Bertrand - Sémiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

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  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

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    Denis Bertrand

    Smiotique du discours et lecture des textesIn: Langue franaise. N61, 1984. pp. 9-26.

    Citer ce document / Cite this document :

    Bertrand Denis. Smiotique du discours et lecture des textes. In: Langue franaise. N61, 1984. pp. 9-26.

    doi : 10.3406/lfr.1984.5180

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_61_1_5180

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_818http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1984.5180http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_61_1_5180http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_61_1_5180http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1984.5180http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_818
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    concerne,

    plutt

    que

    de dbattre de

    telle

    ou

    telle

    lecture , clairante

    ou obscurcissante,

    rductrice

    ou rvlatrice,

    nous nous interrogerons

    sur

    les fondements

    thoriques et mthodologiques d'une smiotique

    de

    la

    lecture.

    En d'autres

    termes,

    c'est la

    lecture

    en tant qu'activit smiotique

    en

    tant

    qu'activit

    de construction de sens qui sera,

    en

    toile de fond,

    notre constant

    foyer

    de

    proccupation au

    fil de cette tude.

    Ainsi

    formul,

    le

    problme

    nous renvoie,

    en

    apparence,

    une

    inter

    rogation sur

    les

    processus

    psycho-cognitifs de

    la

    lecture,

    tels

    qu'ils

    appa

    raissent

    effectivement

    dans la ralit. Or,

    il n'en

    est rien : la

    smiotique,

    pas plus qu'elle ne statue

    - en aval

    sur la littrature comme

    objet

    culturel,

    n'a pour

    objet

    en amont

    de dcrire,

    d'un

    point de vue

    gntique, les

    mcanismes

    de la connaissance humaine,

    ne

    serait-ce qu'

    travers

    l'une

    de ses formes particulires. Entre ces deux ples, elle ambi

    tionne

    seulement, et ce n'est dj pas mal, de reconstruire de

    manire

    homogne (c'est--dire

    l'aide

    d'un mtalangage dfini)

    les

    diffrents

    modes d'agencement des procs et des

    systmes

    de signification

    partir

    de

    ces

    objets concrets

    qui

    en

    sont

    la

    fois

    la

    trace

    manifeste

    et

    la

    voie

    d'accs oblige

    : les

    textes.

    C'est

    dire

    si

    la distance est grande

    entre

    la

    mise nu

    des

    structures

    immanentes

    du sens

    effectu et

    l'activit mentale

    relle du locuteur

    ou

    du lecteur qui effectue ce sens :

    on

    ne

    saurait sans

    lgret infrer

    tout

    bonnement celle-ci de

    celles-l.

    Nous

    ne

    franchirons

    donc pas cette

    distance et ne

    prtendrons pas dire ce

    qu'est

    la lecture.

    Nous

    croyons,

    en

    revanche,

    que

    la

    smiotique

    propose un modle de

    simulation opratoire, susceptible

    d'clairer en

    retour

    certains

    phno

    mnes propres la lecture conue

    comme

    activit

    cognitive.

    La thorie smiotique, forte de sa

    double

    origine linguistique

    et

    anthropologique ',

    nous parat

    particulirement arme

    pour

    mettre

    nu

    et

    expliciter les

    schemes

    infrentiels

    que

    met

    en uvre

    tout

    lecteur

    comptent pour ordonner,

    dynamiser,

    et finaliser les significations

    du

    texte qu'il lit; elle

    permet,

    partir

    des modles

    de prvisibilit

    qu'elle

    a

    su

    dgager,

    d'clairer

    les

    raisons

    de cette

    attente toujours frustre

    du sens

    qui

    appelle la poursuite de la

    lecture;

    elle montre ce

    qui,

    sous

    la

    concatnation

    ligne aprs ligne des

    noncs,

    les organise

    en

    sous-

    main, les structure

    diffrents niveaux

    et en assure

    1 orientation. De

    notre point de

    vue,

    l'analyse

    du

    texte informe l'activit de lecture :

    condition toutefois

    qu'elle assume aussi

    fortement que possible les

    instruments

    qu'elle sollicite

    pour son exercice. Il

    est clair

    qu'ainsi nous

    nous situons largement

    en amont

    de l'interprtation littraire,

    de l va

    luation

    esthtique,

    ou

    de

    l'examen

    des

    conditions

    extra-discursives de

    production des

    textes.

    Ces diverses dimensions ont, bien

    entendu,

    leur

    place et

    non

    des

    moindres,

    mais il

    nous

    parat qu' vouloir

    les envisager

    a

    priori

    on inverse

    d'une certaine manire l'ordre du

    travail

    : chacune

    d'elles,

    en effet,

    prend

    appui

    implicitement du moins sur une

    certaine thorie des reprsentations construites,

    vhicules

    et recons

    truites

    dans

    le

    langage;

    c'est

    mme sur les

    modles

    de cette thorie

    1.

    Cf.

    Actes

    Smiotiques

    - Le

    Bulletin,

    Bibliographie smiotique

    , Les Sources ,

    GRSL,

    V, 22,uin 82,

    pp. 5-6.

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    qu'elles

    laborent et

    dveloppent leurs

    analyses, et

    qu'elles tirent leurs

    conclusions. A vrai dire, ces directions de recherche

    ne

    peuvent,

    nos

    yeux,

    qu'tre soutenues

    et alimentes

    dans leurs projets

    respectifs par

    une approche pralable

    qui

    s'enracine dans

    une

    thorie

    explicite

    et

    raisonne

    du

    langage et

    du

    discours.

    Un des enjeux d'une

    telle

    approche, pour peu

    que

    son domaine de

    pertinence

    soit

    clairement dlimit,

    est

    de

    favoriser

    chez

    les

    psycholing

    uistesomme chez les didacticiens et

    a

    fortiori chez les enseignants

    une rflexion sur les

    processus

    smio-narratifs

    et

    discursifs que

    mobilise

    tout engagement

    dans la lecture.

    Pour

    les premiers,

    il parat incontestable

    que la schmatisation

    narrative (centre sur le dispositif actantiel, la

    constitution

    modale

    des

    actants

    et la dynamique

    transformatrice

    qui les rgit) apporte

    dsormais

    de solides lments de rponse, condition

    toutefois

    qu'on

    ne

    l'utilise

    pas comme une

    grille ad

    hoc et

    suffisante,

    et qu'elle

    soit

    assez finement

    manipule dans l'analyse concrte des textes. Pour

    les

    processus

    dis

    cursifs

    en

    revanche,

    bien

    des

    questions

    restent en

    suspens

    et

    font

    aujourd'hui l'objet du dbat

    thorique

    2; parmi celles-ci,

    on

    s'intressera

    seulement

    dans

    les pages qui suivent

    la

    linarit de

    la

    lecture elle-

    mme.

    Il s'agira

    alors

    de rpondre deux

    questions : comment

    rendre

    compte, partir du tissu textuel ses liens, ses renvois

    et

    ses

    bances

    de

    la

    construction effective

    par le

    lecteur

    d'une signification continue

    et homogne?

    Et

    comment

    dcrire, de

    manire

    suffisamment simple,

    la multiplicit des reprages internes

    (que nous

    regrouperons sous le

    terme

    de rfrentialisation )

    qui, dbordant

    largement les connec

    teurs xplicites, constituent les lments actifs de la cohsion du di

    scours?

    Ces

    questions,

    nous semble-t-il,

    concernent

    directement

    la

    pratique

    de l'explication de texte qui

    n'est pas

    autre chose

    en dfinitive

    qu'un

    miroir

    de

    la

    lecture. Et

    puisque

    les textes

    qu'on

    tudie

    en classe

    de

    franais

    sont essentiellement des

    textes figuratifs

    , nous avons

    choisi,

    par commodit,

    de

    centrer notre rflexion sur la construction des effets

    figuratifs dans

    le

    discours

    et,

    plus prcisment, de Yiconicit, c'est--dire

    de l'illusion de ralit que certains types de textes ont pour objectif

    affich

    de

    susciter

    chez le lecteur.

    2.

    Deux effets

    de lecture

    :

    la

    rfrenciation

    et

    la

    rfrential

    isation.

    L'approche

    smiotique

    du discours exclut de sa

    problmatique

    la

    notion de rfrent.

    Il importe

    cependant

    de souligner

    aussitt

    que,

    contrairement

    une

    critique formule

    parfois

    et juste titre par des

    2.

    Il

    s'agit notamment du

    problme

    de la conversion

    entre les

    diffrents niveaux de l'analyse

    smiotique : celui des

    structures

    profondes, celui

    des

    structures

    smio-narratives de surface et celui des

    structures

    discursives

    o

    s'agencent les

    figures du monde.

    Cf.

    ce sujet, J.

    Petitot

    d., Aspects

    de

    la

    conversion , Actes smiotiques - Le Bulletin, GRSL-CNRS, V, 24, dc. 1982.

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    linguistes 3,

    il n'est

    pas

    question selon

    nous de

    disjoindre le

    sens de

    la

    rfrence :

    il

    convient plutt de prciser l'articulation entre ces deux

    notions.

