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Chapitre 6: Les Souvenirs d'enfance Quand on suit la carrière de Marcel Pagnol, comme nous venons de le faire, en analysant ses œuvres les plus importantes de tous genres, il est évident que cet auteur mélange les éléments classiques et romantiques pour définir le monde dans lequel il vit. L'individu a le désir de s'affranchir du groupe qu'il n'avait pas à l'époque classique, mais à la différence du héros romantique, il a moins de valeur que le groupe. La communauté et sa survie sont valorisées plus que n'importe quel personnage individuel. Dans chaque étape de sa pensée, Pagnol considère les points de vue des individus qui se trouvent dans une position d'opposition au groupe, mais sa conclusion est toujours la même; pour que la collectivité continue à fleurir et à bien fonctionner, il faut que le désir de l'individu soit soumis au dialogue plus ou moins comique et parfois superficiel du groupe. Ce groupe est une société patriarcale et latine, provençale et méditerranéenne. La parole et les gens qui la manient bien sont les puissants du groupe. Celles et ceux qui sont étrangers, qui ne comprennent pas les règles de la 298

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Chapitre 6: Les Souvenirs d'enfance

Quand on suit la carrière de Marcel Pagnol, comme nous venons de le

faire, en analysant ses œuvres les plus importantes de tous genres, il est évident

que cet auteur mélange les éléments classiques et romantiques pour définir le

monde dans lequel il vit. L'individu a le désir de s'affranchir du groupe qu'il

n'avait pas à l'époque classique, mais à la différence du héros romantique, il a

moins de valeur que le groupe. La communauté et sa survie sont valorisées plus

que n'importe quel personnage individuel.

Dans chaque étape de sa pensée, Pagnol considère les points de vue des

individus qui se trouvent dans une position d'opposition au groupe, mais sa

conclusion est toujours la même; pour que la collectivité continue à fleurir et à

bien fonctionner, il faut que le désir de l'individu soit soumis au dialogue plus ou

moins comique et parfois superficiel du groupe. Ce groupe est une société

patriarcale et latine, provençale et méditerranéenne. La parole et les gens qui la

manient bien sont les puissants du groupe. Celles et ceux qui sont étrangers, qui

ne comprennent pas les règles de la société, ou qui n'ont pas accès à la parole sont

exclus de cette collectivité.

Ce dernier chapitre de ma thèse considère trois "romans"1 que Marcel

Pagnol a écrits vers la soixantaine. Le premier livre s'appelle La Gloire de mon

père (1957); le deuxième est Le Château de ma mère (1957), et le troisième

volume de cette trilogie a pour titre Le Temps des secrets (1960).2 Comme cette

trilogie parle de la jeunesse de Pagnol, biologiquement et chronologiquement, son

contenu précède les autres œuvres pagnoliennes, mais c'est en racontant ses

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Page 2: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

souvenirs d'enfance sous forme de roman, que Pagnol décrit tout son trajet d'auteur

et le développement de sa vision du monde et de son style littéraire. Cette œuvre

est donc une conclusion digne de la carrière littéraire de Marcel Pagnol.

Sans les numéroter et sans les titrer, Pagnol divise ses souvenirs d'enfance

en chapitres. Il est intéressant de noter qu'après les sept premiers chapitres (c'est-

à-dire, pages 11 à 43 de La Gloire de mon père), l'auteur a déjà mentionné les

membres principaux de la collectivité familiale et il a expliqué les principes de

l'appartenance à cette communauté. Mais le plus important est que cette

communauté, que Pagnol décrit en détail, est utile pour comprendre la vision du

monde de Marcel enfant. Cette vision-là informe toute son œuvre adulte.

La communauté dans les œuvres de Marcel Pagnol est définie ainsi: (1)

Elle est provençale, et elle s'oppose à Paris. Elle appartient au passé ou à un

monde idéalisé par la littérature romantique. (2) C'est un groupe fermé aux

étrangers qui ne permet pas à ses membres de le quitter. (3) Toute sa violence et

sa cruauté sont dans les dialogues et non pas dans les actions. La parole est

l'élément qui lie les membres du groupe; la parole est une force médiatrice, qui

encourage la tolérance. (4) Les menaces à son existence viennent de la nature et

d'un manque d'unité dans le groupe. Les humains dominent la nature qui les

entoure et les menace. (5) Les membres de la collectivité doivent pouvoir lire,

comprendre et interpréter les signes de la langue de la collectivité. Cette

communauté patriarcale respecte les vrais maîtres de la parole, car la langue cache

les secrets au lieu de les communiquer.

L'individu qui s'oppose à la communauté est défini ainsi: (1) C'est un

enfant, un naïf, un ignorant, un étranger, ou un muet. (2) Il est cruel et/ou cause

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Page 3: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

de la peine aux autres membres du groupe. (3) Entre le début et la fin de l'œuvre,

il apprend à lire et à interpréter les signes de la communauté. (4) Il attaque

l'autorité du père, mais il l'accepte à la fin.

La communauté dans La Gloire de mon père

(1) Dès la première phrase des Souvenirs d'enfance, Pagnol précise que

cette communauté est provençale et il faut que l'auteur (en tant que guide) explique

son monde aux autres. L'endroit où commence cette histoire est "la ville

d'Aubagne, sous le Garlaban"3. Comme le jeune Marcel du récit collectionne les

mots, l'auteur Pagnol n'hésite pas à énumérer des listes de noms géographiques: le

Plan de l'Aigle, l'Huveaune, la plaine d'Aix, Sainte-Victoire, Valréas, le Pont du

Gard, Orange, Marseille, Toulon, Saint-Loup et Saint-Esprit, pour ne mentionner

que certains. Le père de Marcel, Joseph, demande l'origine de noms comme "Tête

Rouge" et "le Taoumé," mais le paysan qui l'aide à s'installer dans les collines n'a

pas d'instruction pour les lui expliquer.

L'instruction induit le jeune Marcel en erreur, d'ailleurs, car quand il entend

le nom "Mond des Parpaillouns"4, il veut savoir s'il s'agit d'un noble. Son père

traduit le nom du vieux braconnier et dit à Marcel qu'il s'appelle Edmond des

Papillons. C'est ainsi que Marcel comprend qu'il n'est pas noble. Parlant de

Monsieur Bénazet, l'oncle Jules explique qu'il prononçait Bénazette,5 c'est-à-dire,

selon la prononciation du Sud où les consonnes finales sont prononcées. Le

lecteur est donc supposé être du Nord, de Paris.

Les plantes qui poussent en Provence sont, elles aussi, inventoriées: les

figuiers, les oliviers, les amandiers, les abricotiers et les clématites sont la flore du

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pays. S'y ajoutent quelques herbes de Provence comme: le pèbre d'aï, la

marjolaine, le romarin, la sauge, et le fenouil. Le vocabulaire est ainsi semé,

comme la terre provençale, d'herbes de Provence pour produire la couleur et

l'arôme locaux.

Cependant Marcel Pagnol ne s'arrête pas à l'énumération des sites

géographiques; il essaie d'expliquer le vocabulaire de Provence. Pour cela, il suit

la tradition littéraire du dix-neuvième siècle, et comme Paul Arène et Alphonse

Daudet, il parle de sa province natale aux Parisiens. Parlant de La Treille, il dit

que le village est entre deux vallons: "...le paysage était fermé à droite et à gauche,

par deux à-pics de roches, que les Provençaux appellent des 'barres.'"6 D'ailleurs,

les paysans là-bas parlent provençal et leur visage était celui de l'empereur

romain.7 Il évoque ainsi leur histoire aussi bien que leur culture.

Même en français, Pagnol parle de l'accent provençal; en effet, à cause de

leur père, qui est instituteur, et même examinateur au Certificat d'Etudes, Marcel et

son frère pensent que ..."l'accent provençal était le seul accent français véritable"8.

Si le lecteur était Provençal, ces explications ne seraient pas nécessaires.

Cette communauté appartient au passé ou à un monde idéalisé par la

littérature romantique. Dans l'avant-propos, Pagnol nous annonce que son œuvre

est "...un témoignage sur une époque disparue..."9; l'époque en question est celle

"...des derniers chevriers"10. Parlant de la "sagesse latine"11, l'auteur remarque que

la famille Pagnol est établie en Provence depuis plusieurs siècles.12 Et Marcel

appartient à ce pays et à son riche passé parce qu'il est né à Aubagne, de l'autre

côté et au pied du Garlaban. C'est le paysan qui affirme qu'il est autochtone.13

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Ainsi, Marcel découvre son passé et son appartenance à cette communauté qu'il

décrit.

C'est le savoir des générations passées qui est transmis aux générations

futures pour la survie du groupe. Une connaissance du pays dans lequel on vit est

essentiel pour survivre. Sachant, par exemple, que la Provence est "le pays de la

soif"14, les Provençaux valorisent chaque source. Par contre, puisque les gens du

pays se considèrent vivre "sur des terres qui étaient leur patrie..."15, ils ne voient

pas l'utilité d'avoir un permis pour chasser et ils sont tous des braconniers qui ne

dévoilent pas leurs secrets aux étrangers. Les Souvenirs d'enfance sont le récit qui

illustre comment un enfant traverse les étapes nécessaires pour devenir membre de

cette communauté.

Dans La Gloire de mon père, l'auteur peint les premières étapes de l'enfant

qui veut être initié à la société. La différence d'âge est une considération

importante, parce qu'en grandissant, les enfants apprennent les règles du groupe et

ont plus de possibilités pour y participer. Dans ce premier tome, nous découvrons

le petit Paul et Marcel, son frère aîné, Joseph, leur père, qui est moins âgé que

l'oncle Jules, son beau-frère. Puisque Marcel est le narrateur, il décrit son

initiation à la société des hommes. Il est entouré par Paul, son plus jeune

repoussoir, et par Joseph, son modèle idéal. Et l'ironie de la narration existe par le

dédoublement du narrateur adulte qui montre le point de vue de l'enfant et celui de

l'Académicien.

Marcel comprend qu'il faut parfois exclure Paul des activités ou même lui

mentir pour son propre bien, mais il n'est pas d'accord quand son père lui ment

pour les mêmes raisons. Le père Joseph est celui qui comprend tout--d'ailleurs,

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c'est l'instituteur qui communique les valeurs de la communauté à la génération

suivante.16

Joseph parle français (et non pas provençal comme ses ancêtres) parce que

c'est un fils de la Troisième République et il a les valeurs de l'école normale.

Joseph et ses cinq frères et sœurs sont entrés dans l'enseignement parce que leur

père a fini par croire que "l'instruction était le souverain Bien..."17. Ainsi, Joseph

est allé à l'école normale et il valorise la République et la Révolution; il est anti-

alcoolique et il reste très idéaliste. Son accent est provençal, mais il est

entièrement dévoué à la langue française et à sa culture. Il a accepté la civilisation

du vainqueur en gardant quand même la fierté de ses origines. Il aurait pu suivre,

comme certains de ses compatriotes intellectuels, le Félibrige et Frédéric Mistral.

Quand Jules épouse la tante Rose et devient l'oncle Jules, l'horizon de la

famille est élargi et une autre dimension est ajoutée au cercle familial, car Jules est

Catholique pratiquant et fonctionnaire; il vient du Roussillon, et il roule les

"rrrrrr."

Jules est l'ami du curé du village et il va tous les dimanches à la messe.

L'Eglise est l'ennemi des instituteurs de la Troisième République et les discussions

entre l'oncle Jules et le père Joseph sont un modèle pour les oppositions entre le

curé et l'instituteur dans la plupart des œuvres pagnoliennes. La belle-famille est

donc à la base de la communauté. Dans la famille, le rôle des femmes, Augustine

et Rose, est d'arrêter les conversations dont le sujet est trop enflammé. Quand il y

a un risque de vrai conflit, une des femmes détourne la conversation ou sépare les

deux hommes; l'effet de ce geste est que le dialogue du groupe est ménagé par un

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plus grand nombre d'interlocuteurs et la bonne humeur et une coloration normale

reviennent.

Quand les deux familles décident de louer ensemble la Bastide Neuve dans

les collines pendant les grandes vacances, elles commencent à connaître les

paysans et les habitants de La Treille. Ce mouvement vers la nature élargit encore

leur cercle de connaissances, et c'est cette nouvelle communauté observée par un

enfant de huit ans qui sera le monde idéalisé du narrateur de cette histoire.

La socialisation d'un enfant se fait quand il apprend à vivre en société.

Dans La Gloire de mon père, Paul et Marcel sont en train d'apprendre les règles de

la société, mais Marcel raconte aussi comment son père, instituteur naïf, ouvre les

yeux pour voir le monde--c'est-à-dire, le monde comme il est vu par son fils,

Marcel. Comme dans Topaze, les élèves comprennent souvent plus que leur

professeur.

Le petit Marcel qui conte cette histoire est en réalité l'Académicien Pagnol,

car en narrant, nous sommes toujours conscients des deux points de vue. Dans les

œuvres dramatiques de Marcel Pagnol, le dialogue est la technique employée pour

montrer les opinions différentes tandis que dans cette dernière trilogie, l'auteur a

un style beaucoup plus complexe et moins naïf qui dissimule les différences de

perspective mais ne les cache pas complètement. En voici quelques exemples: (1)

"Il faut dire qu'à cette époque, les microbes étaient tout neufs, puisque le grand

Pasteur venait à peine de les inventer"18. (2) "C'était un mercredi, le plus beau

jour de la semaine, car nos jours ne sont beaux que par leur lendemain"19. (3) "De

plus, je découvris ce jour-là que les grandes personnes savaient mentir aussi bien

que moi, et il me sembla que je n'étais plus en sécurité parmi elles"20. (4) Dans

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l'avant-propos, Pagnol explique: "...ce n'est pas de moi que je parle, mais de

l'enfant que je ne suis plus...C'est un petit personnage que j'ai connu et qui s'est

fondu dans l'air du temps, à la manière des moineaux qui disparaissent sans laisser

de squelette"21.

L'individu qui s'oppose donc à cette communauté est celui qui n'a pas

encore appris les règles du jeu. En l'occurrence, il s'agit de Paul, de Marcel, mais

aussi de Joseph--trois étapes du développement de l'individu qui fera partie de la

communauté quand il sera absorbé par elle. Joseph se permet de rire de son

collègue quand il se fait photographier avec un poisson qu'il a pêché; lorsqu'il sera

assez fier d'avoir dompté la nature en tuant les deux bartavelles, monsieur le curé

fera son portrait avec les deux oiseaux attachés à sa cartouchière.22 C'est cette

inclusion dans le groupe humain, avec ses faiblesses aussi bien que ses forces, que

fera de Joseph un membre de la société. Le groupe social s'élargit et devient plus

fort en nombre pour pouvoir affronter les dangers de la nature qui risquent de

détruire la collectivité humaine.

Marcel et Paul lisent beaucoup pendant leurs vacances à la campagne, et la

littérature fait partie de leur formation et de leur instruction en tant que membres

de la communauté. Leur père, examinateur au Certificat d'Etudes,23 croit qu'il y a

toujours une valeur éducative à chaque expérience, et même en vacances, Marcel

apprend la géographie, l'histoire, l'orthographe, et la grammaire tandis que Paul lit

les Pieds Nickelés.

D'ailleurs, les deux garçons jouent ensemble dans les collines et tout leur

savoir vient de James Fenimore Cooper (Dernier des Mohicans) et de Gustave

Aymard (Chercheur de Pistes). Les Indiens qu'ils cherchent à imiter sont les

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personnages de romans romantiques, et quand Marcel est tout seul dans la nature,

ses sources pour survivre sont ces deux auteurs-là.24 Nous comprenons donc qu'un

élément qui compose la vision du monde du jeune Marcel est un monde secondaire

créé par des auteurs. Ce monde forme le narrateur et Marcel Pagnol nage dans ce

courant littéraire qui est destiné aux jeunes, et qui fait partie de la connaissance

générale. Cette littérature et ces idées reçues aident à établir les individus qui font

partie de la communauté. Un groupe social est formé dans les écoles par la lecture

des mêmes textes. Aussi les œuvres de Pagnol sont lues aujourd'hui dans les

écoles en France.

La civilisation provençale est une culture en grande partie orale où les

parents, l'instituteur, et le curé racontent aux enfants les légendes et la

connaissance nécessaires pour survivre et pour créer l'esprit de corps. Les enfants

apprennent à l'école, mais aussi en famille et en écoutant les adultes. Marcel

Pagnol nous montre comment les histoires sont créées dans La Gloire de mon père;

il nous explique les faits, les points de vue et comment il a propagé l'histoire de

Joseph, le chasseur, "...Celui des Bartavelles!"25.

(2) Cette communauté est un groupe fermé aux étrangers qui ne permet

pas à ses membres de le quitter. Parlant de sa propre généalogie, Pagnol explique

que son grand-père maternel, Guillaume Lansot, est parti à Rio où il est mort de la

fièvre jaune dans "ce pays encore sauvage"26.

Mais même à l'échelle quotidienne, le petit Marcel n'accepte pas que ses

parents partent sans leurs fils; il commente: "Mais papa n'était pas là. Il était

partie avec sa femme, faire une excursion. Sans nous, ce qui me parut une

trahison"27.

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(3) Toute la violence et la cruauté de cette communauté sont dans les

dialogues et non pas dans les actions. La parole est l'élément qui lie les membres

du groupe; la parole est une force médiatrice qui encourage la tolérance.

Il y a un échange nécessaire pour le commerce dans cette communauté; il

peut s'agir d'un échange d'idées, d'un échange de paroles, d'un échange de

marchandises ou même d'un échange de sous. Quand Joseph va chez le

brocanteur, le marchand et le client discutent toujours le prix. Le narrateur

académicien nous explique, au sujet de ces discussions: "J'ai compris plus tard que

ce qu'il [mon père] achetait, ce n'était pas l'objet: c'était son prix"28. Il y a des

répliques comiques qui empêchent la colère des deux hommes, et le brocanteur ne

change jamais son prix (parce qu'il faut qu'il paie son loyer), mais il "allonge" la

marchandise.29 Cet échange aide donc à satisfaire le client aussi bien que le

marchand, et la bonne humeur règne.

La violence verbale est exprimée dans les dialogues; les phrases

contradictoires sont la forme du conflit acceptable dans le village. Joseph et les

autres "géants" (notons le point de vue de l'enfant) se disputaient, "...mais ils ne se

battaient jamais"30. C'est le débat qui remplace les actes violents.31

Pagnol l'Académicien observe: "Je crois que l'homme est naturellement

cruel: les enfants et les sauvages en font la preuve chaque jour"32. Si l'être humain

est né cruel, il faut qu'il apprenne à faire partie de la communauté, et celle-ci

n'accepte pas les actes cruels envers d'autres humains dans le monde pagnolien.

Dans le Parc Borély, à Marseille, le petit Marcel adore voir les canards

qu'il appelle "ces stupides animaux"33. Tout en leur adressant "des paroles de

tendresse," il leur lance des pierres.34 Il n'est pas suspect parce que ses mots sont

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gentils et cachent des actes méchants. Il explique même que les paroles "si

plaisantes et si affectueuses" attiraient les canards. L'enfant comprend donc que

les mots tendres sont employés pour appeler les canards, mais il n'a pas encore

appris que les mots peuvent remplacer les actes violents, comme dans le monde

des adultes. Par exemple, le jeune Marcel espérait "une bataille de grandes

personnes" parce qu'il y avait un "groupe vociférant"35. Il ne comprend pas encore

que c'est en discutant les différents points de vue que la violence est évitée, que

l'acte de la parole peut remplacer l'action violente.

Quand le petit Paul a envie de crever les yeux du paysan François, celui-ci

l'appelle "sauvage"36 et son père le gronde. Il faut donc apprendre aux enfants à ne

pas être violents envers les autres êtres humains. Cela fait partie du processus de

la socialisation et de l'initiation au groupe communautaire.

Il y a une cruauté dans les jeux d'enfants que le narrateur commente.37

Marcel dit "nos études commencèrent"38, parlant des fourmis "combustibles"39 et

de la capture des mantes religieuses. Les enfants ont envie de voir la bataille entre

les fourmis et les "pregadious"40 car c'est un divertissement enfantin.41 C'est,

d'ailleurs, en étudiant cette bataille que les enfants comprendront la force de

l'effort communautaire.

Les jeux indiens des enfants sont une imitation et une préparation à la

chasse car la parole dans ces jeux calme l'esprit des enfants (et des hommes) de la

communauté. Quand Marcel est seul dans les collines, il a peur et il ne sait pas

prier.42 Mais les leçons laïques et des proverbes de l'école publique viennent le

secourir. Aussi, pense-t-il au proverbe: "Aide-toi et le Ciel t'aidera"43. La

récitation de ce dicton et la considération de sa morale deviennent pour Marcel

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Page 12: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

aussi valables qu'une prière pour une personne croyante. En se répétant les

"formule[s] magique[s]" que Joseph avait apprises à son fils, celui-ci se calme et

sait comment agir. Joseph lui avait appris que "la plus belle phrase de la langue

française"44 est: "Il n'est pas besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour

persévérer"45. Les formules verbales mènent donc à la sagesse et à l'appartenance

au groupe.

La parole est une force médiatrice qui lie les membres de la collectivité.

Dans la belle-famille, les beaux-frères ne parlent que des vacances, car s'ils

parlaient de leurs opinions politiques ou religieuses, il y aurait des disputes qui

pourraient conduire à la violence. Dès qu'ils abordent quelque chose de sérieux,

leurs femmes changent la conversation et évitent ainsi des désaccords et de la

violence.

Un jour de pluie, Joseph fait faire une dictée à Marcel; il choisit une

homélie de Lamennais.46 Il s'agit de l'aventure d'une grappe de raisin. Le Père de

Famille la cueille dans sa vigne, mais ne la mange pas; il la rapporte à la Maison

pour l'offrir à la Mère de Famille. Celle-ci est émue, mais la donne en cachette à

son Fils, qui la donne sans rien dire à sa Sœur. La Sœur attend le retour du Père

qui la retrouve dans son assiette. Celui-ci serre toute sa famille dans ses bras en

levant ses yeux au Ciel.

Pour le petit Marcel, c'est une histoire incompréhensible et lorsque l'oncle

Jules lui demande pourquoi cette grappe fait le tour complet de la famille, Marcel

répond: "C'est parce qu'elle est sulfatée!"47. Jules éclate de colère et s'écrie:

"Voilà le résultat d'une école Sans Dieu!"48. A ce moment-là, Joseph répond à son

beau-frère en appelant Lamennais "un cagot...[qui]...pour édifier les fidèles...

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Page 13: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

[tombe] comme tous les curés, dans un absurde prêchi-prêcha"49. Il faut donc

arrêter les deux hommes parce que cette sorte de dialogue va désunir le groupe.

Une dispute entre Joseph et Jules s'ensuit. Il faut que les femmes, force

civilisatrice, arrêtent la discussion en proposant une promenade et en séparant les

hommes de la famille. Elles sont "...un éteignoir de la conversation"50. Après

avoir cherché les escargots dans les collines, Jules revient et "...il ne fut plus

question de Lamennais"51. Il avait circulé dans les collines et le dialogue sérieux a

cessé; quand il est revenu, les deux hommes ont repris leur conversation sur un ton

plus léger.

