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Ce plat pays qui n'était rien

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Ce plat pays qui n'était rien...de Marine de Belgique
C e p l a t p a y s
qu i n ' é t a i t r ien . . .
A Bénédicte et Guillaume, mes petits dunkerquois.
J.M.
Depuis Léon Moreel avec « Dunkerque, violence de la Flandre » personne n'avait entrepris de brosser un tableau glo- bal de l'histoire de notre cité; ceci d'autant qu'une société belge propose depuis plusieurs années la réédition de l'Histoire de Dunkerque du Docteur Lemaire, œuvre qui connaît toujours un grand succès.
Quand Monsieur Pierre Sallet m'a demandé une série d'articles pour son journal « Foyer Magazine » si je n'ai pas hésité à accepter, je me suis aussitôt trouvé devant un grave problème : « que vais-je raconter? tout a déjà été dit ».
Alors j'ai essayé de retrouver l 'âme et le cœur du petit garçon qui au lendemain de la guerre ouvrait les yeux sur les restes de sa ville et se posait des questions sur « l'avant avant- guerre ». Les yeux les plus naïfs sont souvent les plus clair- voyants.
Mais bien souvent ici l 'homme de mer a dominé le petit garçon...
Enfin, j'ai essayé de dire avec beaucoup d 'amour et peu de connaissances le passé du grand port auquel j'ai choisi de consacrer ma vie et mon savoir.
Je remercie particulièrement Gérard Sallet qui, succédant à son père, a, par sa gentillesse et sa patience, beaucoup contribué à cette réalisation dont j 'espère qu'elle plaira à tous les dunkerquois et surtout aux plus jeunes.
J. Messiaen.
CHAPITRE 1
Quand on ne possède aucun document écrit, aucune tradition orale ou légendaire concernant le passé le plus reculé d'un pays; quand les éléments naturels : le vent, la mer, les mouvements du sol ont fondu en sables, terres et tourbes les éléments vivants (plantes et animaux) ou inertes (épaves et vestiges); quand une espèce d'immense gouge a rasé les sols d'une région et qu'une titanesque presse a écrasé en un tout illisible les quelques marques d'une vie éparpillée, comment décrire l'aube d'un pays ?
Mais ne peut-on d'abord lire à même le relief les signes de son histoire? Sans faire appel aux savants géographes, au vocabulaire rigoureux des géolo- gues, le passé de Dunkerque peut étrangement se révéler à l'œil et cela... depuis Dunkerque.
Etant enfant, je me souviens d'une grande dune de l'ouest — aujourd'hui disparue — du sommet de laquelle certains soirs d'été (lorsque le nordet avait nettoyé le ciel alors exempt de fumées), je découvrais tout au loin ce que je nommais « mon pays ».
N'avez-vous jamais regardé vers le sud, un peu est et un peu ouest quand le ciel est clair?
Le sud? C'est vers le soleil à midi; là surgissent Cassel, le Mont des Récollets, Bergues, Saint-Winoc, hémisphères presque inconvenants sur une si vaste terre plane çà et là piquée de rochers.
Au sud-ouest, derrière Bourbourg la longue vague de terre semble bleue; au sud-est, les « monts » belges décrochent d'autres vagues de terres. Ces régions si lointaines et si proches présentent une couleur unie et sombre, on les croirait toutes boisées. La vaste plaine qui s'étale au pied de ces ondulations ressemble à une gigantesque pelouse bien tondue.
N'avez-vous réellement jamais remarqué cela? Si un jour vous le fîtes, vous avez découvert le Houtland de nos pères, le pays du bois, le pays des Ménapiens et des Morins. La partie basse sur laquelle apparaîtra un jour Dunkerque ils l'appelleront le « Blooteland », le pays découvert...
Il est établi qu'au quarternaire la mer emplissait puis se retirait de ces terres basses au rythme de la marée. Certains géographes très anciens ont même dressé de savantes cartes montrant les golfes de Mardyck et de Zuydcoote dont nous ne mettrons pas l'existence en doute. Continuons plutôt à bien regarder — toujours en béotien — notre relief du Blooteland.
Quand on roule de Téteghem vers Rexpoede, un décrochement de terrain de quelques mètres nous fait découvrir tout l'estran, du Rosendaël à Adinkerque.
