Byzance et la naissance de la chrétienté russe _ Graecia orthodoxa.pdf

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    Byzance et la naissance de la chrtient russe 25 mars 2010

    A loccasion de lexposition Sainte Russie qui se tient au Louvre du 5 mars au 24 mai 2010, lInstituteuropen des sciences religieuses a organis une journe de formation sur le thme de La Russieorthodoxe : art, histoire et religion, une journe laquelle jai t invite parler. On trouvera ci-dessousle texte complet de cette confrence, dont voici les parties:

    Premiers contacts Le baptme de Vladimir et linstallation dun mtropolite des Russes Le mtropolite de Kiev dans le Commonwealth byzantin Les traductions du grec au slavon et le choix de lunit liturgique Lorthodoxie russe, un christianisme sans hellnisme LEglise russe, fille du Concile de Nice II

    PREMIERS CONTACTS

    Si lon considre lhistoire du christianisme russe travers lhistoriographie byzantine, la conversion dupeuple appel en grec to Rhs ou hoi Rhs a eu lieu peu avant 867. En effet, cette date, le patriarche deConstantinople Photius, dans une encyclique aux autres patriarches orientaux, leur annona:

    Les Russes ont abandonn la religion paenne et impie pour la foi pure et sans mlange des Chrtienset se sont plac sous la protection de lempire, devenant ses amis, au lieu de continuer leurs rcentesaventures daudacieux brigandages. Leur soif de la foi et leur zle furent tels quils acceptrent derecevoir un pasteur et accomplissent avec grand soin les rites chrtiens.

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    Mais qui taient ces Russes?Ces Russes dont Photius annonait la conversion sont ceux-l mmes qui, arrivs sur deux cents bateauxdevant Constantinople le 18 juin 860, avaient mis en pril la capitale impriale et navaient t repousssque grce une tempte miraculeuse, provoque par le voile de la Vierge des Blachernes, port enprocession et tremp dans la mer. Cet vnement semble avoir fortement marqu la conscience collectivebyzantine. Les Russes devenaient un instrument du chtiment divin, peru dans une perspectiveeschatologique. A la suite dun rapprochement formel, on leur appliqua la prophtie dEzchiel: Gog, lepays de Magog et le prince de Rosh / (Ez 39, 1).

    On sait aujourdhui que ces envahisseurs taient des Scandinaves, probablement des Vikings quidescendaient le Dniepr ou la Volga et, pour certains, le Don jusqu la mer dAzov. Depuis les rives duBosphore cimmrien le dtroit de Kertch , ils se livraient la piraterie autour du bassin de la merNoire. Ainsi, le succs missionnaire annonc par Photius en 867 nest-il quune des manifestations de lareprise de lexpansion religieuse et culturelle de Byzance, principalement dans le bassin de la mer Noire. Il

    ne touche pas les Russes proprement parler. Cest en fait au dbut du 10e sicle, loccasion despremiers contacts, belliqueux ou pacifiques, entre Kiev et Constantinople que les guerriers et les marchandskiviens dcouvrent la religion chrtienne. Daprs la Chronique des temps passs, en 911, lempereur LonVI, aprs avoir honor les ambassadeurs russes de prsents,

    les confia ses hommes pour leur montrer la beaut des glises, les palais en or et les trsors qui ytaient conservs [], les instruments de la Passion la couronne dpines, les clous, le manteau depourpre et les reliques des saints, les faisant catchiser dans sa foi et leur montrant la vraie foi .

    Ce passage donne une ide des procds auxquels avaient recours les Byzantins pour frapper limaginationdes barbares et les prparer adopter la foi des Romains. Ils avaient probablement dj t utiliss en860-867. Mais il stait alors agi de convertir un groupe restreint daventuriers, alors que, avec la Russie deKiev, on avait affaire un vritable Etat. Cest pourquoi il ny a pas lieu de stonner de ce que plusieursdcennies soient passes entre les premires tentatives byzantines, sous Lon VI, et la conversion officielledu prince de Kiev, Vladimir (m. 1015).

    LE BAPTME DE VLADIMIR ET LINSTALLATION DUN MTROPOLITE DES RUSSES

    Malgr le brouillard que le mythe de la conversion de la Russie jette sur la plupart des sources, on peutassez clairement dgager un certain nombre de faits qui doivent dsormais passer pour acquis. Toutdabord, il est important de considrer que la conversion de Vladimir est un pisode des relations byzantino-russes, prenant la suite de ceux qui viennent dtre voqus.

