7
26 Québec Science | Mars 2016 UN MAL QUI s’apprivoise... ANXIÉT

ANXIÉT - Psycha Analyse - UN MAL QUI S... · 2016. 10. 9. · de faire une crise cardiaque, par exemple, ou d’étouffer. La première attaque survient souvent sans aucune raison

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 26 Québec Science | Mars 2016

    UN MAL QUI s’apprivoise...

    ANXIÉTAnxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-02 2:42 PM Page 26

  • lle n’a lâché prise qu’unefraction de seconde. Justeassez pour que son ballongonflé à l’hélium glisse deses petits doigts d’enfant dequatre ans et s’envole. Plusil s’éloigne, plus grossit laboule d’angoisse dans sonventre à elle. «C’était la findu monde. J’ai fait une crisemonumentale, des heures

    durant», se souvient Émilie Sarah Caravecchia.Elle venait d’affronter son premier épisoded’anxiété.Dans la vingtaine, ce n’est plus un ballon

    qu’elle craint de perdre, mais la tête. Elle s’in-quiète alors, à outrance, pour tout et pour rien.Pour ses relations, ses finances,son appartementqui pourrait brûler, etc. Elle essaie toutes sortesd’astuces pour apaiser ses angoisses, dont leyoga. «Pire erreur ! Moi, toute seule dans matête? Le petit hamster qui s’agite dans moncrâne a juste plus de temps pour penser à toutce qui pourrait arriver de terrible.» Puis ellereçoit un diagnostic de trouble d’anxiété géné-ralisée. Cela signifie que son bouton d’alarmeintérieur est ultra sensible. «Encore aujourd’hui,dit cette professeure de littérature de 34 ans,quand je suis en crise d’anxiété, jeme coucheraisen boule et je me bercerais. Laissez-moi tran-quille, éteignez les lumières!» Mais pas troplongtemps,parce que son hamster en résidencen’est jamais bien loin…L’anxiété, c’est ce pincement qu’on éprouve

    quand on met la main dans sa poche ou sonsac et qu’on réalise que le portefeuille n’y estpas. Ces deux secondes pendant lesquelles lecœur se serre et qu’une vague étrange secouele corps, jusqu’à ce qu’on réalise: «Ah! c’estvrai, il est dans le manteau/l’auto/le bureau!»L’anxieux ressentira un affolement similaire.

    Sauf que le portefeuille est là. Que c’est bien

    plus de deux secondes. Et qu’il se croitgravementmalade,ou fou, comme Émilie Sarah;ou les deux.Un Québécois sur quatre sera frappé d’anxiété

    intense à un moment ou l’autre de sa vie. Etun peu plus de 1 sur 10 vit avec un troubleanxieux; c’est-à-dire avec un niveau d’anxiétéqui nuit à son fonctionnement quotidien et en-gendre de la détresse. La famille des troublesanxieux représente d’ailleurs le problème desantémentale le plus fréquent au Canada, plusencore que la dépression et les troubles de l’hu-meur; et les femmes sont deux fois plus touchéesque les hommes.En réalité, cependant, tout lemonde doit com-

    poser avec l’anxiété. «Elle est même nécessaireà notre survie », affirme Camillo Zacchia,conseiller principal au Bureau d’éducation ensantémentale de l’Institut Douglas, à Montréal.Lui, bien calé dans son fauteuil, semble aucontraire très relax. «Celui qui n’est pas assezanxieux, poursuit-il, va conduire de façon im-prudente. Celui qui l’est de façon normale varespecter les limites de vitesse. Celui qui l’esttrop ne conduit plus: il estmort de peur. L’anxiétéest une alliée, il faut seulement la maintenir enéquilibre.»Ainsi en est-il du cas d’une des rares

    personnes sur la planète qui n’éprouve jamaisde peur ni d’anxiété; son nom de code est SMet des chercheurs la suivent depuis une vingtained’années. Cette citoyenne des États-Unis estatteinte de la maladie d’Urbach-Wiethe, uneaffection qui a entraîné dans son cerveau unecalcification complète de l’amygdale, une struc-ture au centre du processus de décodage desmenaces dans l’environnement. SMmène unevie pratiquement normale, si on exclut le faitqu’elle s’aventure sans crainte dans desquartiers extrêmement dangereux, au pointqu’elle a été attaquée et menacée de mort àquatre reprises.

