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1 RISQUE ET COMMUNICATION DANS LES ORGANISATIONS CONTEMPORAINES 1 Arlette BOUZON 2 Le risque est aujourd’hui un phénomène social qui fait souvent la une des médias. Qu’il soit technologique, écologique, sanitaire ou de toute autre nature, il a pris une place prépondérante dans le débat public et apparaît de plus en plus souvent au centre de controverses... Aussi certains vont jusqu’à qualifier nos sociétés de « sociétés du risque ». Cependant, même si les individus ont le sentiment d’une augmentation sensible des risques encourus par eux-mêmes ou par leurs proches, certains anthropologues estiment que cette sensibilité accrue exprime une crise profonde de nos sociétés modernes dans leur rapport à l’aléa. Or le terme même de risque est ambivalent, et il est aussi présent que mal défini. Apparu au XIV e siècle, dans les assurances maritimes qui se développaient alors en Italie, il est devenu au fil du temps un mot valise qui sert à désigner des événements individuels ou collectifs pouvant avoir des conséquences aussi bien mineures que catastrophiques. Il possède actuellement ses revues (Risques par exemple), ses colloques et ses spécialistes (ingénieurs, sociologues, fiabilistes, ergonomes..) qui utilisent chacun leur propre vocabulaire et ont parfois du mal à se comprendre. Parmi ces risques, peuvent se distinguer les risques naturels (tremblements de terre, cyclones…) des risques induits par l’activité humaine, car chacun d’entre eux implique des prises en compte et des modes d’action spécifiques, concernant notamment la prévision, la prévention ou la protection, concepts que nous préciserons dans cet article. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux risques concernant les organisations. En effet, l’innovation, qui apparaît aujourd’hui essentielle à la survie des entreprises, implique une prise de risques réfléchie qui intervient dans un environnement turbulent où il est difficile de faire la part entre le poids des incertitudes, la perception du risque et les faits incontestables. Dans ce cadre, la gestion du risque devient une part significative de la gestion de l’entreprise au plus haut niveau, tant vis-à-vis de ses partenaires (personnel, actionnaires, clients…) que vis-à-vis de la loi qui sanctionne de plus en plus lourdement les imprudences et omissions. Les dirigeants sont ainsi personnellement tenus pour responsables des faits accidentels ayant des conséquences graves sur l’environnement, les consommateurs ou le personnel de l’entreprise. Cette responsabilité a notamment été accrue depuis l’adoption du principe de précaution en 1995, qui a connu un succès d'opinion si notable que son usage en est même parfois devenu incantatoire. La dimension communicationnelle du risque dans les organisations a émergé il y a une dizaine d’années environ autour de la « communication de crise » qui n’en représente cependant qu’un aspect. Mais, outre ce domaine restreint, peu de travaux ont abordé la communication du risque dans son ensemble ; la sociologie du risque constituant elle-même un champ de recherche relativement récent. Or la communication ne peut être dissociée de la conduite globale de l’entreprise dans univers incertain. Elle fait, en effet, partie de l’ensemble des moyens mis en œuvre pour maîtriser les risques auxquels l’entreprise est confrontée, et constitue elle-même une source de risques potentiels pour l’organisation. 1 Article paru dans la revue Communication et organisation, numéro 20, décembre 2001, pp.27-48. Site web : http://www.montaigne.u-bordeaux.fr/GRECO/greco_comm&org.html 2 Professeur en Sciences de l’information et de la communication. IUT de l’Université Paul Sabatier, Toulouse III, Département « Information-communication ». E-mail : [email protected]

BOUZON Risque Communication

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    RISQUE ET COMMUNICATION DANS LES ORGANISATIONS CONTEMPORAINES1

    Arlette BOUZON2

    Le risque est aujourdhui un phnomne social qui fait souvent la une des mdias.

    Quil soit technologique, cologique, sanitaire ou de toute autre nature, il a pris une place prpondrante dans le dbat public et apparat de plus en plus souvent au centre de controverses... Aussi certains vont jusqu qualifier nos socits de socits du risque . Cependant, mme si les individus ont le sentiment dune augmentation sensible des risques encourus par eux-mmes ou par leurs proches, certains anthropologues estiment que cette sensibilit accrue exprime une crise profonde de nos socits modernes dans leur rapport lala.

    Or le terme mme de risque est ambivalent, et il est aussi prsent que mal dfini. Apparu au XIVe sicle, dans les assurances maritimes qui se dveloppaient alors en Italie, il est devenu au fil du temps un mot valise qui sert dsigner des vnements individuels ou collectifs pouvant avoir des consquences aussi bien mineures que catastrophiques. Il possde actuellement ses revues (Risques par exemple), ses colloques et ses spcialistes (ingnieurs, sociologues, fiabilistes, ergonomes..) qui utilisent chacun leur propre vocabulaire et ont parfois du mal se comprendre. Parmi ces risques, peuvent se distinguer les risques naturels (tremblements de terre, cyclones) des risques induits par lactivit humaine, car chacun dentre eux implique des prises en compte et des modes daction spcifiques, concernant notamment la prvision, la prvention ou la protection, concepts que nous prciserons dans cet article.

