24
Tous droits réservés © Cinémas, 2015 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 09/03/2021 4:06 p.m. Cinémas Revue d'études cinématographiques Journal of Film Studies Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéale Charles Koechlin and the Love of Stars: Acting as the Expressive Driving Force of an Ideal Film Music Michel Duchesneau L’acteur entre les arts et les médias Volume 25, Number 1, Fall 2014 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1030231ar DOI: https://doi.org/10.7202/1030231ar See table of contents Publisher(s) Cinémas ISSN 1181-6945 (print) 1705-6500 (digital) Explore this journal Cite this article Duchesneau, M. (2014). Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéale. Cinémas, 25(1), 85–107. https://doi.org/10.7202/1030231ar Article abstract In the 1930s, the composer Charles Koechlin (1867-1950) developed a passion for sound film. In addition to his articles on the topic, he left personal notes on and projects for film scripts and music, going so far as to conceive film scripts for music that did not exist and music for images that did not exist—but which, in his imagination, were both compatible and of the highest artistic quality. This passion was accompanied by a passion for movie stars and in particular for the actress Lilian Harvey (1906-1968). Koechlin sublimated this love in music and composed more than a hundred pieces, gathered together in two Albums de Lilian and in Le portrait de Daisy Hamilton. This article undertakes an analysis of the three cinematic elements—movement, line and expression—that Koechlin endeavoured to transpose into music in his “sketches for an imaginary film” and shows that beyond the aesthetic principles behind his work, the composer found in the sound image a material with dynamic, plastic and sensual qualities which no other form of inspiration had been able to provide him with hitherto.

Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

Tous droits réservés © Cinémas, 2015 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can beviewed online.https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit.Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is topromote and disseminate research.https://www.erudit.org/en/

Document generated on 09/03/2021 4:06 p.m.

CinémasRevue d'études cinématographiquesJournal of Film Studies

Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeucomme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin and the Love of Stars: Acting as theExpressive Driving Force of an Ideal Film MusicMichel Duchesneau

L’acteur entre les arts et les médiasVolume 25, Number 1, Fall 2014

URI: https://id.erudit.org/iderudit/1030231arDOI: https://doi.org/10.7202/1030231ar

See table of contents

Publisher(s)Cinémas

ISSN1181-6945 (print)1705-6500 (digital)

Explore this journal

Cite this articleDuchesneau, M. (2014). Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et sonjeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéale. Cinémas, 25(1),85–107. https://doi.org/10.7202/1030231ar

Article abstractIn the 1930s, the composer Charles Koechlin (1867-1950) developed a passionfor sound film. In addition to his articles on the topic, he left personal notes onand projects for film scripts and music, going so far as to conceive film scriptsfor music that did not exist and music for images that did not exist—but which,in his imagination, were both compatible and of the highest artistic quality.This passion was accompanied by a passion for movie stars and in particularfor the actress Lilian Harvey (1906-1968). Koechlin sublimated this love inmusic and composed more than a hundred pieces, gathered together in twoAlbums de Lilian and in Le portrait de Daisy Hamilton. This article undertakesan analysis of the three cinematic elements—movement, line andexpression—that Koechlin endeavoured to transpose into music in his“sketches for an imaginary film” and shows that beyond the aestheticprinciples behind his work, the composer found in the sound image a materialwith dynamic, plastic and sensual qualities which no other form of inspirationhad been able to provide him with hitherto.

Page 2: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

Charles Koechlin et l’amour desstars. L’acteur et son jeu commemoteur expressif d’une musique

de cinéma idéale

Michel Duchesneau

RÉSUMÉDans les années 1930, le compositeur Charles Koechlin (1867-1950) se découvre une passion pour le cinéma parlant ; outre sesarticles sur le sujet, il a laissé des notes personnelles et des projetsde scénarios et de musiques de film, allant jusqu’à concevoir desscénarios cinématographiques pour une musique qui n’existe paset une musique pour des images qui n’existent pas — mais qui,dans son imaginaire, sont à la fois compatibles et de la plus hautetenue artistique. À cette passion s’ajoute celle qu’il éprouve pourles stars du cinéma et plus particulièrement pour l’actrice LilianHarvey (1906-1968) ; Koechlin sublimera cet amour en musiqueet composera plus d’une centaine de pièces réunies dans les deuxAlbums de Lilian et dans Le portrait de Daisy Hamilton. Cet articletente une analyse des trois éléments cinématographiques — mou-vement, ligne et expression — que Koechlin s’attache à transpo-ser en musique dans ses « sketches pour un film imaginaire », etmontre qu’au-delà des principes esthétiques qui l’animent, lecompositeur trouve dans l’image sonore un matériau d’un dyna-misme, d’une plasticité et d’une sensualité qu’aucune autre formed’inspiration n’avait pu lui donner jusque-là.

