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Association Internationale d’Archéologie de la Caraïbe International Association for Caribbean Archaeology Asociación Internacional de Arqueología del Caribe 156 Archéologie Précolombienne-Session générale Pre-Columbian Archeology-General session Arqueología precolombina-sessíon general 05 Session - Sessíon Sommaire • Contents • Contenidos

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Archéologie Précolombienne-Session générale

Pre-Columbian Archeology-General session

Arqueología precolombina-sessíon general

05Session - Sessíon

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RésuméJe suis parti d’une recherche qui devait porter sur l’établissement de l’existence de l’arc aux Grandes Antilles et de sa répartition dans les diverses îles. Très rapidement, des questions se sont posées à propos de ceux que les Tainos nommaient Callinas, Canimas ou Cannibales. Aux dires des Indiens des Lucayes et de Cuba, ils possédaient des arcs. J’ai donc effectué une lecture soigneuse des diverses sources sur les rencontres entre les Tainos et les Espagnols entre le moment du débarquement et un incident qui s’était produit le 13 janvier 1493. J’ai mis en évidence le fait que les Canimas ou Cannibales étaient bien des Caraïbes ou Caribes des Petites Antilles.Ceux qui avaient assailli les Espagnols ce jour-là étaient armés d’arcs et de flèches, de massues de guerre, et ils avaient voulu capturer des espagnols vivants. Les Tainos nommaient ces guerriers belliqueux, les Ciguayos. Pourtant les descriptions de leur armement, de leur habillement, de leurs parures correspondent en tout point avec ce que l’on sait des Caribes quand ils partaient pour une expédition de guerre. Le nom Ciguayo à l’inverse de celui de Canima, Cariba ou Cannibales, n’ayant jamais été prononcé avant le 13 janvier 1493, je me suis à nouveau penché sur les chroniques espagnoles pour y rechercher les notations qui concerneraient ces Ciguayos. Dès lors, l’idée s’est naturellement imposée que les Tainos ne pouvaient pas avoir entretenu des relations guerrières permanentes avec les Callinas. En reconsidérant celles-ci en termes d’échanges de femmes et de biens matériels, et de conflits temporaires, j’ai proposé l’hypothèse que les Ciguayos n’existaient pas en tant que communauté distincte de celle des Tainos. Il s’agissait en fait de nouvelles entités sociales callinas et tainos qui avaient emprunté des traits culturels aux deux groupes. Leur nom était un sobriquet, « ceux qui ont les cheveux longs ». AbstractBows and arrows would exist in certain parts of Cuba and Hispaniola. This weapon seems having been adopted lately by the taino people. Then arise the question from whom they have borrowded it. Is it from the Caribes or from the Ciguayos? But who are those two groups? From the reading of some spanish sources on the first time of the settling of the Spaniard in the Greater Antilles, it appears that Ciguayos did not exit as a social distinct group from the Tainos. Ciguayos in fact, were new social mixed entities, formed with Caribes and Tainos partners.

Des arcs et des flèches aux Grandes Antilles, les Ciguayos n’existent pas.

Henry Petitjean Roget, Researcherh. peaire@gmail. com

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Actes du 24e congrès de l’AIAC - 2011 Henry Petitjean Roget

A l’origine d’une rechercheEn février 2011, j’avais été invité à un colloque organisé à Porto Rico pour la commémoration du cinq centième anniversaire de la rébellion taino de 1511. A cette occasion, la conversation avec un ami, Dan Shelley, avait dérivé sur la nature des armes des Indiens. Il m’avait affirmé que les Tainos connaissaient l’arc. A cette époque, ne partageant pas son point de vue, et pour étayer le mien, j’ai recherché des mentions à des arcs dans le Journal du premier voyage sur la période comprise entre le 12 octobre 1492 et le 16 janvier 1493. Ce jour-là le premier voyage s’était achevé et Colomb repartait pour l’Espagne avec des indiens qui selon ses propres paroles, « donnaient un si bon compte de toutes ces îles qui se trouvaient vers l’est, sur le  chemin  même  que  l’Amiral  devait  emprunter,  qu’il  résolut de les amener en Castille avec lui » (Colomb Œuvres 1992 : 172). J’ai utilisé les « Œuvres complètes de Christophe Colomb » traduites en français dans l’édition établie et présentée par Consuelo Varela et Juan Gil1. La traduction française a été systématiquement comparée au texte espagnol du Journal transcrit par Las Casas, de l’édition de Dunn et Kelley2. Sur la relation de ces quatre mois d’un périple qui a conduit Colomb de Guanahani, à Cuba, puis à Hispaniola, j’ai opéré une compilation des descriptions des paysages, de celles qui traitent des Indiens, de leur attitude à l’égard des européens, des objets qui seraient susceptibles de leur servir d’armes. Je n’ai pas trouvé les mentions à des arcs et à des flèches qui m’auraient convaincu que les Tainos utilisaient l’arc lors des affrontements qui les opposaient à des groupes issus de caciquats différents. Colomb ne mentionne que l’existence de propulseurs et de sagaies. Cependant j’ai constaté en lisant le Journal, que les habitants des régions côtières de Cuba et d’Hispaniola vivaient dans la crainte permanente des incursions d’ennemis armés d’arcs.

Possible présence de l’arc chez les ancêtres des Tainos aux Petites AntillesEn Guadeloupe, dans les niveaux archéologiques troumassoïdes et suazoïdes, qui recouvrent une période située entre 900 et 1250 de notre ère environ, des petits objets en coquillage poli, ainsi que des dards de raies3 ont été mis à jour. Les petits objets en coquillage se sont avérés être des tenons de propulseurs4. Lors de fouilles conduites à saint Domingue, des archéologues ont découverts des squelettes d’individus morts des suites de blessures faites par des flèches. L’un des squelettes avait un dard de raie planté dans la colonne vertébrale. Aucun élément toutefois ne permet de conclure que ces pointes étaient

1 Œuvres complètes de Christophe Colomb traduites en français dans l’édition établie et pré-sentées par Consuelo VARELA et Juan GIL. Traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Clément et Jean-Marie Saint–Lu. La Différence. Paris 1992.

2 DUNN Oliver and James E. KELLEY, Jr. The Diario of Christopher Columbus’s first voyage to America 1492-1493. Abstracted by Fray Bartolomé de LAS CASAS. Transcribed and trans-lated into English, with notes and concordance of the Spanish. University of Oklahoma Press : Norman and London. 1989.

3 Edgar Clerc avait trouvé à l’anse à la Gourde (niveau troumassoïde) un dard de raie retouché, (Collection Musée Edgar Clerc) probablement une pointe de flèche.

4 NICHOLSON Desmond V. The atlatl spur : A newly identified artifact from the Lesser Antilles. Problematical objects found at Indian Creek, Antigua. VIIIème Congrès International d’Études des civilisations précolombiennes des Petites Antilles. Saint Kitts et Nevis. Juillet 1989. Arizona State University. Anthropological research papers N°22. 1980 : 394-405

fixées sur des flèches tirées avec des arcs. Dan Shelley m’écrivait pourtant, « J’ai effectué quelques recherché sur les arcs et les flèches chez les Tainos. Ma conclusion, basée sur les sources de première main et les sources secondaires est que les Tainos utilisaient des arcs et des flèches à Borinquen, Quisqueya et Cuba. Des chroniqueurs italiens mentionnent en 1504 les arcs les flèches et les lances des Tainos dans d’autres régions que celle de Macorix. Alegria avance la même opinion à propos de Borinquen5 » (Dan Shelley, courriel 28 mars 2011). Dan Shelley possédant une connaissance impressionnante des sources anciennes espagnoles et italiennes sur les Tainos, j’ai compris qu’il fallait que je reconsidère mon point de vue. Pour compléter mon approche, je me suis tourné, après le Journal de Colomb et le Libro copiador6, vers « l’Historia de Las Indias » de Las Casas et des écrits de témoins qui ont été très tôt aux Iles sur les traces de Colomb. Pour la période postérieure au premier voyage, j’ai utilisé la lettre de Chanca, celle de Syllacius-Coma, la relation de Michel de Cuneo, la Vie de l’Amiral par son fils Hernando Colomb, les Décades de Marthyr de Angléria et la relation du curé Andrés Bernaldez. Après avoir lu ces chroniques que j’avais négligées jusqu’alors, pour m’être cantonné à un domaine de recherches plus archéologiques qu’historiques, j’ai réalisé que je m’étais partiellement trompé sur la question de l’arc.

Les premiers jours d’exploration Le 12 octobre, les hommes et les femmes que rencontrent les européens, ne montrent aucune agressivité à leur égard. Colomb remarque que les hommes, « ont les cheveux sur les sourcils, sauf  quelques  mèches  qu’ils  portent  longues  derrière  et jamais ne coupent », (Œuvres complètes1992 : 64, Dunn et Kelley 1989 : 66). Ceux qui viennent à la rencontre des Espagnols avec leurs canots, leurs apportent différents présents, dont des sagaies, « azagayas » (Œuvres complètes 1992 : 64, Dunn et Kelley 1989 : 66). Colomb s’attarde à décrire les peintures corporelles, la nudité des corps. Il rapporte qu’ils « ne portent point d’armes ni ne les connaissent, parce que si je leur montrais des épées, ils les prenaient par  le  tranchant et se coupaient par  ignorance. Ils n’ont aucun objet de fer ; leur sagaies sont des bâtons sans pointe de fer, mais certaines d’entre elles ont au bout une dent de poisson et certaines autres d’autres choses ». (Œuvres complètes 992 : 65), (Dunn et Kelley 1989 : 66). Pourtant il est intrigué par des hommes qui « …  avaient  des  marques de blessures sur le corps » et poursuit-il, « je leur demandai alors  par  signes7 ce que c’était, et eux m’expliquèrent par gestes comment des gens venaient là d’autres îles qui étaient proches pour les enlever et comment ils se défendaient ». (Œuvres complètes 1992 : 65, Dunn et Kelley 1989 : 66). Le samedi 13 octobre, le Journal livre

5 “I have also done some research on bows and arrows by the Tainos. My conclusion, based on primary and secondary sources, is that the Tainos used bows and arrows in Boriquen, Quisqueya, and Cuba. Italian chroniclers in 1504 mention Tainos’ bows, arrows and spears in areas other than Macorix. Alegría states the same about Boriquen ”

6 RUMEO de ARMAS. Libro copiador de Cristóbal Colon. Correspondencia inédita con los re-yes católicos sobre los viajes a América. Estudio Histórico-critico y edición. 2 Tomes. Colección Tabulae Americae. Testimonio compaña editorial. Documento II. La carta relación del segundo viaje de exploración a América fue escrita por el Almirante en Enero de 1494.

7 Colomb, dans son Journal à la date du mercredi 24 octobre, reconnaît que les échanges reposent sur les gestes plus que sur les mots, car écrit-il, « leur langue je ne l’entends pas ».

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Actes du 24e congrès de l’AIAC - 2011 Henry Petitjean Roget

des descriptions des hommes, les proportions agréables de leurs corps, les pirogues avec lesquelles ils vont en mer. Navigant en terre inconnue, dès le dimanche 14 octobre, Colomb, a envisagé de construire un fortin sur une langue de terre où se trouvent quelques cases indiennes. Il écarte le projet de cette construction défensive, car écrit-il, si, « elle (la langue de terre) pourrait, en deux jours, être transformée en île, [...] je n’en vois pas la nécessité, car ces gens sont très innocents en matière d’armes… » (Œuvres complètes 1992 : 68, Dunn et Kelley 1989 : 74). L’Amiral estime que l’armement des Tainos est si rudimentaire, qu’il n’hésite pas à écrire que, « si Vos Altesses l’ordonnent, elles peuvent faire amener tous les gens de cette île en Castille ou bien tous les faire tenir captifs ici même, parce qu’avec cinquante hommes elles les tiendront tous en soumission et leur feront faire ce qu’elles voudront » (Œuvres complètes 1992 : 68, 69, Dunn et Kelley : 74). Le 14 octobre Colomb lève l’ancre et navigue durant 14 jours, passant d’île en Iles aux Lucayes. Colomb écrit, « toutes sont plates, sans montagnes et très fertiles, toutes habitées ; elles se font la guerre les unes les autres, quoique leurs habitants soient bien innocents ». L’opinion que se fait Colomb sur les Indiens, deux jours à peine après la découverte des îles, paraît bien hâtive. Son sentiment repose seulement sur le fait qu’il a remarqué que les tainos ont des sagaies. (Œuvres complètes 1992 : 69), (Dunn et Kelley 1989 : 76). Méfiant, Colomb descend à terre le mardi 16 octobre, « avec les barques armées » (Œuvres complètes 1992 : 70, Dunn et Kelley 1989 : 78). Le mercredi 17 octobre, Colomb envoie à terre un groupe d’hommes armés et des hommes avec des tonneaux pour faire de l’eau. (Dunn et Kelley : 92). Cette précaution montre que Colomb reste prudent en dépit de l’attitude amicale des « yndios », comme il les nomme lui-même, (Dunn et Kelley : 90). Les Espagnols procèdent à des échanges. Des marins troquent avec les Indiens des sagaies (azagayas) contre des petits morceaux d’écuelles brisées et de verre. (Dunn et Kelley : 92). Les Espagnols visitent un village en toute tranquillité. L’Amiral nous rapporte la forme des maisons, leur propreté, le mobilier qu’il y trouve. Le dimanche 21 octobre, Colomb visite une case dans un village de la côte de Cuba, dont les occupants se sont enfuis, sans doute par peur, écrit-il, « puisqu’il y avait là tous les objets domestiques ». Les Espagnols tombent sur un iguane de belle taille et « nous le tuâmes à coups de lance », relate Colomb (Dunn et Kelley : 106). Ce détail révèle que les Espagnols sont encore sur la défensive. Ils ne sortent qu’armés. Les Tainos eux, deviennent de plus en plus craintifs, à en croire la lecture du récit de Colomb. Lorsque les européens s’approchent d’un village, tous les habitants s’enfuient. (Dunn et Kelley 1989 : 106). Colomb poursuit son idée et veut aller présenter ses lettres de créances au Grand Khan dans sa ville de « Quisay ». (Dunn et Kelley 1989 : 108). Au jour du lundi 22 octobre, Colomb raconte qu’il se trouve dans un village, et : « Ils nous apportaient des sagaies et des pelotes de coton pour les échanger » (Œuvres complètes 1992 : 81, Dunn et Kelley 1989 : 108). Les indiens apportent systématiquement des sagaies à Colomb sans doute parce que les Espagnols ont manifesté, par prudence, leur intérêt pour ces armes, aussi faibles soient-elles. Ils désarment les indiens. Jusqu’à ce jour, aucune mention à des arcs et des flèches,ou à des massues de guerre, n’est apparue dans le Journal.

