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Article © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2013;20: S94-S98 *Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (M. Poirée). Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com S94 Antibioprophylaxie chez les enfants immunodéprimés Prophylactic antibiotics for immunocompromised children M. Poirée 1,* , C. Picard 2 , C. Aguilar 2 , H. Haas 3,4 1 Service d’hémato-oncologie pédiatrique, CHU de Nice, hôpital Archet 2, 151 route de Sainte- Antoine, 06200 Nice, France 2 Centre d’étude des déficits immunitaires, CHU Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France 3 Urgences pédiatriques-infectiologie, hôpitaux pédiatriques CHU Lenval, 57 avenue de la Californie, 06200 Nice, France 4 Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) de la Société française de pédiatrie Résumé L’infection est la cause la plus fréquente de morbidité et de mortalité chez les enfants immunodéprimés. L’émergence des bactéries résistantes est particulièrement inquiétante pour cette population. Le risque infectieux peut être diminué par des règles d’éducation, une vaccination adaptée et parfois une antibioprophylaxie. Cependant, le risque infectieux réel est difficile à évaluer à l’échelon individuel, et l’utilisation prolongée et répétée d’antibiotiques peut être délétère : réactions allergiques, interactions médicamenteuses, surinfections, colite pseudomembraneuse et surtout développement de résistance bactérienne. Des recommandations émanant de sociétés savantes existent notamment en ce qui concerne les déficits immunitaires héréditaires et l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Dans d’autres cas, cela dépend des habitudes de chacun : l’évolution de la résistance aux antibiotiques doit conduire à réduire au maximum ces antibiothérapies non fondées sur des preuves ou des recommandations. Le développement de nouveaux vaccins notamment antipneumococciques et antiméningococciques pourrait changer les recommandations et les habitudes. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Infections are the most common cause of morbidity and mortality in pediatric immunocompromised children. The emergence of pan-drug resistant bacteria is particularly concerning for these patients. The risk of infection can be reduced by educational rules, immunizing these patients and sometimes antibiotic prophylaxis. But the individual level of risk is very difficult to assess. Using antibiotics may lead to adverse effects such as allergic reactions, cross-reactions with other drugs, development of super-infections, pseudomembranous colitis and overall development of antibiotic- resistant bacterial strains. Recommendations for preventing infections in these patients exist for specific case such as inherited disorder or stem cell transplantation. In others cases it depends on physicians’ habits: the increase of bacterial resistance could lead to reduce the prescriptions non evidence based and not included in official guidelines. Pneumococcal and meningococcal vaccinations might change guidelines and habits. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Antibioprophylaxie chez les enfants immunodéprimés

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Page 1: Antibioprophylaxie chez les enfants immunodéprimés

Article

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2013;20: S94-S98

*Auteur correspondant.e-mail : [email protected] (M. Poirée).

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

S94

Antibioprophylaxie chez les enfants immunodéprimés

Prophylactic antibiotics for immunocompromised children

M. Poirée1,*, C. Picard2, C. Aguilar2, H. Haas3,4

1Service d’hémato-oncologie pédiatrique, CHU de Nice, hôpital Archet 2, 151 route de Sainte-Antoine, 06200 Nice, France 2Centre d’étude des déficits immunitaires, CHU Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France 3Urgences pédiatriques-infectiologie, hôpitaux pédiatriques CHU Lenval, 57 avenue de la Californie, 06200 Nice, France 4Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) de la Société française de pédiatrie

