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Aurélien Pressensé
2017, première version
2020, version remaniée
Ce document PDF est disponible sous licence Creative
Commons 4.0 – Attr ibut ion – Pas d’utilisation
commerciale – Partage dans les mêmes conditions. Pour
p lus de dé t a i l s , consu l t ez l e s i t e o ff i c i e l :
creativecommons.org.
Résumé : Nos ponts s’écroulent, notre climat se dérègle, nos sols s’érodent, la
biodiversité s’éteint, la pollution s’étend, etc. La plupart des biens publics liés à notre
qualité de vie se dégradent, c’est une véritable tragédie. Bien qu’il existe des moyens
de résorber cette tragédie des biens publics, nous manquons de financements pour les
mettre en place. Où trouver cet argent dont nous aurions tant besoin ?
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 3/60
MANIFESTE
La compétition et la coopération sont comme les deux poumons de l’économie. Le
poumon de la compétition fonctionne généralement à plein régime, stimulé par le
secteur financier dans sa quête de profits. A contrario, austérité oblige, le poumon de la
coopération est parfois douloureusement obstrué et le corps social a le souffle trop court
pour relever les défis écologiques ou sociaux en cours et à venir.
A – La tragédie des biens publics
Saviez-vous que le secteur financier a sauvé nos pays de l’asphyxie par le passé ? En
effet, ce n’est qu’avec le développement du capitalisme que le prêt à intérêt s’est
généralisé. La fonction de réserve de valeur de l’argent (on le met de côté) cessa alors
d’entraver celle d’intermédiaire des échanges (on le dépense). Au lieu de dormir, notre
épargne se prêtait plus librement. Enfin un peu d’air.
En ce début de XXIème
siècle, nous trouvons donc parfaitement normal que l’argent ait
un coût, qu’il faille payer un intermédiaire pour qu’il nous en loue un peu, bref, que l’on
emprunte la monnaie à ceux qui l’ont privatisée. Par exemple, même l’État s’endette
lorsqu’il a besoin d’argent. Il s’en remet à des investisseurs / banques pour se voir prêter
à intérêt de précieux euros.
La question à mille milliards d’euros est par conséquent la suivante : à moins qu’une
ligue de milliardaires philanthropes ne révèle son existence, comment attirer les
financements pharaoniques nécessaires à une transition énergétique nationale, si le
retour sur investissement de celle-ci est nul voire négatif ?
L’austérité nous rend incapables de financer de grands travaux d’intérêt général, au
risque de rendre inhospitalière notre Terre. Dérèglement climatique, déclin de la
biodiversité, pollution de l’air et des océans, nous sommes témoins d’une véritable
tragédie des biens publics. Ce système économique qui ne sait investir que dans ce qui
paraît rentable à court terme ne semble pas en mesure de nous tirer d’affaire.
B - Une régie du crédit
Une chose est sûre, nous ne résorberons pas la tragédie des biens publics avec un État
exsangue et des bailleurs de fonds qui ne financent que ce qui rapporte. Et si nos
politiques locales ne dépendaient plus de l’argent d’acteurs extérieurs ? Et si l’on gérait
la monnaie comme un commun ? Régie agricole, régie énergétique, régie de l’eau…
pourquoi pas une régie du crédit ?
Malgré la baisse des aides publiques, imaginez que votre communauté de communes1
propose d’assurer la résilience alimentaire et énergétique de votre territoire, sans que
cela ne nécessite de vous taxer davantage en amont. Comment ? Avec quels moyens ?
Avec la monnaie électronique mise en place par la régie du crédit de votre communauté
de communes. Finie l’austérité.
Ainsi, une fois la consultation populaire lancée, les projets plébiscités débutent. À
chaque grande étape achevée avec succès, les fonds en monnaie électronique sont
débloqués par la communauté de communes, et les travailleurs reçoivent leur paie sur
un portefeuille électronique (qui s’apparente à un compte bancaire accessible en ligne
via un site web ou une application mobile).
1. Une communauté de communes est un regroupement de communes. C’est donc un échelon
intermédiaire entre la commune et le département. Elle a pour objet d’associer des communes au sein d'un
espace de solidarité, en vue de l’élaboration d’un projet commun de développement et d’aménagement de
l’espace. La communauté de communes est gérée par le conseil de communauté, composé de conseillers
municipaux des communes membres.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 5/60
Correctement rétribués, ces travailleurs de la résilience sont bel et bien intégrés à la vie
économique du territoire : ils peuvent s’acquitter sans soucis de leurs courses ou de leur
loyer avec la monnaie disponible sur leur portefeuille électronique. Pour régler leur
dépenses, ils utilisent une carte de crédit spécifique ou scannent avec leur téléphone un
QR code (qui fait office de R.I.B.).
*
* *
Certains affirment qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité. Leur manque d’imagination
les empêchent de concevoir un monde où il n’est plus nécessaire d’emprunter l’argent à
ceux qui l’ont privatisé (et nous en prive). La tragédie des biens publics le met en
évidence, il est urgent que la quête de profits ne soit plus le critère majeur qui détermine
ce qu’il nous est possible de faire ou non.
SOMMAIRE
Manifeste........................................................................................................................... 3
Introduction....................................................................................................................... 7
EN FINIR AVEC L’AUSTÉRITÉ
Chapitre 1 – Monnaie et chômage, quel rapport ?.............................................................9
Chapitre 2 – Une nation peut-elle manquer de monnaie ?..............................................15
Chapitre 3 – Comment remédier à un manque de monnaie ?..........................................22
Chapitre 4 – Monnaie et endettement, quel rapport ?......................................................28
Chapitre 5 – Qui décide du pouvoir d’achat de la monnaie ?..........................................34
Chapitre 6 – Faire circuler plusieurs monnaies, ça marche ?.......................................... 40
Récapitulatif.....................................................................................................................46
Conclusion....................................................................................................................... 48
ANNEXES
Bayonne 2027.................................................................................................................. 52
Évolutions de l’économie................................................................................................ 57
Foire Aux Questions........................................................................................................ 58
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 7/60
INTRODUCTION
De quoi se plaint-on au juste ?
Nous assistons à ce qu’un économiste pourrait appeler une « tragédie des biens
publics ». Un écologiste parlera, lui, de « guerre contre le vivant ». En clair, nos glaciers
fondent, nos sols s’érodent, la qualité de notre air et de l’eau de nos rivières se dégrade,
nos grands mammifères se meurent et la liste est encore longue. Il y a manifestement un
énorme dysfonctionnement à corriger.
Tragédie des communs ou tragédie des biens publics ?
Le titre de ce livret s’inspire de « La Tragédie des communs » (1968) de Garett Hardin.
Il y déplore la logique capitaliste, qui promeut le chacun pour soi au détriment d’une
gestion pérenne de nos ressources. Quoi qu’il en soit, la crise écologique que nous
traversons en ce début de XXIème
siècle est révélatrice, elle nous indique que quelque
chose ne tourne pas rond.
Un dernier mot avant de commencer ?
La réussite d’un projet est fortement corrélée à la taille du budget que l’on consacre à
son exécution. Sans les moyens financiers nécessaires, on ne résorbera pas la tragédie
des biens publics. Or, nous pouvons très bien éviter de manquer d’argent, d’autant plus
lorsqu’il s’agit d’une problématique aussi urgente qu’importante. Ce livret vous
présente ainsi une alternative crédible à l’austérité.
En finir avec l’austérité
✓ Monnaie : Moyen matériel ou immatériel servant de compensation lors d’une
transaction. Réutilisable / impérissable, la monnaie a également la particularité
d’être une unité de compte, d’être un étalon de la valeur.
Synonymes : unités monétaires, devises.
✓ Croissance : Hausse du chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente.
D’une année sur l’autre, un agent économique (ou un regroupement d’agents
économiques) a soit davantage vendu de biens / services, soit les a fournis à un
prix plus élevé.
✓ Économie : Ensemble des activités relatives à la création et à la distribution de
produits / services au sein d’une communauté. Une économie dynamique rend
compte d’une confiance partagée en l’avenir.
Synonymes : vie économique, activité économique.
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Chapitre 1 – Monnaie et chômage, quel rapport ?
NOTION #1 : POLITIQUE MONÉTAIRE
L’argent est roi. Notre problématique est de déterminer comment le mettre au service de
la résorption de la tragédie des biens publics (cf. manifeste). Par précaution, nous
préférerons dorénavant le mot « monnaie » au mot « argent », ce dernier véhiculant
certaines idées reçues inopportunes. Nous en reparlerons.
Toujours est-il que l’austérité ne nous permet pas de relever les défis sociaux et
écologiques à venir. Pour étayer cette conviction, passons en revue deux débats majeurs
qu’ont connus les sciences économiques à propos de l’influence de la monnaie sur
l’économie, ou comment résoudre une crise économique.
A - Say (1767-1832) versus Keynes (1883-1946)
Pour certains économistes, « c’est une circonstance assez insignifiante qu’il y ait
beaucoup ou peu de [monnaie] dans le monde. S’il y en a beaucoup, il en faut
beaucoup ; s’il y en a peu, il en faut peu pour chaque transaction, voilà tout ! » [Bastiat,
p.87]. En clair, imprimer de la nouvelle monnaie provoquerait à long terme une
augmentation générale des prix, point.
Cette façon de voir les choses est souvent associée à la loi de Say, du nom de
l’économiste français Jean-Baptiste Say, que l’on retrouve parfois formulée de la
manière suivante : « la monnaie est un voile qui masque les échanges des marchandises
entre elles ». La monnaie ne serait donc qu’une simple interface habillant un système de
troc.
En effet, « l’idée jusqu’à la Grande Dépression était que l’économie s’auto-régulait dans
une large mesure » [Conway, p.38] et qu’il valait mieux ne pas s’immiscer dans ses
affaires. C’était sans compter sur le krach de 1929 puis l’intervention décisive de
l’économiste John Maynard Keynes, selon qui « dans le monde réel, la dépense d’une
personne est le revenu d’une autre personne » [Goodwin, p.122].