Des lances et des épées contre des propulseurs et des sagaies Dans le contexte de la découverte d’une terre inconnue, Colomb est sur ses gardes. D’autant plus que les Tainos évoquent sans cesse l’existence de dangereux « Canibas »8 qui seraient bien armés. Il semble bien que ce soit l’évocation permanente de ces guerriers, plus que l’existence d’armes dangereuses aux mains des Tainos, qui justifie que les explorations espagnoles à terre aient été entourées de multiples précautions pour se prémunir contre leurs attaques éventuelles. Colomb, même s’il n’a pas saisi précisément ce que lui ont raconté les Tainos, a toutefois compris à leurs gestes et mimiques qu’ils sont victimes de raids d’ennemis. Il est donc particulièrement attentif à tout ce qui concerne l’armement taino et plus particulièrement ce qu’il entend dire des armes de leurs ennemis. La relation du Journal montre bien, que durant tout son périple de 14 jours de navigation de Guanahani à Cuba, qu’il a touché le 28 octobre, la venue épisodique des guerriers « Canima » ou « Caribe », entretient un climat de peur. Ils sont à ce que disent les Indiens, des mangeurs d’hommes, des ravisseurs de femmes. Les navires longent la côte nord de Cuba. Colomb est toujours obsédé par sa recherche du Grand Khan. (Œuvres complètes1992 : 87, Dunn et Kelley 1989 : 124). Le 1er novembre, l’Amiral précise encore une fois : « Leur langue et la même pour tous et ils sont tous amis, et je pense qu’il doit en aller ainsi pour toutes ces îles et que c’est contre le Grand Khan, qu’ils appellent Cavila et sa cité Bafan qu’ils doivent être en guerre ». (Œuvres complètes 1992 : 88, Dunn et Kelley 1989 : 129). Le rapprochement entre le nom « Khan » et celui de « Cavila », renvoient à celui de « Calina, ou Cariba », transcrit par les Espagnols. « Cami, Faba » et « Cavila », sont en fait des déformations du nom « Calina ». Ces noms désigneraient en fait les Kallinas (go), les Caribes des Petites Antilles. Colomb s’éloigne le 12 novembre des côtes de Cuba, en espérant voir l’île Baveque. Il revient à Cuba le 13, et croit comprendre de nouveau, qu’on lui indique les îles de « Babeque » et de « Bohio » où il y aurait beaucoup d’or. Babeque est Porto Rico, Borinquen9. La crainte que les envahisseurs canimas inspirent aux Tainos, se fait plus présente au fur et à mesure que les Espagnols longeant la côte nord-est d’Hispaniola, tentent de localiser l’île Baneque. En fait, Colomb établit une relation entre divers mots du discours des indiens qu’il pense plus ou moins comprendre. Il relie entre eux, l’or qu’il veut obtenir des Indiens, la mention de gens hostiles qui leur font la guerre, l’île dite de Carib, et une autre nommée Matinino où il n’y aurait que des femmes. Ceux dont il sollicite des informations sur leurs parures d’or, n’ont montré que des sagaies10. Partant de l’hypothèse que les Canima sont les Callinas ou Caribes, j’ai recherché à mieux cerner les frontières du territoire qu’ils parcouraient. De ce fait je me suis intéressé à la nature des relations qu’ils entretenaient avec les Tainos. Une conclusion s’est imposée. Les Callinas allaient au delà de Sainte Croix et de Porto Rico, et jusqu’à l’est et la côte nord-est de Cuba.

8 Colomb écrit qu’il croit qu’il s’agit de sujets du Grand Khan.

9 Baneque est Porto Rico, Burinken ou Borinken. (Ba / ni /ké, équivaut à, Buren/ ké/n).

10 Ce jour, le 26 octobre, Colomb signale que les canots, « leurs almadies, qui sont de petites nacelles faites d’un seul tronc et ne portent pas de voile ». Des au-teurs en dépit des témoignages qui l’affirment (COLOMB. Œuvres complètes. 1992 : 83), contestent encore l’absence de voile chez les Tainos avant l’arrivée des Européens.

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Actes du 24e congrès de l’AIAC - 2011 Henry Petitjean Roget

Limite approximative de la zone dans laquelle les espagnols ont entendu les termes, Canimas, Cannibales, Cami et Faba, associés à la crainte des tainos de la venue de guerriers castrateurs de leurs prisonniers, mangeurs d’hommes et preneurs de femmes.

Trajet du premier voyage

Limite approximative de la zone dans laquelle des arcs ont été vus, ou dont l’usage est attesté par le Journal.

Baie de Caracol ? à environ 15 km à l'est du Cap-Haitien, lieu de naufrage de la Santa Maria.

Du grand Khan aux CallinasMardi 30 octobre, Colomb se trouve toujours à Cuba. Il veut rencontrer à tout prix le Grand Khan. Le dimanche 4 novembre, l’amiral a cru comprendre qu’on lui parlait d’hommes à museau de chien11, qui mangeaient des hommes et leur coupaient les parties naturelles12. Las Casas en marge du Journal, Folio 21 r, écrit, « tout cela devait parles des Caribes » (Dunn et Kelley 1989 : 132)13. Colomb poursuit, « Ces gens sont très doux et très craintifs, nus comme je l’ai déjà dit, sans armes et sans religion » (Œuvres complètes 1992 : 91, Dunn et Kelley 1989 : 129). Colomb s’éloigne des côtes de Cuba le 12 novembre dans l’espoir de découvrir l’île de Baveque14, où il y aurait beaucoup d’or. Il revient à Cuba le 14. Colomb insiste sur le caractère doux des Indiens qui « ne savent pas ce que ce peut être de faire le mal, de tuer les autres ou de les capturer ; d’ailleurs, ils sont sans armes et si craintifs qu’un seul d’entre les nôtres en fait fuir cent des leurs… ». (Œuvres complètes 1992 : 9, 96, Dunn et Kelley 1989 : 129).

11 Durant la discussion que Colomb mène avec les Indiens, ces derniers ont sans doute associé le nom Canima, ou Cariba, à des gestes pour faire comprendre à Colomb que ces guerriers étaient anthropophages. Le mot Caniba ou Cariba a évoqué l’idée de canis, chien, et l’Amiral a fait des Canimas, des hommes à têtes de chiens, des cynocéphales. On croyait fermement au Moyen-âge qu’il en existait réellement.

12 Cette mention replacée dans le contexte de la découverte de la Guadeloupe en no-vembre 1493 prend tout son sens. Le docteur Chanca, rapporte qu’il a vu des jeunes garçons castrés, lors du séjour des Espagnols à la Guadeloupe. Colomb dans le Libro copiador relate le même fait. (Libro copiador Tome II : 449.

13 « todo esto devian de dezir dlos caribes ».

14 Baveque est le mot qu’ont cru entendre les Espagnols pour Borinquen. Ils l’ont trans-crit par « Baneque » dans le journal annoté par Las Casas (Dunn et Kelley 1989 : 141). D’ailleurs en date du 20 novembre, le Journal indique, « Il laissait le Baneque ou îles du Baneque à l’est », ce qui confirme que Colomb ne comprend pas bien ce que les Indiens lui racontent.

L’or et les CanibasIl observe diverses îles, en aborde quelques unes. Durant tous ces jours de voyages, passant d’une île à l’autre, Colomb cherche désespérément à trouver d’ où provient l’or. Il ne peut pas comprendre que chaque fois qu’il se préoccupait de connaître de l’origine des guanines, ses interlocuteurs lui racontaient le mythe de leur origine. Ils voulaient aussi lui faire comprendre que c’étaient les « Caribes », qui les leurs apportaient. Le cap sud que prennent les navires pour atteindre « une  terre que  les  indiens appelaient Bohio  », écrit Colomb, provoque la panique chez les Indiens qui sont à bord. On lit, « … Bohio, laquelle, disaient-ils est très grande et habitée de gens qui avaient un seul œil sur le front, et par d’autres que l’on appelait « Cannibales », desquels  ils montraient avoir grand peur ; c’est pourquoi, dès qu’ils virent qu’il prenait ce chemin, ils  ne  pouvaient  plus  parler,  dit-il,  car  ils  pensaient  que  ces gens sont accoutumés de les manger et qu’ils sont bien armés ». (Œuvres complètes1992 : 104, Dunn et Kelley 1989 : 167). C’est la première utilisation dans le Journal, du terme « cannibale » avec le sens de mangeur d’hommes. Colomb n’hésite pas à écrire à propos de ces cannibales, « puisqu’ils étaient armés,  ils devaient être doués de raison » (Œuvres complètes 1992 : 104). A la date du 26 novembre, le Journal mentionne que « tous les gens qu’il a trouvé à ce jour ont très grand peur des Caniba ou Canima, qui d’après eux vivent dans l’île de Bohio ». (Œuvres complètes : 104), (Dunn et Kelley : 176). Colomb toujours à la recherche du Grand Khan, écrit encore que ces Canibas, devaient être ses sujets. Selon toute vraisemblance, la nouvelle de l’arrivée des Espagnols, s’était diffusée, dans toutes les îles, car le 27 novembre, l’Amiral longeant les côtes d’Hispaniola, signale

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Actes du 24e congrès de l’AIAC - 2011 Henry Petitjean Roget

qu’il arrive à « un grand village15, le plus grand qu’il ait découvert à ce jour, et vit venir une infinité de gens au bord de l’eau qui poussaient de grands cris, tous nus, leurs sagaies à la main… Les indiens leurs signifièrent par gestes qu’ils les empêcheraient de sauter à terre et leur résisteraient » (Œuvres complètes 1992 : 109, Dunn et Kelley 1989: 178). Colomb continue à s’émerveiller de ce qu’il voit du pays. Ses propos confirment que sa compréhension du taino est très limitée : « et en outre je ne connais point la langue : les gens de ces pays ne me comprennent, ni moi ni nul autre que je puisse avoir avec moi ; quant à ces Indiens que j’amène, je comprends souvent une chose qu’ils disent pour une chose contraire… » (Œuvres complètes 1992 : 111, Dunn et Kelley 1989 : 182). Malgré ce contexte d’incompréhension réciproque entre les Tainos et les Espagnols, les descriptions des événements quotidiens, telles que le Journal les relate, livrent de nombreuses informations. Celles-ci doivent être interprétées dans le contexte des premiers mois de la rencontre, pour en extraire ce à quoi elles renvoient, et ce qu’elles signifient véritablement.. Toutes les cases que fouillent les espagnols sont désertées par leurs habitants qui les ont quittées. Au passage, l’Amiral décrit dans son Journal à la date du lundi 3 décembre, la beauté de pirogues de très grandes longueur en particulier une pirogue entièrement sculptée qu’il examine sous son abri. Il explore les environs du village, grimpe sur une montagne et trouve un village. La plupart des Indiens s’enfuient. Les autres ne sont pas armés, « hormis quelques bâtons16 avec, au bout un petit morceau de bois pointu durci au feu. Il dit que ces bâtons il les leur enleva avec adresse, en les échangeant, de sorte que chacun donna le sien » (Œuvres complètes 1992 : 116, Dunn et Kelley 1989 : 194). Les Indiens de ce lieu, tous peints en rouge, armés de leurs sagaies, (azagayas), se montrent hostiles à l’égard des Espagnols. (Œuvres complètes 1992 : 116, Dunn et Kelley 1989 : 196). Colomb les ramène à la raison avec l’aide d’un Indien qui l’accompagne. Celui-ci exhibe l’arbalète qu’il a emprunté à un espagnol et leur adresse un discours véhément. Colomb, comme à son habitude, désarme tout le monde en offrant à chacun, des grelots, des bagues de laiton et des perles de verre. Le mercredi 5 décembre il quitte le cap Maisi à Cuba, et repart une nouvelle fois à la recherche de l’île de Babeque. Colomb écrit à propos d’une grande île qu’il aperçoit au loin, appelée Bohio par les Indiens, qu’elle « était bien peuplée. De ses17 habitants, il dit que ceux de Cuba ou île Juana et de toutes ces îles ont grand peur, parce que, ajoute-t-il, ils mangeaient des humains » (Œuvres complètes 1992 : 118, Dunn et Kelley 1989 : 200). Les Espagnols ont compris que des étrangers hostiles viennent de l’est. Les tainos les appellent Canimas, Canibas ou Cannibales18.

A Hispaniola, la crainte des CanibasColomb jette l’ancre le jeudi 6 décembre dans la baie du Mole St Nicolas. Avant d’y pénétrer il a vu au loin l’île qu’il nomme la Tortue. Le 9 décembre, en poursuivant sa route le long de la côte, il fait escale

15 Consuelo Varela et Juan Gil, indiquent en note de bas de page qu’il s’agirait du village de Baracoa.

16 La traduction de Consuelo Varela et Juan Gil est inexacte sur ce point. Il ne s’agit pas de « bâtons » mais de javelines. Le texte du Journal transcrit par Las Casas, dit précisé-ment « una varas y enl cabo dllas un palillo agudo tostado ».