    Dans les annes 980, lempereur Basile II fut confront une grave crise de gouvernement, une frondemene contre lui par la puissante aristocratie foncire dAsie mineure. Dans cette situation critique, et alorsque le front oriental de lempire tait sans cesse menac, il dt recourir une aide extrieure, qui nepouvait lui tre fournie, ce moment-l, que par la principaut de Kiev.

    Basile II prit probablement les premires initiatives en mai-juin 987. Une ambassade byzantine partit alorspour Kiev,, quelle atteignit dans le courant de lt. Un accord fut alors conclu et une troupe de plusieursmilliers dhommes fut rassemble Kiev pendant les mois suivants. Cet accord prvoyait aussi, selon toutevraisemblance, le mariage de Vladimir avec la princesse byzantine Anne, ainsi que sa conversion pralableau christianisme.

    Vladimir fut catchis partir de dcembre 987 et baptis en janvier 988. Au printemps 988, il accueillit sa

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    fiance et lpousa cest galement ce moment queut lieu le baptme des Kiviens. Puis, toujours en988, la troupe constitue Kiev descendit le Dniepr pour se rendre, par mer, Constantinople, o elleparvint vers le mois de juin. Au dbut de 989, les troupes rebelles furent dfaites non loin de la capitale, Chrysopolis, par larme impriale renforce par les contingents russo-vargues.

    Cest bien cet ordre chronologique que donne Yahya dAntioche :

    Dans ce besoin pressant, [Basile II] fut contraint de demander secours au roi des Russes qui taientses ennemis. Celui-ci acquiesa. Aprs ils firent une alliance de parent, et le roi des Russes pousa lasur de lempereur Basile, la condition quil se ferait baptiser avec tout le peuple de son pays [].Peu aprs, lempereur Basile lui envoya des mtropolites et des vques qui baptisrent le roi et toutle peuple de son pays. En mme temps il lui envoya sa sur qui btit plusieurs glises dans le paysdes Russes .

    A peine bauches sous Vladimir, les institutions ecclsiastiques se sont dveloppes sous ses successeursdans le cadre de lEtat kivien dabord, puis progressivement dans celui des diffrentes entits politiques

    qui lui succdrent partir de la fin du 11e sicle.

    On sait ainsi que la Russie constituait dans la seconde moiti du 11e sicle lune des dizaines de mtropolesdpendant du patriarcat de Constantinople. Jusqu la fin du Moyen-ge, elle occupa un rang modeste dansla hirarchie ecclsiastique byzantine et jamais elle ne devint un archevch autonome. Dans les sourcesbyzantines, elle nest pas dsigne du nom de la ville o rsidait le mtropolite, comme cela tait la rgle lintrieur de lempire, mais par celui du peuple que le prlat avait la charge dvangliser : ho mtropolitsRhssias. A ct de cette titulature officielle, les sources russes emploient seul le terme mitropolit, qui eutainsi, jusqu la cration du patriarcat de Moscou, en 1589, un sens proche du grecproedros ou dulatin primas.

    Dans la pratique, la dpendance de lEglise russe vis--vis du patriarcat se manifestait surtout lors de lanomination du mtropolite qui se faisait conformment la pratique du droit ecclsiastique byzantin de

    cette poque. Mais, contrairement lusage habituel institu par le 4e canon du Concile de Nice, selonlequel lvque doit tre ordonn par deux ou trois vques,on privilgiait dans le cas de la Russie le

    28e canon du Concile de Chalcdoine (451):

    les mtropolitains des diocses du Pont, de lAsie de la Thrace et eux seuls[] seront sacrs par lesaint sige de lEglise de Constantinople.

    Quant llection, elle se faisait, la mme poque, par le synode patriarcal (synodos endmousa) quiprsentait au patriarche trois candidats.

    La Russie recevait donc son mtropolite du patriarche de Constantinople. Sa subordination Byzanceapparaissait ainsi comme une ralit ecclsiastique et non politique.