Dans cet article, nous nous intéresserons à un cas d’exception,celui du compositeur français Charles Koechlin (1867-1950)qui, à travers son admiration, voire son amour, pour une vedettedu cinéma des années 1930, Lilian Harvey, développe une pen-sée originale à propos de la relation entre la musique et l’imageau cinéma.

L’étude du jeu et de l’expression de l’actrice, combinée à uneréflexion sur le rapport technique entre la musique et l’image,

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page85

Page 3: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

amène le musicien à concevoir les principes esthétiques qui doiventrégir une œuvre cinématographique réussie. Après avoir évoqué lacarrière du musicien et celle de l’actrice, nous explorerons cette sin-gulière relation «artistique», qui débouche sur une conception idéa-lisée d’une œuvre où la musique est définie en partie selon des para-mètres visuels et l’image selon des paramètres musicaux.

Le compositeurLe compositeur Charles Koechlin a mené une carrière remar-

quable de compositeur, de pédagogue et de penseur de lamusique 1 qui fait de lui l’une des figures marquantes de lamusique française du xxe siècle. Issu d’une riche famille de labourgeoisie protestante alsacienne, Koechlin apprend le pianotrès jeune et s’intéresse à la musique au point de devenir un audi-teur assidu des différentes séries de concerts donnés à Paris et des’essayer à la composition. Polytechnicien et destiné à une car-rière d’ingénieur, d’astronome ou de marin, le jeune Koechlinopte plutôt pour celle de compositeur.

Élève au Conservatoire de Paris, il fréquente la classe de JulesMassenet, d’André Gédalge et de Louis Bourgault-Ducoudray,puis celle de Gabriel Fauré à partir de 1896. Les dons particu-liers et les connaissances techniques de Koechlin poussent Fauréà lui confier entre 1899 et 1903 l’enseignement du contrepointaux autres élèves, parmi lesquels se trouvent Maurice Ravel,Roger Ducasse et Florent Schmitt.

Avec ses camarades du Conservatoire, Koechlin participe aumouvement d’avant-garde de l’époque. En 1910, il fait partie des« conspirateurs » qui créent la Société musicale indépendante enréaction au sectarisme de la Société nationale de musique(Duchesneau 1997, p. 66). Malgré cette affiliation et tous sesefforts pour faire jouer sa musique, Koechlin reste en dehors desprincipaux circuits de diffusion de la musique à l’époque, situa-tion qui s’explique en partie par son indépendance d’esprit vis-à-vis des institutions. De plus, ses prises de position favorables auxmusiciens avant-gardistes, tant français qu’étrangers 2, et ses sym-pathies pour une pensée politique de gauche, qui feront de lui uncompagnon de route du Parti communiste dans les années 1930 3,l’opposent à plus d’un compositeur influent au sein des

86 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page86

Page 4: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

institutions musicales françaises de l’époque. Quoi qu’il en soit, laparticipation de Koechlin au développement de la musique enFrance au cours de la première moitié du xxe siècle est liée autantà ses activités de théoricien et de défenseur des courants d’avant-garde qu’à l’intérêt et à la singularité de son œuvre musicale. Cetteœuvre se distingue par la variété de ses sources d’inspiration (poé-sie, roman, photographie, cinéma et même publicité), par sonécriture, qui fait appel à une grande diversité de systèmes (tonalitéélargie, modalité, polytonalité, atonalité), par une recherche sub-tile des timbres instrumentaux et un talent mélodique inépui-sable, ainsi que par un attrait pour les formes symphoniques illus-tratives, qui conduit le compositeur à écrire une série de poèmessymphoniques monumentaux, dont certains font toujours partiedu répertoire des plus grands orchestres symphoniques 4.

La guerre de 1914-1918 fragilise considérablement la situa-tion financière de la famille Koechlin, obligeant ainsi le compo-siteur à trouver, pour subvenir aux besoins des siens, d’autresmoyens que l’édition et l’exécution de sa musique, qui ne cons -tituent qu’une faible source de revenus.

