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Au Coeur Des r Voltes Arabes

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    Mise en pages : PCAPhoto de couverture : Manifestation contre le rgime de Bachar e

    Assad Alep, aot 2012. Ayman Oghanne/Corbis.

    Conception de la couverture : R. Lefeuvre Armand Colin, Paris, 2013

    ISBN : 978-2-200-28812-9www.armand-colin.com

    http://www.armand-colin.com/
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    Parmi nos dernires publications

    Caroline Le Mao, Corinne Marache (dir.), Les lites et la terre de la fin du XVI sicle ledeux-guerres, 2010.

    Paul Bouffartigue, Charles Gadea, Sophie Pochic (dir.), Cadres, classes moyennes :lclatement ?, 2011.

    Mohamed Nachi (dir.),Actualit du compromis, 2011.

    Olivier Lazzarotti, Pierre-Jacques Olagnier (dir.), LIdentit entre ineffable et effroyable, 2011Guy Di Mo,Les Murs invisibles. Femmes, genre et gographie sociale, 2011.

    Robert Belot (dir.), Tous Rpublicains ? Origines et modernit des valeurs rpublicaines, 2011

    Raymond Boudon (dir.), Durkheim fut-il durkheimien ?,2011.

    Geoffrey Grandjean, Jrme Jamin (dir.), La Concurrence mmorielle, 2011.

    Odette Louiset,LOubli des villes de lInde. Pour une gographie culturelle de la ville, 2011.

    Sbastien Baud,Faire parler les montagnes. Initiation chamanique dans les Andes pruvie

    2011.Pierre Bardelli, Jos Allouche (dir.), La Souffrance au travail : quelle responsabili

    lentreprise ?,2012.

    Jean-Pierre Clro, Emmanuel Faye (dir.),Descartes. Des principes aux phnomnes, 2012.

    Ariel Mendez, Robert Tchobanian, Antoine Vion, Travail, comptences et mondialisation, 2012

    Jrme Pelisse, Caroline Protais, Keltoume Larchet, Emmanuel Charrier (dir.), Des chiffresmaux et des lettres. Une sociologie de lexpertise judiciaire en conomie, psychiatrtraduction, 2012.

    Dominqiue Viart,Fins de la littrature, tome I, 2012.Chantal Crenn, Laurence Kotobi,Du point de vue de lethnicit : pratiques franaises, 2012.

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    Table des matires

    Les auteurs

    PrfaceMichel Camau, Professeur mrite

    Chapitre introductif

    Amin Allal et Thomas Pierret

    Un mouvement transnational arabe ?

    La crise politique comme moment crateur

    De lhistoricit des mobilisations protestataires

    Stratgies contre-rvolutionnaires

    Organisation de louvrage

    Bibliographie

    Partie Imergences

    1.De la place de la Libration (al-Tahrir) la place du Changement (al-Taghyir) :transformations des espaces et expressions du politique au Ymen

    Marine Poirier

    La dynamique de convergence des acteurs

    La jeunesse au cur du soulvement

    Le dpassement des appartenances idologiques, confessionnelles et rgionales

    Faire socit sur la place du Changement

    La dimension sociale des mobilisations

    Le microcosme dun monde civil projet par les manifestants

    Bibliographie

    Encadr 1. Tribale et cosmopolite : Taez et la rvolutionymnite (Vincent Planel)

    2. tendard de lutte ou pavillon de complaisance ?Slim Smaoui, Mohamed Wazif

    Le M20F comme recomposition dynamique

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    de la scne protestataire

    Preuves et mises lpreuve de lunit

    Une tectonique des loyauts

    Mon parti avant tout ? Voice et loyalty

    Laction sociale comme vecteur de loyaut

    Bibliographie

    Encadr 2. Dun cycle de mobilisation lautre : Sidi Ifni, symbole dchu de la protestatio(Karine Bennafla)

    Encadr 3. Un positionnement ambigu, les Diplms-Chmeurs lpreuve du 20 fvrier(Montserrat Emperador Badimon)

    Encadr 4. Le mouvement des Soulaliyates: une mobilisation sectorise de femmes pour ldroit la terre(Fadma Ait Mous et Yasmine Berriane)

    3. Mobilisations dartistes dans le mouvement de rvolte en Syrie : modes daction et limiteslengagementCcile Box

    Les usages multiples du registre ptitionnaire : prises de position la lumire des logiques du champ culturel

    La posture contestataire euphmise du milieu de la tlvision :le pige de la notorit

    La mobilisation des cinastes : conversion des postures artistiquesen positions politiques

    Conversion de comptences artistiques au service de la rvolte

    La mobilisation cinmatographique du collectif Abounaddara

    Comptences artistiques rinvesties dans laction protestataire

    Quand les artistes descendent dans la rue : interprtationdun mode daction ordinaire

    Bibliographie

    Encadr 5. Une mosque dans la Rvolution(Thomas Pierret)

    Encadr 6. Graffitis et contre-manifestations volantes,

    des rponses du pouvoir la contestation syrienne(Marc Gognon)

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    4. Linsurrection libyenne, un mouvement rvolutionnairedcentralisArthur Quesnay

    Auprs des insurgs libyens, une perception locale du mouvement rvolutionnaire

    Derrire le passage lacte, des logiques daction etdes

    perceptions individuelles dynamiques

    Une tude au cur de laction locale

    Le dveloppement de rseaux sociaux dcloisonns

    Des rseaux sociaux antrieurs au 17 fvrier

    Une explosion fulgurante des chanes de solidarits locales

    Des entits territoriales dsormais autogres

    Une mobilisation travers des rseaux socioprofessionnelsplutt que tribaux

    Une dcentralisation du pouvoir vers des entits locales autogresDes conomies de guerre locales

    Une nouvelle perception du pouvoir local, face la constitution dune autorit nationale

    Bibliographie

    Encadr 7. La prise de Tripoli, un changement de perceptiondu conflit (Arthur Quesnay)

    Encadr 8. En campagne avec les thuwwar de Misrata(Arthur Quesnay)

    5. Quand les protestataires sautolimitent.Le cas des mobilisations tudiantes de 2011 en AlgrieLayla Baamara

    Un mouvement autolimit

    Anticiper le tolrable

    Se dmarquer

    Des limites mouvantes et incertaines

    Quand lenjeu de la lutte est un enjeu de lutte (Pierre Bourdieu 2002, p. 258)

    De la dynamique des mobilisations

    Bibliographie

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    Encadr 9. meutes de la jeunesse et nouvelles oppositions rfrentiel historique (Nedjib Sidi Moussa)

    6. Au-del du mythe de la rvolution 2.0 Romain Lecomte

    Acteurs de la mdiatisation lors du processus rvolutionnaire

    Les producteurs-diffuseurs de contenu issu du terrain

    Les curateurs (type de cyberactivistes-mdiateurs)

    Les cyberactivistes-relayeurs(type de cyberactivistes-mdiateurs)

    Les mdias de masse trangers

    Euphorie mdiatique autour de la rvolution 2.0 et lments de relativisation

    Replacer Internet dans son contexte rpressif et socio-territorial

    Conclusion

    Bibliographie

    Encadr 10. Les avocats, un corps professionnel au curde la rvolution tunisienne ? (ric Gobe)

    Encadr 11. De censeurs dissidents. Les modrateurs

    du forum du Club Africain (Romain Lecomte)

    Partie IITrajectoires

    7. Socio-histoire dun processus rvolutionnaireYoussef El-Chazli et Chaymaa Hassabo

    Protester dans lgypte contemporaine : acteurs et contextes

    Transformation dans le rgime de Moubarak partir des annes 2000

    Le renouveau des street politics

    Retour sur quelques mobilisations emblmatiques

    Khalid Said et la construction de la Police comme ennemicommun

    Des rvoltes la Rvolution

    DAlexandrie Tunis

    Moment 1. Le 25 janvier : une fte de la police pas comme

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    les autres

    Moment 2. 26 - 27 janvier : les manifestations spontanes et lusure de la police

    Moment 3. Du 28 janvier au 3 fvrier : La Rvolution ou le Chaos

    Moment 4. Du 4 au 11 fvrier : Le bras de fer et la dsectorisation

    Conclusion

    Bibliographie

    Encadr 12. Dans le temps long des rvolutions Lmergencedune nouvelle culture politique. (Patrick Haenni)

    Encadr 13. La question syndicale comme enjeucontestataire (Marie Duboc)

    Encadr 14. Trois usages concrets dInternet(Youssef El-Chazli)

    8. La remise en question du contrat social jordanienCaroline Ronsin

    Les origines de la mobilisation jordanienne et la courteapparition dAmman comme fer de lance de la contestation.

    Le Sud et les tribus : des piliers du rgime fort turbulents

    Entre mesures cosmtiques et dbats identitaires : les enjeuxde la rforme

    Les limites de la mobilisation : la politique du moindre mal

    Un bouleversement des structures de mobilisationtraditionnelles ?

    BibliographieEncadr 15. Le rle du Mouvement Islamique Jordanien dans

    le printemps jordanien (Lamis El Muhtaseb)

    9. La rvolution tunisienne , une meute politiquequi a russi ?Michal Bchir Ayari

    Les dimensions sociologiques de la rvolte

    Chmage des diplms et ingalits rgionales de dveloppement

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    Une crise interne de lappareil du Parti-tat ?