    Nous nous intresserons plus particulirement aux risques concernant les organisations. En effet, linnovation, qui apparat aujourdhui essentielle la survie des entreprises, implique une prise de risques rflchie qui intervient dans un environnement turbulent o il est difficile de faire la part entre le poids des incertitudes, la perception du risque et les faits incontestables. Dans ce cadre, la gestion du risque devient une part significative de la gestion de lentreprise au plus haut niveau, tant vis--vis de ses partenaires (personnel, actionnaires, clients) que vis--vis de la loi qui sanctionne de plus en plus lourdement les imprudences et omissions. Les dirigeants sont ainsi personnellement tenus pour responsables des faits accidentels ayant des consquences graves sur lenvironnement, les consommateurs ou le personnel de lentreprise. Cette responsabilit a notamment t accrue depuis ladoption du principe de prcaution en 1995, qui a connu un succs d'opinion si notable que son usage en est mme parfois devenu incantatoire.

    La dimension communicationnelle du risque dans les organisations a merg il y a une dizaine dannes environ autour de la communication de crise qui nen reprsente cependant quun aspect. Mais, outre ce domaine restreint, peu de travaux ont abord la communication du risque dans son ensemble ; la sociologie du risque constituant elle-mme un champ de recherche relativement rcent. Or la communication ne peut tre dissocie de la conduite globale de lentreprise dans univers incertain. Elle fait, en effet, partie de lensemble des moyens mis en uvre pour matriser les risques auxquels lentreprise est confronte, et constitue elle-mme une source de risques potentiels pour lorganisation. 1 Article paru dans la revue Communication et organisation, numro 20, dcembre 2001, pp.27-48. Site web : http://www.montaigne.u-bordeaux.fr/GRECO/greco_comm&org.html 2 Professeur en Sciences de linformation et de la communication. IUT de lUniversit Paul Sabatier, Toulouse III, Dpartement Information-communication . E-mail : [email protected]

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    Mais lorganisation peut-elle surmonter lincertitude, et faire notamment accepter dventuels risques rsiduels, difficilement compressibles, inhrents son activit ? Nous tenterons dans cet article de donner des lments de rponse ces questions en nous fondant sur la littrature scientifique existant sur le sujet et sur les travaux de recherche que nous avons men, durant ces deux dernires annes, auprs de spcialistes du domaine dans le secteur aronautique et spatial.

    1. Risques et organisations

    1.1. Le risque : concept nomade et construction sociale Mot vnitien dorigine espagnole, le mot risque (riesgo) dcrit dabord lcueil

    (resecum en latin), puis le naufrage, puis le danger potentiel pour larmateur et enfin enveloppe des notions de plus en plus abstraites sur le calcul de probabilits dun vnement nfaste. (Duclos, 1996, p.321). Quoi de moins tonnant que la notion de risque soit imprcise puisque ltymologie du mot lui-mme nest pas clairement tablie ! Dans le Dictionnaire historique de la langue franaise, Alain Rey fait ainsi tat dune controverse autour de deux origines latines, resecare (enlever en coupant) ou rixare (se quereller) (Veltcheff, 1996), qui renvoient cependant toutes deux la notion de danger.

    Le terme de risque apparat en franais au XVIe sicle. Concept nomade utilis tant en droit, commerce, mdecine et assurance, il se charge au fur et mesure de son volution de divers traits smantiques donnant lieu des sens diffrents, sans se dpartir de son ambigut originelle. Il possde deux orientations conceptuelles opposes ; soit il suscite ladmiration, associ laudace, au dfi et des valeurs hroques, lamour du risque, soit il provoque le rejet, la mfiance, assimil une forme dinconscience, dirresponsabilit (Veltcheff, 1996, p.72). Limportance des facteurs psychologiques influence ainsi la perception et l'acceptabilit des risques entre ceux dits naturels, jugs invitables, et ceux induits par lactivit humaine censs engager la responsabilit de leurs auteurs.

    Depuis la premire rvolution industrielle, trois paradigmes se sont succds, celui de la responsabilit au XIXe sicle, puis de la solidarit au XXe sicle et enfin de la prcaution tout rcemment (Ewald, 1996).

    Relevant dune philosophie librale, le paradigme de la responsabilit sappuyait sur le principe que nul ne peut reporter sur autrui la charge de ce qui lui arrive . Dans cette optique, il ny avait pas de place pour la notion de victime qui tait considre avant tout comme directement responsable de son imprudence ou manque de prvoyance. Le risque sapparentant un cas de force majeure, lindividu devait dabord assurer lui-mme sa propre scurit. Il ne pouvait se protger contre les effets du sort que par une assurance volontaire. Si cette philosophie exclut par principe toute ide dassurance de responsabilit, et mme dassurances dommages (longtemps estimes immorales comme poussant au crime et, pour cela mme, interdites), elle appelle, linverse, lide dassurance de personne, mais bien sr, strictement volontaire. (Ewald, 1996, p.386). Ce paradigme se limite alors une logique de compensation des pertes.

