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Blanc Paul Villevieille

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Blanc

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Paul Villevieille

16.28 658456

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 204 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 16.28----------------------------------------------------------------------------

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Paul Villevieille

Paul

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Du même auteur

Noir, Éditions Edilivre, Paris, 2015

Les Marchands de rêve, Éditions Edilivre, Paris, 2015

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La mer revient toujours au rivage Dans les blés murs, il y a des fleurs sauvages N’y pense plus, tu es de passage On the road again, again

Bernard Lavilliers

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François

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Le sentier s’étirait dans le sous-bois. Je m’arrêtai un instant pour écouter le chant d’un couple de geais qui s’ébattaient sous le feuillage, tout en restant invisibles. Au moment de repartir, en jetant un coup d’œil au soleil à travers une trouée, j’estimai qu’il était… l’heure de marquer une pause. Je marchais maintenant depuis trois heures et décidai de souffler un peu. Je déchargeai le paquetage du dos de Jolly et le laissai brouter. Il m’en remercia en se secouant avec un visible plaisir. Jolly, c’est mon cheval, un brave hongre castillonais d’une quinzaine d’années, que j’avais acheté pour me balader. Un peu de pain avec du saucisson, accompagné d’une bouteille d’eau combla le petit creux qui s’était manifesté. Assis sur une souche, adossé à un tronc de châtaigner, j’étais sur le point de m’assoupir, quand Jolly revint vers moi et me poussa du museau, comme pour m’inviter à nous remettre en marche. J’étais d’accord, car la journée n’était pas finie. Je le reéquipai et nous reprîmes la route.

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Une fois encore, je me remémorais les évènements qui m’avaient amené là. Le départ de Brigitte, ma compagne, ou plutôt mon ex-compagne, avait complétement fait disparaître mon équilibre. Ce fut brutal, violent, mais, à y bien réfléchir, pas si inattendu que cela. Évidemment, sur le moment, je suis passé des cris et de la colère à l’abattement le plus total. Le choc fut difficile à encaisser, car je n’avais rien vu venir, rien pressenti, rien détecté. Naïveté ? aveuglement ? refus inconscient ? je ne peux pas le déterminer, même deux mois après le clash.

J’avais crié très fort ma colère, ma déception, mon désarroi. Elle avait quitté la pièce. Alors, je m’étais effondré, noyé de chagrin. Deux jours plus tard, je partis toute la journée, lui laissant le champ libre pour rassembler ses affaires, et aussi pour éviter des adieux qui auraient immanquablement tourné à l’affrontement. Quand je revins, en fin de journée, elle était partie. J’étais ressorti pour aller prendre un – ou plutôt plusieurs – verres au bistro de Barrême. Bruno, le patron, qui me connaissait bien, m’avait imposé de dormir sur place, tant j’étais minable quand il voulut fermer en fin de soirée. Merci à lui, car je me rends compte que je n’étais vraiment pas en état de conduire, même sur une dizaine de kilomètres, même sur une petite route de campagne, à l’abri des patrouilles de gendarmerie. Le lendemain, avec un casque en béton, gavé d’aspirine, j’avais retrouvé la maison – vide – qu’on habitait, entre Clumanc et

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Tartonne. J’eus du mal à entrer, effrayé par les images qui me sautaient au visage. Le bonheur que nous avions vécu, Brigitte et moi, était presque visible, en opposition avec le vide de la situation actuelle. Cinq années de vie heureuse – du moins pour ce qui me concerne – s’étaient écoulées à grande allure dans cette maison. J’avais mis quelques semaines à refaire un peu surface. Cependant, je ne parvenais pas à faire mon deuil de cette vie commune si merveilleuse à mes yeux. Je dormais peu et mal, hanté par des cauchemars et des visions qui m’empêchaient de trouver le repos. Petit à petit, l’évidence se fit jour dans mon esprit : je devais partir, quitter ce lieu où trop de souvenirs s’accrochaient à moi. Pour aller où ? aucune idée. Je n’avais pas de but précis, seulement une grosse envie de tourner la page et d’essayer de passer à autre chose. Préparer ce départ m’occupa l’esprit les semaines suivantes et, au hasard d’une émission télé, je tombai sur un sujet traitant des pélerinages vers Saint Jacques de Compostelle. A pied, à cheval, à dos d’âne, des centaines de gens prenaient la route – ou plutôt les sentiers – vers Compostelle, avec des motivations les plus extravagantes : du pèlerin catholique remerciant le Très Haut ou expiant on ne sait quoi, à l’athlète randonneur visant un nouvel exploit après la traversée du désert de Gobi en solitaire, jusqu’aux simples promeneurs sportifs qui suivaient le peloton sur quelques jours seulement – car il faut rentrer bosser ! Bref, une population

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hétéroclite qui s’usait les pieds et les chaussures dans une communion de but pas toujours avérée. Ce qui m’avait frappé, c’est le côté un peu masochiste consistant à avaler des centaines de kilomètres en portant dix ou douze kilos de charge par tous les temps, comme si un contrat sévère les y contraignait sous peine de pénalités terribles. Contrat passé avec soi-même ? contrat passé avec un au-delà ? pari entre copains ? plan drague ? difficile à dire, tant il était impossible d’établir une généralité.