    Des lites divises et vulnrables

    Laffaire Wikileaks ou comment donner un sens une perceptiondiffuse

    La dimension meutire de la rvolution

    Le langage de lmeute

    Lutte pour la dignit et dfense de lhonneur tribal

    Quand syndicalistes et avocats entrent en scne

    Le relai du virtuel ou la diversification des modes daction

    La violence des meutes contre lattentisme des organisations contestataires

    De la grve gnrale la fuite de Ben Ali :quand lhistoire sacclre

    BibliographieEncadr 16. La rvolte des contrebandiers dans la rgion

    frontalire de Ben Guerdane en aot 2010(Hamza Meddeb)

    10. Dune intifada lautre. La dynamique des soulvementsau BahrenLaurence Lour

    La politisation des identits religieuses

    Lislamisme chiite

    Lactivation de lidentit sunnite par le rgime

    La question sociale : travail et immigration

    Ltat providence

    Le retour du chmage de masse

    Un nouveau cycle de crises politiques

    Cooptation et fragmentation de lopposition

    Recomposition des coalitions

    Le soulvement et ses consquences

    Recompositions au sein de lopposition

    Le retour des conservateurs lombre de lArabie Saoudite

    La riposte sunnite

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    Conclusion

    Bibliographie

    Encadr 17. Wad: lopposition de gauche prise dans ltau du confessionnalisme (ClaireBeaugrand)

    PostfaceOlivier Fillieule

    Lintention en action

    Les modes daction comme cadre

    mergence de normes situationnelles

    La violence des berges

    Bibliographie

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    Les auteurs

    Fadma Ait Mous

    Chercheur, Centre Marocain des Sciences Sociales (CM2S) Universit Hassan II-Casablan

    Amin Allal

    Doctorant, Institut dtudes Politiques dAix-en-Provence (CHERPA).

    Layla Baamara

    Doctorante, Institut dtudes Politiques dAix-en-Provence (CHERPA).

    Claire Beaugrand

    Gulf Senior analyst a lInternational Crisis Group ; Chercheuse associe lInstitut FranaProche-Orient (Beyrouth) et au Centre Franais dArchologie et de Sciences Sociales (Sanaa)

    Michal Bchir Ayari

    Politologue, analyste pour la Tunisie de lInternational Crisis Group.

    Karine Bennafla

    Matre de confrences en gographie, Institut dtudes Politiques de Lyon.

    Yasmine Berriane

    Postdoctorante, Zentrum Moderner Orient, Berlin.

    Ccile Box

    Postdoctorante, EHESS (CEIFR/IISMM).

    Michel Camau

    Professeur mrite.

    Marie Duboc

    Postdoctorante, Middle East Institute, Universit nationale de Singapour.

    Youssef El-Chazli

    Doctorant en science politique, Assistant lInstitut dtudes Politiques et Internatio(Universit de Lausanne) et membre du Centre de Recherche sur lAction Politique de lUniv

    de Lausanne (CRAPUL).

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    Lamis El Muhtaseb

    Post Doctoral Fellow, the Johns Hopkins University. SAIS, Bologna Center, Bologna/Visiting Fellow, Institut Universitaire Europen, Florence.

    Montserrat Emperador Badimon

    Matre de confrences en science politique, Universit Lyon 2 Triangle.

    Olivier Fillieule

    Professeur de sociologie politique, Universit de Lausanne, IEPI-CRAPUL, Directeurecherche CNRS-CESSP Centre europen de sociologie et de science politique de lUniv(UMR 8209).

    ric Gobe

    Chercheur au CNRS, Centre Jacques Berque (CJB), Rabat, Maroc.

    Marc Gognon

    Doctorant, EHESS Collge de France.

    Patrick Haenni

    Senior advisor for the Middle East Humanitarian Dialogue Center.

    Chaymaa Hassabo

    ATER, Chaire dhistoire contemporaine du monde arabe Collge de France.

    Romain Lecomte

    Doctorant, Universit de Lige, Belgique.

    Laurence Lour

    Charge de recherche Sciences Po CERI CNRS.

    Hamza Meddeb

    Jean Monnet Fellow, Institut Universitaire Europen, Florence.

    Thomas Pierret

    Lecturer in Contemporary Islam, Universit ddimbourg.

    Vincent Planel

    Doctorant en anthropologie, cole Normale Suprieure, Paris.

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    Marine Poirier

    Doctorante en science politique et ATER lInstitut dtudes Politiques dAix-en-Prov(CHERPA-IREMAM).

    Arthur Quesnay

    Arthur Quesnay, doctorant en science politique, Paris-1, Panthon.

    Caroline Ronsin

    Doctorante, Institut universitaire europen, Florence.

    Nedjib Sidi Moussa

    Doctorant et ATER en science politique, Universit Paris 1 (CESSP).

    Slim Smaoui

    Doctorant, Institut dtudes Politiques de Paris.

    Mohamed Wazif

    Doctorant, Facult des Sciences Juridiques et Sociales Casablanca ; Centre MarocainSciences Sociales (CM2S).

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    Prface

    Michel Camau, Professeur mrite

    Une prface ne sera jamais quun commencement en trompe-lil. Elle occupe les prempages dun ouvrage qui ne lui doit rien. Son auteur nest vrai dire quun liseur. Lecteur avanautres, il nen figure pas moins, comme les autres, ce passant dont Michel de Certeau disait insinue les ruses du plaisir et dune rappropriation dans le texte dautrui, o il braconne.

    Sans tarder, laissons-nous donc aller notre plaisir et si possible, faisons-le partager. Le tdes chercheurs est enfin advenu dans lanalyse des thawra - rvoltes ou rvolutions - arab2011. Tandis que les journalistes continuent de remplir leur office et que les experts ou autintellectuels ne cessent de disserter, souvent partir des seuls lments livrs par les premiertravaux de recherche sortent peu peu de lanonymat pour sadresser un public. Louvrage nos mains et sous nos yeux de lecteurs nest certainement pas le premier, ni le dernier, rejoles prsentoirs de librairies. Mais coup sr il se distingue par une qualit rare en ltat actuloffre dinformations et de connaissances sur les thawrade 2011. Il mane, en effet, de cherc

    de terrain, veilleurs sur le qui-vive, engags de longue date dans des enqutes sur les mdaction et de composition, les trajectoires militantes et les expressions revendicativeprotestataires en contexte autoritaire. Pas plus que quiconque ils navaient prvu limprvmais beaucoup plus que maints commentateurs ou spectateurs ils ont t en situation dobservdcrire, de comprendre et de faire comprendre. Non seulement, ils opraient l-bas mais eet surtout de plain-pied avec ce qui tait en train de se passer. Bref, ils se sont trouvs au curvoltes arabes , non par prescience ni par hasard mais la faveur dune intelligence du senracine dans des pratiques continues de recherche. notre tour, grce eux, nous somtransports au cur de ces rvoltes qui, parties de Tunisie, ont affect peu ou prou lense

    dune rgion.Le caractre indit de ces rvoltes ou rvolutions ne tient pas loccurrence de mobilisatio

    de protestations. La plupart des pays concerns en avaient t maintes fois le thtre. La nouvrside dans ltroite conjonction de deux sries de phnomnes, avec dune part, le passage (sules termes utiliss dans lun des chapitres de louvrage) de la manifestation la rvolutidautre part, la double dimension nationale et rgionale de lexpression de la colre sociale laspiration la dignit.Devenir rvolutionnaires explore cette confluence partir de protodobservation directe.

    Rvoltes, rvolutions ? Lusage indistinct des deux termes, que recouvre le champ smantiqla notion de thawra, ne peut indisposer que les taxinomistes invtrs, oublieux que rvolutest un concept essentiellement contest, en grande partie tributaire des reprsentations des acLa question de savoir si les thawrade 2011 constituent proprement parler des rvolutionssitue mille lieux des proccupations des auteurs. La mise au point laquelle procde le chintroductif savre cet gard particulirement loquente. Lobjectif poursuivi, et largement atconsiste dans lapproche dune squence, dun moment vcu comme rvolutionnaire paacteurs protestataires et les rgimes, laune dun possible basculement. Mancur Olson rapque le pouvoir dun rgime autoritaire ne repose sur rien de plus quune perception partage d

    invincibilit. Si le rgime, ajoutait-il, donne des signes de faiblesse, les perceptions pechanger en un clin dil. Le moment rvolutionnaire a partie lie avec ce changeme

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    perceptions des situations et des rapports de forces, la faveur duquel la vulnrabilit des rgdevient patente et oriente les calculs et tactiques des acteurs. Ce moment o le mouvemecontestation amorc par quelques-uns entrane dans son sillage dautres segments de la populpar suite dune rvision la baisse des cots de la dsobissance et la hausse de ceulobissance savre lourd dambiguts. Il produit des effets de nombre, amplifis par limpacimages et de la frquence de leur diffusion, alors mme que lessaimage des manifestations oaffrontements et les concentrations de manifestants ou dinsurgs mettent en jeu une masse dodtermination ne prjuge pas des dispositions des masses . cet gard, le mo

    rvolutionnaire constitue un moment dincertitude, un point critique dont nul ne sait, sauf prophtes du pass , si les lendemains chanteront. Bien plus, en ce qui concerne les rvoltes aril recouvre une diversit de situations, de perceptions et dissues suivant les configuranationales. Louvrage sattache prcisment explorer cette diversit par une srie dtudes dcouvrant pratiquement lensemble des pays concerns, lexception de lArabie saoudidOman. Comment les mouvements mergent, montent en puissance, deviennenrvolutionnaires et ventuellement se disloquent dans une conjoncture o lespace public amplifie les effets de dmonstration sans pour autant neutraliser les effets de contexte ? A question du comment cela se passe les diffrents chapitres apportent, cas par cas, des lm

    de rponse suivant une dmarche dlibrment ethnographique permettant, comme le rappellematres duvre de Devenir rvolutionnaires, dviter lcueil tlologique .

    La description en sciences sociales constitue souvent une source de malentendus, comme srelevait dune sorte dart premier do serait absent toute thorisation et qui se cantonneraitl idiographique . En fait, lorsquil dcrit, lethnographe sabstient de prjuger des mande voir et de faire des acteurs en fonction dune suppose thorie qui les surplomberait dun autre monde. Il ne sen livre pas moins un intense travail thorique de traduction (le tanglais translation serait mieux appropri) de ces manires et pratiques dans une launiverselle, celle du comparatisme. Sans ce travail, le lecteur serait certes transport mais pocoup dsorient. Sil nen prend pas ncessairement la pleine mesure, tout le crdit en revilauteur. Une uvre o il y a des thories, crivait Proust, est comme un objet sur lequel on la marque du prix . Il parlait certes dart et de littrature, mais sa remarque vaut galement, tchoses gales par ailleurs, pour les sciences sociales ds lors que les thories y sont rduitedcorum.