Koechlin, qui écrivait pour La Chronique des arts et de lacuriosité (supplément à La Gazette des beaux-arts) depuis 1909,entame alors des activités d’enseignement et de rédaction beau-coup plus substantielles. La réalisation dans les années  1920et 1930 d’une série de travaux théoriques importants, comme leTraité d’harmonie (1927-1930) et le Traité de l’orchestration(1935-1941), confirme sa réputation en tant que théoricien dela musique. Cette autorité lui permet désormais d’écrire trèsrégulièrement dans la presse musicale. On dénombre plus d’unecentaine d’articles qui parurent autant dans des revues musi-cales, comme Le Ménestrel, Le Monde musical ou La Revue musi-cale, que dans des revues littéraires comme Europe ou des quoti-diens comme L’Humanité 5. Les archives du compositeurrenferment ainsi des dizaines d’articles de revues et de journaux,de conférences, d’émissions de radio, de notes de programme etde scénarios de film, sans compter des esquisses d’écrits divers,dont des nouvelles romancées. Ses activités musicographiques nel’empêchent cependant pas d’être un compositeur prolifique.Son catalogue compte plus de 220 numéros d’opus. Mais cette

87L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page87

Page 5: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

œuvre a longtemps vécu à l’ombre de ses travaux théoriques etde ses écrits, et ce n’est que depuis une vingtaine d’années qu’ons’intéresse à nouveau à ses partitions.

Le compocinémisteÀ travers son intense activité musicale, le compositeur s’inté-

resse au cinéma, lequel occupera une place singulière dans sa viecréatrice. Koechlin (1934a) n’est pas emballé par le cinéma muet,qu’il considère comme un « art inférieur » et dont il critique avecvigueur la « niaiserie populaire » et la nature primitive, « ne faisantpoint appel à l’intelligence, mais au flirt ». Il faut attendre lesannées 1930 pour qu’il se découvre une passion pour le cinémaparlant 6. À l’évidence, l’arrivée de la parole — mais surtout de lamusique — à l’écran va susciter chez lui un très vif intérêt. Il nesera pas un simple amateur, car la question de la musique decinéma deviendra rapidement une véritable préoccupation chezlui. Outre ses articles, il a laissé de nombreuses notes personnelleset des projets de scénarios et de musiques de film. Ces documentsnous permettent de comprendre l’importance du cinéma pour lemusicien. Il y trouve, en effet, la possibilité d’une diffusion àgrande échelle de la musique savante et, par conséquent, le moyend’établir une nouvelle relation entre le compositeur et la vie cultu-relle de son époque. À ce titre, il ne sera pas le seul à percevoirdans le cinéma un puissant allié pour la création musicale.D’autres compositeurs français, comme Arthur Honegger etDarius Milhaud, ont défendu un temps cette idée. Mais sa cri-tique de la musique de cinéma, qu’il juge très souvent médiocre,témoigne aussi de sa conception peut-être idéaliste, mais à tout lemoins novatrice, d’une musique qui offrirait, par son alliance avecl’image, une nouvelle expérience esthétique. Dans cette optique,Koechlin ne se limite pas à concevoir de façon abstraite unemusique pour l’écran. Il traduira musicalement cette expérienceesthétique par une série d’œuvres dont la singularité est exception-nelle, car il n’aura pratiquement jamais l’occasion de faire réelle-ment de la musique de film, contrairement à ses contemporainsHonegger, Maurice Jaubert, Georges Auric ou Marcel Delannoy.Il composa bien de la musique pour un film intitulé Croisièresavec l’escadre (Pathé-Natan, 1934), mais la pièce symphonique qui

88 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page88

Page 6: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

était destinée à accompagner une séquence du film, « L’Andalouseà Barcelone », n’a probablement pas plu au réalisateur, car elle aété supprimée lors du montage (Rossi 2010a, p. 109). Le compo-siteur découvrit cette disparition en voyant le film pour la pre-mière fois ! Par conséquent, une seule de ses partitions servit véri-tablement à l’écran, celle qu’il écrivit pour le film documentaired’Henri Cartier-Bresson Victoire de la vie (1938)7.