    Dans ce mouvement, un grand nombre de Grecs arrivrent en Russie et occuprent des postes influents,particulirement dans lEglise. Sur les 23 mtropolites mentionns par les Chroniques pour la priode pr-mongole, 17 taient des Grecs. Les sources mentionnent galement la prsence de professeurs et de livresgrecs dans plusieurs parties de la Russie. Bien entendu, en plus des ecclsiastiques, des diplomates, desmarchands, des artisans et des artistes grecs voyagrent aussi en Russie, tandis que des Russes servirent

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    de leur ct dans larme byzantine. Des princes russes visitrent occasionnellement Constantinople et semarirent avec des Grecques. A Constantinople, un quartier de la ville devint la rsidence habituelle desvisiteurs russes. Des moines russes sinstallrent au Mont Athos et un flux constant de plerins traversa lacapitale byzantine dans sa route vers les Lieux Saints.

    LE MTROPOLITE DE KIEV DANS LE COMMONWEALTH BYZANTIN

    Depuis ladoption du christianisme comme religion dEtat de la principaut de Kiev, linfluence de lacivilisation byzantine fut dterminante. Selon Jean Meyendorff, lextension et le caractre particuliers decette influence doivent tre compris la lumire des trois lments principaux dont la combinaisoncaractrise la vie et la socit byzantines: la tradition politique romaine, lhritage littraire grec, la foichrtienne orthodoxe.

    On remarquera, bien videmment, que ces trois composantes essentielles de la civilisation byzantine nepouvaient pas tre simplement exportes en Russie.

    Dans sa version originale, lidologie politique romaine et byzantine tait totalement impriale. Elleprsupposait ladministration directe de lempereur sur tous ses sujets. Justinien, en conqurant lItalie,tait en position de raffirmer cette tradition impriale, car il disposait des moyens ncessaires uneaffirmation directe et mthodique du pouvoir romain.

    Cependant, avec le recul de la puissance militaire de lempire, cette approche devint progressivementirraliste. Gographiquement, la Russie tait hors de porte dune conqute militaire. Dailleurs, sonterritoire ne fit jamais partie de lempire byzantin. Pourtant, son acceptation de la conception byzantine dumonde reprsente la plus grande conqute intellectuelle de Byzance, une conqute dautant plusextraordinaire quelle nimpliqua jamais une dpendance politique directe et fut donc presque exclusivementralise par le biais de lEglise.

    Le seul dignitaire byzantin possdant une position de pouvoir dun pouvoir vraiment considrable enRussie fut le mtropolite de Kiev, car il contrlait la seule structure administrative qui incluait la totalit dela Russie dans la priode allant de 989 1448, et celle-ci dpendait de Byzance. Il est clair que lesconsquences culturelles, religieuses et politiques de cette ralit sont considrables.

    Lidologie politique byzantine encourage par lEglise ne conduisit aucune tentative dusurpation delempire. Si le prince Vladimir assuma rellement le titre de basileus, ce ne fut que dans une associationsubordonne lempereur lgitime, Basile II, son beau-frre, et non au moyen dune translatio imperii. Sonfils Yaroslav avait sans doute caress cette ide. Aprs avoir construit Kiev une cathdrale ddie Sainte-Sophie (aprs 1037), imitant lvidence la Grande Eglise de Constantinople, il mena une guerresanglante contre Byzance (1043) et nomma un Russe, Hilarion, au sige mtropolitain de Kiev (1051).Cependant, il ne prit jamais linitiative de se proclamer empereur. Aprs sa mort (1054), la division de toutle territoire de la Russie kivienne en apanages, rpartis entre les membres de la famille princire, empchapendant des sicles lmergence dun Etat centralis aux ambitions impriales.

    Cette diffrence radicale dans leurs structures politiques internes fut certainement un facteur qui empchala Russie de rivaliser avec les prtentions impriales de Byzance. Elle suscita galement le dveloppementdune conception idale, quasi-mystique, du Commonwealth byzantin: lempereur de Constantinople fut,pour les Russes, le symbole de lunit du monde chrtien. Mais il fut aussi un empereur qui nexerait pasun rel pouvoir sur eux.

    Par ailleurs, en absence dun centre politique incontestable, lunit des Russes fut largement maintenue parlintermdiaire de lEglise. Cette unit idale trouvait un reprsentant en la personne du mtropolite nommpar Constantinople.

    On remarquera cependant que ce mtropolite, le plus gnralement dorigine grecque, comme nous lavons

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    vu, avait souvent un contact malais avec le peuple des fidles dont il tait le pasteur.