RésuméL’infection est la cause la plus fréquente de morbidité et de mortalité chez les enfants immunodéprimés. L’émergence des bactéries résistantes est particulièrement inquiétante pour cette population. Le risque infectieux peut être diminué par des règles d’éducation, une vaccination adaptée et parfois une antibioprophylaxie. Cependant, le risque infectieux réel est diffi cile à évaluer à l’échelon individuel, et l’utilisation prolongée et répétée d’antibiotiques peut être délétère : réactions allergiques, interactions médicamenteuses, surinfections, colite pseudomembraneuse et surtout développement de résistance bactérienne. Des recommandations émanant de sociétés savantes existent notamment en ce qui concerne les défi cits immunitaires héréditaires et l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Dans d’autres cas, cela dépend des habitudes de chacun : l’évolution de la résistance aux antibiotiques doit conduire à réduire au maximum ces antibiothérapies non fondées sur des preuves ou des recommandations. Le développement de nouveaux vaccins notamment antipneumococciques et antiméningococciques pourrait changer les recommandations et les habitudes.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SummaryInfections are the most common cause of morbidity and mortality in pediatric immunocompromised children. The emergence of pan-drug resistant bacteria is particularly concerning for these patients. The risk of infection can be reduced by educational rules, immunizing these patients and sometimes antibiotic prophylaxis. But the individual level of risk is very diffi cult to assess. Using antibiotics may lead to adverse effects such as allergic reactions, cross-reactions with other drugs, development of super-infections, pseudomembranous colitis and overall development of antibiotic-resistant bacterial strains. Recommendations for preventing infections in these patients exist for specifi c case such as inherited disorder or stem cell transplantation. In others cases it depends on physicians’ habits: the increase of bacterial resistance could lead to reduce the prescriptions non evidence based and not included in offi cial guidelines. Pneumococcal and meningococcal vaccinations might change guidelines and habits.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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immunosuppression par des mécanismes multiples  : diminution de la phagocytose des PNN, de l’immunité cellulaire et des fonctions macrophagiques. Le risque infectieux augmente avec la dose et la durée, il est majoré par l’association à d’autres déficits.

3. Déficits héréditaires de la fonction phagocytaire

Le CEREDIH a élaboré, à partir d’une revue de la littérature et d’avis d’experts, des recommandations.La granulomatose septique chronique affecte le pouvoir microbicide des cellules phagocytaires. Aucune étude prospective randomisée contrôlée n’a été réalisée, mais plusieurs études rétrospectives mon-trent une diminution de l’incidence des infections bactériennes sous cotrimoxazole [1,2]. Cette association d’antibiotiques couvre les bac-téries à Gram positif (Staphylococcus aureus, Nocardia spp.) qui sont les germes les plus fréquemment en cause. Une antibioprophylaxie systématique par cotrimoxazole, à la dose quotidienne de 25 mg/kg/j de sulfamethoxazole en une prise est recommandée (AII). Aucune autre antibioprophylaxie n’a été évaluée dans ce domaine, y compris en cas d’échec ou d’intolérance [3].Les neutropénies chroniques, d’étiologies multiples, sont définies par PNN à moins de 500/mm3 de façon prolongée. Le risque infectieux est majeur lorsque la neutropénie est profonde et dure plus de 7  jours. Les germes documentés dans les infections bactériennes sont des bactéries à Gram positif (S. aureus, Streptococcus sp., Strep-tococcus pneumoniae, Staphylococcus epidermidis) et des bactéries à Gram négatif (BGN) dont Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa, Klebsiella spp., Salmonelles mineures, Haemophilus influenzae, Pro-teus spp. Les sites infectieux sont souvent la peau et les muqueuses. Aucune antibioprophylaxie n’a été évaluée prospectivement chez ces patients, et aucune étude rétrospective n’a prouvé la diminution de l’incidence des infections. Compte tenu de la variabilité du risque infectieux, la prophylaxie antibactérienne n’est pas systématique. Elle doit se discuter au cas par cas en fonction de la profondeur de la neutropénie, de sa cause et du risque infectieux propre au patient. Elle est généralement prescrite en première intention lorsque les polynucléaires sont >  100/mm3 (en deçà de ce taux, en l’absence d’action conjointe des PNN, l’antibiotique ne peut seul être actif) et en cas d’infections modérées récidivantes. Le cotrimoxazole, malgré le fait que l’un de ses effets secondaires soit une myélotoxicité, est le plus souvent utilisé (AIII) [3]. En cas de neutropénie < 100/mm3 ou d’infections sévères ou de manifestations stomatologiques sévères, les facteurs de croissances hématopoïétiques (G-CSF) sont prescrits en première intention.

