4
- 1 - A paraître dans le numéro de septembre 2004 de la Revue Nouvelle, mensuel sociopolitique et culturel, Bruxelles. Élections européennes - Un Parlement dispersé Christophe Degryse, Observatoire social européen Les élections européennes de juin dernier ainsi que la session constitutive de la nouvelle assemblée en juillet ont représenté le premier exercice de « démocratie européenne » à l’échelon de l’Union élargie. Le résultat de l’exercice est plus que mitigé si l’on en retient le taux d’abstention particulièrement élevé, les marchandages entre groupes politiques pour la nomination du nouveau président de la Commission, l’hétérogénéité accrue des forces politiques et la montée en puissance du populisme. À l’heure où le traité constitutionnel tente de donner plus de lisibilité au projet européen, le Parlement dans sa nouvelle configuration aura sans doute du mal à offrir cette lisibilité. L’évolution du taux d’abstention, qui a connu de nouveaux records, ne cesse d’inquiéter les observateurs politiques. L’analyse des résultats ne se base que sur un peu moins de la moitié des électeurs européens. Dans des pays comme la Slovaquie, ce sont moins de 20% des électeurs qui se sont rendus aux urnes. Les causes de cette abstention ont été largement interrogées: désintérêt pour les enjeux européens ? Méconnaissance ? Sentiment d’impuissance et fatalisme ? Perception trop diffuse de la scène politique européenne ? Quoi qu’il en soit, le contraste est saisissant entre le lapin posé par plus de cinquante pour cent d’électeurs à la démocratie européenne et les exigences d’une démocratie plus participative via l’organisation de référendums sur la constitution européenne 1 . Il l’est tout autant entre l’évolution d’un Parlement qui devient une réelle force politique et la baisse constante du taux de participation : si le « déficit démocratique » se comble progressivement au niveau institutionnel, il se creuse inexorablement au niveau de la représentativité et de la citoyenneté. En ce qui concerne les résultats de ces élections et l’évolution du rapport de force entre groupes politiques, on soulignera en particulier que le groupe du Parti populaire et européen – Démocratie européenne (PPE-DE) assoit sa domination dans la nouvelle assemblée, prenant près de dix pour cent d’avance sur son concurrent direct, le groupe du parti socialiste européen (PSE). Ce résultat était prédit par de nombreux instituts de sondages, parfois plusieurs mois avant les élections. Les principales raisons en sont connues : les pays d’Europe centrale et orientale ont apporté assez massivement leurs troupes à ce groupe de centre-droite conservateur : 14 élus tchèques, 19 élus polonais, 13 élus hongrois… Ce sang neuf a permis au PPE-DE de compenser, voire de masquer, ses importantes pertes dus à des votes nationaux de contestation dans des pays comme l’Italie (Forza Italia) et le Royaume-Uni (où même sans être au pouvoir, les conservateurs ont encaissé une lourde défaite par rapport à leur score de 1999). Assurément, l’élargissement fut une bonne opération politique pour le PPE-DE. Aujourd’hui, ce groupe détient 268 sièges sur un total de 732, ce qui lui donne 36,6% des voix européennes. En pourcentage, cette victoire est en réalité une légère défaite puisqu’il vient 37,4%. Cela étant, le PPE-DE a su amortir le départ de certains de ses membres pour le nouveau groupe ADLE (cf. ci-dessous). Du côté socialiste, la déception est grande, puisque l’on perd deux pour cent par rapport à la précédente législature (de 29,4 à 27,3%) avec un écart qui se creuse face au PPE-DE. Le PSE détient un total de 200 sièges ; mais il est intéressant de noter qu’au sein même du groupe de 1 Pour la première fois, des référendums devraient se tenir dans près de la moitié des États membres : France, Belgique, République tchèque, Danemark, Irlande, Espagne, Royaume-Uni, Portugal, Pays-Bas, Luxembourg, Pologne...

CDrevnouv04

Embed Size (px)