    Avec lavnement de ltat providence, le principe de la responsabilit, de plus en plus contest, est progressivement remplac par celui de la solidarit. Le risque devient indissociable dun impratif de prvention ou de protection. La loi de 1898 fait apparatre la notion de risque professionnel , et la charge des accidents de travail, quelle que soit leur cause, incombe au chef dentreprise. La notion de victime prend tout son sens ainsi que lindemnisation des dommages subis. Le risque nest alors jug acceptable que sil est socialis et rparable. Les assurances deviennent donc obligatoires. Ce paradigme est contemporain dune utopie scientifique et technique, celle que la socit aurait la possibilit

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    dune matrise delle-mme, o le savoir aurait un contrle indfini du pouvoir (Ewald, 1996, p.384). Il est encore celui de lassurance, mais universelle et indfinie passant moins par des formes volontaires et contractuelles que par linstitution de fonds de toutes sortes.

    La succession de problmes de scurit apparaissant dans le domaine de lenvironnement et de la sant publique (sang contamin, amiante, pollution, vache folle , manipulation gntique, rchauffement de la plante), survenant au cours de la fin du XXe sicle, ont fait redcouvrir chacun lexistence des catastrophes, mais lies cette fois-ci des responsabilits humaines3. Cest dans ce contexte quapparat la notion de prcaution qui prvaut actuellement. Celle-ci concerne les risques majeurs, irrversibles, non mesurables et non valuables. Il sagit toujours dun paradigme sur lassurance mais sous des formes renouveles, intgrant des contraintes nouvelles. Lmergence de la prcaution accompagne la crise du progrs, une certaine survalorisation du pass par rapport lavenir, la volont de limiter les effets, destructeurs du temps, peut-tre aussi une nouvelle suspicion sur lespce humaine et la rationalit de son dveloppement. (Ewald, 1996, p.411). Dans ce cadre, la dsolidarisation entre les individus devient la rgle et les ventuels coupables doivent tre condamns.

    1.2. Prcaution et prvention Apparu au cours des annes 1980, le principe de prcaution4, quel que soit son

    domaine dapplication, est un phnomne social complexe, qui a suscit de nombreux travaux ces dernires annes, la mesure du succs public de lappellation et de la varit de ses usages. Il souffre d'une grande imprcision, notamment en raison des deux conceptions qui saffrontent son propos. La premire lui assigne de garantir le risque zro en privilgiant systmatiquement le scnario du pire ; le moindre soupon de risque devant conduire au moratoire, voire au retrait dfinitif, indpendamment de laspect cot. En revanche, la seconde ne considre le principe de prcaution qu'en prsence d'un risque probable et de nature provoquer des dommages graves et irrversibles. Elle prconise une prise en compte systmatique des cots conomiques qui sont comparer avec l'avantage escompt des mesures de prcaution.

    Une position intermdiaire semble prvaloir aujourd'hui. Elle considre que la mise en oeuvre du principe de prcaution est subordonne l'nonc d'une hypothse de risque scientifiquement crdible, admise comme plausible par une partie significative de la communaut scientifique au moment de la prise de dcision. Elle privilgie la recherche dune valuation de plus en plus prcise du risque, sans exclure le moratoire lorsque celui-ci s'avre ncessaire ; larbitrage final devant se baser non seulement sur les cots conomiques, mais aussi sur des facteurs sociaux, culturels, thiques, etc. (Viney, 2000).

    Bien quelle opre en univers incertain, la prcaution cherche dissiper l'incertitude en dveloppant la connaissance, et reconsidrer les dcisions autant que ncessaire. En cas de doute sur les causes ou les effets des vnements concerns, cest lhypothse du pire qui doit tre retenue. Cependant, mme si, dans certains cas, le principe de prcaution peut conduire labstention, il napparat pas comme une recommandation systmatique

    3 La France est le premier pays l'avoir inscrit dans son droit interne (loi du 2 fvrier 1995, dite loi Barnier). Son champ d'application est extrmement vaste et dborde mme des trois secteurs habituellement distingus (sant, alimentation et environnement) pour couvrir d'autres domaines comme celui des liberts publiques. 4 Le principe de prcaution, inscrit dans la loi du 2 Fvrier 1995, dispose que l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnes visant prvenir un risque de dommages graves et irrversibles l'environnement un cot conomiquement acceptable . A ce jour, aucun texte n'impose toutefois son application directe.

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    d'inaction. Son application ne cherche pas l'radication totale des risques5 car il existe souvent une marge incompressible de risque considre comme acceptable6 en regard des avantages escompts. Le principe de prcaution peut ainsi tre considr comme un mode d'action et de dcision dans un contexte de grande incertitude, exigeant la mise en oeuvre de mesures proportionnes la gravit du risque, mme si celui-ci nest que potentiel. Un des objets du principe de prcaution est dempcher les entreprises de se prvaloir de l'incertitude scientifique pour justifier les dommages provoqus par leurs dcisions. La jurisprudence actuelle accorde ainsi une grande importance la responsabilit des fabricants et producteurs mettant sur le march des produits susceptibles de prsenter des dangers pour la sant et la scurit des consommateurs ou pour l'environnement. Elle oblige notamment ces professionnels continuer surveiller leurs produits mme aprs leur mise en circulation.