    Au

    total,

    il

    semble bien que l'on

    puisse

    rendre compte de ce problme

    en considrant le

    double

    dplacement auquel

    a

    donn lieu, en smiotique,

    son apprhension. Le

    premier

    consiste

    refuser, telle

    quelle, la notion

    empirique

    de

    ralit;

    le

    second concerne

    le

    mode de

    construction dans

    le discours des effets ou valeurs

    rfrentielles,

    ainsi

    que les

    principes

    de

    leur

    description.

    Tout

    d'abord,

    la rfrence n'est pas une rfrence

    au

    rfrent : les

    univers figuratifs

    ne

    sauraient

    tre

    interprts

    comme une

    image,

    ad

    quate ou

    non, du

    monde tout simplement parce

    qu'un

    tel monde

    est dj

    une

    reprsentation. C'est pourquoi, au lieu d'assumer l'ide selon

    laquelle l'activit du discours,

    travers

    le filtre de ses reprages, consis

    terait

    reprsenter de

    la

    ralit

    comme si le langage tait

    constitu

    de substituts dtachables

    du rel

    auquel

    on rfre

    en parlant,

    les smio-

    ticiens

    prfreront

    montrer

    que

    cette

    ralit

    au

    moment

    o

    elle

    est

    perue est elle-mme

    construite,

    informe

    de

    sens,

    rige

    en

    figures signi

    fiantes

    qui

    entretiennent

    ensemble des

    relations

    descriptibles, et saisie

    d'emble

    sous

    la forme

    de ces relations

    et

    de

    ces

    figures 4.

    Comme

    construction cognitive, c'est--dire comme reprsentation, Te monde auquel

    nous rfrons

    en discourant

    est dj

    lui-mme

    un

    discours.

    Dans ce cadre,

    les figures du

    langage

    sont

    des substituts dtachs

    de figures, c'est--dire

    d'un rel smiotis. Toute

    mise

    en

    discours, ft-elle ce qui n'est

    qu'un

    cas limite

    la plus strictement

    et la

    plus explicitement rfrentielle,

    doit donc tre

    comprise comme

    un renvoi de figures

    appartenant

    deux

    ordres distincts de

    la

    signification.

    On comprend alors

    que

    l'effet dit

    rfrentiel

    soit interprt

    comme

    une

    construction

    smiotique

    effec

    tue

    sur la

    base

    d'une

    autre

    smiotique

    (dite

    naturelle), et non pas comme

    une simple

    dnotation d'un

    rel inerte

    et objectif.

    Que ce rel soit

    effectivement

    prsent

    dans la situation

    de

    communication (c'est le cas

    du discours quotidien) ou qu'il ne le

    soit pas

    (c'est le cas

    du

    discours

    fictif

    ou

    onirique)

    est

    de peu

    d'importance

    : ce

    qui

    compte, c'est que

    le

    langage

    se comporte

    son gard

    comme s'il

    tait

    la

    traduction

    d'un

    autre

    langage.

    Si l'on admet ce

    point,

    partir

    duquel

    nous pourrons

    envisager

    la

    figurativisation

    sous

    ses aspects

    smantiques et

    syntaxiques,

    comme

    une

    construction thorique

    de

    l'nonciateur, il

    nous faut

    alors

    rechercher

    3.

    Cf.

    A.

    Culioli qui,

    dnonant

    les

    dangers

    d'un nomcanisme qui

    escamoterait

    la

    relation

    de

    Tnonc

    renonciation , ajoute qu'une telle conception serait

    en

    dfinitive

    celle d'

    un langage (activit,

    texte)

    sans nonciateurs, sans

    situations

    o

    s'insre

    l'acte

    d'nonciation,

    sans

    reprage, un langage

    o

    l'on spare le sens de la rfrence , in Sur quelques

    contradictions en linguistique

    , Communications 20,

    Paris, Le

    Seuil, 1973,

    p.

    85;

    cf.,

    de mme,

    C. Fuchs, Les

    problmatiques nonciatives...

    ,

    in

    Dans le

    champ

    pragmatico-nonciatif

    ,

    DRLAV-Revue

    de Linguistique, Universit de Paris VIII, 25,

    1981,

    p. 49.

    4.

    Elles

    sont

    dj

    relies, au

    niveau

    du plan

    de

    l'expression

    (comme

    le nuage et la pluie), par

    des

    faisceaux de

    connexions associatives

    qui fondent l'interprtation et constituent leur plan du

    contenu

    :

    ces faisceaux

    de

    relation sont inhrents

    l'exprience physico-culturelle

    du monde naturel.

    Un sch

    izophrne dit :

    Un

    oiseau gazouille dans le jardin. J'entends l'oiseau et je sais qu'il gazouille, mais que

    ce

    soit

    un oiseau

    et

    qu'il gazouille, les deux choses sont si loin

    Tune

    de l'autre... Il

    y

    a un

    abme...

    Comme

    si

    l'oiseau

    et le gazouillement

    n'avaient rien faire l'un

    avec

    l'autre

    (cit par

    M.

    Merleau-

    Ponty,

    L'espace

    , in La phnomnoloyie de la perception, Gallimard, Tel, p.

    326).

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    comment

    dans les discours se forment les effets de rel

    aptes

    donner

    cette

    illusion

    continue du monde. Une telle recherche

    est

    videmment

    de la

    plus

    haute importance pour l'tude des discours dits ralistes :

    ils

    sont, en

    effet,

    des

    vecteurs de

    constructions rfrentielles

    si

    puissants

    que la tentation est grande de n'en

    assumer

    la lecture qu'au-del de

    I

    iconisation

    dont ils sont le

    vhicule.

    A.-J.

    Greimas

    propose donc de

    distinguer deux modes essentiels

    de

    rfrentialisation

    :

    celui,

    tout

    d'abord,

    qu'il nomme la rfrentialisation

    externe

    et qui se situe dans la relation

    inter-smiotique qu'entretiennent les

    figures du

    discours avec les

    figures

    construites du

    monde

    naturel.

    L'attribution des indices

    rfrentiels dont

    la base lexicale

    est

    celle

    de

    l'onomastique permettra l'tablissement d'une

    correspondance

    entre

    tel ou tel smme

    avec telle

    ou

    telle

    figure. C'est

    dans ce mode de rfrentialisation

    qu'entreront aussi

    les catgories dic-

    tiques qui instituent les repres spatio-temporels ainsi

    que

    ceux de la

    personne. Le

    second mode, nomm

    rfrentialisation

    interne, concerne

    l'ensemble des procdures par lesquelles le discours

    prend

    appui sur lui-

    mme, renvoie

    par des mcanismes varis des noncs dj

    produits,

    et

    s'assure ainsi

    de

    ce

    qu'on

    pourrait

    appeler

    son

    continuum

    rfrentiel.

    L'effet de ralit

    est

    alors un effet du discours

    lui-mme

    : nous

    revien

    drons dans un instant sur ces diffrents

    mcanismes

    de formation et

    nous

    les illustrerons d'un

    exemple.

    Mais,

    auparavant, il

    nous

    faut

    insister sur ce

    double

    rseau :

    chacun

    des

    deux

    modes dgags est-il

    de mme

    nature? En

    de de

    l'opposition

    externe

    vs

    interne, ces deux rfrentialisations renvoient-elles

    une

    mme opration

    fondamentale comme

    semble

    le

    suggrer la

    dnomi

    nationunique qui les

    recouvre?

    La rponse

    ne nous parat pas vidente.

    II nous

    semble

    plutt que nous

    avons

    affaire ici deux

    oprations

    ffisamment diffrentes mme si

    elles concourent

    ensemble

    produire

    un seul rsultat pour

    justifier du

    mme coup

    une

    plus

    nette

    diffren

    ciation terminologique, apte distinguer clairement deux dimensions

    d'tude spares. La

    premire nous

    ramne

    directement

    la problmat

    iquee renonciation et la composante smantique des

    formations

    figuratives :

    elle concerne

    la construction

    nonciative

    de rfrentiel ;

    elle

    est

    trangre,

    la

    limite,

    la dimension proprement transphrastique

    des

    phnomnes

    discursifs.

    La seconde, au

    contraire,

    centre sur

    les

    relations intrieures au discours et particulirement sur les modes de

    passage d'une

    unit discursive

    l'autre,

    concerne

    plutt

    le dploiement

    syntagmatique des univers figuratifs dploiement par lequel se construit

    prcisment,

    selon

    nous,

    l'iconisation.

    C'est

    la raison

    pour

    laquelle

    il

    nous

    parat

    justifi de parler de rfrenciation propos de la premire

    opration (= construction de

    valeurs

    rfrentielles)

    et

    de rserver

    le

    terme

    de rfrentialisation

    l'ensemble des procdures

    internes

    au tissu

    dis

    cursif.

