparaît…14. [42.10] … Pour en resurgir poupée géante ! Arrimée sans ménagement à l’étrange attelage, Alice est enfermée dans une sombre cave. Dans sa geôle, la petite fille s’ex-tirpe de son carcan de poupée et, après plusieurs expériences infructueuses et diabo-liques, retrouve la porte de la liberté.15. [45.56] Un plancher plein de trous, une table, des murs nus : Alice a débouché dans une seconde pièce où des chaussettes-vers-à-soie s’évertuent à creuser le plancher. Du tiroir de la table s’extrait et s’habille une chaussette-ver-à-soie qui, très mysté-rieuse, fait don à Alice de deux morceaux de son « champignon », puis se rendort…16. [52.58] Alice fait un essai et croque dans l’un et l’autre morceau de champignon, provoquant l’accroissement et le rapetissement immédiats de sapins…17. [54.06] Attirée par des pleurs de bébé, Alice pénètre dans une troisième pièce. Les pleurs proviennent d’une minuscule maison de poupées qu’Alice prend dans sa main. Meurtrie par un projectile lancé par sa porte, elle lâche la maison et exerce son pouvoir : le champignon augmente la taille de la maison. Plus accessible à Alice, elle devient proportionnellement plus dangereuse. Alors que la maison « crache » une pluie de vaisselle, un messager laquais-poisson remet un pli au locataire : une invita-tion de la Reine pour Alice. Les deux personnages s’inclinent, se cognant le crâne au passage, ce qui provoque pour la première (et seule) fois le rire d’Alice. Alice entrou-vre la porte de la maison : le Lapin blanc, furieux, jette tout ce qu’il trouve, y compris le bébé qu’il nourrissait. Dans les bras d’Alice, le bébé se transforme en cochon de lait. Il s’enfuit. Avant de le suivre, Alice ramasse la lettre d’invitation.18. [59.18] La quatrième pièce, dans laquelle disparaît le cochon, abrite en réalité deux marionnettes, l’une en bois, l’autre en peluche : le Chapelier fou et le Lièvre de Mars. Questions saugrenues et tasses de thé : Alice s’installe à leur table. Mais Alice se lasse de leur manège. Lorsqu’elle quitte la pièce, le Lapin blanc, surgi du chapeau du Chapelier, essuie, en passant, ses mains pleines de beurre sur les chaus-settes d’Alice.19. [67.03] Alice, à la poursuite du Lapin blanc, pénètre dans une cinquième pièce,

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Séquences 13 et 14 : La boîte de Pandore

La structuration et le montage-collage très vif du film de Jan Švankmajer, pa-radoxalement, ne favorisent pas un décryptage fractionné sur la courte dis-tance d’une seule séquence. Les sens se sédimentent sur une durée plus longue qu’habituellement au cinéma d’anima-tion, alors que les plans, pris isolément, excèdent rarement les deux secondes – ce qui est également inhabituel, même dans ce cinéma. C’est pourquoi l’analyse qui suit s’attache à deux séquences au lieu d’une seule, les séquences 13 et 14, soit 5’38’’ en 127 plans.

Un épisode « ajouté »Ces deux séquences, qui, narrativement et plastiquement, forment un tout, sont un passage essentiel du film notamment parce qu’elles inscrivent, à la fois, la dis-tance et la proximité qu’Alice entretient avec l’œuvre de Lewis Carroll. Elles sont une parfaite illustration de ce que Jan Švankmajer entend par « interpréta-tion », terme qu’il a revendiqué à propos de son film.

Distance, puisque cet épisode, à l’ex-ception peut-être de quelques éléments d’emprunt lointains (l’idée du bestiaire qui habite tout le récit littéraire), est tota-lement ajouté par Jan Švankmajer. Proxi-mité, puisque l’esprit carrollien, respecté et renouvelé, s’incarne brillamment dans une mise en scène de l’absurde et du coq-à-l’âne. Cette proximité fait écho à la double « filiation » de Švankmajer – la source première et celle du surréa-lisme. Nous conservons en mémoire la fameuse phrase d’André Breton dans son Anthologie de l’humour noir : « Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur pre-mier maître d’école buissonnière. » Cette proximité s’exprime aussi par la mise en place de procédés cinématographiques équivalant aux procédés littéraires de Carroll : distanciation du narrateur que la bouche d’Alice en gros plan illustre parfaitement, disjonction du corps et de la pensée, de la pensée et du fantasme, représentation « dédalique » du sujet (voir Point de vue), mise à mal des repè-res de réalité, jeu de logique.

Le fil narratifD’un point de vue strictement narratif, le personnage d’Alice dans ces deux sé-quences vit son expérience la plus diffi-cile mais également la plus instructive.Alice n’est plus seulement confrontée aux étrangetés que le royaume du La-pin blanc lui a fait découvrir jusque-là, mais pour la première fois elle en est la vraie victime. De poursuivante et de do-minatrice, elle est devenue poursuivie et dominée.Dans le même temps, cette expérience qu’Alice fait du monde condense une combinatoire de la répétition et de l’évo-lution métamorphique propre au ci-néma de Jan Švankmajer (présente déjà dans le court métrage qui a contribué à le révéler publiquement, Possibilités du dialogue) : toutes les représentations d’Alice vont se succéder et s’entremêler dans ces deux séquences, jusqu’à former un amalgame surréel. Alice est la pe-tite poupée au visage de porcelaine, la grande poupée aux yeux humains ou la petite fille qui se jure de ne plus toucher à rien. Cette métamorphose joue – avec une grande invention qui accroît la sur-

Analyse de deux séquences

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un grenier où sèche de la dentelle. Des soldats cartes-à-jouer se battent en duel, mais la Reine de cœur qui survient leur fait trancher la tête ! Enfin seule, Alice pé-nètre pour la première fois dans le royau-me entrevu du Lapin blanc. Un bruit sourd la fait sursauter…20. [70.46] … Le Chapelier fou et le Lièvre de Mars jouent aux cartes. La Reine, reve-nue sur ses pas, leur fait aussi trancher la tête. Ce que le Lapin exécute d’un coup de ciseaux, sous les yeux épouvantés d’Alice. Puis la Reine invite Alice à jouer au croquet. Alice accepte l’invitation et pénètre dans la pièce de la Reine…21. [73.00] Avec son flamant rose en bois découpé, la Reine projette une pelote d’épingles et brise un carreau. Lorsqu’