Dans les années 1930, Koechlin aurait bien aimé composerpour le cinéma. En un sens, il le fera, mais par l’entremise de par-titions comme celles dont est constitué l’imposant recueil de89 pièces intitulé Le portrait de Daisy Hamilton, op. 140 8,musiques pour des scènes cinématographiques qui, pour la plu-part, n’auront existé que dans sa propre imagination. Cela nel’empêchera pas de ferrailler avec vigueur contre le diktat des pro-ducteurs de cinéma. Selon lui, le cinéma représente un médiumnouveau susceptible d’offrir à la musique savante les moyensd’une diffusion à grande échelle. C’est pourquoi Koechlin(1934b, p. 233) milite pour une musique de cinéma « indépen-dante » du joug des « cinémistes » qui ne témoignent guère d’inté-rêt pour la musique. Il sera aussi très critique à l’égard de lamusique de film, qu’il considère souvent comme inadéquate,notamment parce qu’elle serait trop superficielle. Tout cela seraitbien ordinaire si l’on ne s’arrêtait qu’à ces deux idées — considé-rant qu’elles sont communes à de nombreux musiciens del’époque. Mais là où réside la différence — celle qui nousintéresse —, c’est que contrairement à la plupart de ses contem-porains, indépendamment des circuits officiels du cinéma, il vaconcevoir cette musique de film idéale. En fait, Koechlin est unrêveur 9 pour qui l’image cinématographique sera une sourced’inspiration qu’aucune autre forme d’art ou d’expérience sensiblene pourra lui procurer. Il écrit ainsi des musiques à partir desimpressions laissées par l’écran. Mais, plus intéressant encore, ilimagine « théoriquement » ce que devrait être une véritable et« bonne » musique de cinéma — sur le plan tant de la forme quede la fonction. Il ne s’arrête pas là, car il compose des pièces musi-cales destinées à remplacer les musiques qu’il n’aime pas ou àprendre place dans des films qu’il souhaiterait tourner ! Koechlinira donc jusqu’à concevoir des scénarios cinématographiques 10,

89L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page89

Page 7: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

dont un pour une musique qui n’existe pas — « Le portrait deDaisy Hamilton » dont nous reparlerons plus loin — et desmusiques pour des images qui n’existent pas. Notons que ce scé-nario n’a rien à voir avec le recueil Homonyme (op. 140). Or, dansson imaginaire, ces images sont non seulement compatibles, maisaussi — et c’est ce qui est incontournable pour lui — de la plushaute tenue artistique. À cela s’ajoute une deuxième donnéeessentielle, qui explique en partie la première, à savoir son amourinconditionnel pour les stars du cinéma. L’arrivée du cinéma par-lant, qui donne naissance à un très grand nombre de musicalscinématographiques, ouvre de nouvelles perspectives expressivespar la fusion de trois modes d’expression : dramatique, vocal etchorégraphique (Viviani 1995, p. 91). Le genre pousse versl’écran des acteurs qui possèdent des capacités artistiques mul-tiples (jeu dramatique, chant, danse, acrobatie) et qui deviendrontpour la plupart des stars du cinéma. Si pour lui la musique doittenir une place importante dans ces œuvres cinématographiques,Koechlin est aussi conscient de la force expressive du jeu desacteurs (physique et physionomique), dont certaines particulari-tés, notamment en ce qui a trait à l’unité expressive 11, sont devéritables points de jonction entre musique et image.

En 1933, il composera The Seven Stars’ Symphony, op.  132,dont chaque mouvement est dédié à un acteur : DouglasFairbanks, Lilian Harvey, Greta Garbo, Clara Bow, MarleneDietrich, Emil Jannings et Charlie Chaplin. S’il admire GretaGarbo ou Marlene Dietrich, Koechlin sera tout spécialementséduit par Lilian Harvey. C’est cet amour des stars (de la star…Lilian Harvey) qui l’animera lorsqu’il s’agira de réfléchir sur lamusique au cinéma 12. Ce n’est pas banal et c’est ce sur quoi nousnous pencherons après avoir présenté la muse du compositeur.

Lilian Harvey — la star koechlinienneLilian Harvey (1906-1968) est née en Angleterre, mais c’est en

Allemagne qu’elle fut formée, en fréquentant, entre autres, l’écoledu Berliner Städtische Oper. Elle entame sa carrière d’actriced’abord au théâtre, puis au cinéma à partir de 1925. Polyvalente,elle joue, danse et chante avec aisance. Elle tourne dans unequinzaine de films muets, puis s’adapte remarquablement bien