    Ainsi, au 12e sicle, Nicphore Ier faisait explicitement tat de cette barrire linguistique qui le sparait deson troupeau:

    Le don des langues, dont parle saint Paul, ne ma pas t accord, notamment pour la langue danslaquelle je dois accomplir ma mission. Cest pourquoi je me tiens sans voix et muet parmi vous.Puisque je dois enseigner ceux qui viennent l tous les jours du saint et grand Carme, jai jug bonde le faire par crit.

    Apparemment, le sermon du mtropolite Nicphore tait rdig en grec, et un clerc en lisait la traductionslavonne. Comme le sermon de circonstance de ce prlat, toute la production religieuse byzantine tait eneffet traduite, ds les premiers temps de la christianisation de la Russie, en langues slaves. Il sagit-l dunchoix dlibr de la mission byzantine qui contrairement la mission issue de Rome, qui avait pratiqu lalatinisation des barbares convertis en Occident avait choisi de traduire dans une langue accessiblelensemble des textes quelle entendait transmettre. Comme nous le verrons maintenant, cette largeopration de traduction connut plusieurs phases.

    LES TRADUCTIONS DU GREC AU SLAVON ET LE CHOIX DE LUNIT LITURGIQUE

    Fidle la langue grecque, en tant que vecteur de civilisation, lempire byzantin ntait pas un Etat-nationdans le sens moderne, mme si les sources slaves le dsignent invariablement comme le pays des Grecs.Les non-Grecs, du moment o ils adhraient au systme imprial et son idologie, pouvaient facilementslever dans le cursus honorum de lEtat et de lEglise. Sans ces empereurs qui savaient constammenthonorer et attirer eux les plus dous des Armniens, des Slaves et des autres trangers, lempirebyzantin, sil avait suivi une politique purement grecque, serait certainement tomb bien avant le milieu du14e sicle, non sous les assauts des Turcs, mais sous ceux de ses propres sujets, particulirement desSlaves et des Armniens.

    Si les Byzantins savaient comment maintenir un pluralisme culturel raisonnable lintrieur des frontiresde lempire, ils navaient dautre choix que de pratiquer une tolrance encore plus grande dans le cadre deleur Commonwealth largi. Ici aussi, la tradition du pluralisme culturel fondamentalement romain sejoignit aux besoins dune mission chrtienne universelle.

    Au 10e sicle, lorsque le christianisme byzantin fut formellement adopt en Russie, un grand nombre detextes scripturaires, liturgiques, thologiques et historiques existait dj en traduction slavonne, prparssoit au sein de la mission de Cyrille et Mthode en Moravie, soit plus tard en Bulgarie. Nous savonsgalement que de nouvelles traductions du grec taient accessibles et copies Kiev. Il est difficile dedterminer quelles traductions furent importes et quelles furent ralises en Russie. Ce qui est certain,cest que les besoins immdiats de lEglise furent satisfaits en priorit: lensemble du Nouveau Testament,des parties de lAncien Testament qui taient inclus dans les cycles liturgiques les Psaumes en particulier, les textes de loffice eucharistique et des sacrements, ainsi que limmense corpus de lhymnographie

    byzantine, taient accessibles dans la Rus de Kiev aux 10e et 11e sicles. En plus de ces textes qui taientindispensables au quotidien, un grand nombre de textes hagiographiques requis comme lectures dans lescommunauts monastiques des Rgles monastiques et certains ouvrages de rfrence encyclopdiques,comme des Chroniques, la Topographie de Cosmas Indikopleusts ou le Physiologue furent ainsi traduits.

    La grande majorit de textes byzantins traduits en slavon dans les sicles qui suivirent le baptme de laRus eurent donc un caractre religieux et ecclsiastique. La mme chose peut tre affirme de la seconde

    priode byzantine de la Russie, qui se produisit au 14e s. A ce moment-l, une slection encore plus troitefut opre, en faveur de deux domaines: la liturgie et la spiritualit monastique, qui incluait la littrature

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    hagiographique et patristique sur la prire personnelle. Dans ce contexte, la spiritualit hsychasteprospra.