1. Introduction

Les déficits immunitaires héréditaires sont des pathologies rares et de sévérité variable. Ce sont des pathologies génétiques qui s’opposent aux déficits acquis (ou secondaires). Les déficits acquis, plus fréquents, sont secondaires à des étiologies multiples, souvent d’origine iatrogé-nique et en augmentation constante en raison de l’utilisation crois-sante de nouvelles thérapeutiques. L’infection est la complication la plus fréquente et la plus redoutée. Le profil et le risque infectieux sont variables selon le type de déficit. D’un point de vue immunologique, la tentation est grande de proposer à ces patients une prophylaxie anti-bactérienne. Mais, outre le fait que le risque infectieux réel est difficile à évaluer, précisément au cas par cas, la protection de ces patients ne se résume pas aux antibiotiques  : environnement, éducation, vaccinations, immunothérapie substitutive. Dans certaines situations, des recommandations existent, émanant le plus souvent de sociétés savantes (Centre national de référence des déficits immunitaires héréditaires CEREDIH, Société hématologie immunologie pédiatrique SHIP, etc.). Dans d’autres cas, plus complexes, les attitudes et les habi-tudes diffèrent selon les équipes.

2. Acteurs de la défense anti-infectieuse

La protection anti-infectieuse est médiée par une réaction précoce de l’immunité innée relayée par une réaction immune spécifique dite « adaptative ». Le système immunitaire inné comprend les barrières anatomiques (peau, muqueuses et sécrétions), le complément, les cytokines, les cellules phagocytaires (polynucléaires neutrophiles [PNN], le système macrophagique, les cellules présentatrices d’anti-gènes et les lymphocytes natural killers (NK). Le système immunitaire acquis (adaptatif) est constitué des lymphocytes B et T (CD4 et CD8) qui expriment à leur surface des récepteurs spécifiques aux antigènes (immunoglobulines et récepteurs des lymphocytes  T). On distingue l’immunité humorale non spécifique (complément, cytokines) et spécifique (anticorps), et l’immunité cellulaire non spécifique (polynucléaires, phagocytes, cellules NK, cellules dendri-tiques) et spécifique (lymphocytes B et T). La rate, quant à elle, joue un rôle dans la clairance des bactéries circulantes. Elle est riche en lymphocytes B spécialisés dans la réponse anticorps aux antigènes polysaccharidiques, abondants sur les bactéries encapsulées. C’est un réservoir de lymphocytes CD4. La compréhension du rôle et des interactions des différents acteurs de la réponse anti-infectieuse permet de mieux cerner le(s) risque(s) infectieux découlant de leur(s) déficit(s). Toute la difficulté réside dans l’analyse des risques combi-nés. La corticothérapie prolongée, par exemple, est responsable d’une

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ces décontaminations digestives. Aucune décontamination digestive prophylactique ne devrait s’envisager sans une surveillance bactério-logique appropriée [5].