17 De ses habitants, dans le Journal en espagnol et non de ces habitants comme indi-qué dans la traduction de Valera et Gil.

18 Le terme cannibale est apparu dans le Journal pour la première fois à la date du 23 novembre à Cuba.

dans le port de la Conception, situé face à la pointe ouest de l’île de la Tortue. L’endroit correspond aujourd’hui à la baie de Moustiques. Là, il décide de baptiser l’île Hispaniola. Les Indiens qu’il a ravis à Cuba, lui font comprendre, qu’ils veulent revenir chez eux. Ils manifestent une grande crainte des habitants de cette île. Colomb croit encore entendre que le nom qu’ils donnent à Hispaniola, est « Caribata ». Il comprend qu’ils veulent lui indiquer, qu’au delà de cette île se situe la terre ferme, et qu’ils ont très peur des gens de « Caniba » (Dunn et Kelley 1989 : 217). Le 12 décembre, une femme qu’ils ont capturée à Hispaniola, s’entretient sans problème avec ceux de Cuba, car écrit-il, « ils avaient tous la même langue » (Dunn et Kelley 1989 : 218). A ce point de la recherche sur la présence d’arcs dans les contrées que Colomb a parcourues entre le 14 octobre et le 12 décembre, au moins trois points sont acquis. L’usage de l’arc n’est pas mentionné. Les Indiens parlent la même langue, de la côte nord est de Cuba à la côte nord ouest d’Hispaniola. Ils n’ont que de petites sagaies (azagayas) comme armes. Enfin de Cuba à Hispaniola les Indiens vivent dans la terreur de ceux qui se nommeraient « Caniba », « Canima » ou « Cannibales ».

Des propulseurs et des arcsLas Casas emploie les termes de « garruchas » pour propulseur et « azagayas a été traduit par sagaies. Ainsi que l’a rapporté Las Casas, dans des régions de Cuba et d’Hispaniola, les Indiens utilisaient des arcs pour flécher les poissons : « quand  certains d’entre  eux,  qui  avaient  déjà  l’expérience  des  actions  des Espagnols qui venaient  les enlever, se défendaient avec des arcs et des flèches dont ils se servaient non pour faire la guerre à d’autres, mais pour tuer des poissons qu’ils avaient toujours en  abondance » 19. (Las Casas 2002 Tome II : 223). Dans son Historia de las Indias, écrite près de cinquante ans après la Découverte, Las Casas, évoquant, une révolte taino de la province de Maisi, la plus à l’est du Cuba, indique que, « De toute la province se réunirent près  de  sept  mille  Indiens  armés  d’arcs  et  de  flèches » (Las Casas 2002 Tome III : 146). En dépit de mentions à l’usage de l’arc, cette arme ne semblait pas être répartie sur toutes les îles. Au moins deux groupes se servaient d’arcs. Le premier est encore lointain, son nom comme on le verra a été écrit sous différentes formes dont celle de « Caniba ». Le nom de l’autre groupe d’usagers de l’arc a été transcrit par le terme « ciguayo ». J’ai examiné de plus près les notations qui concernent les Canibas et les Ciguayos dans la mesure où pour des auteurs ces Ciguayos seraient des Caribes venus des Petites Antilles.

La première mention à propos d’arcs chez les CanibasLe lundi 17 décembre, les Indiens qui vivent près de l’endroit où Colomb avait jeté l’ancre, « leurs  apportèrent  des  flèches  appartenant aux Canibas ou Cannibales qui sont faites de grandes tiges de roseau20 à l’extrémité desquelles ils introduisent un bout de bois fin, pointu, durci au feu et très long » (Œuvres complètes 1992 : 133). La traduction française ne prend pas exactement en compte le texte de Las Casas

19 LAS CASAS Bartolomé. Histoire des Indes. Traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Clé-ment et Jean-Marie Saint Lu. III Tomes. Editions du Seuil. Paris 2002.

20 Le roseau en question est le Gynerium sagittatum, plante commune de bord de rivière.

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qui précise : « qu’ils leurs apportèrent des flèches comme celles de Canibas ou comme celles des Cannibales21 » (Dunn et Kelley 1989 : 236). Pour bien faire comprendre qu’ils ont été blessés lors d’affrontement avec les Cannibales, des Indiens montrent leurs blessures. Colomb écrit, « il (leur) manquait quelques morceaux de chair et… firent comprendre que c’était les Cannibales qui en avaient mangé des bouchées » (Colomb Œuvres 1992 : 133). L’amiral pour montrer la supériorité de son armement, et pour impressionner les Indiens, fait tirer quelques salves de bombarde. Il persiste à vouloir trouver l’île de Babeque, où comme il croit l’avoir compris, il y aurait de l’or à profusion. Dans la nuit du 18 au 19 décembre, il lève l’ancre « pour quitter ce bras de mer que l’île de la Tortue fait avec l’île Espagnole ». Non sans mal, à cause des vents contraires, il poursuit sa route et nomme une haute montagne « plus élevée que toute autre, qui avance dans la mer et, de loin, semble être une île à elle toute seule en raison d’une échancrure qui la coupe en partie de terre ; il lui donna le nom de mont Caribata, parce que cette province s’appelait Caribata » (Œuvres complètes 1992 : 137, Dunn et Kelley 1989 : 248). L’anse où Colomb s’est arrêté le 19 décembre correspond sur une carte actuelle à l’anse de Foleur où se déverse un fleuve important. Le mont nommé Caribata se situe au nord de la petite localité de Boyeau. Le 20, Colomb est dans la baie de L’Acul. Le 22 décembre, la Santa Maria est toujours à l’ancre à la baie de L’Acul. On apprend par une note de Las Casas en marge du Journal que le cacique de la région se nomme Guacanagari (Colomb Œuvres 1992 note 119 : 143). Colomb livre dans son Journal une notation importante sur la façon de parler des gens de cette région. Il semble qu’ils parlent pas le même taino qu’à Cuba car, Las Casas écrivant au nom de Colomb a rapporté que, « même les Indiens qu’il amenait avec lui ne les comprenaient pas bien parce qu’ils ont des mots différents pour nommer les choses » (Colomb Œuvres 1992 : 143) (Dunn et Kelley 1989 : 262)22.

Les Espagnols venus d’ailleursColomb descendu à terre, relate à la date du 21 décembre, que les Indiens qui viennent à sa rencontre ont une attitude plus amicale que ceux qu’il avait vus précédemment. Ils lui offrent de la nourriture ainsi que des calebasses d’eau. Ils raconte en outre, que « L’Indien que les Chrétiens emmenaient avec eux courut après les autres en leur criant de ne point avoir peur, car les Chrétiens n‘étaient point des Caniba, mais au contraire ils venaient du ciel23… » (Colomb Œuvres complètes 1992 : 127, Dunn et Kelley 1989 : 222, 223). Ce qui l’intéresse avant tout, c’est que, « Ces gens n’ont ni bâtons24 ni sagaie ni aucune autre arme, et non plus les autres dans toute cette île que je tiens pour très grande » (Œuvres complètes 1992 : 140). Les Indiens leurs présentent les offrandes que

21 Souligné par moi.

22 « ni los yndios q el traya los entendían ben porq tiene algunas diuersidad de vocablos en nobres dlas cosas… »

23 Le rapprochement dans la traduction de ce que sont supposés avoir dit les Indiens, « les chrétiens ne venaient pas de Cariba, mais venaient du ciel, « Turey », m’incite à penser, que comme pour d’autres mots, Tuob, Caona, Nuçay, qui ne désignaient pas l’or, contrairement à ce qu’affirment Colomb ou Las Casas, le mot « Turey » ne signifie pas le ciel, d’où viendraient les espagnols, mais désigne la première région touchée par les espagnols, là où ils ont vu des guanines d’or, les Lucayes. Le mot « Lucaye » mal compris et répété par les espagnols a donné « Nuçay » (Nukaï) et « Turey » (Turaï). Les Indiens disaient en fait que des gens avaient débarqué aux Lucayes où ils questionnaient les Espagnols en leur demandant, « venez-vous des Lucayes ? ».

24 Le texte espagnol indique, « este gente no tiene varas ni azagayas ni otras ningunas armas ni los otros de toda esta isla y tengo q es gradissima… » (Dunn et Kelley 1989 : 254).

l’on réserve normalement aux zémis. Les Espagnols insistent pour savoir d’où viennent les guanines. Les Tainos croient que les guanines ont une origine mythique25. C’est pourquoi les Indiens évoquent Cibao, transcription du nom « Canao », nom de la province où se trouve la montagne mythique Canta. Colomb assimile la nom « Canao » à celui de Cipango. Tous précisent que Cibao, où se trouve beaucoup d’or, « se situe très loin à l’est » (Œuvres complètes 1992 : 146, Dunn et Kelley 1989 : 248). Le 24 décembre, il indique dans son journal que le mot « Bohio », désigne un village, des maisons. Or jusqu’à ce jour il a toujours été persuadé qu’il s’agissait du nom d’une île. La région dans laquelle il se trouve, l’enchante tant, qu’il la nomme « La Amiga ». Dans la nuit du 25 au 26 décembre, la Santa Maria, s’échoue sur des récifs. Le naufrage a eu lieu dans la Baie de Caracol au lieu dit En-bas-salines, qui se trouve à environ une dizaine de kilomètres à l‘est du Cap-Haitien. Les Espagnols sont recueillis par le cacique Guacanagari dans son village. Tout ce qui pouvait être sauvé, le fût grâce à l’aide des hommes du village. Le cacique avait fait placer des vigiles « avec leurs armes qui sont des arcs et des flèches, autour de tous ces biens, afin qu’il y veillassent et les gardasse toute la nuit » (Las Casas Tome II 2002 : 439). Colomb dans son Journal écrit seulement que le cacique Guacanagari « fit mettre des hommes en armes autour de tout ce chargement » (Colomb Œuvres 1992 : 149)

La découverte de flèches et d’arcsPour la seconde fois, ce 26 décembre les Espagnols voient des arcs et des flèches. Quant on les leurs a apportés le 17 décembre on leur avait dit qu’elles étaient comme celles des Canibas ou des Cannibales. Ils ne les avaient pas vues aux mains de canibas. Si l’on en croit le témoignage de Las Casas, ce 26 décembre, pour la première fois, les Espagnols ont rencontré des Indiens leurs arcs à la main. Pendant que Colomb s’entretient avec Guacanagari, « un autre canot arriva d’un autre village qui apportait quelques morceaux d’or que ses occupants voulaient donner contre un grelot, car ils ne désiraient rien tant que des grelots, au point que le canot n’était pas encore contre le bord qu’ils appelaient  et  montraient  les  morceaux  d’or  en  disant « chuq, chuq », pour grelot, car ils en sont presque fous » (Colomb 1992 : 151).26 Dans ce contexte de passion des Tainos pour les grelots de laiton, et de la détermination des Espagnols à savoir l’origine du métal des guanines, il était plus que probable que Colomb entraîna Guacanagari à lui parler des endroits où l’on pouvait en trouver. Dans la discussion avec l’Amiral, Guacanagari mentionne les Caribes ainsi que Caribata, la région supposée de leur résidence. Le cacique a dû faire part de la crainte extrême des Caribes que ses sujets ressentaient, car Colomb éprouve le besoin

25 Les Caraïbes quant à eux sont restent assez vagues quant à l’origine de Caracolis. Ils disent, rapporte Du Tertre, qu’ils les troquent avec leurs ennemis les Allouagues. De savoir « d’où ces Alloüagues les prennent, c’est la difficulté ;car ils disent que les Dieux qu’ils adorent, les-quels font leur retraite dans des rochers sourcilleux, & dans des montagnes inaccessibles, leur donnent pour les obliger à porter plus d’hôneur & une plus grande reverence à leur souveraineté… » Du TERTRE Histoire générale des Antilles réédition exécutée d’après l’édition de 1667-1671. Société d’histoire de la Martinique. Editions C. E. P. Fort-de-France Tome II 1958 : 370.

26 COLOMB, Œuvres complètes. Edition établie et présentée par Consuelo VARELA et Juan GIL. La Différence 1992

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de faire une démonstration de la force de ses armes : « L’Amiral envoya chercher un arc turc et une poignée de flèches, et fit tirer un homme de sa compagnie qui s’y connaissait ; alors le seigneur, ne sachant ce que peuvent être des armes, car ils n’en ont point et n’en usent point, trouva que c’était une grande chose » (Colomb 1992 : 152, Dunn et Kelley 1989 : 284). Colomb en rajoute, et « fit tirer avec une bombarde et avec une espingole » (Œuvres complètes 1992 : 152, Dunn et Kelley 1989 : 286). L’Amiral apporte une précision d’importance ; il « fait remarquer que l’origine de cela fut une conversation sur les gens de Cariba, qu’ils appellent Caraïbes27 qui viennent se saisir d’eux et portent arcs et flèches sans fer… » (Colomb 1992 : 152). Une nouvelle fois, les Indiens associent étroitement dans leurs propos, la région dite de Caribata, lieu d’origine supposée des parures d’or, les féroces Caribes et l’usage de l’arc et des flèches. Quelques jours plus, tard les hommes de Colomb seront brusquement confrontés à des hommes armés d’arcs et de massues.