Partant de là, l’État aurait en fin de compte un rôle économique majeur, à savoir irriguer
le pays avec la monnaie qu’il crée, c’est-à-dire distribuer des revenus qui seront à leur
tour dépensés et ainsi de suite ; la vie économique est logiquement dynamisée, le taux
de chômage diminue en conséquence.
La monnaie à présent reconnue par nos économistes comme « active » (en injecter peut
faire baisser le chômage), nos dirigeants décident de favoriser l’activité économique en
menant des politiques de relance par la dépense publique. Cela fonctionne un temps, par
exemple de 1946 à 1975, au cours des Trente Glorieuses.
B - Keynes (1883-1946) versus Friedman (1912-2006)
Pendant des années, afin de soutenir l’économie et d’endiguer au mieux le chômage,
nos gouvernements se sont contentés d’émettre de la monnaie en quantité puis de la
déverser. Toutefois, avec le temps, ces politiques de relance économique par la dépense
publique se montrent nettement moins efficaces.
Pire, parmi les pays qui les appliquent, beaucoup se retrouvent dans une situation
totalement inédite : non seulement le chômage ne se résorbe pas, mais les prix grimpent
significativement. C’est la « stagflation ».
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 11/60
L’économiste Milton Friedman, fondateur du monétarisme, nous rappelle alors qu’une
transaction commerciale ne peut avoir lieu que s’il existe un bien / service à vendre.
Dans le cas où la production est à son maximum et qu’il n’y a aucune vente
supplémentaire à réaliser, émettre un surcroît de monnaie n’améliorera en rien la
situation, bien au contraire.
Longtemps dédaignée, la théorie quantitative de la monnaie s’impose finalement avec le
monétarisme. Ci-dessous un rapide schéma pour l’illustrer :
2
Nos dirigeants - conseillés par nos économistes - recherchent désormais la stabilité des
prix tout en veillant à développer la production. De plus, pour tempérer la création
monétaire, l’on met fin au financement direct ; l’État ne peut plus émettre de monnaie
par lui-même, mais doit l’emprunter à un intermédiaire financier, comme tout le monde.
2. L’expression « économie réelle » désigne l’ensemble des activités rémunérant un travail. C’est le
monde de l’entreprise. L’économie réelle s’oppose donc à l’économie financière, qui rémunère, quant à
elle, un capital. C’est le monde de l’investissement.
Cette distinction est très utile, surtout lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi la politique monétaire de
l’assouplissement quantitatif (ou « quantitative easing ») ne provoque pas une hausse générale des prix.
Bien que la banque centrale émette énormément de monnaie (afin de racheter des titres financiers à nos
banques commerciales), tout cet argent supplémentaire ne vient pas impacter la valeur de l’euro.
En effet, ces milliards d’euros créés restent dans l’économie financière ; n’étant pas mis en circulation
dans l’économie réelle, aucune hausse des prix n’a lieu, à l’instar d’une République de Weimar qui
imprimerait des milliards de marks, pour finalement les stocker dans une base militaire.
C - Synthèse
L’Économie (l’étude de l’économie) nous suggère que l’activité économique d’une
nation peut être stimulée par un ajout de monnaie ou a contrario, être chahutée lorsque
trop de monnaie est injectée dans ses circuits, d’où l’existence et l’importance des
politiques monétaires.
Dit plus grossièrement, s’il n’y a pas assez de dépenses, d’argent qui circule, le
chômage augmente. À l’inverse, si trop d’argent afflue, les prix augmentent. Une nation
en bonne santé économique est donc une nation qui gère correctement la quantité de
monnaie s’échangeant en son sein.
Il existe bien sûr différentes approches pour gérer au mieux cette quantité. Dans le cas
d’un régime totalitaire (tel que l’était l’U.R.S.S.), l’allocation de la monnaie est
exclusivement chapeauté par l’État ou presque. Dans le cas d’un régime capitaliste, la
monnaie est principalement allouée au travers des prêts et crédits qu’une multitude
d’investisseurs et d’agences bancaires accordent aux entreprises ou aux ménages.
Cela dit, une nation n’est pas condamnée à choisir entre une organisation économique
communiste et une organisation économique capitaliste. Elle peut très bien régir la
distribution de ses unités monétaires autrement qu’au travers d’institutions étatiques ou
financières à but lucratif, ou encore un mélange des deux. Nous y reviendrons.
Il faut bien gérer la quantité de monnaie dans l’économie.
*
* *
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 13/60
N.B. :
Au regard de la Théorie Quantitative de la Monnaie, nos institutions économiques
s’ingénient à ce qu’il n’y ait ni surabondance de marchandises, ni surabondance de
monnaie. En manipulant les taux d’intérêt à la hausse ou à la baisse, elles s’assurent que
la quantité de monnaie en circulation “gonfle” ou “dégonfle” au même rythme que la
production de biens et services.
Hélas, procéder uniquement de cette manière, c’est oublier que la monnaie est “active”,
qu’elle est à l’économie ce que le carburant est à un moteur de voiture ; c’est comme si
une station essence espérait redémarrer une voiture en panne d’essence, juste en faisant
varier les prix à la pompe !
Ne serait-il pas plus efficace de simplement faire “le plein” ? On retrouve cette idée
derrière le principe de l’hélicoptère monétaire, également surnommé « quantitative
easing pour le peuple ».
Sources chapitre 1 :
Daniel, Jean-Marc. 3 controverses de la pensée économique. Paris : Odile Jacob, 2016,
175 pp ; p.39-40, p.59, p.90, p.98-99.
Graeber, David. Dette, 5000 ans d’histoire. (traduit de l’anglais par Françoise et Paul
Chemla). Paris : Les Liens qui Libèrent, 2013, 623 pp ; p.57.
Conway, Edmund. Le keynésianisme. In : Juste assez d’économie pour briller en
société. (traduit de l’anglais par Albert Leduc-Sinel). Paris : Dunod, 2010,
207 pp ; p.38-41.
Conway, Edmund. Le monétarisme. In : Juste assez d’économie pour briller en société.
(traduit de l’anglais par Albert Leduc-Sinel). Paris : Dunod, 2010, 207 p p ;
p.42-45.
Goodwin, Michael., Burr, Dan (illustrations). Economix. (traduit de l’anglais par
Hélène Dauniol-Remaud). Paris : Les Arènes, 2013, 304 pp ; p.121-122,
p.143.
Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.77, p.279.
Bastiat, Frédéric. Œuvres complètes de Frédéric Bastiat. Tome V : Sophismes
économiques et petits pamphlets II [en ligne]. Paris : Guillaumin, 1854, 564 pp ;
p.87. Disponible sur : <https://fr.wikisource.org/wiki/Maudit_argent> (Consulté
le 10/08/2017)
Gerdesmeier, Dieter. Pourquoi la stabilité des prix est-elle importante pour vous ? -
Manuel à l’intention des enseignants [en ligne]. Banque Centrale Européenne,
2007, 92 pp ; p.22-24, p.46, p.56-57. Format PDF. Disponible sur :
<https://www.ecb.europa.eu/home/pdf/students/booklet_fr.pdf> (Consulté le
31/08/2016)
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 15/60
Chapitre 2 – Une nation peut-elle manquer de monnaie ?
NOTION #2 : FAMINE MONÉTAIRE
Le bénévolat a ses mérites et ses limites. Pour que des personnes puissent s’occuper à
plein temps de la résolution d’un problème social ou écologique, nous devons
généralement les payer, ce qui nécessite de recueillir au préalable des fonds.
Nous avons vu qu’injecter de la monnaie dans l’économie parvient parfois à réduire le
taux de chômage d’un pays. Dès lors, se pourrait-il, que dans certains cas, ce ne soit pas
le travail qui manque, mais au contraire, les moyens financiers qui permettraient de le
rémunérer ? Que nous dit l’Histoire ?
A - La monnaie est active
« [Lorsque la monnaie] commence à affluer en plus grande abondance qu’auparavant,
toute chose revêt une nouvelle face : le travail et l’industrie prennent de l’animation ; le
marchand devient plus entreprenant, le manufacturier plus actif et plus habile ; le
fermier lui-même pousse sa charrue avec plus d’entrain et d’attention » [Hume, p.29].
Nous l’avons vu précédemment, la monnaie est “active” (en injecter peut faire baisser le
chômage). À l’inverse, « un retard dans l’accroissement de la quantité de monnaie peut
parfois freiner - et ceci s’est souvent passé dans l’histoire - le taux de la croissance
économique » [Triffin, p.73].
La notion de famine monétaire désigne, précisément, une période où un grand nombre
de projets ne trouvent pas les financements nécessaires à leur réalisation parce qu’il n’y
a plus assez de monnaie dans le pays. L’expression « famine monétaire » vient de
l’historien Jacques Le Goff, qui l’utilise pour décrire le contexte économique du
XVème siècle :
« Les besoins croissants du commerce [font face à] l’impossibilité d’accroître au
même rythme le nombre d’espèces métalliques en circulation, par la suite de la
stagnation ou du déclin des mines européennes et du ralentissement de
l’alimentation en métaux précieux de provenance africaine. [C’est donc dans un
contexte de] « famine monétaire » [qu’il] faut replacer l’activité des marchands de
la fin du Moyen Âge. »
- Jacques Le Goff, [Le Goff, p.29].
B - La monnaie est mal répartie
En ce début de nouveau millénaire, la plupart de nos hommes politiques partent du
principe que la quantité de monnaie en circulation s’adapte automatiquement aux
besoins de la croissance économique. D’après eux, si une activité est susceptible d’être
profitable, les montants indispensables à son financement seront naturellement attirés.
Toutefois, comprenons bien qu’un investisseur ne prête pas son argent pour créer des
emplois, mais pour s’enrichir. Un territoire sur lequel il n’y a pas de profits à réaliser
n’attirera pas de financements. De même, un entrepreneur s’installera là où se trouve ses
clients potentiels, ce n’est pas lui qui attire la monnaie, mais la monnaie qui l’attire, lui
(d’où les migrations économiques ou l’exode rural).