L'homélie de Lamennais est au sujet d'un échange de biens. Dans la

communauté pagnolienne, on échange aussi des phrases.52 Les femmes jouent un

rôle important en ce qu'elles arrêtent ou censurent le vocabulaire. Plusieurs fois, la

mère de Marcel lui dit: "--Pas de gros mots"53. La parole civilisée encourage la

politesse, la tolérance, et les formules dites "magiques" dans cette collectivité

provençale.

C'est la soi-disant étymologie du mot "bartavelle," un mot français et

l'image centrale de ce souvenir romancé, qui est le prétexte de la conversation

villageoise. L'origine de cette parole est provençale, comme les racines de la

collectivité, et Joseph entre dans le dialogue local pour préciser le sens de son prix.

Dans le village, tout le monde admire les bartavelles chassées et tuées par Joseph

et c'est en parlant de son exploit qu'il sera accepté comme membre du groupe. Il

circule, ainsi que la conversation, et il pose la même question à tous les habitants

(comme dans Le Tiers Livre de Rabelais où Panurge demande à tout le monde s'il

doit se marier); cette technique lui permet d'entrer en contact avec les gens et cela

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Page 14: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

engendre le dialogue. Il s'adresse à Mond des Parpaillouns, à l'épicier, aux

commères, à la bonne de Monsieur le curé, au facteur, aux enfants du village,

et même à Monsieur le curé. D'ailleurs, Marcel dit: "C'était la première fois que

je voyais mon père en face de l'ennemi sournois"54.

Officiellement, Joseph cherche Monsieur Vincent, archiviste à la

Préfecture et ami de l'oncle Jules; c'est lui le seul capable de vérifier l'étymologie

du mot "bartavelle." L'absence de Monsieur Vincent est donc essentielle pour que

Joseph le cherche partout au village..."et il alla même au cercle, pour demander

aux joueurs de boules s'ils ne l'avaient pas vu..."55. Comme nous avons vu dans La

Femme du boulanger, la parole circule indirectement dans le village provençal, et

souvent, il y a beaucoup d'interlocuteurs; cela donne l'occasion à tout le monde de

participer à la discussion. Il y a peu de transmissions directes de la parole dans

cette communauté pagnolienne et cela permet à tout le monde d'être inclus. Le

père de Marcel, par contraste à Jean de Florette, va parler aux hommes du café

bien qu'il ne boive pas.

(4) Les dangers viennent de la nature et d'un manque d'unité dans le

groupe communautaire; les humains peuvent et doivent dominer la nature qui les

entoure et les menace.

"La Bastide Neuve était la dernière bâtisse, au seuil du désert, et l'on

pouvait marcher pendant trente kilomètres sans rencontrer que les ruines basses de

trois ou quatre fermes du moyen âge, et quelques bergeries abandonnées"56. Par

cette description, on comprend que les collines reprennent leur droit sur les

humains et que la maison des vacances est à mi-chemin entre la nature sauvage et

la civilisation. Pagnol parle des dangers de la nature qui les entourent: "un serpent

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Page 15: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

boa," "un lion," et "un ours des cavernes"57; que ces bêtes soient réelles ou non n'a

pas d'importance, car ce monde est un monde créé dans l'imagination de l'enfant à

partir d'une base concrète. Parlant des gens qui vivent dans les collines, l'auteur

cite son père qui explique: "Dans l'ensemble, ils sont vraiment très pauvres, et la

chasse les aide à vivre"58.

Quand Marcel suit son père et son oncle à la chasse, l'enfant est

"l'intrus...dans le royaume de la nature"59. Lorsqu'il a peur, il cherche "...un

village..." ou "...du moins une route civilisée"60. L'enfant se sent déjà à l'aise parmi

les êtres humains où il est protégé par les gens de la communauté.

Bien qu'on voie des éléments de cruauté parmi les personnes du groupe, la

violence n'y est pas bien vue. La mère de Marcel lui parle de la méchanceté du

boucher61 quand ils habitent en face de l'abattoir. L'enfant s'y intéresse parce qu'il

n'a pas encore appris que la cruauté n'est pas tolérée. Quand les adultes ne font pas

attention, le petit Marcel jette des pierres à la tête du vieux canard dans le Parc

Borély.62 Et nous verrons, en étudiant la fable, la leçon que Marcel et Paul

apprennent en observant les insectes dans les collines.

Dans le monde pagnolien, ce sont les hommes qui dominent la nature et ils

le font par leur sagesse et par leur raison. La tante Rose, par exemple, a peur des

sangliers mentionnés dans l'histoire de l'oncle Jules. Mais Jules affirme qu'il n'y a

pas de sangliers en été et Joseph dit qu'ils fuient l'homme.63 Le danger est donc

minimisé.

Le petit Paul ne comprend pas encore que l'homme domine les outils.64 Il

croit "à la méchanceté active des outils pointus ou tranchants, et faisait peu de

différence entre une scie et un crocodile"65. Mais Marcel, en travaillant avec son

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père, apprend "l'intelligence de [ses] mains" et "la prodigieuse efficacité des plus

simples outils"66. L'homme a le pouvoir de dominer le monde autour de lui en

façonnant des objets qui l'aident à vivre; Joseph et Marcel réparent et

reconstruisent des meubles achetés chez le brocanteur; celui-ci les voit après et les

déclare être du style "rustique provençal"67. C'est l'appelation qui confirme la

chose, et il n'y a que l'homme qui a le pouvoir de la parole.

Il existe une tension entre le monde naturel et celui de la communauté. Les

hommes construisent leur village, mais la nature détruit la culture des hommes.

Décrivant les collines, le narrateur dit: "...on y avait, jadis, cultivé des vignes. Des

sumacs, des romarins, des cades les avaient remplacées"68. Si les hommes ne sont

pas constamment vigilants, la nature reprend ses droits. Joseph est très fier de

montrer à tous les villageois les deux bartavelles qu'il a tuées; il a le respect qu'il

mérite parce qu'il s'est montré plus fort que la nature.

Les conversations montrent comment les hommes domptent la nature; on

parle d'abricotiers, de la chasse et des insectes,69 parce qu'il y a "la victoire de

l'homme sur la bête"70. Le conflit entre l'homme et la nature est toujours présent,

car la nature menace de reprendre le terrain. "[U]ne bordure d'herbes folles et de

ronces, prouvait que le zèle du cantonnier était moins large que le chemin"71.

Décrivant une herbe, Pagnol dit que la baouco "...est vivace et vigoureuse, comme

toutes les plantes qui ne servent à rien"72. On a donc l'impression que les plantes

ne sont utiles que si elles le sont pour l'homme. Chez Pagnol, ce qui compte est la

communauté des hommes, les hommes qui s'entraident. Pagnol décrit ainsi l'unité

du groupe: "C'était une époque bénie, où les gens se rendaient service: il n'y avait

qu'à demander"73.

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Page 17: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

(5) Les membres de la collectivité doivent pouvoir lire, comprendre et

interpréter les signes de la langue collective. Cette communauté patriarcale

respecte les maîtres de la parole, car la langue cache les secrets au lieu de les

révéler à ceux qui ne sont pas initiés.

Le père de Marcel est Joseph, qui détient "la toute-puissance paternelle"74.

Joseph tient son autorité à double titre; d'abord, il est l'instituteur, celui qui est

chargé de transmettre le savoir du groupe à la prochaine génération;75 ensuite, c'est

le pater familias, chef absolu de la famille romaine et provençale.

Au début du récit, Marcel est très fier de bricoler avec son père dans

"l'atelier"76 où celui-ci fabrique les meubles pour l'été. Ces travaux n'ont pas duré

plus de trois mois, mais, selon le narrateur, ils "occupent cependant dans ma

mémoire une place considérable..."77. C'est en travaillant avec son père que

Marcel apprend "l'intelligence de [ses] mains"78, et cet endroit est interdit à

Augustine et à Paul.79 Les rites d'initiation au monde des hommes se font souvent

en exerçant un métier qui aide l'homme à dominer la nature et à être utile à sa

communauté.

Plus tard, Marcel est admis aussi à la fabrication des cartouches: il raconte:

"Je fus admis à y assister, car je fis remarquer qu'il s'agissait d'une 'leçon de

choses.'"80 Marcel comprend donc comment manipuler la situation pour faire

partie du groupe masculin, et pourtant, il n'est pas inclus dans la partie de chasse,

lui qui voulait tant "...aider [son] père dans son épreuve..."81 parce qu'il est encore

trop jeune.

Evidemment, il prend sa revanche (en devenant héros de l'histoire)

beaucoup plus tard en écrivant ses souvenirs d'enfance. L'enfant n'obéit pas à son

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Page 18: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

père, il quitte la maison et il entre en secret dans la société des hommes. Mais

désormais, il n'est plus innocent, car il sait maintenant que son père est aussi faible

et aussi vaniteux que les autres hommes. Revenant de la chasse avec son père et

son oncle, ayant servi de chien de chasse, Marcel parle de leur "entrée

triomphale"82 parce qu'il est avec les deux chasseurs. Seulement, il n'a pas encore

la parole; eux, ils racontent l'histoire. Marcel dit: "Je voulus parler à mon tour, et

dire ma propre louange, puisque les chasseurs m'oubliaient..."83. Ce n'est qu'une

cinquantaine d'années après que ce rêve sera réalisé.

Ce qui permet à Pagnol d'écrire tous les dialogues de cet été est qu'il aimait

écouter "...la conversation de ces vieux mâles..."84 qui parlaient de politique. Pour

Joseph, instituteur et père de famille, il y a "...une valeur éducative dans toutes les

catastrophes"85. C'est ainsi qu'il explique l'humour de Jules quand celui-ci raconte

l'histoire des tripes de Malbousquet.86 Malbousquet, manchot, s'était trouvé un

jour nez à nez avec un sanglier; il a tiré mais le sanglier a chargé. Malbousquet a

été mis en pièces, et l'on a trouvé "un long cordon jaune et verdâtre, qui avait bien

dix mètres de long: c'était les tripes de Malbousquet"87. Joseph dit: "Il est bon

qu'ils [les enfants] sachent que le sanglier est un animal dangereux..."88.

Les hommes sont ceux qui racontent, bien qu'ils fassent peur aux autres.

Jules fait peur à Augustine en contant l'histoire de Monsieur Bénazet, le Président

de la Société de Chasse, qui s'est tué en roulant du haut en bas des escaliers. Parler

de la poudre, "...la terrible substance qui avait tué tant de bêtes et tant d'hommes,

qui avait fait sauter tant de maisons, et qui avait lancé Napoléon jusqu'en

Russie..."89 éviterait peut-être de l'employer.

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Les maîtres de la parole dans cette communauté sont donc les aînés, les

fonctionnaires et ceux qui sont instruits. Quand le petit Marcel fait la

connaissance de Jules dans le Parc Borély, il sent qu'il y a une différence de

richesse (Jules est fonctionnaire). Il remarque: "Mais il était assez difficile de le

reconnaître de loin, car il n'avait jamais le même costume"90. Et puis, Jules avait

des gants, "signe incontestable de richesse, et d'une bonne éducation"91. Marcel ne

sait pas encore interpréter ces signes, mais il est conscient que cet étranger n'est

pas comme son père.

Pagnol nous explique comment le vocabulaire peut cacher la réalité des

choses au lieu de l'éclairer. Dans La Treille, le village des vacances, la famille

Pagnol ressemble à "des bourgeois distingués"92 parce qu'ils ont "une villa," "un

jardin," "une bonne," et "l'eau à la pile"93. Il faut cependant déconstruire ce

vocabulaire pour comprendre que ces mots peuvent être interprétés au sens très

large.

Par exemple, cette "villa" est "une ancienne ferme en ruine, restaurée trente

ans plus tôt par un monsieur de la ville"94; l'explication de "l'eau à la pile" est que

le monsieur de la ville "avait fait construire une grande citerne, accolée au dos du

bâtiment...il suffisait d'ouvrir un robinet de cuivre, placé au-dessus de l'évier, pour

voir couler une eau limpide et fraîche..."95. Le "'jardin' n'était rien d'autre qu'un

très vieux verger abandonné, et clôturé par un grillage de poulailler..."96. L'auteur

nous dit: "De plus, mon oncle avait décoré du titre de 'bonne' une paysanne à l'air

égaré, qui venait l'après-midi laver la vaisselle et parfois faire la lessive, ce qui lui

donnait l'occasion de se laver les mains...."97.

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La narration principale de ce volume est l'histoire du développement de

l'auteur en tant que membre du groupe et même de l'Académie Française; le

narrateur est précisément cet auteur. Cependant, il y a de l'ironie parce que

certaines choses sont racontées du point de vue du garçon naïf. Pourtant Pagnol

annonce dans l'avant-propos, parlant du récit de l'innocent: "Cependant, c'est moi,

qui vais rédiger son récit"98. Le narrateur, né à Aubagne, comme l'abbé

Barthélémy,99 autre membre de l'Académie Française, s'établit, dès le début

comme l'historien. Son public se compose de Parisiens, car il décrit le Parc Borély

comme "...une sorte de parc de Saint-Cloud, au bout du Prado de Marseille"100.

L'auteur est le personnage le plus puissant de la communauté parce qu'il

crée les histoires et les légendes. D'ailleurs, c'est lui qui décide combien de place

les choses occupent dans la mémoire collective.101 Pour que l'auteur se développe,

il faut qu'il apprenne à façonner des tranches de réalité dans un moule pour former

un ensemble littéraire. Ses outils sont les mots; le mensonge et la fiction sont ses

instruments de travail. L'individu qui s'oppose à la communauté représentée par

Pagnol dans La Gloire de mon père est donc Joseph, le père, parce que c'est

l'instituteur qui n'enseigne que les vérités et les leçons de l'école laïque. C'est à

l'auteur Pagnol de déconstruire ce monde de la littérature et des sens à la lettre.

Une des leçons les plus importantes pour le jeune Marcel est que le langage

cache les secrets et que le langage est une force médiatrice entre l'acte et le mot.

Quand Marcel découvre que Jules est "un imposteur"102, il dévoile en même temps

le monde du mensonge et de l'hypocrisie. Il dit: "De plus, je découvris ce jour-là

que les grandes personnes savaient mentir aussi bien que moi, et il me sembla que

je n'étais plus en sécurité parmi elles"103.

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Marcel traverse petit à petit le seuil du monde du mensonge. Par exemple,

il déduit qu'il peut mentir à son petit frère Paul "...parce que c'est pour son bien"104.

Jules profite de cette déduction de la part de Marcel pour lui réitérer: "...il est

permis de mentir aux enfants, lorsque c'est pour leur bien"105. Pourtant, c'est le

petit Paul qui explique à Marcel que l'oncle Jules lui a menti; Marcel, toujours

sous l'influence de son père et de la littérature romantique, emploie des mots

comme "trahison"106, "scélératesse"107, et "imposture"108 parce qu'il a désormais la

certitude que "...les Visages Pâles ont la langue double!"109.

Alors, pour faire partie de la communauté, Marcel apprend à mentir à son

père.110 Ensuite, pour cacher la pauvreté de leur vie, Marcel raconte le "palais,"

c'est-à-dire, leur appartement de la rue Terrusse--à l'école. Le jeune élève

commence à créer son monde et à l'idéaliser en utilisant son vocabulaire; c'est

l'auteur futur en formation. Tout son monde, d'ailleurs, est basé sur le monde

romantique qu'il connaît grâce à la littérature. Ses modèles sont les contes

d'Andersen et ceux d'Alphonse Daudet qu'il lit.111

Pagnol commence à développer ses métaphores et à décrire le pays qu'il

traverse. Exactement comme le "wattman" du tramway dirige "le chariot de

l'aventure et de l'espoir"112, l'histoire et le tramway s'élancèrent vers l'avenir et

l'aventure.113 Le jeune Marcel explique: "Je fus séduit par ce personnage tout-

puissant, auquel s'ajoutait un grand mystère, car une plaque émaillée défendait à

quiconque de lui parler, à cause de tous les secrets qu'il savait"114. La narration

poursuit son chemin et l'auteur dit qu'il n'a jamais "retrouvé sur les machines les

plus modernes, cet orgueil triomphal d'être un petit d'homme, vainqueur de

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l'espace et du temps"115. On peut se demander si Pagnol parle du tramway ou de la

caméra dont il se servira plus tard.

L'auteur dépeint donc sa vision du monde idéal; c'est une société parfaite

où les mots ont un pouvoir total. C'est la parole qui permet d'exprimer des

opinions différentes sans aboutir à la violence. Le déménageur, par exemple, est

insulté par Jules car celui-ci lui dit: "Vous êtes...un ivrogne et un imbécile"116.

Celui-là répond: "Je ne sais pas ce qui me retient de vous casser la figure"117.

Mais il ne le fait pas parce que ses mots ont remplacé l'acte violent. Lorsque le

déménageur demande un pourboire, Joseph prend l'expression littéralement et lui

répond: "Vous avez assez bu comme ça..."118.

L'opposition, mise en jeu par le dialogue, est toujours nécessaire dans le

monde pagnolien. Sans points de vue différents, la conversation n'est pas possible.

Le narrateur explique ainsi le jeu des enfants: "...la guerre étant le seul jeu

vraiment intéressant, nous ne pouvions pas appartenir à la même tribu"119.

L'outil de l'auteur, c'est son vocabulaire, et Marcel, dès le plus jeune âge,

collectionne les mots "pour le plaisir de les entendre"120; il note des mots comme

"grenade," "fumée," "bourru," "vermoulu," et "manivelle." Il aime le son des mots

plus longs tels que: "damasquiné," "florilège," "filigrane," "archiépiscopal," et

"plénipotentiaire"121. Il ajoute: "C'est là que j'ai compris pour la première fois que

les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images"122. Pagnol

arrive même à y mettre le mot le plus long de la langue française,

"anticonstitutionnellement"123. C'est comme ceci qu'il justifie son inclusion de ce

mot: "...ce n'est qu'au bout de plusieurs jours que je pus maîtriser ce monstre, et je

me promis de l'exploiter..."124.

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Pour transformer la matière première du conte, c'est-à-dire, les expériences

de sa vie, comme pour dominer la nature qui menace la communauté des hommes

(car la littérature est une forme artistique et collective de la survie des hommes), il

faut travailler et répéter. Le petit Marcel, pendant ses vacances dans les collines,

écrit "Chant de mort d'un chef comanche"125, façonné après les livres de Fenimore

Cooper. C'est un exercice de style.

Le vocabulaire que Marcel apprend à l'école et auprès de son père est celui

des instituteurs. Mais même son père ne connaît pas le mot "la bartavelle" ("...ce

gibier...si rare que Joseph, lui-même, n'en a jamais entendu parler!")126. La

terminologie apprise à l'école est donc élargie par celle des gens des collines et

l'oncle Jules montre à la famille Pagnol une autre méthode pour causer avec ces

gens-là.

Jules ne parle jamais directement avec les habitants des collines, et il

montre donc à Marcel et à Paul, mais aussi à Joseph, une méthodologie différente

pour faire circuler la parole. Les braconniers du pays se méfient des étrangers, et

pour avoir des renseignements, il faut trouver un biais pour les interroger. Puisque

Joseph "...n'avait jamais tué ni poil ni plume"127, Jules lui explique qu'il ajoute de

"la malice"128 à ses questions. Au lieu de demander quelle sorte de gibier on

trouve dans les collines, l'oncle leur demande quelle sorte de gibier ils pourraient

lui vendre. Marcel commente: "J'admirai cette ingéniosité, mais il me sembla

qu'elle allait contre nos principes"129. L'enfant commence alors à se rendre compte

de la diversité du monde réel et perçoit d'autres façons de penser que celle de son

père.

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Bien que le jeune Marcel sache que le monde appris à l'école ne ressemble

pas exactement à sa vie vécue, il est "...indigné qu'il [Joseph] eût gardé un [si

beau] secret..."130. Le secret est le fusil caché dans la chambre des parents. Joseph

l'a probablement acheté chez le brocanteur, mais en annonçant à Jules que son père

lui a donné l'arme, il transforme l'antiquité "...en un respectable souvenir de

famille..."131. La leçon pour Marcel est très importante; c'est ainsi qu'il comprend

comment les mensonges, les exagérations et les fictions transposent les objets et

les événements quotidiens en art. Voilà toute la valeur de la littérature.

Au début de l'histoire et de l'expérience, l'enfant est honteux et humilié que

son père ne sache pas tout.132 Mais le dialogue est l'échange des idées et il permet

aux individus de recevoir le savoir des autres membres de la communauté.

Pourtant, il faut que les enfants apprennent à vivre comme leurs parents parce que

"...comme les enfants viennent trop tard pour faire l'éducation des parents, il faut

respecter leurs incurables manies..."133.

Petit à petit, en comprenant les règles du jeu, les enfants sont acceptés dans

la collectivité. L'enfant Marcel apprend en écoutant les grands, mais il nous

montre aussi qu'il y a beaucoup de mots qu'il ne comprend pas quand il est jeune;

il les écrit phonétiquement, comme il les entend: "lagabèle," "les radicots," "les

framassons," "les jézuites," et "tartuffes" par exemple.134 Pour comprendre la

langue du groupe, il est nécessaire d'écouter les autres, mais aussi de comprendre

les mots et leurs connotations. Il est donc important d'étudier l'histoire de la

communauté pour la compréhension du vocabulaire.

L'auteur, comme l'instituteur, mais à une plus grande échelle , est celui qui

transmet les renseignements d'une génération à la prochaine. Marcel Pagnol nous

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donne un exemple de la création d'une légende en écrivant La Gloire de mon père.

Comme d'habitude, l'image centrale du style pagnolien peut être interprétée

littéralement et figurativement. Le jeune Marcel désobéit à son père et va à la

chasse à l'insu de son père et de son oncle. C'est le petit qui, en jetant des pierres,

créa "...l'essor de la compagnie...de perdrix"135.

Cette action de la part de Marcel est la cause du triomphe de Joseph; c'est

grâce à Marcel que son père devient le héros en faisant "le 'coup du roi' et en

double!"136. (Cela veut dire qu'il a tué deux bartavelles.) Et c'est également grâce

à Marcel que l'exploit est connu de tous, car Marcel Pagnol de l'Académie

Française l'a rédigé. Marcel est donc le témoin aussi bien que la source du succès

de son père et, en tant qu'auteur, il sait le secret de la création du mythe de la

littérature et de la légende sur lesquelles la communauté est basée. Il pense ainsi à

"...la gloire d'une tentative courageuse, et d'un retour périlleux qu'un récit pourrait

embellir"137.

Pagnol, l'Académicien, nous démontre la matière première et la

transformation de cette matière en art, après avoir circulé par la parole dans le

village, car "[d]epuis ce jour-là au village, quand on parlait de mon père, on

disait ...le Chasseur!...Celui des Bartavelles!"138. Alors, à cause des bartavelles,

Joseph est entré en conversation avec tous les gens du village, y compris le curé.

D'ailleurs, c'est celui-ci qui a fait la photo de Celui des Bartavelles, "l'image de son

apothéose"139. En abandonnant son innocence et sa naïveté, Joseph fait partie de

l'humanité; il a les mêmes faiblesses que tout le monde et il aime montrer sa gloire

aux autres. Quand Marcel a haussé les perdrix en l'air, son père est devenu le

héros du groupe. Marcel levait littéralement "...vers le ciel la gloire de [son] père

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en face du soleil couchant"140. Marcel porte les bartavelles littéralement, mais la

vraie arme triomphale (et figurative) dont parle Marcel n'est pas le fusil, mais la

plume de l'auteur qui écrit ce récit qui fait partie maintenant du patrimoine de la

Provence, et même de la France.