L’or, les Caribes, les îles de Carib et de Matinino.A partir du dimanche 6 janvier, l’intérêt pour l’or que manifeste Colomb, grandit chaque jour. Chaque fois que l’or est mentionné dans son Journal, il est associé, soit à une certaine île de Carib, soit à une autre située vers l’est, Matinino, habitée seulement par des femmes28 (Œuvres complètes 1992 : 163, Dunn et Kelley 1989 : 315). « de l’île de Matinino cet Indien dit qu’elle était entièrement peuplée de femmes sans hommes et qu’il y a beaucoup de tuob, qui est l’or ou le cuivre, et qu’elle est plus à l’est que Carib. Il parla également de l’île de Goanin, où il y a beaucoup de tuob » (Œuvres complètes : 169, Dunn et Kelley : 330). Le rapport qui existe entre les guanines, l’île Matinin ou Matinino se trouve dans les chapitres V et VI de la relation de Ramon Pané. Ces récits racontent l’origine mythique des guanines. Dans la réalité, on sait qu’elles provenaient du continent par l’intermédiaire des Caribes, les Callinas29 ou Callinago30. La localisation incontournable des bases Callinas, entre les producteurs continentaux des parures en or et leurs acquéreurs tainos, interdisait aux Tainos toute possibilité de les obtenir directement. C’est pour ces raisons que l’or est constamment associé aux Caribes, à l’île des Caribes et à celle de Matinino. Las Casas, entre autres auteurs, insiste fortement, sur l’incompréhension linguistique entre les Tainos et les Espagnols. Replacé dans ce contexte de découverte d’une langue, le mot « tuob », dont Colomb pense qu’il désigne l’or, désignerait-il bien l’or ? On peut en douter et la difficulté que les espagnols ont à bien reproduire des mots ou des expressions en taino, me permet de penser que « tuob » serait en fait une altération de l’expression « Turéiga Hobin », entendue comme Tu (réiga) Hob (in) et transcrite par le mot « tuob ». Le Cacique de Xaragua, Beuchio (Behechio) portait le nom Turéiga Hobin ainsi que plus de quarante autres, rapporte Marthyr de Angléria au chapitre IX de sa

27 C’est caribes dans la transcription du manuscrit espagnol, traduit en anglais par DUNN et KELLEY 1989 : 284.

28 Œuvres complètes, pages 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, et DUNN et KELLEY, pages 314, 330, 332, 336, 340, 342, 346.

29 BRETON Raymond, dictionnaire caraïbe-français, Auxerre 1665 : 105.

30 BRETON Raymond, dictionnaire français-caraïbe, Auxerre 1666 : 61.

troisième Décade. Marthyr apporte une information d’importance sur l’usage que faisait le cacique Behechio de son nom pour exercer son autorité. Il écrit, « Behechio a grand soin de mettre en avant tous ces noms et plus de quarante autres, quand il veut donner un ordre à quelqu’un ou qu’il fait connaître ses volontés par un héraut. Si par incurie ou par négligence on omettait un seul de ces noms, le cacique se croirait gravement outragé. Il en est de même pour ses collègues » (Martyr Anghiera. De Orbe novo. Gaffarel 1907 : 323). Behechio est aussi le beau-frère du cacique Caonabo, qui est d’origine caribe. On sait par ailleurs que les guerriers de Behechio sont armés d’arcs et de flèches (Las Casas 2002 Tome I : 675). Sur le fondement de ces rapprochements entre textes, je suis tenté d’avancer que le chef des hommes armés d’arcs que Colomb invite à bord de son navire, le dimanche 13 janvier est un proche du Cacique Behechio. Colomb lui a fait dire, « qu’il appelait l’or tuob et ne comprenait pas caona, comme on l’appelle dans le reste de l’île, ni noçay, comme on le nommait à San Salvador et dans les autres îles ». (Colomb œuvres 1992 : 169). Le chef des guerriers munis d’arcs, au cours de son échange verbal et gestuel avec Colomb, aurait plutôt évoqué l’importance du cacique Behechio. Pour mettre en avant la puissance du cacique, il se serait permis de citer l’un de ses noms31 le plus prestigieux, « Turéiga Hobin », qui signifie, « plus resplendissant que l’or ». Comme la conversation portait sur les parures d’or, Colomb a entendu « tuob » et il a cru comprendre que son interlocuteur lui parlait de l’or. Le jour même se produit un bref et violent affrontement entre Espagnols et Indiens.

Les Callinas aux Grandes AntillesEntre le débarquement à Guanahani et l’arrivée au Golfe des flèches, la quête de l’or s’est située au cœur des préoccupations des Espagnols. Quand ils découvrent les Grandes Antilles, les Caraïbes occupaient les Petites Antilles. Ils possédaient eux aussi des parures en alliage d’or les « Caracoli ». Des Callinas avaient des femmes, originaires des Grandes Antilles. Les Espagnols l’ont constaté quand lors du second voyage ils ont découvert la Guadeloupe et délivré des femmes tainos. Dans ce contexte de circulation de biens de haute valeur, de rapts ou d’échanges de femmes et de guerres potentielles, les relations entre les Callinas et les Tainos ne se résumaient pas uniquement à des affrontements. La présence des parures continentales d’or aux Grandes Antilles, et la parenté étroite entre la langue caribe et le taino, démontrent le contraire. Les craintes des Callinas que ressentaient les habitants de Cuba étaient fondées parce que ces guerriers venaient jusque sur les côtes de leur île, capturant et enlevant des hommes et des femmes. Il me faut alors reconnaître que le territoire des Callinas s’étendait, jusqu’à Cuba en pleine zone taino, et envisager les relations entre Tainos et Callinas, dans un contexte d’échanges de biens, d’établissement d’alliances ou de parentés fictives, d’échanges de noms, qui permettait la circulation des femmes épousables entre les deux groupes. La

31 Les Indiens ne prononcent jamais le nom de quelqu’un, sauf en respectant certaines formes, ils disent seulement le début du nom, ou ont recours à une métaphore.

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coutume d’échanger des noms existait à Hispaniola. Las Casas signale que, « Dans  la  langue  commune  de  cette  île,  cet échange de noms se disait être moi et un tel, et ceux qui avaient échangé les leurs étaient appelés guatiaos, et c’est ainsi qu’ils s’appelaient entre eux. C’était tenu pour un fort lien de parenté, et pour ferment d’amitié et d’association perpétuelles » (Las Casas Tome II 2002 : 59). Las Casas précise que les espagnols menèrent une guerre contre le cacique rebelle Cotubanama (Cotubano). Son territoire, la province de Higüey, s’étendait sur la pointe est de Hispaniola juste au dessus de l’île la Saona qui en faisait partie. Un homme du groupe d’espagnols armés qui recherchait Cotubanama pour le capturer, tomba sur lui par hasard. Les hommes qui accompagnaient Cotubanama s’enfuirent à la vue de l’espagnol armé de son épée. Pourtant, ces hommes qui précédaient le cacique, étaient armés d’arcs et de flèches32. Lui-même, Cotubanama, « avait un arc qui semblait de géant, et une flèche armée de trois pointes d’arêtes de poisson, comme un pied de coq » (Las Casas Tome II 2002 : 106). Las Casas qui rapporte les faits écrit encore, « son arc et ses flèches étaient deux fois plus gros que ceux des autres hommes, et semblaient d’un géant » (Las Casas Tome II 2002 : 97). Cotubano, alors qu’il est menacé par l’espagnol qui l’a blessé de son épée, dit « Mayanimacana, Juan Desquivel daca : « Ne me tue pas, car je suis Juan de Esquivel » (Las Casas id. ). Effectivement, le Capitaine général Juan de Esquivel avait donné son nom en échange de celui de Cotubanama (Cotubano). Il existe d’autres cas

32 Las Casas indique à plusieurs reprises que dans la province de Higüey les indiens rebelles étaient armés d’arcs et de flèches. (Las Casas Tome III 2002 Chapitre 8).

d’échanges de noms entre espagnols et tainos. En 1507 ou 1508, selon Las Casas, Ponce de Léon fût envoyé coloniser Porto Rico. Sur place, « Ils échangèrent leurs noms et se firent frères, Juan Ponce de León s’appelant Agueibana et le roi Agueibana Juan Ponce, car, ainsi que nous l’avons dit plus haut, c’était chez les Indiens de ces îles, un signe d’union et d’amitié éternelles » (Las Casas Tome II 2002 : 232).

L’échange de noms chez les Caraïbes et les Tainos La pratique de l’échange de noms et les liens de fraternité qu’elle entraînait, le sens de l’hospitalité chez les Caraïbes, ont frappé les premiers colons français33. Rochefort relate, « Le premier difcours qu’ils vous tiennent, en vous abordant, & de vous demander vôtre nom, & puis, ils vous difent le leur. Et pour témoignage de grande affection, & d’amitié inviolable, ils fe nomment eus-mêmes du nom de leurs hoftes. Mais ils veulent pour la perfection de la cérémonie que celuy qu’ils reçoivent fe qualifie auffi de leur nom. Ainfi ils font un échange de noms ». (Rochefort 1658 : 457-459). Le terme taino « guatiao » correspond en caraïbe à celui de « baouanale » qui désigne « l’amy particulier auquel ils ont une créance toute extraordinaire chacun au sien »34, terme qui correspond

33 Sur l’hospitalité, le commerce et l’échange de noms chez les Caraïbes voir J. Peti-tjean Roget, La société d’habitation à la Martinique. Un demi siècle de formation 1635-1685. 2 Tomes Librairie Honoré Champion 7 quai Malaquais Paris. 1978 : 397.

34 Breton dans son dictionnaire français-caraïbe donne, « Compère, chez les Sauvages veut dire mon ami », se traduit par « ibaouànale, f. nitigniaon » et « que je sois ton compère & ton amis, ao kariaonbou » (Breton FC 1666 : 80). « Celui que je nomme comme moi, miéchem, nous n’avons qu’un nom à deux, abana énroukia iti oüabou » (Breton FC 1666 : 260) et « Nostre compère, kibaoüanale, f. oüaetignaom » (Breton FC 1666 : 260, 261). Outre la pratique de

Zones de répartition de l’arc et des flèches à Hispaniola. Carte simplifiée d’après la carte de Jean-Pierre Clément et Jean-Marie Saint-Lu, parue dans le Tome II de l’Histoire des Indes de Bartolomé de Las Casas, traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Clément et Jean-Marie Saint-Lu, Editions du Seuil Paris 2002. L’ellipse autour de Maguana marque approximativement le centre du cacicat de Caonabo, cacique d’origine caraïbe Nota : Caritaba, erreur pour, Caribata. « Il lui donna le nom de Mont Caribata parce que cette province était appelée Caribata ». Voir DUNN Oliver and James E. KELLEY, Jr. The Diario of Christopher Columbus’s first voyage to America 1492-1493. Abstracted by Fray Bartolomé de LAS CASAS. Transcribed and translated into English, with notes and concordance of the Spanish. University of Oklahoma Press : Norman and London. 1989, page 248

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à celui de compère qu’utilisaient les français pour désigner la parenté basée sur un échange de noms, qui liait un français à un caraïbe. Je retiens l’extension, jusque dans la province de Higüey et l’île la Saona, de l’usage de l’arc et de flèches dans cette région. Je note la terminaison analogue en « o » du nom du cacique caraïbe Caonabo et celui de Cotubano, cacique rebelle armé d’un arc à la tête de guerriers eux aussi armés d’arcs et de flèches. Les relations entre les Tainos et les Caribes ne peuvent se réduire au cliché qui les réduirait à des affrontements guerriers permanents, accompagnés occasionnellement d’échanges commerciaux. La dualité de la guerre et du commerce, n’a rien d’étonnant. La guerre et l’anthropophagie rituelle, le troc de marchandises et l’échange de femmes, se situaient au cœur des relations intertribales. Lévi-Strauss rapporte que chez les Indiens d’Amérique du sud35, « les relations mi- belliqueuses, mi amicales, résultent souvent des  mariages  entre  membres  de  groupes  différents…Quand  ces  mariages  sont  pratiqués  systématiquement entre  deux  groupes,  ils  peuvent  donner  naissance  à  une nouvelle  unité  sociale  » (Lévi-Strauss 1943 : 127). De même, ce qu’il signale à propos des Nambikwara qu’il a étudié, est transposable à des sociétés culturellement comparables, celles des Callinas et des Tainos. Elles entretenaient elles aussi des relations de commerce, de guerres et de rapts de femmes. Lévi-Strauss écrit, des Nambikwara, « les bandes se  redoutent et en même temps elles se sentent nécessaires les unes aux autres. C’est en effet à l’occasion d’une rencontre qu’elles pourront se procurer des articles désirables, qu’une seule possède  ou  est  capable  de  produire  et  de  fabriquer.  Ces articles se répartissent essentiellement en trois catégories : il  y  a  d’abord  les  femmes,  que  seules  des  expéditions victorieuses  permettent  d’enlever,  puis… » (Lévi-Strauss 1943 : 131). Dans ce contexte de dons et de contre-dons, les conflits temporaires trouvaient naturellement leur place.

Arcs et flèches Ciguayos et CaribesEn première approche, ma recherche pour cerner les frontières du territoire des Callinas, à l’exclusion du Venezuela36 et des Guyanes, m’a conduit à étudier la répartition de l’arc aux Grandes Antilles. Puis j’ai cherché à savoir qui étaient réellement ces hommes armés d’arcs dont le nom était « Ciguayo ». Les Indiens n’ont jamais utilisé le terme « Ciguayo » dans aucune des îles que les espagnols ont parcouru,. Le nom apparaît seulement après

l’échange de noms commune aux tainos et aux caraïbes, on peut noter la parenté entre le terme taino « guatiao » et celui de «oüaetignaom (gua-ti-nao) dans le parler des femmes caraïbes.

35 LEVI-STRAUSS Claude. Guerre et commerce chez les Indiens de l’Amérique du sud. Renais-sance. Revue trimestrielle publiée par l’Ecole Libre des Hautes Etudes. Volume I janvier-juin Fascicule 1 et 2. New York 1943 : 122- 139.