Bref, ce n’est pas toujours le travail qui manque, il arrive que ce soit les moyens de
rémunérer le travail. Imaginons à présent que dans une zone jusqu’alors pauvre en
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 17/60
euros, un afflux de monnaies électroniques change la donne et permettent à des
entreprises d’y trouver des clients, de s’y développer et par suite, d’y créer des emplois.
C’est cette piste que nous allons creuser avec les régies du crédit.
Au sujet de l’économie française, serait-elle victime d’une famine monétaire ?
Lecture : Il y a en France de plus en plus de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi.
C - Synthèse
Résumons : l’Histoire suggère d’accroître la quantité de monnaie circulant au sein d’une
communauté à mesure que la vie économique de celle-ci se développe. Dans le cas
contraire, l’économie sature, car limitée par un stock d’unités monétaires trop faible ou
mal réparti. La monnaie s’échange de fait avec peine, le chômage sévit, la crise se
rapproche.
On retrouve ce phénomène au cours d’une partie de poker. Plus la partie avance, moins
il y a de personnes en jeu et donc de “transactions”, la quantité de jetons s’avérant
insuffisante lorsque les « blinds » ou les gains de certains joueurs s’envolent. Quelle
option a un joueur de poker dans cette situation ?
Pour ne pas être éliminé et éviter la “famine”, un joueur de poker à la possibilité de
« recaver », c’est-à-dire ajouter des jetons supplémentaires à la partie. De même, en cas
de famine monétaire, injecter de nouvelles unités monétaires dans l’économie réelle est
une stratégie tout à fait pertinente.
Nous allons voir que des monnaies électroniques propulsées par des régies du crédit
peuvent aisément jouer ce rôle de jetons additionnels et ainsi, apporter le carburant
nécessaire pour guider notre civilisation dans une autre direction. Il nous reste à étudier
comment rendre cela possible.
Il faut parfois ajouter de la monnaie dans l’économie.
*
* *
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 19/60
N.B. :
« À l’heure de la monnaie dématérialisée, pourquoi un pays développé ne crée-t-il pas
les euros dont il a besoin pour financer la lutte contre le dérèglement climatique, qui
nous menace tous !? s’exclame M. Perspicace.
— T’es fou ! rétorque Mme Certitude. Si l’on créait des euros chaque fois que l’on en a
besoin, alors ils n’auraient aucune valeur.
— Attends ! Comment tu réagirais, toi, si l’on découvrait demain qu’un astéroïde
gigantesque nous fonçait droit dessus, mais que nos dirigeants se pointaient dans la
foulée à la télé pour nous expliquer que, malheureusement, nous n’avons pas les
moyens financiers de sauver notre planète. Tu réagirais comment ?
— Euh… Pas la peine de s’en faire, on mettrait au point un super canon destructeur
d’astéroïdes, voilà tout.
— Je recommence. Admettons que nous ayons la main d’œuvre, le savoir-faire et les
matériaux à disposition pour construire ce canon. Tu accepterais que notre
gouvernement déclare que, faute d’argent, ce chantier ne pourra avoir lieu et qu’il nous
faut accepter notre sort ? Manquer d’euros immatériels, c’est plutôt ça qui paraît fou,
non ? »
Sources chapitre 2 :
Hume, David., Say, Léon (édition scientifique). De la circulation monétaire. In :
David Hume - Œuvre économique (traduit de l’anglais par Charles F o rmen t in
[en ligne]. Paris : Guillaumin, 1888, 270 pp ; p.29. D i s p o n i b l e s u r :
<http://philotra.pagesperso-orange.fr/de%20circula_monetaire_formentin.htm>
(consulté le 28/03/2017)
Triffin, Robert. L’or et la crise du dollar. (traduit de l’anglais sous la direction de
Jacques Raoul Boudeville). Paris : PUF, 1962 (1ère
éd. anglaise 1960), 201 pp ;
p.65, p.72, p.73.
Vigreux, Pierre-Benjamin. De la monnaie à l’économie en France (1933-1938). Paris :
LGDJ, 1938, 223 pp ; p.83-84, p.157-161.
Haudry, Jean. Juno Moneta, aux sources de la monnaie. Milan : Archè, 2002,
199 pp ; p.39.
Sapir, Jacques. Le troc et le paradoxe de la monnaie. Journal des anthropologues. [en
ligne]. Association française des anthropologues, 2002, n°90-91, p.283-303, mis
en ligne le 01 décembre 2003 ; p.2 §6. Format PDF. Disponible sur :
<https://journals.openedition.org/jda/2306> (consulté le 30/09/2016)
Gautier, Élie. Une monnaie au service des hommes. Loudéac : chez l’auteur, 1985,
343 pp ; p.18, p.20-21, p.36, p.225.
Le Goff, Jacques. Marchands et banquiers du Moyen-Âge. Paris : PUF, 1966 (1ère
éd.1956), 128 pp, (Que-sais-je ?, n°699) ; p.29.
Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.308, p.363.
Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème
éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.23,
p.164.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 21/60
Conway, Edmund. Juste assez d’économie pour briller en société. (traduit de l’anglais
par Albert Leduc-Sinel). Paris : Dunod, 2010, 207 pp ; p.38-41.
Smith, Adam. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livres I
et II . (traduction de l’anglais coordonnée par Philippe Jaudel). Paris :
Economica, 2000 (1ère
éd. anglaise 1776), 412 pp ; p.203, p.351.
Pole-emploi.org. Chômage et demandeurs d’emplois. [en ligne]. Disponible sur :
<http://statistiques.pole-emploi.org/stmt/publication> (consulté le 05/12/2017)
Chapitre 3 – Comment remédier à un manque de monnaie ?
NOTION #3 : LIBÉRATION MONÉTAIRE
« Si le climat était une banque, nous l’aurions déjà sauvé » est un slogan écologiste qui
souligne l’allocation à géométrie variable de l’argent public. En effet, le 7 janvier 2009,
le Président français affirme son intention d’affecter des milliards d’euros
supplémentaires au plan de sauvetage des banques françaises. L’État ne sort pas ces
fonds de son “épargne” : il s’est lourdement endetté pour l’occasion.
Dans le même temps, faute de budget, nous ne parvenons pas à financer la
modernisation de nos centres de tri des déchets ou bien la rénovation de nos ponts. Dans
un cas, nous nous endettons pour obtenir les moyens financiers dont nous avons besoin,
dans l’autre, cette option n’est pas envisagée. Essayons de comprendre pourquoi.
A - De l’abandon de l’étalon-or à l’abandon de l’étalon de change-or
Pendant des décennies, il nous a d’abord fallu « exhumer de l’or des profondeurs de la
terre pour […] [pouvoir ensuite] s’autoriser à imprimer des [billets] » [Bersac, p.168].
C’est le système de l’étalon-or : un pays ne peut ajouter des unités monétaires à son
économie que si son stock d’or le lui permet.
Toutefois en 1914, de nombreux pays décident de suspendre ce système du « Gold
Standard ». Quelle est la raison derrière cette décision ? Le financement de la première
guerre mondiale. Pour résumer, l’or impose à la monnaie une quantité limite malvenue,
or une fois cette restriction levée, il devient légal d’injecter autant de francs que nous le
souhaitons dans l’économie française.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 23/60
Aucune mesure innovante n’a été implémentée, nous nous sommes juste donné le droit
d’émettre davantage de monnaie. Cette libération monétaire sera, néanmoins, de courte
durée. Les accords de Gênes de 1922 instaurent un étalon de change-or (le « Gold
Exchange Standard »). À présent, la devise française est indexée sur le dollar états-
unien et la livre sterling, qui sont les seules à devoir être couvertes par du métal jaune.
Mais famine monétaire oblige, on se débarrasse outre-Atlantique de l’étalon de change-
or en 1933, car faute d’or et par voie de conséquence de dollars, il devient impossible de
mener à bien les politiques de grands travaux du Président Roosevelt (le « New Deal »,
de 1933 à 1938, dont l’objectif est de sortir le pays de la « Grande Dépression »). C’est
la seconde libération monétaire du XXème
siècle.
B - Trente Glorieuses (1946-1975) et guerre du Vietnam
« Depuis longtemps l’or ne procure plus de liquidité internationale suffisante pour une
économie mondiale en expansion » [Triffin, p.98]. Pourtant, en 1944 les accords de
Bretton Woods3
mettent en place un nouveau système d’étalon de change-or, qui impose
que seule la devise de l’oncle Sam soit dorénavant convertible en or, tandis que les
autres monnaies restent indexées sur le dollar.
Notons que ces accords prévoient, entre autres, l’émission de dollars en échange d’une
reconnaissance de dette du Trésor états-unien ; on parle de « monétisation de dettes
publiques ». Énormément de dollars vont pouvoir être créés sans qu’aucune contrepartie
aurifère n’intervienne dans l’opération.
3. Les Accords de Bretton Woods (1944) sont des accords économiques ayant dessiné les grandes lignes
du système financier international. Leur objectif principal est de mettre en place une organisation
monétaire mondiale. Ils sont signés le 22 juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis).
En ce début de XXIème
siècle et depuis les Accords de la Jamaïque en 1976, c’est dorénavant la loi de
l’offre et de la demande qui détermine le cours de nos devises, via un marché des changes. Nous avons
adopté un régime dit « de changes flottants ». Si un euro vaut un euro, d’un jour à l’autre, il s’échange
contre plus ou moins de dollars.
Dès lors, pas de troisième libération monétaire à l’horizon ? Faux. Puisqu’il est toujours
possible d’échanger les dollars contre de l’or, il s’avère problématique que la quantité
de dollars injectée dans l’économie mondiale soit désormais supérieure aux réserves en
or des États-Unis.
Ainsi, face à ce dérangeant écart - que les politiques de relance économique par la
dépense publique et la guerre du Vietnam ont largement creusé - les États-Unis doivent
de nouveau abandonner l’étalon de change-or. Le 15 août 1971, le président américain
Richard Nixon déclare “temporaire” la fin de la convertibilité du dollar en or.