L'individu

L'individu qui s'oppose à la communauté provençale des collines est celui

du titre, c'est-à-dire, le père. Le rôle du père est important dans cette communauté

patriarcale, et nous avons déjà analysé celui du père de Marius et celui du père

d'Angèle. Ce n'est pas une coïncidence si Joseph est instituteur, celui qui est

responsable de transmettre la moralité, les règles et l'histoire de la collectivité à la

prochaine génération. Nous avons compris l'importance de ce rôle dans Topaze,

dans La Femme du boulanger, et dans Manon des Sources. Quand un personnage,

Joseph par exemple, joue le rôle du père et de l'instituteur, ce personnage est

chargé d'un sens double dans le monde de Marcel Pagnol.

En effet, Pagnol nous montre d'où viennent tous les autres personnages en

nous permettant de revisiter avec lui son monde enfantin. De plus, on voit le

développement de Joseph en le comparant à Paul et à Marcel; ces deux enfants

sont des étapes sur le chemin de la prise de conscience de l'adulte qu'est Joseph.

Entre le début et la fin de ce premier volume des Souvenirs d'enfance, Paul,

Marcel et même Joseph apprennent à interpréter des signes de la communauté; le

lecteur voit donc le processus de l'initiation dans le groupe. Le petit Marcel,

déposé dans la classe de son père pendant que sa mère fait des courses, prouve

qu'il sait lire, littéralement.141 Marcel parle de son père en disant: "Je crois qu'il

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eut ce jour-là la plus grande joie, la plus grande fierté de sa vie"142. L'instituteur

sait que c'est la première étape envers l'appartenance à la communauté.

Marcel apprend à lire littéralement, mais il lui reste maintenant à savoir

interpréter tous les autres signes du groupe communautaire. En décrivant l'oncle

Jules, par exemple, il montre son point de vue naïf en disant que les gants sont un

"signe incontestable de richesse"143. Le lecteur est supposé comprendre l'ironie de

la phrase.

Marcel Pagnol découvre, comme le narrateur Marcel, dans A La Recherche

du Temps Perdu, comment transformer le monde autour de lui en un monde

littéraire. Proust décrit le monde aristocrate et parisien, tandis que Pagnol parle de

la communauté paysan et provençal, mais dans chaque monde, il y a des règles

auxquelles il faut obéir pour être accepté. La place de l'individu dans sa propre

société est peut-être la question la plus importante de l'art du vingtième siècle.

L'identité du groupe est opposée à celle de l'individu, parfois artiste, et puisque les

individus ont besoin de la collectivité pour survivre (à la fois sur le plan

économique et sur le plan psychologique), il est nécessaire d'intégrer tous les

individus dans le groupe.

Dès un très jeune âge, les enfants savent que les secrets existent,144 mais ils

se trompent en essayant de trouver leur vrai sens. Quand la tante Rose dit à

Marcel que Jules est le "propriétaire" du parc Borély,145 elle lui confie ce secret

pour qu'il ne répète pas à ses parents que Rose rencontre un homme dans le parc

tous les jeudis. Marcel est très heureux de savoir que les secrets existent et qu'il en

sache un, mais il ne comprend pas encore que ce secret en cache un autre, le vrai,

que Jules fait la cour à Rose.

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Il existe aussi le grand secret pour les enfants qu'est la naissance. Selon un

copain de l'école, Mangiapain, les enfants sortent du nombril de leur mère. Voilà

pourquoi Marcel essaie de percer le secret en attendant "un prochain

déboutonnage"146. Marcel écoute donc les conversations des adultes et tente de les

interpréter logiquement pour comprendre les lois de la nature.

On voit aussi le petit Paul sur la colline, écoutant l'histoire du sanglier qui

est séduit si l'on crie "...--le plus fort possible--vers la gauche: 'Ah! la belle

truffe!'"147. Ainsi, selon l'oncle Jules, il pivote sur sa gauche et l'on peut tirer sur

son épaule gauche. Paul ne rit pas avec les autres car il n'est pas sûr que ce soit

vrai. Donc, les enfants de tous les âges cherchent à comprendre la langue et ses

signes.

C'est pourtant le petit Paul qui comprend--et non pas Marcel--que Marcel

ne fera pas l'ouverture de la chasse avec les deux hommes.148 En observant les

actions de leur mère qui prépare les omelettes et les met dans les carniers avant de

les cacher dans le placard de la cuisine, il comprend la vérité et c'est lui qui

explique la situation à Marcel.

L'individu est donc opposé à la communauté jusqu'à ce qu'il comprenne

toutes les règles, les signes et le sens de ceux-ci. Joseph est en opposition à la

collectivité du village parce que c'est l'instituteur naïf qui croit, comme Topaze, au

sens littéral des mots. Avec l'aide de Jules, le père de Marcel sort un peu de ses

dictons, de ses dictées, et de sa doctrine, pour faire partie de l'humanité avec toutes

ses faiblesses. Mais Marcel est très inquiet pour son père, "comme le seraient les

enfants de notre vénéré président de la République, s'il leur confiait son intention

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Page 29: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

de s'engager dans le Tour de France cycliste"149. L'individu, même le président, est

toujours moins fort que le groupe.

C'est pourquoi Jules et Joseph s'entraînent ensemble pour chasser en

équipe. Marcel commence donc à comprendre que son père n'est pas tout-puissant

et que la collectivité est essentielle. Joseph veut que la communauté soit au

courant de ses exploits; d'ailleurs, si Joseph ne voulait pas communiquer la gloire

de son triomphe aux villageois, il ne serait pas entré en conversation avec eux. La

conclusion de ce volume est qu'il vaut mieux avoir des faiblesses, se montrer

humain, et faire partie du groupe, car Marcel déclare: "J'avais surpris mon cher

surhomme en flagrant délit d'humanité: je sentis que je l'en aimais davantage"150.

Il faut que l'individu montre sa faiblesse pour faire partie du groupe humain, car le

pardon est possible si tout le monde a des défauts. Pagnol l'explique en parlant de

la petite sœur; il dit: "...quand elle se mit à tituber et à bégayer, elle nous révéla

notre force et notre sagesse, et nous l'adoptâmes définitivement"151.

La fable

Comme la plupart des œuvres de Marcel Pagnol, celle-ci contient une

fable--et même une homélie. Celle-là se développe parce que Joseph conseille à

ses deux fils "l'observation minutieuse...des fourmis car il voyait en elles le modèle

du bon citoyen"152. Cette remarque fait penser, évidemment, à la fable de La

Fontaine, "La Cigale et la Fourmi," mais la morale tirée par le jeune Marcel sera

tout autre que celle du fabuliste renommé.

Pagnol montre la cruauté naturelle des enfants en décrivant comment ils

mettent en feu les fourmis qui "se révélèrent trop aisément combustibles"153. Alors

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Page 30: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

les deux garçons sont consolés par la capture de trois grands "pregadious," c'est-à-

dire trois mantes religieuses.154 Les enfants décident de déclencher une bataille

entre les deux plus grosses. Joseph leur avait dit "avec une certaine joie laïque"

que "la mante dite 'religieuse' était un animal féroce et sans pitié...qu'on pouvait

considérer comme 'le tigre des insectes'..."155.

Les deux garçons constatent que les mantes religieuses sont capables de

"vivre sans griffes, puis sans pattes, et même sans une moitié de la tête...." Pagnol

appelle ce divertissement "gracieusement enfantin"156 et souligne donc la cruauté

enfantine.

Avec la troisième mante religieuse, ils créent une bataille entre elle et les

fourmis et "cette heureuse idée [leur] permit de jouir d'un spectacle charmant"157.

C'est ici que la vraie fable de Pagnol commence au moment où "La Cigale et la

Fourmi" de La Fontaine a tiré sa conclusion:

Renversant brusquement le bocal, j'appliquai son ouverture sur

l'entrée principale d'une fourmilière en plein travail. Le tigre, étant

plus long que le bocal n'était large, se tenait debout sur ses

pattes de derrière, et profitait de sa tête à pivot pour regarder de tous

côtés avec une curiosité de touriste. Cependant une mousse de fourmis

sortit du tunnel et monta à l'assaut de ses pattes, si bien qu'il perdit

son calme, et se mit à danser, tout en lançant ses deux cisailles à

droite et à gauche: il ramenait à chaque geste une grappe de fourmis,

qu'il portait à ses mandibules, d'où elles retombaient, coupées en

deux.158

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Page 31: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Le "pregadiou" est comparé à Gulliver, maîtrisé par les liliputiennes, les fourmis,

qui avaient tetanisé ses pattes.159 Cette bête attaque quand même avec ses pinces

libres les fourmis qui l'entourent, mais bien qu'elle les coupe en deux, il y a

d'autres qui les remplacent et la bataille continue. Le petit Marcel se demande

comment cette situation qui paraît stabilisée va évoluer lorsqu'il remarque que les

réflexes des pattes de la mante ne sont plus aussi rapides, ni aussi efficaces

qu'avant. Finalement, la grosse bête arrête complètement ses mouvements. Après

que les fourmis l'ont abandonnée, elle reste debout et immobile, "les pinces en

prière"160. Marcel regarde de plus près et découvre "la tragédie"161: "les diligentes

ménagères démenageaient l'intérieur du 'pregadiou.'"162 Les deux enfants n'ont pas

compris au début parce que la mante religieuse ne pouvait pas extérioriser sa

torture et son agonie.

La morale de cette fable est claire; si les fourmis de la communauté

travaillent ensemble, il peut y avoir quelques morts en luttant contre l'ennemi, mais

la collectivité survivra. Les fourmis, modèles du bon citoyen (pour Joseph), sont

exactement comme les instituteurs et leurs disciples, tandis que la mante religieuse

ressemble plutôt au curé et elle est morte, d'ailleurs, dans une position de prière.

Pagnol prend donc position pour les fourmis en communauté.

Ce qu'il faut pour que la communauté survive est que les membres du

groupe soient unis et travailleurs. Le petit Paul a pitié de la pauvre bête qui est

tuée par les fourmis, mais Marcel a déjà les valeurs de la république et il dit:

"C'est bien fait pour lui...Il mange les sauterelles toutes vivantes, et même les

cigales, et même les papillons. Papa te l'a dit: c'est un tigre. Et moi, la colique

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Page 32: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

des tigres, je m'en fous"163. Marcel Pagnol crée une communauté où les petits

bourgeois et les paysans sont plus importants que ceux qui profitent d'eux.

Les références à cette fable continuent dans Le Château de ma mère.

La preuve que l'instituteur est comparé aux fourmis est que la ville, l'école et la vie

quotidienne, sont appelées "la fourmilière"164. D'ailleurs, pendant que le petit

Marcel apprend ses leçons par cœur, il regarde la pendule de l'école: "...sa grande

aiguille avançait par saccades, et je voyais tomber les petites minutes comme des

fourmis décapitées"165.

Par contre, la liberté de l'été est représentée par "[les] insectes chanteurs de

l'été, le petit peuple des vacances..."166. La fable créée par Pagnol est donc inspirée

par celle de La Fontaine, "La Cigale et la fourmi," mais la conclusion de Marcel

Pagnol est moins cruelle et encourage la participation de tout le monde dans la

collectivité villageoise.

Comme la mante religieuse, le jeune Marcel sera bouffé par les fourmis de

la communauté qui ne lui permettront pas son indépendance et son individualité.

Nous voyons ainsi les étapes par lesquelles il faut passer pour devenir un membre

du groupe.

La communauté féminine dans Le Château de ma mère

Comme le deuxième volet de La Trilogie M arseillaise concerne le monde

des femmes dans la communauté, ainsi le second volume des Souvenirs d'enfance

explore "l'autre" dans la communauté des collines. Le monde des hommes dans

Marius est celui du monde du commerce, pignon sur rue, tandis que les femmes

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Page 33: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

restent à la maison si elles ont les moyens. Sinon, comme Honorine et Fanny,

elles gagnent leur vie en vendant des coquillages.

Dans Le Château de ma mère, Marcel Pagnol contraste les chasseurs des

collines aux "autres," et surtout aux femmes et aux enfants. Quand les chasseurs

s'en vont pour la journée, il y a la mère de Marcel, sa tante, la petite sœur et son

jeune frère Paul à la maison.167 Le point de vue ne change pas car l'histoire est

narré par un homme, mais il essaie de considérer les autres perspectives.

Les femmes jouent le rôle de mère et sous leur influence, il y a les jeunes

enfants, Germaine et Paul. La tante Rose ne peut pas aller à la "villa" des collines

pendant les vacances de Noël parce que le petit cousin Pierre est trop fragile.

Entre ces deux mondes, celui des hommes et celui des femmes avec leurs

enfants, on voit Marcel et son ami Lili des Bellons. Les pièges (mis par Marcel et

Lili des Bellons et par d'autres braconniers) qui attrapent les petits oiseaux sont

semblables à ces années d'adolescence dans la vie du jeune Marcel qui est pris

entre l'enfance et l'âge adulte. Ce sont des garçons qui seront chasseurs un jour,

mais étant trop jeunes pour le moment, ils font le chien rapporteur et les rabatteurs;

ils mettent aussi des pièges de braconnier pour attraper les oiseaux. Ils sont donc

des apprentis destinés au monde des chasseurs, mais ils n'y sont pas encore arrivés.

Marcel et sa famille viennent de la ville. Marcel, citadin, est plus protégé

par sa mère que Lili qui habite toute l'année à la campagne. Ainsi, en mettant en

communication ces deux mondes, celui des collines avec celui des villes, la

communauté provençale s'élargit et l'on voit la différence entre les femmes de la

ville et celles plus près de la nature.

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Page 34: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Dans La Gloire de mon père, nous voyons l'intégration des fonctionnaires

de la ville, Joseph et Jules, au village qui vit entouré de la nature dans les collines.

Ces deux "étrangers" sont admis parce qu'ils acceptent de s'intégrer à cette

nouvelle collectivité. Ceux-ci apprennent à chasser et à la fin du livre, ils sont

connus et respectés dans le village parce qu'ils ont réussi l'initiation en réussissant

le coup des bartavelles.

Le deuxième tome, Le Château de ma mère, expose la manière dont on

arrive à être adulte participant à la communauté villageoise. C'est une description

de la vie des garçons toujours sous l'influence maternelle, mais qui deviennent de

plus en plus indépendants, allant vers l'état de développement de leurs pères, chefs

de famille et membres respectés de la communauté. Comme toujours, dans les

œuvres pagnoliennes, le point de vue est essentiellement masculin; le narrateur

explique le point de vue du garçon Marcel et ce qu'il suppose être les pensées de sa

mère, mais Augustine est l'objet du regard de son fils et du narrateur âgé qui

raconte l'histoire. La mère n'explique pas ses propres actions et l'auteur

nostalgique les interprète en songeant, sans doute, à ses propres expériences de la

vie. Quand le garçon sera accepté dans le groupe, il aura achevé l'histoire de

l'initiation; cette histoire principale est celle du garçon qui grandit et devient

adulte. C'est sa mère qui veut le retenir en le gardant dans l'enfance le plus

longtemps possible. Mais dans Les Souvenirs d'enfance, Marcel Pagnol explique

comment on peut devenir membre de la communauté provençale, et c'est une

collectivité logocentrique.

Le deuxième volume décrit donc le monde mystérieux des femmes, car

"...les hommes ne comprennent rien aux manigances féminines,..."168. Joseph, qui

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Page 35: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

n'oserait jamais demander un service personnel au directeur de l'école, ressent une

admiration scandalisée parce que sa femme "a le Génie de l'Intrigue!"169.

Les femmes semblent vivre plus près de la nature et elles vivent

naturellement, sans s'encombrer de toutes les lois de la société. Augustine pense

surtout au bonheur de ses enfants; Marcel aperçoit quand même sa faiblesse

physique et il voit qu'elle est souvent exténuée après leur voyage de quatre heures

à pied pour arriver aux collines.170

Cette faiblesse mystérieuse chez les femmes est la cause du titre de ce

livre, parce que si Augustine n'avait pas été si fatiguée et si fragile, la famille

n'aurait pas eu besoin de raccourcir le chemin. Un samedi du mois d'avril, Joseph

rencontre un ancien élève qui est maintenant "piqueur" du canal. Bouzique est

ravi de revoir son ancien maître et de pouvoir l'aider à arriver chez lui. Il lui rend

service, mais en même temps, il l'emmène sur le terrain d'autrui. Ici, l'ordre

normal des choses est renversé et le maître suit l'ancien élève. Il y a donc une

digression du droit chemin malgré le fait qu'on suit le chemin le plus court.

Ce qui entraîne Joseph dans la voie de l'illégalité est l'idée de rendre

service à la communauté. En aidant son ancien élève, il a la conscience libre.

Aussi, ne se sent-il pas coupable parce que ce sont des châteaux de nobles et

Joseph les déteste depuis l'école normale.171 Le quatrième château (dont la

gentillesse du propriétaire peut être jugé par la crête garnie de tessons tranchants

sur le mur devant le château) est gardé toute l'année parce que le propriétaire

habite Paris.172 Encore une fois, nous rencontrons cette opposition entre Paris et la

Provence, entre eux et nous. Le garde est toujours "saoul comme la Pologne" et il

a un chien de vingt ans qui est borgne.173 Augustine devient pâle quand elle voit

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Page 36: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

dans son imagination ce garde qui les empêcherait de réaliser les week-ends de

rêve pour sa famille, tellement elle a peur de lui.

Le dernier obstacle avant les deux mois de vacances en communion avec la

nature est "la porte noire, porte de l'inquiétude et de la liberté"174. Lorsque les

Pagnol arrivent devant "la dernière porte, la porte magique qui allait s'ouvrir sur

les grandes vacances..."175, elle est fermée avec une chaîne et un cadenas--ils sont

donc pris dans un piège comme les deux adolescents, comme les oiseaux des

collines et comme les animaux chassés. Voici alors toute la famille prise en piège

entre deux mondes.

Comme les gens de la colline, ils ont passé de l'autre côté de la loi et en une

minute, ils n'appartiennent plus à la communauté des lois. Que les transgressions

sont faciles à faire...et finalement, tout est relatif dans le monde de Marcel Pagnol.

Les frontières entre les collectivités ne sont plus si claires. Pagnol commente que

Rose et Jules ne sont pas avec eux parce qu'ils vont montrer le petit cousin Pierre

"qui commençait à parler vraiment"176 à des "étrangers" près de Perpignan.177

L'emploi du mot 'étrangers' choque; c'est subversif. Où en est la frontière

entre une collectivité et une autre? La définition de la communauté est donc mise

en question. Est-ce le village, la ville, la province ou le pays qui compose la

communauté? Parfois, les gens qui habitent à côté sont des ennemis héréditaires,

comme nous avons vu dans L'Eau des Collines.

La Provence est soumise à la France

La communauté de Marcel Pagnol est provençale et patriarcale malgré les

questions posées par le texte. Le personnage de Lili des Bellons représente,

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Page 37: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

comme Manon dans Manon des Sources, la Provence. C'est le jeune fils d'un

paysan, élevé dans les collines. Il vit en communion avec la nature, il parle patois

et il sait beaucoup de secrets de sa terre natale. Par exemple, Lili sait mettre les

pièges, il connaît le nom des plantes et les habitudes des oiseaux; il sait aussi lire le

ciel pour prédire les orages.

En mettant les pièges, Lili explique à Marcel le protocole des braconniers:

"'Il ne faut pas toucher les pièges des autres...Un piège, c'est sacré!'"178. Lili ajoute:

"'Quand on trouve un gibier dans un piège,...on a le droit de le prendre, mais il faut

retendre le piège, et le remettre à sa place.'"179 Il offre à son ami de lui apprendre à

mettre des pièges et Marcel admire ses talents: "Il s'élança d'un pas souple et

muet, comme un vrai Comanche qu'il était sans le savoir"180. Ce monde a des lois

qui ne sont pas écrites mais que les initiés connaissent et respectent.

Ce petit paysan connaît le nom des plantes de sa région aussi bien que les

habitudes de la faune. Dégageant un oiseau d'un piège, il dit à Marcel: "C'est une

bédouïde"181. C'est un genre d'alouette, mais il faut que Marcel apprenne le

vocabulaire de sa propre province. Lili explique également que ce jour-là, Marcel

n'enverra pas de perdreaux pour son père et son oncle parce que "...ce matin, les

bûcherons sont passés et ils leur ont fait peur. Deux compagnies sont parties vers

La Garette, et la troisième est descendue sur Passe-Temps..."182. Il traduit même le

mot "bec croisé" et explique que dans la colline, on appelle cet oiseau imbécile

"darnegas" parce que..."S'il y en a un seul dans le pays, et un seul piège, tu peux

être sûr qu'il se fera étrangler..."183.

Lili sait proférer des jurons en provençal et il se fâche quand un "limbert"

(un lézard vert)184 bouche ses pièges, parce que bien qu'on dise que "...les anciens

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Page 38: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

les mangeaient...nous, on ne mange pas les bêtes froides. Je suis sûr que ça

empoisonne..."185. Lili des Bellons est donc tout à fait au courant des habitudes

passées et présentes de sa communauté et il est prêt à les expliquer à Marcel. Si

Marcel suit les règles du groupe, Lili l'acceptera en tant qu'ami.

Lili, vivant en communion avec la nature, sait interpréter les signes de

celle-ci. Ainsi, quand l'oncle décréta: "'Il ne pleuvra pas et ce temps est parfait

pour la chasse!'"186, Lili dit à voix basse à son ami en lui faisant un clin d'œil: "'S'il

fallait qu'il boive tout ce qui va tomber, il pisserait jusqu'à la Noël!'"187. Lili

corrige donc les autres, même les adultes, mais à voix basse. On doit un certain

respect aux personnes plus âgées que soi.

Le petit paysan se sent chez lui dans ses collines; quand Marcel lui

demande s'il est "un vrai braconnier," il répond qu'il est des Bellons.188 Joseph lui

demande le sens de cette réponse et il ajoute: "'Ça veut dire que ces collines c'est

le bien des gens d'ici. Ça fait qu'on n'est pas des braconniers!'"189. Lili refuse donc

ce mot imposé par la Troisième République. D'ailleurs, Lili connaît "chaque

vallon, chaque ravin, chaque sentier, chaque pierre de ces collines. De plus, il

[sait] les heures et les mœurs du gibier..."190. Lili fait partie de cette terre comme

les héros de Giono sont un élément de la leur. Mais Marcel Pagnol superpose

d'autres personnages sur celui de Lili et c'est par la superposition de l'Académicien

Français qu'est devenu Marcel Pagnol que Lili sera connu.

Lili des Bellons est défini par Marcel Pagnol de l'Académie Française, et il

meurt pour cette Troisième République en 1917 "dans une noire forêt du Nord, une

balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des

touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms..."191. La Provence est le

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Page 39: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

pays d'origine de Pagnol, mais la France est la communauté qui domine dans le

texte pagnolien. Au fond, Marcel Pagnol est bien l'enfant de son père, instituteur

dans l'école laïque et publique.