36 Da PRATO-PERELLI Antoinette. Relations existant au début de la colonisation espagnole entre les populations caribes des Petites Antilles et celles du Venezuela. Comptes rendus des commu-nications du XIXème Congrès International d’Etudes des Civilisations Précolombiennes des Petites Antilles. Santo Domingo 1981. Centre de Recherches Caraïbes, Université de Montréal 1983 : 459-483.

l’incident du 13 janvier 1493 entre les espagnols et des hommes armés d’arcs et de flèches. L’examen de la relation des faits qui se sont produits avant l’affrontement du 13 janvier, puis ce qui s’est passé les jours suivants, révèle de riches informations pour identifier ceux que l’on nommait les « Ciguayos ». Il est certain que l’arc était connu comme arme aux Grandes Antilles, à une nuance près : Les utilisateurs de ces arcs n’étaient peut être pas des tainos à part entière mais ils appartiendraient plutôt à de nouvelles unités sociales.

Du 12 au 16 janvier 1493 au Golfe des FlèchesLe samedi 12 janvier. Colomb navigue le long des côtes d’Hispaniola vers l’est. Il finit par trouver un bon port où s’arrêter. Ce golfe, « se formait comme une très grande baie de trois lieus de  largeur, ayant en son milieu un tout petit  îlot  ;  Il jeta  l’ancre, puis  il envoya la barque à terre pour faire de l’eau et voir s’ils pouvaient prendre langue, mais les gens s’enfuirent tous… » (Œuvres complètes 1992 : 168, Dunn et Kelley 1989 : 326). On situe généralement dans le Golfe de Samana, l’incident qui s’est produit avec des Indiens armés d’arcs. Selon Bernardo Vega, le Golfe de Samana n’est pas le Golfe des Flèches. Au terme d’une étude fouillée37, il a conclut de façon convaincante que le lieu où s’est déroulé l’escarmouche, serait la plage de la Baie de Rincon. Cette baie se trouve entre le Cap de l’Enamorado, aujourd’hui Cap Cabron, et le Cap Samana qui marque l’entrée nord-est du golfe du même nom (Vega 1992 : 7). Dimanche 13 janvier, faute d’un vent favorable, l’Amiral ne peut mettre à la voile comme il en a l’intention. Confiant dans la force de ses armes, face à des propulseurs et des sagaies qu’il s’attend à trouver, l’Amiral «  envoya la barque à terre sur une belle plage afin que les marins  y  récoltassent  des  ajes38  pour  le  repas  », (Œuvres complètes1992 : 168, Dunn et Kelley 1989 : 328). Une surprise les attend : « ils trouvèrent quelques hommes avec des arcs et des  flèches,  avec  lesquels  ils  s’attardèrent  pour  parler  et auxquels ils achetèrent deux arcs et beaucoup de flèches, puis ils prièrent l’un d’entre eux de venir parler à l’Amiral sur  la caravelle et  il vint. L’Amiral dit qu’il était bien plus laid  dans  ses  traits  que  les  autres  qu’il  avait  pu  voir  ;  il avait  le  visage  tout  noirci  de  charbon,  bien  que  partout ils eussent coutume de se teindre de diverses couleurs ; il portait  les cheveux très longs, mais ramassés et attachés par- derrière et placés ensuite dans une résille en plumes de perroquets. ». (Œuvres complètes 1992 : 168, Dunn et Kelley 1989 : 328). Pour la seconde fois les Espagnols rencontrent des hommes armés d’arcs et de flèches. Ils en avaient vus le 26 décembre. C’étaient les gardiens de ce qui avait été retiré de la cargaison dans l’épave de la Santa Maria. Confrontés sur la plage à ces Indiens armés d’arcs, « ils  s’attardèrent  pour  parler ».

37 VEGA Bernardo. La verdadera ubicación del Golfo de las Flechas, Fundación Cultural Dominicana, Inc. Santo Domino 1992

38 HENRIQUEZ UREÑA Pedro. El aje, un enigma desciferado. Museo del Hombre Dominicano 1978 : 91-114.

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Fernand Colomb a donné une description de ces arcs et de leurs flèches. Il écrit : « Leurs arcs eftoient d’If grands comme les noftres, & leurs fléches, de petits rejetons de Canes, elles ont deux pieds & demy de long, & au bout vne arefte, ou vne dent de Poiffon empoifonnée » (Fernand Colomb : M. DC. I XXXI : 149)39. Le leader du groupe est forcément celui qui est le plus orné, le plus imposant, « le plus laid » aux yeux des Espagnols. L’Amiral, face à l’Indien monté à son bord pense, qu’il s’agit d’un caribe. Il l’interroge sur eux. L’indien lui montre une île vers l’est. L’amiral l’avait vue en entrant dans la baie. L’indien lui précise qu’il y a là, beaucoup d’or40. L’Amiral ne comprend toujours pas grand-chose de ce que le chef des guerriers lui raconte. « De l’île Matinino », poursuit Colomb, « cet  indien  dit  qu’elle  était entièrement peuplée de femmes sans hommes et qu’il y a beaucoup de tuob… il parla également de l’île de Goanin, où il y avait beaucoup de tuob » (Œuvres complètes 1992 : 169 Dunn et Kelley 1989 : 330). Des mots ou des expressions qu’entend l’Amiral ont un rapport avec l’or, mais le sens qu’il leur donne est très éloigné de leur véritable signification. L’île « Goanin » est l’île mythique d’où est revenu Guahayona, le séducteur des femmes de la grotte Cacibajagua. (Pané 1571 Chap. V et VI). Le mot « Tuob » on l‘a vu, est l’altération d’un des noms du cacique Behechio « Tureiga  Hobin ». « Noçay  » (Noukaï), désigne simplement un lieu, les Lucayes, où pour la première fois Colomb a rencontré des tainos et vu leurs parures d’or. L’amiral raconte encore, que partout où il était passé, les gens avaient très peur de Carib, « que dans certaines on appelait Caniba, mais Carib dans l’île espagnole  ; que ce doivent être des gens audacieux, car  ils  vont  à  travers  toutes  ces  îles  et  mangent  les  gens qu’ils  peuvent  attraper  ;  il  comprenait,  dit-il  quelques mots  et  de  ceux-ci  il  déduisit  bien  d’autres  choses » (Œuvres complètes1992 : 169, Dunn et Kelley 1989 : 330). « Les Indiens qu’il amenait avec lui en comprenaient davantage, quoiqu’il trouvât une différence entre ces langues » (Œuvres complètes1992 : 169, Dunn et Kelley 1989 : 330). Les Indiens qui servent de traducteurs, sont trois jeunes gens et deux jeunes filles embarqués de force à Cuba le 11 janvier 1493. Ils comprennent ce que disent les indiens armés d’arcs, quoiqu’ils ne parlent pas tout à fait la même langue, remarque Colomb. La suite du récit nous apprend, qu’il « fit  donner  à  manger  à  cet  Indien ». Puis, au vu des parures d’or de l’Indien, « il  le  fit  renvoyer  à  terre et  lui dit d’apporter de  l’or s’il en avait,  ce qu’il  croyait à certaines  petites  choses  que  celui-ci  portait  et  lui  donna des morceaux de drap vert et rouge et des perles de verre dont ces gens sont très amateurs » (Œuvres complètes1992 : 169, Dunn et Kelley 1989 : 330). Colomb attend qu’il revienne le lendemain avec de l’or.

39 COLOMB Fernand. La vie de Cristofle COLOMB et la découverte qu’il a faite des Indes Occidentales , vulgairement appelées le Nouveau Monde, Compofée par Fernand Colomb fon Fils & traduite en François. A Paris chez Claude Barbin, M.DC. I XXXI (1681).

40 Il s’agit de Borinken, Porto Rico, un des lieux traditionnels d’échanges entre Tainos et Callinas, en particulier pour les parures d’or.

La rupture des négociationsLe chef des Indiens a été reconduit à terre. « Dès que la barque arriva  à  terre,  il  y  avait  bien  cinquante-cinq  hommes  nus derrière les arbres, les cheveux très longs, tout comme les femmes les portent en Castille ; derrière la tête ils portaient des panaches en plumes de perroquets et d’autres oiseaux et chacun d’eux avait son arc. L’indien descendit à terre et obtint  que  les  autres  abandonnassent  leurs  arcs  et  leurs flèches ainsi qu’un morceau de bois qui est comme un**** (mot  manque)  très  lourd  qu’ils  portent  en  lieu  d’épée41  » (Œuvres complètes 1992 : 170. Dunn et Kelley 1989 : 332). Ils sont nus, leurs visages sont peints en noir. Ils ont les « cheveux très longs, ramassés et attachés par-derrière et placés ensuite dans une résille en plumes de perroquets » (Las Casas, Tome I. 2002 : 474). En plus de leurs arcs, précise Las Casas, ils étaient armés « d’une épée de bois de palmier, qui est très dure et lourde,  et  avait  la  forme  suivante,  non  pas  pointue  mais arrondie, de près de deux doigts sur toute  la  largueur… » (Las Casas Tome I. 2002 : 475). Les traducteurs de l’Historia de las Indias, signalent en note de bas de page ; « Il y a là un dessin dans  le  manuscrit  original ». Les Tainos n’utilisaient pas habituellement l’arc et nulle part ailleurs, hors mis à Cuba42, il n’a été fait mention de l’existence de « macana43 » (Las Casas Tome I. 2002 : 597).Las Casas précise que, « Ces Indiens devaient être ceux que l’on appelait Ciguayos, car tous portaient ainsi les cheveux très longs » (Œuvres complètes 1992 : 169, Dunn et Kelley 1989 : 328) et il croit bon de préciser « ce n’était pas des Caribes car il n’y en a jamais eu à la Hispaniola » (Dunn et Kelley 1989 : 328)44. Il écrit encore en marge de sa transcription du Journal, « c’est sur, il s’agit de ceux que l’on appelle Ciguayos qui vivent dans la sierra et la côte du nord d’Hispaniola presque de Puerto de Plata jusqu’à Higuay compris »45 (Œuvres complètes 1992 : 170, Dunn et Kelley 1989 : 332).

41 En marge du Journal à la date du 13 janvier Folio 56 r, Las Casas donne une précision importante : « este es del árbol…durissimo hecho a manera de una paleta de hierro q hazen para freyr uuevos q pescado grade … de quatro palmos voto por todas partes llamanle macana » (DUNN et KELLEY 1989 : 332). Macana est le mot tupi pour désigner la massue de guerre comparable à celle que les Callinas employaient sous le nom de « boutou » (BRETON CF 1665 : 94).

42 Las Casas rapporte la surprise d’un marin descendu à terre à Cuba le 3 juin 1493 pour chasser qui tombe « nez à nez avec environ trente hommes armés de lances et de flèches, et d’une sorte d’épée, dont l’extrémité est en forme de pelle, et qui se rétrécit entre  l’extrémité et  la poignée ;  les extrémités n’en sont pas pointues, mais plates  ; elles sont de palmier, car  les palmiers n’ont pas  les feuilles comme celles d’ici, mais sont lisses ou plates, et elles sont si dures et si  lourdes, qu’elles ne pourraient  l’être davantage, ou  tout  juste, si elles étaient d’os ou d’acier : Ils les appellent « macanas ». Las Casas poursuit son récit en rapportant un fait qui laisse penser qu’il ne s’agirait pas de Caribes, mais de gens venus des côtes d’Amérique centrale. Il ajoute, « Ce marin disait qu’il avait vu parmi eux un Indien vêtu d’une tunique blanche qui le couvrait jusqu’aux pieds » (Las Casas Tome I. 2002 : 597).

43 On peut noter que le mot macana n’appartient ni à la langue des Tainos ni à celle des Caribes. Marthyr d’ANGHIERA, mentionne les macanas comme massue de guerre des indiens du Darien, le Venezuela actuel (GAFFAREL 1907 : 163).

44 “ no era caribes ni los ovo en la española jamás ”.

45 “ Estos cierto era os que se llamaya Ciguayos en las sierras y costa del norte dla española desde quasi puerto de plata hasta Higuay inclusive ” Le cacicat de Cotubano s’étendait sur la province de Higüey. Les gens de Higüey connaissaient l’arc

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Les Espagnols ne semblent pas réaliser l’ambiance tendue. « Ils (Les Indiens)  s’approchèrent  ensuite  de  la  barque  dont  les hommes  descendirent  à  terre  et  se  mirent  à  leur  acheter leurs  arcs,  leurs  flèches  et  leurs  autres  armes,  parce  que l’Amiral  l’avait  ainsi  ordonné » (Œuvres complètes 1992 : 170, Dunn et Kelley 1989 : 332). Il s’agit de désarmer les Indiens, comme Colomb l’a toujours fait jusqu’alors. Ceux-ci mettent un terme imprévu aux négociations : « Ayant  vendu  leurs  arcs, ils  ne  voulurent  point  donner  davantage.  Au  contraire s’apprêtèrent à attaquer les Chrétiens et à s’emparer d’eux. Ils allèrent en courant prendre leurs arcs et leurs flèches où ils les avaient rangés et revinrent avec des cordes dans les mains  pour,  dit  l’Amiral,  attacher  les  Chrétiens46 » (Œuvres complètes 1992 : 170 Dunn et Kelley 1989 : 332). Les cheveux longs des Indiens, leur bonnet en plumes de perroquets, leurs peintures corporelles noires au suc de fruit de génipa, leur armement et leur détermination à vouloir amener leurs prisonniers vivants, sont autant d’indices pour donner un autre nom à ces Ciguayos.