    Mars 2016 | Québec Science 27

    EQuand ça va mal, ils s’inquiètent; quand ça vabien, ils s’inquiètent aussi. Que se passe-t-ildonc dans la tête des anxieux? Par Mélissa Guillemette

    TÉ Le drame des toujours-inquietsIL

    LUST

    RATIO

    NS :

    SONI

    A LÉ

    ONTIE

    FF

    Anxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-02 2:42 PM Page 27

  • ’ être humain, commetous les animaux, estdoté d’un mécanismede survie très efficace :la réponse combat-fuite. Dès qu’une me-nace est perçue par lessens, l’information cir-cule dans différentesparties du cerveau(son circuit exact n’est

    pas encore parfaitement connu) et deshormones de stress sont relâchées dansle corps qui réagit alors de la tête auxpieds. C’est le système nerveux sympa-thique qui s’active. Ce dernier, respon-sable de plusieurs fonctions inconscientesdu corps, décrète alors l’état d’urgence.Ainsi, le rythme cardiaque s’accélèrepour améliorer la circulation de l’oxygènedans les tissus corporels. Les pupilles sedilatent pour améliorer la vision. Latranspiration vient équilibrer la tempé-rature du corps à l’effort et, en rendantla peau humide, déjoue un agresseur quivoudrait nous agripper. Nous sommesprêts à combattre ou fuir.Quand l’anxiété atteint un certain ni-

    veau d’intensité, variable selon les per-

    sonnes, elle produit ce même branle-bas de combat. C’est une émotion sou-vent diffuse qui survient lorsque nousappréhendons unemenace : la possibilitéde subir un accident sur l’autoroute,celle d’être humilié, de se faire mordrepar un chien, de perdre son emploi, detomber malade, etc. «L’anxiété, c’estnotre détecteur de fumée, illustreMichelDugas, professeur titulaire en psycho-logie à l’Université du Québec en Ou-taouais et chercheur clinicien. Elle nousdit qu’il y a peut-être un incendie. Enréalité, on a peut-être seulement faittrop griller les rôties !»L’anxiété est constituée de composantes

    cognitives (les pensées négatives, voirecatastrophistes), comportementales (l’évi-tement de ce qui fait peur) et physiolo-giques (le travail de décodage de lamenace). Le hic, c’est que, une fois ache-vée la préparation du corps, l’anxieuxne peut généralement ni fuir ni attaquer,car la menace n’est pas réelle…De plus,les symptômes provoqués par l’activationphysiologique de la réaction combat-fuite sont plutôt dérangeants : vision em-brouillée, étourdissements, impressiond’irréalité, vertige, sécheresse buccale,

    essoufflement, palpitations cardiaques,problèmes gastriques, transpiration, re-froidissement oumoiteur desmains, ten-sions musculaires, lourdeur des jambes,tremblements, refroidissement ou en-gourdissement des pieds.Ces sensations bouleversent encore da-

    vantage les anxieux affectés d’un troublepanique. Ceux-là en viennent à craindrela réapparition de ces symptômes trèsintenses. C’est ce qu’on appelle commu-nément «la peur d’avoir peur». «Dansle trouble panique, dit Camillo Zacchia,l’anxiété, c’est 5%du problème. La peurde l’anxiété, c’est le reste : 95%.»Dans le cadre de ses recherches, Guil-

    laume Foldes-Busque, professeur de psy-chologie à l’Université Laval, s’intéresseaux patients qui se rendent à l’urgenceparce qu’ils croient faire une crise car-diaque, alors qu’il s’agit d’une crised’anxiété. «La théorie la plus probable,explique-t-il, c’est que, si on respire ra-pidement, sous l’effet de l’anxiété, en sou-levant les côtes plutôt que le diaphragme,on sollicite les muscles intercostaux, cequi peut causer des spasmesmusculaires,donc des douleurs thoraciques.»Quand ils arrivent, souvent en ambu-

    28 Québec Science | Mars 2016

    UN MAL QUI s’apprivoise...