Compostelle ne m’attirait pas particulièrement, mais l’idée de « la route » ne me déplaisait pas. Tout dépend du point de vue que l’on envisage : vue du point de départ, la route peut être une fuite et vue du point d’arrivée, elle peut être une quête, un enjeu. Pour ma part, j’étais plutôt dans la première situation car je n’avais pas de but bien déterminé. Seul le désir de passer à un autre épisode de ma vie m’importait. Je décidai de profiter plus ou moins des infrastructures existant le long des diverses voies de Compostelle pour cheminer, tout en me promettant de ne pas m’en tenir au strict tracé homologué. Les groupes apparemment denses de marcheurs ne m’attiraient pas. Je préférais une balade plus personnelle, au gré des opportunités, laissant une part de hasard intervenir dans ce périple. Il était hors de question de laisser Jolly et on se mit d’accord : il portait nos bagages et je lui faisais voir du pays. J’avais lu Kérouac, j’avais écouté en boucle Lavilliers – On the

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road again – San Salvador – lui pas. Il me faisait confiance.

J’avais passé l’Asse – « Fou qui la passe » dit le dicton – et laissé les Alpes de Haute Provence derrière moi, avec du regret – non pas seulement à cause de Brigitte, mais aussi parce que cette région est magnifique, entre montagne et plaine, sachant rappeler ce qu’hiver veut dire, mais offrant aussi des printemps pleins de douceur et des automnes flamboyants. Nous avions emprunté la grande piste de la Traversée des Pré alpes jusqu’à Digne, puis on avait suivi – à peu près – la vallée de la Bléone, et celle de la Durance. On avait pu trouver, à chaque fin de journée un gîte pour la nuit, parfois avec table d’hôte, parfois un simple abri à l’écart des habitations. Je m’adaptais sans grande difficulté à ce nouveau mode de vie J’avais la chance d’être pour le moment entre parenthèses. Restait à découvrir qui j’étais réellement.

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Le trajet que nous suivions était vraiment un chemin des écoliers. Aucune logique apparente ne guidait les choix d’étapes, laissant le hasard et les humeurs du moment décider seuls. C’est comme cela qu’après avoir franchi le Rhône au niveau de Roquemaure, pas très loin d’Orange, on bifurqua vers les contreforts des Cévennes car je voulais échapper à l’énorme zone urbanisée du delta et de la basse vallée du Rhône. En s’écartant des agglomérations, on rejoignit la nature presque intacte des collines, des gorges, des forêts denses et des plateaux herbus. Ce jour là, on cheminait tranquillement, quand Jolly me dit :

– Dis donc ? ça monte depuis un bon moment ! je ferais bien une petite pause. Pas toi ?

Ah oui, je ne vous ai pas dit : Jolly me parle et me comprend sans difficulté. Je ne m’en étais pas aperçu tout de suite, mais j’ai compris qu’il m’avait observé longtemps avant de se décider à dévoiler son talent. Je saisissais enfin pourquoi son précédent propriétaire

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l’avait nommé ainsi, avec une allusion directe au cheval de Lucky Luke. Une fois passé la surprise, on s’accommodait très bien de ce don. Il n’en usait, d’ailleurs, qu’en privé et avec discernement. Distinction et… prudence.

– Déjà la pause ? il n’est que dix heures ! – Peut-être, mais t’as vu la luzerne, à gauche ? Effectivement, un regain de luzerne s’étendait sur

le champ bordant la route. – Va pour la pause ! Acceptai-je. Ce qui fut dit fut fait. Au bout d’un bon quart d’heure, je lui lançai : – Alors, que penses-tu de ce début de périple ? – Il était temps qu’on retrouve la nature, car moi,

les villes… ! Très peu pour moi ! Évidemment, quand tu m’attaches à un parcmètre pour faire tes courses dans une épicerie, c’est plutôt marrant… et ça fait toujours son effet. J’ai toujours plein de monde autour, avec les remarques éternelles : Oh ! comme il est beau ! Qu’est ce qu’il fait là ? Sa charge doit lui peser !… etc… etc… Il n’y a que les gamins qui sont émerveillés et osent m’approcher – et encore, pas trop près, car leurs parents tirent rapidement sur la longe : Pas si près ! ne passe pas derrière, il va te flanquer un coup de pied ! Les pauvres ! s’ils savaient comme je m’en moque ! Pourquoi ruer pour de simples gamins plutôt sympas, alors que je supporte toute la journée les taons et les mouches plates ?… bon, ajouta-t-il, qu’est ce que tu as prévu pour ce soir ? Ça fait deux