Alice s’apprête à jouer à son tour, les flamants se transforment en vraies poules et les pelotes d’épingles en hérissons. Alice, déconcertée, est détournée du jeu par le Lapin blanc qui lui donne un cahier à apprendre par cœur et s’enfuit de nouveau.22. [75.07] À sa suite, Alice monte un nouvel escalier et pousse une porte. La Reine et le Roi de cœur, flanqués de la cour hétéroclite de tous les « animaux », l’attendent pour la juger. La Reine ordonne qu’on lui tranche la tête, puis le procès commence. Alice se défend, refuse de s’excuser et s’empiffre des « pièces à conviction », les gâ-teaux. La Reine, furieuse, ordonne à nouveau de faire trancher la tête d’Alice, qui constate, horrifiée, que les gâteaux n’agissent plus sur sa taille. Elle secoue la tête en signe de refus. La voix de la Reine devient lointaine…23. [78.30] … Alice, endormie dans sa chambre, secoue vigoureusement la tête. Le tic-tac du réveil ramène à la réalité. Elle écarte le jeu de cartes, épars sur sa robe, regarde ses jouets. Tous sont là, immobiles… sauf le Lapin, dont la cage de verre brisée atteste la réalité de l’escapade. Alice, songeuse, extrait de la cachette du Lapin une grande paire de ciseaux et conclut que c’est à lui qu’il faudrait couper la tête…[80.22]

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prise et le désarroi du spectateur –, non pas des seules différences d’échelle mais en même temps, et sur le même plan, de différences de « grain » corporel. Ce qui de la part de Jan Švankmajer ne peut surprendre, puisque ses approches ci-nématographiques ou plastiques sont toujours « tactiles » : le magnétisme de la matière prime. En l’occurrence, nous n’éprouvons pas la même sensation lors-que nous regardons le corps réel d’Alice, le même évoluant par pixillation (voir Glossaire p. 30) ou celui de la poupée de porcelaine, la matière travaille notre imaginaire.Victime, Alice découvre et nomme peu à peu, Švankmajer aidant, ses terreurs. Les monstres qui vont envahir l’imagi-

naire d’Alice et le nôtre n’ont été, dans la séquence précédente, qu’entraperçus ou perçus peut-être pour certains d’entre eux – les deux « poules » de l’attelage et Bill en particulier – comme prêtant à rire.Leur occultation par la petite porte que referme Alice au début de la séquence 13 modifie radicalement leur percep-tion. De cocasses, « tous les animaux réunis », comme le dit la voix off d’Alice, deviennent potentiellement inquiétants et agressifs. La porte contient pendant tout un temps cette curieuse cohorte et, ce faisant, accroît tout le « refoulé ».Lorsque la vanne s’ouvre, que la porte cède sous les coups répétés, la métamor-phose a eu lieu : la petite porte libère des forces véritablement « pandoriennes ».

Elle re-présente les animaux vus pré-cédemment et en libère d’autres par un dispositif de « génération spontanée » : un bocal révèle un nouveau monstre, le lit-oiseau surgit du néant tout comme le monstre à deux têtes… Nous avons insensiblement glissé d’un rêve étrange à une atmosphère dont le caractère cau-chemardesque va s’amplifier d’instant en instant.L’apogée étant sans aucun doute la scène terrifiante où le Lapin fait signe au lit-oiseau de venir à la rescousse.La construction de ce passage, en neuf plans très rythmés et très courts, où le point de vue dominant est devenu celui, en plongée, du lit-oiseau, est représenta-tive de ce changement d’état intérieur de

Plan 1 Plan 3Plan 2

Plan 4 Plan 6Plan 5

Plan 7 Plan 13Plan 9 Plan 15Plan 8 Plan 14

Plan 10 Plan 16Plan 12 Plan 18Plan 11 Plan 17

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Il était reveneure ; les slictueux tovesSur l’allouinde gyraient et vriblaient ;Tout flivoreux vaguaient les borogoves ;Les verchons fourchus bourniflaient2

À l’une des multiples questions d’Alice sur le sens du poème, l’œuf Heumpty Deumpty répond : « Eh bien les toves, c’est un peu comme des blaireaux, un peu comme des lézards et un peu comme des tire-bouchons. » Autrement dit, les to-ves sont des images-valises, comme on l’a dit de certains mots de Carroll. Jan Švankmajer reprend au pied de la let-tre cette définition et la fait sienne : ses monstres qui combinent osselets, peau de lézard, ailes plumeuses, tire-bou-chon ou clés à molette, ou bien encore

ses œufs lisses seulement en apparence, sont tous des toves, des images totale-ment carrolliennes.C’est précisément cette expérience, cette épreuve au sens fort du mot – où chaque sens est éprouvé –, qui fait progresser Alice dans sa connaissance du royaume du Lapin blanc et d’elle-même. C’est elle qui fera d’abord conclure à sa bou-che : « Je ne touche plus aux gâteaux ni à l’encre », elle ensuite qui lui fait trouver la clé, littéralement, du problème dans lequel elle s’est laissé enfermer. Comme chez Carroll, la prise de conscience de la relativité des choses aide aussi Alice à grandir. Au sortir de l’expérience, noire s’il en est, Alice surmonte la logique in-

fernale de l’espace dans lequel elle était emprisonnée et des toves qui la peu-plaient. Lorsqu’elle trouve la clé, tout ce monde s’évanouit et s’oublie aussi vite qu’il était advenu.