C - Synthèse
Nous avons emprunté la notion de libération monétaire au « économistes atterrés », qui
l’utilisent pour évoquer les Trente Glorieuses, au cours desquelles les États sont plus ou
moins libérés des contraintes économiques liées à l’or. Pouvant s’endetter sensiblement
plus auprès de leur Trésor public, ils trouvent facilement les moyens de mettre en place
les politiques qu’ils jugent adéquates. Fini le manque de budget.
Prenons la balance de Roberval pour illustrer cette libération monétaire :
Lecture : En adoptant les “poids-dettes” en sus des “poids-or”, nous avons pu rassembler les ressources
financières requises pour mettre en œuvre certains projets nationaux.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 25/60
Maintenant, pourquoi peut-on créer des euros pour sauver nos banques, mais pas pour
“sauver” le climat ? Parce qu’on ne contracte une dette que si l’on estime pouvoir la
rembourser. L’État peut s’endetter pour sauver une banque, car celle-ci pourra par la
suite le rembourser. Ce n’est pas le cas avec le climat, qui lui ne signe aucun chèque de
remerciement.
Malheureusement en ce début de XXIème
siècle, les traités européens semblent inscrire
les lois économiques dans le marbre. Faire advenir une quatrième libération monétaire
au sein de la zone euro est probablement impossible. Nous allons donc devoir envisager
une autre approche pour financer, par exemple, la modernisation de nos centres de tri
des déchets.
Il faut parfois changer les règles du jeu économique.
*
* *
N.B. :
Répétons-le, en cette entame de nouveau millénaire, la plupart de nos hommes
politiques partent du principe que la quantité de monnaie en circulation s’adapte
automatiquement à nos besoins. D’après eux, aucun manque de monnaie dans
l’économie réelle ne serait à signaler, car si nous voulons plus d’argent, il suffit de
travailler plus.
Leur logique est peut-être la suivante : puisque le travail crée la richesse (cf. Adam
Smith) et que l’argent est une richesse (ou du moins, que les richesses s’échangent
contre de l’argent), alors le travail crée l’argent.
Cependant, les revenus qu’un salarié obtient de la part d’un employeur ne tombent pas
du ciel. L’entreprise qui l’embauche ne produit aucun euro, elle ne fait, en réalité, que
transférer une partie de ceux qu’elle a déjà en sa possession (sur un compte bancaire).
Bref, elle ne crée pas la monnaie avec laquelle elle paie son employé.
Pour cette simple raison, lorsqu’il n’y a pas assez de monnaie dans l’économie réelle, ce
n’est pas un surplus de travail qui la fera apparaître comme par enchantement. D’où
vient véritablement l’argent ? Des institutions monétaires qui le créent. En ce début de
XXIème
siècle, nous utilisons majoritairement une monnaie bancaire.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 27/60
Sources chapitre 3 :
Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème
éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.152,
p.168, p.248.
Goodwin, Michael., Burr, Dan (illustrations). Economix. Paris : Les Arènes, 2013,
304 pp ; p.135.
Triffin, Robert. L’or et la crise du dollar. (traduit de l’anglais sous la direction de
Jacques Raoul Boudeville). Paris : PUF, 1962 (1ère
éd. anglaise 1960), 201 pp ;
p.8-9, p.34-35, p.62, p.71, p.98, p.184.
Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.71.
Askenazy, Philippe., Coutrot, Thomas., Orléan, André., Sterdyniak, Henri. Manifeste
d’économistes atterrés. Paris : Les Liens qui Libèrent, 2010, 70 pp ; p.38.
Piketty, Thomas. Le capital au XXIème siècle. Paris : Seuil, 2013, 970 pp (Les livres du
nouveau monde) ; p.176, p.897.
Eur-lex.europa.eu. Article 123 du Traité de Lisbonne. CELEX: 12008E123. [en
ligne]. Disponible sur <https://eur-lex.europa.eu/eli/treaty/tfeu_2008
/art_123/oj> (consulté le 05/12/2017)
Chapitre 4 – Monnaie et endettement, quel rapport ?
NOTION #4 : MONÉTISATION DE DETTE
Nos politiques d’austérité entravent lourdement notre lutte contre la tragédie des biens
publics. Pour identifier comment les déjouer, il nous faut au préalable comprendre
comment sont créés les euros scripturaux que nous utilisons au quotidien. Intéressons-
nous à présent au procédé de monétisation de dettes.
En deux mots, la monétisation de dettes est l’opération qui consiste à créer de la
monnaie en échange d’une reconnaissance de dette (qui prend généralement la forme
d’un actif financier appelé « titre de créance » / « titre de dette »). Pour rappel, on parle
de créance pour le prêteur, tandis que l’on parle de dette pour l’emprunteur.
Depuis 1971 et la fin de la convertibilité du dollar en or, nous avons mondialement
délaissé la monnaie-or (gagée par de l’or) pour n’utiliser que des monnaies-dettes
(gagées par une reconnaissance de dette). Nos euros ne sont pas couverts par un certain
poids d’or, ils sont couverts par un actif financier, généralement un titre de dette.
Sachant cela, intégrons bien que nos monnaies scripturales n’apparaissent pas dans
l’économie par magie, mais à la condition qu’une promesse de remboursement soit
monétisée. L’argent bancaire ne tombe pas du ciel, il a forcément été émis par un
intermédiaire financier.
Tous les milliards d’euros qui existent sont, par conséquent, censés être garantis par des
milliards de dettes libellées en euros, dollars, yens, etc. La dette des uns servant en
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 29/60
quelque sorte à créer et garantir la monnaie des autres ; sans dettes supplémentaires, pas
d’euros supplémentaires (ces derniers ne sortent jamais du néant).
Nous tenons là une des raisons pour lesquelles la France est lourdement endettée et met
en place des politiques d’austérité. L’argent ne nous appartient pas, nous l’empruntons
aux institutions monétaires qui monétisent nos dettes.
Lecture : les pays riches empruntent leur monnaie et puisqu’ils en ont beaucoup, ils font logiquement
partie des pays les plus endettés (impression écran de « The global debt clock » du site The Economist).
Dans l’optique de débloquer des fonds pour lutter contre la tragédie des biens publics,
tout en réduisant la dette du contribuable envers la sphère financière, peut-être devrions-
nous - dans certains cas - songer à émettre de la monnaie nous-mêmes, plutôt que de
l’emprunter à un intermédiaire…
Sans forcément mettre un terme définitif à la monétisation de dettes par un
établissement bancaire, qu’est-ce qui nous interdit de mettre en service un procédé
d’émission monétaire parallèle ? En sus des euros, nous pouvons parfaitement nous
payer les uns les autres avec des monnaies électroniques, injectées dans l’économie
réelle pour répondre à des besoins précis et d’intérêt général.
Y a-t-il un risque de hausse générale des prix ? Pas vraiment, car après tout, les banques
commerciales créent de l’argent tous les jours, chaque fois qu’elles accordent un crédit,
sans que cela ne dévalue l’euro. C’est un procédé ingénieux dont nous pouvons nous
inspirer.
Le crédit est en effet une excellente façon de créer la monnaie, cela évite de créer en
amont une masse de monnaie déconnectée des besoins de l’économie. La monnaie est
injectée dans l’économie pour répondre à un besoin, puis une fois ce besoin satisfait,
elle est retirée de l’économie au fur et à mesure du remboursement du crédit.
Rappelons que la valeur d’une monnaie est en quelque sorte régie par la loi de l’offre et
de la demande. C’est la théorie quantitative de la monnaie. Il y a donc un lien de
corrélation entre masse monétaire en circulation et niveau des prix, cependant ce n’est
pas un lien de causalité. Si la demande pour la monnaie augmente, alors on peut
augmenter l’offre de monnaie sans qu’aucune hausse générale des prix n’ait lieu.
Emprunter notre monnaie à des entreprises à but lucratif coûte cher.
*
* *
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 31/60
N.B. :
« La lacune la plus importante du système actuel et le danger le plus menaçant
pour sa stabilité future se trouve dans le fait qu’elle laisse le développement
satisfaisant de la liquidité monétaire mondiale dépendre surtout d’une quantité
additionnelle de [dettes]. »
- Robert Triffin [Triffin, p.114].
Attention, lorsque l’on évoque la dette d’un pays, il faut distinguer « dette de l’État » et
« dette publique », puisque cette dernière comprend la dette de l’État à laquelle
s’ajoutent les dettes contractées par les collectivités territoriales et les organismes
publics (par exemple la sécurité sociale).
Deuxièmement, en ce qui concerne la dette de l’État, elle se divise en deux catégories :
1/ la dette négociable, contractée sous forme d’actifs financiers (l’État émet un titre de
dette - appelé « bon du Trésor » - qu’un agent économique achète contre l’assurance que
le gouvernement français lui remboursera avec intérêts cet achat).
2/ la dette non négociable, c’est-à-dire les sommes déposées sur le compte de l’État par
divers organismes (collectivités territoriales, établissements publics, etc.).
Seule la dette négociable est parfois monétisée afin de créer un supplément d’euros,
dollars, yens, etc. Or, si nous émettions nous-mêmes notre monnaie plutôt que de
l’emprunter à un intermédiaire, nous pourrions avoir autant, voire davantage d’unités
monétaires à disposition, tout en réduisant le coût de la dette négociable qui pèse sur le
pays.
Sources chapitre 4 :
McLeay, Michael., Radia, Amar., Thomas, Ryland. Money creation in the modern
economy. [en ligne]. Bank of England, Quarterly Bulletin, 2014, Q1, 14 pp ; p.1.
Format PDF. Disponible sur : <https://www.bankofengland.co.uk/quarterly-
bulletin/2014/q1/money-creation-in-the-modern-economy> ( C o n s u l t é l e
11/03/2015)
Piketty, Thomas. Le capital au XXIème siècle. Paris : Seuil, 2013, 970 pp (Les livres du
nouveau monde) ; p.900, p.933.