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jours qu’on dort à la belle étoile et j’aimerais bien un paddock avec le confort moderne : de l’eau et un abri.

– Normalement, il y a une auberge sur la route, mais elle est assez loin. On n’y sera pas rendu avant la nuit. Sinon, on prend à gauche, on traverse le bois qu’on aperçoit là bas, et on cherche un abri dans le vallon qui suit. Que préfères-tu ? lui demandais-je.

– Va pour le bois et le coucher champêtre. L’auberge me tenterait bien, mais je crains de trop me fatiguer.

– Faisons comme ça, dis-je. En route.

Notre vagabondage durait maintenant depuis presque un mois. Les douloureux souvenirs qui avaient déclenché mon départ s’estompaient et je commençais à moins remâcher les mêmes regrets. De moins en moins, même. Je m’en apercevais au regard que je portais sur ce qui m’entourait : plus ouvert, presque plus bienveillant. Cependant, les rencontres que nous avions faites jusqu’alors n’étaient pas remarquables. Beaucoup de banalités, à mon goût. Mais j’en demandai peut-être trop, je ne prenai pas le temps de laisser mes interlocuteurs se dévoiler un peu plus. Peu importe, j’étais patient.

La forêt que nous avions aperçue le matin, à la pause, n’était pas aussi proche qu’on aurait pu le supposer. Il nous fallut cinq heures de marche pour y pénétrer. C’était une forêt de pins, avec des fûts de vingt mètres de haut, tous identiques ou presque. On avançait d’un pas régulier, presque synchronisé, sans

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forcer l’allure, mais sans traîner, car il fallait organiser le bivouac du soir avant la nuit. Le sentier s’apprêtait à redescendre légèrement quand on entendit, derrière une courbe, un grand bruit : des jurons hurlés à pleine gorge :

– Non de Dieu de bordel de merde !!! Qu’est ce que c’est que ce cirque !!!…

Surpris, on s’avança jusqu’au tournant pour découvrir un homme de haute stature, costaud, cheveux poivre et sel – plutôt sel que poivre – à côté d’une mule et de son harnachement déchiré. La charge était tombée sur le sol et avait roulé sur le bord de la piste. L’homme continuait à crier son dépit et sa colère : il ne nous avait pas vu.

Jolly souffla. Je ne sus pas si c’était à la vue de la mule ou si les jurons l’avaient choqué. Je crois que c’était plutôt la mule ! L’homme se retourna et nous découvrit.

– Salut me dit-il en se calmant. – Salut répondis-je. Un ennui ? – Plus qu’un ennui ! un emmerdement ! Ce foutu

harnachement vient de lâcher et me voilà comme une buse.

– Est-ce que je peux vous aider ? – Pff ! C’est gentil, mais on ne va pas bricoler ça

au bord du chemin. La déchirure est nette et les morceaux sont trop courts pour faire un nœud provisoire.

– Vous alliez loin ? demandai-je.

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– Chez moi… environ deux heures de marche. – C’est lourd, votre colis ? – Pas vraiment. Du ravitaillement pour la

semaine et quelques bricoles. – On va se répartir cela entre nous trois et on

vous ramène chez vous. lui fis-je. – Comment ça, entre nous trois ? – Vous, moi, et mon cheval expliquai-je. Il réfléchit quelques secondes et répondit : – C’est d’accord. C’est la meilleure solution.…

Vous avez prévu d’aller où, ce soir ? – Rien de précis, on cherchait un coin pour

bivouaquer, avec un peu d’eau pour mon cheval. – Alors, vous dormirez à la maison. Il y a un pré

pour Rossi, ma mule. Votre cheval pourra y passer la nuit. Et pour vous, j’ai ce qu’il faut. La place ne manque pas.

– Votre femme sera d’accord ? demandai-je, par courtoisie – j’étais bien décidé à accepter l’invitation.

– Je vis seul. – Alors, j’accepte. Préparons-nous et, en route. Je vis bien, à ses oreilles couchées, que Jolly

n’apprécia pas particulièrement une charge supplémentaire, mais un coup d’œil à Rossi, la mule, le décida à ne pas râler. Ça ne se faisait pas devant les dames !