Cependant, le petit paysan provençal sait qu'il y a des secrets à garder. Lili

ne peut pas dire, par exemple, le site des sept sources qu'il connaît car "C'est

défendu de le dire. Parce qu'une source, ça ne se dit pas!"192. Si les autres savaient

où étaient ces sources, ils pourraient venir chasser chaque jour; donc, pour la

survie du groupe communautaire, il est nécessaire de garder le secret des trésors

locaux.193

Par contre, si un mot n'existe pas en Provence, la chose non plus n'existe

pas. Lili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait

pas. Il ajoute: "Je sais même pas comment ça se dit en patois!"194. La preuve que

le phénomène n'existe pas est que le patois ne contient pas un tel mot.

Pour que les membres du groupe puissent se sauver des gendarmes (jamais

inclus dans la communauté pagnolienne), ils gardent aussi le secret de la grotte

"désibou" (Cela veut dire la grotte des hiboux.)195 qui traverse le Taoumé. Alors,

quand les chasseurs voient des gendarmes d'un côté de la colline, eux, ils passent à

l'autre pente, et puisque les gendarmes ne sont pas au courant de ce passage, les

braconniers s'entraident et se protègent des lois de la Troisième République qu'ils

considèrent comme étrangères. Pagnol explique le phénomène aux lecteurs car

l'auteur fait partie de ce groupe au-dedans de la communauté française.

Lili tient tellement à sa région qu'il croit que même les animaux de la

région obéissent aux lois de sa communauté. Voyant un immense vol

d'étourneaux, le petit paysan raconte à Marcel que son frère en avait un qui parlait,

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Page 40: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

"...mais il ne parlait que patois!"196. Marcel, fils d'un instituteur de la Troisième

République, répond: "Oh! mais moi...je leur apprendrai le français"197. Ainsi se

pose la question de l'opposition entre la région et la république. (Cette tension

existe toujours dans la communauté pagnolienne, comme les blagues que nous

avons vues dans Marius et Fanny.) Lili finit la conversation en disant: "Ça,...ce

n'est pas sûr, parce que c'est des oiseaux de la campagne..."198. Dans cette

situation, ce qui n'est pas dit est l'idée qui l'emporte...c'est-à-dire, que la civilisation

occidentale est plus importante que les règles de la nature et du pays local.

Ainsi, Pagnol s'affirme et se met du côté de son père. Dans le Prologue des

Trois Lettres de mon moulin, il y a une conversation entre Daudet et Roumanille;

Pagnol y prend la partie d'Alphonse Daudet.199

Par l'intermédiaire du personnage de Lili des Bellons, Marcel Pagnol crée

la base de sa communauté. Il s'agit d'un village provençal avec ses secrets et son

propre patois; les gens qui font partie du groupe se protègent contre les dangers qui

menacent son existence. Mais Pagnol ajoute l'élément le plus caractéristique de sa

communauté, et cette notion vient directement de son père, Joseph, l'instituteur.

Dans le monde pagnolien, il faut savoir manier la langue française pour recréer le

monde par ses narrations. Il défend la langue française.

L'école

Pour être accepté dans la communauté de Marcel Pagnol, il est nécessaire

de savoir raconter une histoire. Le récit est une façon d'interpréter le monde et de

développer la tolérance pour l'autre. A l'école, c'est la fable qui prime, car elle a

une morale. Le monde de Marcel Pagnol est un monde idéalisé, souvent

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Page 41: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

incorporant une fable, pour narrer comment les gens devraient agir. Fréquemment,

chez Pagnol, on peut écrire ce qu'on ne peut pas dire. En tout cas, l'essentiel ne

peut pas être exprimé. Marcel Pagnol crée son propre monde comme Topaze et

Joseph créent le leur; il est composé d'une vision de la réalité voilée par des

narrations. Les trois tomes des Souvenirs d'enfance racontent le développement de

ce talent.

Dans les Souvenirs d'enfance, le jeune Marcel est tiraillé entre le savoir des

gens de la colline et la littérature, entre la nature et la culture, entre la perspective

laïque et le point de vue religieux, entre l'amitié des hommes et la passion des

femmes, entre les exploits et les récits.

Pour faire partie de la collectivité des gens de la colline, il faut apprendre à

bien interpréter les signes de la nature et le langage du groupe. Lili est le guide qui

enseigne ces sciences à Marcel. En écoutant le récit de l'autre, on apprend à le

connaître et la tolérance pour les autres points de vue se développe. Avant de faire

la connaissance de Lili, Marcel ne sait que ce qu'il a appris dans l'école. Là, il

s'agit de la sagesse transmise par les vieux livres que Joseph étudie. Typiquement,

dans le village pagnolien, il y a plusieurs points de vue en opposition les uns aux

autres; c'est le dialogue qui met en rapport les perspectives des uns avec celles des

autres.

Son dialogue intériorisé aide le jeune garçon à mûrir. A l'école, il faut qu'il

étudie et prépare sa bourse; Joseph pense que: "C'est dans les vieux livres...que

l'on trouve le plus de bon sens et les recettes les mieux éprouvées"200. Pourtant,

parfois ce que Lili lui dit semble contredire ce que Marcel apprend dans l'école,

mais le plus souvent, les renseignements de Lili ajoutent à ses connaissances.

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Page 42: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Pour appartenir à la collectivité des hommes du village, il est nécessaire de

bien parler la langue. Mais quelle langue--le français ou le patois? C'est une

matière que Pagnol a déjà abordée dans Trois Lettres de mon moulin ,201 et il aime

bien considérer les autres points de vue. Mais essentiellement, il est cent pour cent

d'accord avec son père, l'instituteur qui favorise la langue française des écoles

laïques de la Troisième République.

Joseph explique à Marcel et à Lili: "Au mois de juin prochain, Marcel va

se présenter à un examen très important, et il aura beaucoup à faire cette année, et

surtout pour l'orthographe. Il met deux l à 'affoler', et je parie qu'il ne saurait pas

écrire 'ermite.'"202 L'importance de cet examen est prouvée puisque c'est ce futur

membre de l'Académie Française qui nous raconte cette histoire. D'ailleurs, dans

un certain sens, les règles de l'orthographe sont pour la langue ce que les lois sont

pour la communauté; elles forment la structure de l'entité et définissent ceux qui

appartiennent à la communauté linguistique.

Le développement linguistique du petit cousin Pierre est décrit en termes

langagiers. Pagnol dit: "Ce pompeur de biberons commençait à bavoter des sons

informes, auxquelles elle [la tante Rose] répondait de vraies paroles pour nous

faire croire qu'il avait dit quelque chose. C'était un spectacle navrant"203. Pagnol

nous fait comprendre que ce n'est qu'en parlant qu'il prendra sa place plus tard

dans la société des hommes.

D'ailleurs, l'action de parler signifie quelque chose d'important chez

Pagnol. Décrivant la "Gare de l'Est," "le terminus souterrain d'un tramway, [dont

le] nom même était une galéjade"204, Pagnol dit que le tram à vapeur était "le

dernier mot du Progrès"205. Cependant il ajoute: "Mais le Progrès ne cesse jamais

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Page 43: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

de parler, et il avait dit un autre dernier mot, qui était le 'tram électrique.'"206 La

métaphore employée pour le progrès et les machines qui mènent les hommes vers

l'avenir est le langage. Rien n'existe sans le langage.

Dans la communauté pagnolienne, il faut parler et il faut parler librement.

Quand la famille fait ses "odieux préparatifs" pour rentrer en ville, Marcel veut

sortir de la villa; il explique: "Mais j'étais trop heureux de quitter cette salle, où je

ne pouvais pas parler librement"207.

Ainsi, dans la collectivité, il faut que les individus aient le droit de penser

autrement. L'échange entre Joseph et Jules est un bon exemple de la tolérance.

Jules est allé prier à la messe de Noël; il a demandé au Tout-Puissant d'envoyer la

Foi à Joseph. Le père de Marcel lui répond: "Je ne crois pas, vous le savez, que le

Créateur de l'Univers daigne s'occuper des microbes que nous sommes, mais votre

prière est une belle et bonne preuve de l'amitié que vous nous portez, et je vous en

remercie"208. Ce soir-là, Marcel Pagnol commence à comprendre l'amitié, la vraie.

Le jeune Marcel commence aussi à mettre en question le concept de la

vérité. Si l'oncle croit en Dieu, peut-être que Dieu existe pour lui: "Après de

longues réflexions, j'en arrivai à la conclusion, assez peu rationnelle, que Dieu, qui

n'existait pas pour nous, existait certainement pour d'autres: comme le roi

d'Angleterre, qui n'existe que pour les Anglais"209. Autrement dit, il y a des

communautés différentes qui ont des règles différentes.210 L'individu doit se

soumettre au groupe de chez lui ou au groupe auquel il cherche à appartenir.

L'école (la littérature) ou la nature (les expériences)

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Page 44: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

En hiver, la communauté des collines change; il s'agit alors des quatre

chasseurs: Joseph, Jules, Marcel et Lili. Tous les quatre partent avant le lever du

jour pour ne pas réveiller Augustine et ils rentrent de la chasse à la tombée de la

nuit. Pendant la journée, il se passe des choses cruelles--par exemple, Marcel tue

une buse "férocement à coups de pierres"211.

Mais le soir, à la maison, sous l'influence féminine et domestique, ils font

"des parties de dames, de dominos, de jeu de l'oie--pendant que [le] père jouait de

la flûte--et parfois le loto réunissait toute la famille"212. Alors, le monde des

hommes est contrasté à l'espace des femmes et à celui de la famille. Le récit fait

plutôt partie du monde féminin, car c'est sur le plan secondaire qu'on vit les

aventures.

On se prépare pour être membre du groupe en étudiant avec les autres

jeunes à l'école communale. Dans ce deuxième tome de 218 pages, il est

intéressant de noter que Pagnol parle de l'école de la page 102 à la page 118--

seulement seize pages! Dans le reste du volume, il décrit ses vacances à la colline.

Il étend donc en pages ce qu'il ressent en souvenirs, et contrairement, il raccourcit

ce qui n'est pas amusant dans sa vie d'enfant.213 Le temps et l'espace du récit sont

donc subjectifs.

A l'école, Marcel a toute une équipe pour le préparer pour la vie, car

comme il explique: "...ma vie entière dépendait de mes études de cette

année,..."214. Il faut qu'il réussisse au concours des bourses du lycée. Sa

"candidature engageait l'honneur de toute l'école"215. D'ailleurs, c'est le début de sa

carrière d'auteur.

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En juin, Marcel va "défendre l'honneur de l'Ecole du Chemin des

Chartreux..."216 pour continuer le savoir de la civilisation occidentale. La

répétition de la comédie jouée par Marcel crée le héros, comme un récit crée

l'histoire d'une légende de la communauté. Le jour de l'examen, Monsieur le

directeur apprend que la rédaction de Marcel est "fort remarquée," que sa dictée est

"parfaite" et que son écriture est "appréciée"217. Marcel est donc en route vers sa

future carrière.

Quand les gens de l'école du Chemin des Chartreux comprennent que

Marcel n'avait que le second prix et que le premier était un élève venant d'une

autre école primaire publique, les deux écoles se joignent pour fêter leur joie dans

une communauté élargie devant ce triomphe.

L'école est un microcosme de la société parce qu'elle est laïque et

obligatoire pour tout le monde. La langue officielle est le français et c'est à l'école

où l'effet de creuset a lieu. L'école est donc l'endroit où l'on apprend la

socialisation, et elle est aussi un produit de cette civilisation. La lecture est

valorisée en classe. Toutes les références du jeune Marcel sont à la littérature, aux

fables, ou aux leçons de l'école. Lili, au contraire, apprend tout sur le tas et son

père et son frère sont ses tuteurs.

Il est curieux de constater les objets que Marcel met dans "le fameux

'balluchon'"218 avant de s'évader: "un peu de linge, une paire de souliers, le

couteau pointu, une hachette,219 une fourchette, une cuiller, un cahier, un crayon,

une pelote de ficelle, une petite casserole, des clous, et quelques vieux outils

réformés"220. La plupart de ces objets sont nécessaires pour s'habiller, pour se

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Page 46: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

nourrir, ou pour se protéger; pourquoi aurait-il besoin d'un cahier et d'un crayon si

l'instruction n'était pas parmi ses valeurs profondes et essentielles?

La réaction des deux garçons en face du fantôme montre leur différence

fondamentale. Lili dit que son père a vu celui-ci quatre fois. Marcel répond: "--

Ton père, c'est un brave homme, mais il ne sait même pas lire!"221. Lili réplique:

"--Je ne te dis pas qu'il sait lire. Je te dire qu'il l'a vu!"222. Les renseignements

pour Lili viennent directement d'une observation de la nature, tandis que ceux de

Marcel passent toujours par l'intermédiaire des livres, la littérature étant aussi un

produit de la civilisation. Dans le patois de Lili, la tradition est l'oralité, tandis que

pour Marcel, l'histoire est écrite en français.

L'objet le plus significatif de cette civilisation des adolescents est peut-être

le piège. La main de Marcel en serre un quand la famille part sous la pluie pour

rentrer en ville. Marcel, assis sur la dernière banquette de la voiture, avait

l'impression de s'enfoncer "dans l'avenir à reculons"223. Ce piège est devenu "un

objet sacré, une relique..."224 et un symbole de la famille Pagnol prise entre deux

portes du chemin qui longe le canal, une image de la famille prise entre la ville et

la colline, entre la civilisation et la nature, et une métaphore de Marcel, pris entre

l'enfance et l'âge adulte.

Ce passage entre l'enfance et l'adulte se fait dans l'école. Dans l'école

communale, on apprend l'essentiel de sa collectivité. Marcel apprend à l'école à

écrire. Cet apprentissage est d'une importance capitale pour trois raisons: (1) On

peut écrire des choses qu'on n'oserait pas dire et qui ne se disent pas dans la

communauté provençale. (2) Les récits des gens de la collectivité provençale sont

transmis d'une génération à une autre par l'écriture (et les histoires de Pagnol en

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Page 47: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

sont la preuve). (3) Les narrations créent le monde et justement, c'est en analysant

les volumes des Souvenirs d'enfance qu'on arrive à comprendre la vision du monde

de Marcel Pagnol. Son monde est un monde parallèle à la réalité de la Troisième

République, vu par un enfant pur et innocent qui est instruit par un instituteur pur

et innocent. C'est un monde qui n'a jamais existé mais qui aurait dû exister si l'on

croyait toute la littérature, les fables et les leçons enseignées dans les écoles. Ce

monde est fondé sur tout ce qu'on nous dit quand on est enfant. C'est une société

où les gens sont acceptés et s'entraident. La tolérance y règne afin que la

communauté survive.

Le récit et l'acte d'écrire

Pour expliquer l'importance de l'acte d'écrire chez Marcel Pagnol, il faut

d'abord comprendre le paradoxe de cet auteur: dans le texte pagnolien, l'essentiel

ne se dit pas. Quand Marcel quitte Lili, Joseph leur dit: "Allons, ne pleurnichez

pas devant tout le monde, et serrez-vous la main, comme deux chasseurs que vous

êtes!..."225. Marcel, d'ailleurs, est "dans un désespoir incommunicable..."226. Sa

tristesse la plus profonde ne peut pas être énoncée.

Quant au bonheur, c'est aussi secret. La vue des préparatifs de la famille

Pagnol du départ pour la colline remplit Marcel de joie. L'émotion qu'il ressent est

si forte qu'il court s'enfermer dans les cabinets "...pour y pleurer en riant tout à

[son] aise"227. Marcel trouve qu'il vaut mieux cacher ses sentiments et l'acte

d'écrire lui permet d'être lui-même sans être présent; il ne saura donc jamais rien

de la réaction des autres. Comme il explique dans la Préface de La Gloire de mon

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Page 48: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

père, parlant de la réaction possible du lecteur: "Mais l'auteur ne sera pas là, et il

n'en saura jamais rien...le 'four' du prosateur est moins cruel"228.

L'émotion racontée dans les Souvenirs d'enfance garde sa distance des

événements contés. Par exemple, pour Noël la famille Pagnol remonte à La

Treille; l'ami Lili les attend au pied de la côte; quand Marcel le reconnaît, il court

vers lui. Lili lui tend la main, et Marcel la serre virilement "sans dire un mot"229.

Dans la colline, les émotions, comme les sources, ne se disent pas.

Il y a beaucoup d'exemples d'émotions si fortes qu'on ne peut rien dire;

quand la famille Pagnol est arrêtée un jour par le comte, propriétaire du premier

château traversé sur le chemin de La Treille, les parents de Marcel ont très peur,

sachant qu'ils n'ont pas le droit d'être sur le terrain d'autrui. Mais malgré les

préjugés de Joseph (appris à l'école normale) contre les nobles, le comte et son

garde Wladimir sont très généreux; ils aident la famille à traverser leur propriété.

Le résultat de cette gentillesse est que: "Ma mère avait les yeux pleins de larmes,

et mon père ne pouvait dire un mot"230. C'est le narrateur qui nous l'explique.

Finalement, Joseph retrouve la parole pour remercier le comte et lui dire qu'il est

ému. Le noble lui répond: "--Je le vois bien,...et je suis charmé de cette fraîcheur

de sentiments..."231. Le lecteur comprend donc qu'il est rare que l'émotion soit

exprimée à haute voix; il faut savoir la lire dans les signes.

Cependant, quand le garde du quatrième château a mis un cadenas et une

chaîne pour que la dernière porte "la porte magique qui allait s'ouvrir sur les

grandes vacances"232 reste fermée, Augustine, la mère de Marcel, "poussa un

gémissement d'angoisse,..."233 et "...poussant un faible cri,...s'évanouit..."234. La

conclusion du père est: "Comme on est faible, quand on est dans son tort!"235. Il

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Page 49: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

est impossible de se servir des mots pour plaider sa cause quand on a tort et

l'émotion est puissante.

Et pourtant, la langue écrite est ce qui protège--littéralement--les garçons

des éléments de la nature; lorsqu'Augustine les habille, elle glisse "plusieurs

numéros du Petit Provençal, pliés en quatre:...entre leur gilet et leur chemise.236

Ainsi, très littéralement--comme figurativement-- les mots écrits entourent le petit

Marcel, et quand Lili, bouleversé par le désespoir, lui prend dans ses bras, il

froisse entre leurs "cœurs désespérés seize épaisseurs de Petit Provençal..."237.

Marcel écoute son ami, "...mais il n'avait rien à me dire, que son amitié"238.

Il y a des moments où l'on ne peut rien dire et le silence s'impose. Pour

plaider sa cause devant le garde, par exemple, quand il est pris en flagrant délit,

Joseph est silencieux avant de retrouver enfin la parole.239 Cependant, pendant sa

plaidoirie, Marcel brûle de rage.240 A la fin de cette scène humiliante, Augustine

s'évanouit lorsque le réveil-matin sonne. Elle tombe par terre. Au lieu de se

réveiller, elle s'endort symboliquement parce que le monde est à l'envers.241

La morale de cet incident humiliant est que quand vous faites partie d'une

communauté qui vous protège, vous survivrez. Mais tout est relatif au moment et

à la communauté dans laquelle on vit, et celle-ci peut changer. On ne peut pas

toujours suivre ses principes parce que parfois la situation de base change.

Joseph répète sans cesse: "Comme on est faible quand on a tort"242. Mais

ce n'est pas la morale de l'histoire. Comme l'auteur nous explique: "La vie m'a

appris qu'il se trompait, et qu'on est faible quand on est pur"243. Car, en effet, il est

nécessaire pour Joseph d'ouvrir le cadenas pour que sa famille soit libre. Pagnol

note: "C'était la première fois que je voyais un cambrioleur au travail, et ce

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criminel, c'était mon père!"244. La famille a donc pu s'évader en s'adaptant au

changement de la situation. Cela nous montre combien les lois de la communauté

peuvent être lues différemment selon le point de vue des individus exclus.

Après la confrontation avec le garde et sa reprise de la clé de Joseph, la

famille Pagnol fait l'immense détour à pied "...et pendant toute cette route,

personne ne dit un seul mot"245. L'émotion impose le silence. Ensuite, le groupe

des amis se joint à la famille pour trouver une solution langagière au problème du

procès-verbal de Joseph.

Et il y a des moments où il faut mentir pour cacher ses émotions, car la

langue sert souvent à dissimuler les sentiments les plus profonds. Un exemple de

cette sorte de mensonge est lorsque Lili vient attendre la famille Pagnol quand elle

arrive à la Bastide Neuve. Marcel court vers son copain et lui demande: "Tu nous

attends?"246. Son ami lui répond qu'il est venu voir si Durbec était là, mais que

celui-ci n'était pas chez lui. Mais à ce moment-là, Durbec sort de sa maison et tout

le monde comprend que Lili a menti. Marcel explique ses pensées: "J'étais

heureux parce que je savais qu'il m'avait menti: oui, il était venu m'attendre..."247.

L'amitié fait partie de ces richesses qu'on déguste sans dire un mot et les mots sont

là pour dissimuler les sentiments.

Un jour en automne, Lili écrit une lettre à Marcel et dans l'enveloppe, il

place une feuille de sauge et une violette séchée;248 Lili n'essaie pas de décrire ces

objets pour Marcel; il évite le langage en plaçant directement les objets dans sa

lettre. Son orthographe est difficile à déchiffrer, mais "...je me langui de toit..."249

est quelque chose qu'on peut écrire, car comme le narrateur explique, parlant de sa

lettre de réponse: "Je terminai par des paroles d'amitié fervente, que je n'aurais

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Page 51: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

jamais osé dire en face"250. Le mot écrit est donc plus vrai (près de la nature) que

ce qu'on n'arrive pas à dire devant la personne, mais des dangers sont parfois

présents quand on s'exprime ainsi, et surtout si l'on ment.

Un exemple des dangers du mensonge écrit est celui que Joseph avait

raconté à Marcel. Le soldat Trinquette, Edouard, le cousin de M. Besson, faisait

son service militaire à Tarascon:

Le papa Trinquette, qui était veuf, adorait son fils unique, et

s'inquiétait grandement de son sort. Or, il découvrit un jour, avec

joie, que le colonel du régiment n'était rien d'autre que son meillleur

ami d'enfance...Il lui écrivit une longue lettre...[pour] lui

recommander son fils, sujet d'élite, et seule consolation de ses vieux

jours...Le colonel--ami fidèle--fit sur-le-champ appeler Trinquette

Edouard, pour l'assurer de sa bienveillance: mais l'adjutant de

semaine vient lui apprendre--au garde-à-vous--que le sujet d'élite

était parti depuis huit jours en permission extraordinaire pour

assister aux obsèques de son vieux père, consoler sa mère éplorée, et

règler de délicates questions d'héritage avec ses quatre frères et sœurs.251

Le pauvre soldat fut donc arrêté, couvert de chaînes et ramené à la caserne où il a

passé trois semaines dans un cachot plein de rats. Alors, bien qu'il soit plus facile

de mentir par écrit, la preuve reste là, devant les yeux de l'autre, inscrit sur papier

et dans sa mémoire. Quand Marcel admet sa défaite quant à la possibilité de vivre

dans la grotte des collines, il conclut: "C'est le destin...C'était écrit..."252. On dirait

donc que la parole écrite persiste plus longtemps que la parole orale.