    Sils nont pas laiss la marque du prix, les auteurs de Devenir rvolutionnairessont nanmentrs dans des dbats de fond dont les termes ne concernent pas les seules rvoltes ou rvoluarabes. Nous nen retiendrons ici quun seul mais non le moindre. Il a trait la spontan

    question rcurrente lors du moment rvolutionnaire de 2011, comme en dautres circonstahistoriques.

    Des mouvements spontans et sans leaders ? ce propos il nest pas inutile de relire lanconsacre par Trotsky aux journes de fvrier 1917 Petrograd. Pour beaucoup, dans les midirigeants et dopposition de la Russie tsariste, la rvolution de fvrier constituait une nigmtaille, dans la mesure o aucune organisation, pas mme le parti bolchevik, ne lavait dirigsen remettaient, en guise dexplication, un dclenchement de forces lmentaires rvolution se serait faite toute seule, spontanment, sous lemprise de lexaspration. LautelHistoire de la Rvolution Russene mnageait pas ses sarcasmes lencontre de cette mystiet, plaidoyer pro domo, ne manquait pas de faire valoir lintervention douvriers forms l

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    du parti de Lnine . Plus utilement, il mettait en avant deux ordres de faits : le capital dexprprotestataire ( rvolutionnaire , sous la plume de Trotsky) accumul au cours des antrieures et le rle de mdiateurs jou par des chefs de file le plus souvent livrs mmes, auprs de qui lon sinformait et de qui lon attendait la parole ncessaire .

    Que certains lecteurs se rassurent, Devenir rvolutionnairesne sinspire pas plus du trotskquil ne mconnat les apports de la sociologie des mobilisations. Ft-ce par le truchement de ci, il croise nanmoins la route du Trotsky de fvrier, qui, au demeurant, du marxisme ne ppas, loin sen faut, la marque du prix. Il prend ses distances avec le mythe de limma

    protestation , forme contemporaine de la mystique des forces lmentaires . Le morvolutionnaire advient inopinment, ce qui ne signifie pas quil surgit du nant. Il recouvrprocessus dont certains des protagonistes les plus entreprenants bnficient des leonlexprience de mobilisations antrieures. Ils deviennent rvolutionnaires sans lavoir prmmais non sans bagage .

    La difficult de lenqute sur le moment rvolutionnaire correspond une double contrainsagit de prendre en compte la marge dindtermination des vnements, leur caractre alatout en faisant place aux antcdents, qui jouent lencontre de lide de spontanit. Les d

    assument une sorte dentre-deux, en rcusant une lecture spontaniste de procrvolutionnaires imprvisibles, qui innovent tout en empruntant des modes daction antrMalgr ces sages prcautions, la prise de distance avec le mythe de limmacule protestatsavre, en dfinitive, moins nette quelle ntait pralablement suggre. Louvrage se strucen effet, partir dune tension entre deux types dapproches privilgiant respectivement la figula rupture, productrice dune nouvelle donne politique et celle de la continuit par rapport espace protestataire prexistant. Un tel dualisme ne va pas de soi. pargnons-nous cependacommentaires sur rupture et continuit pour nous borner observer que cette ligne de paconcerne moins les caractristiques intrinsques des cas tudis que les options mthodolog

    des diffrents auteurs. Manire de signifier que le dbat traverse louvrage lui-mme.Dautres dbats mriteraient que nous nous y arrtions. Il en va ainsi, par exemple, de la rel

    entre la dynamique protestataire et les rseaux de confiance et groupes dappartenance dtribaux . De manire contre-intuitive, les seconds, expliquent certains des auteurs, peuvent sade nature renforcer la premire. Nous pourrions mentionner galement, entre autresconsidrations sur la dispersion des rapports de pouvoir dont les mouvements de protestation scertains gards, parties prenantes. La liste serait longue des pistes ouvertes ou balises dans cefoisonnant. Tenons-nous-en l, sous peine de tomber sous le reproche de teasing. Laissonscours au braconnage des autres lecteurs, en loccurrence ceux dentre eux qui auront pris la pei

    lire une prface, genre tenu souvent pour inutile.Une dernire remarque simpose, qui aurait pu, tout aussi bien, tenir lieu dincipit. Dans le c

    acadmique, les auteurs de Devenir rvolutionnairesseraient, pour la plupart, volontiers dscomme des jeunes chercheurs . Lpithte, dont la condescendance nchappera persremplit une fonction euphmique. Lge compte peu en la circonstance sinon comme marqdune position non dominante dans le champ, malgr des comptences reconnues. Les prtendeunes dans la recherche ont de la comptence qui nest pas encore convertie en autor

    loppos des experts dont la comptence devient inversement proportionnelle leur autorit, s

    en croit le descripteur des Arts de faire, cit au tout dbut de cette prface. Si, comme il le mDevenir rvolutionnaires en vient faire autorit, ses auteurs seront rapidement confronts

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    dilemme. Cest tout le mal que nous leur souhaitons.

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    Chapitre introductif

    Les processus rvolutionnairesarabes en actes

    Amin Allal et Thomas PierretEn moins dun an, les soulvements populaires de 2011 ont eu raison des chefs dtat tun

    gyptien, libyen et ymnite. Ils ont plong la Syrie dans une situation de guerre civile, entradploiement au Bahren des armes des monarchies du Golfe et contraint les rgimes autorivoisins dsamorcer la contestation en combinant rpression, rformes institutionnelles et mede redistribution. Il serait certes fort imprudent dannoncer la fin des rgimes autoritaires dargion mais on voit mal comment ils pourraient perdurer sans se rinventer selon des modprobablement diffrentes de celles qui ont prvalu durant le dernier demi-sicle.

    Politologues, historiens, conomistes ou dmographes continueront encore longtemps de dbdes causes de ces vnements. Daucuns voqueront la sclrose des rgimes rpublicains unique ou hgmonique. Ils avanceront que contrairement certaines monarchies (MJordanie), qui ont opr une ouverture contrle et concd une palette relativement largparticipation politique tout en prservant les fondements de leurs pouvoirs, ces rgimes servls soit incapables dune ouverture politique relle (Tunisie, Syrie, Libye), soit engags daprocessus de dlibralisation aprs une phase douverture limite (gypte, Ymen)renforcement des piliers policiers des rgimes au dtriment de larme , une tendance percemme dans cette rpublique militaire par excellence qutait lgypte de Moubarak , contrib

    expliquer le lchage de certains des dirigeants concerns par leurs officiers suprieursautre cause profonde serait la patrimonialisation des tats par les familles dirigeantestendance caricature par les successions dynastiques projetes ou mises en uvre danrpubliques syrienne, libyenne, gyptienne ou ymnite, ainsi que par la prdation conomiquTrabelsi, belle-famille du prsident tunisien, ou des Makhluf, cousins du chef de ltat syAussi, le tournant nolibral, avec la diminution des capacits redistributrices de lexpliquerait pourquoi les tincelles en Tunisie et en Syrie ont eu lieu dans des z(respectivement celles de Sidi Bouzid et de Deraa) certes pauvres mais connues auparavant cofidles un tat qui stait jadis efforc de niveler un tant soit peu les carts de dveloppeinterrgionaux. Enfin, les partisans des explications dmographiques ne manquent paremarquer que le processus rvolutionnaire de 2011 a pris naissance dans ltat de la rgion leavanc en termes de transition dmographique, cest--dire la Tunisie .

    Si les facteurs voqus plus haut apparatront immanquablement au fil des pages du prouvrage, le propos central de celui-ci reste diffrent. Il ne sagira pas tant dexpliquer pourqusoulvements de 2011 ont eu lieu, mais plutt comment ils se sont drouls. Pour ce faircontributeurs ont opr un choix mthodologique extrmement clair. Chercheurs familiers destudis, ils ont, pour la quasi-totalit dentre eux, observ les contestations de manire dire

    proposent par consquent une ethnographie des protestations en train de se faire . Commrappelle Franois Chazel, le sociologue ne peut se satisfaire de ltude des causes (condition

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    rvolutions dune part, de leurs consquences de lautre, il doit se confronter ce qui se endantune rvolution (Franois Chazel 2003, p. 135).

    Les avantages de cette dmarche sont nombreux et confrent au prsent ouvrage une vparticulire sur le long terme. Un recueil de premiers bilans chaud des rvoltes arabes promis lobsolescence par les crits ultrieurs qui tireront profit dun recul plus grandrevanche, les analyses runies ici constitueront, quoi quil advienne, une source utilisable pgnrations de chercheurs qui proposeront des modles explicatifs du printemps arabe au des dcennies venir.

    La perspective processuelle adopte dans cet ouvrage prsente en outre lavantage dvacquestion de savoir si les soulvements observs en 2011 constituent ou non de vrarvolutions. Lampleur desdits changements demeure prcisment lenjeu dpres luttes politqui peuvent conduire aussi bien la relance du processus rvolutionnaire qu une restaurautoritaire. Nous nous garderons donc ici de toute tlologie, nous contentant danalysesituations protestataires de 2011 comme un moment rvolutionnaire . Nous entendons par lsquence historique durant laquelle le comportement des acteurs est orient par la convictiparticiper (ou, dans le cas des dirigeants, de faire face) une authentique rvolution. Lanalyse

    convergence des acteurs, des slogans et des revendications protestataires, la porte subjectivevcu de ce mobile constituent autant dlments dtude. Les contributions cherchent comprcomment ces processus rvolutionnaires mergent, prennent et comment ils se forgent laction.

    Le prsent ouvrage inclut galement des chapitres portant sur des pays qui, linstar du Mde lAlgrie ou de la Jordanie, connaissent en 2011 un regain de contestations sans pour abasculer dans un contexte rvolutionnaire ni mme sen approcher srieusement. Le morvolutionnaire doit sentendre ds lors comme un phnomne rgional qui fait sens pouacteurs en raison dun sentiment dappartenance un espace politique plus large que les fron

    nationales. Cest de ce point de vue que les processus rvolutionnaires de 2011 peuventapprhends comme un phnomne arabe .

    Un mouvement transnational arabe ?