De Spycker vers Pitgam le cyclotouriste du dimanche doit « pousser » un peu pour grimper une soudaine rondeur du terrain. Venant de Lille par l'auto- route et se trouvant à une quinzaine de kilomètres de la côte, une crête bien respectée nous amène à dominer du regard toute la Flandre Maritime.
Ces lignes accidentées du relief émergent de la mer quaternaire et les hommes se fixeront, d'abord sur les plus sûres d'entre elles, puis sur les autres. La mer commande toujours; il faut tenter de l'imaginer allant jusqu'à Saint-Omer (Sithiu), approchant Watten, enveloppant souvent Bergues... La nature travaille, les alluvions se déposent, les fonds s'amoindrissent, s'envasent.
Les prospections géologiques verticales (sondages) montrent qu'à Dunker- que après en moyenne trente mètres de sables et limons divers, apparaît le fond d'argile de Flandre. A Uxem la même base d'argile se situe après quatorze mètres de diverses alluvions et à Hondschoote il suffit d'un trou de six mètres pour ne plus rencontrer que cette bleuâtre fondation du pays flamand.
Laissons passer quelques millénaires géologiques; avec ces temps dont le nombre nous affole, lentement se produit la transgression dunkerquienne — terme bien savant qui fait la mer accoucher de notre sol...
Un jour vinrent les Romains. On sait de vrai qu'ils connurent bien des misères dans nos régions. Installés sûrement à Saint-Omer, Thérouanne, Boulo- gne, Cassel (Castellum Morinorum), les hommes de Jules César durent livrer de rudes batailles contre Celtes Morinus et Ménapus suivant qu'ils étaient du sud ou du nord de l'Aa. Mieux organisés, profitant des divisions tribales (chaque bour- gade avait son chef celte farouchement jaloux de son autorité et insoumis aux autres chefs celtes), les Romains s'installèrent durant les deux premiers siècles de notre ère dans plusieurs endroits du Houtland et du Blooteland. Ils construisi- rent trois voies partant de Cassel : vers Wylder puis Leffrinckoucke encore très visible de nos jours du haut du « mont»; la seconde courait vers Mardyck; la dernière prenait la direction de Furnes après Hardifort. Si la présence romaine est demeurée marquée par des signes certains en Houtland, elle a complètement disparu dans le pays plat. D'abord vers l'an 300 des pirates saxons ou frisons rasèrent la totalité de ces terres. Puis une nouvelle avancée de la mer jusqu'au pied du Houtland effaça toute trace de possibles villages romains (IV siècle). Cette nouvelle poussée des marées permet de fixer historiquement vers le qua- trième siècle l'apparition des villages de Pitgam, Drincham, Warhem et Bergues, les terminaisons en Ham et Hem prouvant la présence saxonne.
Il se peut d'ailleurs que c'est de cette époque que date le nom de ce pays : la Flandre, venant du saxon « Flaender Land », la terre des exilés. Mais sur ce sujet il existe d'autres versions toutes aussi acceptables.
En tout cas on sait avec certitude qu'un prédicateur nommé Martin parcourt la région en 397, ce qui met terme à la jolie légende des Dunkerquois, recher- chant son âne dans les dunes à la lueur de lanternes rustiques...
Saint-Martin : (Entrée de l'église Saint-Eloi)
Les Saxons organisent des avant-postes qui ne résisteront guère à la formi- dable poussée des Francs Saliens conduits par Pharamond entre 400 et 450. Ces Francs donneront des noms à ces bastions : Lederzeele, Broxeele, Winnezeele, la terminaison en zeele caractérisant le lieu fortifié.
A partir du cinquième siècle la mer se retire lentement. Certains pensent que l'homme favorise ce recul par des fossés, mais il s'agit là d'une hypothèse. Amené par des moines voyageurs — Omer, Winoc, Momelin, Folquin, Bertin, Eloi (vers 650?) — le christianisme se répand doucement parmi les rudes hommes des bois et des marais. Les noms de village en « kerque » apparaissent, ou en « cappelle » ou commençant par « saint » : Coudekerque, Brouckerque, Saint- Pierre-Brouck.
La tenace légende souvent évoquée, qui veut qu'Eloi ait bâti une église à Saint-Pierre avec l'aide de pêcheurs (Duyn-kerke) ne vaut rien : en l'an 650 la mer recouvre encore totalement les lieux connus.