    La prcaution implique une obligation d'information non seulement sur les risques scientifiquement tablis, mais aussi sur ceux qui sont prvisibles ou dont certaines consquences sont souponnes sans tre totalement prouves. Dans certains cas, elle peut mme imposer la communication des opinions dissidentes, pourvu que celles-ci soient tayes. En cas dapparition dun risque, les organisations doivent immdiatement en avertir le public, notamment par mdias, et rappeler le produit dfectueux pour rvision ou remplacement. Par ailleurs, l'application du principe de prcaution requiert la transparence sur la nature des produits ainsi que l'introduction d'une traabilit systmatique. Cette transparence recouvre notamment ltiquetage des produits qui permet un partage mieux quilibr des responsabilits entre des citoyens informs, des fournisseurs et l'tat.

    Dans le domaine des risques technologiques majeurs (conduisant par exemple des catastrophes du type de Seveso, Bhpal ou Tchernobyl), dautres textes sont prendre en considration. Depuis 1982, une directive europenne, la directive Seveso7 exige linformation des populations habitant au voisinage dinstallations industrielles dangereuses. Dans sa deuxime version, applicable depuis 1999, cette directive prvoit que les citoyens doivent tre consults, aussi bien dans le cadre de louverture dune installation industrielle que dans llaboration des plans durgence (Lalo, 1999, p.234).

    Au sein de lorganisation, un risque peut tre potentiel (difficile voire impossible valuer) ou avr (ventuellement trs peu probable). Cette distinction fonde la diffrence entre la prcaution, qui vise limiter les risques encore hypothtiques ou potentiels, et la prvention qui s'attache diminuer la probabilit doccurrence des risques avrs. Toutes deux peuvent saccompagner dactions de protection qui cherchent diminuer les effets redouts en cas dapparition des vnements correspondants. Prcaution et prvention s'inscrivent dans une dmarche danticipation des risques, la prcaution pouvant tre comprise comme le prolongement des mthodes de prvention appliques aux risques incertains. Prcaution et prvention constituent ainsi les deux facettes de la prudence qui s'impose dans toutes les situations susceptibles de crer des dommages.

    De par les directives, la loi et/ou la jurisprudence, les organisations sont dsormais considres comme pleinement responsables de leurs actes et doivent inclure une procdure dinformation des consommateurs ou du public en gnral, sur les risques inhrents aux produits mis sur le march. Dans ce contexte, et en labsence de certitude, les organisations adoptent progressivement une dmarche procdurale de matrise des risques, qui implique la

    5 Le risque zro nexistant pas. 6 La formule acceptable suggre de mettre l'accent sur la sensibilit du public, tandis que le terme supportable est plus objectif (Viney, 2000). 7 Appele ainsi en rfrence laccident chimique intervenu dans la banlieue de Milan en 1976.

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    mobilisation des connaissances et des comptences disponibles, ainsi que linscription des dcisions et de leur suivi dans un cadre rigoureux.

    1.3. La matrise des risques dans les organisations Des risques de nature technique, conomique, humaine, sociale, organisationnelle...

    peuvent affecter lentreprise ou son environnement. Aussi lorganisation tente-t-elle de sen prmunir par une dmarche rationnelle et continue didentification et de matrise des risques.

    Lidentification des risques peut rsulter de lexploitation du retour dexprience (capitalisation de lexpertise et des enseignements passs notamment suite des incidents), dune dmarche dductive consistant imaginer les causes possibles dvnements redouts ou dune dmarche inductive cherchant valuer les effets de dysfonctionnements lmentaires (Pages, Gondran, 1980 ; Villemeur, 1987).

    Cette identification est gnralement mene partir dune dcomposition fonctionnelle de lobjet concern (le plus souvent un produit mais qui peut galement concerner une organisation) ou ventuellement temporelle si cest une phase dvnements squentiels qui est juge critique (la mise poste dun satellite en orbite par exemple ou le lancement dune campagne publicitaire), ou enfin en processus si la criticit rsulte dun ensemble dactivits (fabrication, intgration, test, maintenance).

    Suite cette tape didentification, les risques sont hirarchiss suivant leur gravit et leur probabilit doccurrence avant dtre traits. Souvent difficiles valuer (parfois au moyen dune simple classification permettant de recueillir un jugement dexpert), ces deux grandeurs sont gnralement agrges entre elles pour fournir une mesure dite de criticit sur laquelle est dfini un critre dacceptation ou de rejet de chacun des risques identifis (seuls les risques trs improbables ou sans gravit pouvant tre accepts). Le traitement des risques jugs inacceptables consiste mettre en oeuvre des actions de prvention (par exemple, linterdiction de fumer dans un local), en agissant sur les causes possibles des vnements redouts afin dviter quils ne surviennent ou de protection (par exemple, linstallation dextincteurs et dissues de secours) pour en diminuer les effets. Ce processus de matrise des risques est dautant plus efficace quil intervient dans les toutes premires phases de conception.