L’incident guerrierA un moment, les Indiens prennent l’initiative de déclencher les hostilités. L’affrontement avec ces hommes armés qui veulent capturer des Espagnols et les attacher avec des cordes, se solde par la grave blessure de l’un des assaillants et la mort probable d’un autre, percé d’une flèche en pleine poitrine. Colomb déduit de l’incident que ces hommes armés devaient provenir de l’île « Carib » et que s’ils n’étaient pas des caribes, « ils  doivent au  moins  être  leurs  voisins,  avoir  les  même  coutumes  et être des gens sans peur, non comme ceux des autres  îles qui sont couards et sans armes de façon déraisonnable » (Œuvres complètes 1992 : 170 Dunn et Kelley 1989 : 334). L’Amiral aurait bien aimé capturer la nuit même, quelques-uns de ces « caribes ». Il diffère son projet à cause « d’un fort vent d’est et de nord-est et de la forte houle de la mer ». Le jour levé, de nombreux indiens sont rassemblés sur le rivage. L’amiral envoie la barque à terre avec des matelots bien armés. Les indiens se rapprochèrent tous de la poupe47 de la barque. A leur tête se trouvait l’homme, le leader du groupe des gens armés d’arcs, celui-là même qui la veille était monté à bord de la caravelle de l’Amiral. C’est à lui que Colomb « avait  donné  de  ces  menus  objets prévus pour le troc » (Œuvres complètes 1992 : 171). Cet homme, rapporte Colomb,  venait avec « un  roi  lequel  avait  donné  au susdit Indien quelques perles de verre afin qu’il les donnât au gens de la barque en signe de garantie de paix » (id). 

46 Le même scénario se reproduit en août 1494 dans la partie est d’Hispaniola. Des Es-pagnols tombent sur des Indiens « armés d’arcs et de flèches empoisonnées par une sorte d’herbe vénéneuse ; ils avaient aussi des cordes pour les attacher… » (Las Casas 2002 Tome I : 607).

47 Je ne vois qu’une explication au fait que l’Amiral rapporte que les indiens se rappro-chent de la poupe qui est l’arrière de la barque, plutôt que de la proue qui est l’avant. Peut-être y avait-il encore de la houle ce qui expliquerait que les marins aient retournés immédiatement la barque vers le large, dès qu’ils ont eu pied, pour s’enfuir plus rapide-ment en cas de danger, vu l’affrontement de la veille avec ces mêmes indiens.

Le cacique48, a donc redonné, les perles de verre que Colomb avait offert la veille de l’affrontement, au chef des assaillants des Espagnols monté à bord. Comme s’il ne s’était produit aucun incident, le cacique, le chef des guerriers armés d’arcs et deux de ses hommes, montent à bord de la barque et rejoignent le navire de Colomb. L’Amiral leur donne à manger du biscuit et du miel49. Il offre encore comme présents, « au roi, un bonnet rouge, des perles de verre et un morceau de drap rouge, et aux autres également des morceaux de drap » (Œuvres complètes 1992 : 171). En contrepartie de ce qu’il a reçu le cacique indique à Colomb que le lendemain il lui apporterait « un masque d’or, affirmant qu’il y avait beaucoup de ce métal, aussi bien à Carib qu’à Matinino » (Œuvres complètes 1992 : 171).

Le 15 janvier des Ciguayos ou des Caribes ?L’amiral qui souhaite s’embarquer le plus tôt possible relate, selon ses informateurs, « que tout le gros de l’or se trouvait dans la région de la ville de la Navidad » et « que dans l’île de Carib, il y a beaucoup de cuivre, ainsi qu’à Matinino ». Mais, souligne Colomb, « il sera difficile de l’obtenir à Carib, parce que les gens d’ici disent que l’on y mange de la chair humaine » (Colomb Œuvres 1992 : 172). On note une nouvelle fois, la relation que Colomb croit pouvoir établir entre une île Carib, l’or, et les cannibales. Le cacique qui a promis un masque d’or à Colomb, ne vient pas en personne au rendez-vous convenu. Il fait avancer comme excuse que son village est trop éloigné. Les hommes qu’il a délégués, apportent aux Espagnols, « sa couronne d’or, comme il  l’avait  promis,  et  d’autres  hommes  étaient  venus  en nombre avec du coton, du pain, et des ajes, tous avec leurs arcs et leurs flèches » (Œuvres complètes 1992 : 172 Dunn et Kelley 1989 : 338). Après qu’ils eurent procédé au troc, quatre jeunes gens montent de leur plein gré à bord. Colomb a déjà pris de force le 10 janvier, « 4 hommes et deux jeunes filles » (Dunn et Kelley 1989 : 322)50. Ce sont donc neuf Indiens qu’il emmène avec lui vers l’Espagne. Parmi ceux-ci, il y a ceux d’Hispaniola qui semblent bien connaître les îles situées vers à l’est. S’agirait-il de Porto Rico, de Sainte Croix ou au-delà de celles des Petites Antilles ? On est donc confronté à deux hypothèses sur l’identification de ces guerriers qui connaissent les îles à l’est et qui font partie des assaillants des Espagnols. S’agit-il de « Ciguayos », ou de « Caribes » ?

Les fondements d’un choixPour choisir entre ces deux alternatives, je m’appuierai sur les chroniqueurs français qui ont décrit les Caraïbes. L’habillement

48 Colomb mentionne pour la première fois le mot cacique avec le sens de roi dans son Journal à la date du 18 octobre.

49 Colomb a certainement remarqué l’intérêt que les indiens portent au miel. Le mythe de Faragunaol, Baraguabael, est leur mythe d’origine du miel des abeilles Mélipona. A plusieurs reprises au cours de son périple Colomb avait offert du miel aux personnages importants qu’il avait rencontré.

50 L’édition des œuvres complètes de Colomb établie et présentée par Consuelo Varela et Juan Gil, traduites par Jean Pierre Clément et Jean Michel Saint-Lu, contient une erreur. Le texte original de las Casas dit qu’il s’agit de «quatro hobres yndios y dos moças ».

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des Caraïbes, leurs parures, leurs armes, en particulier lors des expéditions de guerre, leur façon de capturer leurs ennemis, sont autant d’indices pour les différencier des Tainos et tenter de savoir qui sont réellement ces Ciguayos. Le terme signifie selon Las Casas, « ceux-qui-ont-les-cheveux-longs ». Pourtant ce n’est pas seulement entre l‘île Carib et des guerriers anthropophages qu’il existe un lien. Marthyr de Angléria rapporte que le Cacique Guarionex voulant se protéger des exactions d’un mercenaire, Ximénès Roldan, s’était enfui avec sa famille dans les montages ciguayos, « qui  à  dix  lieux  seulement  à  l’ouest  d’Isabella, bordent  la  côte  septentrionale » (Marthyr. Première Décade, livre V. Gaffarel 1907 : 78). Marthyr poursuit, « Ces montagnes et  les  habitants  de  ces  montagnes  portent  le  même nom,  ciguaia ». Marthyr de Angléria relate encore que « le cacique,  chef  souverain  des  caciques  de  la  montagne, s’appelle  Maiobanexios  (Mayobanex) », et « Les  naturels sont  féroces, belliqueux  ; on croit qu’ils sont de  la même race  que  les  Cannibales.  Toutes  les  fois,  en  effet,  qu’ils descendent de leurs montagnes dans la plaine pour faire la guerre à leurs voisins, ils dévorent tous ceux qu’ils tuent » (Marthyr. Première Décade, livre V. Gaffarel 1907 : 78). Si l’on en croit Marthyr, ces Ciguayos des montagnes appartiendraient au même groupe que ceux qui ont affronté les Espagnols au Golfe des Flèches. Marthyr livre aussi l’information, qu’en plus de porter les cheveux longs, comme les Caribes, ces guerriers, seraient eux aussi anthropophages comme les Caribes.

Habillement, parures et armes des Caraïbes, Callinas51

L’auteur anonyme de la relation anonyme de Carpentras signale que les sauvages « vont tout nus portant les cheveux derrière la tête longs jusques la ceinture et ceux de devant jusques aux sourcils »52 (Anonyme de Carpentras 1987 : 95). Plus loin dans sa relation, l’Anonyme écrit encore « pour la tête ayant (comme nous avons déjà dit)  leurs cheveux  longs par derrière,  ils en font une grosse tresse, le bout de laquelle ayant fort lié avec un beau coton  teint en  rouge, au bout duquel  il  y a un grain de cristal.et un gros floquet qu’ils font pendre sur le dos, et deux doigts au-dessus d’icelui ils y mettent cinq ou six plumes d’un certain oiseau  (qui n’en porte qu’une semblable  tous  les  ans,  lequel  mue  en  certaine  saison53), et sont longues d’environ un pied et fort étroites et très blanches, et les accommodent en forme d’aigrette. Après, tout le reste de la tête (des hommes) est couvert de plumes de perroquet, toutes d’une parure qui sont fichées dans les cheveux… » (Anonyme de Carpentras 1987 : 139). « Pour n’être

51 L’édition des œuvres complètes de Colomb établie et présentée par Consuelo Varela et Juan Gil, traduites par Jean Pierre Clément et Jean Michel Saint-Lu, contient une erreur. Le texte original de las Casas dit qu’il s’agit de «quatro hobres yndios y dos moças ».

52 Un flibustier français dans la mer des Antilles en 1618/1620. Manuscrit inédit du début du XVII° siècle publié par Jean Pierre MOREAU. Editions Jean-Pierre Moreau, 56 rue Em-manuel-Sarty, 92140 Clamart 1987 Anonyme de Carpentras.

53 Il s’agit de l’oiseau nommé paille en queue, de la famille des Phaëtonidés, de l’ordre des Procellariiformes, peut être le Phaëton lepturus catesbyi.

incommodé de leurs cheveux qui sont fort longs, ils les retroussent derrière la tête en forme d’un petit cornichon », écrit l’Anonyme de Carpentras (A de C 1987 : 180). De Laborde raconte « qu’ils ont les cheveux extrêmement noirs & longs qu’ils font peigner & huiler souvent, ils les coupent sur le front en forme de garcette, &en laissent deux petits aux deux côtés des tempes ; tout le reste ils les retirent et les ajustent fort proprement avec de longues aiguillettes de coton, au bout desquelles il y a de petites houppes, des dés à coudre de cristal ou autres bagatelles : Ils entourent cette touffe de cheveux de coton bien poli, & y fichent des plumes de perroquets et en haut une grande rouge de la queue d’un ara54 » (De Laborde 1684 : 30)55. Du Tertre rapporte la même coutume : « Ils  ne  portent point de barbe, mais se l’arrachent poil à poil, comme j’ay desià dit[  ]. Ils portent tous les cheveux longs comme les femmes  de  l’Europe,  &  en  laissent  pendre  une  partie  sur le front, qu’ils coupent en forme de garsette, & aussi deux moustaches aux deux costez des tempes : tout le reste, ils le tirent derrière,  le peignent,& l’ajustent fort proprement auec des éguillettes de coton, au bout desquelles il y a de petites  houppes,  des  Dez  à  coudre,  du  Cristal,  de  petites patenotres  blanches,  &  autres  semblables  bagatelles.  Ils fichent dans cette trousse de cheveux des plumes de toutes couleurs,  &  quelquefois  s’en  font  des  couronnes  autour de la teste »56 (Du Tertre Tome II 1958 : 369). Quand ils vont à la guerre57 ils amènent avec eux des femmes pour leur préparer à manger mais surtout pour les peigner ; « car il en va à la guerre expressément  pour  peigner  et  peindre  les  hommes » (Anonyme de Carpentras 1987 : 181). L’Anonyme révèle aussi qu’à l’occasion du lancement d’une pirogue de guerre, il se déroule un simulacre de combat et de tentatives de captures d’ennemis. « D’autres  sortent  d’icelui  et  courent  après  ceux  ce  terre, qui feignent de s’enfuir et, s’attrapés l’un l’autre, se luttent d’une telle raideur et force que se jetant tous deux par terre, l’un  dessus  l’autre,  donnent  un  coup  si  rude  contre  terre qu’on dirait qu’ils sont tous brisés […] et pendant que ceux-là luttent, il en vient d’autres tant d’une part que d’autre, au  secours,  pour  tâcher  chacun  d’en  emmener  quelqu’un prisonnier, et puis les emmènent quelquefois » (Anonyme de Carpentras 1987 : 181). Du Tertre raconte encore qu’après après s’être faits peindre entièrement le corps au roucou par leur femme, « Plusieurs adjoutent  pour  réhausser  cette  couleur,  de  grandes moustaches noires recoquillées, & et des cernes de mesme couleur autour des yeux, quelquefois  ils se barïolent  tout le  corps  de  rayes  noires  ;  de  sorte  qu’ils  sont  aussi  laids 

54 Les grandes plumes rouges de la queue de cet ara, sont celle d’un Ara macao, espèce continentale répartie du Costa Rica au Brésil.

55 de LA BORDE, Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l’Amérique…Paris 1684. L’Ara rouge, espèce d’oiseau qui n’existait pas aux Petites Antilles, constituait de toute évidence un bien d’échanges entre tribus continentales et Caraïbes insulaires.

56 Du TERTRE J. B. Histoire générale des Antilles. Réédition exécutée d’après l’édition de 1667-1671 aux frais de la société d’histoire de la Martinique. 4 Tomes. Edition CEP Fort de France 1958.

57 « Guerre, lihuetoucouli, f. làincoa », « Allons à la guerre, caïman huétoucounoubouic kê-chene » (BRETON FC : 197) « faire la guerre, nétoucoüicoüa, f. càincoüa » (id.).