Quelques décennies seront encore nécessaires pour que s'installent quel- ques audacieux pêcheurs devenus sûrs que le cordon de dunes (qui court de Grande-Synthe à Ghyvelde) soit d'une stabilité suffisante pour y vivre.
Nous n'allions plus tarder à passer de quelques huttes à un village, une paroisse, une cité, nous approchions déjà de l'an mille.
Maille de Bergues Saint-Winocq Collection G. MESSIANT
CHAPITRE 2
Nul ne put jamais étabir avec certitude une date valable de fixation des hommes à l'actuel emplacement de Dunkerque et de la création d'un embryon de cette cité maritime. Disons pour plaire à tous, qu'aux environs de l'an 900 existaient peut-être quelques huttes logées à l'abri d'une dune, jouxtant heureusement un faible cours d'eau à rias, La Panne. Tous les historiens l'ont affirmé : les villes naissent au bord des cours d'eau car ils favorisent les échanges : voyez Rouen, Lyon, Londres, Hambourg, etc. Certes La Panne n'a rien d'un fleuve, ce n'est même pas une rivière, mais les barques des pêcheurs accrochés à la dune côtière peuvent porter, à Bergues, et par la Colme en d'autres lieux, le hareng qu'ils échangent contre les céréales, le froment et la bière. Tout cela représente une vision plutôt intellectuelle et hypothétique de l'existence de Dunkerque avant l'an mille. Regardons une fois encore les choses d'un œil profane; chaque fois que je me rends en Belgique par la route côtière qui va de Zuydcoote au Perroquet, je suis intéressé par la disposition des petites maisons anciennes étroitement serrées, qui se succèdent depuis l'église de Bray- Dunes jusqu'à la frontière. Toutes sont très basses, tournées au midi, mais surtout appuyées, terrées contre la plus haute ligne de dunes côté terre. Visible- ment les hommes qui choisirent de bâtir là voulurent se protéger, s'isoler de la mer en laissant entre leurs maisons et elle la digue naturelle de sable. Alors j'imagine facilement que les premiers bâtisseurs de notre cité firent de même : à l'abri des plus hautes dunes, ils dressèrent leurs huttes, le dos à la mer, l'ouvert à La Panne. Je saurai même vous indiquer à quel endroit car cela est facile, la marque en est encore inscrite à même le sol : le sommet de la dune devait correspondre à la légère élévation de niveau marquée entre l'église Saint- Eloi et l'hôtel de ville. La rue du Maréchal-French (rue des Pierres) et la rue des Sœurs-Blanches devaient être l'axe même du premier hameau et si la fameuse rue Saint-Gilles de nos parents était si tortueuse c'est sans doute parce qu'elle suivait les tout premiers remparts de la cité, mais nous y reviendrons plus tard.
Ne peut-on imaginer meilleur endroit pour s'installer? La haute dune brise les plus mauvais vents marins, ceux du nord-ouest et protège le petit bourg pêcheur des regards inquisiteurs des ennemis qui circulent en mer; au pied de ce barrage s'étend un remarquable plan d'eau — l'actuel bassin du Commerce — donnant à la mer par l'est et communiquant avec les grosses villes de Flandre par l'ouest et le sud grâce au passage naturel qui deviendra écluse de Bergues puis sera comblé entre la sous-préfecture et les chantiers Ziegler.
Nous sommes toujours aux environs de l'an 900 et ce hameau qui se crée n'a pas encore d'existence officielle, il faudra attendre 1067 pour lire le nom de Dunkerque sur un document, mais nous en reparlerons.
Aucun texte ne m'enseigne de l'époque où nos ancêtres carolingiens de- vinrent assez pieux pour songer à bâtir une chapelle, mais il faut bien que leur église soit bâtie un jour pour que les hommes désignent ce hameau. Je suppose qu'on le nommait d'ailleurs de quelque chose comme « Westduynkerk »... Là encore il me plaît de regarder les choses en profane : sur le littoral belge on trouve Ostende et Westende; plus près de chez nous Oost-Cappel et Westcappel ; pareillement il existe Ostduynkerque tout de suite après la frontière mais son pendant Westduynkerque reste introuvable...