    Apparue dans des domaines techniques de pointe (aronautique, spatial, nuclaire...) pour garantir un niveau de scurit acceptable sur des systmes risques, cette dmarche sest progressivement diffuse dans tous les secteurs dactivits (ferroviaire, automobile, mdical, agroalimentaire). Elle se limita dans un premier temps lanalyse des dfaillances des composants des produits et leurs consquences puis tendit son champ dinvestigation aux erreurs de logiciels et aux erreurs humaines, puis au facteur humain avec la prise de conscience de lapport ventuellement bnfique de lhomme au fonctionnement des machines.

    Cette dmarche eut tout dabord pour unique objet la scurit8 des produits et procds, puis couvrit galement la fiabilit9 pour viter lengorgement des services aprs vente, notamment quand les clients exigrent des priodes de garantie. Elle recouvre aujourdhui la disponibilit10 car la demande de produit se transforme de plus en plus souvent en demande de service garanti. Il faut noter que ce type dexigence, caractrisant par exemple

    8 Aptitude ne pas crer de dommage aux personnes ou aux biens. 9 Aptitude fonctionner correctement pendant une certaine dure 10 Aptitude dun produit fonctionner correctement quand on veut lutiliser. Cette aptitude dpend de sa fiabilit mais aussi de la politique de maintenance mis en uvre.

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    la ponctualit des horaires pour les compagnies ariennes ou ferroviaires11, deviennent parfois plus dimensionnantes sur les nouveaux produits (Airbus, TGV), en terme darchitecture de systme et de mise en uvre, que les exigences relatives la scurit.

    Sur le plan communicationnel, les entreprises ont pris rcemment conscience du bnfice quelles pouvaient retirer des performances de sret de fonctionnement de leur produit en terme dargument de vente ou de publicit. Mais cette utilisation est dlicate notamment si lorganisation ne tient pas tous ses engagements ou ne peut prsenter de dossier justificatif solide ! Nous pouvons ainsi rappeler lchec du premier tir dAriane 5 qui suivait une intense campagne de promotion fonde principalement sur la fiabilit apporte au lanceur par la redondance de ses chanes de contrle. Nous pouvons galement constater leffort significatif fait actuellement par certains constructeurs automobiles pour limiter les risques, bien que dj trs faibles, de gonflement intempestif des airbags censs protger les conducteurs, dont les consquences seraient probablement plus redoutables en termes dimage que le cot li aux dommages causs par dventuels accidents.

    Outre la matrise des risques techniques, les organisations cherchent rutiliser les approches mises en uvre par les fiabilistes pour se prmunir de risques de diverses natures. Ainsi de nombreuses communications dans les colloques spcialiss portent actuellement sur les risques projet , ou les risques de management , qui couvrent notamment les causes possibles de dpassements de planning et de cot. Ces adaptations souffrent cependant dun manque de maturit des mthodologies mises en uvre qui sont aujourdhui principalement bases sur le retour dexprience sous forme de check-lists (risque fournisseur, obsolescence de composants, alas en fabrication) et de rflexion de groupe.

    Les entreprises tentent galement de mieux matriser leur communication qui constitue elle-mme une source non ngligeable de risques, notamment vis--vis de leurs actionnaires, de leur personnel ou de leurs clients. Nous pouvons ainsi rappeler les consquences trs ngatives quont eu rcemment les communications managriales mal matrises des entreprises Alcatel et Michelin.

    1.4. valuation et dcision Si lidentification et lvaluation du risque dans lentreprise sont du domaine de

    lexpertise, la dcision reste une prrogative du dirigeant. Mais lexpert est-il fiable ? Sait-il communiquer les rsultats de son expertise au dcideur ? Et comment ce dernier peut-il apprhender les rsultats des analyses de risques, en tant quaide la dcision, sachant quen raison de moyens forcment limits, seuls les risques jugs vraiment inacceptables pourront tre traits efficacement ?

    En supposant que les risques soient bien identifis par les experts12, leur valuation en terme de gravit et de probabilit est souvent dlicate. En effet, les vnements concerns sont gnralement peu frquents et ne conduisent que rarement des donnes statistiques nombreuses et reprsentatives. Le jugement de lexpert, reposant sur son intime conviction, est alors souvent mis contribution, et peut mme tre agrg avec des donnes probabilistes, selon les mthodes baysiennes, pour conduire une quantification (Villemeur, 1987). Mais les experts peuvent se tromper, tels ceux qui hier ne purent imaginer la possible transmission du prion du mouton la vache, puis de la vache lhomme. Faut-il pour autant carter toute quantification ? Les chiffres sont souvent pernicieux, surtout quand ils sont bass sur des statistiques sujettes caution, et peuvent soit rassurer, soit inquiter exagrment. Mais

    11 Par exemple, 99 % des voyages ne doivent pas tre affects dun retard de plus de 15 minutes larrive. 12 Malgr leur incidence notable sur la matrise des risques, lidentification, lvaluation, et la valorisation des experts dans lentreprise sont des problmatiques qui dpassent le cadre de cet article.