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&  horribles,  qu’ils  s’imaginent  estre  beaux » (Du Tertre 1958 : 368). Enfin, du Tertre écrit que, « L’ornement duquel ils font plus de cas sont  le Caracoli, ou Coulloucouli, qui sôt certaines lames d’un métail, qui est une sorte d’or de bas aloy, […] &qu’il n’y a que les Capitaines ou leurs enfants qui en portent »[…] « Ces Caracolis sont très rares parmy eux, & ils les apportent de la terre ferme » (Du Tertre Tome II 1958 : 370). Rochefort dans son, Histoire  morale  des  Iles  Antilles, publiée à Rotterdam en 1658, rapporte lui aussi que les Caraïbes portent les cheveux très longs, « hommes & femmes tressent leurs cheveux par derrière, & les font aboutir en une petite corne qu’ils se mettent au milieu de la tête » (Rochefort 1658 : 334) et écrit-il, les jours de fêtes, « ils ornent le sommet de leur tête 

d’un petit chapeau tissu de plumes d’oiseaux de différentes couleurs…  » (Rochefort 1658 : 389). L’Anonyme de Carpentras livre lui aussi une information importante sur leur façon de faire prisonnier leurs ennemis, « Vrai qu’ils ne tâchent point à tuer, s’ils  n’y  sont  contraints  pour  sauver  leurs  vies,  car  leur honneur et profit est de prendre leurs ennemis en vie pour les manger en solennité comme nous le dirons ci-après » (Anonyme de Carpentras 1987 : 186). Rochefort confirme cette façon de prendre des captifs « si  les Antillois peuvent avoir en vie quelqu’un de leurs ennemis, ils le lient & l’emmènent captif en  leur  îles[…]  et  ils  emmènent  bien  garrotté  les  pauvres Aroüagues qu’ils ont pris en vie ». (Rochefort 1658 : 475, 476). Le père Labat qui publie en 1742 son Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique58, indique lui aussi que les hommes « ont  tous  les cheveux noirs, plats longs et luisants » (Labat Chapitre V Tome I : 1742 : 255). Avant ce chroniqueur, Chanca avait rapporté qu’après avoir quitté la Guadeloupe le 10 novembre 1493 pour remonter vers Hispaniola, il s’était produit un incident avec des Indiens près des côtes de Sainte Croix. Il fournit une indication intéressante sur les différences de coiffure entre ceux que les Espagnols veulent capturer et qui se défendent à coup de flèches, et les Indiens des Grandes Antilles. « La  différence  qui  existe  entre  les  autres Indiens59 et ceux de caribe, consiste en ce que ces derniers portent les cheveux très longs, tandis que les autres sont rasés d’une manière très particulière, et qu’ils se font sur leur tête des croix et d’autres dessins, chacun comme il lui plait, ce qu’ils exécutent avec des roseaux affilés »60. Chanca livre une autre information sur les peintures faciales des Caribes. Il écrit, « Les Caribes dont nous nous saisîmes avaient  les yeux et  les cils barbouillés de noir,  ce qu’ils  font,  je crois par ornement, et ce qui les rend encore plus effroyables. » (Chanca in Navarrete 1828 Tome II : 421). Les peintures faciales des Caribes vues par Chanca, leurs cheveux longs, les coiffes en plumes de perroquets, la façon de vouloir attraper vivants des prisonniers, rappellent l’allure générale et l’attitude des assaillants des Espagnols au Golfe des Flèches.

Les arcs des Callinas Les descriptions des arcs des Callinas sont peu nombreuses. Breton ne s’appesantit pas sur les arcs et les flèches dans sa relation de l’île de la Guadeloupe. « Leur arc sont de bois de Brésil qui est  fort  roide  », ce qui confirme ce qu’écrivait l’Anonyme de Carpentras quinze ans avant Breton, « Leur corde sont de pite. Leur  flesches  sont  faite  de  certains  tuyaux  sans  aucun nœud, qui croissent à la teste des roseaux61 et portent un 

58 LABAT J.B. Nouveau voyage aux Isle de l’Amérique… A Paris 1742.

59 Il s’agit de ceux que Colomb a rencontrés lors de son précédent voyage de découverte.

60 CHANCA. Second Voyage de Colomb.

61 Ce roseau dont les hampes florales servaient à faire des flèches, pousse près des rivières. C’est le Gynérium sagittatum. FOURNET Jacques, Flore des phanérogames de Guade-loupe et de Martinique. INRA 1978 : 107.

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pennache. Cela est fort léger ; au bout ils mettent une verge de bois vert ou autre bois bien dur, et y  font des hoches, comme  des  scies,  mais  plus  grande  afin  qu’on  ne  puisse retirer  la  flesche  sans  couper  la  chair  autour  et  accroître la playe. Ils y mettent aussy des queuës de rayes qui sont épineuses,  rarement  du  fer.  Ils  empoisonnent  les  verges d’un venin si malin qu’à moins d’un très prompt remède, pour petite qu’en soit la playe, on en meurt. Ils empennent leur  flesche  avec  des  plumes  d’aras  ou  autre  »  (Breton 1978 : 77)62. L’auteur du manuscrit anonyme de Saint Vincent écrit vers 170063, indique que l’arc des «  Karaybes    [      ]  a  environ six pieds de long.  Ils cherchent un bois un peu convexe… ils  raclent  et  polissent  ce  bois…  ils  le  font  plus  gros  au milieu  qu’aux  deux  extrémités…  ils  aplatissent  un  peu  le milieu de l’arc pour empêcher la flèche de vaciller, ils y font même  une  petite  cavité  pour  qu’elle  soit  plus  stable…ils garnissent  ou  enveloppent  d’ozier  la  partie  qui  est  entre le milieu et l’extrémité. » (Anonyme de Saint Vincent 1961 : 71). Selon Rochefort, un arc se dit « oullaba » en langue des hommes et « chimala » en langue des femmes (Rochefort 1658 : 524). Il précise que ces deux mots signifient un arbre. Rochefort donne encore, « des flèches, alouäni, bouleouä, hippé » (Rochefort 1658 : 524). Le dictionnaire français-caraïbe de Breton donne « arc à  flèche, oullaba,  f.  chimala  »  (Breton 1666 : 24). L’Anonyme avait écrit à propos des arcs, que les Callinas en fabriquaient eux-mêmes. De Laborde rapporte lui aussi la même information (de Laborde 1684 : 25). Ils en obtenaient aussi par échange avec des tribus continentales. L’Anonyme écrit, « Lorsqu’ils sont arrivés au pays de leurs ennemis, il y a une certaine nation d’autres sauvages  qu’ils  appellent  frères,  qu’ils  nomment  comme eux « balouy » chez lesquels ils se retirent, et trafiquent des vivres  et  quantité  d’arcs,  qui  sont  faits  d’un  certain  bois marbré qui est fort beau, qui ne se trouve en leur pays »64 (Anonyme de Carpentras 1987 : 186). Mais ce qu’ajoute l’Anonyme, démontre l’étroite imbrication entre les échanges et la guerre. « Lorsqu’ils veulent combattre », écrit-il « (selon que je l’ai oüi dire aux sauvages mêmes, non pour l’avoir vu, ni aucun des  nôtres),  lorsqu’il  a  plu  et  que  chacun  est  retiré  dans leurs cabanes qui sont sur les montagnes, ils se jettent en grand  nombre  dedans  et  prennent  et  emportent  tout  ce qu’ils  peuvent  jusques  aux  femmes  et  petits  enfants  qui viennent de naître et les emportent dans leurs pirogues ». Outre leurs arcs, les Callinas ont un « boutou », c’est « une espèce de massue d’environ  trois pieds et demi de  long, plate,  épaisse  dans  toute  sa  longueur,  de  deux  pouces, excepté à  la poignée où son épaisseur est peu moindre  ; 

62 BRETON Raymond, Relations de l’île de la Guadeloupe. Bibliothèque d’Histoire Antillaise. Tome I. Société d’histoire de la Guadeloupe. Basse-Terre 1978.

63 Description de l’île de Saint Vincent. Manuscrit inédit présenté par le Père Robert PIN-CHON. ANNALES des ANTILLES. Bulletin de la Société d’Histoire de la Martinique. N° 9. 1961 : 35-81.

64 De LA BORDE dans sa relation de 1684, indique aussi que les arcs sont faits de (bois) de Brésil et de palmiste (de Laborde 1684 :28).

elle est large de deux pouces à la poignée, et de quatre à cinq à  l’autre extrémité, d’un bois  très dur,  fort pesant et coupé à vives arêtes. » (Labat Chapitre V Tome I. 1742 : 260).

Les Caribes à Hispaniola selon les chroniqueurs Andres Bernaldez, Curé de la ville de Los Palacios65 indique à propos des Caribes qu’ils «  utilisent  des  arcs  et  des  flèches et  ont  les  cheveux  longs  comme  les  femmes » (Bernaldez 1883 : 115). Plus loin il précise, « Ils se distinguent des autres Indiens  en  ce  qu’ils  portent  les  cheveux  longs  et  que les  autres  les  ont  coupés… » (Bernaldez 1883 : 117). Dans sa « Historia General y Natural de las Indias », Oviedo66 à propos de la guerre que mena le Capitaine Alonso de Hojeda contre le cacique Caonabo, écrit que, « Il est certain que Caonabo et les Ciguayos (c’est ainsi que se nomment les indiens tireurs de flèches de la côte du nord de cette île) adoreraient assaillir la forteresse, la brûler ou la jeter à terre, s’ils le pouvaient »

67 (Oviedo 1959. Tome I : 56). Il est clair que le nom « ciguayo » désigne bien des indiens qui utilisent des arcs et qui fréquentent la côte nord d’Hispaniola. Oviedo admet l’existence de « Caribes » à Hispaniola, quand il relate que, « Caonabo épousa Anacaona sœur du cacique Behechio, et étant un cacique important, il vint dans cette île comme capitaine aventureux »68 (Oviedo 1959. Tome I : 62). Rumeu de Armas, dans ses commentaires sur le Libro copiador69 se référant à l’ouvrage de Ballestros, Cristobal Colon, écrit à propos de ce même Caonabo, cacique de la région de Maguana, « Caonaboa était d’une fierté indomptable, hostile aux envahisseurs quels qu’ils fussent. Ce n’était pas un naturel d’Haïti, mais d’extraction Caribe, ayant été amené à la Hispaniola il y a longtemps avec des colons de cette race. Il vivait dans la Maguana et persécuta ses voisins avec ses incursions et ses guerres » (Rumeu de Armas note 189 Tome I : 133)70. Las Casas avait déjà indiqué qu’Anacaona, sœur du cacique Behechio, avait épousé Caonabo (Las Casas tome I. 2002 : 677). Ses guerriers sont armés d’arcs et de flèches (Las Casas Tome I. 2002 : 675). Oviedo situe les lieux où vivent des « caribes flecheros ». Il écrit: « Ceux-ci vivent dans les îles proches ; Et l’île principale de ces gens fut celle de Borinken (Qui s’appelle Saint Jean maintenant), et les

65 BERNALDEZ Andres, Histoire des Rois Catholiques. Matériaux pour servir à l’histoire de la découverte de l’Amérique et principalement de l’île de Cuba, extraits par Don Fe-lipe Pory, d’un manuscrit déposé à la bibliothèque royale de Madrid, et communiqué à l’institut historique par Monsieur François Lavallée, vice consul de France dans l’île de Cuba. Revue des Etudes Historiques, Volumes 5-6. Société des Etudes Historiques. Tome neu-vième 5° année Paris 1838 .111-135.

66 OVIEDO de, Fernando Historia general y natural de la Indias. Biblioteca de autores espa-ñoles, Tomo CXVII CXVIII, CXIX, CXX, CXXXI, vol. I. Ediciones Atlas. Madrid 1969

67 “ E determinado el Caonabo e los Ciguayos (que así se llamaban los flecheros indios de la costa del Norte de esta isla), adoraron de dar en la fortaleza y quemarla, o ponerla por el suelo, si pudieran ”

68 “ Caonabo caso con Anacaona, hermana del cacique Behechio, e seyendo un caribe principal, se vino a esta isla como capitán aventuroso ”

69 RUMEU DE ARMAS, Libro copiador de Cristóbal Colon, correspondencia inédita con los Re-yes católicos sobre los viajes a América. 2 tomos. Colección Tabula América. Madrid 1989

70 « Caonaboa era de una fienza indoable, hostil a los invasores fuese quien fuese. No era natural de Haití, sino de estirpe carib, habiendo llegado a la Española hacia unos años con pobladores de este raza. Se estableció en la Maguana, y amanazo a sus vecinos con incursiones y guerras ».