    Sommes-nous face un mouvement transnational ? Transnational , ainsi que nous le rapJean-Franois Bayart, ne veut pas dire la fin de ltat (Jean-Franois Bayart 2004). Les dynamprotestataires sinscrivent dans des situations politiques o structures des tats, apparei

    scurit ou encore mdias ont une historicit et une dimension surtout nationales. Il nest point dans notre intention de nier la profonde htrognit, politique de la zone concernpartant, la spcificit de chaque cas de figure national . Sagissant des vnements de lillustration la plus criante en est la transformation des mots dordre rvolutionnaires emppour contester les rgimes rpublicains en prudents agendas rformistes chez les opposantsystmes monarchiques, exception faite du Bahren et des protestataires chiites dArabie Saoud

    Il nen demeure pas moins que les vnements de 2011 ont activ un rfrentiel commdonn une nouvelle vigueur lide dun espace politique arabe. Dans ce contexte

    protestataires confronts des configurations autoritaires spcifiques prennent suffisammesrieux leur sentiment dappartenance un ensemble transnational arabe pour penser que la

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    des potentats vieillissant de Tunisie et dgypte cre un contexte favorable au renversementrgime baasiste syrien ne prsentant aucun signe tangible de faiblesse.

    Cette communaut imagine , promue par des rseaux transnationaux dentrepreneucause et des mdias spcifiques tels que les chanes satellitaires arabophones, donne lieu effets dimitation comme la diffusion de modes daction et de lexiques rvolutionnairesDgage ! (en franais) sexporte, dans sa forme arabe irhal !, en gypte ou au Ymen. Lesdu pote tunisien Abu el-Qasem Chebbi, hymne national de son pays, sont adapts pour devenchant de ralliement du mouvement marocain du 20-Fvrier. Baltagi , terme dsitraditionnellement en gypte un voyou stipendi par la police pour terroriser les manifesvoyage jusqu Casablanca pour dsigner l ennemi contre-rvolutionnaire .

    Il serait cependant rducteur de ne prendre en compte que la dimension contestataire ractivation de lespace politique arabe. la diffusion transnationale des mots drvolutionnaires rpond en effet lmergence de stratgies de gestion de la vrvolutionnaire qui prennent galement le monde arabe comme espace de rfrence. La noti contre-rvolution ne dcrit en ralit que partiellement ces stratgies. Contre-rvolutionnaiassurment la solidarit des rpubliques autoritaires contestes (Syrie, Algrie, Ymen, L

    usqu la chute de Khadafi), de mme que celle des monarchies resserrant les rangs avec le papparemment sans lendemain mais nanmoins rvlateur, dintgrer la Jordanie et le MaroConseil de Coopration du Golfe. Lest galement la politique saoudienne consistant applarme gyptienne ou dployer ses propres troupes pour soutenir la dynastie rgnante au BaToutefois, calculs stratgiques et opinions publiques ont galement convaincu lautosaoudienne de soutenir les rvolutions en Libye et en Syrie, tandis que via la chane Al JazeeQatar accordait sa bndiction tous les mouvements de contestation de la rgion hormis celBahren. Au-del des effets polmiques, qualifier ces politiques de contre-rvolutionnainapporte gure lanalyse.

    Soulignons enfin, sagissant toujours de la dimension transnationale des soulvements de 2que celle-ci ne sarrte pas strictement aux frontires des pays arabes puisque des mots dordsymboles issus de ces derniers se sont exports vers des contextes protestataires tels qumouvements des indigns dans des pays europens comme lEspagne ou la Grce. La rvoldu jasmin est mme appele de leurs vux par des ouvriers protestataires chinois, en se rf lgypte o il ny a gure de jasmin mais plus connue par eux que la Tunisie (Antoine Ke2011).

    La crise politique comme moment crateur

    Pour ce qui est de la mthodologie dploye dans cet ouvrage, plusieurs avantages doivetre dtaills. Lun dentre eux est dpargner au chercheur la tche prilleuse de reconstituer des vnements sur la base de tmoignages produits ex post par les acteurs, avec les problmreconstruction mmorielle et de rcritures biographiques quimpliquerait une telle mdenqute. Dbarrass de ces cueils, lanalyste est idalement positionn pour prendre pleineen compte lautonomie de lpisode de crise : autonomie vis--vis des processus situs en amosens o le droulement de la crise ne peut-tre dduit de ses supposes causes profonde

    lesquelles ne sont que des conditions de possibilit du dclenchement de la crise ; auton

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    galement, vis--vis des rsultats du processus rvolutionnaire, car il est souvent tentareconstituer aprs coup une trajectoire vnementielle cohrente la lumire du succs olchec dudit processus. Lobservation ethnographique du moment rvolutionnaire permet dlcueil tlologique et, partant, de restituer la fluidit et les contradictions dun pisode decaractris par lincertitude et la rvaluation permanente des stratgies face un ordcontraintes et une conjoncture voluant rapidement.

    tudier le moment rvolutionnaire per se, plutt que comme la rsultante de procantrieurs, ou comme le segment dune trajectoire cohrente dont la courbe permettra

    dterminer le point de chute, offre galement la possibilit de saisir pleinement la dimecratrice dun tel pisode. L preuve rvolutionnaire ne voit pas le simple dploiement de fpolitiques prexistantes ou la mise en uvre de prfrences longtemps refoules, mais dnaissance, en acclr, de nouvelles ralits politiques pratiques, perceptions, alliances personne navait planifi, voire mme srieusement considr lavnement.

    On connat bien la capacit des crises produire de la radicalisation politique , si bien qmtaphore de la marmite pression , cest--dire lexplosion soudaine de frustrations popurefoules nest pas ncessairement la plus approprie pour rendre compte du mo

    rvolutionnaire. Certes, elle nest pas forcment dnue de pertinence pour la Tunisie ou lgdont les rgimes faisaient face depuis plusieurs annes une monte de la contestation sanconcder en termes de rformes politiques, dans le premier cas, ou en oprant une marche aautoritaire symbolise par les lections-farce de 2010 , dans le second. Toutefois, commmontrent dans cet ouvrage les contributions de Michal Bchir Ayari, Chaymaa Hassabo et YouEl Chazli, le raidissement de lagenda protestataire en Tunisie et en gypte ne peut se comprsans tenir compte des effets contre-productifs dune rpression qui radicalise les manifeplutt que de les dissuader . Dans le cas du Maroc, Slim Smaoui et Mohamed Wazif explique cest une volont damliorer le recrutement que rpond la rvaluation stratgiqu

    modes daction du mouvement du 20-Fvrier, qui passe du sit-in dans des espaces urbains cen des marches organises dans les quartiers populaires.

    Il ne faut pas non plus oublier les cas o la configuration prrvolutionnaire est beaucoupcomplexe pour saccommoder de la mtaphore de l explosion . Au Bahren, tudi par LauLour, les protestations dbutent alors que le principal parti dopposition, al-Wifaq, est engagune stratgie dalliance avec laile rformiste de la monarchie, stratgie relativement fructueutermes dacquis socioconomiques. Ici, le vent du changement dorigine exogne (africaine) viendra renforcer la main de lopposition radicale en lui faisant croire que la chutemonarchie est dsormais porte de main. Cest un autre facteur externe, en loccurrence lASaoudite, qui mettra un terme leurs espoirs en appuyant les faucons du rgime avant dorgalintervention militaire du Conseil de Coopration du Golfe.

    La radicalisation est toutefois loin dtre le seul fruit engendr par ces temps de crise. SmaWazif montrent ainsi que le mouvement du 20-Fvrier au Maroc ne peut tre rduit une sicoalition de groupes htroclites mettant momentanment leurs ressources en commun, mailaction protestataire commune donne progressivement lieu lmergence dune identit vfvririste partage. Cette dynamique de dpassement des identits militantes (ou non militaantrieures au moment rvolutionnaire trouve sa quintessence dans les campements tablis p

    manifestants sur les places de la Libration (gypte) ou du Changement (Ymen), sortemicrosocits utopiques.

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    En ces lieux fleurissent des vertus civiques contrastant nettement avec la ralit sociale ptrs vraisemblablement post)-rvolutionnaire comme le surcrot dattention envers le respelintgrit des femmes dans un contexte cairote o le harclement est gnralement omniprsou lactivisme pacifique des hommes des tribus ymnites qui dposent leurs armes lentrcamp. Point danglisme ici toutefois, car la vertu de lethnographie est de souligner la fforce et les limites de cette recomposition des identits militantes : observant le campemenrvolutionnaires ymnites, Marine Poirier montre que celui-ci reflte un relatif dpassemenclivages confessionnels, rgionaux ou tribaux sans pour autant les annuler puisque ces clivage

    reproduits physiquement lintrieur de lenceinte symbolisant lunit du mouvement.Si les camps gyptien et ymnite prsentent un caractre fondamentalement exprimen

    phmre, il est des pays o le processus rvolutionnaire, stant mu en conflit arm, a aboune transformation incomparablement plus profonde de lordre social. Dans une analyse dlibyen dont certains aspects sont sans doute applicables aux rgions syriennes chaaujourdhui au contrle du gouvernement de Damas, Arthur Quesnay explique comleffondrement du rgime de Kadhafi dans certaines rgions ne saccompagne pas deremplacement par le gouvernement rvolutionnaire de Benghazi, trop faible pour assumer urle, mais par lmergence dune multitude dentits locales autogres.

    De lhistoricit des mobilisations protestataires

    Cet ouvrage sinscrit dans la continuit des travaux consacrs aux mobilisations protestadans le monde arabe mme si, par la force des choses, le contexte est aujourdhui radicalediffrent. Alors que nos prdcesseurs ont tudi ces mouvements dans des contextes de restabilit autoritaire , nous faisons aujourdhui de mme au cur de moments rvolutionnaires

    ceux qui nous ont devancs dans ce champ dtude, nous empruntons la critique du mytl immacule contestation . Les processus rvolutionnaires ne peuvent tre rduit une siexpression de la spontanit des masses mais, mme en contexte autoritaire, sappuient sosur des mobilisations antrieures (civiques, sociales, rgionales, confessionnelles) dotes chde temporalits propres. Certes, la caractristique des processus rvolutionnaires est justelengagement dune multitude dacteurs, plus nombreux que les groupes mobiliss rituellemet souvent engags pour la premire fois dans une action protestataire radicale. L aussi, cepencest toujours en activant des sociabilits et des savoir-faire antrieurs la situation de politique que sont possibles ces diffrents modes daction protestataires.