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Pour les gens du village, "le procès-verbal... est le déshonneur et la

ruine"253. Tout le monde a peur de la Loi et de la police; le symbole de cette Loi

est le procès-verbal. Encore une fois, c'est l'acte d'écrire qui rend définitive la

situation.

Pourtant les récits répétés servent à créer les légendes qui unissent les

membres collectifs d'une même communauté. Puisque Robinson Crusoé est le

héros des générations de jeunes garçons, Marcel l'appelle à son secours pour lui

demander ce qu'il ferait dans la grotte devant les "grosibous":

Il n'était pas bien difficile de l'imaginer: il les eût aussitôt étranglés

et plumés, en remerciant la Providence, avant de les rôtir sur une

broche de bambou! Si je fuyais devant ces volatiles, je n'aurais plus

le droit d'entrer dans un roman d'aventures, et les personnages des

illustrations, qui m'avaient toujours regardé en face, détourneraient

la tête pour ne pas voir un "cœur de squaw."254

Lorsque Marcel et Lili arrivent à la villa des collines après avoir été perdus

pendant l'orage, le narrateur résume: "Alors, nous fûmes heureux et fiers de cette

aventure qui allait permettre de beaux récits"255. Quand ils sont installés devant le

feu, Marcel raconte leur "odyssée"256. L'Académicien ajoute: "Le point culminant

fut l'attaque du grand-duc, que je ne pouvais évidemment pas laisser immobile

contre le rocher: il s'élança donc sur nous, les yeux en feu, les serres en avant, et

tournoya autour de nos têtes..."257. Par cette mise en abyme, le lecteur comprend

comment amplifier une histoire pour créer un style hyperbolique.

Ensuite, c'est l'auteur qui croit ses propres histoires; le narrateur conclut:

"Notre succès fut si complet que j'eus peur moi-même, et que bien souvent dans

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mes rêves--même quelques années plus tard--cette bête agressive est revenue me

crever les yeux"258. Quand Marcel décide de se cacher dans la grotte pour ne pas

revenir à l'école, il évoque les deux "grosibous" en disant : "Je les vis voler autour

de ma tête, leur bec jaune ouvert sur des langues noires, les yeux glauques, la serre

crochue, et rendus mille fois plus dangereux par les descriptions que j'en avais

faites,..."259.

Après le récit de Marcel, l'oncle Jules raconte l'épopée des chasseurs, mais

son "histoire ne fit pas grand effet; on ne tremble pas pour des chasseurs à

moustaches"260. En créant le personnage du jeune Marcel qui observe les

événements et le narrateur âgé qui commente ce que le petit voit, Pagnol profite du

dédoublement du sujet pour avoir plusieurs points de vue. Evidemment, ce récit

est écrit beaucoup plus tard par un témoin qui a bien appris son métier.

D'abord, il faut reconnaître que le récit oral (et ensuite le récit écrit) est la

meilleure façon de transmettre les croyances et les mythes de la collectivité

provençale. Marcel apprend cette leçon après l'humiliation de son père par le

garde incarnant pour le jeune Marcel "...une stupidité sans fond"261. Avant le

dîner, la famille parlait à voix basse, "...comme s'il y avait un mort dans la

maison..."262; mais, pendant le repas, Joseph se met "...tout à coup à bavarder

gaiement. Il nous décrivit la scène sur un ton plaisant, et il fit un portrait comique

du garde...Paul fit de grands éclats de rire, mais je vis bien que mon père se forçait

pour nous..."263.

Le jeune Marcel découvre ainsi que c'est le récit de l'événement qui permet

de le relativiser et de changer des situations pénibles en littérature. C'est le

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processus d'écriture que l'auteur nous livre, celui qui va changer les faits et les

personnages de sa vie en légendes littéraires. La preuve posthume est que les

écoliers de la France entière (et de la francophonie) connaissent les personnages

des films et des romans de Marcel Pagnol. Ici, l'auteur nous parle de l'origine du

récit littéraire.

Pendant le repas, Joseph raconte longuement l'aventure à Bouzique qui, lui,

répond par un nouveau récit de son exploit.264 Dans la collectivité pagnolienne, le

récit suit l'aventure et l'aventure n'est qu'un prétexte pour le récit. Plus on parle,

plus on exagère. Le jeune Marcel observe son père et Bouzique et commente:

"Quand ils en furent à la quatrième version de ces chants amœbées, mon père nous

révéla que le garde avait failli nous abattre sur place, et Bouzique nous peignit le

monstre se traînant à genoux, le visage couvert de larmes, et demandant 'pardon'

d'une voix d'enfant"265. Ainsi, l'histoire se développe à force d'être répétée et

exagérée par les membres du groupe. Chaque personne ajoute son grain de sel et

c'est ainsi que les récits se créent.

Pour le jeune Marcel, ce qui compte est ce qu'on lit dans les livres. Il

s'énerve contre Lili et lui dit: "On voit bien que tu ne lis jamais rien! Tandis que

moi, j'ai lu des vingtaines de livres!"266. Lili est sûr que ce Robinson, s'il dit qu'il

court assez vite pour attraper des chèvres sauvages, est "un beau menteur!"267.

Mais Marcel répond: "Puisque je te dis que c'est imprimé, dans un livre qu'on

donne pour les prix!"268.

Le monde de l'imagination créé par la littérature est comparé à celui des

enfants. Le narrateur admet qu'il s'est souvent demandé comment il avait pu

prendre la décision de quitter sa famille pour rester seul dans ses collines. Voici sa

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conclusion: "Jusqu'à la triste puberté, le monde des enfants n'est pas le nôtre: ils

possèdent le don merveilleux d'ubiquité"269. Pagnol explique comment le monde

de l'imagination peut vivre de plain-pied avec le monde réel; la mémoire des

enfants est si puissante que, "comme le bœuf qui rumine trouve dans l'herbe

remâchée le goût de graines et de fleurs qu'il a broutées sans le savoir..."270, l'enfant

peut ressusciter à l'improviste tout ce qui n'est pas là. L'enfant et l'auteur ont ce

même pouvoir.

Le récit est ce qui permet de créer cet autre monde. Et le récit est composé

de mots et de phrases qui ont un pouvoir magique. Ainsi, quand Marcel tressaillit

en entendant une sorte d'aboiement, il a peur. Lili lui dit que c'est un renard et

l'écolier pense à son livre d'histoire naturelle. Pour Marcel, toute la nature est

maîtrisée par les mots. Il se récite sa leçon: "l'éléphant barrit, le cerf brame, le

renard glapit"271. Ensuite, il explique: "Alors, parce qu'il était nommé, ce cri

perdit sa puissance nocturne: ce renard glapissait, rien de plus. J'avais porté son

verbe cent fois dans mon cartable: je fus tout à fait rassuré..."272.

Quand on nomme une chose, c'est un appel. Lili ne veut pas parler du

fantôme parce qu'il risque de venir. Pour ne pas croire à cette histoire, Marcel fait

appel au vocabulaire de son père: "Franchement...je te trouve bien bête de me

raconter ces préjugés, qui sont de la superstition. Le fantôme, c'est l'imagination

du peuple. Et les signes de croix, c'est obscurantiste!"273. Les mots ont un pouvoir

sur l'imagination et en les employant, les narrations créent notre monde.

La narration pagnolienne crée le monde pagnolien. Quand Marcel décide

de s'évader, il se laisse glisser jusqu'au sol par une corde qui aurait révélé son

départ, mais qui assure aussi plus tard le retour du jeune garçon quand il aura

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compris qu'un individu ne peut pas vivre seul.274 C'est donc la corde de la

digression. La digression est permise si l'individu revient à la communauté.

Cette corde est un lien entre la famille et la nature. La corde, symbole de la

narration que représente le dialogue entre l'individu et le groupe social est ce qui

permet à Marcel de se réintégrer dans la collectivité. Marcel Pagnol nous donne

beaucoup d'exemples de cela. Examinons-en deux....

(1) Quand Marcel fait la connaissance de Lili, celui-ci est au courant du

"calibre douze, celui des bartavelles..."275, c'est-à-dire, de Joseph. Pourtant, la

première chose que le petit des collines dit au citadin est: "Tu me raconteras?"276.

Il a donc envie d'entendre le récit, et en échange, il apprend à Marcel le

vocabulaire de la faune de Provence: "les culs-blancs, les bédouïdes, les darnegas

et les limberts" par exemple.277

Ainsi, il y a un échange entre le jeune des collines et celui de la ville et cela

crée une communauté plus large qui contient le français aussi bien que le patois et

les collines comme la ville. C'est l'échange des récits qui crée un lien entre ces

deux mondes pour en former un autre. Comme François, le père de Lili, vend ses

abricots, fruits des terres de la Provence, dans le marché d'Aubagne, il y a un

commerce d'expériences échangées par les deux garçons à travers la langue

française. Le narrateur explique: "...nous bavardions, à voix basse, pendant des

heures"278. D'ailleurs, la répétition des récits est ce qui les soude dans la mémoire

collective et ce qui perfectionne l'histoire. Les conversations de Marcel avec Lili

concernaient toujours la chasse; le narrateur dit: "...je lui répétais les histoires de

l'oncle Jules, et souvent, les bras croisés, adossé contre un pin, et mordillant une

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ombrelle de fenouil, il me disait gravement: "Raconte-moi encore les

bartavelles....'"279

L'échange des récits comprend aussi l'échange du vocabulaire. Lili

apprend les mots provençaux à Marcel et Marcel lui "[fait] cadeau de quelques

mots de [sa] collection..."280. Un jour, le futur écrivain lui offre le mot

"anticonstitutionnellement," expliquant que son but n'était pas "d'augmenter son

vocabulaire, mais son admiration, qui s'allongeait avec des mots"281. Celui qui

manie bien la langue dans la communauté pagnolienne a l'admiration des autres

membres du groupe.

(2) Pagnol admet que, comme le philosophe allemand, Fichte, il croyait

que le monde extérieur était sa création personnelle, et il ajoute: "...et qu'il m'était

possible, par un effort de ma volonté, d'en supprimer, comme par une rature, les

événements désagréables"282. Il essayait donc d'effacer de ses pensées le mois

d'octobre et la rentrée. Dans ses Souvenirs d'enfance, d'ailleurs, il fera disparaître

les événements désagréables, tous ces mois à l'école--en ne parlant que de l'été

dans les collines. Tel est la prérogative d'un écrivain; ce dont il ne parle pas dans

son œuvre n'existe pas. Dans un sens très réel, il crée son monde. Il va de soi que

le monde que l'auteur conçoit dans un livre (ou dans un film ou dans une pièce)

contient les éléments qu'il veut reconnaître et que ce monde est vidé des choses

dont il ne reconnaît pas l'existence.

La solidarité

La solidarité est quand même nécessaire pour que la communauté survive.

Quand Marcel décide de vivre seul dans la grotte, il va essayer d'exister comme

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Robinson Crusoë ou comme Manon, mais ses idées sont romantiques et "sa" patrie

est plutôt celle de la littérature et non pas la Provence.

Cependant, le plan de Lili et de Marcel comprend déjà un groupe plus

grand qu'eux deux parce qu'ils projettent de faire du commerce et des échanges:

ils vont vendre des grives à l'auberge de Pichauris, et avec l'argent, ils iront acheter

du pain à Aubagne. Avec l'argent des fagots de fenouil ramassés, ils achèteront

des pièges à lapin, et ainsi de suite.283 Il y a donc une association économique et

sociale dans la communauté pagnolienne.

Cette solidarité forme un lien entre les générations et entre les gens du

groupe. Le jeune Marcel ne peut pas savoir ce que son père fera quand Bouzique

l'invite à boire un coup; refusera-t-il cet alcool puisqu'il est antialcoolique ou

boira-t-il du vin devant les yeux stupéfaits de ses deux fils?284 Marcel admire donc

la finesse de son père qui ajoute de l'eau gazeuse au vin pour le diluer;

évidemment, Joseph ne pourrait pas refuser de boire avec Bouzique, car comme

nous avons vu, le groupe et son unité sont toujours plus importants qu'aucun

individu.

Comme Edith Wharton explique dans French Ways and Their Meaning

(1919), il y a une différence en France entre ce qui n'est pas légal et ce qui n'est

pas sociable, car la société latine est fondée sur cette différence. C'est le résultat

d'une conception de la communauté qui prime sur tout individu:

In it individualism has no place. It is based on the interests of the

family, and of that larger family formed by the commune or the

state; and it distinguishes, implicitly if not outspokenly, between the

wrong that has far-reaching social consequences and that which

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injures only one or two persons, or perhaps only the moral sense of

the offender.285

L'idée ne viendrait donc pas à l'esprit de Joseph d'offenser son ancien élève.

Pourtant, la conscience de Joseph n'est pas à l'aise parce qu'il a des

principes contre l'alcool. Dans Topaze, il s'agit d'un professeur qui est initié dans

un monde où la réalité n'est pas comme dans les proverbes (Bien mal acquis ne

profite jamais, etc.). Ici, dans Le Château de ma mère, c'est le petit Marcel qui

apprend la leçon à un âge tendre et à travers l'expérience de son père. Joseph n'a

pas envie d'accepter la clé de Bouzique parce qu'il a peur que cela finisse "en

correctionnelle"286. Mais quand Bouzique lui dit: "Et surtout, surtout, c'est bien

dommage pour le Canal..."287, Joseph conclut: "Il est évident...que...si je puis

rendre service à la communauté, même d'une façon un peu irrégulière...Et d'autre

part, si je puis t'aider..."288. Les valeurs essentielles dans cette communauté

pagnolienne sont le bien du groupe et l'amitié.

Joseph est donc "en paix avec sa conscience, car il ne franchissait point ce

seuil interdit pour raccourcir une route trop longue, mais pour préserver de la ruine

le précieux canal, et sauver Marseille..."289. C'est en traversant ces propriétés

différentes que la famille fait la connaissance un jour du noble. Bien que Joseph

n'aime pas en principe les nobles et les militaires, il finit par aimer ce colonel qui a

participé dans la bataille de Reichshoffen. Cela prouve que les idées différentes et

les opinions même opposées peuvent cohabiter dans cette collectivité. Les

échanges des points de vue sont encouragés ainsi que la tolérance. Un exemple de

cela est que Joseph apporte un jour le récit de la bataille de Reichshoffen pour le

vieux soldat; puisque le colonel n'est pas d'accord avec l'historien, il commence la

356

Page 60: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

"rédaction d'un mémoire pour rétablir la vérité"290. On peut donc comprendre que

bien que les choses se discutent oralement, dès qu'on écrit l'événement, la vérité

est établie pour les générations futures.

Le noble propriétaire de ce premier château et le paysan qui garde le

troisième château aident la famille Pagnol à traverser leurs terres et lui rend la vie

plus facile et plus agréable. Il faut s'entraider dans la collectivité pagnolienne.

Pour Joseph, le peuple a le cœur bon et la générosité des enfants.291

Par contre, le garde qui écrit le procès-verbal contre Joseph est détesté par

tout le monde au village parce qu'il a déjà dénoncé Mond des Parpaillouns quand

celui-ci avait caché quatre grives dans son chapeau melon.292 Lili annonce: "Si

jamais il vient dans nos collines, il n'attendra pas bien longtemps le coup de fusil

qu'on lui doit"293.

Finalement, c'est grâce à Bouzique que Joseph ne perd pas son poste. Il

aide son ancien maître, et comme dans Topaze, c'est l'élève qui comprend mieux la

vie que le professeur. Bouzique va voir le garde avec deux de ses copains et, en

échangeant le procès-verbal contre les pièces à conviction que le garde a saisies, il

se bat pour l'avenir de Joseph. C'est cela l'avantage de la communauté: on se bat

ensemble contre "l'ennemi"294. C'est le poids du groupe qui emporte contre un

individu.

L'individu dans Le Château de ma mère

Augustine hésite toujours devant la quatrième porte sur le chemin des

Bellons car elle a peur de l'ivrogne et de son chien. Pagnol explique: "Ma mère,

par instants, s'arrêtait, toute pâle, le nez pincé, la main sur son cœur"295. Joseph la

357

Page 61: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

trouve ridicule, mais sa peur empêche la famille de passer devant ce château sans

être nerveuse.296

Dans Le Château de ma mère, le personnage opposé à la communauté est

donc Augustine, la mère du petit Marcel. Dans ce deuxième tome du roman, le

centre d'intérêt est Augustine parce qu'elle s'oppose aux coutumes du groupe

masculin.

Dans le premier chapitre, il y a un rappel de la gloire de Joseph qui est

devenu redoutable parce que "le succès fait souvent le talent"297. Marcel nous

rappelle aussi qu'il avait sa part dans le triomphe de Joseph298 et qu'ainsi, il est

admis au rang des chasseurs.299 Marcel s'en va donc tous les jours avec son père et

son oncle à la chasse. Cependant, sa mère n'est pas contente de ce fait et la

dernière phrase du premier chapitre nous montre son opposition et informe le reste

du livre: "Elle se demandait s'il était raisonnable, avec de si petits mollets, de

faire, chaque jour, tant de pas"300.

L'instinct maternel fait qu'Augustine s'inquiète pour la santé de son fils; un

jour de pluie vers la fin des grandes vacances, la mère de Marcel, "stupéfaite," lui

demande: "--Tu veux sortir sous cette pluie?...Tu as envie d'attraper une fluxion

de poitrine?"301. Elle a peur pour son fils même quand il travaille à l'école: "Ma

chère maman était effrayée de me voir penché si longtemps sur mes devoirs, et la

séance du jeudi matin lui paraissait une invention barbare: elle me soignait comme

un convalescent, et préparait pour moi des nourritures délicieuses..."302. Elle

protège ses enfants et pendant le froid de l'hiver, elle "[les] ensacha... dans

plusieurs caleçons, tricots, combinaisons, blouses et blousons superposés, et sous

358

Page 62: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

les 'passe-montagnes' à oreilles..."303. Ses soucis pour son fils peuvent alors le

retenir de participer totalement dans le monde des hommes.

Pour que Marcel puisse participer à sa guise dans le monde des chasseurs,

il faut qu'il soit indépendant de l'influence de sa mère. Et pourtant, c'est sa mère

qui le met sur le bon chemin vers son indépendance. Quand Augustine voit que

Marcel est triste, elle décide qu'il faut venir chaque semaine aux collines304 et c'est

elle qui arrange la chose avec Madame la Directrice de l'école, car elle est capable

de tout pour ses enfants.305 A cause de ses "manigances" auxquelles les hommes

ne comprennent rien,306 la famille est libre le lundi matin et peut donc partir chaque

week-end pour sa petite villa. Augustine a, selon Joseph. "le Génie de

l'Intrigue!"307.

Quand Marcel décide de ne pas rentrer avec ses parents, de rester caché

dans la grotte des collines et de devenir "hermitte" (sic)308, il écrit une lettre d'adieu

à ses parents. Il contraste l'aventure qu'il recherche au danger dont ses parents ont

peur: "Moi, mon bonheur, c'est l'Avanture. Il n'y a pas de danger. J'ai emporté

deux cachets d'Aspirine des Usines du Rhône. Ne vous affollez pas." (sic)309. Il

termine cette lettre ainsi: "Je vous embrasse tendrement, et surtout ma chère

maman"310. Marcel veut rassurer ses parents, mais en particulier sa mère, qu'il

pourra survivre dans les collines. Sa mère veut le garder aussi longtemps que

possible sous sa protection.

Quand Bouzique veut parler de sa sœur, celle qui "est mariée (de la main

gauche) avec un conseiller général!"311, et veut montrer une photo de son "drôle de

balcon," Augustine prend Marcel et Paul par la main pour les conduire dans leur

chambre.312 Toute l'innocence de l'enfance est donc protégée par la mère.

359

Page 63: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Augustine a aussi la qualité d'être sensible envers son fils. Marcel est

furieux que la famille va rentrer. Il essaie d'éveiller chez Paul un sentiment de

regret: "On n'ira plus à la chasse, il n'y aura plus de fourmis, plus de pregadiou,

plus de cigales"313. Le jeune écolier voit que son père cloue le couvercle de la

caisse (qu'il appelle "le cercueil des vacances")314; l'oncle Jules annonce que ce qui

lui a manqué, "ce sont des cabinets confortables, sans fourmis, sans araignées, sans

scorpions, et munis d'une chasse d'eau"315. Le narrateur dit: "J'étais au comble de

l'indignation, mais je constatai avec fierté que seule ma mère ne blasphémait pas

mes chères collines..."316. Cependant, Marcel comprend que la route vers la rentrée

va mener à l'appartenance au groupe.

Après que la famille Pagnol est prise par le garde dans l'illégalité, la

réaction d'Augustine est: "Même si on nous donnait la permission, je n'aurais

jamais le courage de revoir cet endroit"317. Pourtant la conclusion de ce deuxième

volume est que la mère de Marcel, et dans ce sens-là, son enfance, sa peur et sa

timidité, sont rangées derrière cette porte dans un passé lointain.

Cinq ans après cet incident, Augustine meurt; Marcel n'a que quinze ans.

L'auteur des Souvenirs d'enfance explique: "Pendant des années, jusqu'à l'âge

d'homme, nous n'avons jamais eu le courage de parler d'elle"318. Cette tristesse se

représente par le silence dans le monde de Pagnol.

Sous la protection de la mère de Marcel, il y avait aussi Paul. Celui-ci

grandit et devient chevrier, "le dernier chevrier de Virgile"319. Mais il est mort à

l'âge de trente ans dans une clinique. "Sur la table de nuit, il y avait son

harmonica"320. L'instrument de musique inerte est une autre façon de représenter

l'absence de bruit, donc la tristesse.

360

Page 64: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

En 1938, Marcel Pagnol fond une société de films à Marseille. Pour

construire "la Cité du Cinéma" en Provence,321 il achète un terrain sans le voir.

Pagnol dit: "...je regardais orgueilleusement la naissance d'une grande

entreprise...je m'élançai dans une course folle à travers la prairie et le temps...Je

refis lentement le chemin des vacances, et de chères ombres marchaient près de

moi"322. Enfin, Pagnol reconnaît "l'affreux château, celui de la peur, de la peur de

ma mère"323. L'auteur lance une grosse pierre vers les planches pourries de la porte

noire, "la porte du Père Humilié..."324; elles s'effondrent sur le passé et l'écrivain

semble respirer mieux.

L'acte littéral est donc confondu avec l'acte figuratif, procédé cher à Marcel

Pagnol, car en démolissant ce mur entre le passé et le présent, les membres de la

collectivité d'aujourd'hui peuvent emporter tout leur passé avec eux. La

communauté joue le rôle maternel en protégeant ses membres du danger. Et la

communauté n'a pas les limités normales de temps et d'espace, car dès que les

barrières s'écroulent, les personnages et les actions du passé sont présents avec les

actions et les personnes d'aujourd'hui. Les souvenirs comptent autant que les

projets d'aujourd'hui et de l'avenir.

C'est l'art qui permet au passé de continuer à vivre dans le présent. Le récit

et l'art sont l'unification du temps et de l'espace. Pagnol parle d'un mauvais

charme qui est conjuré.325 Sa mère était "[b]lême, tremblante, et pour jamais

inconsolable"; elle était isolée de la communauté tant qu'elle ne faisait pas partie

de la littérature du groupe.