    A la mme poque, une rforme de la liturgie opre Byzancetoucha galement la chrtient russe.Le facteur majeur dans le dveloppement de la liturgie en Russie

    au 14e s. est le transfert gnralis, de Constantinople en Russie,du Typikon de Jrusalem, ou plus prcisment du Typikon dumonastre de Saint-Sabas en Palestine. Aucun rudit na donn,pour linstant, une explication exhaustive de cet vnement

    remarquable: pas plus tard que le 12e s., lEglise deConstantinople, alors au fate de son prestige et de son influence,accepta de remplacer lordre existant de sa liturgie le Typikon dela Grande Eglise, leTypikon de Saint-Jean du Stoudios parlOrdre du monastre de Saint-Sabbas en Palestine. Apparemment,loccupation arabe de tout le Moyen-Orient navait pas aboli leprestige des Lieux Saints et du monachisme palestinien ancien, sespratiques et ses traditions. Le changement se produisitgraduellement en ne fut pas impos par un dcret officiel. Ilnimpliqua pas un changement marquant dans la liturgie, mais

    modifia plutt la structure des offices quotidiens et festifs, ainsi que la discipline monastique, tandis que deslments fondamentaux de ces offices restaient les mmes, tels quils staient forms lissue dune

    synthse entre les structures cathdrale et monastique. Cette synthse stait produite aux 10e-

    11e sicles.

    Il est assez significatif que le modle de la rforme ne fut pas Constantinople mais Jrusalem: la dimensionsymbolique, eschatologique et spirituelle de cette influence fut renforce par le passage de Constantinoplesous domination latine en 1204 et par la suprmatie du monachisme dans lEglise qui sensuivit. Lesplerinages monastiques dans les Lieux Saints taient frquents lpoque des Palologues et ilsimpliquaient la participation dimportants chefs spirituels.

    Ladoption du Typikon palestinien chez les Slaves se fit progressivement, partir du moment o saint Savade Serbie lintroduisit au Mont Athos, et que son successeur, larchevque Nikodim, le traduisit en slavon,en 1319. On remarquera que des lments du Typikon de Jrusalem apparaissent dans les instructions

    pastorales officielles qui arrivrent en Russie depuis le patriarcat de Constantinople la fin du 12e sicle.Cependant, lunification systmatique des pratiques liturgiques et disciplinaires en accord avec le modlepalestinien devaient tre accomplies sous les mtropolites de Russie Cyprien (1390-1406) et Photius (1408-1431).

    Une des caractristiques de cette rforme liturgique, aussi bien Byzance que dans les pays slaves, estquelle visait lunification et la codification des pratiques liturgiques.

    Avec la rforme du Typikon et dautres influences liturgiques au 14e s., Byzance transmit aux Slaves, etparticulirement la Russie, un trs grand corpus de littrature spirituelle, particulirement monastique ethsychaste. La plus ancienne bibliothque monastique de la Russie septentrionale, celle de la Laure de laTrinit fonde par saint Serge (vers 1314-1392) contient un grand nombre de versions slavonnes des

    14e et 15e sicles dauteurs tels que Jean Climaque, Dorothe, Isaac de Ninive, Symon le NouveauThologien, Grgoire le Sinate. Or tous ces auteurs sont des classiques de la spiritualit hsychaste.

    Si lon compare le contenu des grandes bibliothques monastiques russes celles de Byzance au MontAthos, Patmos ou au Sinai , on est immdiatement frapp par leur ressemblance: les moines russes

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    lisaient les mmes Pres, les mmes Vies de saints que leurs frres byzantins, et cette seconde vaguebyzantine sur la Russie a produit suffisamment de traductions pour placer les monastres russes sur unpied dgalit avec ceux de laire hellnophone.

    Ce nest que dans le domaine de la thologie pure que les bibliothques russes diffrent des byzantines:des copies de traits thologiques des Pres cappadociens, de Cyrille dAlexandrie, de Maxime le Confesseurou des traits de polmiques composs au 14e sicle par des thologiens palamites sont pratiquementabsents des bibliothques russes. Parmi les exceptions les plus significatives, citons le Pseudo-DenyslAropagite, traduit au Mont Athos par un moine serbe, Isae, en 1371. Un manuscrit de cette traductionarriva en Russie aussitt quelle fut acheve, et fut copi personnellement par le mtropolite Cyprien (avant1406).

    Comme ces exemples le montrent, le flux de cette littrature passa de faon prdominante par les canauxecclsiastiques et monastiques. Or ces cercles ne donnrent pas, en gnral, une haute priorit aux critssculiers dans leur transmission aux Slaves.