    Les diffrents cas tudis dans cet ouvrage sont videmment trs diffrents de ce point de vlune des extrmits du spectre, on trouve le Bahren o, comme le souligne Laurence Lourvolution manque de 2011 sinscrit dans la continuit directe du soulvement chiite des an1990 et dun nouveau cycle de crises entam en 2002. loppos, la Libye constitue un cfigure ou aucune ouverture politique antrieure minimale navait jusqualors permdveloppement, mme embryonnaire, de quelque forme dactivisme organis que ce soit. Ildemeure pas moins que mme ici, lossature du mouvement rvolutionnaire nest pas entiresui generis mais emprunte des solidarits prexistantes : non pas tant les tribus, que le khadaavait prtendu identifier comme la pierre de touche de lordre social du pays, mais des lie

    secondaires divers, notamment locaux et professionnels.

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    Pas plus que lopposition prenant la rue, le cyberespace contestataire ne peut tre rduit, copourrait le suggrer une certaine utopie technologique , une simple multitude de citosurfeurs atomiss procdant une agrgation soudaine et spontane. Cest ce que montre RoLecomte dans sa contribution sur le rle des mdias sociaux dans la rvolution tunisiennapparat sinon une hirarchie, du moins une diffrenciation fonctionnelle entre producdinformation prsents sur le terrain et cyber-activistes mdiateurs oprant un travacentralisation et de relais vers les mdias classiques dont le rle reste dterminant. De maremarquablement contre-intuitive, lun des interlocuteurs de Lecomte dcrit Facebook non co

    une formidable caisse de rsonance disposition de tout un chacun, mais comme une tompour linformation qui naurait pas la chance dtre relaye par ces portiers du web que soncyber-activistes mdiateurs.

    Par souci dhonntet, nous ne saurions ignorer ici le fait que lhritage de la sociologimobilisations peut gnrer une sorte dangle mort dans lapprhension du phnorvolutionnaire. Parce que, pour la plupart, les auteurs travaillaient dj sur des mouvemsociaux prexistants aux vnements de 2011, ils ont naturellement t ports slengagement et les recompositions de ces mouvements travers les soubresauts des derniers Or, le moment rvolutionnaire dbute prcisment parce que dautres acteurs que les ractivistes dj constitus dcident de joindre massivement la protestation.

    Le cas gyptien, tudi par Chaymaa Hassabo et Youssef El Chazli, illustre particulirementle fait que lalchimie rvolutionnaire ncessite la fois des mouvements actifs de longue datloccurrence ceux qui organisent la manifestation du 25 janvier, et lirruption dune populbeaucoup plus large qui, jusqualors, tait politiquement inorganise. Or, cest prcisment aude cette population, et non parmi les militants aguerris, que sopre le changement de percecrucial en vertu duquel il existerait dsormais une opportunit rvolutionnaire. la veil25 janvier, alors que le prsident tunisien a quitt le pouvoir depuis une dizaine de jours, no

    dactivistes de longue date ne peroivent pas cette opportunit et esprent au mieux une gmanifestation . Tout comme les autorits, ils seront donc pris par surprise lorsque des dizainmilliers dgyptiens dferleront sur la place Tahrir. Les nouvelles recrues ne suivent donsimplement les protestataires de longue date : ce sont elles qui font crise en dbordanderniers cits voire, comme le montre Michal Bchir Ayari pour la Tunisie, en lanant elle-mun mouvement rejoint ultrieurement par les partis politiques et les groupes sectoriels.

    Le dpassement des lites critiques traditionnelles apparat de manire paroxystique dachapitre consacr par Ccile Box aux artistes du secteur audiovisuel syrien. Alors quil y a tans, de tels individus se seraient trs probablement dfinis comme membres dune avant-gardseulement artistique mais aussi politique, ils donnent aujourdhui limpression de chercherraccrocher la locomotive dun mouvement populaire qui, au dire de lun dentre eux, devancs de tous les points de vue . Trs modestement, ils ne simaginent pas en ttes pensdudit mouvement mais en simples porte-voix, mettant leurs savoir-faire au service protestation sur laquelle ils nont aucune prise. Trs rvlateur de cette volont d aller au peuest le fait que lorsque les artistes syriens dcident de descendre dans la rue, ils choisissent runir devant la mosque al-Hassan du quartier de Midan, un lieu relativement excentr capitale symbolisant lopposition populaire et religieuse au rgime.

    Eu gard ce qui vient dtre dit, il nous parat ncessaire dassumer, peut-tre reboulide nonce plus haut, la dimension partiellement immacule de ltincelle rvolutionna

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    partant sa spcificit. Elle combinerait en effet structures et modes daction institus, fomergentes de protestation et spontanit de linsurrection, sans pour autant se rduire dernire puisque si la violence nest pas ncessairement absente, la manifestation finit biesimposer comme le mode daction dominant.

    Stratgies contre-rvolutionnaires

    Pour terminer ce propos introductif, on soulignera qu travers ltude des mobilisaprotestataires, ce ne sont pas seulement des mouvements sociaux quanalysent les contributeucet ouvrage, mais galement les stratgies dployes par les pouvoirs en place pour les neutraAinsi, au fil des pages apparat un large rpertoire de contre-mesures qui ne se rduisent nulle la rpression.

    Lune des mieux connues des stratgies contre-rvolutionnaires est la manipulationsegmentations sociales verticales, quelles soient tribales (un rfrent identitaire dont CarRonsin, traitant de la Jordanie, souligne bien la plasticit), confessionnelles ou rgionales : suncontre chiites au Bahren, minorits religieuses contre majorit sunnite en Syrie, Transjorda

    contre Palestiniens en Jordanie, tribus concurrentes au Ymen ou en Libye. Les analyses prsedans cet ouvrage suggrent toutefois deux remarques importantes. La premire est quil convierelativiser la singularit des pays prsentant de telles segmentations verticales. Certes, ces derncompliquent pour les opposants le travail de construction de lide de peuple unitaire mais travail est de toute faon consubstantiel laction rvolutionnaire et nest pas ncessairemefacile en labsence de clivages primordiaux. En Syrie, par exemple, les rvolutionnaires heurtent pas seulement au fait confessionnel mais galement, au sein de la population majorsunnite, un problme de classe qui retardera considrablement limplication significative dacontestation des populations urbaines aises. Dans tous les cas, la segmentation de la soci

    peut tre rduite une donne structurelle de la situation mais doit tre apprhende comme ldune lutte politique qui se joue entre le pouvoir en place et ses dtracteurs. La chose appclairement dans le cas du Bahren, qutudient Laurence Lour et Claire Beaugrand, monarchie (sunnite) sest employe empcher lmergence dun courant libral tconfessionnel. Une seconde remarque, que nous inspire particulirement les contributionMarine Poirier et Michal Bchir Ayari, est que les groupes dappartenance primordiale ne sonncessairement des freins laction collective mais peuvent galement fournir au mouvervolutionnaire des ressources de mobilisation .

    Par leurs promesses de concessions et projets de rformes, les dirigeants concerns tentercuprer le monopole de linitiative politique et de neutraliser la majorit silencieuse , avesuccs ingaux : si les premiers discours dHosni Moubarak parviennent semer le doute danesprits, une rpression plus spectaculaire que dissuasive (la bataille du chameau ) radicalimouvement qui contraindra finalement au dpart le Ras(le prsident) ; linverse, les annopar lesquelles les rois du Maroc et de Jordanie cherchent prserver leur monopole sur linitirformiste rencontrent davantage de succs puisquelles parviennent notamment cliveopposants modrs et radicaux . Cest le cas au Maroc o ds lors que la Monarchie arfocaliser les dbats publics sur la rvision constitutionnelle, les coalitions contestataire

    mouvement du 20 Fvrier se divisent autour de la question du rfrendum. Certains protestadu dbut se muent mme en baltaji, rprimant les 20 fvriristes toujours actifs.

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    Si dans certains cas, la libralisation contrle des dernires dcennies a cr des margmanuvre mises profit par certains mouvements lorigine de la contestation, elle galement aux rgimes autoritaires contests la possibilit de jouer sur des mcanismespermettant de circonscrire lincendie . En Syrie, Ccile Box montre que la privatisation production audiovisuelle depuis le dbut du sicle a paradoxalement rduit lindpendancartistes actifs dans ce secteur. Quant la monarchie marocaine, elle tire profit de la loyaut orevirements dacteurs locaux (leaders associatifs, lus). Ces derniers ont t renforcs predploiement par le bas de lautoritarisme, qui les a paralllement arrims au rgime p

    biais de rseaux de contraintes et dintrts .Tout comme le cas du Maroc, celui de lAlgrie, tudi par Layla Baamara, nous rappelle q

    qui sest jou en 2011 ne se rsume pas ncessairement une lutte verticale entre un pcontestataire et une lite dirigeante plus ou moins cohsive et habile. Quand les opposants otenus en respect, cela na pas uniquement et toujours t du fait dune combinaison de rpressdinitiatives rformistes, mais aussi parfois en raison de la faiblesse intrinsque du mouvedopposition. Ainsi, ce que Baamara analyse nest pas lchec du moment rvolutionnaire algmais bien lincapacit des protestataires faire advenir un tel moment. Sautolimitant dans revendications, ils empchent la dsectorisation de la contestation et prviennent dobasculement du pays dans un contexte de crise politique .

    Organisation de louvrage

    Louvrage sorganise autour de deux thmatiques voques dans les pages prcdentespremire partie, intitule mergences , rassemble les contributions qui mettent en videndimension de rupture caractristique des pisodes rvolutionnaires, cest--dire leur capacproduire de nouvelles ralits politiques. La seconde partie, Trajectoires , se compose lin

    de chapitres illustrant linscription de ces mmes pisodes dans une continuit historique, nodu fait de quelque dterminisme mais en raison de larticulation des protestations rvolutionnades structures de mobilisation prexistantes.