Pagnol termine ce deuxième volume par ces belles phrases: "Telle est la

vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il

361

Page 65: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

n'est pas nécessaire de le dire aux enfants"326. Et pourtant, cette solidarité formée

par les bons moments ensemble est ce qui fait durer les souvenirs de la

communauté sous forme artistique.

C'est quand Pagnol écrit ce beau récit qu'Augustine revient chez son fils,

c'est-à-dire, dans le domaine de ce château acheté par le cinéaste. A cause de cette

histoire, la mère de l'auteur est incluse dans le groupe communautaire. Il n'y a plus

de frontières entre le passé et le présent, entre les pauvres et les riches, entre ceux

qui ont peur et ceux qui n'en ont plus. La collectivité est élargie par son passé qui

est toujours contenu dans son présent. Et maintenant toute la grande communauté

francophone connaît l'histoire de la peur d'Augustine.

Le Temps des secrets: l'amitié et la passion

Il y a une distinction entre Lili des Bellons et Marcel à partir de

l'adolescence. Marcel devient adulte en étudiant à l'école, tandis que Lili apprend

l'agriculture en aidant son père à travailler. La différence des classes se fait

remarquer entre ces deux garçons. Lili veut pourtant que Marcel aille mettre des

pièges, mais son jeune ami répond: "Moi, tout seul, ça ne m'amuse pas. J'aime

mieux venir travailler avec toi"327. L'amitié est donc plus importante que l'activité

individuelle.

Dans ce troisième volume des Souvenirs d'enfance, le monde est

démystifié par l'expérience du jeune Marcel, ce qu'il appelle "la 'précieuse'

expérience"328. L'expérience devient le compagnon de la littérature, et une fois de

plus, le monde est vu à la lettre et au sens figuré. Lorsqu'on comprend le monde à

travers la littérature, le monde est une féerie,329 mais quand on acquiert des

362

Page 66: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

expériences, cela désenchante les collines.330 Tous les animaux que Marcel y

imaginait (le lion, l'ours grizzly et le loup-cervier) avaient "tous réintégré les pages

illustrées de [son] Histoire naturelle et [il savait] bien qu'ils n'en sortiraient jamais

plus"331. Le jeune Marcel commence à lire Jules Verne; il le lit et relit avec

passion. Il dit: Ces "personnages avaient pour moi la même réalité que mon père

ou que l'oncle Jules"332.

Le monde de la littérature est celui de Marcel quand il est jeune. Il lit L'île

mystérieuse au moins trois fois333 et si Jules Verne le mène dans un autre monde,

l'auteur qui décode celui-ci est La Fontaine. Dans les collines, son frère, le petit

Paul, d'ailleurs, a "préparé un festin de 'petits morceaux de mouche ou de

vermisseau'" pour les cigales qu'ils ont mises dans une petite cage.334

Une fois, Marcel revient à la villa et Lili est en train de jouer avec Paul. Ils

ont mis un petit éventail de papier dans l'arrière-train d'une cigale avec l'intention

d'y mettre le feu pour voir si la bestiole volerait. Marcel met fin à ce jeu--non pas

par une sensiblerie pour "la combustible chanteuse"335, mais parce que "la chute

finale d'une bestiole enflammée mettrait le feu aux herbes sèches, qui

incendieraient les oliviers, puis la pinède, et finalement la maison"336. Ce n'est que

la société humaine qui importe pour Pagnol, car la nature, aussi belle qu'elle soit,

n'est qu'une menace à la civilisation des hommes.

Lorsque Lili et Marcel vont voir leurs pièges, ils constatent que les

insectes, les rats, les fourmis et les renards ont tout pris. Les animaux sont donc en

concurrence avec les êtres humains, comme le monde vu par la littérature est en

concurrence avec celui qu'on voit tous les jours et qu'on appelle "la réalité."

363

Page 67: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Il existe aussi une opposition dans le monde pagnolien entre l'amitié et la

passion, car la passion risque de mettre feu à la communauté pagnolienne.

L'amitié entre Joseph et Jules et celle entre Marcel et Lili est composée d'un

sentiment réciproque qui est la colle de la collectivité. L'espace de cette amitié est

le jour, dans les collines et sur les places publiques. La conversation que Marcel

entame avec Lili se compose surtout de questions car, comme il nous explique:

"Les juges, qui ne sont pas bêtes, l'ont toujours interdit aux accusés"337. L'idée est

que celui qui mène le dialogue est la personne au pouvoir.

Par contre, il y a un autre sentiment qui occupe la nuit et les rêves; la

passion que Marcel voit naître en lui pour Isabelle est incontrôlable. Le jeune

garçon se voit en héros qui sauve une jeune fille en danger. Elle habite dans un

monde romantique et fictif, chevaleresque et onirique, et Marcel ne peut pas lui

résister.

Un antagonisme existe dès le début entre la famille Pagnol et Isabelle.

Paul raconte à table qu'Isabelle est la fiancée de Marcel; ensuite la famille Pagnol

commence à discuter Isabelle--et surtout son père. Marcel est fier d'annoncer que

celui-ci ne boit pas de Pernod; il boit "de l'apsinte" (sic)338. Evidemment, pour

Joseph, ce fait est encore pire et pour Joseph et Jules, l'absinthe est associé aux

poètes comme Verlaine et Alfred de Musset. Marcel écoute à peine la

conversation "cent fois entendue"339 entre son père et son oncle. Ce qui révèle

l'innocence de Marcel est qu'il écoute ces conversations sans comprendre

l'essentiel. Son père prononce "...des mots mystérieux et menaçants: déliron,

poplexi, sirose, idropisi..." (sic)340. Les dangers de l'alcool pour Joseph sont

364

Page 68: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

sérieux et réels et Loïs de Montmajour en est l'exemple de quelqu'un d'exclu de la

communauté humaine à cause de son alcoolisme.

Le dialogue fait partie du sentiment de bien-être dans la collectivité

pagnolienne. Mais lorsque la famille Pagnol est au courant du "Chevalier de la

Reine" (jeu dans lequel Marcel participe avec Isabelle), au repas du soir, personne

ne parle et "...ce silence devenait gênant..."341. Pour meubler ce silence, Marcel

prend donc délibérément la parole pour exposer "la différence de tempérament des

trois échos de Passe-Temps"342. En décrivant le premier écho, il dit: "il répliquait

si vite qu'il vous coupait la parole, comme dans une dispute..."343. En parlant du

second, il raconte: "il récitait la phrase tout entière, très poliment, mais comme s'il

pensait à autre chose"344. Enfin le troisième écho "prenait le temps de réfléchir, et

répétait les moindres nuances, d'une jolie voix un peu enrouée, mais toujours

amicale"345. Marcel choisit alors de remplir le silence en décrivant des sortes

différentes de dialogues occasionnés par les échos. Mais ces considérations

"n'obtinrent aucune réponse"346. Cette opposition entre la conversation et le

silence sert à renforcer l'agréable plaisir des mots, même s'ils ne sont que des

échos.

Puisque Marcel n'a que onze ans, et que sa famille le trouve "[d]éjà aussi

bête qu'un homme"347, son père prend la parole pour lui défendre de revoir

Isabelle. Marcel se sent "aussi abandonné que Robinson" à cause de l'hostilité

soudaine de sa famille.348 Mais, comme il dit: "Devant l'assaut de toute la famille,

je n'avais pas eu le courage de parler"349. Voilà ce que c'est que la force de la

communauté; elle est garante de la survie du groupe et en même temps, elle

corrige les comportements bizarres.

365

Page 69: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Selon Marcel, les filles mentent sans cesse et pour le plaisir,350 et à partir de

l'âge de douze ans, elles deviennent encore plus bizarres et mystérieuses.351

L'interprétation du jeune auteur est qu'un garçon manqué signifie "un faux pas de

la nature, le résultat d'une erreur au cours de la création d'un garçon"352. Encore

une fois, Marcel confond le sens littéral avec le sens figuratif et cette "erreur

d'interprétation"353 linguistique va le faire croire que les hommes comme lui sont

des garçons réussis et que l'existence des filles fait valoir les qualités des hommes.

La définition du groupe dépend donc de ceux (ou en ce cas-ci, de celles) qui n'y

appartiennent pas. En faisant la connaissance des filles, Marcel comprendra mieux

sa société patriarcale.

Ce qui différencie les humains des bêtes, c'est le langage. Marcel a horreur

de sa nature animale dès son jeune enfance: "Depuis ma plus tendre enfance,

j'avais mal supporté les servitudes animales qui ridiculisent la condition

humaine"354. Quand Marcel comprend "le comble...Le comble, c'était que ma

princesse, ma fée, avait tout bêtement la colique..."355, il est dégoûté par le côté

matériel de la chose. Dans la communauté de Pagnol, les êtres humains ont de la

dignité.

Au moment où Marcel découvre que le poète Loïs de Montmajour n'est que

"Adolphe Cassignol, qui avait pris un faux nom, comme les forçats évadés..."356, il

ne s'intéresse plus à cette famille, ni à son rêve poétique et romantique. Le

réalisme de la situation n'est pas du tout inclus dans la description du monde de

Marcel Pagnol. Chez Pagnol, il y a une différence entre les bêtes et les personnes,

et bien que les personnages ne soient pas toujours aussi parfaits que l'auteur les

voudraient, le pardon et la tolérance sont présents dans ce monde idéalisé.

366

Page 70: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Pagnol explique que ce n'est qu'en revoyant de très loin cette tragicomédie

familiale qu'il a pu la reconstituer.357 L'écriture est donc une façon de reconstruire

le passé. Au moment où la scène s'est passée, Marcel ne l'a pas comprise.

Autrement, il nous rassure, il aurait pu en tirer de précieux enseignements.

Les expériences de la vie fournissent le matériel des récits. Quand le jeune

Marcel est en train de décider s'il veut accompagner la jeune fille perdue aux

Bellons, il se dit: "Et puis, le récit de cette rencontre, convenablement aménagé,

me fournirait une justification romanesque"358. L'écriture est donc une façon de

reconstruire le passé. Encore faut-il accommoder le récit au public. Marcel nous

donne l'exemple de sa méthode quand il essaie d'expliquer à la mère d'Isabelle

pourquoi parfois il dit des gros mots:

"Peut-être à l'école, ou alors quand je me pince les doigts avec un

piège...

-Un piège! s'écria la dame. Vous tendez des pièges?"

Ce n'était pas une chose à dire chez un chasseur de chasseurs.

Mais je rattrapai aussitôt cette parole imprudente, en spécifiant:

"A rats! Des pièges à rats, parce qu'il y en a à la maison!"

Puis, je compris instantanément que cet aveu d'une maison pleine

de rats allait discréditer la famille, et j'ajoutai précipitamment:

"Dans la cave! Il y a des rats qui viennent des fois dans la cave!"

Enfin, je réduisis le nombre de rats:

"Ils ne sont que deux, mais ils sont assez gros, et ils mangent les

provisions! Alors, quand je me pince les doigts dans un piège...."359

367

Page 71: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Lili montre qu'il est moins naïf que Marcel, car en écoutant son frère aîné

et les villageois, il a compris que le père d'Isabelle est un ivrogne. Pour ramener

Marcel au monde de la famille et de la collectivité, Lili et Paul vont l'espionner

chez Isabelle. Le narrateur admet volontiers qu'il y a "deux personnages qui ne

coïncidaient en rien"--Marcel, le petit garçon qu'il était avec sa famille, et le

personnage qu'il jouait avec Isabelle. Quand Paul et Lili racontent à la famille que

la fille le fait courir à quatre pattes, toute la famille se fâche et Augustine dit: "Si

les filles te font manger des sauterelles maintenant, je me demande ce qu'elles te

feront manger plus tard!"360. Un peu plus tard, Lili demande à Marcel: "Et toi, tu

te prends pour un chien?"361. C'est à ce moment-là que Marcel commence à

comprendre qu'il a mal fait en se séparant du groupe familial. C'est sa nature

animalière (voire, le côté "elle a du chien") qui a dominé.

Les exploits

Mais quand Isabelle part, Marcel pleure "comme un enfant perdu"362, et

c'est Lili qui s'avance, met son bras sur les épaules de Marcel et l'entraîne vers les

collines. Il le console en lui répétant au moins dix fois: "Allez, zou, ne sois pas

couillon..."363. Marcel rentre donc, par l'amitié de son ami, dans la communauté

des Bellons.

Revenu dans la communauté des hommes, Pagnol nous raconte un exploit

d'homme pour pouvoir le comparer plus tard au monde des émotions. Lili et

Marcel voient un énorme serpent en train d'avaler un lièvre. Il est dans un vallon

et Lili recule et dit: "O bonne mère! C'est le serpent de Pétugue!"364. Ces phrases

sont le commencement d'une petite digression au sujet de "l'ivrogne du village"365.

368

Page 72: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Un après-midi, Pétugue et son chien, "qui s'appelait Souffrance, mais qui

ne savait pas encore pourquoi..."366 s'arrêtent devant un fourré d'argéras.

Souffrance est attaqué par "une gueule rougeâtre, et immensément ouverte..."367, et

pendant que Pétugue recule de trente pas, il entend "les cris de souffrance de

Souffrance"368--le tic de style typiquement pagnolien (prenant la chose à la lettre).

Pétugue tire sur "la tête horrible [qui] s'éleva dans les airs"369, mais "les

chevrotines, ça lui a fait pas plus d'effet qu'une poignée de pois chiches!"370.

Pétugue raconte l'histoire au village et suggère: "Si on y allait à cinq ou six, avec

des balles, on pourrait peut-être l'avoir?"371. Si les hommes travaillent en équipe,

comme les fourmis, ils peuvent se débarrasser des menaces à leur survie.

Ensuite, Pagnol nous rappelle comment on établit et embellit un récit. Pour

prouver que son récit n'est pas une hallucination, le paysan va chaque jour à la

recherche du "monstre"372. Pétugue renonce même à la partie de boules le

dimanche "afin de pouvoir faire des gestes"373. Le récit prend une grande

importance dans le village et si quelqu'un éclate de rire, Pétugue allonge "sur-le-

champ" le serpent de 50 centimètres374 afin de les terroriser"375. Il circule de la

place de l'église vers l'esplanade "pour chercher d'autres auditeurs"376. Sa

crédibilité n'est pas bonne à cause de son alcoolisme et personne ne le croit. Enfin,

il n'y a plus d'auditeurs, à part les enfants "qui lui demandaient de 'raconter le

serpent', et qui hurlaient de rire à chaque mot"377.

Lili et Marcel vont donc témoigner en faveur de Pétugue pour "réhabiliter

ce martyr de la galéjade..."378. Est-ce la raison pour laquelle Marcel Pagnol raconte

des histoires? Nous savons que le jeune Marcel a une âme héroïque à cause de "la

fréquentation des Peaux-Rouges...[et] l'audace de [ses] héros favoris (qui ne

369

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reculent jamais devant un troupeau d'éléphants sauvages"379. Mais il nous explique

que: "Lili, terrorisé, voulut me retenir, parce qu'il n'avait pas lu mes livres"380. Le

caractère du personnage de Marcel est donc informé par ses lectures.

Les deux garçons arrivent, en travaillant ensemble, à pousser une grosse

pierre qui tombe sur le serpent et le tue. Bien que cette pierre pèse plus qu'eux, ils

le poussent "de toute la force de [leurs] cuisses de sauterelles"381. Ce qu'on ne peut

pas faire seul, on arrive à faire quand on travaille ensemble. Ensuite, Lili et

Marcel courent à la maison et Marcel cherche son souffle "(afin de [se] rendre

intéressant)"382. Même le récit sommaire de l'exploit, le brouillon, doit être

intéressant. Mais Joseph croit qu'il exagère et les hommes vont donc à la

recherche du cadavre.

Dans La Gloire de mon père, c'est Joseph qui tue les deux bartavelles.

Mais dans ce troisième tome, c'est le tour de Marcel de trouver sa valeur de

chevalier; c'est lui qui tue le monstre glorieusement allongé derrière eux.383 Joseph

est très fier de son fils qui devient ainsi membre du groupe en accomplissant ce rite

de passage. Il mesure, armé de son mètre, le serpent. Marcel le conteur est déçu

par son père car celui-ci fixe, en le mesurant, une limite au-delà de laquelle le

monstre ne pourrait plus grandir dans ses récits.

Le père de Marcel ne s'empêche pas pourtant de parler d'Isabelle, "cette

petite pécore [qui] le faisait courir à quatre pattes!"384. Il y a donc une

comparaison et une juxtaposition entre les exploits des hommes en face des bêtes

et les bêtises des hommes en face des femmes. Ce qui sera raconté au village, ce

sera ceux-là.

370

Page 74: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

La vraie gloire de Marcel, c'est le récit du "Tueur de Serpents" sur la

placette du village. D'abord, il y a un cercle d'enfants; ensuite, les femmes, puis

les paysans arrivent; finalement, le curé discute le nom de la bête en latin et fait

une photo de l'exploit et du serpent. Cette photo sera la base du récit de

"Bélérofon terrassant le dragon!"385. "[L]a seconde étape de la gloire (selon

Pagnol), et sans doute, l'apothéose..." est le récit de l'exploit de Marcel. Mais

lorsque Pétugue arrive pour vérifier l'histoire, il annonce que le serpent qu'il avait

vu était "deux fois plus épais, et trois fois plus long!"386. Joseph est sûr que c'est

parce que le paysan boit trop de vin qu'il ne reconnaît plus le serpent; il dit: "Ce

qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'il boit cinq ou six litres de vin par jour, et que ce

serpent s'est longuement nourri de vapeurs du jacquez"387. On voit donc, encore

une fois, comment un événement qui se passe réellement est agrandi et exagéré

pour demeurer un cliché pour la postérité dans une forme artistique.

D'ailleurs, notre auteur précise plus loin que c'est un "récit convenablement

arrangé"388. Pour assurer pourtant la crédibiité, il aurait "l'irrécusable

photographie"389 prise par le curé. Le jeune Marcel vérifie d'abord l'orthographe

de Bellérophon390 dans le dictionnaire et puis il commence "la rédaction de

l'épopée"391. Mais le problème est que "le catholique appareil" n'a pas fonctionné

et il n'y aura pas de photo. Evidemment, le poète qui chante l'épopée de la

Provence "sans un document de base" risque de chanter une victoire qui peut

passer pour une galéjade. Marcel a vu, n'est-ce pas, l'exemple de Pétugue.

Alors, au lieu d'écrire et de penser à ses amours, Marcel se réfugie dans

"l'amitié retrouvée de Lili et de la communauté.392 Les deux garçons attrapent des

grives en septembre qu'ils vendent à Baptistin pour un franc la pièce. Celui-ci les

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revendra à deux francs. Et petit à petit, Marcel n'oublie pas ses amours, mais

"[son] chagrin a[vait] pris la couleur de la saison"393 et "la petite reine rouge"394 du

temps jadis.

Eviter la violence

Le père du futur écrivain lui dit qu'ils vont réviser avant que Marcel n'entre

dans l'enseignement secondaire. Il est indispensable que celui-ci brille pour faire

honneur aux écoles publiques primaires. Joseph les défend, évidemment, contre

Jules qui favorise les méthodes plus traditionnelles. Une discussion s'ensuit entre

les deux beaux-frères; quand Jules parle des cachots du lycée, Joseph déclare que

les méthodes réactionnaires sont l'héritage abominable d'un passé clerical. Jules

répond qu'un manque de punition expliquerait "la médiocrité des bacheliers

d'aujourd'hui, comme la destruction de la Bastille explique l'anarchie dans laquelle

nous vivons"395.

C'est donc une reprise de la même conversation, mais ce dialogue devient

trop violent et il faut que les deux femmes l'interrompent. Alors, la tante Rose

pousse un cri de douleur--une guêpe ou une araignée vient de la piquer. Augustine

envoie Jules à la cuisine chercher un flacon d'ammoniaque que "personne ne l'avait

vu, ni en cet endroit, ni ailleurs"396. La séparation physique des deux interlocuteurs

est nécessaire quand le dialogue ne reste pas amical.

Puisque chacun semble avoir sa place dans la collectivité pagnolienne,

Marcel fait des dictées et apprend les douze cas de "Rosa la Rose" en latin alors

que Lili fait des tresses de petites pommes d'amour. Chaque personne va vers son

destin dans la communauté; Lili sera paysan et Marcel sera auteur.

372

Page 76: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Parlant des préparatifs faits pour l'entrée au lycée de Marcel, l'Académicien

mentionne un petit pardessus acheté à la Belle Jardinière et "dont je fus aussi fier

que d'une cape d'académicien"397. En effet, traverser le seuil du lycée, c'était se

mettre en route vers l'Académie Française. Pagnol décrit tous les cadeaux de la

famille--plumes, gomme, cahiers, boîtes--et comment ce nouveau départ était

comme le placement d'un spoutnik sur son orbite, c'est-à-dire, que le jeune garçon

allait découvrir un autre univers.398

Le petit monde de Marcel s'élargit quand Joseph va avec lui jusqu'au lycée.

Pendant ce chapitre, le lycée, fille de la République, est comparée à une cathédrale,

à une église et à une prison. Déjà, Marcel l'avait décrite à Lili comme "le temple

de la science"399. On y entend régulièrement des carillons et des tambours. Marcel

croit que le concierge, "enfermé dans sa cage vitrée" ressemble à un animal du

jardin zoologique, à un macaque, plus précisément.400

Une fois entré dans cette nouvelle école, on vouvoie Marcel. Cette entrée

est donc une sorte de baptême dans le monde des adultes. Et là, il y a "des élèves

ordinaires," mais il y a aussi "cinq ou six Chinois (qui étaient en réalité des

Annamites), un Nègre, et un garçon au teint bistré, aux cheveux frisés"401. C'est

donc un monde cosmopolite, c'est Marseille, c'est la diversité. Tous les garçons

jouent ensemble. Marcel fait la connaissance du petit Oliva, celui qui a été reçu

premier aux Bourses. Tout le monde se bouscule pour s'installer aussi loin que

possible de la chaire tandis que le maître crie: "Que c'est long, messieurs, que c'est

long!"402. Il annonce aux élèves: "...vous devez comprendre la nécessité du

travail, de l'ordre, et de la discipline"403. Le lycée est donc un microcosme de la

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Page 77: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

société marseillaise et cette société-là est un microcosme du monde. Ici, c'est le

début du vrai exploit.

Puisque le père de Marcel était instituteur dans son ancien école, la vision

du monde de Marcel était très influencée par Joseph. Mais dans le lycée, Marcel

apprend vite que certains élèves veulent copier ses devoirs. Il semble étonné par

une telle "action déshonorante"404. Alors, sa vision du monde changera et il nous

décrit la formation de cette nouvelle communauté.

La nouvelle communauté

La formation du groupe est visible en suivant Marcel au lycée pour la

première fois. Il est seul, ne connaissant personne. Dans la foule qui avance vers

l'externat, il demande à son voisin où ils vont. Ce voisin lui montre la porte du

cachot et aussi les élèves de "filo" et de "matélem" (sic)405. Le lecteur pourra

déchiffrer ces mots, mais le jeune Marcel n'est pas encore au courant. D'ailleurs, il

est "émerveillé par la richesse du langage secondaire"406, c'est-à-dire, "les

imputations déshonorantes et les ignominieux conseils que prodiguait la voix de

l'innocence enragée"407. Tout ce nouveau vocabulaire sert à initier le jeune Marcel

à la collectivité.