    L’anxiété est une al la maintenir en

    L

    “SO

    NIA

    LÉON

    TIEFF

    Anxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-04 1:39 PM Page 28

  • lance, le médecin soumet ces patients àune batterie de tests et leur dit finalementque tout va bien.Mais si les symptômesréapparaissent, les patients reviennent àl’urgence. «Ils peuvent faire ça pendantune dizaine d’années avant de recevoirun diagnostic d’anxiété. Pour le troublepanique, par exemple, le taux dedépistage par les médecins de famille estde 50%; les autres passent entre lesmailles.» Le chercheur travaille justementà la création d’un instrument qui per-mettrait aux praticiens de reconnaîtrerapidement un trouble panique dans lecas de douleurs thoraciques inexpliquées.Un tel outil aurait bien aidéMarie-An-

    drée Laplante, présidente et fondatricede l’organisme de soutien Phobies-Zéro,dont l’agoraphobie et le trouble paniquesont longtemps passés sous le radar, cequi n’a fait qu’aggraver ses inquiétudes.«Quand on a des tensions musculaireset une vision embrouillée, par exemple,et qu’un professionnel de la santé nousdit qu’on est en excellente forme, on endoute. J’ai vécu ça pendant 20 ans – dont13 isolée chez moi – et je peux vous direque j’étais sûre que ces intervenantsavaientmanqué des cours à l’université!»

    ommes-nous à « l’èrede l’anxiété»? (L’ex-pression date de 1947et reprend le titre d’unlong poème de l’anglo-américainW.H.Auden,The Age of Anxiety.)«On présente ça com-me une maladie mo-derne, mais j’en doute,répondGuillaume Fol-

    des-Busque. Nos ancêtres devaient con-naître toutes sortes de stress, eux aussi.Mais il y avait probablement moinsd’agents “stresseurs” chroniques dansleur environnement.»Le chercheur vient de nommer l’un des

    éléments contribuant au développementde l’anxiété: ces stress qui nous gardenten état d’alerte pendant des semaines oudes mois. Mais d’autres facteurs pèsentégalement dans la balance. Comme letempérament: certaines personnes sonttrès sensibles à l’anxiété, ont une faibleestime d’elles-mêmes et s’adaptent dif-ficilement au changement. Souvent, ellespensent en termes absolus : tout est noirou tout est blanc. Un traumatisme ouune enfance difficile augmentent égale-ment les risques de souffrir d’angoisse.L’histoire d’Émilie Sarah Caravecchia

    témoigne d’un autre facteur important:l’hérédité. La jeune femme est anxieusecomme ses deux grands-mères, commesa mère et comme sa sœur. «Quand jesuis tombée enceinte de mon premierenfant, dit-elle, je me suis mise à pa-niquer à l’idée de lui transmettre ça.»Mais le facteur génétique n’est pas fatal.«Dans une même famille, les enfantspeuvent être très différents à cet égard,explique Camillo Zacchia. L’un sera

    Mars 2016 | Québec Science 29

    ne alliée, il faut seulement ir en équilibre.

    S

    LES TROUBLESANXIEUX, SELONLE DSM-5TROUBLE PANIQUE. Celui qui ensouffre a des attaques depanique récurrentes et lessymptômes l’effraientprofondément. Il a l’impressionde faire une crise cardiaque,par exemple, ou d’étouffer. La première attaque survientsouvent sans aucune raisonapparente.

    AGORAPHOBIE. L’agoraphobe apeur de se retrouver dans unlieu où il lui sera difficiled’obtenir de l’aide d’un procheou de fuir en cas de panique. Il évite donc les lieux publics.

    PHOBIE SPÉCIFIQUE. L’anxieuxphobique a la peur excessived’un objet ou d’une situation enparticulier (araignée,vomissement, transport enmétro, etc.). Il évite ce qui luifait peur.

    TROUBLE D’ANXIÉTÉGÉNÉRALISÉE. La personneanxieuse s’inquiète de façondémesurée, et ce pendant aumoins six mois, au sujet dechoses qui ont peu deprobabilités de se concrétiser.Elle démontre une intoléranceà l’incertitude.