    Distinction fort utile nos

    yeux,

    puisqu'elle

    doit

    nous

    permettre

    de

    donner une

    assise

    plus stable

    aux

    deux notions

    diffrentes

    de figurati-

    visation et d'iconisation. Nous poserons ainsi

    que

    la

    figurativisation,

    comprise comme la

    mise

    en place

    de smmes

    constitus

    d'un ensemble

    de traits

    figuratifs,

    peut tre dcrite

    partir

    de la seule opration de

    13

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    7/19

    rfrenciation.

    Celle-ci

    apparatra

    comme

    une

    projection de figures

    ana

    lysable d'un

    double

    point de vue :

    (i)

    d'un point de vue smantique, les

    lexemes figuratifs seront caractriss,

    au palier superficiel

    du parcours

    gnratif,

    par la

    densit

    et la spcialisation

    de leurs traits

    smiques conus

    comme des paquets

    de virtualits (qui constituent,

    au fond, ce que

    J.-C.

    Milner appelle

    la rfrence

    virtuelle

    d'une unit lexicale);

    et (ii)

    d un

    point

    de vue syntaxique,

    ces

    lexemes

    seront

    actualiss

    par

    l'nonciateur

    (dans une construction

    predicative)

    partir de reprages extrieurs

    au

    discours, qui signalent ce

    quoi

    il

    veut rfrer par cette construction,

    et

    qui dterminent

    en

    retour la slection des traits figuratifs

    pertinents

    (cet extrieur dont nous parlons peut, encore

    une

    fois, faire partie

    ou

    non du

    hic et nunc

    du monde naturel). Ce

    deuxime

    point de vue

    sur

    l'tude des lments

    figuratifs

    actualiss est rapprocher de ce que

    J.-C.

    Milner nomme leur rfrence actuelle

    \

    L'iconisation, quant

    elle,

    n'est

    qu'un prolongement parmi d'autres

    des constructions

    figuratives

    :

    on

    peut considrer, par

    exemple,

    que la

    posie

    surraliste,

    par

    ses

    associations

    htrotopiques,

    bloque prcisment

    le

    processus

    d'iconisation

    dont

    sont

    virtuellement

    porteurs

    les

    traits

    figuratifs; d'une autre manire,

    le

    discours abstrait, pour maintenir

    le

    plan

    isotope sur

    lequel il

    se

    situe,

    doit

    s'interdire toute iconisation des

    figures

    qu'il

    est cependant amen

    mettre

    en

    scne. C'est pourquoi un

    des critres de l'iconisation nous

    parat

    pouvoir tre recherch dans sa

    nature proprement syntagmatique.

    Le

    problme de

    description qu'on entrevoit ici

    se

    poserait

    de manire

    capitale,

    on

    le

    conoit,

    dans

    une tude

    gnrale sur les

    figures

    de la

    spatialit et les oprations de spatialisation dans les discours : elles sont

    comme chacun sait au

    cur

    des

    textes

    thoriques et abstraits ainsi que

    des

    espaces oublis puisque,

    si tout

    s'y

    observe

    ,

    s'y

    dispose

    et

    y

    prend

    place

    , jamais cependant n'y merge la moindre

    trace concrte

    d'un lieu

    ou

    d'un regard.

    Mais notre

    propos

    est

    plus restreint.

    Il vise

    seulement

    montrer

    que

    l'iconisation caractristique centrale des textes

    qu'on

    appelle

    ralistes est le fait d'un agencement de

    constructions

    figuratives syntagmatiquement engages dans le discours; elle rsulte

    donc de la

    combinaison

    de deux

    oprations

    de rfrenciation

    (ncessaire

    la production

    des

    figures)

    et

    de rfrentialisation (apte garantir la

    vise rfrentielle de la premire opration). Si

    cette

    approche gnrale

    des conditions internes de l'iconisation est

    admissible, il

    nous

    parat

    possible

    d'aller un

    peu

    plus loin

    et

    de

    distinguer trois modes diffrents

    de

    la

    rfrentialisation intradiscursive,

    assez

    gnraux

    semble-t-il pour

    recouvrir un nombre important de phnomnes. Ces trois modes sont

    disposs, dans l'ordre de notre

    prsentation,

    en

    allant

    du plus

    gnral

    au

    plus spcifique.

    1. Le premier mode de

    rfrentialisation

    est constitu de

    ce

    qu'on

    pourrait appeler Visotopisation.

    Il

    s'agit l de la rfrentialisation mini

    male, commune tout discours qui se veut suivi : mais, pour ce

    qui

    5.

    Cf.

    J-C. Milner,

    Rflexions

    sur la rfrence , Langue

    Franaise

    n" 30, Paris, Larousse, mai 1976,

    p. 64 : Le segment de ralit associ

    une squence est

    sa rfrence

    actuelle; l'ensemble

    des conditions

    caractrisant une

    unit lexicale

    est sa rfrence

    virtuelle.

    14

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    8/19

    nous concerne, nous dirons seulement que la

    redondance

    d'une unit

    figurative slectionne (quel

    que soit son

    niveau) est

    une

    condition indis

    pensable pour

    que

    se mette en place, dans un texte dit figuratif , un

    effet d'iconicit.

    Par

    ailleurs, toute

    redondance

    smantique de

    cet

    ordre

    impose la

    premire

    occurrence

    de

    l'unit

    figurative

    en question comme

    support des

    occurrences ultrieures,

    leur

    point de

    rfrence oblig : ce

    faisant,

    puisqu'elles

    continuent

    en

    mobiliser

    les

    virtualits,

    elles

    en

    garantissent la densit smique;

    elles en

    augmentent mme au fil des

    spcialisations

    qu'elles

    apportent

    et des nouvelles isotopies qu'elles

    dclenchent, la consistance initiale. L'isotopisation

    ne

    fait donc

    pas

    que

    maintenir un

    continuum homogne

    de signification;

    elle est en

    elle-

    mme une procdure dynamique; elle renforce constamment,

    par

    l al

    imentation continue des pans

    de figures qu'elle slectionne,

    et par le

    bombardement de rfrentialisation qu'elle

    opre

    en

    amont, les

    effets de

    rel

    auxquels s'abandonne

    la lecture

    6.

    2. Le

    second

    mode

    majeur

    de

    rfrentialisation est constitu par

    les

    dbrayages internes au discours, par lesquels

    se trouve

    assur

    notamment

    le

    passage d'une

    unit

    discursive

    l'autre.

    L'analyse

    littraire

    tradition

    nelle

    onnat

    bien ces units, qu'elle

    manipule depuis

    des sicles :

    des

    cription , dialogue ,

    rcit

    , monologue intrieur , comment

    ire,

    discours

    indirect , etc.

    Mais elle

    s'intresse peu au fait que ces

    units

    ne

    se

    distinguent

    pas seulement entre elles par ce

    qu'elles

    disent,

    mais aussi

    par leur mode de dire :

    en

    d'autres termes, par

    tout

    un

    jeu

    de

    distances tablies

    entre

    l'nonciateur et le discours qu'il

    produit. Ces

    distances sont analysables en

    smiotique

    partir

    des procdures de

    dbrayage et d'embrayage : un embrayage actoriel

    permet

    de passer

    du

    rcit

    par

    exemple, au

    dialogue

    ;

    un

    dbrayage spatial permettra

    de

    dcrocher

    du

    rcit

    pour revenir

    la

    description

    ;

    un

    dbrayage

    temporel

    assurera

    le

    retour

    de

    la

    description

    au

    rcit

    ,

    etc. Bref,

    nous n'allons

    pas entrer ici dans

    les

    dtails complexes de ces

    oprations;

    nous

    voulons

    seulement insister sur l'effet global de sens que leur mode

    de

    succession

    entrane,

    prcisment parce qu'il ne s'agit pas

    seulement

    d'un dispositif linaire de succession,

    mais

    bien plutt d'un

    systme

    de

    transformations des units les

    unes

    dans les autres 7. Dans cette pers

    pective,

    chaque

    dbrayage interne s'appuie sur une situation

    nonce

    qui

    devient du mme coup sa rfrence; lorsqu'il produit un discours au

    second degr, le dbrayage rfrentialise donc 1

    nonc

    partir

    duquel

    il

    s'effectue et instaure ainsi,

    l'intrieur mme des

    jeux

    de discours,

    un effet de ralit

    -

    li

    en

    somme

    l'enchanement

    rfrentialise,

    etrfrentialisant,

    des

    simulacres.

    3. Le

    troisime mode de rfrentialisation

    a un

    caractre

    plus

    direc

    tement

    instrumental :

    en

    tant

    que

    tel, il se

    trouve

    l'uvre dans les

    deux prcdents. Il s'agit,

    en effet,

    de

    Yanaphorisation.

    L'anaphore,

    d'un

    6.

    Il

    serait intressant

    cet gard

    de se

    pencher sur

    l'effort de mmoire active qu'exige

    le

    commenc

    ement

    e

    la lecture

    d'un

    rcit,

    lorsque l'isotopisation en est encore

    ses

    dbuts

    et

    que les

    repres

    internes

    manquent

    pour fixer les

    isotopies rfrentielles.