Personnages et espacesDepuis le tout début du récit, Alice est confrontée à un personnage somme tou-te très ambigu : celui du Lapin blanc.Dans la séquence 13, il dément pour la première fois ouvertement la perception qu’Alice pouvait avoir de lui jusque-là : objet de sa convoitise, de ses premiers désirs – déçus par l’obstacle de leur taille respective dans un premier temps –, le Lapin blanc révèle, lorsque la question

la petite Alice. Car c’est l’état intérieur de la petite Alice qui fait naître le lit-oiseau, comme ça l’était aussi dans De l’autre côté du miroir et de ce qu’Alice y trouva, lors-que Carroll écrivait : « “Je souhaite que vienne le monstrueux corbeau !”, pensait Alice […] Une nuit si soudaine tombait, qu’Alice crut qu’il se préparait un orage. “Le gros nuage noir que voilà !” s’excla-ma-t-elle. “Et comme il approche vite ! Ma parole, on dirait qu’il a des ailes !” » Les deux pattes monstrueuses d’oiseau-rapace (qui ne sont pas non plus sans rappeler celles tout aussi monstrueu-ses du Dodo des premiers dessins de Teniel), tentant tour à tour de griffer le visage d’Alice et de l’obliger à reculer au

bout de la planche, sont l’emblème affec-tif de ce moment.Cette expérience de la peur, sous tous ses noms, se poursuivra après même qu’Alice eut retrouvé son « vrai » corps, dans ce passage essentiel où, comme l’a très justement remarqué Marcel Jean : « [… ] La petite arrive à briser ce corps de plâtre, à casser cette enveloppe qui la tenait prisonnière, et à reprendre sa place au cœur du film. Ainsi, par cette image violente – image d’affirmation par la destruction –, Švankmajer souligne le curieux statut du corps dans son cinéma, corps étranger que l’animation agresse et profane, corps à l’étroit, inadapté dans un monde aux lois étranges, un monde

qui refuse de se soumettre à la dictature du corps et dont la révolte passe par le mouvement1. » Expérience de la peur et mouvement de révolte qu’entretient la découverte successive des œufs accou-cheurs de squelettes, de la viande qui bouge, du pain clouté et des cafards en boîte.

La visualisation des tovesLes deux séquences paraissent donc accumuler, sans logique apparente, des représentations repoussantes, négatives. Que l’on se souvienne encore d’Alice, De l’autre côté du miroir et de ce qu’y trouva Alice. Alice récite à Heumpty Deumpty la première strophe de Bredoulocheux :

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manière des planches naturalistes du XIXe siècle, le fonctionnement fascinant d’or-ganismes vivants improbables – petits chefs-d’œuvre mettant sarcastiquement en scène l’humour objectif de la vie.Ces planches sont toujours accompa-gnées d’un texte, annonciateur d’un mouvement possible. Par exemple la planche « Felaceus Oidipus », famille des ovipares, planche 6, fig. 3, dit notam-ment : « [… l Le cou sort d’une géante poche utérine élastique d’où s’élève, dans la partie antérieure, un thorax os-seux ; derrière, en dehors de la crête de caractère cutané, soutenue par les épines de vertèbres, il y a aussi quatre protubé-rances ovariennes (trompes)… »Ces toves, dans les séquences 13 et 14, lorgnent, littéralement, du côté du ca-davre exquis et des collages chers aux surréalistes. Ils sont, comme l’aurait dit Lautréamont : « Beau(x) comme la ren-contre fortuite, sur une table de dissec-tion, d’un parapluie et d’une machine à coudre. » Ces collages assemblent avec humour les archétypes des vieux cours de sciences naturelles (tête-squelette de lapin, structure interne de poisson, éléments osseux) à du vivant (ailes et pattes d’oiseau) et à des objets (pinces, éléments de vaisselle).Il y a dans la séquence 14 un moment particulièrement intéressant, parce qu’il condense ce parti pris du réalisateur en un réseau de signifiants : celui où Alice, enfermée dans la cave, assiste, incrédule à l’éclosion des œufs. Pur moment de cinéma, puisque Švankmajer découvre dans le même temps le principe logi-

que de création de ses toves, le principe d’alternance qu’il installe entre le regard d’Alice et son environnement, le rapport des toves à l’imaginaire d’Alice, et cite indirectement l’un des films du cinéaste qui l’a le plus influencé : Pour épater les poules, de Charley Bowers (1925) 3.Nous ne sommes pas, tout compte fait, si éloigné de la logique de Carroll qui écrivait dans un commentaire sur Alice à la scène : « Alice et le Miroir sont presque entièrement faits de pièces et de mor-ceaux, d’idées détachées qui me vinrent à l’esprit spontanément. »Quant à Alice, dans ces deux séquen-ces, elle est évidemment le personnage le plus complexe. D’abord, parce qu’elle est celle qui subit la plus profonde muta-tion. Elle est l’incarnation du « tournis de la croissance », un questionnement sur la possibilité d’« être libre ». Lewis Carroll faisait dire au ver à soie : « Lorsqu’il vous faudra vous transformer en nymphe – cela vous arrivera un jour, savez-vous – et ensuite en papillon, je pense que cela vous paraîtra plutôt bizarre… »La mise en scène de cette transformation de la petite Alice en vraie jeune fille est la métaphore du passage cité. Elle repose avant tout sur la mise en place d’un rap-port dynamique entre Alice et l’espace où elle se trouve. L’espace est traité en tant que personnage, comme un élément vivant.Au début de la séquence 13, Alice pou-pée regarde au-dessus d’elle. Contre-champ : nous sortons brutalement de la réalité imaginée de la pièce pour décou-vrir, en une contre-plongée qui insiste

sur l’écrasement d’Alice, une cour fer-mée d’immeubles pragois. La lumière bleutée, cadavérique, qui l’environne et qui vient se refléter sur le visage d’Alice, ajoute à l’installation de la thématique de l’enfermement et de la claustropho-bie. Ce plan, outre qu’il situe l’Alice de Švankmajer dans la Tchécoslovaquie de la fin des années quatre-vingt, dit immé-diatement qu’Alice est piégée.Lait, matrice, plâtre ? Quand Alice tombe dans la cuve, le mécanisme qui régit tout le film – le mécanisme d’emboîtement et d’opposition du corps à la réalité, très proche de la construction carrollienne du rêve dans le rêve dans le rêve, etc. –, en en livrant un nouvel avatar, redouble l’enfermement d’Alice. La chrysalide est devenue visible.L’espace, singulièrement rétréci désor-mais, est alors décrit par défaut, par le regard, seul vivant, de Kristina Kohou-tova. Regard inquiet, affolé, surjoué à la manière d’un mime ou d’un clown, qui n’est pas sans rappeler celui de Giulietta Masina dans La Strada.C’est le regard qui, dans ces plans, dit l’espace clos, et suggère en même temps le tourment du corps d’Alice, qui va se poursuivre, pour aboutir à l’éclosion, dans la séquence suivante.Plus que d’une éclosion, c’est d’une dé-chirure qu’il s’agit. En grandissant, le corps se fait violence. Le carcan-sarco-phage d’où émerge Alice devient em-blématique de l’épilogue des deux sé-quences et du film dans son entier : tout espace est enfermement. Tout espace est trompe-l’œil et emboîtement. Thème