90 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page90

Page 8: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

au cinéma parlant grâce à ses dons, puisqu’elle maîtrise troislangues (le français, l’anglais et l’allemand). C’est avec la comédiemusicale Die Drei von der Tankstelle de Wilhelm Thiele que l’ac-trice devient célèbre en 1930. À l’occasion du tournage de la ver-sion française du film (Le chemin du paradis, réalisé par Max deVaucorbeil), elle rencontre Henri Garat, avec qui elle formerapendant quelque temps un duo d’acteurs et de chanteurs admirédu public français. Ils tourneront ensemble Le congrès s’amuse 13

(1931), La fille et le garçon 14 (1931), Princesse, à vos ordres ! 15

(1931) et Un rêve blond 16 (1932). Par la suite, Harvey décide defaire carrière aux États-Unis, mais elle n’y connaît pas le succèsespéré et revient en Allemagne en 1935. Inquiétée par laGestapo, elle sera forcée de quitter l’Allemagne en 1939, pourd’abord se réfugier en France, puis s’installer aux États-Unis jus-qu’à la fin de la guerre. Pendant quelques années, elle chanteraencore, mais sa gloire restera chose du passé et elle quittera lemonde artistique au début des années 1950.

Célébrée pour sa beauté, admirée pour son aisance à l’écran,Lilian Harvey fera la une de nombreux journaux consacrés aucinéma de la fin des années 1920 et du début des années 1930.Les archives de Koechlin en témoignent, le compositeur ayantprécieusement conservé des dizaines de coupures de presseconsacrées à l’actrice, ainsi que la plupart des programmes descinémas parisiens où il a vu les films dans lesquels elle a joué.C’est d’ailleurs d’après des photos découpées dans des revuesqu’il compose le mouvement de la Seven Stars Symphony consa-cré à l’actrice, quelque part entre juillet et septembre 1933, car ilne la voit au cinéma pour la première fois qu’en décembre decette année-là, dans le film muet Quand tu voudras donner toncœur (Wenn du einmal dein Herz verschenkst, Johannes Guter,1929). Il la revoit ensuite dans La 40 CV du roi 17, le 30 juillet1934, puis dans Princesse, à vos ordres !, le 7  août 1934. C’estalors le coup de foudre pour l’actrice, qui joue le rôle principalde la princesse Marie-Christine. À tel point qu’il retourneimmédiatement voir le film et compose dans les jours qui sui-vent une valse-caprice (« Tout va bien », op. 139, no 9) en l’hon-neur de Lilian Harvey (Orledge 1989, p. 160). Le film Princesse,à vos ordres !, mais plus encore la star vont devenir une obsession.

91L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page91

Page 9: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

Il verra Princesse, à vos ordres ! neuf fois en un an 18 puis, dansl’ordre, les films Le chemin du paradis, Moi et l’impératrice 19,Suzanne, c’est moi ! 20, La fille et le garçon, Calais-Douvres 21, Unrêve blond, Quick 22 et Rêve de Monte Carlo 23, certains à plusieursreprises. Entre juillet 1934 et juillet 1935, il n’écrira pas moinsd’une quarantaine de pièces inspirées par Lilian Harvey 24.

Mais l’aventure musicale inspirée par l’actrice ne s’arrête pas là.Dans les archives du compositeur, on trouve une « Étude surLilian Harvey », un commentaire « En marge de L’album deLilian », ainsi qu’un manuscrit de roman et un scénario de film,tous deux intitulés « Le portrait de Daisy Hamilton », Daisy fai-sant évidemment référence à Lilian Harvey. Sans compter qu’ilécrira à trois reprises à l’actrice, qui ne lui répondra qu’une fois,lui envoyant une photo dédicacée. Dans le scénario en vingtscènes du film « Le portrait de Daisy Hamilton », qui devait avoirune durée de 65 minutes, Koechlin se représente lui-mêmed’abord en la personne d’un jeune peintre aux idéaux calqués surles siens qui séduit Daisy, puis sous ses propres traits, composi-teur célèbre qui, revenant du Japon, s’arrête à Hollywood pourdonner des conseils à Daisy. Celle-ci lui témoigne respect etaffection, et lui demande de pouvoir écouter sa musique… fan-tasme de Koechlin, car Lilian Harvey n’en entendit jamais unenote. Malgré la forte dose d’utopie qui entoure ses projets,Koechlin (1934b, p. 237) ne désespère pas qu’un jour les compo-siteurs puissent être aussi des « cinémistes » :

Rien n’empêche de supposer, d’espérer même qu’un compositeurcréera son scénario (comme firent certains pour les textes deleurs drames lyriques), imaginant la musique en même tempsque les scènes et le dialogue, calculant approximativement lesdurées, en sorte qu’il ne resterait qu’à prendre les vues et qu’àrégler la mise en scène, avec, au besoin, des retouches à la parti-tion musicale pour en obtenir l’exact synchronisme 25.