Ensuite, on voit ces mêmes jeunes dans une salle de classe devant leur

professeur de latin, "Socrate"408. Marcel est fier, mais un peu inquiet, d'avoir un

professeur qui porte les Palmes académiques. A côté du même voisin, Marcel

apprend que celui-ci est un cancre qui redouble le sixième. Pagnol explique

qu'..."en ce premier jour, nous étions presque tous dépaysés et solitaires: la classe

n'était pas encore formée"409.

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Cependant, la classe se forme dès le premier jour; d'abord, ils sont tous en

face de Socrate, le maître. Ensuite, ils se présentent dans une sorte de complicité

contre l'ennemi. Pagnol demande à son voisin son nom; pour répondre à la

question, celui-ci bêle; ceci est pour expliquer qu'il s'appelle Lagneau. Mais

puisque Socrate entend ce bêlement, il dit: "Et c'est parce que vous vous appelez

Lagneau que vous bêlez en classe?"410. Lorsque toute la classe commence à rire,

c'est le début de la complicité.

Le rire, en général, et surtout dans la communauté pagnolienne, aide à

former un groupe. Comme nous avons vu dans les collines, les braconniers

s'entraident contre les agents de police. En classe, c'est pareil--les élèves forment

une collectivité opposée au pouvoir. Mais puisque Marcel est le fils d'un

instituteur, il n'a jamais compris que le pouvoir contre lequel il faut s'opposer à

l'école est le professeur. Voilà pourquoi il remarque: "...comme pour tâter

l'adversaire, la classe essaya une forme d'impertinence tout à fait nouvelle pour

moi et dont la malice, tout en m'effrayant, m'enchanta"411. Il décrit "la

tyrolienne"412 où le premier élève répond "présent" avec une voix fluette, et le

deuxième dans un registre grave. L'altérnance des sons aigus et bas fait que tout le

monde participe à ce jeu innocent, mais subversif. Quand Socrate crie enfin:

"Silence!" , il y a "un silence de fin du monde"413. Puisque tout le monde allait y

participer, tout le monde se sent atteint par la punition de "Lagneau de sacrifice"414.

Littéralement, Lagneau est le bouc émissaire, l'agneau pascal, l'agneau de sacrifice,

tandis que le sens figuré est l'image derrière cette scène.

L'individu: la formation de l'auteur futur

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Page 79: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Lorsque Marcel décide de passer ses journées avec Isabelle, celle-ci

l'emmène avec elle dans un monde de littérature sentimentale. Elle lit La Petite

Marchande d'allumettes à Marcel. Le garçon n'aime pas les histoires tristes et il se

défend comme il peut contre l'émotion415 car l'expression ouverte de l'émotion est

interdite dans la communauté. Le jeune Marcel essaie de refuser ses sentiments

parce que..."celui qui avait raconté cette histoire essayait par tous les moyens de

me faire de la peine..."416. Mais Marcel dit que la voix d'Isabelle lisant cette

histoire pathétique..." pénétrait peu à peu mes défenses, et je sentis que son

émotion me gagnait"417. Là, l'auteur nous montre le développement de son côté

féminin et de ses sensibilités mélodramatiques.

Pourtant, la thématique de la fable de La Fontaine poursuit Marcel, et il se

met toujours du côté des fourmis. En cherchant des fenouils pour sa mère, il

raconte: "Je me mis donc à quatre pattes, et j'imaginai, pendant un moment, que

j'étais une fourmi dans un pré, afin de me faire une idée des sentiments--et peut-

être de la philosophie--de ces mystérieux insectes"418. Et c'est en parlant d'insectes

que le jeune Marcel sort de la forêt et voit "...une étrange créature..."419 qui sera

son premier amour. C'est cette créature qui causera l'abandon de l'amitié de Lili et

la mauvaise route envers la communauté.

Malgré le fait que Marcel ne devrait pas passer revoir Isabelle, il ne peut

pas s'en empêcher. Il invente donc une excuse pour ne pas aller voir les pièges

comme il avait promis à Lili. L'appel des filles empêche les hommes de s'unir.

L'auteur explique: "C'est ainsi qu'elles séparent les meilleurs amis, en riant sur des

balançoires qui s'arrêtent en deux minutes quand le mâle ne les pousse plus"420.

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L'ennemi de la communauté est l'individu qui garde un secret. D'ailleurs,

quand les parents de Marcel désapprouvent Isabelle, l'enfant veut l'épouser, mais

en secret et "...après la cérémonie du mariage, qui allait me transférer le

pouvoir..."421, il la conduirait à la maison où ses parents l'adopteraient. Pour

Marcel, il ne s'agit pas de quitter la communauté, mais de l'élargir.

Mais Isabelle et ses parents ne font pas partie de la communauté; ils sont le

contre-exemple de celle-ci. Ils vivent dans le monde de la littérature, et leur vie (et

surtout leur langage) est façonnée par les livres et les rêves. Ils sont romanesques

et précieux par rapport à la vraie communauté provençale. Chez eux, Marcel

entend un vocabulaire qu'il ne comprend pas. Il y a le mot "octave," car Isabelle

joue du piano. Il y a le "livigroub" (sic)--un terme que Marcel entend mal, et il

faut que Joseph déchiffre le mot "living-room"422 pour que Marcel comprenne.

Marcel est impressionné parce que le père d'Isabelle "corrige les fautes de

tous les autres" au Petit Marseillais.423 Mais Joseph insiste qu'il "corrige les fautes

des imprimeurs, et non pas celles des rédacteurs"424. La nuance est importante

pour montrer qu'il ne s'agit pas d'un maître de la parole. Marcel suit une fausse

piste en cherchant à appartenir à la collectivité.

Pour aggrandir la réputation du père d'Isabelle, Marcel exaggère: "...Il fait

des poésies superbes, et à Paris, tout le monde le connaît!"425. Il est intéressant de

noter que tout le monde a un point de vue opposé au sujet du poète. L'oncle Jules

répond: "Paris est loin...Ici, on n'en a pas encore entendu parler!"426. Joseph ne

veut pas faire un jugement téméraire sur le poète, et Jules ajoute que ce n'est pas

impossible qu'il soit un grand poète "car il s'est trompé deux fois de tramway"427.

Augustine dit: "Les poètes, ça vit dans un rêve, et ça finit par mourir de faim"428.

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Page 81: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

La tante Rose dit que ceux qui font des chansons pleines de grossièretés pour

l'Alcazar gagnent bien leur vie.429 Pagnol joue ici sur les stéréotypes des poètes et

les hommes de lettres romantiques, tandis que les poètes de l'Alcazar font partie de

la communauté provençale.

La description de la cérémonie de l'absinthe est faite du point de vue de

l'enfant Marcel. Il décrit ce qu'il voit sans comprendre que ce "poète" est

alcoolique. Par exemple, il dit: "...les mouvements parfois divergents de ses pieds

me firent penser aux yeux de Clémentine"430. Clémentine (qui louche) est la fille

de la concierge. Le poète appelle la liqueur "apsinte" ou "nectar"431; alors Marcel

sait que ce n'est pas "le terrible Pernod," mais "un breuvage de poète"432. Cette

visite du jeune garçon chez Isabelle oblige Marcel de mentir à Lili.433 Il a

l'impression de trahir Lili et sa communauté, mais il ne résiste pas à la fille. Voilà

pourquoi les filles et les mystères qui les entourent empêchent la formation de la

communauté.

Pourtant, pour Marcel, cette visite chez le poète et sa fille est essentielle

pour arriver à comprendre la langue et il faut être maître de la parole pour

participer à la communauté; c'est donc une étape nécessaire à l'initiation des

jeunes. Marcel ne comprend pas au début ce qu'il entend chez Isabelle. Comme

les mots "apsinte" et "livigroub," Marcel croit que le poète parle de "cygne" quand

il dit: "C'est un grand signe"434. Lorsque la femme et la fille du poète pleurent à

cause de la beauté des vers, le narrateur nous dit: "...je me demandais pourquoi ce

grand poète consacrait son génie à composer des vers qui faisaient tant de peine à

toute la famille"435. Comme d'habitude chez Pagnol, on commence à faire partie

de la communauté quand on apprend à bien interpréter les signes. Pour que

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Page 82: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Marcel comprenne, il faut qu'il fasse la connaissance d'autres personnes hors de sa

famille pour apprendre à ne pas prendre les expressions à la lettre.

Marcel entre donc "dans le monde irréel" où vivent Isabelle et sa famille,

ce "royaume de mots mystérieux"436. La fille et ses secrets sont associés à la

littérature et ses mystères. Dans ce monde qui parodie la littérature du Moyen

Age, il y a toujours des "cygnes." Marcel explique: "Il y en avait bien plus qu'au

jardin zoologique"437. Isabelle invite Marcel à jouer au "jeu du Chevalier de la

Reine"438. Une des épreuves du chevalier est de caresser un chien immense qui

semble féroce. Marcel, enfant, est à mi-chemin entre le monde des bêtes et celui

des hommes, c'est-à-dire qu'il n'est pas encore policé par les règles des hommes;

c'est lui qui a sauvé Isabelle des araignées, et c'est lui qui terrasse la bête féroce.

Mais sa nature animalière est plus difficile à dompter en face d'Isabelle, car il est

dans la servitude de sa beauté. Lorsqu' Isabelle ne tarde pas à abuser de son

autorité, Marcel est réduit à l'état d'esclave.

Mais le jeune Marcel, qui avoue avoir horreur "des scènes pathétiques et

des émotions inutiles..."439 préfère ne pas montrer ses sentiments en public. Et

après il se rend compte qu'Isabelle "...n'était ni fée, ni reine, ni noble. C'était Mlle

Castignole, une petite fille comme les autres, qui avait joué à m'humilier en me

faisant courir à quatre pattes..."440. Cependant, bien que Marcel comprenne que "le

poète buvait continuellement de l'absinthe..."441, il est quand même triste de voir

partir Isabelle parce qu'il avait été "amoureux fou" d'elle.442 Voilà l'image littérale

qui est sous-jacente à l'histoire du savoir du grand père racontée au petit-fils

Marcel au milieu de la nuit, autrement dit, la fable...

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Deuxième fable

Comme l'histoire de la tante Zoé dans La Trilogie Marseillaise, cette

histoire des grands-parents informe Le Temps des secrets. Le jeune Marcel ne

comprend pas la différence entre l'amour et la folie, et pour lui, il y a "un rapport

entre l'amour et la folie"443. Il croit littéralement l'expression "amoureuse folle"444,

car les mots de sa propre mère restent longtemps dans sa mémoire, quoique sans

explication. Il pense aux filles qu'il connaît--sa sœur Germaine, la fille de la

concierge, Clémentine, une cousine et une nièce de M. Besson que Joseph appelle

"un garçon manqué"445. Augustine explique à Marcel que les filles sont des êtres

fragiles et qu'il est dangereux de les contrarier parce qu'elles sont beaucoup plus

nerveuses que les garçons.446

Une nuit, une tragicomédie familiale se passe presque comme un rêve.

Pendant que la famille dort à la villa dans les collines, la tante Fifi, une des sœurs

aînées de Joseph, vient les chercher dans un fiacre. Cette arrivée est précipitée par

le père de Joseph, et donc le grand-pére de Marcel, André, qui réclame Marcel à

son chevet. Il demande de voir Marcel car c'est l'aîné de ses petits-enfants, celui

qui aura la charge d'être "le chef de la tribu" après la mort d'André et de Joseph.

Nous voyons donc la suite continuelle des générations dans la communauté

provençale. (Il est intéressant de noter aussi la dédicace de ce volume, car il est

dédié à Frédéric, le fils de Marcel Pagnol.) Les parents et Marcel montent donc

dans le fiacre et Marcel a l'impression de galoper "vers le dénouement d'une

aventure commencée quarante ans plus tôt"447. Cette histoire informe tout ce

volume et c'est aussi un lien important au passé. Dans Manon des Sources, nous

avons vu le contre-exemple de ce lien quand une source est perdue pour toujours

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Page 84: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

parce qu'un père a attendu trop longtemps avant de transmettre un renseignement à

son fils.

L'histoire des grands-parents commence en 1870, alors que c'est la guerre

qui menace l'unité de la famille et de la communauté. Pendant les jours terribles

de la Commune, l'hôtel de ville de Paris "dont les clochetons délicatement ciselés

faisaient la gloire de nos tailleurs de pierre"448 a été mutilé par les obus.

Indirectement, c'est la cause de la séparation et des problèmes du ménage d'André

Pagnol, car il a été choisi par les Compagnons des Bouches-du-Rhône pour aller à

Paris restaurer le monument.449

A l'époque, Paris était la "moderne Babylone"450 et André y est resté plus

d'une année. La séparation d'avec sa communauté a causé des malheurs. A Paris,

la mère des compagnons gouvernait la maison, l'Auberge des Compagnons du

Bâtiment, où André habitait. Elle admirait André parce qu'il parlait bien. Comme

Pagnol explique: "Le grand-père était Provençal. Il chantait bellement des Noëls,

et plus souvent des sérénades. Il riait volontiers, et le soir, pendant la courte

veillée au coin du feu, il savait raconter des histoires d'amour"451. Ces qualités qui

attiraient les femmes sont celles associées avec la communauté provençale.

Pagnol nous dit que "ce qui devait arriver arriva"452, et si le secret de leurs

amours étaient resté secret, les malheurs ne seraient pas venus après. Mais, la

parole est parfois traître, et un compagnon de passage à Paris qui a vu la liaison

entre André et la mère des compagnons, est allé ensuite à Marseille raconter cette

situation à la future grand-mère de Marcel.453 Quelques mois plus tard,

lorsqu'André est rentré à Marseille, il est réuni avec sa femme et sa famille et il a

oublié la mère des compagnons. "Mais la grand-mère ne l'oublia pas"454.

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Page 85: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

Tandis que le dialogue entre les hommes du village est rassurant et unit les

membres du groupe, il y a un grand danger dans le dialogue entre un homme et

une femme, car dans ce dialogue-là, il y a des secrets. L'existence de ces secrets

menace la collectivité dans Le Temps des secrets. Ce sont précisément ces secrets

qui risquent de diviser le couple et ensuite le groupe collectif.

Les hommes cachent leur désirs sexuels dans la conversation, mais les

femmes savent se méfier des mots. Et la grand-mère se sert très habilement du

dialogue pour apprendre la vérité de la perfidie de son mari. Elle commence par

lui raconter, "sur le ton de la plaisanterie"455 la visite du compagnon déloyal. C'est

le début d'une comédie qui a duré quarante ans"456.

Ensuite, la grand-mère amenait la conversation sur la ville de Paris, l'anti-

Provence, pour que le grand-père parle de la mère des compagnons. Après, elle

disait à son mari: "André, je sais très bien que ce compagnon m'a menti. Mais ce

qui m'étonne, c'est que tu ne peux pas t'empêcher de parler de cette femme!"457.

Un jour, André décide de parler "franchement" de cette affaire, et "...c'est à l'abri

de cet adverbe que la Sincérité de Marseille [André] se précipita dans le

mensonge"458. C'est donc le fait de s'engager dans la conversation avec sa femme

qui cause la comédie (et ensuite le drame) des grands-parents.

Une fois, après le mensonge d'André, la grand-mère annonce à leurs filles

que si un homme trompe sa femme, ce n'est pas si important que cela. "Le plus

grave, c'est qu'il lui mente, et qu'il lui cache ce que tout le monde sait"459.

L'importance de la parole est donc soulignée par la grand-mère, tandis qu'André

réplique: "Ça...ce sont des paroles...Et si jamais je biscotais une autre femme..."

Mais la grand-mère répond qu'elle pardonnerait à son mari et qu'elle n'en parlerait

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Page 86: chapitre 6 Les Souvenirs d'enf - Pamela Beth Klein · Web viewLili dit qu'il ne savait pas que "les micropes" existaient parce qu'il n'en avait pas. Il ajoute: "Je sais même pas

"JAMAIS"460. Cependant, Pagnol ajoute: "Mais elle ne parlait que de ça, même

quand on croyait qu'elle n'en parlait pas, et l'interrogatoire, commencé en 1871,

dura jusqu'en 1907"461. C'est donc cela le secret et le mystère des femmes: la folie

accompagne l'amour.

André décide de parler un soir, quand il a quatre-vingt-six ans, parce que sa

femme, Eugénie, a mis trop de marc dans leur tisane de thym. Il lui dit: "Eugénie,

l'alcool, c'est diabolique..."462. Puisque c'est le jour de leur soixante ans de

mariage, Eugénie propose qu'ils boivent du vin de Champagne. Quand André a

trop bu, la grand-mère lui dit: "La vérité, je la connais depuis quarante ans, mais

je voudrais que tu me la dises"463. Alors, finalement, il cède à la demande de sa

femme et il lui raconte l'histoire de ses amours avec la mère des compagnons. Le

résultat est que la grand-mère le mord (avec la seule dent qui lui reste) dans

l'épaule.

En voici donc un autre exemple du procédé préféré de Marcel Pagnol, et

cette fois-ci, il l'inclut directement dans la fable. Il mélange le sens figuratif avec

le sens littéral de l'expression: avoir une dent contre quelqu'un. Pendant quarante

ans, la grand-mère garde du ressentiment contre son mari parce qu'il l'a trompée à

Paris. Enfin, elle lui demande de lui dire la vérité et "...la dent magnifique de ma

grand-mère. Elle l'avait plantée dans l'épaule d'André..."464. La morale de cette

histoire que le grand-père veut transmettre à son petit-fils, est: "méfie-toi des

femmes!"465. Selon lui, sa femme est devenue folle. "On entendit un long cri de

bête, un cri tremblant de rage et de désespoir"466.

Pour André, il s'agit de la folie furieuse. Mais Augustine lui répond:

"Non,...c'est ça l'amour"467. La thématique de ce tome est donc l'amour, car les

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secrets entourent l'amour. Et comme André voulait communiquer son message à

sa descendance, ainsi Pagnol veut l'expliquer à son fils, Frédéric, à qui il dédie ce

volume. Ce n'est pas une coïncidence.

Armés de ces renseignements et ayant vu l'exemple de la grand-mère qui

mord le grand-père André après soixante ans de mariage, Marcel se méfie des

filles.

Evidemment, et peut-être plus que jamais, le point de vue de l'auteur est

cent pour cent masculin. Les femmes ne comprennent pas les hommes; l'amour,

ainsi que la passion et ses secrets, risquent de désunir la communauté pagnolienne.

Dans ce troisième volume des Souvenirs d'enfance, nous voyons donc les

deux sortes de récits: les exploits des héros, ceux qu'on raconte pour la formation

de la collectivité, et les secrets d'amour, ceux dont on ne parle pas en public.

L'individu qui arrive à comprendre cette vérité pour pouvoir s'intégrer à la

communauté est l'auteur.

L'épiphanie

Le dernier tableau d'une communauté dans l'œuvre de Marcel Pagnol est à

la fin du Temps des secrets. Les quatre-vingt-dix pages finales de ce volume sont

une description pittoresque du lycée où Marcel Pagnol est allé à Marseille. Ce

sont ces années à ce lycée qui forment la personnalité et la vision du monde de

l'auteur.

L'épiphanie célèbre du personnage de Marcel Proust arrive quand il goûte

la madeleine et il se souvient de son passé. C'est un moment sensuel qui déclenche

la mémoire involontaire. Chez Marcel Pagnol, ce tournant décisif de sa vie est un

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choix fait par l'auteur, une décision prise consciemment après avoir vécu avec sa

famille, dans les collines et parmi ses amis à l'école secondaire.

J'ai montré que dans chaque pièce, chaque film et chaque livre de Marcel

Pagnol, il s'agit d'une communauté dans laquelle un individu s'oppose aux

membres de la collectivité. Cette communauté est le garant de la survie de la

société humaine. Il faut que les personnages de ce groupe soient unis par un

dialogue, car le langage est le propre de l'homme. La grande question posée par

Pagnol dans chaque œuvre est celle-ci: Quelle est la place de l'individu au sein

d'une communauté?

La réponse de Pagnol ne met pas en question la société, car il n'est jamais

question dans ses textes de révolution. Par contre, l'individu qui s'oppose aux

autres n'est pas exclu du groupe à la conclusion de l'œuvre, et la communauté

devient plus tolérante car elle est obligée de considérer tous les points de vue. Les

différentes perspectives entrent dans la conversation à travers le dialogue qui a

généralement un aspect comique.

Pourtant l'auteur choisit son rôle, sa place en tant qu'individu du groupe, au

seul moment dans toute l'œuvre où les mots ne suffisent pas pour négotier une

position. Il est obligé de choisir son point de vue, parce qu'il va se battre contre

Pégomas, l'élève externe et richard qui insulte les demi-pensionnaires et les

boursiers (dont Marcel) en disant: "Les demi-pensionnaires sont des pedzouilles,

et les boursiers sont des miteux. La preuve c'est que le gouvernement vous fait

manger ici, parce que chez vous, il n'y a pas de quoi bouffer"468. Marcel pense:

"Ce gros plein de soupe venait de parler de la pauvreté de Joseph!"469. Et donc

pour défendre les pauvres contre les riches, Marcel le frappe; c'est "le coup de Nat

385

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Pinkerton, qui 'désoriente l'adversaire.'" (La littérature influence toujours ses

actions.)470

Avant ce coup de poing, un des professeurs, celui qu'on appelait Socrate,

avait dit à Joseph que Marcel était "un demeuré"471 et Lagneau avait dit à Marcel:

"Tu ne te fais pas remarquer"472. Le jeune Marcel est blessé profondément par

cette remarque "...car il me révélait qu'aux yeux même de mon ami, je n'avais,

dans notre petit monde, aucune situation morale"473. Il est vrai que Pagnol avait

peur d'une retenue, mais à cause de l'insulte de Pégomas, il décide de faire un coup

d'éclat pour sortir de son anonymat.

Pégomas est un externe insolent qui rudoie volontiers les faibles. Il se

vante de sa richesse et Marcel décide de défendre les "pedzouilles," les "boursiers

miteux," et les pauvres--ce qu'il fera dans toute son œuvre littéraire et

cinématographique. Il gagne en courage parce que, comme il explique: "j'étais le

centre d'intérêt de l'étude, je me sentais de plus en plus fort, j'étais ivre de

confiance et de vanité"474. Mais Marcel commence à être nerveux aussi; Lagneau

et Augustine le remarquent. Marcel affirme: "...je me rendis compte que la

période orale et glorieuse de mon aventure était terminée..."475. Enfin, il fallait "se

battre pour tout de bon"476. Sinon, "tout mon héroïsme verbal sombrerait dans le

ridicule"477.

Le jeune Pagnol ne pense donc pas à la peur qu'il a des retenues, ni à être le

plus brillant de sa classe. Il assume le poste du défenseur des petites gens et il

gagne la bataille contre Pégomas. Son rôle dans sa communauté est décidé;

désormais, il se servira de mots pour frapper.