Notre nouveau compagnon de route était un taiseux et nous allions en silence. Après une demi-heure, il desserra les dents pour me dire :

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– Je m’appelle Léon et toi ?… Je propose qu’on se tutoie.

– D’accord. je m’appelle François. On s’en dira plus tout à l’heure.

– Bien comme ça, répondit-il. Puis silence jusqu’au terme de notre marche

qu’on atteignit après presque deux heures. C’était une ancienne ferme d’élevage, dans le creux d’un vallon herbu. Plusieurs corps de bâtiment étaient disposés autour d’un espace central dont le sol était grossièrement pavé. Une bergerie avait son toit partiellement écroulé et sur ses murs en pierre les joints étaient manquants. Une maison d’habitation semblait en meilleur état et on voyait les réparations successives réalisées sans souci d’en masquer les aspects hétéroclites. Au fronton de la porte, cette maxime, gravée assez récemment dans le linteau : « Dum spiro spero » – tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Sur le côté, une ancienne étable semblait encore utilisée. On stoppa devant l’habitation et on déposa les charges, au grand soulagement de Jolly et… de moi-même. Léon enleva le harnais de Rossi, son licol, je fis de même avec Jolly et on les conduisit dans un pré clos, derrière l’étable où on les laissa boire et faire connaissance. Rossi se précipita vers le bac à eau et Jolly, en gentleman, attendit qu’elle eut terminé pour s’approcher à son tour. Tout en broutant, ils s’observaient du coin de l’œil, d’un petit air détaché, mais très attentifs au comportement de l’autre. Je

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décidai de ne pas m’en mêler et les laissai se débrouiller.

Pendant ce temps, Léon était entré dans sa maison et rangé les colis, y compris mon bagage. Je lui dis :

– Merci pour l’hospitalité. Veux-tu que je répare le harnais de ta mule ? J’ai ce qu’il faut.

– C’est pas de refus. Je ne suis plus très bien équipé pour ce genre de réparation. Pendant ce temps là, je vais préparer le repas.

– D’accord. Il ne dit pas grand chose durant le temps que lui

prit la préparation du souper. Et même rien. Il vint me regarder coudre à la main une pièce de renfort qui refit la jonction des deux parties malencontreusement séparées. Quand j’eus terminé et rangé mon attirail, il me dit :

– Le dîner est prêt, mais avant, on peut boire un verre à notre rencontre ? Assieds-toi dans ce fauteuil, je sors ce qu’il faut.

Il avait allumé un petit feu dans la cheminée et on l’endurait bien, car la température avait baissé et, en moyenne montagne, les soirées sont vite fraîches. Il disposa deux verres, une bouteille d’anisette et un pichet d’eau sur une petite table basse et s’assit enfin. Je l’avais observé durant ces préparatifs : un homme puissant, à la fois vif et posé, sûr de lui en apparence, ancré au sol, mais avec un regard clair dont je découvris l’éclat lorsqu’il leva la tête pour me poser la question rituelle :

– Jusqu’où vas-tu ?

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– Je n’ai pas de but très précis, mais disons que je me dirige en direction de Compostelle.

– Ah !! Compostelle !! Tu n’es pas vraiment sur l’itinéraire traditionnel. Tu aurais dû rester en plaine en suivant la Voie d’Arles, le GR 653 pour utiliser le langage de notre époque.

– Je sais, mais Compostelle n’est qu’une direction générale. J’aurais plutôt du dire « vers le sud-ouest ». Et puis les sentiers balisés, au sens propre et au figuré, ne m’attirent pas particulièrement.

Un petit sourire apparut au coin de ses lèvres. – Je comprends. Il semblait sur le point de

poursuivre, mais il se ravisa et laissa le silence se remettre en place. On se prépara l’anisette et, prenant nos verres en main, on trinqua.

– A notre rencontre dit-il ! et, reprenant son propos, il enchaîna : Sans être indiscret, que cherches-tu sur la route ?

– Pas d’idée précise, j’ai laissé une femme qui m’a quitté et je m’éloigne du lieu où on a vécu.

– Une fuite, donc. Je connais ça. Elle te reprochait quelque chose ?

– Elle m’a dit qu’elle ne supportait plus mes silences, mon côté renfermé, confessai-je.

– Mmmmm… C’est ton histoire, répondit-il après un petit moment de silence,… fais avec.

– Et toi, que fais-tu dans cet endroit isolé ? On dirait une retraite d’ermite, demandai-je pour détourner la conversation.