    TROUBLE D’ANXIÉTÉ SOCIALE.Chez les sujets atteints, la peurdu jugement des autres et del’humiliation devant un groupeou lors d’une performance enpublic provoque dessymptômes physiquesd’anxiété, par exemple destremblements et lerougissement.

    TROUBLE D’ANXIÉTÉ DESÉPARATION. Les enfants etadolescents anxieux qui ensouffrent ont une peurimmense d’être séparés deleurs parents ou de leursproches.

    MUTISME SÉLECTIF. Cettesituation touche généralementdes enfants. Ils deviennentincapables de parler àcertaines personnes ou danscertaines situations; parexemple, dès qu’ils ont franchila porte de l’école.“Anxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-04 1:40 PM Page 29

  • anxieux et l’autre, pas du tout.» Uneétude publiée dans l’American Journalof Psychiatry en 2015 réduit presque ànéant l’impact génétique.La transmission de l’anxiété du parent

    à l’enfant se ferait donc plutôt par ap-prentissage. Si un enfant se fait traînerchez le pédiatre au moindre tousso-tement ou rougeur cutanée, il est possiblequ’il développe de l’anxiété liée à lasanté, voire de l’hypocondrie. À la mai-son, si les parents ont de la difficulté àgérer leur anxiété, l’enfant la percevrapar leur comportement et leur manièrede la verbaliser.Dans son livre L’enfant anxieux: Com-

    prendre la peur de la peur et redonnercourage, Jean E. Dumas, professeur de

    psychologie cliniquedéveloppementale àl’Université de Ge-nève, en Suisse, af-firme que l’anxiétédans une famille don-née ne remonte pas àla nuit des temps :«Elle a vraisembla-blement débuté il y aseulement une géné-ration ou deux et fi-nira par s’arrêter.» Ilest même possible defaire un pied de nezà cette transmission,ajoute-t-il.C’est justement ce

    sur quoi travaille lachercheuse GoldaGinsburg à l’univer-sité du Connecticut,aux États-Unis. Sonéquipe a suivi 136 fa-milles qui compre-naient au moins unparent anxieux et aumoins un enfant de 6

    à 13 ans. Le tiers d’entre elles a suivihuit séances de thérapie familiale pourapprendre à reconnaître l’anxiété et à laréduire. Un autre tiers a reçu de l’infor-mation écrite sur le sujet. Le derniergroupe a été laissé à lui-même.Au bout d’une année, les résultats

    étaient probants. Dans le premiergroupe, 9% des enfants ont développéde l’anxiété, comparativement à 21%dans le deuxième groupe et 31% danscelui qui n’a reçu aucun soutien. La pré-vention fonctionne donc, mais… «Il n’ya pas assez de fonds accordés à la pré-vention en santé mentale», déplore la

    chercheuse. Son équipe continue toutde même de suivre ces jeunes, pour dé-terminer si les interventions auront per-mis de diminuer leurs besoins ultérieursen matière de services en santé mentale,et d’économiser ainsi de l’argent. Si c’estle cas, les gouvernements et les assureursseront peut-être davantage tentés d’in-vestir en prévention.

    l est d’autant plus pertinent des’intéresser à l’anxiété des enfants,que l’âge médian d’apparition destroubles anxieux est de 11 ans,selon une vaste étude de 2005menée à partir de données recueil-lies au Royaume-Uni. L’anxiétéchez les jeunes est malheureuse-ment sous-estimée et sous-traitée,selon Golda Ginsburg. «Souvent,il s’agit d’en fants qui respectent

    les règles, qui ne font pas de grabuge etn’attirent donc pas l’attention des pro-fessionnels.»C’est pourquoi son équipe travaille à

    outiller les infirmières dans les écoles.«Les enfants anxieux se retrouvent àl’infirmerie parce qu’ils ont mal au ventreou à la tête, par exemple. Si les infir -mières avaient les moyens d’intervenirauprès d’eux sur ce plan, explique la

    chercheuse, même brièvement, peut-êtrecontribueraient-elles à éviter le déve-loppement d’un trouble anxieux.»Plus près de nous, Patricia Conrod,

    chercheuse au CHU Sainte-Justine, àMontréal, s’active déjà pour prévenirles problèmes de santé mentale, dontl’anxiété et conséquemment la consom-mation d’alcool et de drogues, chez lesadolescents. Son programme, intituléPréventure, testé dans des écoles secon-daires québécoises, a démontré son ef-ficacité dans plusieurs pays.Les jeunes qui se reconnaissent comme

    sensibles à l’anxiété sont invités sur unebase volontaire, pendant les heures declasse, à un atelier qui les aidera «à at-teindre leurs buts à long terme». Engroupe, les élèves apprennent à détecterles pensées catastrophistes et échangent

    30 Québec Science | Mars 2016

    UN MAL QUI s’apprivoise...