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    labsence de quantification peut tre plus dangereuse encore en conduisant une mauvaise rpartition de leffort consenti ; la fiabilit de tout systme tant conditionne par celle de son maillon le plus faible. Aussi, lvaluation quantitative des risques est-elle plus souvent utilise en relatif, pour comparer des choix ou pour hirarchiser des dcisions, quen absolu. Cette quantification, souvent dlicate, ne suffit pas assurer la matrise de tous les risques et saccompagne gnralement de critres qualitatifs pour garantir labsence des risques les plus redouts, notamment sur le plan de la scurit. Il est ainsi souvent exig que deux vnements indpendants (panne ou erreur humaine) ne puissent conduire un vnement jug catastrophique ou que lun de ces vnements, considr seul, nait deffets jugs graves (Pages A., Gondran M., 1980). Mais en terme daction de fiabilisation, des raisonnements de type manichens sont parfois observs dans les entreprises conduisant soit linaction soit des cots rdhibitoires ; la recherche du compromis pouvant a contrario conduire un effort cibl beaucoup plus efficace.

    La matrise des risques dans lorganisation recouvre aujourdhui une part significative de sa gestion globale. Elle se caractrise par une grande rigueur mais aussi de la souplesse, les mesures prises tant gnralement rvisables en fonction de lvolution du risque encouru. Cette gestion du risque repose en partie sur divers actes de communication. Il se pose alors la question de la forme, des conditions et des limites de celle-ci ; la communication autour du risque tant aussi un acte performatif13.

    2. La communication du risque Le principe de prcaution est devenu aujourd'hui un mode d'action souvent rclam

    par le public, en raison de son apparente simplicit14, faussement scurisante, qui cache parfois de grandes difficults de mise en oeuvre. En effet, si les individus acceptent de moins en moins lala, ils ne sont pas prts, pour la plupart, liminer de leur environnement les lments risque qui leur procurent un certain confort (moyens de transport, nergie abondante, nourriture bon march...).

    Ce principe impose cependant de nouveaux devoirs un grand nombre d'acteurs, dont notamment celui d'informer. Les organisations sont alors confrontes diffrents dilemmes : faut-il parler ? Faut-il se taire ? Comment et jusqu'o aller dans l'explication ? Des informations trs documentes sur l'incertitude peuvent-elles tre communiques sans crainte deffets pervers ? La perception du risque par les individus se rvle, en effet, souvent dcale par rapport sa vritable ampleur, soit en raison des angoisses irrationnelles que suscite le danger ou inversement de la griserie que parfois il procure, le tout gnralement amplifi par leffet mdiatique.

    Cependant si la crise survient, la communication ne peut plus tre occulte et sengage souvent dans les pires conditions. Mais la communication autour du risque ne pourrait-elle pas tre facilite par un effort de formation ?

    2.1. Linjonction communicationnelle En raison dobligations juridiques diverses, mais aussi pour rpondre des

    consommateurs et citoyens de plus en plus exigeants, les organisations se voient dsormais imposer deux formes de communication nouvelles : linformation du public et la transparence.

    13 Son nonc peut constituer simultanment lacte auquel il se rfre. 14 Surtout si le principe de prcaution est compris comme une rgle systmatique d'abstention par le grand public.

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    Linformation du public se matrialise notamment par l'tiquetage qui renseigne sur la composition et les caractristiques prcises des produits ou services proposs et contribue, par l mme, la contractualisation de lacte dachat. Mais elle recouvre galement tous les vnements ou alas concernant lorganisation qui sont susceptibles davoir un impact quelconque sur le public (interruption dun service rendu, dgradation de lenvironnement, mise en danger dautrui, faits et dcisions pouvant intresser les actionnaires, etc.).

    La transparence dune organisation peut se dfinir comme la qualit qui rend son fonctionnement dchiffrable et comprhensible pour des individus qui lui sont extrieurs (Viney, 2000). Celle-ci prsente de multiples facettes dont la traabilit qui permet de suivre lvolution dun produit ou de ses constituants depuis leur origine. Cette traabilit des produits est un lment essentiel, en cas de problme, pour retrouver des produits ou lots suspects pouvant tre la cause dventuels dysfonctionnements, et inversement dvaluer leurs effets potentiels. La crise rcente relative lpizootie de fivre aphteuse a montr, par exemple, les effets dsastreux dune carence de traabilit dans la propagation des maladies, notamment en Grande-Bretagne. La traabilit est incluse dans la dmarche, plus gnrale, d'assurance-qualit, l'tiquetage en tant une des modalits d'information. Les politiques qualit qui se gnralisent aujourdhui, notamment par ladoption des normes ISO-9000, sont toutefois plus dveloppes dans les grandes entreprises que dans les PME, car elles imposent des procdures fiables, transparentes, mais aussi gnralement coteuses.

    Cette transparence recouvre galement dautres aspects rpondant de nouvelles demandes du public dont notamment le respect dune certaine thique. Celle-ci concerne par exemple les conditions de travail dans les organisations, le respect des droits de lhomme ou la prservation de lenvironnement. Elle peut conduire une dgradation sensible de limage de lentreprise voire au boycott de ses produits. Les fabricants de chaussures de sport ont d ainsi modifier leurs modalits de fabrication et dapprovisionnement sous la forte pression de consommateurs dOutre-Atlantique. De mme de nombreuses entreprises ont t obliges de quitter lAfrique du Sud au moment de lapartheid. Certaines organisations sont enfin durablement affectes par des pollutions accidentelles, telles que lUnion Carbide aprs lincident de Bhpal. Dautres entreprises, comme notre socit ptrolire nationale, risquent de voir leur image se ternir profondment en raison de comportements jugs dsinvoltes, concernant des problmes de pollution ou dune prsence bienveillante maintenue dans certains pays totalitaires. Malgr les bnfices levs que ces choix peuvent procurer court terme, les mouvements dopinion se rvlent parfois trs brutaux.