DESCRIPTION

EEE

Citation preview

  • - 1 -

    A paratre dans le numro de septembre 2004 de la Revue Nouvelle, mensuel sociopolitique et culturel, Bruxelles. lections europennes - Un Parlement dispers Christophe Degryse, Observatoire social europen Les lections europennes de juin dernier ainsi que la session constitutive de la nouvelle assemble en juillet ont reprsent le premier exercice de dmocratie europenne lchelon de lUnion largie. Le rsultat de lexercice est plus que mitig si lon en retient le taux dabstention particulirement lev, les marchandages entre groupes politiques pour la nomination du nouveau prsident de la Commission, lhtrognit accrue des forces politiques et la monte en puissance du populisme. lheure o le trait constitutionnel tente de donner plus de lisibilit au projet europen, le Parlement dans sa nouvelle configuration aura sans doute du mal offrir cette lisibilit. Lvolution du taux dabstention, qui a connu de nouveaux records, ne cesse dinquiter les observateurs politiques. Lanalyse des rsultats ne se base que sur un peu moins de la moiti des lecteurs europens. Dans des pays comme la Slovaquie, ce sont moins de 20% des lecteurs qui se sont rendus aux urnes. Les causes de cette abstention ont t largement interroges: dsintrt pour les enjeux europens ? Mconnaissance ? Sentiment dimpuissance et fatalisme ? Perception trop diffuse de la scne politique europenne ? Quoi quil en soit, le contraste est saisissant entre le lapin pos par plus de cinquante pour cent dlecteurs la dmocratie europenne et les exigences dune dmocratie plus participative via lorganisation de rfrendums sur la constitution europenne 1. Il lest tout autant entre lvolution dun Parlement qui devient une relle force politique et la baisse constante du taux de participation : si le dficit dmocratique se comble progressivement au niveau institutionnel, il se creuse inexorablement au niveau de la reprsentativit et de la citoyennet. En ce qui concerne les rsultats de ces lections et lvolution du rapport de force entre groupes politiques, on soulignera en particulier que le groupe du Parti populaire et europen Dmocratie europenne (PPE-DE) assoit sa domination dans la nouvelle assemble, prenant prs de dix pour cent davance sur son concurrent direct, le groupe du parti socialiste europen (PSE). Ce rsultat tait prdit par de nombreux instituts de sondages, parfois plusieurs mois avant les lections. Les principales raisons en sont connues : les pays dEurope centrale et orientale ont apport assez massivement leurs troupes ce groupe de centre-droite conservateur : 14 lus tchques, 19 lus polonais, 13 lus hongrois Ce sang neuf a permis au PPE-DE de compenser, voire de masquer, ses importantes pertes dus des votes nationaux de contestation dans des pays comme lItalie (Forza Italia) et le Royaume-Uni (o mme sans tre au pouvoir, les conservateurs ont encaiss une lourde dfaite par rapport leur score de 1999). Assurment, llargissement fut une bonne opration politique pour le PPE-DE. Aujourdhui, ce groupe dtient 268 siges sur un total de 732, ce qui lui donne 36,6% des voix europennes. En pourcentage, cette victoire est en ralit une lgre dfaite puisquil vient 37,4%. Cela tant, le PPE-DE a su amortir le dpart de certains de ses membres pour le nouveau groupe ADLE (cf. ci-dessous). Du ct socialiste, la dception est grande, puisque lon perd deux pour cent par rapport la prcdente lgislature (de 29,4 27,3%) avec un cart qui se creuse face au PPE-DE. Le PSE dtient un total de 200 siges ; mais il est intressant de noter quau sein mme du groupe de 1 Pour la premire fois, des rfrendums devraient se tenir dans prs de la moiti des tats membres : France,

    Belgique, Rpublique tchque, Danemark, Irlande, Espagne, Royaume-Uni, Portugal, Pays-Bas, Luxembourg, Pologne...