d’échelle est résolue, une image à l’op-posé de l’attente apparente d’Alice. In-touchable ou bourreau, il est très loin d’être une bizarre peluche animée, un jouet magique et fétiche auquel s’identi-fierait le jeune spectateur. Le Lapin blanc est le symbole incarné du désir : toujours hors de portée, toujours illusoire, tou-jours trompeur. Il fascine et fait peur. Nécessairement.Le Lapin blanc, depuis le début du film, joue aussi un rôle de passeur, au sens mythologique du terme : la mer de lar-mes de Švankmajer entretient une évi-dente relation avec les fleuves infernaux et le passeur de morts. Physiquement, le Lapin blanc incarne cet « entre-deux » :

fourrure vivante et tête de mort. Il est ce-lui qui introduit dans le monde inversé, là où le monde vivant n’a plus place et là où l’inerte est mouvement. La sciure qui emplit son corps est là pour confor-ter cette interprétation. Pour lui, elle est aliment et chair. On pense à La Clef des songes de René Magritte, où sous une chaussure est écrit « la Lune » et sous un chapeau, « la Neige ». Le Lapin blanc est celui grâce auquel le Réel est mis en cau-se et transgressé. Il est un élément essen-tiel du jeu surréaliste de Švankmajer, une tentative de traduction directe des coq-à-l’âne et des jeux de mots dont le texte de Carroll est truffé. Ce passeur, agressif pour la première fois vis-à-vis d’Alice,

traîne avec lui une étrange cohorte, assis-tants de l’impossible, les toves.Symbolisation de la peur et de l’angois-se, sous le sceau desquelles se situent les deux séquences, ces toves ne sont plus à demi occultés comme dans la séquence précédente. Ils sont au contraire dé-taillés, approchés, passés au crible. Qu’il s’agisse de monstres déjà entrevus ou de ceux qui surgissent ex nihilo, leurs consti-tutions dévoilent leur éloquent curricu-lum vitae.Celles-ci évoquent d’abord certains des jeux antérieurs de Jan Švankmajer. En particulier celui auquel il s’est livré dans les années soixante-dix, en créant des planches d’art graphique décrivant, à la

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Image-ricochet — 2524 — Analyse de séquence

que le lieu de la cave va développer plus amplement.

Sons et chromatismeCe thème de la claustrophobie, que Švankmajer revendique en précisant : « Dans mon Alice il y a beaucoup plus d’angoisse que chez Lewis Carroll parce que c’est basé sur mes propres expérien-ces4 », est, dans les deux séquences, sy-métriquement traité par la bande-son et les choix chromatiques.Jan Švankmajer m’avait dit à Prague : « Je ne me rappelle pas avoir, dans mes rêves, entendu une quelconque musi-que. De plus le monde est assourdi par la musique, qui supplée en fait aujourd’hui à toute culture [… J. Les sons réels inten-sifient l’authenticité du fantastique. »Dans les séquences 13 et 14, cette intensi-fication repose sur la mise en exergue de sons qui suggèrent des matières dures, denses, aux perspectives limitées (bruits de bois, d’objets traînés sur le sol, clique-tis mécaniques, grincements, clef, clo-chettes, tic-tac, etc.) et qui jouent de leur réverbération. Elle s’appuie aussi sur une véritable « composition suggestive » qui évoque des sons organiques, donc des sons « intérieurs » : nous revoici face aux corps. La coquille des œufs qui se brise, la dégurgitation qui accompagne les jeunes toves, l’écho mat de la viande, le fourmillement sourd des cafards, tous y font allusion, jusqu’au « Aïe ! » distan-cié et mécanique d’Alice ou aux hennis-sements des « poules ».Chromatiquement, les deux séquences baignent tout entières dans une domi-

nante blanche, grise et beige, renforcée de temps à autre par l’opposition très contrastée et colorée, surtout dans les rouges, des vêtements du Lapin blanc et des toves. Ce chromatisme est rarement lumineux, sauf lorsqu’il joue d’un de-hors supposé, par exemple lorsqu’Alice découvre la cave. Il semble absorber les objets et les personnages qu’il contient, à l’unisson de la thématique claustro-phobe.

Subversion d’un archétypeTournées en majeure partie dans la cave et le grenier de l’atelier de prédilection de Jan Švankmajer, ces deux séquences, au-delà du fil apparent ou des jeux de correspondances, sont bâties sur une discontinuité narrative qui, comme dans les rêves, esquive et rejette le principe de causalité. Dans cet univers de pression onirique, tout assaille Alice, la contraint et la menace obscurément. Ce faisant, Jan Švankmajer nous introduit au cœur de sa symbolique et parvient à s’adresser ainsi à la fois à de jeunes enfants et à l’enfant qui en nous sommeille… parfois.Dans ces deux séquences, Jan Švankmajer subvertit évidemment l’imagerie qui s’attachait jusque-là au personnage d’Alice. Il en propose une nouvelle inter-prétation où sont implicitement convo-quées les pulsions primaires d’Alice et celles des spectateurs.Alice est évidemment la manipulatrice de son imaginaire, le double de Jan Švankmajer. Elle met en scène la croyan-ce hermétiste du réalisateur, sa foi dans la vie des objets. Alice, en quête de son

identité, est momentanément chosifiée. Son parcours initiatique la conduit de l’état de chose parmi les choses à une dé-finition vivante et sexuée.Désir et frustration sont au centre de ce qu’elle essaie de nommer. Sa bouche n’est capable de traduire qu’une pen-sée consciente, immédiate. Son rapport direct aux objets lui fait éprouver le monde dans son opacité : par exemple, les symboles du désir et du rejet du phal-lus abondent (le tove qui jaillit hors du pot de confiture, les clous qui sortent du pain, la fameuse paire de ciseaux que le Lapin blanc l’a envoyée chercher et qui est à l’origine du drame des deux sé-quences, et, bien évidemment, la clé qui mène à la solution).Comme chez Carroll, ce rapport aux ob-jets, perçus vivants et morts à la fois par Alice, travaille la frustration et le canni-balisme enfantins (écho carrollien : « Si l’on se fait au doigt, avec un couteau, une coupure très profonde, cela saigne généralement. »).Ces différentes expériences et leurs in-terprétations sont passées, pour Alice, par la fonction digestive, par l’ingurgi-tation. La sagesse prudente dont elle fait montre à partir de la séquence 15 en est la preuve. Alice a grandi. Alice n’est plus ce qu’elle était.