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Avant cette scène où Marcel agit, les personnages pagnoliens ne faisaient

que parler sans agir d'une façon violente; alors, pourquoi Pagnol décide-t-il de se

battre à ce moment-là? Avec sa "passion des mots"478, il nous fait le récit du lycée;

il applique les mêmes principes déjà décrits dans les volumes des Souvenirs

d'enfance (par exemple, le récit de la chasse, le récit du serpent, etc.).

Marcel a appris ces techniques narratives dans les collines; d'abord, il

observe un exploit, ensuite l'événement est raconté plusieurs fois avec des

exagérations, des hyperboles et des embellissements; ensuite, le récit est fixé. Ici,

il raconte la formation de sa propre personnalité d'auteur en tant qu'individu qui

s'oppose à la société des riches et puissants.479

Lorsque Marcel entre dans ce lycée, il ne connaît personne, Dans le

réfectoire, il s'assoit à table avec quatre garçons: "Ce repas fut une merveilleuse

récréation. Je n'avais jamais déjeuné avec des garçons de mon âge, sans aucune

grande personne pour nous imposer le silence...La conversation fut d'un grand

intérêt, et je savourai le plaisir, tout nouveau pour moi, de dire des gros mots en

mangeant"480.

Pagnol décrit tous les personnages de son "petit univers.481 La hiérarchie

de l'établissement comprend: Monsieur le proviseur, les censeurs, cinq ou six

professeurs qui oublient parfois le nom des élèves, les surveillants généraux, et les

pions. Marcel admet que cette organisation lui fait peur: "Ils étaient vraiment trop

nombreux, on ne pouvait ni les comprendre, ni les aimer, ni les séduire"482. Il se

sent pourtant "cerné par un grand nombre de personnages, tous différents les uns

des autres, mais coalisés contre [lui] pour [le] pousser sur le chemin de la

science"483.

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Marcel est "entièrement dépaysé"484 car au lycée, il n'était plus "le fils de

Joseph, le petit garçon que tous les maîtres tutoyaient"485. Il s'agit donc de sa

séparation d'avec son père; Pagnol raconte: "Maintenant j'étais à l'étranger, chez

les autres"486. Il faut qu'il développe ses propres relations avec les autres membres

de sa génération. Et puisque c'est un monde impersonnel, il est nécessaire que

Marcel établisse sa propre identité.

Le monde du lycée est un monde à part, et c'est l'avenir de la communauté.

Pagnol commente: "...je constate aujourd'hui que notre vie du lycée nous avait

presque détachés de nos familles, dont nous ne parlions jamais entre nous..."487. Il

ajoute: "Notre existence était réduite à nous-même..."488. De plus, les familles

ignoraient presque tout de la vie scolaire. Pagnol explique: "D'ailleurs, je parlais

un langage obscurci par des abréviations surprenantes, ou des métaphores bizarres,

qui était l'idiome (d'ailleurs provisoire et changeant) de l'internat"489. Voilà donc

une communauté dans une plus grande communauté.

Quand Augustine et Paul venaient chercher Marcel à l'école, il dit qu'ils [l']

embrassèrent avec autant d'émotion que si je revenais d'Amérique"490. Il avoue

"...tout en marchant, je mis au point le récit de ma journée, à l'intention de

Joseph"491. Pendant le dîner, Marcel raconte sa journée à sa famille; elle écoute

"avec le plus vif intérêt"492.

C'est la première fois que Marcel est dans un monde où la population n'est

pas homogène et où son père ne peut pas le protéger. A part les quelques élèves de

races et de nationalités diverses, il y a les pensionnaires, les demi-pensionnaires,

les externes et les internes. Il y a donc une différence de classe et de langage. Le

langage des pauvres contient "la virile grossièreté"493, tandis que les riches disent

388

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des choses comme "Tu n'es qu'un sot!"494. Pagnol se met du côté des pauvres et

remarque: "Une telle faiblesse dans l'expression nous faisait sourire de pitié"495.

Au lycée, Marcel continue la lecture et il adore Buffalo Bill, Nick Carter et

Nat Pinkerton. Il les lit avec passion. Nous pouvons aussi constater l'influence

dans sa pensée du vocabulaire de La Fontaine: "On entendit pépier l'oiseau, puis il

se lança dans un ramage beaucoup plus beau que le plumage de Berlaudier"496.

Nous découvrons aussi dans ce monde du lycée la genèse de certaines scènes et de

certains personnages dans l'œuvre future de Pagnol. Par exemple, un pion

s'appelle Piquoiseau;497 un personnage de ce nom apparaîtra dans Marius. Un

élève nommé Berlaudier--celui que Pagnol appellera "le sonore Berlaudier"

apporte un petit instrument de musique en classe un jour pour faire "une

rossignolade"498. Il sera transformé plus tard à l'élève Séguédille dans la pièce

Topaze.

Marcel finit par se sentir à l'aise dans son étude, après avoir passé un

trimestre avec les mêmes élèves. Il dit: "A la fin du trimestre, je fus acclimaté et

je me sentis chez moi dans mon étude, où j'allais toujours m'asseoir avec plaisir,

parmi ceux de ma tribu"499. Il réfléchit à la place de chacun dans ce groupe:

Berlaudier représente le chahut, Lagneau les retenues, Schmidt la balle au pied, et

Zacharias en est le cancre. Vigilanti ne recule jamais, Oliva a toujours un prix

d'excellence, Nelps écrit des poésies, Carrère est l'érudit, le sage et l'arbitre, Pico et

Gillis sont les premiers ex œquo.

Dans cette petite communauté de la classe, chaque garçon a son identité,

sauf Marcel. Il les observe et il sait qu'il est difficile de concentrer son attention

sur un sujet imposé à cause de son âge et des "mystérieux changements qui

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transformaient [son] organisme..."500, mais il trouve qu'il végétait "dans l'ombre de

la médiocrité"501.

Jusqu'à ce jour-là, Marcel avait "une immunité totale" en sa qualité de fils

de Joseph. Au lycée, la peur des retenues l'avait écarté des bagarres.502 Alors, le

lendemain du coup de Pégomas sur le nez d'Oliva, après une heure de grammaire

française, "la récréation sanglante" a lieu.503 Marcel va venger "le nez d'Oliva, la

gloire de l'étude, et l'honneur du nom..."504.

Heureusement pour Marcel, un pion avait tout vu et tout entendu, car

Marcel a d'abord demandé à Pégomas de répéter les insultes; tous les membres de

son étude étaient de son côté parce qu'il a voulu défendre un ami. C'était "une

glorieuse journée" parce que le nez de Pégomas était "aussi jaune que le safran de

la bouillabaisse"505. Il est curieux que l'auteur parle ici de bouillabaisse qui est

typiquement de Marseille, car mentalement, nous mélangeons les personnes qu'il

défend avec la Provence.

Une fois la bataille gagnée, la force et l'identité de l'auteur dans sa

communauté sont établies pour de bon. Sa réputation est soutenue par l'autorité de

son regard, "la calme violence de [ses] paroles"506, et les fuites répétées de

Pégomas. La place de cet individu, Marcel Pagnol, dans sa communauté est

établie: il sera, selon lui, un combattant redoutable et un redresseur de torts. Voilà

sa vision de soi.

Désormais, son initiation à la collectivité est derrière lui et nous

connaissons tous les secrets de sa personnalité. C'est le barde et le chantre de la

Provence. L'ancien "demeuré" est devenu Marcel Pagnol, auteur de la

communauté.

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Notes

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1 Je les appelle "romans" parce que les scènes sont choisies et agencées et les souvenirs ne sont pas exhaustifs.

2 Il y a un quatrième tome, Le Temps des amours, qui a eu une publication posthume par l'éditeur de Pagnol, Bernard de Fallois. Puisque Pagnol lui-même ne l'a pas publié de son vivant, je considère ce tome comme une œuvre inachevée.

3 Marcel Pagnol, La Gloire de mon père (Paris: Editions de Fallois, 1988) 11.

4 Ibid. 130.

5 Ibid. 136.

6 Ibid. 82.

7 Ibid. 75.

8 Ibid. 44.

9 Ibid. 10.

10 Ibid. 11.

11 Ibid. 12.

12 Ibid. 11.

13 Ibid. 88.

14 Ibid. 99.

15 Ibid. 182.

16 Voir la discussion à ce sujet dans mon premier chapitre, Topaze.

17 Pagnol, La Gloire de mon père 14.

18 Ibid. 57-58.

19 Ibid. 53.

20 Ibid. 47.

21 Ibid. 7.

22 Ibid. 212.

23 Ibid. 44.

24 Ibid. 185.

25 Ibid. 215.

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26 Ibid. 28.

27 Ibid. 123.

28 Ibid. 58.

29 Ibid. 63-64.

30 Ibid. 29.

31 Voir les discussions de Marius (Chapitre 2) et de La Femme du boulanger (Chapitre 4).

32 Pagnol, La Gloire de mon père 30.

33 Ibid. 38.

34 Ibid.

35 Ibid. 41.

36 Ibid. 84.

37 Ibid. 104-105.

38 Ibid. 105.

39 Ibid.

40 Ibid.

41 Ibid. 106.

42 Ibid. 194.

43 Ibid.

44 Ibid. 195.

45 Ibid.

46 Ibid. 117.

47 Ibid. 118.

48 Ibid. 119.

49 Ibid. 120.

50 Ibid.

51 Ibid. 121.

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52 Ibid. 117-118.

53 Ibid. 127.

54 Ibid. 210.

55 Ibid. 211.

56 Ibid. 102.

57 Ibid. 103.

58 Ibid. 127.

59 Ibid. 186.

60 Ibid. 195.

61 Ibid. 31.

62 Ibid. 39-40.

63 Ibid. 130-131.

64 Ibid. 67.

65 Ibid.

66 Ibid. 69.

67 Ibid. 70.

68 Ibid. 171.

69 Ibid. 74.

70 Ibid. 30.

71 Ibid. 77.

72 Ibid. 91.

73 Ibid. 24.

74 Ibid. 31.

75 Voir la discussion dans le premier chapitre, Topaze.

76 Pagnol, La Gloire de mon père 68.

77 Ibid. 69.

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78 Ibid.

79 Ibid. 67.

80 Ibid. 134.

81 Ibid. 159.

82 Ibid. 202.

83 Ibid. 204.

84 Ibid. 114.

85 Ibid. 132.

86 Ibid.

87 Ibid. 131.

88 Ibid. 132.

89 Ibid. 140.

90 Ibid. 41.

91 Ibid. 39. Voir aussi la discussion des gants au sujet de Tamise dans Topaze.

92 Ibid. 102.

93 Ibid. 99-102.

94 Ibid. 99.

95 Ibid.

96 Ibid. 101.

97 Ibid. 102.

98 Ibid. 7.

99 "Cet enfant d'Aubagne devait être l'abbé Barthélémy, auteur illustre du Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, et fut élu à l'Académie Française le 5 mars 1789, au vingt-cinquième fauteuil: c'est ce fauteuil même que j'ai l'honneur d'occuper, depuis le 5 mars d'une autre année." Pagnol, La Gloire de mon père 26.

100 Pagnol, La Gloire de mon père 37.

101 Ibid. 69.

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102 Ibid. 47.

103 Ibid.

104 Ibid. 161.

105 Ibid.

106 Ibid. 164.

107 Ibid. 165.

108 Ibid. 164.

109 Ibid. 167.

110 Ibid. 147.

111 Ibid. 72.

112 Ibid. 75.

113 Ibid. 76.

114 Ibid.

115 Ibid.

116 Ibid. 96.

117 Ibid.

118 Ibid. 97.

119 Ibid. 111.

120 Ibid. 115.

121 Ibid.

122 Ibid.

123 Ibid. 116.

124 Ibid.

125 Ibid. 123.

126 Ibid. 129.

127 Ibid. 126.

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128 Ibid.

129 Ibid.

130 Ibid. 135.

131 Ibid.

132 Ibid. 142.

133 Ibid. 59.

134 Ibid. 114-115.

135 Ibid. 174.

136 Ibid. 198.

137 Ibid. 177.

138 Ibid. 215.

139 Ibid. 216.

140 Ibid. 198.

141 Ibid. 31-32.

142 Ibid. 32.

143 Ibid. 39.

144 Ibid. 41.

145 Ibid.

146 Ibid. 50.

147 Ibid. 132.

148 Ibid. 163.

149 Ibid. 143.

150 Ibid. 217.

151 Ibid. 49-50.

152 Ibid. 104.

153 Ibid. 105,

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154 Ibid. 105.

155 Ibid. 106.

156 Ibid.

157 Ibid.

158 Ibid. 107.

159 Ibid.

160 Ibid. 108.

161 Ibid.

162 Ibid.

163 Ibid. 109.

164 Marcel Pagnol, Le Château de ma mère (Paris: Editions de Fallois, 1988) 77.

165 Ibid. 105.

166 Ibid. 79.

167 Ibid. 73.

168 Ibid. 132.

169 Ibid. 133.

170 Ibid.

171 Ibid. 141.

172 Ibid. 143.

173 Ibid.

174 Ibid. 179.

175 Ibid. 182.

176 Ibid. 172.

177 Ibid. 173.

178 Ibid. 12.

179 Ibid.

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180 Ibid. 16.

181 Ibid. 12.

182 Ibid. 14.

183 Ibid.

184 Ibid. 15.

185 Ibid.

186 Ibid. 35.

187 Ibid.

188 Ibid. 19.

189 Ibid.

190 Ibid.

191 Ibid. 215.

192 Ibid. 21.

193 Ibid.

194 Ibid. 93.

195 Ibid. 91.

196 Ibid. 72.

197 Ibid.

198 Pagnol, Le Château de ma mère 72.

199 Pagnol se moque du Félibrige dans Trois Lettres de mon moulin; Vivette, la petite-fille de Maître Cornille dans "Le Secret de maître Cornille," parle à Daudet de l'Armana Prouvençaou: "C'est le seul livre qu'on ait à la maison. Tous les soirs, je lis une histoire à grand-père." Plus tard, elle ajoute: "Vous, vous comprenez le provençal, mais vous ne savez pas l'écrire?" La réponse de Daudet est négative et elle conclut: "C'est dommage, parce que si on mettait vos histoires dans l'Armana, vous seriez aussi connu que Roumanille, ou Charloun Rieu." Lorsque Daudet répond: "Il y a aussi des gens qui lisent le français...," elle répond: "C'est pas la même chose...." Marcel Pagnol, Oeuvres Complètes de Marcel Pagnol, vol. 6 (Paris: Club de l'Honnête Homme, 1970-71) 358-359. L'ironie est confirmée par le fait qu'Alphonse Daudet est beaucoup plus connu aujourd'hui que les auteurs du Félibrige.

200 Pagnol, Le Château de ma mère 153.

201 Voir la discussion dans la note 199 de ce chapitre.

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202 Pagnol, Le Château de ma mère 99.

203 Ibid. 113.

204 Ibid. 117.

205 Ibid. (J'ai souligné.)

206 Ibid. (J'ai souligné.)

207 Ibid. 64.

208 Ibid. 125.

209 Ibid. 127.

210 Voir dans le deuxième chapitre à propos de César, où tout redevient relatif quant à la Vérité.

211 Pagnol, Le Château de ma mère 129.

212 Ibid. 129-130.

213 Ibid. 99.

214 Ibid. 102.

215 Ibid. 103.

216 Ibid. 170.

217 Ibid. 171.

218 Ibid. 76.

219 Est-ce un jeu de mots avec le dictionnaire?

220 Pagnol, Le Château de ma mère 76.

221 Ibid. 83.

222 Ibid.

223 Ibid. 101.

224 Ibid. 100.

225 Ibid.

226 Ibid. 101.

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227 Ibid. 113.

228 Pagnol, La Gloire de mon père 9-10.

229 Pagnol, Le Château de ma mère 120.

230 Ibid. 160.

231 Ibid.

232 Ibid. 182.

233 Ibid. 183.

234 Ibid. 189.

235 Ibid.

236 Ibid. 65.

237 Ibid. 67.

238 Ibid.

239 Ibid. 184.

240 Ibid. 185.

241 Ibid. 189.

242 Ibid. 191.

243 Ibid.

244 Ibid. 192.

245 Ibid. 194.

246 Ibid. 120.

247 Ibid. 121.

248 Ibid. 106.

249 Ibid. 108.

250 Ibid. 110.

251 Ibid. 126.

252 Ibid. 94.

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253 Ibid. 195.

254 Ibid. 89.

255 Ibid. 48.

256 Ibid. 50.

257 Ibid.

258 Ibid.

259 Ibid. 87.

260 Ibid. 51.

261 Ibid. 188.

262 Ibid. 196.

263 Ibid.

264 Ibid. 211.

265 Ibid. 212.

266 Ibid. 69.

267 Ibid. 70.

268 Ibid.

269 Ibid. 73.

270 Ibid. 74.

271 Ibid. 81.

272 Ibid.

273 Ibid. 84.

274 Ibid.

275 Ibid. 13.

276 Ibid.

277 Ibid. 14.

278 Ibid. 28.

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279 Ibid. 30.

280 Ibid.

281 Ibid.

282 Ibid. 38.

283 Ibid. 71-72.

284 Ibid. 145-146.

285 Edith Wharton, French Ways and Their Meaning (Lee, MA: Berkshire House Publishers, 1997/1919) 143.

286 Pagnol, Le Château de ma mère 149.

287 Ibid.

288 Ibid. 150.

289 Ibid. 153.

290 Ibid. 164.

291 Ibid. 166.

292 Ibid. 200.

293 Ibid.

294 Ibid. 206.

295 Ibid. 168.

296 Ibid. 169.

297 Ibid. 9.

298 Ibid.

299 Ibid. 7.

300 Ibid. 10.

301 Ibid. 64.

302 Ibid. 105.

303 Ibid. 115.

304 Ibid. 130.

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305 Ibid. 131.

306 Ibid. 132.

307 Ibid. 133.

308 Ibid. 75.

309 Ibid.

310 Ibid. 76.

311 Ibid. 138.

312 Ibid. 213.

313 Ibid. 58.

314 Ibid. 60.

315 Ibid. 61.

316 Ibid. 62.

317 Ibid. 210.

318 Ibid. 214.

319 Ibid.

320 Ibid.

321 Ibid. 216.

322 Ibid. 217.

323 Ibid. 218.

324 Ibid.

325 Ibid.

326 Ibid. 215.

327 Marcel Pagnol, Le Temps des secrets (Paris: Editions de Fallois, 1988) 14.

328 Ibid. 22.

329 Ibid. 23.

330 Ibid. 22.

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331 Ibid.

332 Ibid. 23.

333 Ibid. 62.

334 Ibid.

335 Ibid. 110.

336 Ibid.

337 Ibid.

338 Ibid. 117.

339 Ibid. 118.

340 Ibid.

341 Ibid. 148.

342 Ibid.

343 Ibid.

344 Ibid.

345 Ibid.

346 Ibid.

347 Ibid. 150.

348 Ibid. 151.

349 Ibid. 152.

350 Ibid. 54.

351 Ibid. 55.

352 Ibid. 58.

353 Ibid.

354 Ibid. 156.

355 Ibid. 157.

356 Ibid. 159.

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357 Ibid. 24.

358 Ibid. 72.

359 Ibid. 84.

360 Ibid. 145.

361 Ibid. 146.

362 Ibid. 165.

363 Ibid.

364 Ibid. 167.

365 Ibid.

366 Ibid.

367 Ibid. 168.

368 Ibid.

369 Ibid.

370 Ibid.

371 Ibid.

372 Ibid. 169.

373 Ibid.

374 Ibid.

375 Ibid.

376 Ibid.

377 Ibid.

378 Ibid. 170.

379 Ibid.

380 Ibid.

381 Ibid. 171.

382 Ibid. 173.

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383 Ibid. 174.

384 Ibid.

385 Ibid. 178.

386 Ibid. 180.

387 Ibid.

388 Ibid. 181.

389 Ibid.

390 Voir Le Petit Robert 2 Dictionnaire Universel des noms propres (Paris: Dictionnaires Robert, 1975)--Bellérophon, avec l'aide de Pégase, dompte l'inspiration poétique et tue la Chimère. 206.

391 Pagnol, Le Temps des secrets 182.

392 Ibid.

393 Ibid. 183.

394 Ibid. 184.

395 Ibid. 189.

396 Ibid.

397 Ibid. 193.

398 Ibid. 195.

399 Ibid. 191.

400 Ibid. 198-199.

401 Ibid. 201.

402 Ibid. 205.

403 Ibid. 207.

404 Ibid. 208.

405 Ibid. 211.

406 Ibid.

407 Ibid.

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408 Ibid. 213.

409 Ibid.

410 Ibid. 214.

411 Ibid. 215-216.

412 Ibid. 216.

413 Ibid. 218.

414 Ibid.

415 Ibid. 100.

416 Ibid.

417 Ibid.

418 Ibid. 64-65.

419 Ibid. 65.

420 Ibid. 124.

421 Ibid. 152.

422 Ibid. 91.

423 Ibid. 89.

424 Ibid.

425 Ibid.

426 Ibid.

427 Ibid. 90.

428 Ibid.

429 Ibid.

430 Ibid. 105.

431 Ibid. 107.

432 Ibid.

433 Ibid. 108.

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434 Ibid. 130.

435 Ibid. 129.

436 Ibid. 132.

437 Ibid.

438 Ibid. 133.

439 Ibid. 163.

440 Ibid.

441 Ibid.

442 Ibid. 164.

443 Ibid. 49.

444 Ibid.

445 Ibid. 58.

446 Ibid. 51.

447 Ibid. 28.

448 Ibid. 29.

449 Ibid.

450 Ibid. 30.

451 Ibid.

452 Ibid. 31.

453 Ibid. 32.

454 Ibid. 34.

455 Ibid.

456 Ibid. 35.

457 Ibid.

458 Ibid. 36.

459 Ibid. 38.

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460 Ibid.

461 Ibid.

462 Ibid. 40.

463 Ibid. 44.

464 Ibid. 46.

465 Ibid.

466 Ibid. 47.

467 Ibid.

468 Ibid. 273.

469 Ibid.

470 Ibid.

471 Ibid. 256.

472 Ibid. 259.

473 Ibid.

474 Ibid. 262.

475 Ibid. 264.

476 Ibid.

477 Ibid.

478 Ibid. 252.

479 Quant à "La Cigale et la Fourmi," dans ce contexte, Pagnol devient la cigale en tant qu'écrivain et provençal. Ce sont les autres fourmis qui travaillent.

480 Pagnol, Le Temps des secrets 223.

481 Ibid. 251.

482 Ibid. 237.

483 Ibid. 233.

484 Ibid.

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485 Ibid.

486 Ibid.

487 Ibid. 251.

488 Ibid.

489 Ibid.

490 Ibid. 231.

491 Ibid.

492 Ibid. 232.

493 Ibid. 241.

494 Ibid.

495 Ibid.

496 Ibid. 246.

497 Ibid. 234.

498 Ibid. 244.

499 Ibid. 242. Le mot "tribu" est celui que Jacques Bens choisit pour parler de la communauté pagnolienne. Voir Jacques Bens, Pagnol (Paris: Ecrivains de toujours, 1994).

500 Pagnol, Le Temps des secrets 253.

501 Ibid. 259.

502 Ibid. 267.

503 Ibid. 271.

504 Ibid. 272.

505 Ibid. 279.

506 Ibid. 282.