  • - 2 -

    profonds changements dquilibre nationaux sont intervenus. Ainsi, le mauvais score des socialistes est principalement imputable aux Allemands (vote sanction contre Schrder et ses rformes sociales), aux Britanniques (vote sanction contre Blair et son engagement dans la guerre irakienne), aux Polonais (lourde sanction du SLD du premier ministre Belka)... Les socialistes sauvent les meubles grce principalement aux pays du sud (Espagne, dans le prolongement de la victoire de Zapatero aux rcentes lgislatives, Italie, Portugal et, surtout, France, o le PS ralise un trs bon score). Rsultat : lAllemagne cde son leadership au sein du groupe la France, qui devient de loin la premire dlgation nationale, avec 31 lus (+13 !). La principale nouveaut, au niveau des groupes politiques, est la monte en puissance du troisime larron : les ex-libraux du ELDR qui se transforment en Alliance des libraux et des dmocrates pour lEurope (ALDE). Un nouveau groupe n, notamment, de la volont du Franais Franois Bayrou, qui a attir lui onze dputs de lUDF (ce parti sigeait auparavant au PPE-DE), sept dputs italiens de la Margherita (formation de centre gauche de Rutelli, deuxime parti membre de la coalition italienne L'Olivier, voulue par Romano Prodi), la Liste Bonino, le MCC de Grard Deprez et quelques autres. Ce nouveau groupe rassemble donc des libraux (dont les Belges du VLD et du MR...) des centristes, des dmocrates-chrtiens et des lus indpendants qui tous se disent favorables la construction europenne, ce qui est lune de ses caractristiques principales. Inutile de prciser quil a suscit la fureur notamment des Franais de lUMP, qui auraient pu esprer, sans cette dissidence, constituer lune des plus importantes dlgations nationales du PPE-DE, mais qui se trouvent dsormais marginaliss. Si, contrairement au trs htroclite PPE-DE, le credo europen de lALDE ne fait aucun doute, il reste maintenant voir quelles seront ses positions sur les questions socio-conomiques, entre son aile librale et le centre-gauche. Du ct des Verts, le principal enseignement du scrutin est labsence de dputs cologistes issus des nouveaux pays membres de lUE. Le constat est assez dsesprant car il sagit du seul groupe ce point marqu par cette absence (le sont aussi, mais dans une moindre mesure, la gauche non socialiste et les souverainistes ; cf. ci-dessous). Comme si cela ne suffisait pas, les scores nationaux des cologistes sont partout assez faibles (en Belgique francophone, seul un dput, Pierre Jonckheer, est lu, contre trois dans la prcdente lgislature). Cette fois, cest lAllemagne qui sauve les meubles avec un rsultat presque miraculeux : 13 dputs lus (contre 4 dans la prcdente assemble). Le groupe des Verts est donc dsormais largement domin par sa dlgation allemande. Au niveau des rsultats globaux, sa performance est en lger recul par rapport aux rsultats de 1999 (5,7% contre 5,9%). Maigre consolation : il ravit de justesse la quatrime place au groupe de la gauche non socialiste GUE/NGL, qui enregistre un recul assez marqu d notamment aux pitres rsultats du parti communiste franais et des petites formations qui ne passent pas la rampe, ainsi qu la faiblesse des rsultats des formations communistes dans les pays de lEst ( lexception notable de la Rpublique tchque). Enfin, on enregistre une forte croissance des partis souverainistes, en particulier en Pologne (LPR, Ligue des familles polonaises, nationaliste, qui milite pour le retrait de lUE) et au Royaume-Uni (UKIP, qui demande lui aussi le retrait de lUE). Le groupe politique Indpendance et dmocratie (Ind/Dem) qui rassemble ces partis atteint un score inespr de cinq pour cent. Quant aux partis dextrme droite non affilis un groupe politique europen Front national, FP, liste Mussolini, Vlaams Blok, etc , on ny dcle pas de changements majeurs, si ce nest un lger tassement global (rosion de lextrme droite franaise, italienne et autrichienne).

  • - 3 -

    De ce rapide survol, on peut tirer un trange enseignement : si, globalement, il ny a pas de bouleversements profonds dans les rapports de force entre groupes politiques, cest surtout au sein de ces groupes que la situation volue. Les socialistes sont plus franais , les verts sont plus allemands et marqus louest, le PPE-DE est moins domin par le trio Allemagne-Royaume-Uni-Italie et mieux rpartis dans lensemble des tats membres (cest dailleurs le seul groupe qui possde des dputs dans les 25 tats membres)... Ce qui est trange dans cette volution, cest que les ractions nationales de rejet du pouvoir en place via une alternance se sont annihiles mutuellement. Les lecteurs britanniques et allemands ont sanctionn la gauche au pouvoir dans leur pays, mais les Franais, les Espagnols et les Italiens lont plbiscite (la gauche tant, dans ces pays, dans lopposition, lexception, trop rcente sans doute, de lEspagne). linverse, les Italiens et les Franais ont sanctionn la droite au pouvoir dans leur pays, mais les Polonais, les Hongrois, les Tchques lont confirme (dans lopposition chez eux). Etc. Avec, comme rsultat, le maintien global du rapport de force. Cela nous apporte si besoin en tait encore la dmonstration clatante de ce que les lecteurs fondent leurs choix lectoraux europens sur la base denjeux politiques nationaux. Comment, dailleurs, en serait-il autrement : les enjeux spcifiquement europens ont t absents des dbats politiques. Pour paraphraser dAzeglio (1861), si les lections europennes sont faites, maintenant, il faut faire des lecteurs europens. Cest--dire des lecteurs qui choisissent leurs lus en fonction des enjeux europens ; qui expriment leurs votes non pour sanctionner le pouvoir en place dans leur pays, mais pour exprimer leurs choix en matire de politique conomique europenne, en matire de services publics europens, en matire de politique sociale europenne, en matire de libralisation, etc. Doit-on avancer lhypothse que seul le vote de rejet par la contestation et non par lalternance , qui a donn aux formations politiques anti-europennes un succs sans prcdent, sest exprim sur (ou plutt contre) ces enjeux europens ? Toujours est-il qu lheure o la constitution europenne est appele tre ratifie dans lensemble des tats membres, les 37 lus du groupe Ind/Dem (anti-europens) se voient offrir une tribune de choix pour dfendre leurs ides. Le Franais Philippe de Villiers a dailleurs annonc, fin juillet, que ce groupe ferait campagne contre le projet de constitution. Autre enseignement : la fragmentation accrue du Parlement europen. Comme voqu plus haut, pour la premire fois un seul groupe politique, en loccurrence le PPE-DE, dispose dlus dans lensemble des tats membres. Mais, paradoxalement, cet atout revient un groupe qui est lui-mme extrmement dispers. Quont en commun la droite franaise de Chirac et celle, italienne, de Berlusconi ? Quont en commun le CDH et les conservateurs britanniques ? Cela tant, si lhtrognit du PPE est souvent pointe du doigt, on peut en faire de mme avec les socialistes : quont en commun les travaillistes de Blair et les socialistes de Di Rupo ? Les sociaux-dmocrates de Schrder et les socialistes espagnols de Zapatero ? Les rcents dbats sur la nomination du prsident de la Commission europenne, M. Barroso, ont montr quil manquait une colonne vertbrale au PSE. Si lon ajoute cette htrognit accrue le renforcement des groupes souverainistes et/ou populistes et/ou nationalistes, on imagine les difficults qui sannoncent dans les dbats politiques sur la constitution, sur ladhsion de la Turquie, sur les perspectives financires de lUE, sur lavenir des services publics Sur le plan des alliances possibles, le jeu est le suivant : le PPE-DE et le PSE ont conclu un accord technique pour se partager la prsidence de lAssemble au cours des cinq prochaines annes, ainsi que celle des commissions parlementaires. Il ne sagit, soulignent en choeur les deux groupes, que dune alliance technique, qui ne devrait ds lors pas avoir dimpact sur les dossiers politiques. Cela dit, en contrepartie de la demi-prsidence offerte