Daniel, Jean-Marc. 3 controverses de la pensée économique. Paris : Odile Jacob, 2016,
175 pp ; p.126.
Bailly, Jean-Luc., Montoussé, Marc (dir). Économie monétaire et financière. 2ème
éd..
[en ligne]. Paris : Bréal, 2006, 383 pp, (Grand Amphi Economie) ; p.17.
Disponible sur : <https://books.google.fr/books?id=Ipc1I0sIa28C> (consulté le
06/03/2017)
Gautier, Élie. Une monnaie au service des hommes. Loudéac : chez l’auteur, 1985,
343 pp ; p77-78. (citant Grejbine, André. L’État d’urgence. Paris : Flammarion,
1983, 224 pp ; p.111).
Triffin, Robert. L’or et la crise du dollar. (traduit de l’anglais sous la direction de
Jacques Raoul Boudeville). Paris : PUF, 1962 (1ère
éd. anglaise 1960), 201 pp ;
p.114.
Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème
éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.322-
323.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 33/60
Artus, Patrick. Attention à bien comprendre ce qu’est vraiment la monétisation. [en
ligne] Natixis, Flash Économie - Recherche économique n°12, 2012, 5 pp.
Format PDF. Disponible sur : http://docplayer.fr/19145035-Attention-a-bien-
comprendre-ce-qu-est-vraiment-la-monetisation.html> (Consulté le 31/08/2016)
Economist .com. The global debt clock. [en l igne] . Disponible sur
<https://www.economist.com/content/global_debt_clock> ( c o n s u l t é l e
05/12/2017)
Agence France Trésor. La dette de l’État > Définition et périmètre. [en ligne].
Disponible sur : <https://www.aft.gouv.fr/fr/definition-perimetre> (Consulté le
31/08/2016)
Leroy, Guillaume. Qui détient la dette publique ? [en ligne]. Fondapol, 2011, 33 pp ;
p .18 , no te de bas de page . Fo rma t PDF. Di spon ib l e su r :
<http://www.fondapol.org/etude/leroy-qui-detient-la-dette-publique/> (Consulté
le 31/08/2016)
Ricardo, David. Des principes de l’économie politique et de l’impôt. 3ème
éd anglaise de
1821. (traduction par Francisco Solano Constancio et Paul Henri Alcyde
Fonteyraud). [en ligne]. Paris : Guillaumin, 1847 (1ère
éd. anglaise 1817),
XLVIII-752 pp ; p.336. Disponible sur : <https://fr.wikisource.org/wiki/Page
%3ARicardo_-_Œuvres_complètes%2C_Collection_des_principaux_économist
es%2C13.djvu/390> (Consulté le 31/08/2016)
Chapitre 5 – Qui décide du pouvoir d’achat de la monnaie ?
NOTION #5 : NUMÉRAIRE
Au fait, c’est quoi un commun ? Par opposition à une ressource privatisée, un commun
est une ressource accessible à tous ceux qui le souhaitent, sous réserve de se conformer
aux lois qui encadrent son usage. La langue française est de fait un commun. C’est un
outil social qui nous permet de communiquer entre nous, sans intermédiaire, à condition
de respecter certaines règles syntaxiques.
Faire de la monnaie un commun implique de se débarrasser d’une idée reçue liée au mot
« argent ». Avec l’argent, on présuppose que la monnaie doit servir de “barrière à la
consommation” ; seuls ceux qui ont de l’argent ont du pouvoir d’achat ; ceux qui n’ont
pas d’argent, eux, sont refoulés au moment de payer.
Deux conceptions de la monnaie s’opposent en effet, et voilà pourquoi, au sujet des
sociétés primitives et de l’invention de la monnaie, deux théories s’affrontent.
La première, plus ancienne, veut que la monnaie soit née en réponse aux problèmes
posés par le troc (par exemple, si l’objet / service A m’intéresse, qui me dit que l’objet /
service B que je souhaite troquer va intéresser le propriétaire de l’objet A ?).
La seconde, plus récente, présente la monnaie comme une résultante de la pratique
du don qui, couplée à la notion de réciprocité, aurait fait naître le principe de
compensation décalée dans le temps. En clair, celui qui se sent redevable de ce qu’il a
reçu considère qu’il a une dette, dette qu’il aurait appelé « monnaie ».
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 35/60
Cette hypothèse que la monnaie n’est pas, au départ, une marchandise que l’on troque,
mais une reconnaissance de dette que l’on a matérialisée, se trouve de plus confortée par
l’étymologie même du mot « monnaie », qui viendrait du latin, monere, que l’on peut
traduire par « faire souvenir ».
La monnaie aurait donc, dans un premier temps, rempli la fonction d’aide-mémoire.
Elle visait à rappeler qu’une faveur avait été reçue et qu’il fallait qu’elle soit rendue.
D’ailleurs, « notre mot “pécuniaire” (du latin, pecus, troupeau) dérive sans aucun doute
[…] des disques de cuir représentant une vache ou un cheval » [Douglas, p.176], que
confectionnaient parfois les éleveurs, dans le but de différer un paiement (une fois
l’animal né ou ayant atteint la taille requise, il était échangé contre le disque et la dette
était alors considérée comme réglée).
Nos premières unités monétaires faisaient, ainsi, vraisemblablement office d’avoirs, de
reconnaissance de dette. L’“acheteur” créait un jeton avec laquelle il payait le
“vendeur”, jeton que ce dernier pouvait utiliser ultérieurement pour se voir offrir en
retour, un service de la part de l’“acheteur” ou d’une de ses connaissances.
Cette monnaie-jeton est un commun, car les échanges ont directement lieu de pair à
pair. L’argent, au contraire, est bien plus difficile d’accès, puisque pour en détenir, il
faut être passé soit par un agent économique en possédant déjà, soit par une institution
capable d’en créer pour nous. C’est une ressource privatisée.
En bref, la monnaie-jeton est la preuve que ceux qui décident d’attribuer ou non du
pouvoir d’achat à une monnaie, c’est nous.
Cela explique pourquoi, pendant de nombreux siècles, nous nous sommes parfaitement
dispensés de gager notre monnaie par du métal précieux (ou par un actif financier, tel
qu’un titre de dette). Nous utilisions alors un système de crédit mutuel, au sein duquel la
monnaie est gérée comme un commun, et c’est cette monnaie qu’on appelle
« numéraire ». La monnaie-jeton est ainsi un numéraire.
Plus généralement, le concept de numéraire (du latin, numerare, compter) s’oppose à
celui de l’argent. L’argent fait de la monnaie un intermédiaire des échanges, un bien que
l’on gagne / possède / privatise. Quant au numéraire, il fait de la monnaie un outil
comptable accessible à tous, servant à indiquer les soldes débiteur ou créditeur des
membres de la communauté.
Avec l’aide d’une régie du crédit, il s’agit pour une communauté de communes de
financer la lutte contre la tragédie des biens publics avec son propre numéraire
(électronique), sans passer par le système bancaire et ses euros. L’argent manque ou se
trouve dans des paradis fiscaux ? Eh bien soit, utilisons autant que possible une autre
monnaie que cet argent. Finie l’austérité.
La monnaie est un outil social qui ne devrait pas être privatisé.
*
* *
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 37/60
N.B. :
« Beaucoup d’auteurs expérimentés […] ont essayé de classifier ces pièces afin de
découvrir l’étalon de valeur des divers États grecs ; mais le système adopté est à
chaque fois différent. […] Leur composition varie de la plus extraordinaire
manière, [60 % d’or pour certaines, 60 % d’argent pour d’autres], en contradiction
totale avec une valeur propre fixée. Tous les auteurs acquiescent que les pièces de
la Grèce antique sont des jetons, leur valeur ne dépendant pas de leur poids. »
- Alfred Mitchell-Innes [Bersac, p.100].
Pourquoi avons-nous abandonné l’usage d’un numéraire ? On peut supposer que les
habitants de la Grèce Antique ont, peu à peu, cru que les jetons qu’ils créaient, tiraient
leur pouvoir d’achat des métaux précieux qu’ils apportaient à l’atelier de fabrication de
la monnaie.
C’est comme si, à force d’utiliser une balance de Roberval, on avait confondu l’unité de
masse qu’est le kilogramme avec le poids calibré qui la matérialise, unité immatérielle
et support physique de l’unité finissant par être amalgamés.
En ce début de XXIème
siècle, ayant oublié que la monnaie était à la base un numéraire,
une unité sans valeur intrinsèque, nous ressentons le besoin de garantir le pouvoir
d’achat de nos “jetons” par un actif financier (à moins que cela n’ait été une façon de
nous prémunir contre le faux-monnayage4
).
4. Tout comme utiliser du métal précieux est sans doute devenu nécessaire pour éviter la contrefaçon de
jetons, c’est-à-dire le faux-monnayage, aujourd’hui, l’emploi d’actif financier sert peut-être à encadrer la
création de la monnaie bancaire, à empêcher qu’elle ne soit créée n’importe comment, à tout va.
Avec le développement de l’informatique, le retour des numéraires est néanmoins techniquement faisable.
Dès lors, « la monnaie [redeviendrait] représentative des échanges économiques réalisés et non ce qui les
permet » [Rabhi, à 1:42:35].
Bien entendu l’usage d’un numéraire exige que soient fixées certaines règles de bon sens, tel qu’un
montant maximal de découvert autorisé par exemple.
Sources chapitre 5 :
Berthoud, Arnaud. Aristote et l’argent. Paris : Maspero, 1981, 192 pp ; p.15, p.94-96.
Mauss, Marcel. Essai sur le don. Paris : PUF, 2012 (1ère
éd. 1924), 241 pp ; p.125,
p.134, p.139-140, p.151.
Lietaer, Bernard. The future of money. Londres : Century, 2001, 371 pp ; p.181-182.
Haudry, Jean. Juno Moneta, aux sources de la monnaie. Milan : Archè, 2002, 199 pp ;
p.3, p.6, p.18, p.37, p.49-50, p.153.