    Il nous faut, pour terminer, dire un mot des cas de figure nationaux non tudis dans ce voDes pisodes contestataires comme les manifestations survenues dans le Kurdistan irakien ou ples populations chiites de lEst de lArabie Saoudite ont t carts faute dauteurs. Quant au Qen dpit de son rle influent dans la rgion, il na t le thtre daucun mouvement protestanotable et ne pouvait donc pas lgitimement faire lobjet dun chapitre dans un ouvrage consa

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    politiques dsamorcs au Maroc ,Annuaire de lAfrique du Nord, CNRS.1. (lizabeth Picard, 2008) et (Vincent Geisser et Abir Krefa 2011).

    2. (International Crisis Group , 2011, p. 6).

    3. (Abdelhaq Bchir 2011) ; Pour une tude de lconomie politique du consentement et de lobissance en Tunisie, Cf. (BHibou 2006).

    4. (Emmanuel Todd et Youssef Courbage 2007).

    5. Pour une analyse des enjeux de lobservation ethnographique des mobilisations Cf. le dernier chapitre de louvrage

    Cfa 2007) ainsi que le numro de revue (Combes Hlne et al. 2011).

    6. (Olivier Fillieule 2001).

    7. Pour une analyse de synthse Cf. (ric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Isabelle Sommier, 2008).

    8. Pour un tat de lart critique sur la transnationalisation de laction collective, Cf (Johanna Simant, 2010).

    9. Dailleurs certains mouvements politiques et intellectuels comme des mouvements amazighs en Algrie et au Maroc la qualification d arabe . Pour une autre analyse de la construction de lidentit Amazigh au Maroc , Cf. (Hassan 2006).

    10. Voir (Elizabeth Picard 2006) et (Michel Camau 2006).

    11. (Benedict Anderson 1991).

    12. L aussi on peut rappeler que la communication ne va pas de soi entre, par exemple, deux internautes lun dOran ede Manama au Bahren. Le premier use davantage de rfrences latines pour la transcription du dialectal algrien mlant

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    expressions franais avec des termes arabes ou amazigh. Comme le montre Romain Lecomte les cyberactivistes tueffectuent un travail de traduction gommant les rfrences latines et les chiffres afin que les mdias arabophones (dnotamment) ou les autres citoyens travers les pays arabes puissent comprendre leurs commentaires.

    13. Cf. une analyse partir du cas ymnite (Laurent Bonnefoy 2011).

    14. Ce que Michel Dobry nomme lillusion tiologique (Michel Dobry 1986).

    15. Concernant les enjeux dune telle labellisation, Cf. (Annie Collovald et Brigitte Gati 2006).

    16. (Florian Kohstall et Frdric Vairel 2011).

    17. Cf. (Hlne Combes et Olivier Fillieule 2011).

    18. Cette insistance sur le respect des femmes explique en retour la focalisation mdiatique sur les harclements et viols

    eu lieu au mme endroit.19. (Joel Beinin et Frdric Vairel 2011) ; (Mounia Bennani-Chrabi et Olivier Fillieule 2003) ; (Didier Le Saout et Mar

    Rollinde 1999) ; Pour un article de synthse, voir (Vincent Geisser, Karam Karam et Frdric Vairel, 2006).

    20. (Michal Bchir Ayari 2011).

    21. Pour une analyse de cette problmatique de lmergence dans la sociologie de laction collective, Cf. (Stphane CStphanie Dechezelles 2007).

    22. Pour le cas syrien, voir (Reinoud Leenders et Steven Heydemmann 2012).

    23. Pour le cas du Maroc Cf. (Mohamed Tozy, 1991 et 2008).

    24. (Irne Bono 2010).

    25. (Mohammed Hachemaoui 2011).26. Nous tenons remercier les auteurs des chapitres de ce livre, lesquels nous ont fait lhonneur de nous confier la prim

    leurs recherches. Notre gratitude va aussi aux prfacier et postfacier de ce volume quils ont accept denrichir de leur stimrflexions en dpit dun dlai extrmement serr. Nous saluons par ailleurs le soutien apport la ralisation de par lInstitut de recherches et dtudes sur le monde arabe et musulman (IREMAM, Aix-en-Provence). Ce soutien a notammla forme dun travail dvaluation effectu par Vincent Geisser et Myriam Catusse, laquelle nous a par ailleurs dispens unedes conseils particulirement prcieux. Nous remercions enfin Emmanuelle Bouilly pour son aimable travail de relecture introduction.

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    Partie I

    mergences

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    De la place de la Libration(al-Tahrir) la place du Changement (al-Taghyir) : transformatio

    des espaces et expressions du politique au Ymen

    Marine Poirier

    Fin janvier 2011, dans la ligne des rvoltes tunisienne et gyptienne, la contestation poliau Ymen sintensifie et se recompose autour de lappel au renversement du prsident Ali AbdSaleh, au pouvoir depuis 1978. Le mot dordre irhal (dgage) lanc par les jervolutionnaires fdre progressivement les oppositions prexistantes et entrane lmergennouvelles pratiques de protestation, dynamiques similaires de celles observes sur les autres sdes rvolutions arabes. Cependant, au-del des effets dentranement et des circulations rgion

    ces mobilisations mergent dans un contexte particulier . Celui de la guerre de Saada qui odepuis 2004 larmeymnite au renouveau zaydite (dit huthiste daprs le nom de son lspirituel Hussein al-Huthi) mais aussi du Mouvement sudiste (al-hirak al-janubi) qui agite d2007 les rgions de lancien Sud Ymen , et de lintensification des activits lies Al-Qada. la multiplication des foyers de contestation, les Ymnites sont victimes de la politique durpressif mene par le rgime et exasprs par linconsistance des tentatives de conciliation mpar les lites partisanes. Depuis 2006, lchec des pourparlers entre le Forum Commun des parlopposition (al-liqa al-mushtarak) coalition rassemblant socialistes, islamistes et nationaarabes et le parti au pouvoir, le Congrs populaire gnral (CPG), na pas seulement diviscne politique nationale ; il la prcipit dans limpasse, entranant deux reprises le repollection lgislative. En dpit des stratgies offensives de lopposition parlementaire, la dautoritaire du rgime sest aggrave : en dcembre 2010, Saleh proposait un amendeconstitutionnel devant lui permettre de prolonger son mandat et de prparer la succession de soAhmad Ali, chef de la Garde rpublicaine et des Forces spciales.

    Seule rpublique de la Pninsule arabique, le Ymen sest longtemps singularis lchelmonde arabe par sa capacit accommoder et associer lexercice du pouvoir une vdidentits et dacteurs. Lunification le 22 mai 1990 de deux Etats aux trajectoires historiqu

    politiques singulires, la Rpublique Dmocratique et Populaire du Ymen (RDPY) au SudRpublique Arabe du Ymen (RAY) au Nord, avait en effet contraint les lites acclrlibralisation du champ politique, entranant le pays dans un processus de dmocratisation udans la rgion. Cette formule pluraliste, fonde sur lintgration plutt que lexclusionopposants potentiels (notamment des islamistes) clate en 1994 lors dune guerre opposant launioniste aux scessionnistes sudistes. Lquilibre politique qui en dcoule, fragilis pconcentration du pouvoir par le prsident Saleh, est ensuite largement remis en cause par un reaccru du rgime la violence et la rpression. Mis en difficult par une opposition unifie danannes 2000, le gouvernement est incapable denrayer la multiplication et laggravation des co

    rgionaux et dapaiser, plus largement, les divisions politiques, conomiques et sociales

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    contraire, le contexte international de la lutte antiterroriste favorise un recours plus systmatila confrontation directe .

    La politique de criminalisation et de division des oppositions nempche pourtant pas la rfdration des opposants au rgime au dbut de lanne 2011. Face aux tentatives de confiscatila parole politique lgitime par le gouvernement qui, pour anticiper tout recours par loppositla stratgie de son homologue gyptienne, dresse des tentes de soutien au prsident sur la Tahrir Sanaa, les opposants vont organiser un campement parallle renomm placChangement (sahat al-taghyir) sur laquelle vont progressivement se retrouver et se concentr

    divers acteurs de la protestation. La mobilisation se poursuit malgr lvacuation temporaiSaleh en Arabie Saoudite en juin, au lendemain dune attaque sur le palais prsidentiel. Depusignature, le 23 novembre 2011, de la proposition du Conseil de Coopration de Golfe organisatransfert du pouvoir excutif et la mise en place dun gouvernement dunion nationale entre leet le Forum commun, les protestations continuent rassembler divers secteurs de la soymnite, comme lillustre la Marche de la vie (masirat al-hayat) organise depuis Taez jula capitale Sanaa fin dcembre. Llection du 21 fvrier 2012, au cours de laquelle Abd RaMansur Hadi, prsident adjoint du CPG et vice-prsident depuis 1994, est lu prsident poupriode intrimaire de deux ans, engage le pays dans une phase transitoire, sans pour amarquer larrt des protestations. Les manifestants poursuivent leurs mobilisations tout au lolanne 2012 avec lespoir dexercer une pression effective sur le gouvernement.

    Comment se ralise cette convergence exceptionnelle ? Qui en sont les acteurs ? Comsopre le passage laction et la progressive unification des agendas protestataires ? Dans qmesure cette dernire participe-t-elle la redfinition des enjeux et des structures dmobilisation, des clivages traditionnels et des sociabilits militantes ? Lobjet de cet article ediscuter lhypothse du renouvellement des modes et des registres de mobilisation dacpralablement socialiss et politiss, en soulignant la fois leur caractre indit et leur inscri

    dans des rseaux sociaux et traditions protestataires varis. Sans cder lillusion de la nouveil sagit dexaminer de plus prs la dynamique de transformation des interactions socialesrevendications politiques, des pratiques et des espaces de contestation caractrisant le procrvolutionnaire. partir dune enqute de terrain mene en fvrier et mars 2011 Sanaa et daprolongement de recherches menes depuis 2007 sur le parti au pouvoir et les mobilisapolitiques au Ymen, cet article examine les transfigurations des espaces et des expressionpolitique au cours du soulvement populaire. Pour ce faire, il tente didentifier les diffgroupes dacteurs qui laniment avant danalyser leurs interactions et recompositions adactivits, de revendications et de grammaires protestataires communes.

