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Science & Sports (2010) 25, 338—341 CAS CLINIQUE Aptitude à la compétition : la dure loi du tout ou rien , R. Brion a,,b,c a Service de médecine du sport — Pavillon A, hôpital Édouard-Herriot, 3, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France b Centre de réadaptation Dieulefit-santé, 26220 Dieulefit, France c Centre de réadaptation Capio-Bayard, 69100 Villeurbanne, France Disponible sur Internet le 26 novembre 2010 MOTS CLÉS Compétition ; Sport ; Hypertrophie ventriculaire Résumé Si le diagnostic étiologique d’une hypertrophie ventriculaire gauche découverte chez un sportif est souvent facile, voire évident, il peut à l’inverse être parfois très complexe. Le cas clinique que nous décrivons ici en est l’illustration qui nous permet de développer les étapes du raisonnement clinique qu’il convient alors de suivre. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Competition; Sport; Ventricular hypertrophy Summary If the etiological diagnosis of left ventricular hypertrophy in an athlete is often easy, even obvious, it can conversely be sometimes very complex. The clinical case that we describe here is an illustration that allows us to develop the clinical reasoning should then follow steps. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Le contexte Michel W. a 26 ans. Il est célibataire, facteur (tournées à vélo) et il pratique le rugby dans une équipe de bon niveau régional. Ne pas utiliser pour citation la référence de cet article mais celle de l’article original paru dans Archives des maladies du cœur et des vaisseaux Pratique 2010;16(188):17—20. Cet article (hormis les résumés et mots clés) est paru dans Archives des maladies du cœur et des vaisseaux Pratique. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] Dans ses antécédents familiaux, on note une hyperten- sion artérielle traitée chez son père. Il n’existe aucun cas de cardiopathie connue ni de mort subite dans la famille. Il n’a aucun antécédent personnel notable, il n’a jamais fumé et il pratique le sport de fac ¸on intensive depuis son plus jeune âge. Au cours des examens médicaux de médecine scolaire, de médecine du travail et de médecine du sport, aucune anomalie n’a jamais été mise en évidence. Il ne présente aucun signe fonctionnel. Il est performant et considéré comme un excellent élément de son équipe. Il s’entraîne trois fois par semaine et joue un match tous les week-ends. Au total, sans compter les heures passées à vélo lors de ses tournées, il pratique plus de huit heures d’exercice intensif par semaine. 0765-1597/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.scispo.2010.10.008

Aptitude à la compétition : la dure loi du tout ou rien

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cience & Sports (2010) 25, 338—341

AS CLINIQUE

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R. Briona,∗,b,c

a Service de médecine du sport — Pavillon A, hôpital Édouard-Herriot, 3, place d’Arsonval,69437 Lyon cedex 03, Franceb Centre de réadaptation Dieulefit-santé, 26220 Dieulefit, Francec Centre de réadaptation Capio-Bayard, 69100 Villeurbanne, France

Disponible sur Internet le 26 novembre 2010

MOTS CLÉSCompétition ;Sport ;Hypertrophieventriculaire

Résumé Si le diagnostic étiologique d’une hypertrophie ventriculaire gauche découverte chezun sportif est souvent facile, voire évident, il peut à l’inverse être parfois très complexe. Le casclinique que nous décrivons ici en est l’illustration qui nous permet de développer les étapesdu raisonnement clinique qu’il convient alors de suivre.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSCompetition;Sport;Ventricular

Summary If the etiological diagnosis of left ventricular hypertrophy in an athlete is ofteneasy, even obvious, it can conversely be sometimes very complex. The clinical case that wedescribe here is an illustration that allows us to develop the clinical reasoning should thenfollow steps.

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ichel W. a 26 ans. Il est célibataire, facteur (tournées àélo) et il pratique le rugby dans une équipe de bon niveauégional.

� Ne pas utiliser pour citation la référence de cet article mais cellee l’article original paru dans Archives des maladies du cœur et desaisseaux Pratique 2010;16(188):17—20.�� Cet article (hormis les résumés et mots clés) est paru dansrchives des maladies du cœur et des vaisseaux Pratique.∗ Auteur correspondant.

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765-1597/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droitsoi:10.1016/j.scispo.2010.10.008

rights reserved.

Dans ses antécédents familiaux, on note une hyperten-ion artérielle traitée chez son père. Il n’existe aucun case cardiopathie connue ni de mort subite dans la famille.

Il n’a aucun antécédent personnel notable, il n’a jamaisumé et il pratique le sport de facon intensive depuis sonlus jeune âge. Au cours des examens médicaux de médecinecolaire, de médecine du travail et de médecine du sport,ucune anomalie n’a jamais été mise en évidence.

Il ne présente aucun signe fonctionnel. Il est performantt considéré comme un excellent élément de son équipe.

Il s’entraîne trois fois par semaine et joue un match touses week-ends. Au total, sans compter les heures passées

vélo lors de ses tournées, il pratique plus de huit heures’exercice intensif par semaine.

réservés.