Le compositeur sublimera son amour pour la vedette decinéma en une quantité impressionnante de musique. Après lesœuvres composées en 1934 et en 1935, d’autres suivront, pourfinir par constituer un total de plus d’une centaine de piècesréunies dans les deux recueils de L’album de Lilian, op.  139(1934) et op. 149 (1935), et dans Le portrait de Daisy Hamilton,

92 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page92

Page 10: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

op.  140 (1934-1938). Plusieurs de ces pièces ont été inspiréespar des photographies de l’actrice, d’autres par des scènes defilm, mais sans qu’il y ait de rapport très précis entre musique etimage. C’est le cas du « Canon humoriste » du Portrait de DaisyHamilton (op. 140, no 54), conçu sur « le rythme de la chansonde Jenny Berger du film La fille et le garçon : “Je suis comm’ça” »(Koechlin 2007b, p. 27). Tout en conservant le rythme initial defox-trot et le dessin des intervalles de la première mesure,Koechlin réalise une pièce musicale qui ressemble davantage àune variation sophistiquée basée sur un canon rigoureux qu’àune réécriture de la chanson pour l’écran.

D’autres pièces, comme la « Fugue sans protocole » deL’album de Lilian (op.  139, no 2), que Koechlin a écrite aprèsavoir vu Princesse, à vos ordres ! et qui dure une minute, auraientpu accompagner l’une ou l’autre des scènes connues du film,comme celle où l’actrice lance une boutade à un ministre qui seprésente à elle en pyjama. Mais il n’en est rien. L’organisation dumatériau musical n’obéit qu’à l’expressivité de l’actrice, sans lienentre le mouvement de l’image et celui de la musique. Le com-mentaire en deux temps de Koechlin à propos de cette scènepermet de comprendre la nature du transfert artistique ducinéma à la musique qui s’opère. D’une part, il s’agit de conce-voir une musique concentrée sur la diversité expressive de la star.D’autre part, la musique doit pouvoir exprimer le contrasteentre l’ordre d’une société hiérarchique et la jeunesse naïve,pleine d’« élan » et de « poésie », du personnage de Marie-Christine. Koechlin trouve la solution dynamique dans l’écritured’une fugue. Il exploite à merveille le paradoxe de la formefuguée, qui se caractérise à la fois par la rigueur de l’écriture qui,pour permettre au sujet de la fugue comme au contre-sujet de sesuperposer, doit respecter toute une série de règles, et par laliberté de la partie plus libre (le développement), où il estd’usage de fragmenter sujet et contre-sujet selon l’imaginationdu compositeur. Koechlin excelle dans l’exercice de la fugue, quiest une mise en pratique de l’idée de la cohérence musicale auservice de la diversité expressive. Sa maîtrise de l’écriture fuguéelui permet d’y fusionner la tradition de la forme et de l’écritureavec la modernité d’une instrumentation dont la couleur ajoute

93L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page93

Page 11: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

une dimension expressive qui dépasse le matériau mélodique. Lavariété des couleurs instrumentales sert alors de corollaire à lavariété expressive de l’actrice à l’écran (Koechlin 1934a).

Bien qu’il soit difficile d’en retracer avec précision la genèse,d’autres pièces de ces recueils ont certainement été écrites pourremplacer les musiques que Koechlin trouvait médiocres àl’écran. Le témoignage du compositeur Darius Milhaud nousconfirme que Koechlin se rendait au cinéma avec son chrono-mètre et son calepin pour noter le minutage des scènes dont ilsouhaitait refaire la musique 26, qui n’était pas selon lui à la hau-teur des qualités artistiques de l’actrice. On imagine sans peineque les nombreux visionnements des films de Lilian Harvey ontservi, entre autres, à ces opérations de repérage. La passion deKoechlin pour l’actrice aura un impact considérable sur sa pro-duction musicale des années 1933-1936, car au-delà de sa fasci-nation pour la beauté de l’actrice et son « sex-appeal », Koechlincherche et trouve dans la star non seulement l’inspiration musi-cale, mais aussi la pensée esthétique qui accompagne sa démarchede compositeur. La qualité de la réflexion de Koechlin sur le rap-port entre l’image et l’inspiration musicale s’explique, entreautres, par le fait que Koechlin était un photographe amateuraverti. Il publia un recueil de photographies intitulé Ports et tiraitlui-même ses photos sur plaque de verre. Trente mille d’entreelles ont été conservées. Par conséquent, il était très attentif auxqualités photographiques du cinéma. Dans ses analyses des filmsde Lilian Harvey, il fait plusieurs commentaires sur la photogra-phie, comme celui-ci au sujet de Suzanne, c’est moi ! :