1 Le Langage des lignes et autres essais sur le cinéma d’ani-mation, Marcel Jean, Cinéma les 400 coups, Canada, Québec, 1995.2 Traduction d’Henri Parisot, voir Bibliographie, p. 23.3 Cf. Cahier de notes sur… 5 Burlesques.4 Positif n° 345, p. 45, entretien avec Michel Ciment et Lorenzo Codelli.

Une imAGe-ricocheT

Esquisse de Lewis Carroll pour Alice in Wonderland.Elle a paru dans Visages d’Alice, livre réalisé

à l’occasion de l’exposition organisée par la BPI, Centre Georges Pompidou en 1983 (Éditions Gallimard).

Cette esquisse déposée au Christ Church College fait partie de la collection particulière de Mary St Clair, arrière petite-fille

d’Alice Liddell, qui inspira le personnage d’Alice (D. R. Photo Pierre Pitrou).

Page 14: Alice - Premiers Plans

26 — Promenades pédagogiques Promenades pédagogiques — 27

Même s’il semble aller de soi que la meilleure « exploitation pédagogique » passe par le texte de Lewis Carroll, il ne nous semble pas opportun de l’envisager comme piste première.

Cette opinion et cette intuition renvoient au caractère particulier du film de Jan Švankmajer. Ne vaut-il pas mieux partir de lui, travailler sur les traces durables que laissent ses images, pour redécouvrir ou découvrir en fin de parcours l’origine carrollienne ?

Pour ces raisons, nous retenons quelques thèmes essen-tiels, qui font sans doute écho aux questions que se posent les enfants à la sortie de la projection : Comment raconter un rêve au cinéma ? L’importance du décor, qui devient un personna-ge. L’importance des objets et des couleurs pour traduire cela. L’importance du personnage humain : comment choisit-on un enfant pour jouer dans un film ? L’importance du son, tou-jours dans la même hypothèse. Montage et collage. Truquage. Sources du récit.

Le rêve au cinémaLe film de Jan Švankmajer peut fasciner des enfants qui,

confusément, ressentiront son rapport au rêve. Rien ne s’ex-plique, tout est « magique ». Avant que d’essayer des explica-tions techniques, forcément maigres et incomplètes, il est sans doute beaucoup plus fructueux de laisser l’onirisme latent, que le spectacle cinématographique aura libéré, s’exprimer.

Il serait sans doute intéressant de suggérer aux jeunes spec-tateurs de raconter le film qu’ils ont vu, et de le raconter avec leurs moyens : écriture, dessins, collages, enregistrements… A priori, ce matériau tournera certainement autour de la fascina-tion pour tout ce qui fonctionne seul, sans l’aide apparente de l’adulte : la poupée, les jouets, la maison de poupée, etc.

Peut-être est-il possible d’envisager, à partir d’une telle approche, des petits jeux dessinés ou racontés de « cadavres exquis » de rêves notamment…

Le décor comme personnageDe la même façon, le décor, qui renvoie de manière pronon-

cée tout au cours du film à un espace fermé mais souvent ludi-que – celui de la maison de poupée, du jardin du Lapin blanc ou de l’appartement de la Reine envisagés comme décors de théâtre – ou à un jeu avec des objets, peut susciter une réflexion et des exercices autour des notions d’espace et de décors.

De tels exercices, qui ont déjà eu lieu à l’initiative de cer-tains instituteurs et animateurs lors de la sortie du film, ont parfois débouché sur des « re-créations » de décors avec des matériaux de récupération et sur une appréhension de « rea-dymade » simplifiés.

Promenades pédagogiques Objets et couleursLes enfants sont toujours sensibles aux détails qui habi-

tent la mise en scène de Jan Švankmajer : les objets qu’utilisent les personnages, tous confondus, sont des objets quotidiens. Le Lapin a des ciseaux, une montre, de petits gants et mange avec une « vraie » cuillère dans un « vrai » fait-tout. Les toves sont amusants parce qu’ils sont constitués d’objets reconnais-sables, qui deviennent des membres ou des parties de corps.

Tous les objets présents dans le rêve d’Alice sont d’abord ins-crits dans l’espace réel de sa chambre.

Chacun d’entre eux est repérable, non seulement par sa forme mais aussi par sa couleur : le bleu de la petite marmite revient souvent.

Tout un travail d’inventaire, d’association, de composi-tion est également possible par ce biais. Il peut certainement aboutir parfois à des tentatives d’appréhension de la notion difficile de symbole.

Le castingLa présence d’Alice interroge et fascine elle aussi : com-

ment un enfant est-il choisi pour jouer un tel rôle dans un film ? Outre expliquer la démarche de Jan Švankmajer dans sa sélection et la manière dont il a tourné avec Kristina Kohouto-va (Voir Autour du film, p. 3), la question permet évidemment

d’approcher la notion de casting et du rapport qu’elle entre-tient avec ce qu’est un « personnage cinématographique ».

Le sonEn se basant sur la seule mémoire des enfants, il peut

être intéressant de « ressusciter » le son. Deux aspects sont à prendre en compte : le réalisme du son, que les enfants retiennent aisément, et sa reproduction ; des exercices d’en-registrements sonores autour de bruits réalistes pour écou-ter l’effet produit et la possibilité de découvrir ce que c’est qu’un son réverbéré.

Montage et collageIl est possible aussi, toujours à partir du souvenir des en-

fants, de travailler les deux notions de montage et de collage sous différents angles.

Le montage peut donner lieu à des explications et à des discussions sur le rythme et le sens d’un récit cinématogra-phique. Plusieurs expériences ont déjà eu lieu dans cette di-rection qui se fondent sur des éléments statiques (dessins, photos) ou des expériences avec des caméras amateurs.