    7.

    Cet

    effet

    est mis en vidence en divers

    points, par A.-J.

    Greimas

    et

    J. Courtes,

    Smiotique-

    Dictionnaire..., op.

    cit.,

    cf.

    entres

    unit

    ,

    dbrayage-embrayage

    , rfrent , etc.

    15

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    9/19

    point de vue

    linguistique,

    peut tre dfinie

    comme

    la reprise d'un

    lment du contexte par un autre lment qui

    ne

    serait pas

    quivalent

    au

    premier

    hors contexte 8 . Au sens strict,

    l'anaphore

    est un

    lment

    qui

    n'a pas, par lui-mme,

    de

    rfrence

    : seul un contexte,

    explicite ou

    non, lui permet

    d'en

    actualiser

    une. C'est donc un lment qui se construit

    une rfrence

    au second

    degr,

    on

    pourrait presque dire par dlgation.

    Lorsqu'on

    lit,

    au

    dbut de

    Germinal.

    (...)

    Un

    homme suivait seul la

    grande route de Marchiennes

    Montsou

    (...).

    Devant lui,

    il

    ne

    voyait mme pas

    le

    sol noir

    (...),

    les lments anaphorisants

    (lui

    et il)

    ne

    se

    constituent une

    rfrence

    qu'en s'appropriant celle du groupe

    nominal

    auquel ils renvoient : un

    homme.

    On

    dit souvent, ainsi, que la relation anaphorique constitue un

    cas particulier

    de

    co-rfrence.

    Sa particularit

    consiste dans la relation

    a-symtrique

    qu'elle

    tablit entre les deux lments, alors que la co-

    rfrence

    ordinaire

    implique une relation symtrique :

    si

    je

    lis

    Georges

    Marchais

    a

    particip

    l'mission X...; le

    premier secrtaire

    du

    PC

    a

    expliqu...

    ,

    il n'y a pas

    entre les deux termes

    souligns

    de

    relation

    anaphorique

    proprement dite mais une relation

    symtrique de co-rf

    rence

    les deux termes peuvent indiffremment tre substitus

    l'un

    l'autre, ce qui n'est

    pas le

    cas dans la relation anaphorique 9.

    A ce titre, la

    distinction que nous

    avons

    tablie entre rfrenciation

    et rfrentialisation parat opratoire : la reprise anaphorique consiste

    rfrentialiser,

    l'aide d'un

    terme

    condens, un lment de discours (qui

    peut tre une unit lexicale, un syntagme

    ou

    une

    squence) qui

    rpond,

    lui,

    une

    opration

    de rfrenciation.

    Si les

    termes

    en relation se trouvent

    tous

    deux

    dots

    d'une capacit smantique

    de rfrenciation

    autonome,

    la possibilit d'une relation

    anaphorique

    relve alors d'un problme de

    hirarchie smantique. Un

    terme

    gnrique peut anaphoriser

    un terme

    spcifique

    mais non

    l'inverse. Il

    est

    ainsi

    possible

    d interprter

    la rf

    rentialisation anaphorique dans

    l'nonc

    :

    un

    ouvrier errait sur le

    che

    min; l'homme tait sans travail ;

    mais

    l'inversion des termes

    en

    relation

    interdit

    en revanche

    toute rfrentialisation

    et l'nonc n'est

    pas

    accep

    table un

    homme

    errait sur le chemin; l'ouvrier tait sans travail .

    On voit ainsi que les problmes qui surgissent lorsqu'on envisage les

    conditions

    de la rfrentialisation anaphorique sont complexes et

    nomb

    reux. Il conviendrait d'y

    ajouter ceux

    qui concernent l'anaphorisation

    anticipatrice

    (ou

    cataphorisation)

    dont

    l'examen

    permettrait

    de

    rendre

    compte d'un certain nombre de phnomnes discursifs essentiels dans la

    littrature

    romanesque qu'on

    dsigne

    littrairement

    par des configura

    tionsomme

    celle

    de la prmonition .

    Nous situant

    cependant

    au-del des aspects spcifiquement tech

    niques

    de l'anaphore que nous

    ne saurions

    dvelopper ici, nous

    aimerions,

    8. H.

    Portine, lments pour

    une

    grammaire

    de renonciation. I.

    L'Anaphore,

    Paris, B.E.L.C, mul-

    tigraphie,

    1979,

    p. 7.

    9.

    Pour une

    analyse rigoureuse de ces problmes, cf. J.-C. Milner, Rflexions sur la rfrence ,

    art. cit.,

    pp. 67-72.

    16

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    10/19

    titre

    d'exemple, indiquer

    l'usage qu'en fait

    le discours zolien

    afin de

    crer ses

    effets rfrentiels. Examinons

    donc

    la

    premire ligne du

    roman.

    Dans

    la plaine rase, sous la nuit sans

    toiles...

    L'emploi

    des

    dterminants dfinis , la (2x), produit un effet de

    flchage

    10

    anaphorique, lorsqu'on

    pourrait attendre pour

    un dbut de

    roman

    le

    dterminant

    d'extraction ,

    une-une

    (

    Dans une

    plaine

    rase,

    par une nuit sans

    toiles... ).

    Ce choix de

    l'nonciateur

    constitue une

    opration de rfrentialisation : elle renvoie un

    nonc antrieur absent

    mais prsuppos

    au moment mme de la lecture,

    et

    conforme au modle

    de l'nonc inaugural

    classique

    des contes populaires : [il y avait

    une

    plaine, et

    il

    faisait nuit]. La vise rfrentielle ici est donc

    double puisque,

    d'une part,

    les lexemes

    plaine

    et

    nuit

    construisent

    une rfrencia-

    tion en

    renvoyant

    une

    reprsentation

    du monde naturel,

    et d'autre

    part, ces

    lexemes se

    trouvent inscrits dans

    une

    rfrentialisation

    un

    discours implicite

    qui

    pose

    comme

    dj connues

    -

    comme

    dj

    introduites

    dans l'univers

    figuratif

    et

    la plaine

    et

    la

    nuit.

    L'nonc

    initial ralise

    donc

    d'emble

    l'effet

    d'iconicit par le double

    jeu de ces

    procdures n.

    Les rfrentialisations par isotopie, par dbrayage et par

    anaphore

    permettent donc de reconstituer, croyons-nous, certains des

    mcanismes

    essentiels de l'iconisation dans les discours figuratifs.

    Ils

    n'puisent sans

    doute

    pas,

    loin de l,

    la question.

    De l'

    illusion

    rfrentielle , nous

    n'avons

    en

    effet esquiss

    que

    le second

    terme

    de l'expression : resterait

    analyser ce que

    recouvre

    le premier, l'illusion . De quel

    ordre

    est la

    croyance trompeuse

    qu'elle

    tend susciter? Le

    problme qui

    se pose ici

    ne peut

    plus

    tre envisag

    seulement

    partir

    des procdures

    internes

    au

    discours

    :

    il

    s'tend

    une

    question

    plus

    vaste

    et

    englobante

    qui

    est

    celle

    de ce

    qu'on

    pourrait appeler la communication iconique.

    Nous

    prfrons

    toutefois,

    pour

    ne

    pas

    dpasser

    les limites de

    notre

    propos,

    nous

    en tenir l'analyse des processus

    discursifs eux-mmes.

    Aussi, pour illustrer le schma d'analyse que nous

    venons

    de proposer,

    nous

    allons

    rechercher dans l'tude d'un bref

    extrait

    de Germinal les

    diffrents

    modes

    de rfrentialisation

    qu'il

    met

    en

    uvre, susceptibles

    de promouvoir cette fameuse iconicit.

    10. Nous empruntons cette notion

    A. Culioli, qui l'oppose, propos des

    oprations

    de dtermi

    nation,

    celle d' extraction ; cf. Notes

    sur

    dtermination

    et

    quantification: dfinition des oprations

    d'extraction

    et de flchage, Multigraphie,

    Dpartement de

    Recherches

    Linguistiques, Paris VII,

    1975.

    11.

    Puisque

    le roman

    raliste

    vise

    avant

    tout

    l'iconicit

    -

    du

    moins premire

    vue

    -

    le

    problme

    du comment

    commencer?

    est

    de

    taille;

    c'est l

    que

    tout

    se

    joue.

    Un certain nombre de procds ont

    t mis en

    uvre par

    divers crivains (notamment

    par

    Zola) et

    forment,

    en raison de la

    codification

    implicite

    qui

    semble les rgir,

    une

    vritable rhtorique des dbuts de romans.