4.2. Antibiothérapie prophylactique absorbable

L’efficacité, en termes de réduction significative des épisodes fébriles, de l’administration prophylactique d’antibiotiques absorbables chez le patient neutropénique est largement confirmée par une méta-analyse portant sur 13  579 patients inclus entre 1973 et 2010  [7-9]. Les fluoroquinolones (lévofloxacine et ciprofloxacine) sont les plus souvent utilisées. La lévofloxacine est préférée dans les situations comportant un risque plus élevé de mucite, susceptible de provoquer des infections à Streptococcus viridans. Des essais prospectifs et randomisés ont montré que les quinolones et le cotrimoxazole sont plus efficaces et mieux tolérés que la décontamination digestive sélective [8]. Cependant, l’utilisation des fluoroquinolones n’a montré aucun bénéfice en termes de survie. Leur utilisation est responsable d’une augmentation des infections à cocci Gram positifs (Strepto-coques)  [4] et à l’émergence d’une flore résistante, en particulier d’entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu. Une revue récente de la littérature réalisée par l’American Society of Clinical Oncology [10] s’accorde avec les guidelines de l’IDSA [11] pour affirmer que la prophylaxie antibactérienne ne doit pas être réalisée en routine chez les patients neutropéniques. Elle doit être réservée aux patients à haut risque, présentant une neutropénie profonde (<  100) et prolongée (>  7 jours) (BI). L’association aux quinolones d’un antibiotique actif contre les bactéries à Gram positif n’est pas recommandée (AI). Le taux d’épisodes fébriles et d’infection chez les patients neutropéniques sous cotrimoxazole est significativement plus bas qu’avec un placebo, en particulier pour les patients présen-tant une neutropénie de plus de 2 semaines. Ainsi le cotrimoxazole administré en prophylaxie des infections à Pneumocystis jirovecii a comme conséquence une prophylaxie antibactérienne [8]. En conclu-sion, la décontamination digestive, qu’elle soit sélective ou par le biais d’antibiotiques absorbables, est probablement un concept obsolète en hématologie en raison d’une part de l’absence d’impact reconnu sur la mortalité, des risques en termes d’écologie bactérienne, et d’autre part de l’amélioration de l’antibiothérapie curative probabi-liste des épisodes fébriles chez le neutropénique.

5. Déficits en facteurs du complément

Ils peuvent être congénitaux ou acquis (vascularite, insuffisance hépatocellulaire, entéropathies, syndrome néphrotique, traitement par éculizumab). Ils exposent à des infections à germes encapsulés (N. meningitidis, S. pneumoniae et H. influenzae de type b). Au cours de tous les déficits en facteurs du complément, les vaccinations

4. Neutropénie prolongée post-chimiothérapie

Les infections bactériennes sont la cause principale de mortalité liée au traitement chez les patients en neutropénie profonde et prolongée après chimiothérapie. Les pathogènes habituellement rencontrés sont les BGN  : entérobactéries (E. coli, Klebsiella spp., Enterobacter, Proteus, Serratia, Morganella) et/ou BGN aérobies stricts (Pseudomonas, Acinetobacter), les cocci à Gram positifs (S. aureus ou à coagulase négative, Streptococcus, Enterococcus), mais aussi les mycobactéries, les listeria et des anaérobies.

4.1. Décontamination digestive

La flore bactérienne digestive est un écosystème complexe ayant un rôle protecteur vis-à-vis de la colonisation bactérienne exogène [4]. Les patients neutropéniques font des bactériémies par translocation avec des germes provenant du tractus digestif. L’éradication par la déconta-mination digestive sélective (DDS) des aérobies stricts a pour but de réduire ce risque. La DDS idéale est non absorbable, bien tolérée, active sur les entérobactéries et le Pseudomonas aeruginosa, inactive sur les anaérobies (effet barrière théorique), induisant peu de résistances, et permettant une bonne compliance avec un coût raisonnable  [5]. Elle n’existe pas. Les bénéfices attendus de la décontamination digestive doivent être mis en balance avec les risques d’émergence de bactéries résistantes et de levures. La plupart des études réalisées en réanimation sur l’intérêt d’une DDS retrouvent une diminution du taux d’infection sans impact sur la mortalité. En hématologie, les études portent essentiellement sur les patients allogreffés et montrent une diminu-tion significative des infections dues aux BGN  [4]. Cependant, aucun bénéfice sur la survie globale n’a pu être démontré. Même si la DDS est largement pratiquée dans les services d’hématologie, le rationnel est discuté. Pour certains auteurs, les preuves sont insuffisantes pour recommander en routine une DDS chez les patients neutropéniques dans le cadre d’une allogreffe de CSH (DIII)  [6]. Cette DDS doit être interrompue dès le début de l’utilisation d’une β-lactamine par voie parentérale, les traitements administrés par voie intraveineuse agissant aussi sur la flore digestive. Les molécules, souvent utilisées pour la DDS, sont la polymyxine E (colistine) et la gentamicine. La poly-myxine, très faiblement absorbée, est active sur la majorité des BGN dont les Pseudomonas. Elle sélectionne potentiellement des Proteus, ou beaucoup plus rarement des BGN résistants aux polymyxines. Les aminosides ne sont pas absorbés lorsqu’ils sont administrés par voie orale. Ils sont actifs sur les BGN avec cependant le risque d’émergence de résistance. La gentamicine semble avoir un intérêt par rapport aux autres aminosides en raison de son gain d’activité sur les bactéries à Gram positif. L’émergence de souches de BGN résistantes à l’ensemble des β-lactamines, aminosides, quinolones et pour lesquelles la colimy-cine est souvent la seule molécule active doit faire proscrire à terme