Mais, avec Alice, le montage peut entraîner dans deux autres directions : une réflexion sur la vitesse de succession des images et, surtout, une approche comparative d’autres collages, en papier ceux-là. Manière de découvrir « facile-ment » certains jeux surréalistes…

TruquagesÀ un moment donné, la question inévitable surgit : com-

ment Švankmajer a-t-il réussi à filmer une vraie petite fille et des jouets qui bougent, à faire grandir et rapetisser Alice, et la maison, et ainsi de suite ?

Occasion évidemment d’expliquer la différence entre la prise de vue réelle et le cinéma d’animation, occasion aussi d’« appliquer » ou d’expliquer quelques notions sur la nais-sance du truquage dans l’histoire du cinéma (avec Méliès notamment), occasion enfin de détailler plus précisément le principe d’un tournage d’animation en volume (image par image) et d’évoquer l’importance d’un travail en laboratoire

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28 — Promenades pédagogiques Adaptations cinématographiques – 29

où sont superposés deux filmages indépendants. Quelques éléments d’approche sont à votre disposition dans Le point de vue et Autour du film.

SourcesQuatre types de sources sont à distinguer, qui toutes qua-

tre peuvent donner lieu à des exercices spécifiques.La source première, celle de Lewis Carroll, n’est plus à

présenter. Les ouvrages autour de celle-ci sont abondants. Il y a surtout l’embarras du choix. Pour les plus petits, les comp-tines y occupent une place importante. À noter que les chapi-tres transposés dans le film sont les suivants : Descente dans le terrier du lapin. La mare de larmes. Le lapin fait donner le petit Bill. Les conseils du ver à soie. Cochon et poivre. Un thé chez les fous. Le terrain de croquet de la Reine. Qui a dérobé les tartes ? La déposition d’Alice.

La seconde est la source graphique. À elle seule, elle peut constituer l’alimentation d’une véritable recherche et d’un parcours visuel : on ne compte plus les représentations d’Alice et de son bestiaire.

La troisième est celle dont s’inspire directement le film : le surréalisme. Elle peut évidemment donner lieu à la fois à des découvertes littéraires et plastiques.

Enfin, la quatrième est celle du genre cinématographique lui-même et de ses origines culturelles et géographiques : le cinéma d’animation en volume, faisant appel à la marionnet-te, est issu à la fois de la Russie et de la Tchécoslovaquie. Quel-ques grands noms font encore la joie de jeunes spectateurs : Ladislas Starewitch (Russe, naturalisé français), Jiri Trnka (père de la marionnette tchèque, très éloigné de l’esthétique de Švankmajer).

On dénombre dans le monde, sur les cent ans d’histoire du cinéma, environ une trentaine d’adaptations cinématographiques, tous genres et supports confondus, consacrées à Alice et à ses différentes versions écrites. Nous en proposons ici quelques mor-ceaux choisis, par ordre chronologique1. Alice in Wonderland est noté AIW.

1903 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Cecil Hepworth, G.-B.1909 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Edwin S. Porter, E.-U.1910 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Thomas A. Edison, E.-U.1918 – Old Father William, Lancelot Speed, dessin animé anglais pour la propagande de guerre, basé sur un poème de Lewis Carroll tiré des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, « Les conseils du ver à soie ».1923-1926 – Alice au pays du dessin animé ou Le Merveilleux pays d’Alice (Alice Comedy), Walt Disney et Ob Iwerks, E.-U.1933 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Norman McLeod, E.-U.1948 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Lou Bunin, Marc Maurette, Dallas Bower, coproduction Fr., G.-B., E.-U., versions en français et en anglais.1951 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Walt Disney, E.-U.1966 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Jonathan Miller, G.-B.1966 – Alice à travers le miroir, Alan Handley, pour la NBC, acteurs : Agnes Moorehead, Jack Palance, Ricardo Montalban, E.-U.1970 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, Jean-Christophe Averty, Fr.1970 (années) – 17x30’, Tomfoolery, John Halas d’après les poèmes d’Edward Lear et Lewis Carroll, pour NBC, E.-U.1973 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), pour Arthur Rankin Jr. et Jules Bass, Blue Kids video 1992, E.-U.1975 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, version érotique, Bud Townsend, E.-U.1985 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, série T.V., prod. Apollo Films pour la télévision, Coproduction Autr., Cana., Jap.1985 – Alice in Wonderland, Harry Harris, deux parties, E.-U.1987 – De l’autre côté du miroir, Jameson Brewer, E.-U., Austr.1988 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, Alex Nicholas, coproduction E.-U., Austr., Esp.1988 – Alice, Jan Švankmajer, Tchécoslovaquie..

1 32

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Adaptations cinématographiques

1 Extrait, avec l’aimable autorisation de son auteur, de « Identité et spatialité dans les adaptations filmiques de Lewis Carroll, Alice de Jan Švankmajer », Florence Livolsi, 1995.

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Petite bibliographie - Glossaire — 3130 – Petite bibliographie - Glossaire

Sur Alice et sur Jan Švankmajer– Klaus Jürgen Gerke, Pascal Vimenet, Dossier de presse Alice, 1989.– Michel Ciment, Lorenzo Codelli, « Entretiens avec Jan Švankmajer », Positif n° 345, 1989.– Pascal Vimenet, « Jan Švankmajer, jeu sur le rêve », Cahiers du cinéma n° 424, 1989.– « Jan Švankmajer. L’Inanimateur », catalogue des 12e Jour-nées Internationales du Cinéma d’Animation d’Annecy, 1985, CICA, p. 102 / 122 p. (Texte en français de Gilles Dunant).– Eva et Jan Švankmajer, « La contamination des sens », cata-logue d’exposition Annecy, juin 1991.– « Jan Švankmajer, un surréaliste du cinéma d’animation », catalogue rétrospectif du musée d’Art moderne et Contempo-rain de Strasbourg, Édition Ciné-Fils, 15-27 janvier 1999.– Marcel Jean, in Le Langage des lignes et autres essais sur le cinéma d’animation, Cinéma les 400 Coups, Québec, Canada, 1995.– Florence Livolsi, Thèse de doctorat sous la direction d’Hélène Puiseux, « Identité et spatialité dans les adapta-tions filmiques d’Alice de Lewis Carroll » – « Alice de Jan Švankmajer », 1995.– Švankmajer E & J bouche à bouche, coordination Pascal Vime-net, collectif (huit auteurs), bilingue, iconographie inédite, Éditions de l’Œil, 2002 (Prix du livre « Art et essai » Henri- Ginet 2002, décerné par le CNC).– Gregorio Martin Gutiérrez, La Magia de la subversion, collec-tif, en espagnol, T & B editores, 2010.– Charles Jodoin-Keaton, Jan Švankmajer un surréalisme animé, Rouge profond, réédition 2011.