Disons que photographiquement, ce film est l’un des plus réussisque je connaisse. Il y a là, surtout pour les portraits de Lilian, desmodèles d’une douceur et d’une souplesse admirables. […] j’ad-mir[e] l’habileté, le goût des opérateurs (prises de vues de KarlHoffmann). Il y a notamment une image de la table de gala,chez le Duc, avec les bougies, la verrerie, la nappe, les servietteset les menus, qui est dans l’harmonie des blancs et des gris unevraie perfection photographique (Koechlin 1934a).

Mais c’est dans un autre passage du même texte (« En marge deL’album de Lilian ») que Koechlin (1934a) révèle plus précisémentles fondements de sa pensée à propos de l’expression au cinéma :

94 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page94

Page 12: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

[…] je vois qu’il n’y a pas, chez Lilian, que charme physique(malgré l’harmonie des lignes), mais que son charme le plus fortest dans ce qui fait son expression : le regard surtout, et le parlé.Seulement, il y a ceci, en plus, que l’ensemble de cette Lilian estessentiellement cinéma, à cause du mouvement et des lignes ; il ya donc trois éléments qu’elle met en jeu, dans un harmonieuxéquilibre :Mouvement : agilité, souplesse et grâce, légèreté, rapidité… lesescaliers qu’elle gravit. Ses courses folles en pyjama, et ce diableau corps lorsqu’elle lutte avec les gens, rompt les barrières,enfonce les portes, saute dans le vide…Lignes : c’est la souple élégance, c’est aussi la gracilité de soncorps, solide néanmoins sur ces jambes de danseuse. C’est le des-sin des épaules, c’est le profil aquilin, c’est la chevelure ondulée.Expressions : mobilité, fidélité, vie intense de ces expressions.Comme elle est différente, en femme du monde, de Jou-Jou lapetite « artiste » ou de la danseuse Suzanne !

Une mise à l’épreuve de ces trois éléments cinématogra-phiques relevés par le compositeur, et qu’il transpose enmusique dans les « sketches pour un film imaginaire », mérited’être tentée.

Musique de film sans film : quand l’amour imagineParmi les pièces que Koechlin a écrites pour des scènes réelles

dont il voulait refaire la musique, il faut citer le « Voyage chimé-rique » (L’album de Lilian, op. 149, no 5), destiné à remplacer lamusique d’une scène du film Un rêve blond où Jou-Jou (LilianHarvey) rêve qu’elle traverse les États-Unis en train 27. C’est aussile cas d’« Autour du bonhomme de neige », op. 140, no 42, quifait référence à une scène du film Suzanne, c’est moi !, où le per-sonnage de Suzanne, à la fois acrobate et chanteuse dans unmusic-hall parisien, descend des estrades en hauteur vers lascène sur un fil d’acier à la manière d’un funambule. Le décorde scène représente une station de sports d’hiver où Suzanne, àpeine le pied posé sur les planches, exécute une chorégraphieautour d’un bonhomme de neige, qui fond lorsqu’elle l’em-brasse 28. La musique, du type de celle que Koechlin (1928) asso-cie négativement au music-hall, enchaîne air de valse, fox-trot etmélodies aux tournures populaires. Subjugué par l’actrice qui,pour cette scène d’hiver, est paradoxalement vêtue de ce qui

95L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page95

Page 13: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

pourrait ressembler à un maillot de bain deux-pièces, Koechlin(1934a) écrit :

Il se dégage de la danseuse Suzanne, à la voir évoluer, svelte etsouple, si joliment étroite et si jolie, près de son « repoussoir » le

96 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Figure 1. Photographie de Lilian Harvey dédicacée à Charles Koechlin(1936).