    Ils

    nous paraissent tous

    fonds, en dfinitive,

    sur

    un principe gnral de rfrentialisation par lequel se trouve projet un amont

    du

    texte, susceptible d'estomper

    la

    brusquerie des incipit :

    qu'il

    s'agisse

    d'une

    anaphore ponctuelle,

    comme c'est

    le

    cas de

    Germinal,

    de l'introduction par son patronyme d'un acteur suppos dj connu

    et

    identifi, comme on

    le

    trouve dans

    L'Assommoir,

    ou des configurations de Vattente ou de V

    arrive

    qui

    prsupposent des

    programmes narratifs

    immdiatement antrieurs, comme

    dans

    La

    Bte humaine,

    ou

    Pot-Bouille

    par exemple, le principe appliqu

    diffrents niveaux de l'analyse

    reste le

    mme. Plusieurs

    tudes ont t consacres au problme de ces squences inaugurales; cf. en particulier les

    articles

    de

    Ph.

    Hamon

    Un discours

    contraint

    , de H. Mitterand, Fonction narrative

    et

    fonction mimtique

    et

    de

    J. Dubois,

    Surcodage et protocole

    de

    lecture ,

    dans

    le

    numro

    16 de la revue Potique,

    Seuil, 1973,

    consacr au Discours raliste .

    17

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    11/19

    3.

    chantillon d analyse

    [PI]

    12

    Alors,

    en

    courtes

    phrases,

    l'haleine

    coupe,

    tous

    deux

    conti

    nurent se plaindre. Etienne racontait ses courses

    inutiles

    depuis

    une

    semaine;

    [P2] il fallait donc crever

    de

    faim? Bientt

    les

    routes seraient pleines

    de mendiants.

    P3] Oui,

    [P4]

    disait le vieillard,

    P3]

    a

    finirait

    par

    mal tourner, car il n'tait pas Dieu permis de jeter

    tant

    de chrtiens la rue.

    [P5] On n'a pas de la viande tous les jours.

    [P6] - Encore

    si

    l'on avait du pain

    [P7] -C'est vrai, si

    l'on

    avait du

    pain seulement

    [P8]

    Leurs

    voix

    se

    perdaient,

    des

    bourrasques

    emportaient

    les mots

    dans

    un hurlement

    mlancolique.

    r-(P9]

    Tenez

    [P10]

    reprit trs haut le

    charretier

    en se

    tournant

    vers

    le midi,

    9] Montsou est l...

    3.1. La rfrentialisation discursive

    Zola est, comme

    on

    sait,

    un

    des

    premiers

    crivains

    avoir

    syst

    matis

    (aprs

    Flaubert) l'usage

    du discours

    indirect

    libre,

    au

    point

    d'en

    faire

    une

    des caractristiques

    les plus

    manifestes

    de l'criture natural

    iste

    .

    A vrai dire, c'est moins

    l'usage de cette

    forme

    du discours

    en

    elle-

    mme qui

    est remarquable,

    que

    la

    diversit

    et

    l'entrecroisement

    des

    formes diffrentes : discours

    direct,

    discours indirect, discours indirect

    libre avec

    ou

    sans verbe introducteur

    en

    incidente... Et pourtant, dsigner

    de cette

    manire

    les

    formes

    du

    discours n'explique en soi

    pas grand

    chose,

    en

    dehors de la reconnaissance des

    marques linguistiques

    (temps

    et modes des

    verbes,

    marques personnelles,

    signes typographiques, etc.)

    qui

    les distinguent. Les instruments de description utiliss

    paraissent en

    dfinitive

    fort

    allusifs lorsque, dpassant le cadre

    strictement

    linguistique,

    on

    entend les

    utiliser

    dans

    une

    analyse

    discursive

    :

    il

    est

    vrai, en

    effet,

    que la signification

    globale

    que ces

    formes

    produisent rsulte davantage

    du

    mode de leur agencement qui

    doit

    donc tre dcrit - que de leur

    type

    proprement

    dit.

    Pour

    ces

    diverses raisons, il

    nous

    parat

    plus

    prcis

    d'en

    envisager

    l'tude

    partir

    des

    notions

    smiotiques

    que nous

    avons

    dj

    dfinies

    : nous prfrons donc parler leur sujet de dbrayages

    actantiels de

    prise en

    charge du discours,

    marquant

    ainsi la structure

    12.

    Nous dsignons

    ici

    par

    [PI, P2, Pn...]

    non

    pas les phrases, mais les segments de prise en charge.

    Le passage

    cit est

    extrait du premier chapitre du roman de Zola, le Livre de poche (n 145), pp.

    10-

    11.

    18

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    12/19

    smio-narrative

    qui

    est

    sous-jacente la diversit de ces

    formes. Par

    ailleurs, leur intrication extraordinaire,

    telle qu'on

    peut l'observer dans

    l extrait ci-dessus, a pour effet de multiplier partir de dcalages parfois

    tnus

    le

    travail

    de

    la

    rfrentialisation

    et d'accentuer

    du mme coup

    la dimension

    iconique du

    discours.

    Il

    nous parat enfin

    que les autres

    modes

    de

    rfrentialisation

    -

    ceux

    qui

    se

    construisent

    par

    isotopie

    et

    par

    anaphore

    se trouvent

    en

    quelque sorte

    encadrs par

    le systme

    majeur

    des

    dbrayages

    actantiels. Nous

    les

    examinerons donc

    ultrieurement.

    En

    aval du

    dbrayage nonciatif par lequel

    s'institue

    tout discours,

    le texte lui-mme peut tre la

    scne

    de

    dbrayages

    et d'embrayages internes.

    Ces

    procdures

    du deuxime

    degr fonctionnent

    de

    manire

    analogue

    celle du premier degr, dont elles sont

    en

    quelque sorte le dcalque exact.

    Ici, dans [PI] la procdure initiale aboutit selon toute

    apparence

    un

    dbrayage strict :

    l'instance

    de prise

    en

    charge du discours, le narrateur

    (not dornavant Sj), semble

    totalement

    efface,

    conformment

    d'ailleurs

    aux

    prceptes

    affichs

    de l'criture

    naturaliste

    13.

    Nous

    verrons

    tout

    de suite

    que

    ce

    pseudo-effacement

    n'est

    jamais

    ni

    si

    pur

    ni

    si

    tanche

    qu'il

    y

    parat.

    En dehors

    de

    Sj,

    les actants de prise

    en

    charge

    sont dans cet extrait

    l'acteur

    Etienne

    Lantier (S2)

    et l'acteur

    Bonnemort ,

    le

    vieillard

    (S3). Tout se

    passe

    donc

    premire vue

    comme s'il y avait

    une

    succession

    de

    tours

    de

    paroles

    entre S^

    S2 et S3.

    Or,

    la

    ralit

    discursive est

    loin

    d'tre

    aussi simple.

    Entre

    le discours dbray

    de

    Sj [PI] et

    les

    discours

    embrays des deux acteurs, que manifeste

    l'change

    dialogu,

    il

    y a

    des strates intermdiaires :

    celles

    que recouvre prcisment la notion de

    discours

    indirect,

    et

    que ralisent les segments [P2]

    et [P3]. Les diffrents

    modes d'effectuation

    du

    discours indirect

    nous

    paraissent

    pouvoir tre

    interprts comme des dbrayages actantiels de prise

    en charge;

    ils

    modulent

    de

    manire

    progressive

    les

    disjonctions actantielles.

    Le

    passage

    de

    [PI]

    [P2] ( il fallait

    donc

    crever

    de

    faim? bientt

    les

    routes seraient pleines de mendiants ), peut tre analys, selon nous,

    comme

    un

    semi-dbrayage

    : on

    ne

    saute pas,

    en

    effet, du discours de

    S,

    celui

    de

    S2 comme

    si

    le

    premier abandonnait

    d'un seul coup au

    second

    toute

    l'initiative discursive;

    on

    y passe

    progressivement

    par le

    biais d'une

    collaboration nonciative.

    Dans l'nonc au style indirect, Sj

    poursuit son propre discours auquel

    il

    vient superposer

    celui

    de S2.

    On

    assiste bien alors un ddoublement de

    l'instance

    nonciatrice : les deux

    actants

    S, et S2 prennent

    en

    charge ensemble le

    segment discursif

    qui

    commence par ces

    mots,

    il

    fallait

    donc crever de faim... . La commun

    aut

    'instanciation qui

    se

    met

    ici

    en

    place

    nous parat

    fondamentale,

    car

    le discours indirect

    s'institue de

    la

    sorte

    comme

    un

    systme

    de

    rfrentialisation actantielle rciproque.

    Le

    phnomne

    est encore

    plus

    significatif dans le

    segment

    suivant

    [P3],

    o

    il

    trouve

    une

    modulation

    supplmentaire. La rponse du vieillard

    se

    situe sur le

    mme

    plan

    que

    l'nonc

    d'Etienne;

    en elle

    se

    conjuguent

    les deux sujets

    d'nonciation Sj et

    S3,

    et

    nous

    avons affaire comme pr-

    13.

    Le

    naturalisme ne se prononce

    pas,

    il examine. Il

    dcrit.

    Il dit : cela est , E.

    Zola,

    Le

    roman

    exprimental.

    19

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    13/19

    cdemment un semi-dbrayage de

    Sj.