Sur Alice et Lewis Carroll– Lewis Carroll, Tout Alice, Garnier-Flammarion, 1979, traduc-tion Henri Parisot.

– Lewis Carroll, une vie, de Jean Gattégno Editions Points « Bio-graphie », 1984.– Album Lewis Carroll, Jean Gattégno, Gallimard, « La Pléiade », 1990.– Lewis Carroll au pays des merveilles, Stéphanie Lovett Stoffel, Découvertes Gallimard, 1997.– Lewis Carroll et la persistance de l’image, Lawrence Gasquet, Presses universitaires de Bordeaux, 2009.

Plan : deux définitions possibles, selon le point de vue adopté.1) Point de vue du tournage. Le plan correspond au métrage de pellicule enregistré entre le moment où l’on met le mo-teur de la caméra en marche et celui où on l’éteint. C’est donc d’abord une unité indivisée, sans coupe. 2) Point de vue du montage (du film terminé : l’usage du terme est donc plus fréquent qu’en 1) : le plan décrit en 1 est fréquemment divisé en plusieurs unités, également nommées « plans », exem-plairement dans le champ-contrechamp (voir ce terme). Le terme désigne alors la longueur de pellicule comprise entre deux collures. Sauf en cas de montage extrêmement rapide, le passage d’un plan à un autre est en généraI très sensible. Ce passage s’appelle un raccord.N.B. Dans un tout autre sens, le mot plan est aussi utilisé pour désigner la taille de ce qui est visible à l’écran (gros plan, plan d’ensemble, etc.), ou encore pour désigner diverses profon-deurs dans l’espace (premier plan / arrière-plan par exemple).

Raccord dans le mouvement : désigne un raccord où un mou-vement est amorcé dans un plan, et poursuivi dans le plan

suivant. Classiquement, ce raccord implique une nette diffé-rence de taille et/ou d’axe entre les deux plans, mais est réa-lisé de façon à ce qu’on sente une continuité entre ces deux mêmes plans.

Champ : désigne le fragment d’espace donné à voir, délimité par les quatre côtés du cadre.

Contrechamp : désigne le fragment d’espace opposé (à 180°) au champ.

Champ-contrechamp : figure combinant alternativement les deux figures précédentes.

Hors-champ : désigne tout l’espace non montré par le champ, mais dont l’existence est suggérée par celui-ci.

Off : se dit d’un son (voix, bruit, musique, etc.) dont l’origine ne se situe pas dans le champ. (Contraire : in).

Mouvements de caméra : les deux mouvements de base sont le travelling et le panoramique. Ces deux mouvements ne s’excluent pas forcément : ils peuvent être combinés l’un à l’autre.Dans le cas du panoramique, la caméra, fixée sur un pied fixe (ou une épaule, dans le cas d’un tournage à la main) effectue une rotation horizontale de gauche à droite (panoramique gauche-droite) ou de droite à gauche (panoramique droite-gauche), ou un mouvement vertical de bas en haut ou de haut en bas. Un panoramique peut également balayer l’espace en diagonale.Dans le cas du travelling, la caméra est fixée sur un objet en mouvement (chariot sur rails, voiture, etc.). Elle peut se

déplacer latéralement (travelling latéral gauche-droite ou droite-gauche), en avançant (travelling avant) ou en reculant (travelling arrière).

Alain Philippon

Sur l’animation…Mutoscope : flip-book monté sur un axe mobile, le premier appareil de vérification de la fluidité du mouvement inventé par Winsor McCay, le père de Little Nemo.

Banc-titre : caméra spécialisée pour le cinéma image par image, elle ne filme pas en continu. Habituellement le banc-titre est composé d’un plateau horizontal, fixe ou mobile et d’un axe vertical, perpendiculaire au plateau, qui permet à la caméra de se déplacer. Les bancs-titres sont à présent com-mandés par ordinateur. La caméra de banc-titre peut égale-ment s’utiliser horizontalement, ce qui se pratique pour tous les films d’animation en volume.

Pixillation : terme introduit par le cinéaste canadien Norman McLaren, qui le définit ainsi : « Cette technique d’animation image par image de personnages humains consiste à appli-quer aux acteurs les principes normalement utilisés pour la photographie des films d’animation et des dessins animés. (…) La technique n’est pas nouvelle. Elle trouve son origine dans les premiers films français de l’époque de Méliès, alors qu’on arrêtait la caméra en cours de tournage afin d’effectuer des truquages. »

Live : terme emprunté au vocabulaire anglo-saxon pour dési-gner la prise de vues réelles.