    POURQUOI SERONGE-T-ON LES ONGLES?

    On massacre sa manu-cure tout simplement

    pour relâcher le stress etl’anxiété. Ce comporte-

    ment compulsif portemême un nom : onycho-

    phagie. Près de la moitiédes jeunes de 10 à 18

    ans se rongeraient les on-gles (généralement desmains, mais parfois des

    pieds aussi). Cette vilainehabitude se perd en gé-néral avant l’âge de 30ans. La meilleure façonde s’en débarrasser est

    de prendre conscience dece qui donne envie de

    porter les doigts à labouche. Et de se souvenirque se ronger les ongles

    peut abîmer les dents.Solution de rechange : la

    balle antistress!

    IIl est en effet possible de avec elle. L’anxieux ne doit ou à voir cela comme un “

    Camillo Zacchia, conseiller principal auBureau d’éducation en santé mentalede l’Institut Douglas, à Montréal

    SARA

    H M

    ON

    GEA

    U-BI

    RKET

    T

    Anxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-02 2:42 PM Page 30

  • leurs trucs pour surmonter leurs inquié-tudes. «C’est offert tôt, avant que lesproblèmes commencent, souligne la cher-cheuse. Si on laisse l’anxiété d’un jeunese développer pendant 10 ans, ce qui estsouvent le cas, le problème ne sera plusseulement la peur, mais aussi la réductionde sa vie sociale, la multiplication de sesdifficultés à l’école, etc. L’intervention serévélera alors bien plus difficile.»

    Qui sait, Émilie Sarah Caravecchia au-rait peut-être eu une vie bien différentesi elle avait été prise en charge par unpsychologue une fois son ballon envolé.Son fils aîné, un anxieux aussi, est biensuivi par le réseau de la santé,mais surtoutparce qu’il souffre également d’un troublede déficit de l’attention. «Je veux qu’ilréussisse à l’école, affirme-t-elle, qu’ilpuise des forces de ses faiblesses.» Elle-même y est parvenue.

    Il est en effet possible de guérir de sonanxiété ou, du moins, d’apprendre àvivre avec elle, à n’importe quelâge. «C’est assez facile à traiter,assure M. Zacchia. L’anxieuxne doit pas perdre son tempsà chercher pourquoi il l’estou à voir cela comme unsymptôme de ce qui ne vapas dans sa vie. On a unealarme trop sensible? Il fautapprendre à ne pas trop réagirquand elle sonne.»

    Une des façons d’y parvenirtrès efficacement, c’est la thérapiecognitivo-comportementale (TCC)dont les techniques se fondent sur desrecherches empiriques.Elle cible les penséescatastrophistes, puis les comportementsqui en découlent. Environ une dizaine deséances avec un psychologue suffisent gé-néralement à aider les anxieux àreconnaître et démonter les idées angois-santes qui jouent en boucle dans leur tête.

    «Le principe est le même pour tousles troubles anxieux : ce qui les maintient,c’est l’évitement de la source d’anxiété»,indique Michel Dugas, de l’Universitédu Québec en Outaouais. Il vaut mieux

    Mars 2016 | Québec Science 31

    ible de guérir de son anxiété ou, du moins, d’apprendre à vivre x ne doit pas perdre son temps à chercher pourquoi il l’est

    me un symptôme de ce qui ne va pas dans sa vie.