    Cette fois, cependant, le discours

    de

    Sj resurgit en [P4] par l'introduction en incidente

    de

    la proposition :

    disait le vieillard . On peut considrer que, de

    cette

    manire, se creuse

    l'cart entre les deux sujets, le discours de S3 allant alors vers

    une plus

    grande autonomie.

    Le

    dbrayage d'une instance l'autre est consomm

    dans

    l'nonc

    de

    S3

    au discours

    direct,

    qui

    constitue

    la

    base

    de

    l'change

    dialogu entre S3 et S2

    [P5,

    P6 et

    P7].

    Au

    terme

    de cet change, [P8]

    rsulte d'un

    nouveau dbrayage

    qui rinstalle le discours descriptif de

    S

    j. Enfin, entre [P9]

    et [10] l'cart est maximum

    entre

    le

    discours embray

    de

    S3 ( Tenez ) et celui

    du narrateur, Sx

    (

    reprit

    trs

    haut

    le charret

    ier), qui s'intercale entre ses deux segments.

    On

    voit ainsi comment, l'intrieur

    d'un extrait remarquablement

    court,

    les

    diffrents modes

    de prise

    en

    charge

    discursive sont

    susceptibles

    de donner lieu

    un nombre lev de combinaisons. Chacune d'elles

    repose bien entendu sur un

    agencement particulier des

    dbrayages

    et

    embrayages qui mettent en scne soit

    le

    narrateur (S^, soit

    l'acteur

    (S2),

    soit

    les

    deux instances

    conjugues

    (Si/S2), soit

    les deux

    instances

    en

    successivit (Sj

    +

    S2), soit les deux instances intercales (S2

    +

    S, 4- S2).

    Nous pouvons

    ainsi tablir la

    liste

    de ces

    formes,

    avec leurs correspon

    dantsans la terminologie classique,

    accompagns

    d'un exemple :

    d(S,)

    d(S2)

    d (S, + S2)

    d (S2 + S, + S2)

    d (S,/S2)

    d

    (S, + S,/S2)

    d (S,/S2

    + S,

    + S,/S2)

    discours descriptif/narratif

    discours direct (dialogue

    ou

    monologue)

    discours direct

    introduit par un

    discours descriptif

    discours

    direct

    avec proposition

    introductrice

    intercale

    discours indirect

    libre

    discours indirect introduit par

    une proposition

    descriptive

    discours indirect libre

    avec

    pro

    position introductrice

    intercale

    (en incidente)

    Alors tous deux continurent

    se

    plaindre.

    -

    On n'a

    pas de la

    viande

    tous

    les

    jours.

    Etienne

    se

    demandait

    : il faut

    donc crever de faim?

    -

    Tenez

    reprit le

    charretier,

    Montsou

    est l...

    II fallait donc

    crever de faim

    Etienne

    se

    demandait s'il fal

    lait donc crever

    de faim

    Oui,

    disait

    le vieillard, a fini

    rait pas

    mal tourner

    Le

    jeu

    de ces

    multiples

    variations

    renvoie, nous semble-t-il,

    trois

    procdures

    de

    dbrayage

    essentielles

    : il y a la

    procdure simple (discours

    de S, ou discours de S2), la

    procdure

    par mdiation qui aboutit l'non-

    ciation conjugue

    de Sj

    et

    de

    S2

    (discours indirect)

    et

    la procdure par

    intercalation

    o le discours

    de S, prend

    place

    au sein du discours cit

    (quelle que soit

    sa

    forme) de

    S2.

    La

    manipulation rapproche

    de

    ces

    diverses

    possibilits

    produit d'abord un effet de

    chass-crois

    des instances

    nonciatrices.

    Mais elle produit plus

    aussi

    : elle

    impose

    un systme d qui

    valence actantielle entre le narrateur et

    les

    acteurs. Le premier, lorsqu'il

    se dfait ainsi de son discours au profit de celui des personnages, modifie

    20

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    14/19

    son

    propre

    statut

    :

    en

    s'installant

    comme

    une rfrence

    commune

    dans

    le discours

    indirect libre,

    il

    parat

    partager le statut nonciatif des

    acteurs

    noncs, et

    se trouve rfrentialis au mme titre

    qu'eux.

    Ces derniers,

    pour leur

    part,

    troitement

    intriqus au

    discours du narrateur, reoivent

    en retour le coefficient

    d'existence (relatif

    la

    matrise

    cognitive

    de

    l'univers figuratif)

    qui

    lui revient

    en

    propre. C'est ainsi que la source

    relle

    (le

    narrateur

    et,

    en

    amont,

    l'nonciateur

    proprement

    dit)

    et

    les

    sources fictives de la parole

    (les

    personnages)

    se trouvent rapproches,

    voire confondues. En

    conjuguant

    leurs fonctions respectives,

    l'crivain

    naturaliste

    impose

    entre

    elles

    une

    solidarit organique, lie aux

    contraintes et aux possibilits

    du

    langage.

    Les

    mcanismes

    dmultiplis

    de la prise

    en

    charge discursive produisent, ou du moins renforcent

    considrablement,

    l'effet

    d'iconisation actorielle

    :

    l'une des qualifications

    majeures

    de

    l'acteur anthropomorphe est

    bien,

    en effet, celle

    de

    sa compt

    ence iscursive propre.

    D'un autre ct, la

    succession

    rapide des units de discours

    augmente

    d'autant

    le

    nombre

    des

    processus

    effectifs

    de rfrentialisation, puisque

    chacune d'elles,

    si

    brve

    soit-elle, devient

    instantanment le

    support

    rfrentiel de celle qui suit. C'est de ces

    jeux

    rciproques

    que

    nous pro

    posons, ci-dessous,

    une

    reprsentation

    graphique.

    S En. /

    dbrayage

    nonciatif

    discours

    du

    narrateur i -i-

    P4(S1)

    LES DBRAYAGES ACTANTIELS DE

    PRISE

    EN

    CHARGE

    ("Germinal",

    extrait

    pp. 10-11 )

    P8(S1)

    PlO(Sl)

    discours

    direct

    P6(S2)

    3.2.

    La

    rfrentialisation

    par

    isotopie

    Ces processus, bien

    entendu,

    ne

    s'arrtent

    pas

    aux seules rfren-

    tialisations

    actantielles

    et l'iconisation des

    personnages

    ;

    ils

    concernent

    aussi, selon d'autres

    modes, les

    diverses dimensions smantiques et syn

    taxiques du contenu qui se trouvent

    toutefois, comme

    on

    l'a not

    plus

    haut,

    encadres

    par le systme des dbrayages discursifs. A propos du

    fonctionnement interne

    des

    isotopies, nous

    n

    voquerons dans cette

    ana

    lyse

    que

    deux

    aspects

    propres

    montrer

    avec

    assez

    de prcision comment

    les significations se trouvent assembles et maintenues les unes par les

    21

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    15/19

    autres,

    comme

    s'il

    fallait

    pour

    prix

    de leur efficacit

    que se trouve

    jugul leur

    panchement linaire et alatoire.

    Le

    dialogue

    entre les deux

    acteurs,

    sous les deux

    formes discursives

    distinctes

    qui

    le manifestent, est

    remarquablement

    redondant : Etienne

    et le

    charretier disent

    et l'autre la

    mme chose

    comme si la

    rfrentialisation

    du

    discours

    du premier

    dans le discours

    du

    second tait

    le

    moyen

    d'assurer

    leur

    communaut

    d'existence.

    De

    fait,

    la redondance

    smantique

    de leurs propos impose progressivement les deux acteurs

    comme

    les fragments

    d'un

    sujet

    collectif:

    l'identification

    s'opre par la

    slection des mmes isotopies. Ils passent du statut d' units intgrales

    discrtes,

    chacun possdant

    les

    traits d'individuation qui

    lui

    sont

    propres,

    celui

    de totalit partitive lorsque, ayant abandonn l'intgrit de

    leurs

    traits,

    ils

    n'en slectionnent

    qu'une partie

    partir de

    laquelle

    ils

    se

    constituent

    comme

    une

    nouvelle

    totalit

    fonde

    sur les traits qu'ils

    possdent

    en commun

    14 : cette

    nouvelle

    totalit partitive , qui les

    constitue

    comme appartenant

    une mme

    classe (la classe

    ouvrire) se

    ralise par l'nonc monologique assum successivement par

    les deux

    acteurs :

    Si

    l'on avait

    du

    pain

    En y regardant d'un peu

    plus

    prs,

    on

    s'aperoit

    que

    les traits

    slectionns pour

    former l'actant

    collectif se rpartissent

    en

    deux

    isotopies

    smantiques

    distinctes qui

    toutes

    deux tablissent

    l'tat

    du

    manque : la

    premire, correspondant

    l'univers

    individuel,

    peut tre

    dcrite

    comme

    le

    manque

    alimentaire

    (il

    =

    /faim/); la seconde, correspondant

    l uni

    vers collectif, se

    dfinit

    par le manque de

    travail

    (i2

    = /chmage/).

    Dans

    la

    premire

    s'inscrivent

    les

    noncs suivants :

    11

    /faim/ : -

    il fallait

    donc crever de

    faim?