    LORTHODOXIE RUSSE, UN CHRISTIANISME SANS HELLNISME

    Cest justement parce que la culture byzantine arriva en Russie en traduction que la culture hellnique nesy enracina jamais dans ses dimensions intellectuelle et crative. Nous lavons vu prcdemment, lachristianisation des peuples germaniques par Rome imposa leur latinisation, et par consquent offrit auxplus instruits dentre eux le moyen daccder toute la littrature de lAntiquit latine. La traduction de lalittrature religieuse dexpression grecque dans les langues slaves conduisit un phnomne tout diffrent.

    Les Byzantins avaient prserv lhritage de la philosophie et de la pense antiques. Jusqu la fin delempire, les intellectuels byzantins taient capables dapprcier et dinterprter cet hritage. On noteracependant que la culture antique tait marginalise par lEglise et plus particulirement rejete par lesmoines, cest--dire par ces mmes lments de la socit byzantine qui taient directement chargs detransmettre les textes grecs aux Slaves.

    Au 9e sicle, Cyrille et Mthode ne se seraient peut-tre pas opposs lide de traduire les auteursantiques, sils avaient eu le temps de le faire. Mais ce qui est certain, cest quil ne sagissait pas dunepriorit pour eux. Quant leurs successeurs, Grecs ou Slaves, qui travaillrent la diffusion duchristianisme, ils considrrent sans doute quil ntait ni souhaitable ni raliste dinitier les nophytes quilstaient tenus dinstruire autre chose quau christianisme le plus pur, ses crits et ses liturgies.

    Ce phnomne peut sexpliquer de diffrentes faons. Je noterai simplement ici quil nest pas impossibleque le choix ait t parfaitement dlibr. En effet, cest la rfrence constante la philosophie hellnique,en particulier aristotlicienne ou noplatonicienne, qui a t lorigine de nombreuses hrsies auxpremiers temps du christianisme. Monophysites et nestoriens avaient par ailleurs traduit en syriaque ungrand nombre de textes philosophiques, lesquels avaient donc chapp, par ce biais, au contrle de lEglisechalcdonienne. Certaines rgions orientales de lEmpire en avaient subi lourdement les consquences. Lespatriarcats orientaux Antioche, Alexandrie, Jrusalem en ressentaient quotidiennement les effets. Ilfallait absolument prvenir un phnomne similaire la frontire nord de lempire.

    Mme au 14e s., lorsque le volume des traductions augmenta considrablement, les Russes devinrent defidles disciples de Byzance dans les domaines de lart religieux, de la spiritualit, de lhagiographie et delthique orthodoxes. En revanche, les aspects spculatifs, thologiques ou philosophiques de lhellnismebyzantin ne furent accepts que passivement, et une chelle fort rduite.

    Si les Russes ne manifestrent que peu dintrt pour la tradition grecque classique, ils devinrent enrevanche rapidement dexcellents disciples de la culture byzantine dans ces aspects de la foi chrtienne,notamment dans lart sacr, qui requrait une exprience intuitive de la vrit et de la beaut.

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    LEGLISE RUSSE, FILLE DU CONCILE DE NICE II

    Ds le 10e sicle, nous lavons vu, les Russes furent saisis par la beaut de la liturgie byzantine, etapprirent rapidement pratiquer les arts de la mosaque, des fresques et de lenluminure de manuscrits.Les artistes grecs invits en Russie taient les meilleurs, et leurs disciples russes atteignirent rapidement laperfection de leurs matres.

    Lart byzantin fut import en Russie immdiatement aprs 988. Les glises difies Kiev par Vladimir etYaroslav furent construites et dcores par des artistes grecs. La cathdrale Sainte-Sophie de Kiev conserve

    jusqu aujourdhui lun des meilleurs exemples de mosaques byzantines du 11e sicle. Un sicle plus tard,au sein mme de la tradition artistique byzantine, la Russie concevait cependant de nouveaux styles danslart et larchitecture.

    Je finirai donc par quelques rflexions sur la rception de lart religieux byzantin dans la civilisation russemdivale. Et ce sujet, jaimerais insister sur un point qui, me semble-t-il, nest pas suffisammentsoulign.