Breal, Michel., Bailly, Anatole. Moneo. In : Dictionnaire étymologique latin. [en ligne]
Paris, Hachette, 1906 (6ème
édition), 469 pp ; p.199. Disponible sur :
<https://archive.org/details/DictionnairetymologiqueLatin/page/n14> (Consulté
le 25/09/2016)
Graeber, David. Dette, 5000 ans d’histoire. (traduit de l’anglais par Françoise et Paul
Chemla). Paris : Les Liens qui Libèrent, 2013, 623 pp ; p.30-33, p.39-40, p.49-
53, p.59.
Douglas, Clifford Hugh. Le crédit social. (traduction par Fernand Bourret).
Loretteville : Tardivel Inc., 1973 (1ère
éd. 1924), 207 pp ; p.176.
Mathieu, Henri. Physiologie de la monnaie. Paris : PUF, 1946, 407 pp ; p.105, p.130.
Le Goff, Jacques. Marchands et banquiers du Moyen-Âge. Paris : PUF, 1966 (1ère
éd.
1956), 128 pp, (Que-sais-je ?, n°699) ; p.18.
Harvey, David. Seventeen contradictions and the end of capitalism. New York : Oxford
University Press, 2014, 338 pp ; p.28.
Simmel, Georg. Philosophie de l’argent. (présenté par Olivier Aïm et Serge Katz,
traduit de l’allemand par Serge Katz). Paris : GF, 2009, 191 pp ; p.123.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 39/60
Bersac, Jean-Baptiste. Devises. 2ème
éd.. ILV-Edition (auto-éd.), 2013, 454 pp ; p.151,
p.99-102 (citant Mitchell-Innes, Alfred. What is money? [en ligne]. The Banking
Law Journal, 1913, n°5, vol. XXX, p.317-408 ; p.379-380. Disponible sur :
<https://www.community-exchange.org/docs/what%20is%20money.htm>
(Consulté le 25/09/2016).
Rabhi, Gabriel. Dette, crise, chômage : qui crée l’argent ? [21 mars 2014]
[Documentaire vidéo]. Youtube. [ 1 0 3 m n ] . D i s p o n i b l e s u r :
<https://www.youtube.com/watch?v=syAkdb_TDyo> (Consulté le 25/11/2016)
Chapitre 6 – Faire circuler plusieurs monnaies, ça marche ?
NOTION #6 : MONNAIES COMPLÉMENTAIRES
Les privilégiés abolissent rarement d’eux-mêmes leurs privilèges, de même, il serait très
étonnant que nos élites inscrivent à leur agenda la réforme d’un système monétaire qui
les avantage outrageusement. La tradition politique veut que la transformation de la
société se fasse quasiment toujours “par le bas”. Dit plus vertement par Machiavel, « la
meilleure forteresse des tyrans, c’est l’inertie des peuples ».
Concrètement, au lieu de subir docilement un manque de monnaie officielle qui aurait
rendu leur quotidien trop difficile, nos ancêtres décidèrent, localement, de mettre en
circulation des monnaies dites « de nécessité », tels que les méreaux en France ou les
tokens en Grande-Bretagne. Étudions trois exemples historiques du même acabit (plus
récents, mais particulièrement remarquables).
A - Autriche : le Freigeld de Wörgl (1932-1933)
« Quand Michael Unterguggenberger fut élu maire de Wörgl […] il avait en tête une
longue liste de projets qu’il voulait accomplir (refaire les routes, installer l’eau courante
dans toute la ville, [construire un petit pont, etc.]). Beaucoup d’habitants étaient
disponibles et compétents pour mettre en œuvre toutes ces idées, mais la commune
n’avait que 40 000 schillings autrichiens à la banque ; un montant dérisoire comparé au
coût de tout ce qui devait être fait » [Lietaer, p.153, citation traduite de l’anglais].
Le maire a alors l’initiative de mettre en service le Freigeld, monnaie complémentaire
que tous les commerçants de la commune devront accepter. Une fois imprimée, elle est,
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 41/60
entre autres, utilisée pour payer les salaires des agents des travaux publics,
anciennement au chômage, qui peuvent enfin regoûter aux joies de la consommation.
En un an, Wörgl voit son chômage réduit d’un quart.
Cette même année, le chômage connaît une hausse de 20 % dans le reste de l’Autriche,
raison pour laquelle - comme en témoigne la pancarte sur la photo ci-dessous - la
commune est très fière de sa nouvelle monnaie.
« Pont réalisé à l’aide du Freigeld en l’année 1933 par la commune de Wörgl. »
- Unterguggenberger Institut Archiv (traduit de l’allemand)
Cependant, la banque centrale autrichienne - perplexe face à ce qui lui semblait être un
étrange tour de passe-passe - déclara le Freigeld illégal en 1933. « L’expérience de
Wörgl » prit fin aussitôt et le chômage retrouva son précédent niveau.
B - Les bons MEFO allemand (1933-1937)
« Entre 1929 et 1935, le niveau de production des grands pays développés a chuté d’un
quart, le chômage a augmenté d’autant » [Piketty, p.753]. Pourtant, un pays s’en sort
mieux que les autres : « en quelques années, l’Allemagne réussit à résorber son
chômage, à assurer sa reprise économique, à réaliser un programme d’armement dont
les événements ultérieurs ont montré l’ampleur » [Gautier, p.23].
On attribue, en partie, ce rebond de l’Allemagne nazie à une monnaie complémentaire,
à savoir les bons MEFO (MEtallurgische FOrschungsgesellschaft), dont l’usage est
réservé à l’investissement dans les secteurs de l’industrie militaire et de la recherche.
Concrètement, toutes les usines livrant des équipement militaires sont payées en bons
MEFO, convertibles en marks auprès de l’État allemand passé un délai de cinq ans. En
1934, les bons MEFO représentent 51 % du financement du réarmement allemand.
C - Brésil : les programmes « Lixo que ñao é Lixo » (1989-)
et « Cambio verde » (1991-) de Curitiba
« À Curitiba, […] le maire de l’époque, Jaime Lerner s’est attaqué à deux problèmes qui
sévissaient dans sa ville : la pollution et les difficultés de transport. Le conseil municipal
a décidé l’émission d’une monnaie sous la forme de jetons de bus. Les habitants de la
ville gagnent cette monnaie en ramassant et triant les ordures. Cette monnaie [née du
programme « Lixo que ñao é Lixo »] a un double avantage : les rues sont nettoyées et
les habitants sont incités à utiliser les transports en commun […].
[Avec le programme « Cambio verde »] les habitants peuvent également échanger leurs
ordures contre de la nourriture [ce qui assure un nouveau marché aux produits agricoles
des petits producteurs, tout en donnant accès à une alimentation saine aux plus pauvres].
[…] La mise en place de cette monnaie et de ces actions a permis à la ville de faire des
économies tout en résolvant ses difficultés. La municipalité a donc pu baisser
l’imposition, et ainsi rendre la ville plus attractive. Ce cercle vertueux a permis à
Curitiba […] d’être sacrée « capitale écologique du Brésil » et de devenir une des villes
les plus prospères du pays » [Cornu, p.69-70].
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D - Synthèse
Nul besoin que des décisions politiques soient prises à l’échelle nationale pour relancer
l’activité économique. L’économie, c’est nous. En effet, techniquement, rien ne nous
interdit de financer des actions / projets / entreprises avec une monnaie complémentaire.
Finie l’austérité.
Toutefois en France, les projets de monnaie complémentaire doivent constituer un fonds
de garantie obligatoire en euros pour couvrir les montants de monnaie complémentaire
émis ; pas d’euros bloqués sur un compte en banque, pas de monnaie complémentaire.
Heureusement, le recours à un numéraire contourne cet obstacle législatif, car son
concept atypique (aux yeux de la réglementation) le place en plein vide juridique.
À l’aide d’une régie du crédit, une communauté de communes peut donc très bien
organiser le paiement partiel voire complet de certains chantiers primordiaux dans la
lutte contre la tragédie des biens publics. Cela donne du travail puis des revenus à
d’anciens chercheurs d’emplois, et le territoire est alors mieux préparé face aux défis
écologiques et sociaux en cours ou à venir.
Bref, en choisissant de nous payer avec notre propre numéraire, petit à petit, à l’échelle
d’une ville voire d’une région, nous établissons un système économique tout-à-fait
fonctionnel, bien que différent de celui des monnaies-dettes. C’est ambitieux mais pas
impossible, puisque nous y sommes déjà parvenus par le passé.
Nous pouvons utiliser d’autres monnaies que les monnaies-dettes.
*
* *
Sources chapitre 6 :
Lietaer, Bernard. The future of money. Londres : Century, 2001, 371 pp ; p.153-155,
p.188, p.196-201.
Broer, Wolfgang, L’expérience de « monnaie fondante » de Wörgl a pris fin il y a 75
ans - Une solution pour des temps de crise ? (traduit de l’allemand par Michèle
Mialane). [en ligne]. Horizon et débats, 2009, n°2, 8 pp ; p.4. Format PDF.
Disponible sur <https://www.voltairenet.org/IMG/pdf/HD_02_2009.pdf>
(Consulté le 25/09/2016).
Unterguggenberger Institut. Freigeld bruecke 3. (1933). [Photo] In : Wörgler Freigeld -
Historisch. Disponible sur : <https://unterguggenberger.org/woergler-freigeld-
historisch/> (Consulté le 25/09/2016)
Cornu, Jean-Michel. De l’innovation monétaire aux monnaies de l’innovation.
Limoges : FYP Editions, 2010, 112 pp ; p.69-70.
Vaz Del Bello, Giovanni. A convenient truth: urban solutions from Curitiba, Brazil.
[DVD]. Felton : Maria Vaz photography in association with del bello pictures,
2006. (52 mn).
Piketty, Thomas. Le capital au XXIème siècle. Paris : Seuil, 2013, 970 pp (Les livres du
nouveau monde) ; p.515, p.753.