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vaccinale optimale [16]. L’antibioprophylaxie a été évaluée uniquement chez le patient drépanocytaire. Elle diminue de 84 % le nombre de bac-tériémies à pneumocoque [17]. Par extrapolation, l’antibioprophylaxie à vie est recommandée chez les patients considérés comme ayant un risque persistant d’infection pneumococcique  [18]. En France, la SHIP recommande de poursuivre cette prophylaxie le plus longtemps possible : au moins jusqu’aux 5 ans révolus de l’enfant asplénique et s’il s’agit d’une splénectomie au moins 3 ans après le geste [16]. Dans le contexte d’une splénectomie réalisée chez un patient porteur d’un déficit immunitaire sous-jacent, le cumul des risques infectieux incite à recommander une antibioprophylaxie à vie (AIII) [3].La pénicilline V, en raison de son spectre étroit, est recommandée à la posologie de 100 000 UI/kg/j jusqu’à 10 kg et de 50 000 UI/kg/j après 10 kg sans dépasser 2 MUI/j, en 2 à 3 prises quotidiennes [13]. Cependant, avec l’apparition des vaccins antipneumococcique et antiméningococcique conjugués, la question controversée de la durée de l’antibioprophylaxie se pose. L’importance des règles d’édu-cation concernant la conduite à tenir en cas de fièvre est primordiale.

8. Prophylaxie des déficits immunitaires cellulaires

Les déficits de l’immunité cellulaire peuvent être quantitatifs ou fonctionnels, congénitaux ou acquis (VIH, traitements immuno-suppresseurs). Ils exposent à des infections virales ou parasitaires sévères et potentiellement mortelles (Herpes simplex, varicelle-zona, cytomégalovirus, Pneumocystis jirovecii, Toxoplasma gondii, etc.). Des infections fongiques et à bactéries intracellulaires sont aussi pos-sibles (légionelle, mycobactéries atypiques, salmonelles, Mycobac-terium tuberculosis). La prophylaxie par cotrimoxazole est efficace dans la prévention de la pneumopathie à Pneumocystis jirovecii et est associée à une diminution de la mortalité  [19]. Actuellement, l’utilisation croissante d’immunosuppresseurs au cours des maladies systémiques et l’intensification des protocoles de traitement en cancérologie multiplient les circonstances d’immunosuppression T. Depuis les années 1980, le nombre de lymphocytes T CD4 circu-lants est reconnu comme le principal facteur prédictif du risque de survenue d’une pneumocystose pulmonaire au cours de l’infection par le VIH. L’attitude diagnostique et prophylactique est ainsi guidée par le seuil de CD4. La drogue de choix est le cotrimoxazole (AI), en 2 prises quotidiennes, 3 jours par semaine, à la posologie de 25 mg/kg/j de sulfaméthoxazole. La prophylaxie est recommandée durant la période de traitement immunosuppresseur ou jusqu’à ce que les CD4 soient >  200/μl (AI)  [10]. En cas d’intolérance, la dapsone par voie orale (2  mg/kg/j), la pentamidine en aérosol (300  mg) ou IV (4  mg/kg sur 2  heures) toutes les 3 à 4 semaines et l’atovaquone orale (1 500 mg/j) peuvent être utilisés. Ces molécules alternatives semblent être moins efficaces [20].