Si l'on regarde bien — je le disais au début de mon récit — à l'ouest de Dunkerque, il n'y a pas de grandes dunes, j'entends de la taille de celles désor- mais protégées que l'on voit encore à Zuydcoote. La meilleure preuve qu'il n'y a pas de dunes à l'ouest, c'est que pour y empêcher les incursions de la mer il fallut un jour construire la digue du Comte Jean si chère aux Mardyckois.
Donc si Ostduynkerque marque la fin orientale du cordon de sable — car bien entendu les hommes ne se fixèrent pas que chez nous — à la chute occidentale se trouve Westduynkerque et je suis convaincu qu'ainsi se nommait notre hameau à son origine.
Je parle sans cesse de la côte et des pêcheurs; certes ces hommes descen- dent des Celtes ménapiens mélangés aux saxons, aux francs-saliens, aux ruthè- nes même... Certes ils ne sont commodes, mais ils ne sont ni meilleurs ni pires que les autres kerles — c'est ainsi qu'on les nomme : les insoumis — qui peuplent tout le Houtland et le Blooteland. Ces kerles créeront bien des soucis à leurs seigneurs successifs, les comtes de Flandre descendant de Baudouin Bras de Fer.
On cite assez rarement dans l'histoire de notre région l'œuvre des comtes de Flandre. Abandonnons quelque temps Dunkerque (qui n'existe toujours pas d'ailleurs) pour évoquer la lignée de ceux qui gouvernèrent, depuis Baudouin Bras de Fer (864) jusqu'à Philippe d'Alsace (1168).
Bras de Fer, sur lequel une fort belle légende se conte toujours en Flandre naquit de la famille des seigneurs de Laon. En l'an 863 il « enlève » à Senlis la fille du roi Charles le Chauve, la belle Judith. Le pape accueille le jeune couple, apaise l'ire du roi français qui accorde avec son pardon à ce gendre audacieux l'administration du « pagus flandrensis », érigé pour la cause en comté « sous la protection et l'hommage de la France ». Cette remarque historique a son impor-
tance, elle confirme formellement l'origine française de notre Flandre qui n'a donc aucune vassalité à reconnaître aux Pays-Bas malgré les similitudes culturel- les et linguistiques.
Bras de Fer meurt en 879 et cette année-là la France du Nord subit la plus terrible des invasions normandes : pendant quatre ans les Vikings pilleront et détruiront, poussant leurs incursions jusqu'à Arras et Cambrai.
Louis III de France ayant écrasé et chassé les hordes rousses, Baudouin II, fils de Bras de Fer sort des pagus flandrensis dont les marais le protégeaient. Dès 883 il se fait reconnaître de gré ou par la force comme souverain des régions flamandes dont il fortifie les villes. On peut le considérer comme le véritable fondateur du Comté. Il s'éteint en 891 s'étant de son vivant rendu maître et seigneur de l'Artois, du Ternois et du Boulonnais. Arnoul 1 — dit le vieux — lui succéda laissant en 918 le Comté à Baudouin III son fils. Ce comte fit entre autres ceinturer le hameau de Dunkerque d'une palissade et d'un fossé côté des terres, créant ainsi un Burg fortifié (961). La rue Saint-Gilles, marquait avant guerre la forme curviligne de ces toutes premières fortifications.
Baudouin III meurt en 964, laissant à Arnoul Il — dit le jeune, il n'a que 10 ans — la responsabilité de la Flandre. Une heureuse époque de paix — c'était chose rare — s'étend jusqu'à sa mort en 988.
Baudouin IV dit le barbu, dirige-t-il à peine le pays que l'on assiste à une remarquable réorganisation tandis que le comte tient tête à ses grands voisins. Habilement il supprime les pagi qu'il érige en châtellennie, gardant pour lui le pouvoir administratif. Il ramène aussi l'ordre chez les moines du temps aux mœurs plutôt perverses et peu canoniques, particulièrement ceux qui sont à Bergues qui se nomme alors « Grœnberghe », le Mont Vert.
Baudouin IV meurt en 1034, son fils dit Baudouin de Lille continue son œuvre organisatrice dans une situation de paix habilement maintenue. Sa fille Mathilde épousera Guillaume le Normand, le futur conquérant.
Pendant les règnes de ces derniers comtes de Flandre Baudouin IV et V, deux soudaines montées de niveau de la mer furent à déplorer.