  • - 4 -

    au PSE (Josep Borrell), les socialistes ont t amens soutenir Barroso la prsidence de la Commission. Comme si cette dernire ntait pas un dossier politique Sur les questions conomiques et sociales, on peut sans doute sattendre des alliances ponctuelles entre le PPE-DE et le groupe ALDE tous deux ports sur le libralisme conomique , mais qui ne formeront ensemble que 48,6% des voix. Sur les liberts (p. ex. concentration dans les mdias), il est probable que lALDE sera plutt du ct des socialistes, des verts et des communistes, mais ce regroupement htroclite ne dpasse que de justesse les 50%. On voit ds lors limportance que pourraient prendre les petits groupes souverainistes, populistes et nationalistes, bien quils soient eux aussi trs htroclites sur le plan de leurs programmes : en juillet, la tentative de cration dun groupe de droite rassemblant le FN franais, le Vlaams Blok, le FP et dautres a chou. Il nen demeure pas moins quils seront sans doute ponctuellement en mesure de jouer un rle pivot. Il nest ds lors pas trs risqu de prvoir que le nouveau Parlement europen sera appel une culture du compromis large, dalliances et de coalitions, ce qui ne risque pas damliorer sa lisibilit. Paradoxal, lheure o lon renforce son rle et o lon tente, via la constitution, de simplifier le fonctionnement europen. La vision optimiste de la nouvelle configuration serait de considrer quil y aura plus de dbats et dargumentations. Quoi quil en soit, cest une toute nouvelle Europe (nouveaux pays membres, nouveau parlement, nouvelle Commission) qui sera appele, dans un premier temps, trouver ses marques, pour ensuite aborder des dossiers politiquement sensibles : le projet de constitution doit encore passer lpreuve du feu des ratifications, ce qui ne sannonce gure comme une sincure, les perspectives financires de lEurope pour 2007-2013 doivent encore tre labores, la question de ladhsion turque sera au centre des discussions en fin danne, tout cela dans le contexte de llargissement et de son encore long processus de transition et de rattrapage.

    volution des rsultats des partis francophones belges aux lections europennes (1979 2004)

    27,43

    34,04

    38,13

    30,44

    25,78

    36,09

    17,76

    24,14

    18,9

    24,25

    26,99 27,58

    21,2419,47

    21,2818,81

    13,3115,15

    5,14

    9,85

    16,56

    13,02

    22,7

    9,847,87

    4,1

    7,45

    0

    5

    10

    15

    20

    25

    30

    35

    40

    45

    1979 1984 1989 1994 1999 2004

    PSMRCDHECOLOFN

    Sources : CEVIPOL, Parlement europen.