    Les organisations peuvent dautant moins refuser cette obligation dinformation et de transparence quelles ont pris, par ailleurs, largement la parole. De par son insertion dans le tissu conomique et social, et parce que le savoir faire ne suffit plus sans le faire-savoir , l'entreprise est, en effet, devenue un agent de communication qui ne peut plus limiter son action la production d'un bien ou service. Parler, s'affirmer, dialoguer sont d'autant plus importants que tous ses actes et caractristiques peuvent tre considrs comme des messages (nom, produits, emballages, comportement du personnel...) et qu'une partie non ngligeable de sa communication n'est pas mise de manire dlibre, telle la communication informelle l'intrieur de l'entreprise ou le bouche oreille l'extrieur.

    Certaines organisations adoptent cependant une conception minimale de la transparence qui consiste respecter la simple obligation d'information vis--vis du public. Cette acception rduite de la transparence peut toutefois tre comprise par certain comme une stratgie dlibre de cacher certaines informations. Elle ne permet pas au public de juger de la qualit de lorganisation avec laquelle auraient pu tre tablies des relations de confiance.

    A contrario, une conception plus dveloppe de la transparence consiste fournir aux publics et consommateurs concerns tous les lments d'apprciation pertinents pour effectuer

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    leur choix ou se forger une opinion. Mais cette forme de transparence n'est pas dpourvue d'inconvnients. Le public na pas toujours la capacit de juger les lments dinformation fournis, et la concurrence peut chercher utiliser ces derniers son profit pour pratiquer lespionnage industriel ou pour crer la suspicion en exploitant des hypothses de risques dpourvues de fondement (Viney, 2000).

    Le public manifeste aujourdhui une volont de mieux connatre les conditions dlaboration des produits et services offerts par les entreprises ainsi que le fonctionnement des organisations pouvant avoir un impact direct ou indirect sur sa vie quotidienne. Il souhaite mme parfois intervenir et participer aux processus dcisionnels, notamment au travers de diverses associations de consommateurs, dusagers, de riverains, dcologistes, de mouvements alternatifs, etc. Mais cet largissement de ce qu'il est convenu d'appeler l'espace public suppose de sa part une capacit dcoute et de comprhension de la problmatique du risque, afin de ne pas bloquer toute prise de dcision.

    2.2. La communication de crise Depuis une vingtaine dannes, des spcialistes des Sciences de linformation et de la

    communication ont soulign le rle dterminant de la communication dans les situations de crise. En effet, laspect mdiatique de la crise, notamment quand celle-ci atteint son paroxysme, intresse en premier lieu les responsables de la communication. Or lactualit nous montre priodiquement combien les dirigeants dentreprises sont souvent mal prpars la crise et la communication qui laccompagne (Mucchielli, 1993). Certains optent indiffremment pour le silence complet, le mpris arrogant, les dmentis en cascades, les dclarations trop rassurantes, le dgagement de toute responsabilit ou la mise en cause des journalistes et des mdias... comportements qui ne peuvent quaggraver la situation. Pourtant lenjeu est de taille et, outre la survie des dirigeants, cest parfois la prennit mme de lentreprise qui est en jeu.

    La crise saccompagne en gnral dune crise de linformation, et qui ne matrise pas linformation ne matrise pas la crise15. Ainsi, linformation non contrle ou labsence dinformation augmente lamplitude de la crise alors quune communication adapte peut attnuer celle-ci. Mais la matrise de linformation recouvre aussi lusage qui en est fait car chaque mdia saccapare de lvnement en lui donnant une tonalit particulire, conformment au contrat de lecture tabli avec son propre public (Bouzon, 1999). Ainsi, la communication de crise, qui est rcemment devenue une vritable spcialit pour les professionnels, concerne lensemble des actions de communication qui accompagnent la crise que cela soit avant, pendant ou aprs celle-ci. Si des signes avant-coureurs permettent de prvoir la crise, la communication cherche la dsamorcer ou la circonscrire dans une phase danticipation. Elle tente ensuite de la traiter chaud pour ne pas lui laisser prendre une ampleur mdiatique dmesure qui risquerait de dstabiliser lorganisation avant que celle-ci ne puisse ragir ou de ternir dfinitivement son image. Les dirigeants sont alors assaillis de demandes dinformations concernant lvnement et ses consquences prvisibles, la dsignation des responsables, et des engagements sur lavenir... alors quun diagnostic complet nest gnralement pas encore tabli. Elle accompagne enfin toutes les actions menes par lorganisation pour rpondre la crise puis pour en sortir dans les meilleures conditions.