Aptitude à la compétition : la dure loi du tout ou rien 339

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Y a-t-il des arguments pour considérer que cettehypertrophie du VG est pathologique ?Ils sont les suivants :

Figure 2. Échocardiographie. VG : septum 14 mm, paroi posté-rieure 14 mm, diamètre télédiastolique 47 mm. Fraction d’éjection65 %, absence d’anomalie segmentaire. OG : 35 mm. Cavités droitesde taille normale. Absence d’anomalie valvulaire. Pas de mou-vement mitral anormal, pas de gradient intraventriculaire. Valve

Figure 1. Tracé ECG.

Le problème

Pour la première fois, un médecin du sport réalise un élec-trocardiogramme (Fig. 1).

« Que pensez-vous de cet ECG ? Peut-il simplement êtrecelui d’un sportif entraîné indemne de toute pathologie ? ».

Cet ECG présente des anomalies (ondes T négatives enD2D3VF ainsi que de V1 à V5, profondes en V3V4V5). Le restede l’ECG n’appelle pas de commentaire particulier.

Cet ECG pourrait être celui d’un sportif très entraîné« mais en aucun cas, il n’est possible de l’affirmer » avantd’avoir écarté une pathologie cardiovasculaire.

Le bilan

L’examen clinique

C’est un homme athlétique de 175 cm, 72 kg.L’interrogatoire orienté met en évidence l’absence de

douleurs thoraciques, de palpitations ou de malaises.L’auscultation cardiaque et pulmonaire est normale, la

TA est mesurée à 120/70 mmHg aux deux bras, les poulspériphériques sont bien percus.

Le bilan biologique standard

Il est normal (NF, glycémie, ionogramme, créatinine, cho-lestérol, triglycérides).

L’échocardiographie

L’échocardiographie montre une hypertrophie concentriquedu VG à 14 mm avec cavité ventriculaire gauche non dilatée(Fig. 2).

Cette échocardiographie est-elle compatible avecun cœur d’athlète ?

La réponse est qu’il pourrait s’agir d’un cœur d’athlètepuisque :• Michel W. pratique le sport de facon suffisamment intense

pour que des modifications de son VG uniquement liées ausport puissent être observées ;

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il ne présente aucune pathologie évidente pouvant expli-quer l’hypertrophie concentrique du VG (pas d’HTA ni devalvulopathie, etc.).

ette hypertrophie pourrait-elle être favorisée parn dopage ?a question du dopage lui a été posée de facon très directeotamment en ce qui concerne la prise d’anabolisants et’hormone de croissance.

Les réponses négatives ont été convaincantes et il a étéécidé de ne pas réaliser des dosages en laboratoire spécia-isé.

ortique tricuspide, flux aortique normal. Flux mitral normal : E estupérieur à A. Flux pulmonaire normal. PAP évaluée à 25 mmHg.oppler tissulaire (DTI) à l’anneau mitral normal : Ea = 18 cm/s. Auotal, hypertrophie concentrique du VG à 14 mm avec cavité ven-riculaire gauche non dilatée.

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l’épaisseur du VG dépasse 13 mm, ce qui est rare chez unathlète. Elle se situe dans la gray zone entre 13 et 15 mmc’est-à-dire l’intervalle où il est difficile de se prononcerentre cœur d’athlète et cardiomyopathie ;le VG n’est pas dilaté proportionnellement àl’hypertrophie : une adaptation de ce type pourraitêtre observée dans le cadre d’un entraînement importantet exclusivement en force. Ce n’est pas son cas ;en fait le VG, non seulement n’est pas dilaté propor-tionnellement à l’hypertrophie, mais il est de petitedimension. Il est classique de considérer qu’un diamètreVG inférieur à 45 mm dans un tel contexte est un argu-ment en faveur d’une cardiomyopathie hypertrophique.Ici, la dimension du VG est légèrement supérieure ;une hypertrophie de type concentrique ne permet pasd’écarter le diagnostic de CMH ;la normalité du flux mitral et du Doppler tissulaire (DTI) nesont pas des éléments qui permettent d’écarter une car-diomyopathie. En effet, les anomalies qui ont été décritesdans les CMH avérées chez des sujets sédentaires nesont pas systématiquement retrouvées chez des sportifsentraînés porteurs de CMH.

« On ne peut donc pas écarter le diagnostic de CMH suret aspect échocardiographique ».

Le bilan est complété par :

« une épreuve d’effort » sur cycloergomètre : elle permetd’atteindre 350 W confirmant l’excellent niveau de formede ce sportif sans qu’aucune anomalie ne soit constatée(à l’ECG persistance de la négativité des ondes T, mais pasde sous-décalage du segment ST, absence de troubles du

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Tableau 1 Classification des sports selon Mitchell.

