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C’ est l’histoire d’un jeune homme de 35 ans, d’origine et résidant en Suède, qui s’est un jour d’octobre 2005 pré- senté à l’hôpital de Stockholm avec des signes cliniques (fièvre à 40°C, sueurs, céphalées, asthénie) et biologiques (leuco-thrombocytopé- nie, CRP à 109 mg/L, bilirubine plasmatique et ALAT un peu augmentées) évoquant un accès palustre, d’autant plus vraisemblable qu’il reve- nait d’un séjour de deux semaines au Sarawak (Bornéo), où il n’avait suivi aucune chimiopro- phylaxie. L’infection paraissait tellement possible qu’on lui délivra immédiatement de la méflo- quine orale, avant même d’obtenir confirmation du diagnostic (Plasmodium knowlesi) par frottis sanguin et PCR, réalisés devant des éléments parasitaires érythrocytaires atypiques, et alors que les tests antigéniques habituels étaient res- tés négatifs. Indécelable par les tests de détection rapide des antigènes Plasmodium knowlesi représente la “cin- quième espèce” de plasmodium humain, parasite des primates qu’on considérait encore récemment comme exceptionnel chez l’homme, mais qu’on sait maintenant fréquent en Malaisie, Thaïlande, Myanmar, Philippines et Singapour. Un parasite à cycle court, de 24 heures seulement, parfois responsable de très fortes parasitémies et de pronostic incertain. Anecdotique, pourrait-on penser, et sans réelle conséquences en pratique... Sans doute, mais sait-on exactement quels tests sont réalisés pour le diagnostic biologique de paludisme ? Il se pourrait que, comme dans le cas décrit ici, aient été utilisées en pre- mière intention des techniques de détection rapide des antigènes parasitaires circulants, très sensibles et spécifiques... tant qu’il s’agit de P. falciparum, P. vivax, P. malariae et P. ovale, mais qui actuellement ne détectent pas P. knowlesi. | DR JACK BREUIL © jim.fr Source Bronner U et coll. Swedish traveller with Plasmodium knowlesi after visiting Malaysian Borneo. Malaria Journal. 2009: 8: 15. Attention au Plasmodium knowlesi, paludisme des singes © BSIP/D. Scharf Commentaire de la rédaction En France, le frottis sanguin et la goutte épaisse sont obligatoires et montrent, dans ce cas, des éléments parasitaires atypi- ques, parfois assez semblables à ceux de P. malariae. dossier | formation OptionBio | Lundi 20 Juillet 2009 | n° 422 15 rosace (ou schizonte âgé) comprend 16 à 24 noyaux, dans une forme arrondie remplissant entièrement l’hématie avec un amas de pigments noirs au centre (figure 3). Les gaméto- cytes mâles et femelles se présentent sous une forme arrondie, remplissant toute l’hématie, avec un cytoplasme contenant des granulations pigmentaires. Le cytoplasme du gamétocyte mâle est de couleur lilas et celui du gamétocyte femelle est bleu. Aussi le frottis apparaît-il comme “polymorphe”. Traitement et prophylaxie La chloroquine a été le traitement de choix pendant plus de 50 ans, mais des souches de P. vivax résistantes chloroquino- résistantes, décelées dès 1989 en Papouasie-Nouvelle Gui- née, ont envahi tout le pays en 1995. Puis quelques cas ont été décelés en Birmanie, au Viêt-Nam et en Amérique du Sud. Des souches résistantes à la primaquine ont été récemment détectées. D’autres produits sont utilisés avec succès contre P. vivax, comme l’amodiaquine, la méfloquine ou les dérivés de l’artémisinine. Les rechutes sont traitées par la chloroquine ou la primaquine. La tafénoquine a donné de bons résultats. La prophylaxie est surtout basée sur la chloroquine et la mousti- quaire imprégnée. Il est donc important de sensibiliser les autorités médico-admi- nistratives pour augmenter les recherches épidémiologiques et thérapeutiques sur ce Plasmodium encore trop méconnu. Par ailleurs, il devient essentiel d’identifier la provenance géogra- phique de la souche par analyse de biologie moléculaire, à partir des séquences d’ADN mitochondrial du parasite. | PATRICE BOURÉE ET CORALIE LHEURE Unité des maladies parasitaires et tropicales, hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre (94) [email protected] Source Communications de Pinazo MJ et Iwagami M, au cours de la 11 e conférence de l’International Society of Travel Medicine (ISTM), Budapest, mai 2009. Figure 3. Corps en rosace de | P. vivax. © DR Hématie infectée par le paludisme. |