    Que faire si un enfant semble anxieux?Dans son bureau du Vieux-La Prairie, sur la Rive-Sud de Montréal, NathalieCouture garde, sur le dessus d’une armoire, deux épées en styromousse qui luiservent lors de ses «combats» avec les enfants souffrant d’anxiété de perfor-mance. Elle est sans pitié: «Ils ont besoin d’apprendre à perdre!» Les jeunes anxieux sont très nombreux à venir consulter. Avec sa collègue

    Geneviève Marcotte, elle a d’ailleurs produit un livre à la rescousse des petitsangoissés: Incroyable Moi maîtrise son anxiété. À travers une histoire et desexercices, les enfants apprennent à reconnaître les pensées négatives, person-nifiées par Petit Minus, pour ensuite faire de la «gym des pensées». «Au fond,résume-t-elle, c’est de la restructuration cognitive.»Souvent, les parents ne se rendent pas compte que leur rejeton vit de

    l’anxiété. «Il a mal au ventre? Ils pensent à quelque chose comme une indi-gestion. Mais si ça revient souvent, ils feraient mieux de voir ce qui se passedans son environnement. Ils réaliseront peut-être que, par exemple, l’enfant a

    mal au ventre avant chaque match de soccer.»Nathalie Couture invite souvent les parents qui la consul-tent à lâcher prise concernant la performance de l’en-

    fant: «Ils cherchent le meilleur pour lui et veulent qu’ils’épanouisse sur tous les plans: sportif, artistique,relationnel, scolaire. Mais sans s’en rendrecompte, ils lui mettent de la pression. Si on veutlui éviter de souffrir d’anxiété, il faut laisser aujeune du temps à ne rien faire.»Comment aider un enfant anxieux? D’abord,

    ne pas banaliser ce qu’il vit. Imaginons qu’il apeur des exposés oraux. «Certains parents vontlui dire: “Ben voyons donc, ne t’en fais pas; t’escapable!” L’enfant va “capoter” encore plus.» Ilfaut plutôt être à son écoute. «Valider ses émo-

    tions, normaliser les choses, le faire parler pour ap-prendre à connaître les situations, sans les interpréter

    à sa place; et éviter de paniquer aussi.» Par exemple, sil’enfant confie qu’il a eu une terrible journée à l’école parce

    que tout le monde a ri de lui, mieux vaut lui poser des questionsque s’affoler. «On va peut-être finalement réaliser qu’il y a eu un seul événe-ment négatif à la récréation, que deux élèves ont ri de lui,mais que d’autres l’ont défendu.» Tout ce processus va l’ai-der à relativiser.Dans le cas d’une peur précise, le parent peut aider son

    enfant à s’y exposer progressivement. «On la décortique enpetits morceaux qu’on affrontera un à un, graduellement.»

    Anxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-02 3:34 PM Page 31

  • pratiquer l’exposition progressive, en-cadrée par un professionnel, une tech-nique en TCCqui a fait ses preuves pourcertains troubles comme les phobies. Parexemple, le phobique devra petit à petits’exposer aux chiens jusqu’à ce que sapeur diminue : d’abord grâce à des livressur le sujet, des vidéos, puis «en vrai»au parc et, enfin, il arrivera à en toucherun. Les personnes atteintes d’un troublede l’anxiété généralisée, comme ÉmilieSarah Caravecchia, peuvent elles aussibénéficier de cette méthode.MichelDugas définit ce trouble comme

    une «allergie à l’incertitude». «Ces pa-tients nous disent que, quand ça vamal,ils s’inquiètent; et quand ça va bien, ilss’inquiètent que ça puisse aller mal. C’estdifficile d’exposer ces personnes à leurspeurs, car elles ont peur de tout; on nepeut pas leur faire vivre 72 expériencesdifférentes.Mais ce qui relie toutes leurspeurs, c’est l’incertitude; c’est ça qu’ellesessaient d’éviter.»Pour en arriver à tolérer davantage le

    doute, ces anxieux doivent renoncer àleur besoin de tout maîtriser. «Ce sontdes personnes qui se surchargent de tra-vail, car elles ont peur de déléguer, ouqui refusent une promotion puisqu’ellesne sont pas certaines de pouvoir releverle défi. Elles peuvent exiger que leur en-fant leur parle au cellulaire tout au longdu chemin qui les mène chez un ami oudemander régulièrement à leur conjoint,quand il ne sourit pas, si elles ont faitquelque chose, énumèreM.Dugas. Toutça les épuise.» En éliminant tranquil-lement ces comportements qui, de toutefaçon, ne préviennent aucunement lesmalheurs, l’anxiété diminuera.La médication, ordinairement com-