Dynamique faible Dynam

Statique faible Bowlinga EscrimCricketa TenniGolfa TenniTira Volley

Baseb

Statique moyen Course automobile plongeon AthléÉquitation FigurMotocross LacroGymnastique CoursKaraté/JudoVoileTir à l’arc

Statique fort Bobsledding BodyAthlétisme (lancers) Ski deLuge LutteEscalade SnowSki nautiqueHaltérophiliePlanche à voile

a Indiquent les sports autorisés en compétition dans le contexte d’uneen compétition.

R. Brion

rythme, pression artérielle parfaitement adaptée à tousles niveaux d’effort) ;« un holter de 24 heures » : il met en évidence l’absencede toute anomalie rythmique sur 24 heures.

À l’issue de ce bilan, quelle attitude préconisez-vous ?C’est un cœur d’athlète et il est apte à poursuivrel’entraînement sans restriction ?C’est possiblement une CMH et il convient d’êtreprudent, c’est-à-dire de suspendre la compétitionet l’entraînement avant qu’une certitude ne soitacquise ?

Nous avons opté pour la prudence.

a-t-il des arguments supplémentaires pour ouontre une CMH ?Une IRM » est réalisée : elle permet de confir-er l’hypertrophie concentrique, mais n’apporte pas’argument formel pour ou contre le diagnostic de CMH.

« Il est demandé à ce sportif de cesser toute activitéhysique » pendant une période d’au moins trois mois afine pouvoir évaluer l’effet de l’absence d’entraînement sur’hypertrophie. Il est important de noter que la persistance’une activité physique, même modérée, est de nature à

ntretenir un cœur d’athlète. Dans ce cas où l’activitérofessionnelle comprend une part d’activité physique, laédecine du travail a été contactée avec l’accord du sportif

fin qu’il soit négocié pour lui un poste sédentaire pendantuelques mois.

ique moyen Dynamique fort

e Badmintons de table Marches (double) Course de fond (marathon)ball Ski de fond (classique)all/softball Squash

tisme (sauts) (jumping) ? Basketballe skating Biathlonsse Hockey sur glacee de vitesse Rugby

FootballSki de fond (skating)Course de fond (demi/long)NatationTennis (simple)Handball

building Boxedescente Canoë, kayak

Cyclismeboard Décathlon

AvironPatinage de vitesseTriathlon

CMH. Tous les autres sports dans ce contexte sont déconseillés

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Recommandations sur la conduite à tenir devant ladécouverte d’une hypertrophie ventriculaire gauchechez le sportif. Travail du groupe de cardiolo-

Aptitude à la compétition : la dure loi du tout ou rien

Ce sportif, soucieux de sa santé, a accepté de se prêterà l’arrêt de toute activité physique après avoir recu toutesles informations nécessaires.

« Des tests génétiques sont réalisés ». Le résultat deces tests n’est obtenu qu’après un délai classique de plu-sieurs mois et n’est d’un apport utile au diagnostic que s’ilest positif. Une recherche génétique négative ne permetpas d’écarter le diagnostic de CMH. On connaît la grandehétérogénéité génétique de la CMH, dont il est impossibled’analyser toutes les variantes.

Diagnostic

L’arrêt de l’entraînement n’a pas modifié l’épaisseur myo-cardique.

L’analyse génétique a permis de mettre en évidence une« Mutation Intron 18 du gène MYBPC3 codant pour la protéineC cardiaque ».

« Il s’agit donc bien d’une CMH ».Ce diagnostic implique une enquête familiale.

Quelle attitude médicalepréconiseriez-vous vis-à-vis de la pratiquedu sport ?

Les recommandations vis-à-vis de lacompétition

Les recommandations européennes, américaines et de laSociété francaise de cardiologie sont très restrictives vis-à-vis de la compétition chez les sujets porteurs de CMH. Seulela compétition dans des sports de faible dépense énergé-tique est autorisée (Tableau 1).

Les recommandations vis-à-vis de l’activitéphysique

Elles autorisent la pratique d’activités physiques, sansesprit de compétition, dans les disciplines suivantes :

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élo, jogging, natation, tennis en double, marcheapide, équitation et toutes les activités d’intensitéquivalente.

ttitude choisie dans le cas de Michel W.

’évaluation a permis de classer cette CMH comme n’étantas à haut risque de mort subite (absence d’antécédentamilial ou personnel de mort subite, pas de syncopes,as de TV spontanées, épaisseur myocardique inférieur à0 mm, pas de gradient intra-VG, TA normale à l’épreuve’effort).

Le rugby et la pratique des sports de forte intensité ontté contre-indiqués.

En revanche, le maintien d’une activité physique régu-ière a été encouragé. Au vu des recommandations, leédecin du travail a accepté de maintenir pour un an

à renouveler) l’aptitude de Michel W. à poursuivre sesournées de facteur à vélo. Cet élément a été impor-ant au plan psychologique en permettant le maintiene son statut dans son cadre professionnel. Une psy-hothérapie l’a aidé à faire le deuil de sa vie sportiventérieure.

Une surveillance annuelle est instaurée.

onflit d’intérêt

ucun.

our en savoir plus

ie du sport de la Société francaise de cardiologiettp://www.sfcardio.fr/recommandations/sfc.