contre les germes encapsulés sont recommandées (AII). L’utilisation d’une antibioprophylaxie est peu argumentée  [3]. Cependant, en raison de la gravité potentielle des infections dans les déficits des facteurs précoces de la voie classique du complément et malgré le fait qu’aucune étude n’ait été réalisée, l’antibioprophylaxie par pénicilline V est souvent utilisée (AIII). Les déficits en facteur tardif du complément (C5b, C6, C7, C8, C9) ne sont pas une indication car ils exposent à des infections fréquentes mais peu sévères. Cette atti-tude pourrait évoluer avec le développement de nouveaux vaccins.

6. Déficit de l’immunité humorale

Les hypo-, dys- et agammaglobulinémies, congénitales ou acquises, exposent aux infections à bactéries à croissance extracellulaire rapide et le plus souvent encapsulées  : S.  pneumoniae, H.  influenzae mais aussi les staphylocoques, les streptocoques et des BGN. Il s’agit le plus souvent d’infections récidivantes, bronchopulmonaires, sinu-siennes, digestives ou neuroméningées. Elles exposent également à des infections digestives sévères (Campylobacter, Giardia intestinalis, Salmonella, Shigella). La prise en charge repose sur une substitution en immunoglobulines permettant de diminuer l’incidence des infections sévères. Il n’existe pas de données dans la littérature permettant d’évaluer l’efficacité d’une antibioprophylaxie. Elle est cependant utilisée en cas d’infections sévères malgré une substitution adaptée ou d’infections récidivantes (plus de 3 épisodes par an). C’est proba-blement dans ce groupe de patients qu’une épargne d’antibiotiques (afin de limiter la pression de sélection) est le plus souhaitable. En effet, d’une part 3 infections par an est un chiffre quasi-physiologique pour des jeunes enfants et d’autre part aucune étude clinique ne vient supporter cette utilisation. Une des molécules utilisables peut être le cotrimoxazole (BIII). Une dilatation des bronches doit être recherchée car elle pourrait faire envisager exceptionnellement une prophylaxie par azithromycine [12].

7. Splénectomie ou asplénie fonctionnelle (irradiation, drépanocytose, etc.)

Les patients aspléniques ou hypospléniques sont à risque très élevé d’infections systémiques suraiguës et rapidement mortelles à germes encapsulés : S. pneumoniae, H.  influenzae, N.  meningitidis  [13]. Les études de cohortes de patients splénectomisés retrouvent une incidence annuelle d’infections variant entre 0,23 et 0,89  %  [14]. L’incidence cumulée au cours de la vie des patients splénectomisés, d’infections fulminantes conduisant au décès est estimée à 5 % [15]. Ce risque dure toute leur vie mais il est au maximum en post-splénec-tomie immédiat. Il est donc admis que ces patients doivent bénéficier d’une antibioprophylaxie adaptée en association avec une couverture

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9. Conclusion

Prévenir les infections sévères chez le patient immunodéprimé est toujours un challenge. L’efficacité de la prophylaxie antibactérienne au long cours doit être confrontée d’une part à la compliance du patient et d’autre part à l’émergence d’une résistance bactérienne de plus en plus préoccupante. Chaque prescription doit donc être justifiée et réévaluée en tenant compte des modifications de l’éco-logie bactérienne et des nouveautés vaccinales.

Liens d’intérêts

Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts relatif à cet article.

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