    La dynamique de convergence des acteurs

    Le soulvement populaire se structure initialement autour dacteurs qui sestiment marginalla fois des processus de prise de dcision politique, du systme de reprsentation des partis eorganisations traditionnelles de la socit ymnite (autorits tribales et religinotamment). Ainsi, les premiers cortges de manifestants qui dfilent depuis lUniversit Noude Sanaa la mi-janvier 2011 rassemblent dabord de jeunes tudiants, politiss mais critique

    -vis des stratgies institutionnelles de lopposition partisane incarne par la coalition du Fcommun , qui regroupe partis de gauche (socialistes et nationalistes arabes) et partis r

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    religieux (frres musulmans dal-Islah (la rforme) et partis zaydites). Ces partis tentent alongocier des rformes en poursuivant une campagne de boycott des quatrimes leclgislatives, prvues initialement en avril 2011. Les tudiants, galvaniss par les soulvemtunisiens et gyptiens, rejettent les propositions de rforme formules par les partis et demandrenversement du rgime dAli Abdallah Saleh. Rejoints par les militants de nombrassociations de dfense des droits de lHomme et des syndicats les plus actifs en termmobilisation contestataire (journalistes, enseignants et avocats notamment ), mais aussi pacitoyens aux profils socioprofessionnels varis exprimant leur solidarit lgard des rvolt

    cours dans la rgion, le groupe dtudiants coordonne des marches pacifiques Sanaa. Ces dernsont rprimes par les autorits qui dploient les forces de la Scurit centrale dans la vicontraignent les manifestants dans leurs dplacements, attaquant et emprisonnant nombrparticipants. Cest le cas de la jeune activiste des droits de lhomme Tawakkul Karman, qui rele prix Nobel de la paix en octobre 2011, et dont lemprisonnement temporaire entramobilisation dimportants rseaux de solidarit dans lensemble du pays et notamment dans lade Taez dont elle est originaire .

    Dbut fvrier 2011, alors que le grand rassemblement convoqu par le Forum commun Sandisperse comme laccoutume aprs la prire de midi, des dizaines de jeunes restent assiterre devant les portes de lUniversit Nouvelle. Ils attirent lattention des badauds et des serde scurit, chantant en cur des slogans en rupture avec les traditionnelles demandes de rfexprimes le matin mme : Non aux partis aprs ce jour , Sit-in, sit-in, jusqu ce que tomrgime , Notre demande est claire : dgage Saleh ! . La nuit tombe, ils affirment quipartiront pas tant que le rgime ne sera renvers. Assis sur des bches en plastique, ils appeleurs concitoyens les rejoindre et les organisations non gouvernementales les protgeattaques des forces de scurit qui tentent de les dloger dun carrefour qui deviendra, au courmois suivants, le cur symbolique du soulvement ymnite. Quelques semaines plus tard, en

    ils sont des centaines planter mme le bitume les premires tentes dun campement baptplace du Changement . Taez, Ibb, Aden, Hodeida ou encore Mareb, dans les centres urbaipays, des campements sorganisent de faon similaire, acclrant la dynamique de convergencacteurs de lopposition.

    La jeunesse au cur du soulvement

    Dans un pays dont lconomie fragile, situe la priphrie des changes mondiaucaractrise par un dsquilibre structurel entre la rente ptrolire et une agricultursubsistance , la rvolte sest moins structure autour dun incertain mouvement ouvrier que eunesse trs largement laisse pour compte par le systme de redistribution clientlist

    richesses . Les moins de 30 ans, qui reprsentent prs des deux tiers dune populatio24 millions dhabitants, sont en effet les premires victimes de la profonde crise conomiqsociale que traverse le pays depuis de nombreuses annes. Malgr la relative banalisation des suprieures, ils rencontrent de nombreuses difficults trouver un travail rmunr et intgfonction publique, alors mme que le diplme universitaire garantit traditionnellement lacladministration : selon les estimations, le taux de chmage parmi les 18-28 ans varie entre 40

    % . Dans un contexte marqu par la raret des possibilits de loisir mais aussi dmancipfamiliale (avec notamment le recul de lge du mariage), les jeunes semblent se dissocier de f

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    croissante des canaux traditionnels de la reprsentation politique, condamnant llitisme des dopposition, incapables de se faire les porte-paroles de leurs mcontentements. Ce dcromais aussi les espoirs dus de changement au lendemain de la prsidentielle de 2006 certainement pouss nombre dentre eux dans un processus de radicalisation. Au cours dcennie passe, la jeunesse sest ainsi retrouve au cur des principaux conflits qui divisepays, en premire ligne des combats opposant partisans du mouvement zaydite de la Jeucroyante (al-shabab al-mumin), mouvements salafis et arme nationale dans la rgion de Sdes affrontements entre groupes islamistes militants et appareils de scurit nationale, et

    rpression de la contestation sudiste. Dans les rangs de larme o les jeunes sont nombreudans ceux de ces mouvements dopposition arms ou pacifiques, la jeunesse ymnite fait figupetite monnaie dans des combats qui participent in fine la consolidation autoritaire du pouvo

    Cependant, la jeunesse ne saurait tre rduite ces trajectoires de radicalisation, niphnomnes pourtant rels de marginalisation conomique, politique et sociale et de lapathien serait consubstantielle. En effet, force est de constater la rsilience des rseaux de solidardentraide parmi les jeunes, dont le quotidien sarticule autour de pratiques et de sociabilitentretiennent un fort sentiment communautaire. Ces relations de confiance, interactions et chde services routiniers reprsentent un terreau privilgi pour lorganisation collective protestation de ceux qui se dfinissent progressivement comme la jeunesse rvolutionna(shabab al-thawra). Or, derrire lunit lexicale de cette expression se dgage une mosaqutrajectoires et de profils sociaux. Sil est impossible den dresser le portrait fidle, il seimportant de souligner la diversit des origines sociales et gographiques (avec une prdomindes personnes originaires de la rgion de Taez, qui merge rapidement comme lun des princifoyer de la contestation ), des comptences universitaires et professionnelles, et, bien pludegrs de socialisation politique. Parmi les jeunes qui initient le soulvement populaire se tro la fois des personnes issues de milieux populaires ou dfavoriss, ouvriers journaliers su

    chantiers, des jeunes issus des classes moyennes et suprieures ayant parfois suivi leurs tultranger et des tudiants ou diplms engags auprs dassociations de dfense des droilhomme, duvres de charit ou de partis politiques (notamment du parti islamiste al-IslahParti Socialiste Ymnite).

    En activant leurs rseaux dinterconnaissance et en mettant en commun leurs ressoindividuelles et collectives, que celles-ci se rapportent aux expriences partisanes, la matrisnouveaux mdias ou de langlais (essentiel pour la mobilisation de soutiens internationaux)comptences en termes de gestion financire ou sanitaire, les manifestants vont mettre sur piearchitecture locale puis nationale complexe devant permettre la fois la rationalisation

    prennisation du mouvement de protestation. Ainsi, ds les premires semaines du campemSanaa, les jeunes tablissent des structures pour la coordination et le dveloppement de leur acun comit organisateur, qui gre linstallation des tentes et lamnagement de lespace, contrtemps de parole et lanimation sur lestrade centrale ; un comit de scurit qui garantit en coles contrles et fouilles aux entres de la place ; un comit des mdias qui assure la circurapide des informations et la diffusion des communiqus de presse au nom de la rvolutioncomit de la sant qui oriente les blesss vers lhpital de campagne et assure la distributimdicaments, etc. Ces comits, initialement bricols sur des changes de savoir-faire, deviedes organisations prennes qui structurent et stimulent laction collective sur le long timposant le titre de rvolution populaire et pacifique de la jeunesse (al-thawra al-shababiyy

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    silmiyya al-shabiyya) au soulvement. Les manifestants vont ainsi progressivement renversstigmates dune jeunesse dsenchante et dsinvestie du politique, ou violente et radicalpromouvant limage dynamique et valorisante dune gnration organise, responsable et citoyqui revendique son autonomie et labsence de leadership unifi.

    Le dpassement des appartenances idologiques, confessionnelles et rgionales

    Le mot dordre irhal lanc par la jeunesse va progressivement fdrer lensembleoppositions prexistantes, entranant la convergence dacteurs protestataires varis et sorivaux et contrariant, temporairement au moins, la traditionnelle politique du diviser pour mrgner conduite par le rgime . Parmi eux, les reprsentants du Forum commun, qui sengtimidement auprs des revendications radicales de la jeunesse. Dailleurs, sils se joignenactivits organises sur la place et aux dmonstrations pacifiques , ils conservent une poautonome, poursuivant paralllement le dialogue avec les autorits pour ngocier une sortcrise. Cette stratgie est dnonce par les manifestants qui refusent tout dialogue et poursuivmobilisation malgr la signature fin novembre 2011, de la proposition du Conseil de Coopr

    du Golfe, organisant le transfert du pouvoir excutif et garantissant limmunit au prsident sopuis en fvrier 2012, le dpart officiel de Saleh de loffice prsidentiel. Malgr loinstitutionnelle suivie par les cadres du Forum commun, le soulvement populaire va profiteressources militantes et des denses rseaux de mobilisation de lopposition, tout particulireceux du premier parti dopposition al-Islah.

    Ce dernier bnficie de ressources varies, dabord lies linscription du parti dansallgeances rgionales ou tribales, qui offrent lorganisation une base mobilisable au-del didologie ou dun programme. Ainsi, lorsque le cheikh Sadiq al-Ahmar, chef de la princconfdration tribale ymnite (Hashid) et membre du conseil consultatif dal-Islah, visite la

    du Changement en mars et annonce quil rejoint la rvolution au nom de lensemble des memde la tribu , les rangs des manifestants se gonflent avec larrive de nombreux soutiens des ravoisinantes . Cette dynamique est ensuite acclre par le jeu des alliances tribales. Dansocit caractrise par la forte prgnance des structures tribales, particulirement au Nord oont t ingalement cooptes par le rgime au travers de rseaux de patronage, les tribus jtraditionnellement un rle dintermdiaire entre les citoyens et ltat et sont souvent pecomme autant de freins aux drives autoritaires du pouvoir .