Attention au Plasmodium knowlesi, paludisme des singes

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Page 1: Attention au Plasmodium knowlesi, paludisme des singes

C’est l’histoire d’un jeune homme de 35 ans, d’origine et résidant en Suède, qui s’est un jour d’octobre 2005 pré-

senté à l’hôpital de Stockholm avec des signes cliniques (fièvre à 40°C, sueurs, céphalées, asthénie) et biologiques (leuco-thrombocytopé-nie, CRP à 109 mg/L, bilirubine plasmatique et ALAT un peu augmentées) évoquant un accès palustre, d’autant plus vraisemblable qu’il reve-nait d’un séjour de deux semaines au Sarawak (Bornéo), où il n’avait suivi aucune chimiopro-phylaxie. L’infection paraissait tellement possible qu’on lui délivra immédiatement de la méflo-quine orale, avant même d’obtenir confirmation du diagnostic (Plasmodium knowlesi) par frottis sanguin et PCR, réalisés devant des éléments parasitaires érythrocytaires atypiques, et alors que les tests antigéniques habituels étaient res-tés négatifs.

Indécelable par les tests de détection rapide des antigènesPlasmodium knowlesi représente la “cin-quième espèce” de plasmodium humain, parasite des primates qu’on considérait

encore récemment comme exceptionnel chez l’homme, mais qu’on sait maintenant fréquent en Malaisie, Thaïlande, Myanmar, Philippines et Singapour. Un parasite à cycle court, de 24 heures seulement, parfois responsable de très fortes parasitémies et de pronostic incertain. Anecdotique, pourrait-on penser, et

sans réelle conséquences en pratique... Sans doute, mais sait-on exactement quels tests sont réalisés pour le diagnostic biologique de paludisme ? Il se pourrait que, comme dans le cas décrit ici, aient été utilisées en pre-mière intention des techniques de détection rapide des antigènes parasitaires circulants, très sensibles et spécifiques... tant qu’il s’agit de P. falciparum, P. vivax, P. malariae et P. ovale, mais qui actuellement ne détectent pas P. knowlesi. |

DR JACK BREUIL

© jim.fr

SourceBronner U et coll. Swedish traveller with Plasmodium knowlesi after

visiting Malaysian Borneo. Malaria Journal. 2009: 8: 15.

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Commentaire de la rédactionEn France, le frottis sanguin et la goutte épaisse sont obligatoires et montrent, dans ce cas, des éléments parasitaires atypi-ques, parfois assez semblables à ceux de P. malariae.

dossier | formation

OptionBio | Lundi 20 Juillet 2009 | n° 422 15

rosace (ou schizonte âgé) comprend 16 à 24 noyaux, dans une forme arrondie remplissant entièrement l’hématie avec un amas de pigments noirs au centre (figure 3). Les gaméto-cytes mâles et femelles se présentent sous une forme arrondie, remplissant toute l’hématie, avec un cytoplasme contenant des granulations pigmentaires. Le cytoplasme du gamétocyte mâle est de couleur lilas et celui du gamétocyte femelle est bleu. Aussi le frottis apparaît-il comme “polymorphe”.

Traitement et prophylaxieLa chloroquine a été le traitement de choix pendant plus de 50 ans, mais des souches de P. vivax résistantes chloroquino-résistantes, décelées dès 1989 en Papouasie-Nouvelle Gui-née, ont envahi tout le pays en 1995. Puis quelques cas ont été décelés en Birmanie, au Viêt-Nam et en Amérique du Sud. Des souches résistantes à la primaquine ont été récemment

détectées. D’autres produits sont utilisés avec succès contre P. vivax, comme l’amodiaquine, la méfloquine ou les dérivés de l’artémisinine. Les rechutes sont traitées par la chloroquine ou la primaquine. La tafénoquine a donné de bons résultats. La prophylaxie est surtout basée sur la chloroquine et la mousti-quaire imprégnée.Il est donc important de sensibiliser les autorités médico-admi-nistratives pour augmenter les recherches épidémiologiques et thérapeutiques sur ce Plasmodium encore trop méconnu. Par ailleurs, il devient essentiel d’identifier la provenance géogra-phique de la souche par analyse de biologie moléculaire, à partir des séquences d’ADN mitochondrial du parasite. |

PATRICE BOURÉE ET CORALIE LHEURE

Unité des maladies parasitaires et tropicales, hôpital de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre (94)

[email protected]

SourceCommunications de Pinazo MJ et Iwagami M, au cours de la 11e conférence de

l’International Society of Travel Medicine (ISTM), Budapest, mai 2009.

Figure 3. Corps en rosace de | P. vivax.

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Hématie infectée par le paludisme. |