Gautier, Élie. Une monnaie au service des hommes. Loudéac : chez l’auteur, 1985,
343 pp ; p.23-25 citant Pirou, Gaëtan, Économie libérale et économie dirigée [en
l i g n e ] , To m e I I , 3 6 6 p p ; p . 2 8 0 - 2 8 1 . D i s p o n i b l e s u r :
<https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24512q.image> (Consulté le 25/09/2016)
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 45/60
Clavert, Frédéric. Hjalmar Schacht, financier et diplomate 1930-1950. [en ligne]
Université Strasbourg III, 2006, 624 pp (tel-01100444) ; p.305, p.308, p.463.
Format PDF. Disponible sur : <https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-
01100444/document> (Consulté le 10/02/2017)
Smith, Adam. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livres I
et II. (traduction coordonnée par Philippe Jaudel). Paris : Economica, 2000 (1ère
éd. anglaise 1776), 412 pp ; p.303-305.
RÉCAPITULATIF
Le “Système”, késako ?
Lecture : via les crédits bancaires, l’offre en monnaie est majoritairement dirigée par des entreprises
privées, amorales, plaçant l’intérêt général au second plan. De fait, nous parvenons trop rarement à réunir
assez de monnaie pour financer des projets écologiquement utiles, lorsque ceux-ci sont peu ou pas
lucratifs.
À bas les banques ?
Nous aurons toujours besoin de professionnels pour mettre en relation ceux qui ont une
épargne, mais qui ne savent pas quoi en faire, et ceux qui sauraient quoi faire avec
beaucoup d’unités monétaires, mais qui ne les ont pas. Nous pensons que le cœur de
métier des banques n’est pas de créer l’argent, mais de faire se rencontrer les bonnes
idées et les fonds permettant leur mise en œuvre.
Fuir ou combattre ?
ll serait étonnant que nos élites accompagnent la réforme d’une organisation
économique qui leur profite exagérément. D’une part, recourir à la violence lorsque l’on
se bat contre plus fort que soi est rarement une démarche judicieuse, d’autre part,
attendre des privilégiés qu’ils abolissent d’eux-mêmes leurs privilèges, ne l’est pas
davantage. La fuite semble dès lors une stratégie à considérer.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 47/60
Retour à la vie sauvage ?
Ici, fuir ne signifie pas se retirer hors du monde, mais boycotter un tant soit peu les
euros scripturaux. Avec les crypto-monnaies (plus d’informations sur ammoneo.org), il
est plus que jamais aisé de nous régler autrement qu’avec des monnaies-dettes. Il s’agit
finalement de contester l’hégémonie de la monnaie du “Système”, très peu propice à la
coopération et donc à la résorption de la tragédie des biens publics.
Quel est le plan du coup ?
Les communautés de communes qui le désirent peuvent s’émanciper du “Système” en
utilisant d’autres unités monétaires que les euros scripturaux (qui appartiennent à la
catégorie des monnaies-dettes). Ces territoires auront, alors, accès à une nouvelle source
de financement pour concrétiser des politiques écologiques ou sociales locales, et créer
par la même occasion des emplois. Finie l’austérité.
A-t-on des exemples d’émancipation réussie ?
S’émanciper consiste pour ceux qui le souhaitent, à payer / être payé avec une autre
monnaie que celle du “Système”. Nul besoin de convaincre des millions de concitoyens.
Les villes de Curitiba et de Wörgl ont montré que cela était réalisable de façon indolore
ou presque, il suffit aux adhérents de la monnaie complémentaire d’apprendre à régler
leurs transactions différemment.
Le “Système” n’est grand que parce que nous sommes à genoux ?
En ce début de XXIème
siècle, la monnaie est privatisée, ce sont majoritairement des
entreprises privées qui en gèrent l’allocation dans le pays. Une alternative locale à ce
“Système” consisterait à adopter une monnaie basée sur le concept de commun, à savoir
un numéraire. Nos besoins écologiques ou sociaux sont nombreux, ce n’est pas le travail
qui manque, ce sont les moyens de le rémunérer.
CONCLUSION
Tant que l’austérité continuera, comment croire que des politiques sociales ou
écologiques ambitieuses se mettront soudainement en place ? Ne dit-on pas que la folie,
c’est répéter sans cesse les mêmes actions et s’attendre chaque fois à un résultat
différent ? La monnaie est le carburant de l’économie. Si un type de monnaie
commence à faire défaut, alors utilisons un autre type de monnaie.
A – L’argent
L’argent est un intermédiaire des échanges, une marchandise physique ou dématérialisée
que l’on peut troquer contre des biens ou services. Il sert de “barrière à la
consommation” : seuls ceux qui détiennent de la monnaie ont un pouvoir d’achat. Le
problème n’est pas tant que ce carburant économique est rare, mais que son allocation
est principalement gérée par des intermédiaires en quête de profits.
Par construction, le travail est payé ; le labeur d’un agent économique ne peut jamais
créer de l’argent. Les besoins de l’économie (la demande) s’adaptent donc à la quantité
d’unités monétaires disponibles (l’offre).5
Lorsqu’il n’y a pas assez d’argent pour tout le
monde, il y a compétition pour la monnaie, qui devient hélas davantage une fin qu’un
moyen.
5. En cette entame de troisième millénaire, la quantité d’unité monétaires à disposition est gérée par nos
banques commerciales. Cela dit, pourquoi lorsque l’on parle de créer de la monnaie pour financer un
projet écologique, nombreux sont ceux qui redoutent une hausse générale des prix, mais que lorsqu’une
banque créent des millions d’euros pour la construction d’un surfpark, plus personne ne s’en inquiète ?
Dans une organisation économique idéale, la quantité de monnaie en circulation s’adapte aux besoins de
la société, au lieu que cela soit les besoins de la société qui s’adaptent à une quantité arbitraire de
monnaie. Sachant cela, nos économistes devraient plaider pour l’instauration de régies du crédit, afin que
l’offre de monnaie s’ajuste enfin correctement à la demande en monnaie qui lui fait face.
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B – Un numéraire
Le numéraire est une unité monétaire permettant de nous faire crédit entre nous, à
condition de tenir soigneusement les comptes : ce système comptable indique qui a déjà
rendu des services à autrui (solde plus ou moins positif) et qui doit encore en rendre
(solde plus ou moins négatif). La société a ainsi directement accès à son carburant
économique, nul besoin d’obtenir l’approbation d’un intermédiaire.
Par construction, le travail paie ou est payé ; du labeur d’un agent économique peut si
besoin résulter la création de numéraire. La quantité d’unités monétaires disponibles
(l’offre) s’adapte de fait bien plus facilement aux besoins de l’économie (la demande).
Puisqu’il y a plus de monnaie en circulation, la compétition pour celle-ci est moins
féroce. La monnaie redevient davantage un moyen qu’une fin.
C – Les régies du crédit
Le crédit est une excellente façon de créer la monnaie, cela évite de créer en amont une
masse de monnaie déconnectée des besoins de l’économie (la demande). La monnaie est
injectée dans l’économie pour répondre à un besoin, puis une fois ce besoin satisfait,
retirée de l’économie au fur et à mesure du remboursement du crédit. En ce début de
XXIème
siècle, la plupart des crédits sont hélas accordés dans un but lucratif (l’offre).
En permettant à leurs membres d’utiliser un numéraire, les régies du crédit
tempèreraient cette tendance : nettement plus de crédits seraient accordés dans un but
non lucratif. Finie l’austérité. Jusqu’alors dédaignées par les banques, faute de
rentabilité à court terme, nous pourrions enfin financer ces associations et entreprises
qui agissent pour l’intérêt général. Finie la tragédie des biens publics.
*
* *
S’il s’en donne les moyens, l’Homme est parfaitement en mesure de participer à
l’épanouissement de la vie sur Terre. Ce n’est pas l’Homme qu’il faut changer, c’est le
contexte au sein duquel il évolue et notamment les contraintes économiques absurdes
dans lesquelles il s’emprisonne. Bien sûr, à l’échelle du monde, nous sommes
impuissants, mais ce n’est pas le cas à l’échelle de nos communes.
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ANNEXES
BAYONNE 2027
« Nous sommes en direct avec M. Perspicace, conseiller municipal à la mairie de
Bayonne. Cette commune de 50 000 habitants surprend son monde avec un taux de
chômage ridiculement bas, là où le contexte économique en France et au-delà n’est plus
au beau fixe ces dernières années. M. Perspicace, que se passe-t-il à Bayonne ?
Comment expliquez-vous ce “micro-climat économique” dont bénéficie votre ville ?
— Vous savez, en dehors de Bayonne, c’est en fait tout le pays basque qui connaît un
vrai mieux. Si l’on peut être amené à croire que la santé économique du pays basque est
tiré vers le haut par Bayonne, pour ma part, je suis prêt à affirmer l’inverse.
Bayonne s’inscrit dans un territoire à la culture vaillante et pugnace. Nous sommes très
soutenus par une part significative de la population bayonnaise et des communes
environnantes. L’expérience monétaire que nous menons ici est le fer de lance de toute
une région, pas seulement de Bayonne.
— D’après vous, la vitalité économique de Bayonne prend sa source dans cette
expérience monétaire appelée « konpainia de kreditu », n’est-ce pas ? Pourtant, ce n’est
les monnaies locales qui manquent en France… alors qu’est-ce qui vous fait dire que
cela joue un rôle dans le faible nombre de demandeurs d’emploi par chez vous ?
— Oh. Difficile de vous répondre avec certitude. Au risque de me répéter, je pense que
nous avons la chance d’avoir de nombreux basques à nos côté. Notre monnaie
électronique s’est rapidement répandue, tandis qu’ailleurs les monnaies locales restent
marginales. Nous sommes fiers de pouvoir nous payer avec notre propre monnaie.
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 53/60
— C’est vrai que j’ai été impressionné par le nombre de magasins arborant le logo de la
konpainia de kreditu. L’engouement est manifeste.