L'une se produisit en 1024 et l'autre en 1042 qui inondèrent tout le bas pays. Il semble qu'un grand nombre de paysans trouvèrent refuge dans le burg de Dunkerque dont l'existence sera quelques années plus tard citée pour la pre- mière fois dans un texte officiel. En effet une charte datant de mai 1067 et rédigée par Baudouin V autorise l'abbaye de Bergues à prélever la dîme sur treize lieux dont Dunkerque, sans que l'importance exacte de ces lieux y soit précisée.
Baudouin V meurt en 1070; lui succède son très jeune fils Arnoul III dit le simple ou le malheureux car il dut livrer la guerre à son oncle Robert le Frison et perdit la vie à la bataille de Bavinchove en 1071, il n'avait que 17 ans. Robert le Frison demeura six ans comte de Flandre qu'il laissa dans la paix à son fils Robert Il dit Robert de Jérusalem, en 1111.
Vers 1100 un nouveau cataclysme ruina les paysans du Blooteland, la mer une fois encore envahit le pays. Certes cela incita à construire de grandes digues
littorales, mais nombre de kerles quittèrent la contrée et s'installèrent en Grande- Bretagne dans le Northumberland, où ils gardèrent farouchement pendant des siècles leurs us et coutumes, leur langue et leur originalité.
Robert de Jérusalem s'illustra spécialement lors des premières croisades, ayant en particulier à ses côtés le fameux Boulonnais Godefroy de Bouillon. Robert Il fut un fidèle vassal du roi de France dont il désirait l'appui contre le royaume anglo-normand. Son successeur Baudouin VII mourut sans enfant et la Flandre revint au fils du roi de Danemark dit Charles le Bon. Il fut malheureuse- ment assassiné à Brugges en 1127 et alors la possession de la Flandre revint à Guillaume de Normandie petit-fils de Baudouin V. Mais le roi de France eut à découdre avec le rude Normand qui perdit la vie au siège d'Alost et c'est Thierry d'Alsace qui reçut la province qu'il remit à son fils Philippe d'Alsace en 1168.
Nous cesserons volontairement ici cette longue et fastidieuse énumération de comtes successifs car à partir de Philippe d'Alsace il existe des textes où Dunkerque apparaît comme une cité organisée et mon sujet se situe avant cette époque.
Je voudrai cependant achever cet exposé par un fait historique qui a une grande importance pour la suite des temps en Flandre, je veux parler de la révolte des Kerles vers 1140.
Le comte Thierry étant en croisade à Jérusalem, un certain Arnoul, origi- naire de Thérouanne parvint à soulever la couche la plus pauvre de la population contre les plus aisés. Bientôt apparurent deux camps qui ne cessèrent de s'entre- tuer : les Blavoetins du nom de leur chef, Blavoet et les Ingrekins partisans de Sigebert Ingerick, fidèle au comte.
Les guerres et la haine persistèrent longtemps et l'on peut se demander avec le docteur Lemaire si l'évocation des géants sous diverses formes par toute la Flandre ne trouve pas ses racines dans ces luttes fratricides. En fait, et je concluerai sur ces lignes, l'existence des géants me semble provenir d'un mélange de plusieurs sources :
D'abord des récits du temps de César qui fut impressionné par la force herculéenne de ses adversaires et leur taille élevée, supérieure à la moyenne latine.
Plus tard il se peut que les hordes ruthènes — dont la haute stature est connue — traversèrent le pays.
Après eux arrivèrent les Vikings et la légende est demeurée de ce grand « Nordman », Allowyn, recueilli blessé sur le sable dunkerquois
On peut enfin imaginer ainsi que le racontait Léon Moreel que l'apparition des géants matérialise d'une manière populaire la geste des Kerles, les petits se soulevant contre les grands.
Il n'en reste pas moins que Reuze — si élégant soit-il — terrorise les petits enfants. Mais il ne faut pas plus qu'une sortie du géant pour nous donner, à nous
autres Dunkerquois, une réelle fierté, un orgueil souvent critiqué ou moqué, nous qui sommes héritiers d'une tradition ancestrale où le sens de l'honneur côtoie celui du service, où le sens social est aussi vif que celui d'appartenir à une race de Kerles, difficiles à gouverner mais prompts à donner leur vie pour leur pays.
L'histoire de Dunkerque est là pour en fournir la preuve.
Reuze
CHAPITRE 1 - Ce plat pays qui n’était rien...
CHAPITRE 2 - “Le Burg marin des comtes de Flandre