    -

    On n'a pas de la viande tous les

    jours.

    -

    Encore,

    si

    l'on

    avait

    du

    pain

    - C'est vrai, si

    l'on

    avait du pain seulement

    Et, dans la seconde :

    12 /chmage/ : -

    bientt

    les routes seraient pleines de mendiants.

    a

    finirait par

    mal tourner,

    car

    il n'tait pas Dieu permis

    de jeter tant de chrtiens

    la rue.

    Or,

    et

    c'est

    cela qui

    nous intresse ici, on

    s'aperoit

    que les deux

    premires occurrences de

    il et

    les deux occurrences de i2 s'agencent,

    indpendamment

    de

    la

    relation

    causale

    qui

    les

    relie,

    selon

    la

    structure

    croise

    d'un chiasme smantique

    :

    il

    >

    i2,

    puis i2 >

    il.

    Le premier

    nonc

    du

    vieillard

    rpond

    au second

    du jeune

    homme et le second

    de

    celui-l

    reprend

    le

    premier de celui-ci,

    comme si ce dcalage par lequel

    les

    isotopies

    resserrent

    leurs rfrentialisations rciproques,

    constituait

    une tape prliminaire l'tablissement de l'isotopie commune dans

    laquelle vont

    fusionner les deux sujets. Nous n'allons pas nous

    attarder

    14. Cf. A.-J. Greimas

    et

    E. Landowski, dans

    L'analyse

    smiotique d'un discours

    juridique

    (A.-J. Greimas, Smiotique

    et

    Sciences

    Sociales, Paris, Le

    Seuil, 1976, pp. 79-127).

    22

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    16/19

    sur

    cette

    analyse qui pourrait tre pousse

    plus

    loin (notamment au

    niveau des

    liens de prsupposition

    logique et

    de

    l'usage

    de

    la parataxe) :

    l'esquisse que

    nous en proposons suffit montrer comment

    un

    discours

    romanesque

    aussi

    rapide

    en apparence

    que

    celui

    de

    Zola n'en

    tisse

    pas

    moins des

    rseaux

    internes

    tout aussi

    serrs que ceux

    qu'on

    a coutume

    de reconnatre

    et d'analyser

    l'intrieur

    des

    textes

    potiques

    : c'est ce

    prix,

    croyons-nous,

    qu'il

    dgage

    son

    coefficient

    d'iconicit.

    Le

    deuxime

    phnomne

    de rfrentialisation par isotopie concerne

    le seul discours descriptif du narrateur : entre [PI]

    et [P8] s'tablit en

    effet

    une corrlation fonde

    sur l'isotopie

    de

    la /plainte/. Cette

    corrlation,

    courante

    il

    est vrai depuis la

    potique impose

    par le Romantisme,

    fait

    de la /plainte/ un trait isotopant (Greimas) entre le discours des

    acteurs humains ( tous deux continuaient se

    plaindre

    ) et celui d'un

    vent

    anthropomorphis (

    les

    bourrasques emportaient

    les mots dans un

    hurlement

    mlancolique

    ). A

    dire vrai, cette

    relation

    isotope entre les

    deux

    discours va sensiblement

    plus

    loin : l'acteur

    vent

    y occupe la

    position actantielle d'un anti-sujet

    dont

    le

    parcours

    s'oppose

    celui

    des

    deux interlocuteurs :

    il

    leur

    coupe

    l'haleine .

    Ce faisant,

    il

    rfrentialise

    leur discours

    en

    justifiant

    les courtes phrases et

    en

    faisant

    paratre

    naturelle la reprise

    en

    charge de la description par le narrateur

    en

    [P8].

    Entre

    l'acteur

    cosmique

    et

    les acteurs

    humains

    le rapport de rfrentia

    lisationst

    donc

    double

    et paradoxal : il est de solidarit axiologique,

    les

    deux discours

    tant

    marqus dysphoriquement, et il est de contradiction

    narrative, les deux parcours apparaissant comme antagonistes.

    3.3.

    La rfrentialisation anaphorique

    Au-del

    des

    anaphores

    explicites

    qui

    assurent la

    liaison

    entre

    les

    noncs, il

    nous

    semble

    possible

    d'invoquer l'existence de procdures de

    reprise

    et d'anticipation

    qui renvoient une conception largie de l'ana-

    phorisation smantique :

    de telles procdures,

    correspondant

    des

    fl

    chages

    largement implicites,

    n'ont pas, c'est le moins qu'on puisse dire,

    un

    statut thorique

    solidement

    assur; c'est pourquoi,

    bien

    qu'il y

    ait

    l

    des

    phnomnes sous-jacents

    non ngligeables, nous devons envisager cet

    largissement du concept d'anaphonsation avec une grande

    prudence.

    Pour les

    premires,

    il est ais de reconnatre les anaphores

    classiques

    de rfrentialisation dans tous deux continurent

    se

    plaindre

    , et

    dans leurs voix se perdaient... ; de mme, Etienne

    et

    le (vieillard) ,

    le

    (charretier)

    renvoient,

    dans

    l'amont

    du

    texte,

    des

    extractions

    dj

    effectues; par ailleurs,

    on

    peut aussi noter

    une

    occurrence de lexicali

    sation o-rfrentielle entre vieillard

    et

    charretier . La

    seule conclu

    sion

    ue

    nous pouvons tirer

    de ces faits

    est d'ordre

    quantitatif.

    L' hy

    pertrophie des procds anaphoriques

    a dj

    depuis longtemps t

    dcele

    comme

    une

    des

    proprits

    majeures

    de

    la communication

    qui

    caract

    risent

    e

    texte

    raliste-lisible

    1S.

    15.

    Ph.

    Hamon,

    Un discours

    contraint ,

    in

    Potique, n"

    16, 1973, op. cit.,

    p. 423 : L'hypertrophie

    des procds anaphoriques et de la redondance du texte vise essentiellement

    assurer la

    cohsion

    et la

    dsambigusation de l'information

    vhicule,

    ceci

    en

    mettant

    en corrlation des

    units disjointes du

    23

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    17/19

    Plus

    dlicats sont

    les

    phnomnes anaphoriques et

    cataphoriques

    qui

    ne

    sont

    pas

    directement supports

    par des

    marques

    lexicales spci

    fiques. Dans

    l'extrait que nous tudions, ils concernent deux

    segments

    partir

    desquels le

    lecteur

    est amen

    construire

    des inferences complexes.

    Tout

    d'abord, dans l'nonc des

    courses inutiles

    et l'vocation

    de

    la

    faim qui leur est

    associe

    se trouve

    condense une squence

    narrative

    tendue

    qui

    est

    du

    mme coup

    rfrentialise

    dans la seule

    dnomination

    que

    le

    texte manifeste ici. Cette

    squence s'articule en

    programmes de

    qute rpts (cf. la multiplication des

    PN),

    chaque

    fois sanctionns par

    un

    chec,

    et

    se situe quelques

    paragraphes

    plus

    haut l'intrieur d'une

    unit

    dite

    de

    monologue

    intrieur

    qui

    intgre elle-mme

    celle d'un

    micro-rcit. Ce dernier, parfaitement clos, se

    dploie

    conformment

    l'ordre des preuves

    du

    schma

    canonique

    et peut tre

    interprt

    comme

    un parcours ngatif de dmodalisation

    du sujet (pp.

    9-10) :

    il

    songeait lui, son existence de vagabond,

    depuis

    huit

    jours

    qu'il

    cherchait une

    place;

    il

    se

    \

    revoyait

    dans

    son

    atelier du chemin

    de fer,

    giflant

    >

    preuve qualifiante

    son

    chef,

    chass de Lille, chass

    de

    partout;

    le

    '

    samedi,

    il tait

    arriv Marchiennes, o

    Ton

    \

    disait qu'il

    y

    avait du travail

    aux

    Forges; et rien, > preuve principale

    ni aux Forges, ni

    chez

    Sonneville, il avait d '

    passer le

    dimanche

    cach sous les bois d'un chan- \

    tier de charronnage,

    dont

    le surveillant

    venait

    de > sanction

    l'expulser,

    deux

    heures

    de

    la

    nuit. Rien, plus

    '

    un sou, pas mme une crote;

    (...)

    On

    voit

    que

    les

    courses

    inutiles

    n'induisent

    pas un

    simple

    ph

    nomne de catalyse

    u'

    :

    le

    syntagme

    est

    bien dans une relation d qui

    valence

    smantique,

    exacte

    et

    complte avec

    l'ensemble

    de la squence

    cite; il en

    contient

    la

    structure

    syntaxique et en prsuppose l'explicitation

    antrieure.

    C'est la raison

    pour

    laquelle il

    nous semble opportun de parler

    son propos d'un

    phnomne

    d'anaphorisation.

    Le deuxime segment qui nous intresse

    est

    constitu de la

    double

    rplique : Si l'on avait

    du

    pain

    Cet nonc

    revient

    trois reprises

    l'intrieur

    du premier

    chapitre, qu'il scande la

    manire

    d'un

    leitmotiv.