    Des mouvements d'opinion, parfois amplifis par les mdias, peuvent crer un risque de dramatisation excessive de la situation selon les rgles dun scnario souvent identique :

    15 La crise gnre galement de linformation sur la vulnrabilit de lorganisation et sa capacit ragir.

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    - une alerte est lance plusieurs reprises par des scientifiques (ou dautres acteurs), jusqu ce quun quantum critique dinquitude permette le dmarrage dune vaste campagne mdiatique ; - face lincertitude du dpistage des causes, des groupes et des individus sont dsigns comme responsables ; - des mesures symboliques sont exiges, parmi lesquelles des punitions exemplaires sont recherches, au plus haut niveau possible ; - en contrepartie, des offensives politiques, rglementaires et juridiques sont lances lencontre des dnonciateurs irresponsables (Duclos, 1996, p.334).

    Lorganisation se trouve alors confronte deux crises grer simultanment, la crise elle-mme et la crise mdiatique dont les effets sont parfois plus dvastateurs. Elle doit ce moment l mobiliser toutes ses comptences en matire de gestion, de droit et de communication.

    Diffrents ouvrages traitent de la communication de crise. Gnralement prescriptifs et souvent illustrs dexemples concrets, ils sinscrivent dans un discours plus gnral mettant en vidence les vertus sociales de la communication dans des socits partiellement en dsquilibre ou en mutation (Dupont, Lachaud, 1998).

    Cependant, outre la matrise des techniques et outils de communication, la meilleure rponse de lorganisation la crise est toujours de lviter ou, si cela nest pas possible, de bien sy prparer.

    2.3. Perception du risque acceptable : vers une culture du risque La perception du risque est minemment subjective et gnralement dcale par

    rapport sa vritable ampleur. Cette perception dpend beaucoup des habitudes de chacun et de lapport que reprsente cette prise de risque pour lindividu. Ainsi lautomobiliste ne semblera pas mu par les nombreux accidents journaliers occasionns par son moyen de transport habituel alors quil sera choqu par les accidents dautocar, de train ou davion, pourtant statistiquement beaucoup plus srs16. De mme le fumeur peut-il sinquiter de la maladie de Creutzfeldt-Jacob, mme si, pour lui, la probabilit dtre contamin semble infiniment plus faible que celle de mourir dun cancer. La perception du danger peut susciter des angoisses irrationnelles, notamment pour des vnements rares souvent amplifis par leffet mdiatique, ou inversement de la griserie pour des risques parfois consquents (ceux induits par la vitesse par exemple).

    Cette perception est dautant plus subjective quelle agrge deux dimensions trs diffrentes, la probabilit doccurrence de lvnement et la gravit de celui-ci. Or des incidents frquents sans gravit sont parfois moins bien tolrs par le public, en occasionnant par exemple des retards ou indisponibilits de service, que des accidents beaucoup plus graves mais exceptionnels.

    Ainsi, du fait de ce dcalage parfois considrable entre la perception du risque et son ampleur relle, le vritable enjeu du principe de prcaution est peut-tre davantage de bien grer la perception des risques que les risques eux-mmes. Le risque n'est en effet vraiment acceptable que si, d'une certaine manire, il a t accept (Godard, 1999). Cependant, en entretenant l'illusion que les risques peuvent tre entirement limins, le principe de prcaution est source de bien des malentendus.

    Mais, pour accepter un risque, encore faudrait-il que les connaissances minimales ncessaires la comprhension des situations risques et des alternatives envisageables

    16 Pour un voyageur, il existe par exemple un facteur 10 entre la probabilit davoir un accident en voiture individuelle et celle en utilisant lautocar pour une mme distance parcourue.

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    soient acquises par le public pour quun vritable dialogue puisse sengager entre les experts, les dcideurs (dont lEtat) et les individus, directement ou au travers de ses associations.

    Mais cette culture du risque ncessiterait un effort significatif de formation et de vulgarisation, qui reprsente un vritable enjeu de communication, tant pour la puissance publique que pour les organisations.

    Conclusion Malgr sa frquente utilisation dans nos socits contemporaines, le terme de risque

    recouvre des acceptions diverses. Sil reprsente pour certains le signe d'une drive vers une socit fige et craintive, qui a peur de l'innovation et des risques inhrents, il constitue pour dautres l'instrument dune socit responsable qui fait face lincertitude de manire rationnelle et rige la vigilance en principe de fonctionnement.

    Le principe de prcaution, rcemment introduit dans la lgislation pour prvenir les risques difficiles valuer, tant en ce qui concerne leur probabilit doccurrence que leur gravit, entre dans cette dualit. Il conduit la mise en place de procdures permettant, autant que faire se peut, de matriser les risques sans nuire au progrs, et dvelopper l'information du public pour l'associer leur gestion.

    Sur le plan organisationnel, cette nouvelle donne devrait amliorer la transparence des entreprises mais celle-ci ncessite en contrepartie une capacit dcoute et de comprhension rationnelle de problmes souvent complexes. La gestion de lincertitude et la communication se rvlant ainsi indissociables, des actions de formation sur le risque apparaissent ncessaires tant pour les professionnels de la communication que pour les citoyens.

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