— Nous avons aussi la particularité d’être exemptés du fonds de garantie obligatoire en
euros, qui limite fortement l’efficacité des monnaies locales. Nous avons pris soin
qu’aux yeux du code monétaire et financier, notre monnaie ne soit pas assimilée à de
l’argent. Vous savez, techniquement, c’est un numéraire. C’est-à-dire que le service de
paiement est assuré par les utilisateurs eux-mêmes, de pair à pair.
— Oui, si j’ai bien suivi ce qu’un de vos administrés m’expliquait tout à l’heure, la
konpainia de kreditu ne gère pas vraiment l’allocation de cette nouvelle monnaie. Son
rôle est avant tout de promouvoir un programme d’amélioration de la qualité de vie des
bayonnais, au moyen d’une application mobile ainsi qu’une carte de paiement mis à la
disposition des habitants et visiteurs qui le souhaitent.
— Attention. L’application et la carte ne sont pas réservées qu’aux particuliers. Les
partenaires majeurs de la konpainia sont les entreprises, les associations, ainsi que
certaines banques et quelques établissements publics, telle que la mairie.
— Oui, il ne faut pas les oublier… Comment avez-vous eu - vous ou plutôt l’équipe
derrière la konpainia de kreditu - l’intuition que cela pouvait marcher ?
— Le principe de fonctionnement des J.E.U., pour Jardins d’Échange Universel, a tout
bonnement été calqué. C’est un système économique alternatif parfaitement fonctionnel
à petite échelle, qui permet à ses membres d’échanger des biens et services entre eux,
sans passer par les euros.
Par exemple, rendre des services rapporte des points, points que l’on dépense ensuite
pour recevoir tel produit ou tel service auprès d’un autre membre de la communauté.
Chacune des parties de la transaction doit juste noter dans leur carnet J.E.U. respectif,
leur solde créditeur ou débiteur, selon le cas de figure. Leur but est de permettre à leurs
membres d’échanger des biens et services entre eux, sans passer par les euros.
— C’est un système comptable en partie double assez basique finalement.
— Voilà, on peut voir ça comme ça. Ajoutez-y un soupçon de monétique pour la
simplicité d’utilisation, histoire de remplacer le carnet ou le livre des comptes par une
banale carte de crédit. Saupoudrez ensuite de cryptographie, afin d’empêcher tout faux-
monnayage. Laissez enfin le tout mijoter jusqu’à développer une dimension
intercommunale - car l’objectif reste l’emploi au travers de politiques locales
ambitieuses - et vous obtenez une superbe konpainia de kreditu.
— Ça paraît presque facile présenté comme ça.
— Sauf qu’au démarrage, personne n’y croyait. Mais l’association écologique
Alternatiba est née ici vous savez. La cause environnementale est chère à nos cœurs et
ça ne date pas d’hier. Pour sortir de l’austérité et financer les projets écologiques et
sociaux en faveur d’une meilleure qualité de vie pour les bayonnais, en définitive, nous
n’avons pas eu d’autre choix que d’innover un peu.
— D’ailleurs, si j’ai bien compris, n’importe qui a donc accès à la carte de paiement de
l a konpainia. C’est du pouvoir d’achat gratuit pour les bayonnais, en somme. Ne
craignez-vous pas d’assister à quelques dérives ?
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— La carte de crédit est effectivement accessible à tous ceux qui le souhaitent. Elle
offre un découvert autorisé d’un montant équivalent à 500 € pour les particuliers ; il
fallait les attirer. Pour la konpainia et ses partenaires, dont la mairie, le découvert
autorisé est nettement plus élevé. Son montant varie au fil des assemblées générales
ordinaires ou extra-ordinaires.
Impossible d’émettre de la monnaie seul dans son coin, cela dit. Il y a des règles,
comme pour un livre de comptes ou le Grand livre d’une entreprise. Vous savez,
puisqu’une transaction implique la présence d’un autre personne en face, qui n’a pas
forcément l’intention de vous rémunérer pour vos beaux yeux, si elle vous paie, vous
devez généralement lui rendre d’une façon ou d’une autre, un service.
— J’entends. Pour autant, en tant que conseiller municipal qui suit de près la konpainia
de kreditu, pouvez-vous nous dire ce qu’il se passerait, si tous les particuliers décidaient
de profiter de leur découvert autorisé, puis d’abandonner l’expérience ?
— Nous avons eu le cas d’une dizaine de personnes membres d’une même famille, qui
ont mis leur découvert autorisé en commun pour s’acheter un véhicule d’occasion et qui
ne se sont plus servis du numéraire basque par la suite. La personne qui vendait son
véhicule a été payée, c’est tout ce qui lui importait et après tout, il n’y a pas eu mort
d’homme.
De toute façon, ce type de comportement n’est pas représentatif et est balayé par la
réduction du taux de chômage à laquelle nous assistons. Votre présence ici l’atteste.
— C’est indéniable. M. Perspicace, puisque les konpainia de kreditu ont l’air de
fonctionner si bien, pourquoi n’exportez-vous pas votre modèle ?
— Attention. Rappelons que l’idée était de sortir Bayonne d’un contexte économique
morose, d’arrêter de subir ces politiques d’austérité qui consistent à dire qu’il n’y a pas
d’argent et qu’il faut s’y habituer. Si d’autres villes souhaitent à leur tour apporter des
fonds plus que bienvenus à des projets écologiques ou sociaux et créer ainsi de
nombreux emplois, il leur appartient de s’inspirer de l’expérience basque. »
FOIRE AUX QUESTIONS
En quoi l’échelle locale est-elle à la hauteur des enjeux ?
La tragédie des biens publics est mondiale et nous manquons de temps. Instaurer des
régies du crédit au sein de nos régions ne semble pas à la hauteur des enjeux. Pour
autant, cela ne signifie pas qu’il faille se résigner ou laisser-faire. Le pragmatisme veut
simplement que « charité bien ordonnée commence par [son territoire] ».
Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ?
L’argent influence bien plus largement la course de ce monde que nos bulletins de vote
et nos manifestations. En accordant du pouvoir d’achat à d’autres unités monétaires que
les euros, notre territoire cesse soudainement de manquer de budget. C’est indispensable
pour nous préparer correctement face aux défis écologiques et sociaux que nous réserve
le futur. Montrons l’exemple.
Faut-il une implication des habitants ?
Clairement. Doit-on fixer un cours forcé à la monnaie électronique, l’indexer sur un
bien ou service, s’en remettre uniquement à la loi de l’offre et de la demande ?
Débattons et accordons-nous sur des règles intelligemment pensées. Nous avons survolé
les détails techniques dans ce livret, notre objectif étant surtout de montrer qu’adopter
une autre monnaie, c’est sortir de l’étouffante austérité.
Comment embarquer les entreprises ?
Pour une entreprise, intégrer une monnaie électronique à son modèle d’affaires rend
possible des transactions qui n’auraient pas eu lieu autrement, c’est-à-dire attirer puis,
Ammoneo.org La tragédie des biens publics 59/60
pourquoi pas, fidéliser de nouveaux clients. Sur le plan comptable, il lui faudra déclarer
la valeur en euros correspondant aux revenus perçus en monnaie électronique.
N.B. : Rappelons qu’accepter une monnaie électronique n’a rien d’exclusif.
L’entreprise peut très bien décider que seule une fraction du montant de la facture
puisse être réglée avec cette monnaie complémentaire, tel jour dans la semaine ou
seulement après telle heure.
Halte ! Les prix vont monter, nan ?
Plus nous sommes nombreux à avoir accès à la monnaie, plus une entreprise a de clients
potentiels pour son produit ou service. Mais lorsqu’une hausse de la demande est
provoquée sans être contrebalancée par une hausse de l’offre, alors le prix de ce produit
ou service risque de flamber. Pour autant, cela ne concerne que des produits et services
bien précis ; il ne s’agit pas d’une hausse générale des prix.
N.B. : Dans tous les cas, cette hausse des prix est un moindre mal par rapport à une
tragédie des biens publics atteignant de nouveaux extrêmes.
Et pour les impôts, comment cela se passe-t-il ?
Comme avant. Les entreprises et les ménages continuent de déclarer leurs revenus en
euros et de payer leurs impôts en euros. S’ils manquent d’euros, on peut en revanche
imaginer une plateforme sur laquelle ils pourront échanger à taux fixe un peu de
monnaie électronique contre des euros, euros appartenant par exemple à des
fonctionnaires préférant épargner en monnaie électronique plutôt qu’en euro.
Monnaie électronique ou crypto-monnaie ?
Les crypto-monnaies sont des monnaies électroniques. Elles peuvent servir de support à
une régie du crédit et à son numéraire, c’est-à-dire à une économie distribuée (plus
d’informations sur ammoneo.org). Cela dit, maintenir l’infrastructure derrière une
crypto-monnaie peut engendrer un important coût énergétique, justifiant d’employer ces
monnaies électroniques à une échelle locale ou régionale, plutôt que mondiale.
Est-ce un énième pansement sur une jambe de bois ?
Lecture : à notre échelle, une régie du crédit peut aider à la création de nombreux emplois au service de
l’intérêt général (écologie, éducation, santé, etc.) et ce faisant, rééquilibrer les rapports de force (les
pouvoirs publics locaux font face à un nouvel interlocuteur crédible).
Avec une nouvelle monnaie, nous pouvons surtout nous désolidariser de la finance hors-sol, les détenteurs
de capitaux ne bénéficieront plus de leur position dominante, l’implacable course après les profits et la
croissance cessera d’être une priorité impérieuse, soit un véritable changement d’époque.
Que puis-je faire ?
Partagez ce livret auprès de ceux que ce travail pourrait intriguer ou motiver. Ensemble,
faisons de la monnaie un commun au sein de nos communautés de communes. Nos
concitoyens n’attendent qu’une chose, que nous leur démontrons qu’il existe une
alternative à l’austérité. Pour cela, il nous faut passer de la théorie à la pratique. La
preuve par l’exemple se chargera ensuite de faire des émules.