    binée à une psychothérapie, est une autreforme de traitement efficace. Les inhibi-teurs sélectifs de la recapture de la séro-tonine, des antidépresseurs, fonctionnentgénéralement bien. «Les médicamentsaident à affronter la peur et à lâcher prise,explique Camillo Zacchia. Mais la psy-

    chothérapie agit à long terme, parcequ’elle aide l’anxieux à comprendre sonanxiété et à changer ses perceptions. Àne plus avoir peur, même quand la mé-dication a été arrêtée.»Émilie Sarah Caravecchia a terminé

    sa thérapie psychologique. Elle prendtoujours desmédicaments, sur la recom-mandation de sonmédecin. «La pulsionde l’angoisse est encore là, dit-elle, maisje neme laisse plus prendre. Je suismain-tenant capable de reconnaître qu’il s’agitd’une angoisse, que ce n’est pas rationnel.Sauf si je suis hyper stressée ou fatiguée.Il peut encore m’arriver de mettre undoigt dans l’engrenage, deme laisser en-traîner dans une boucle d’angoisse.Maisje sais qu’elle aura une fin!»Car au-delà de l’anxiété, il y a une vie

    à vivre. «Des gens nous disent ne pasvouloir d’enfants, par exemple, parcequ’ils se sentent inadéquats», raconteMarie-Andrée Laplante. Ce genre deconfidence fait écho à sa propre expé-rience. Pendant des années, cette femmedotée de beaucoup d’humour et d’un bonsens de la communication est restéecloîtrée à lamaison par peur de vivre uneattaque de panique dans un lieu public.Pourtant, elle était capable de grandeschoses, comme de mettre sur pied Pho-bies-Zéro, une initiative qui lui a valu laMédaille de l’Assemblée nationale!C’est ce genre d’histoires qui fait dire

    àCamilloZacchia que le plus important,c’est de ne pas laisser l’anxiété gagner.«Elle ne doit pas déterminer nos choixde vie. Il faut agir comme si elle n’existaitpas.»CommeGandhi qui avait la phobiede prendre la parole en public, avant dedevenir le leader qu’on connaît. Commel’auteur-compositeur-interprète québécoisStefie Shock qui a connu la panique… etle succès. CommeÉmilie SarahCaravec-chia, maman aimante, prof dévouée etsyndicaliste organisée : «À force de gérerbeaucoup d’idées dans sa tête – le fameuxhamster –, on finit par être pas mal bonpour gérer beaucoup de projets!» �QS

    32 Québec Science | Mars 2016

    UN MAL QUI s’apprivoise...

    Anxieux et brillantDes études – avec de très petitséchantillons, il faut le préciser – ontdéjà souligné un lien entre intelligenceet anxiété.

    Une étude états-unienne de 2012 acomparé le niveau d’anxiété et lequotient intellectuel d’une vingtaine depatients atteints d’un trouble d’anxiétégénéralisée à celui d’une vingtaine desujets en santé. Elle a révélé que plusun anxieux est anxieux, plus sonquotient intellectuel est élevé. La relation est inverse chez les non-anxieux: moins ils ont tendance à s’inquiéter, plus ils ont un quotient élevé.

    En 2014, des chercheurs del’Université Lakehead, en Ontario, ontmesuré chez un groupe d’étudiantsune corrélation entre l’intelligenceverbale et la tendance à s’en faire.

    Enfin, une étude israélienne de 2011a donné quant à elle à penser que lespersonnes souffrant d’anxiété socialeont un don pour l’empathie. Leurs sujetsanxieux, sur le plan social, démontraientd’excellentes capacités à détecter lesémotions et l’état d’esprit des autres.

    Si on laisse l’anxiété d’un jeune se développer,le problème ne sera plus seulement la peur, maisaussi la réduction de sa vie sociale, la multiplicationde ses difficultés à l’école, etc.“ “

    SONI

    A LÉ

    ONTIE

    FF

    Anxiété QS mars 2016_Layout 1 16-02-02 3:32 PM Page 32