    Les rvolutionnaires vont galement bnficier des ressources lies laction de proximi

    parti al-Islahdans les secteurs caritatifs, ducatifs et religieux, publicise au travers de nombmdias . Ces rseaux de solidarit marqus par des rfrences religieuses partages constituevecteur puissant de diffusion et de recrutement de sympathisants au cours de la rvolte. Straduisent par une progressive domination des islamistes (modrs) sur la place du Changemnotamment au sein des comits dorganisation de la rvolution, dautres mouvements politiquconstituent. Parmi ceux-ci, le Conglomrat des jeunes de la rvolution (takattul shabab al-thaaffili au Parti Socialiste Ymnite, la coalition Nasirproche des Nassriens, la Coalition civpour la rvolution des jeunes (al-tahaluf al-madani li-l-thawra al-shababiyya) ou celle Diversit (tanawu), regroupant les indpendants , ou encore lorganisation des Jeunes

    rsistance (shabab al-sumud), qui reprsente la voix des partisans dal-Huthi sur la place.

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    Ainsi, au-del de lopposition partisane, elle-mme enrichie des nombreux dmissionnairparti au pouvoir, des mouvements de contestation comme le renouveau zaydite ou le Mouvesudiste rejoignent le soulvement. Les premiers, au travers de lorganisation des Jeunes rsistance, entreprennent de banaliser des revendications politiques et sociales criminalises pautorits. Leur forte intgration et activit sur la place Sanaa favorisent, cconjoncturellement, un dpassement des appartenances confessionnelles et la constructionouvelles solidarits, notamment avec des activistes de gauche. loppos du territoire natmais aussi du champ politique, les partisans du mouvement de contestation pacifique su

    puisant dans une nostalgie confuse de lpoque socialiste, sassocient galement au soulvemela jeunesse, semblant mettre de ct leurs aspirations lautodtermination pour soutenir lapprenversement du rgime . Malgr sa dimension rgionaliste et sa composante scessionnisteMouvement sudiste se fait ainsi trs largement le relai dans les gouvernorats du sud des aspiraau changement formules par la jeunesse, reprenant le dialogue et cooprant avec des organisatraditionnellement perues comme concurrentes (tribus du Nord, partisans du renouveau zaetc.).

    Cette dynamique de dsectorisation des mobilisations qui se traduit dans le cas ymnite p

    dpassement des appartenances primaires et des clivages confessionnels, rgionaux ou trcaractrisant un certain nombre de groupes contestataires, permet au soulvement de trouvnombreux relais dans lensemble du pays. Cette dynamique est stimule par lorganisatiovisites par des dlgations de la jeunesse rvolutionnaire des diffrents sites de la protestdans le pays . La convergence se poursuit bien au-del des groupes voqus, rassemblant ausindividus menant traditionnellement leurs luttes au travers de formes de rsistances varies protestations atomises. Vendeurs de rue, boueurs, marchands de journaux, chauffeurs dehommes de tribus, tudiants ou encore commerants et femmes au foyer, la place rassembprintemps 2011 une population diverse, amenant un manifestant affirmer qu on y trouve to

    segments de la socit ymnite .Dans ce contexte de fluidit politique, lenjeu du renversement du rgime de Saleh semble

    bien tre saisi par lensemble des secteurs sociaux, entranant un dcloisonnement des espublics partiels et une convergence autour dune action collective unique. Cette converapparente ne doit cependant pas tre surestime. En effet, lunit de faade ne saurait cachdsaccords profonds entre groupes aux agendas politiques htrognes, qui saisissent lopportdu mouvement rvolutionnaire. Les dissensions se dveloppent notamment entre sympathidal-Islah et partisans dal-Huthi au lendemain de la dfection en mars du gnral Ali Mudirigeant de la premire division blinde qui a combattu Saada, connu pour sa proximit avislamistes radicaux et ses rivalits personnelles avec le prsident Saleh et son fils Ahmadmme, la sectorisation sociale et politique se reproduit physiquement sur la place du ChangemElle apparat de faon vidente et photographique : les tentes y sont organises selon lappartergionale ou tribale (tente des hommes de Khawlan, de Mareb ou de Shabwa par exemlappartenance professionnelle (tente des avocats, des universitaires ou des dputs), le dactivit (journalisme, ateliers sur les droits de lhomme ou confrences) ou encore laffilidologique (socialistes, partisans du renouveau zaydite, frres musulmans, etc.) . La segmensexue de lespace protestataire se manifeste aussi de faon trs nette : la mixit exception

    permise par la mobilisation collective (autour de lestrade centrale ou sur la tribune, lorconfrences ou au sein des comits dorganisation des jeunes rvolutionnaires) saccompagne

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    mise en place progressive de frontires physiques plus que symboliques (bches, sparasolides) entre espaces (et pratiques) genrs de fait. Cependant, cette division de lespaccontrarie par la circulation des individus entre les tentes et les changes constitutifcampement, qui invitent regarder au plus prs des pratiques de laction collective.

    Faire socit sur la place du Changement

    Si le soulvement populaire entrane une convergence des acteurs, il se manifeste galemenune convergence spatiale. En effet, les manifestants vont participer la construction dun nespace du politique, quelques kilomtres de la place centrale de la Libration (al-tahrir), symde la rvolution de 1962 contre limamat zaydite, confisque ds la fin du mois de janvier psoutiens au rgime . Contraints de se replier sur dautres espaces moins marqus politiqueles jeunes vont investir le carrefour situ lentre de lUniversit Nouvelle. Lengagement mdun sit-in ininterrompu souligne lajustement pragmatique de leur stratgie aux contraintes politique rpressive des autorits. Le dploiement militaire, la limitation de la libert de circuet lintimidation par des attaques de voyous (balatija) recruts par le rgime ont des incid

    directes sur les cots de la protestation, poussant les manifestants redfinir les termes, enjeformes de laction collective. Ces derniers vont ainsi tre amens construire un espace protcontrle et des interventions des autorits pour assurer le maintien et le dveloppement de activits ainsi que le recrutement de sympathisants . La survie du mouvement de protestatiole long terme dpend de la stabilisation de ces espaces qui font lobjet de luttes entre opposansoutiens au rgime dans lensemble du pays. Les campements organiss sur les nouvelles placChangement (Sanaa, Hodeida, Mukalla, al-Bayda) et de la Libert (Taez, Ibb, Mareb, Aden)lobjet de tentatives de reconqute par les autorits, au cours dpisodes rpressifs sanglantsdfense du contrle de ces territoires va donc reprsenter un enjeu central pour les opposant

    sarticule simultanment celui de la conqute de nouveaux espaces et llargissement progdes zones doccupation .

    Si le large campus de lUniversit Nouvelle de Sanaa a fait lobjet de manifestations par le prien ne permettait cependant de prvoir que ses abords deviendraient lpicentre du soulvepopulaire. Pourtant cet espace nest pas neutre ; il offre des ressources et pose un certain nombcontraintes laction collective. Ce lieu de passage et dchanges sur laxe Nord-Sud de la situ proximit des centres administratifs, va ncessiter le blocage de la circulation et ltiredans la longueur du campement, rduisant les effets de syncrtisme et dintgration ses marg

    les cours luniversit sont suspendus par le gouvernement dbut mars, les mobilisationspuiser sur des rseaux dinterconnaissance et de solidarit qui y sont enracins. Cest en effespace familier des tudiants, organis autour de routines communes, un espace de sociaprivilgi et donc un important rservoir potentiel de mobilisation. De mme, le croisemenrues al-Dairi et al-Adl est caractris par le dynamisme du secteur marchand : librairies, kiosqournaux, buffets et restaurants, gares de bus, etc. font de cet espace un lieu de passage

    socialisation.

    Le quartier nest pas seulement associ lenseignement et la recherche mais aulimplantation forte dal-Islah . La proximit dinstitutions universitaires intgres au vaste r

    dinfluence des islamistes dans le domaine ducatif (Universit des Sciences et TechnoloUniversit al-Iman), mais aussi celle de lAssociation de bienfaisance al-Islah, pre

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    organisation de charit au Ymen, et de ses sympathisants, impliqus dans laction de proximiparti, est remarquable. Lhpital de campagne stablit en mars dans les locaux de la mosqulassociation , bnficiant de ses ressources financires et techniques. Si la morphologie topographie dterminent lespace et les reprsentations sociales qui y sont attaches , la pradu campement protestataire va participer la redfinition et au rinvestissement symbolique lieu. Les activits et les sociabilits nouvelles qui sy dveloppent, mais aussi la rationalisatila place et de son conomie sont loccasion de rappropriations citoyennes de la notion depublic.

    La dimension sociale des mobilisations

    Loccupation de la place du Changement entrane lmergence de nouveaux rpertoires daqui sont en partie lexpression de rseaux de relation et de pratiques de sociabilits prexistdont les usages sont rnovs. En effet, les activits qui sy dveloppent sancrent dans des tradprotestataires varies, quelles se rapportent aux coutumes, solidarits et capacits contestades organisations tribales, aux souvenirs des luttes dindpendance et aux hritages de loccup

    britannique et du rgime socialiste au Sud, ou plus gnralement, la frquentation quotidienne de la traditionnelle sance de qat (taghzina ou maqyal ). Cette dernire, au coulaquelle sont mches pendant plusieurs heures des feuilles de qat, lger narcotique aux euphorisants, reprsente un agent de socialisation, un dispositif de prise de dcision mais aussnombreux gard une antichambre de la protestation. La sance de qat fonctionne comme un epublic de substitution, donnant lieu de nombreux dbats politiques et interactions .

    Dans le cadre de la pousse contestataire sudiste, des sances de qat dun nouveau genre sedveloppes, redfinies comme une forme daction protestataire publique. Cest le cas desorganiss devant les locaux du quotidien al-Ayyam Aden en 2008. Face aux attaques dontvictime la direction du journal, qui se faisait linter