    La mission byzantine en Russie se fit au 10e sicle, par une Eglise qui tait non seulement celle des septconciles cumniques, mais surtout celle de Nice II (787) et du Triomphe de lOrthodoxie (843), cest--dire par une Eglise qui sortait de la crise iconoclaste, et qui tait ouvertement et triomphalement iconophile.Au moment de la conversion des Russes, les Byzantins avaient port son plein dveloppement lathologie de licne. Ils avaient galement raffirm quelle constituait linstrument par excellence decatchse des fidles qui navaient pas accs linstruction, qui ne savaient pas lire. Si cette thorie taitvrifie tous les jours dans le culte, au sein de lempire, elle devenait galement le ressort dunevanglisation grande chelle auprs de peuples qui non seulement ne savaient pas lire le grec, mais desurcrot, ne lentendaient mme pas.

    LEglise iconophile du 10e sicle byzantin avait ainsi en sa possession les meilleurs outils pour russir lachristianisation de peuples barbares, compltement trangers sa culture. On peut dailleurs se demanderce que lEglise byzantine aurait fait dans cette situation si elle avait t iconoclaste. Mais il sagit bienentendu dun dbat que je nouvrirai pas ici. Je rappellerai simplement un texte de Jean Damascne sur lesens de licne:

    Cependant, puisque Dieu est devenu vritablement homme des profondeurs de sa misricorde pournotre salut, il ne nous est pas apparu sous une figure humaine, comme Abraham (cf. Gn 18, 2) ouaux prophtes, mais il est devenu vritablement homme selon lessence. Il a sjourn sur terre, il avcu parmi les hommes (Ba 3, 38), il a opr des miracles, il a souffert, il a t crucifi, il estressuscit, il est mont au ciel. Et comme tous ces vnements se sont vritablement produits, et ontt vus par des hommes, ils ont t mis par crit pour notre souvenir et pour linstruction de ceux quintaient pas l en ce temps []. Mais comme tout le monde ne sait pas lire et ne consacre pas sa vie la lecture, les Pres ont compris que pour se rappeler rapidement ces vnements, il fallait aussi lesreproduire par des images, comme on fait pour divers exploits. Ainsi, dans des moments o nous nepensons pas la Passion du Seigneur, il nous arrive souvent de nous souvenir de la Passion salvatriceen voyant limage de la crucifixion du Christ. Alors, tombant terre, nous ne vnrons pas la matire,mais le sujet reprsent.

    LEglise russe est donc bien, par excellence, la fille de lEglise iconophile, de lEglise du Concile de Nice II.Par ladoption des critres esthtiques de licne byzantine, lart religieux russe importa bien plus quuneralit esthtique. La peinture et la vnration des icnes supposait lacquisition profonde de la thologie delIncarnation, elle enseignait aussi le contenu de la foi. Au mme titre que le slavon et les autres languesslaves travers lesquels lhritage chrtien de Byzance fut transmis, liconographie russe servit, elle aussi,

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    de vhicule la thologie orthodoxe de tradition byzantine. Cette tradition trouva dailleurs sondpassement dans la clbre icne de la Trinit de Roublev, qui intgre un enseignement trinitaire dans undomaine jusque l exclusivement consacr lconomie de lIncarnation.

    Cest pourquoi la continuit entre Byzance et la Russie doit tre souligne, face aux discontinuitsinvitables dune volution historique tmoignant de la rception fort russie au demeurant de latradition chrtienne la plus sophistique par un peuple barbare possdant peine une culture crite.

    *

    Cette prsentation se fonde sur les travaux de J.Meyendorff et V. Vodoff. On appronfondira donc cesquestions en se rfrant aux ouvrages suivants:

    John MEYENDORFF,Byzantium and the Rise ofRussia, Cambridge 1980.

    Vladimir VODOFF,Naissance de la chrtient russe.La conversion du prince Vladimir (988) et ses

    consquences (XIe-XIIIe s.), Paris 1988.

    John MEYENDORFF, Rome, Constantinople, Moscow.Historical and Theological Studies, New York 1996.

    Illustrations: Andrei Roublev (v. 1370-1430), LeSauveur de Zvenigorord, v. 1394. Thophane leGrec (1330-1410), La Transfiguration du Sauveur, v.

    1403. Icne de la Vierge de Vladimir (12e sicle):copie attribue Andrei Roublev.