    Pour cette raison,

    il

    pourrait sembler prfrable de

    parler

    son propos

    d'une simple

    redondance

    plutt que d'y voir la

    trace

    d'un processus

    anaphorique.

    N'apportant

    aucune

    information

    nouvelle

    chacun

    des

    interlocuteurs, ces

    rpliques

    n'ont qu'une

    fonction phatique;

    elles per

    mettent

    de maintenir entre eux

    le

    contact

    et

    de cimenter,

    en le

    rfren-

    tialisant, la solidarit

    de leur destin

    : c'est cet nonc

    qui

    fonde,

    ainsi

    mme nonc un mme

    niveau linguistique, des

    niveaux

    linguistiques

    diffrents du mme

    nonc,

    ou

    des

    lments de deux noncs distincts.

    Pour

    notre part, plutt que d'envisager la

    question

    sous l'angle

    de l'information , nous prfrons parler d'oprations qui visent

    le

    maintien rigoureux d'un continuum

    rfrentiel intradiscursif.

    16 Exploitation des lments elliptiques qui manquent dans la structure de surface. Cette pro

    cdure s'effectue

    l'aide

    d'lments contextuels

    manifests

    et

    grce aux relations de prsupposition qu'ils

    entretiennent

    avec les lments implicites , A.-J.

    Greimas,

    J. Courtes, Dictionnaire,

    op.

    cit., p. 33.

    24

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    18/19

    que

    nous l'avons

    vu plus haut,

    la

    constitution de

    l'actant

    collectif. Or,

    ce titre justement, il exerce

    une fonction

    cataphorique puisqu'il est

    en

    effet prmonitoire du slogan qui,

    quinze reprises, rythmera la grande

    manifestation des mineurs dans la

    cinquime

    partie du livre : Du pain

    du

    pain

    du

    pain

    (chapitre

    4,

    5

    et 6) ; le slogan peut globalement tre

    interprt

    comme l'nonc

    par

    lequel

    le sujet collectif se pose

    et

    s'identifie

    en tant

    que

    tel.

    On

    pourra

    mme

    noter

    l'isotopie

    sur

    le

    plan

    du signifiant

    qui organise de la mme manire les deux formes de la manifestation :

    deux

    hexamtres

    structure ternaire.

    Mais c'est la seconde occurrence

    cette fois qui se trouve

    rfrentialise

    par la premire,

    et

    qui

    en

    est

    l'expansion acheve.

    De

    tels

    phnomnes

    cataphoriques,

    dont nous signa

    lons

    ci un exemple,

    sont trs nombreux dans

    Germinal

    et pourraient

    justifier eux seuls

    une tude

    spare. Nous pensons, entre autres,

    la

    mtaphore

    directrice

    de la germination, dont la premire apparition est

    signaler

    au chapitre 5 de

    la

    premire partie : une

    rbellion

    germait

    (p. 62); ou encore

    cette

    haine

    d'instinct

    (p. 39)

    qui

    flambe

    subitement

    entre

    le

    hros

    et

    son

    futur antagoniste, Chaval. L'ensemble

    de ces

    rela

    tions

    tisse

    la

    surface du

    texte

    un

    rseau

    extrmement

    serr

    de

    rfrences

    internes qui

    confirment

    que

    c'est par

    ce moyen mme que se trouve

    construite

    et tanchifie l'iconicit caractristique de l'criture ra

    liste.

    3.4.

    Un

    effet

    de rfrenciation : l'nonc sociolectal

    A

    ces

    multiples mcanismes

    de rfrentialisation,

    il convient encore

    d'ajouter l'usage des formes

    sociolectales

    du discours, qui

    relvent

    selon

    les

    dfinitions

    que nous

    avons

    adoptes de l'opration de rfrenciation.

    Au

    service

    du

    faire

    paratre

    vrai

    , ces

    formes

    compltent

    la

    manire

    d'une

    modalisation

    de surface l'identification

    des

    acteurs qui

    en

    assument

    l'nonc : elles signalent leur

    appartenance

    socio-culturelle. Crever de

    faim , a finirait par mal tourner ,

    il

    n'tait pas Dieu

    permis

    , jeter

    tant

    de

    chrtiens la

    rue

    imposent

    la fois l'iconisation

    de

    l'acteur

    et celle

    de

    l'univers

    de

    rfrence.

    Il

    est

    d'ailleurs intressant de

    noter

    que ce sont l

    des

    expressions

    figes, des

    noncs collectifs strotyps

    reproduits tels quels,

    dicibles

    par n'importe quel membre

    du groupe,

    et

    donc

    emblmatiques

    de l'univers

    qu'ils

    dsignent. Dans ce sens ils

    n'appartiennent pas aux

    sujets qui

    en sont

    les porteurs, au contraire

    :

    ce

    sont

    les

    sujets

    qui

    leur appartiennent,

    et

    qui

    se

    trouvent

    en

    quelque

    sorte

    ports par eux.

    Notons

    aussi

    que,

    paralllement

    la norme socio-culturelle qui se

    dessine

    ici, l'effet

    d'authenticit est notablement

    renforc

    par la manire

    dont ces noncs se trouvent insrs dans le discours indirect

    libre

    et

    donc combins avec

    renonciation

    du narrateur : de la sorte, la

    coupure

    entre les diffrents niveaux de

    langue

    est

    sensiblement attnue,

    et

    leur intrication mme

    les

    impose comme

    un

    plan

    isotope. Il

    est vrai

    que

    ce dernier aspect relve de la rfrentialisation intra-discursive.

    25

  • 7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes

    19/19

    4. Conclusion

    Nous

    avons

    donc eu

    tout le

    loisir

    d'examiner

    l'importance

    des mca

    nismes dont

    l'troite

    combinaison

    permet

    de

    produire

    et

    de

    maintenir

    l'effet d'iconicit mimtique, comme le palier le

    plus

    superficiel

    de

    la

    signification figurative.

    On

    objectera peut-tre que

    l'exemple

    choisi, tir

    du corpus raliste , confirme trop aisment les principes de

    l'analyse.

    Une

    telle

    objection

    nos

    yeux est

    sans fondement puisque nous tentons

    prcisment d'articuler notre rflexion

    en

    dehors des

    prjugs

    typolo

    giques qui

    sont d'ordre historico-culturel

    relatifs aux genres

    d'cri

    ture.

    Nous

    pouvons

    seulement dire

    que le texte

    de

    Zola

    exploite un

    certain

    ordre

    de relations entre les

    oprations

    de rfrenciation

    et

    de rfren-

    tialisation, qui concourent ensemble

    un effet global de

    conformit

    avec

    l'exprience

    du monde

    naturel; cet

    ordre de relation fonde la spcificit

    d'une

    potique

    ,

    mais

    il

    n'est

    en

    rien

    exclusif. Si on

    envisage,

    par

    exemple,

    le clbre rcit

    de J. Supervielle,

    L'Enfant

    de

    la

    haute

    mer,

    on

    observera aisment que c'est entre les deux types d'oprations que la

    relation

    est

    diffrente : le jeu des rfrentialisations intra-discursives y

    tisse

    bien

    le continuum smantique ncessaire au cheminement

    homo

    gne t

    isotope

    de la lecture,

    mais

    il se dploie sur la

    base

    d'un rseau

    de

    rfrenciations

    non conforme aux relations qu'impose

    une

    smiotique

    du monde naturel (un

    village

    flottant

    au

    milieu de l'ocan et, aussi bien,

    l'ensemble des

    actes excuts

    par la petite

    fille). Entre les contraintes

    serres des premires et

    les

    bances des secondes s'labore la formation

    particulire d'un univers smantique.

    Le

    cadre

    d'analyse

    que nous

    esquis

    sons

    insi

    est

    bien entendu

    trs

    large

    et

    ne

    saurait

    tre

    exploit

    tel

    quel.

    Mais il

    prsente, croyons-nous, quelques

    avantages

    non

    ngligeables : tout

    d'abord, il

    permet de regrouper, d'intgrer

    et

    de rinstaller

    dans le

    tram

    du discours un grand nombre de phnomnes

    envisags

    le plus souvent

    de

    manire ponctuelle et disparate; il

    se dploie, deuxime avantage,

    en

    parfaite conformit avec

    le

    principe

    d'immanence dans lequel l'analyse

    smiotique

    engage sa pertinence globale, et

    rend

    aise, au niveau des

    structures

    discursives (du

    palier figuratif, notamment)

    et

    celui

    des

    enchanements

    d'noncs, l'mergence

    des structures smio-narratives

    qui leur sont sous-jacentes. En troisime lieu, enfin, il propose

    une

    simul

    ation

    de l'activit de

    rception du

    lecteur

    conue

    comme

    une activit

    de

    construction

    signifiante

    sans

    qu'il

    soit

    ncessaire

    pour

    autant

    de

    convo

    quer

    'image d'un

    lector in

    fabula

    (U. Eco).

    26