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îles proches de celle-ci, comme la Guadeloupe, la Dominique, Matinino, et Cibuqueira (Qui s’appelle aujourd’hui Sainte Croix), ainsi que celles des environs »71. Oviedo poursuit, et explique qu’ils débarquaient avec leurs canots, leurs arcs et leurs flèches et faisaient la guerre aux gens d’Haïti, et remarque-t-il, « Ces Indiens lanceurs de flèches sont plus fougueux et vaillants que ceux de cette île, parce qu’il n’y en avait que dans une partie de l’île seulement, qui se nommait  la province des Ciguayos dans le caciquat de Caonabo ; mais ceux-ci n’empoisonnaient pas leurs flèches et ne savaient pas le faire72 » (Oviedo 1959. Tome I : 63). Oviedo pense que les « Ciguayos » seraient venus, il y a très longtemps, des îles voisines de celles des indiens qui empoisonnent leurs flèches. A cause de l’ancienneté de cette arrivée, ils avaient oublié leur langue et parlaient celle des gens d’Haïti. Ricardo Alegria, à propos des Ciguayos, écrivait en 1977 dans son article, « The study of Aboriginal Peoples. Multiple Ways of Knowing »73, « On n’est pas véritablement si les Caribes ont jamais atteint les Grandes Antilles. Nous avons une description des Ciguayos d’Hispaniola qui nous fait penser aux Caribes parce qu’elle mentionne des cheveux longs, de puissants arcs et des flèches, et d’autres traits, mais les Caribes restent un problème pour l’archéologie antillaise74 » (Wilson 1977 : 18). Je retiens avant tout dans la contribution d’Alegria, les ressemblances entre les Ciguayos et les Caribes qu’il a relevées. Pour le reste, depuis 1977 des gisements archéologiques caribes insulaires ont été identifiés à Saint Vincent principalement (Cayo, Argyle), à la Grenade (Telescope Point, et La Poterie) en Guadeloupe (Roseau), à la Désirade (Morne Cybèle, le Souffleur), à Marie- Galante (Anse Coq) et à la Dominique. Le matériel de ces sites correspond à la série dite cayoïde, en référence au site caribe de Cayo à Saint Vincent. Il est établi que les Caribes allaient souvent aux Grandes Antilles, juste avant la Découverte, au XVI° siècle75 (Huerga Alvaro 2006) et même jusqu’au début du XVII° siècle. Le manuscrit de la relation de Perez de Oliva, « Historia de la Inuencion de las Yndias », a été écrit vers 1523. C’est une brève compilation de divers auteurs, dont, l’ouvrage « La Vie de l’Amiral », de Fernand Colomb. Perez de Oliva en a extrait des passages de la Relation de Ramon Pané. Une version du manuscrit datée autour de 1583, est conservée dans les collections de l’Université de Yale. Ce manuscrit n’évoque pas les Ciguayos.

71 « Estos viven en las islas comarcanas ; y la principal isla desta gente fué la isla de Boriquen (que agora se llama Sanct Juan), e las otras cercanas della, así como Guadalupe, la Dominica, Matinino, y Cibuqueira (que agora se dice Sancta Cruz), e las de aquel paraje ».

72 « Son aquellos flecheros mas denodados e valientes que los desta isla, porque solamente había en ella flecheros en una parte sola, o provincia, que se dice de los Ciguayos, en el señorío de Caonabo; mas no tiraban con hierba ni la sabían hacer »

73 WILSON, Samuel M. Editor. The Indigenous People of the Caribbean. University Press of Florida. Florida Museum of Natural History. Ripley P. Bullen series. 1977.

74 « We don’t know for certain if the Caribs ever reached the Greater Antilles. We have a description of the Ciguayos from Hispaniola that reminds us of the Caribs because it mentions long hair, powerful bows and arrows, and other traits, but the Caribs remain a problem in West Indian archaeology »

75 HUERGA Álvaro. Ataques de los Caribes a Puerto Rico en el siglo XVI. Historia documen-tal de Puerto Rico Tomo XVI. San Juan. Academia Puertorriqueña de la Historia. Centro de Estudias Avanzados de Puerto Rico y del Caribe. Fundación Puertorriqueña de la Hu-manidades. 2006.

Oliva mentionne l’usage de l’arc chez les Tainos76. José Arrom conteste immédiatement cette assertion dans ses commentaires sur la relation. Il s’agit, écrit-il, d’une « évidente confusion avec les Caribes. Les Tainos n’utilisaient pas l’arc et n’envenimaient pas leurs flèches » (Pérez de Oliva 1965: 48, note 25)77. William F. Keagan dans son article « No man [or Woman] is an Island. Elements of Taino Social Organization »,78 considérant les lignages des divers groupes ethniques d’Hispaniola, évoque ceux des Tainos, des Macorix79 et des Ciguayos. (Wilson 2006 :116). Arnold R Highfield dans son article « Some observations on the Taino Language » (Wilson 2006 : 155), paru dans « The Indigenous people of the Caribbean », s’interroge sur l’origine des Ciguayos, qu’il estime être les représentants d’un groupe distinct des Tainos. Comme d’autres auteurs, il estime que ces Ciguayos seraient, peut-être, les descendants des groupes de chasseurs collecteurs, premiers habitants de l’île. D. J. R. Walker, dans son « Columbus and the Golden World of the Islands Arawaks », estime que les indiens agressifs peints en noir qu’avait rencontré Colomb au Golfe des Flèches, appartenait à un rameau de la famille Arawak insulaire et parlaient un langage légèrement différent du taino. On les connaît, écrit-il, sous le nom de « Ciguayos »80 (Walker 1992 : 150). Ricardo Alegria, à propos des Ciguayos écrivait en 1977 dans son article, « The study of Aboriginal Peoples. Multiple Ways of Knowing »81, « Nous ne sommes pas certains que les Caribes aient jamais atteints les Grandes Antilles. Nous avons une description des Ciguayos d’Hispaniola qui nous rappelle  les Caribes parce qu’elle mentionne des cheveux longs, des arcs puissants et des flèches, et d’autres traits, mais  les  Caribes  restent  un  problème  dans  l’archéologie des Antilles »82 (Wilson 1977 : 18). Je retiens avant tout dans la contribution d’Alegria, les ressemblances entre les Ciguayos et les Caribes qu’il a relevé. Bernardo Vega dans son étude sur les caciquats d’Hispaniola83, a estimé que les Indiens rencontrés par Colomb ce jour-là devaient être des caribes (Vega, 1980 : 63). Cet auteur fait une distinction entre les Ciguayos et les Caribes. Il estime que les « Ciguayos », occupaient une zone située sur la côte et à l’intérieur au nord-est d’Hispaniola. Selon lui, il s’agirait de la région de Sosua (Vega 1980 : 56). La lecture des Décades de Martyr d’Anghiera aux passages qui concernent les guerriers

76 PEREZ DE OLIVA, Hernán, Historia de la Invención de las Yndias. Estudio, Edición y Notas de José Juan Arrom. Publicaciones del Instituto Caro y Cuervo. Bogotá 1965.

77 “Evidente confusión con los Caribes. Los Tainos ni eran flecheros ni envenenaban sus armas”.

78 In Samuel M. WILSON. Op. cit. 2006: 111-117.

79 ESCOTO José Augusto Los Indios Macurijes en Haití y Cuba. Contribución al estudio etnográfico de las Antillas. Matanzas. Imprenta de Ricardo L. Betancourt. 1924.

80 WALKER D. J. R. Columbus and the Golden World of the Island Arawaks. The story of the First Americans and their Caribbean environment. Ian Randle Publishers. Kingston, Jamaica. 1992.

81 WILSON Samuel M., Editor. The Indigenous People of the Caribbean. University Press of Florida. Florida Museum of Natural History. Ripley P. Bullen series. 1977.

82 “We don’t know for certain if the Caribs ever reached the Greater Antilles. We have a description of the Ciguayos from Hispaniola that reminds us of the Caribs because it mentions long hair, powerful bows and arrows, and other traits, but the Caribs remain a problem in West Indian archaeology”

83 VEGA Bernardo. Los cacicazgos de la Hispaniola. Ediciones Museo del Hombre domini-cano. Santo Domingo 1980.

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belliqueux armés d’arcs, laisse penser que les « Ciguanos  », comme il l’écrit, étaient des caribes. L’armement de ces indiens, leur accoutrement et leur façon de combattre sont autant d’indices prouvant que Colomb, comme lui-même l’avait estimé, avait bien rencontré des Canibas, des Caribes

Une conclusion. Les Ciguayos n’existent pasJ’estime pour ma part, que le nom « Ciguayo », ne correspond pas à celui d’un groupe particulier, d’un lignage taino ou d’une tribu non taino. C’est dans le cadre des relations d’échanges et des 84 alliances qu’établissaient les Tainos et les Callinas qu’il faut situer et identifier ces Ciguayos. On sait que toutes les sociétés ont inventé depuis toujours, des noms xénophobes ou discriminatoires pour désigner des groupes qu’ils colonisaient ou des individus différents d’eux. La désignation par des termes injurieux ou méprisants d’un groupe étranger, différent de celui auquel on appartient, a été souvent relevée. Les Callinas, que les Français avaient nommé « Caraïbes » n’appréciaient pas ce nom. J. Petitjean Roget citant le Père Breton, indique que, « Les  dénommés  Caraïbes  se  vengeaient  de leur sobriquet (Caraïbe) en désignant  les européens sous le vocable de « ouacalla » signifiant aigrette blanche84 et ils les dénommaient aussi « etoutounoubi » (Breton 1664 : 223) c’est-à-dire « ennemis contrefaits »85. Le nom Ciguayo, qui désigne les Indiens agressifs qui se sont opposés aux Espagnols le 13 janvier 1493 sur une plage du nord-est d’Hispaniola, était un sobriquet taino pour désigner des caribes intégrés à quelques unes de leurs communautés à Hispaniola. De la même façon, si l’on en croit Las Casas qui indique à propos des langues Macorix du haut et Macorix du bas, « Macorix signifie à  peu  près,  langage  bizarre,  quasi  barbare,  parce  que ces  langues  n’étaient  pas  les  mêmes  et  qu’elles  étaient différentes  de  la  langue  commune  de  l’île »86. (Las Casas, Apologética Historia Sumaria. 1992 : 297). Ces Caribes appelés « Ciguayos », avaient gardés leurs coutumes vestimentaires, leurs armes traditionnelles, et leur chevelure longue. Ils avaient établi des alliances avec des Tainos, par des mariages ou des parentés fictives issues d’échanges de noms entre eux. Le fait que Caonabo ait été d’origine caribe, qu’il ait épousé Anacaona, et qu’il soit devenu cacique chez les Tainos, laisse entrevoir une pratique généralisée de l’établissement de liens de parentés entre membres de ces communautés. La notion de guerre chez les Amérindiens était très différente de celles des sociétés occidentales. A des temps

84 « Oüacalla, c’est le nom d’une aigrette blanche : Ils donnent le nom aux européens, parce qu’ils sont peut être toujours en caleçon ou en chemise ». BRETON dictionnaire caraïbe-français 1665 : 402.

85 PETITJEAN ROGET Jacques Arawaks et Caraïbes, thèmes du congrès d’études précolombiennes à Fort-de-France du 3 au 9 juillet 1961. ANNALES DES ANTILLES, Bulletin de la Société d’histoire de la Martinique N° 9. 1961 : 3.

86 “Macorix quiere decir como lenguaje extraño, cuasi bárbaro, porque eran estas lenguas diversas entre si y diferentes de la general desta isla”. Fray Bartolomé de LAS CASAS. Obras completas. 6. Apologética Historia Sumaria I. Edición de Vidal Abril Castello, Jesús A. Barreda, Berta Ares Queija y Miguel J. Abril Stoffels. Alianza Editorial. Madrid 1992.

de guerre, succédaient des périodes de paix, pendant lesquelles, comme s’il ne s’était jamais rien passé auparavant, s’opéraient des échanges de biens, de noms87, et s’établissaient des alliances. Des éléments d’ordre ethnographique sur les Caraïbes du XVIIème siècle, les descriptions de leurs équipements pour une expédition de guerre, étayent l’affirmation que les « Ciguayos » en tant que groupe social organisé distinct des Tainos et des Caribes, n’existaient pas. Bernardo Vega88 dans sa contribution intitulée, « A la recherche de la solution au problème des Macoriges ou Ciguayos », était arrivé avant moi à la conclusion que les Ciguayos de l’incident du 13 janvier 1493 étaient des Caribes (Vega 1980 : 49-64). De ce fait, je suis persuadé que l’usage de l’arc limité à quelques zones, découlerait de contacts fréquents des Tainos avec les Caribes. Un nouvel examen des collections céramiques des sites archéologiques des régions ciguayos conduirait peut-être à l’identification de vestiges céramiques qui ne seraient ni cayoïdes, ni purement taino, tout en possédant les traits des deux styles céramiques. C’est peut être sous cet angle que pourrait être reconsidérée la céramique meillacoïde. Les femmes callinas, étrangères et minoritaires chez les Tainos, ne pouvaient pas véritablement influencer les potières tainos pour qu’elles abandonnent totalement leur style de poterie. L’inverse pour les femmes tainos chez les caraïbes, devait être vrai. Les chroniques françaises montrent que les femmes non caraïbes conservaient toujours leur statut d’étrangères, de captives. Elles avaient les cheveux rasés, et ne portaient pas les jambières tressées, fierté des femmes caraïbes.En revanche, les alliances établies entre des caribes et des tainos permettent de trouver une explication aux déplacements, au début du XVème siècle, de communautés tainos en direction du sud, aux Petites Antilles, en plein territoire callina. Je pense aux deux sites tainos de l’île de Saba89. Des éléments ornementaux de céramiques provenant de Spring Bay et Kelbey’s Ridge à Saba, (Hofman 1992 : 124, Fig. 64, d, e, et (Hofman 1992 : 129 Fig. 67 a, b, Fig. 68 a, b, c, d), des boudins d’argile appliqués, marqués d’indentations, des bords rehaussés de séries de ponctuations, évoquent des éléments modelés incisés des céramiques cayoïdes, de la Grenade, de Saint Vincent, de la Guadeloupe et de la Dominique. H. Petitjean Roget

87 Sur l’usage d’échanger des noms, Las Casas montre bien qu’il établit une véritable parenté : « Dans cette île, cet échange de noms se disait moi et un tel, et ceux qui avaient échangé les leurs étaient appelés guatiaos, et c’est ainsi qu’ils s’appelaient entre eux. C’était tenu pour un fort lien de parenté, et pour ferment d’amitié et d’association perpétuelles » Las casas 2002. Tome 2 : 59.

88 VEGA Bernardo, Los cacicazgos de la Hispaniola. Ediciones Museo del Hombre Dominica-no, Santo Domingo. 1980.

89 HOFMAN Corinne L. In search of the native population of Pre-Columbian Saba (400-1450 A.D.). Part one. Pottery styles and their interpretations. Thèse de doctorat 1993. Université de Leiden.

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