Petite bibliographie

Glossaire

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– 1, 2, 3... Léon ! programme de courts métrages, écrit par Pierre Lecarme.– 5 Burlesques américains, écrit par Carole Desbarats.– Alice de Jan Svankmajer, écrit par Pascal Vimenet.– Un animal, des animaux de Nicolas Philibert, écrit par Carole Desbarats.– L’Argent de poche de François Truffaut, écrit par Alain Bergala.– Les Aventures de Pinocchio de Luigi Comencini, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Les Aventures de Robin des Bois de William Keighley et Michael Curtiz, écrit par Pierre Gabaston.– Azur et Asmar de Michel Ocelot, écrit par Bernard Genin.– La Belle et la Bête de Jean Cocteau, écrit par Jacques Aumont.– Le Bonhomme de neige, de Dianne Jackson, écrit par Marie Diagne.– Bonjour, de Yasujiro Ozu, écrit par Bernard Benoliel.– Boudu sauvé des eaux, de Jean Renoir, écrit par Rose-Marie Godier.– Le Cerf-volant du bout du monde de Roger Pigaut, écrit par Gérard Lefèvre.– Chang de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, écrit par Pierre-Olivier Toulza.– Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly, écrit par Carole Desbarats.– Le Cheval venu de la mer de Mike Newell, écrit par Émile Breton.– Le Chien jaune de Mongolie de Byambasuren Davaa, écrit par Marcos Uzal.– Le Cirque de Charlie Chaplin, écrit par Charles Tesson.– Contes chinois de Te Wei, Hu Jinqing, Zhou Keqin, Ah Da, écrit par Christian Richard, assisté d’Anne-Laure Morel.– Les Contes de la mère poule, de Farkhondeh Torabi et Morteza Ahadi Sarkani, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang, écrit par Alain Bergala.– Le Corsaire rouge de Robert Siodmak, écrit par Michel Marie.– Courts métrages, écrit par Jacques Kermabon.– Nouveau programme de courts métrages (deux programmes) écrit par Yann Goupil et Stéphane Kahn.– La Croisière du Navigator de Buster Keaton, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, écrit par Michel Marie.– Edward aux mains d’argent de Tim Burton,écrit par Hervé Joubert-Laurencin et Catherine Schapira.– L’Étrange Noël de M. Jack d’Henry Selick et Tim Burton, écrit par Pascal Vimenet.– Le Garçon aux cheveux verts de Joseph Losey, écrit par Jacques Aumont.– Garri Bardine, six films courts, (deux programmes) écrit par Pascal Vimenet.– Gauche le violoncelliste de Isao Takahata écrit par Ilan Nguyen et Xavier Kawa-Topor.– Gosses de Tokyo de Yasujiro Ozu, écrit par Fabrice Revault d’Allonnes.– L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen, écrit par Pascal Vimenet.– L’Homme invisible de James Whale, écrit par Charles Tesson.– L’Homme qui rétrécit de Jack Arnold, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Jacquot de Nantes de Agnès Varda, écrit par Michel Marie.– Jason et les Argonautes de Don Chaffey, écrit par Antoine Thirion.– Jeune et innocent d’Alfred Hitchcock, écrit par Alain Bergala.– La Jeune Fille au carton à chapeau de Boris Barnet, écrit par Stéphane Goudet.– Jiburo de Lee Jeong-hyang, écrit par Charles Tesson.– Jour de fête de Jacques Tati, écrit par Jacques Aumont.– Katia et le crocodile de Vera Simkova et Jan Kusera, écrit par Anne-Sophie Zuber.– King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, écrit par Charles Tesson.– Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot, écrit par Luce Vigo et Catherine Schapira.– Lumière, écrit par Vincent Pinel.– Le Magicien d’Oz de Victor Fleming, écrit par Carole Desbarats.– Le Mécano de la « General » de Buster Keaton, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Le Monde vivant d’Eugène Green, écrit par J.-C. Fitoussi.

– Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Nanouk, l’Esquimau de Robert Flaherty, écrit par Pierre Gabaston.– La Nuit du chasseur de Charles Laughton, écrit par Charles Tesson.– Où est la maison de mon ami d’Abbas Kiarostami, écrit par Alain Bergala.– Paï de Niki Caro, écrit par Pierre-Olivier Toulza.– Le Passager d’Abbas Kiarostami, écrit par Charles Tesson.– Peau d’Âne de Jacques Demy, écrit par Alain Philippon.– La Petite Vendeuse de Soleil de Djibril Diop Mambety, écrit par Marie Diagne.– Petites z’escapades, écrit par Marie Diagne.– Le Petit Fugitif de Morris Engel, Ruth Orkin, Ray Ashley, écrit par Alain Bergala et Pierre Gabaston.– La Planète sauvage de René Laloux, écrit par Xavier Kawa-Topor.– Ponette de Jacques Doillon, écrit par Alain Bergala.– Porco Rosso de Hayao Miyazaki, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Princes et Princesses de Michel Ocelot, écrit par Xavier Kawa-Topor.– Princess Bride de Rob Reiner, écrit par Jean-Pierre Berthomé.– La Prisonnière du désert de John Ford, écrit par Pierre Gabaston.– Rabi de Gaston Gaboré, écrit par Luce Vigo.– Regards libres. Cinq courts métrages à l’épreuve du réel, écrit par Jacques Kermabon, Amanda Robles et Olivier Payage.– Le Roi des masques de Wu Tian-Ming, écrit par Marie Omont.– Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, écrit par J.-P.Pagliano.– La Ruée vers l’or de Charles Chaplin, écrit par Charles Tesson.– Sidewalk stories de Charles Lane, écrit par Rose-Marie Godier.– Storm Boy d’Henri Safran, écrit par Luce Vigo.– La Table tournante de Paul Grimault, écrit par J-P. Berthomé.– U de Grégoire Solorateff et Serge Elissalde, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Les Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati, écrit par Carole Desbarats.– La Vie est immense et pleine de dangers de Denis Gheerbrantrédaction collective (A. Bergala, D. Gheerbrandt, D. Oppenheim, M.-C. Pouchelle, C. Schapira).– Le Voleur de Bagdad de Berger, Powell, Whelan, écrit par Émile Breton.– Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, écrit par Alain Bergala et Nathalie Bourgeois.– Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.– Zéro de conduite de Jean Vigo, écrit par Pierre Gabaston.

Cahier de notes sur…Édité dans le cadre du dispositif École et Cinéma, par l’association Les enfants de cinéma Rédaction en chef : Eugène Andréanszky.Mise en page : Thomas Jungblut.Photogrammes : Laboratoire Pro Image Service.Repérages : Junko Watanabe.Impression : Raymond Vervinckt.Directeur de la publication : Eugène Andréanszky.Secrétaire de rédaction : Delphine Lizot.

Ce Cahier de notes sur... Alice a été édité dans le cadre du dispositif École et Cinéma initié par le Centre national du cinéma et de l’image animée, ministère de la Culture et de la Communication, et la Direction générale de l’Enseignement scolaire, le SCÉRÉN-CNDP, ministère de l’Éducation nationale.

© Les enfants de cinéma, septembre 2011Les textes et les documents publiés dans ce Cahier de notes sur… ne peuvent être reproduits sans l’autorisation de l’éditeur. Le code de la propriété intellectuelle interdit expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit.

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Dans la même collection, Cahier de notes sur…