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page96

Page 14: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

gros bonhomme de neige en chantant avec une grâce malicieuse sapetite chanson populaire, il se dégage une volupté grisante et tellequ’on voudrait cette chose impossible : fixer les instants mobiles,trop fugitifs, sans néanmoins que l’harmonie du mouvement fûtdétruite par l’immobilité froide de la photographie — mais danscette volupté intérieure, spirituelle, du désir en quelque sorte nonagissant, dirigé vers un but irréel, inaccessible […]

Le rythme de cette scène musicale répond au rythme desspectacles de music-hall qui se donnaient à l’époque au ConcertMayol ou au Casino de Paris. Comme le spectateur, la camérafait face à la scène et est à peu près fixe. Le seul mouvement estdonc celui des acteurs sur scène, relayé par la caméra qui encapte l’essentiel en faisant parfois de timides rapprochements.C’est ce que Koechlin nomme « l’immobilité froide de la photo-graphie ». Il concentre alors son attention sur le mouvement« intérieur » de la scène, et plus précisément celui de la danseuse.La musique, insignifiante, ne permet pas d’en saisir la nature,alors que l’image permet d’y repérer une expression qui « appar-tient en propre » à l’actrice, celle des traits du visage avant legrand saut dans le vide, mais aussi celle du corps dans l’espace,dont la fluidité (toute relative…) est l’expression par excellencepour le compositeur d’une volupté « charmante ». Cette voluptéappartient au monde de l’irréel, nous dit Koechlin (1934a), qua-lifiant l’actrice de « femme-enfant », de « petite divinitéantique », de « fée qui serait à trois quarts une femme… ! ». Lemouvement que conçoit Koechlin pour la musique de cettescène n’est donc pas celui de la chorégraphie acrobatique, maiscelui des gestes de l’innocence légère et gracieuse du personnage.Musicalement, cela se traduit par une écriture qui n’a riend’acrobatique : le thème est construit très simplement sur huitmesures où alternent des motifs de croches et de doublescroches à la manière d’une ronde. Choisissant la tonalité lumi-neuse de mi majeur qui, d’après Rameau (1722, p.  157),« convient […] aux chants tendres et gais 29 », Koechlin écrit45  secondes de musique enfantine en 2/4, dont le dynamisme(« Léger et gai ») appartient davantage au monde des Children’sCorner de Claude Debussy qu’à celui du café-concert ou dumusic-hall parisien adapté au cinéma.

97L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page97

Page 15: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

Concrètement, la musique de Koechlin pour la scène du bon-homme de neige de Suzanne, c’est moi ! peut difficilement rem-placer la musique écrite pour le film. La mise en abyme du spec-tacle dans le film ne le permet pas. Mais cela n’a probablementpas d’importance pour Koechlin. Seule compte la qualité de lamusique qui doit contribuer adéquatement à l’expressionhumaine. Donnons un autre exemple. À propos du film Lecongrès s’amuse, Roger Icart (1988, p. 342) rappelle que :

[…] l’œuvre se présentait […] comme une exceptionnelle réus-site du point de vue technique. Grâce à la parfaite précision dumatériel Tobis-Klangfilm, la caméra retrouvait son extrêmemobilité d’antan, se promenant sans cesse au milieu des décorset des figurants, ajoutant des travellings sonores aux travellingsvisuels.

Icart poursuit en citant un extrait du Courrier cinématographiquequi vient confirmer les qualités de la scène :

La liberté de la technique y tient du prodige, les déplacementsd’appareils et les trouvailles d’enregistrement sonore participentde la virtuosité. Le départ de Lilian Harvey en calèche, la traver-sée de la ville, puis de la campagne, tout ce mouvement suivi entravelling, sans changement de plan, est un tour de force décon-certant, qui plongera dans l’admiration les professionnels et pro-duira sur le public la plus forte impression.

Pour cette scène, la musique originale du compositeurWerner Richard Heymann (1896-1961) est une chanson avecchœur inspirée d’une mélodie populaire viennoise, dont l’adap-tation française a été réalisée par Jean Boyer. La star chante« Serait-ce un rêve, un joli rêve ? » tout au long de la scène filméeen un long travelling de plus de quatre minutes qui la mène dela ville (Vienne) à la campagne. Bien que son attention seconcentre sur le jeu de l’actrice, Koechlin (1934a) a d’abordretenu les qualités cinématographiques de la scène :

Pour Le congrès s’amuse, mettons absolument hors pair une scèneexceptionnelle, l’une des plus charmantes créations de Lilian : onlui annonce qu’une calèche va la conduire à la maison de cam-pagne que pour elle a louée le Tsar. Il faut voir avec quel subitélan de triomphe, avec quel air de petite souveraine radieuse elle

98 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page98

Page 16: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

s’écrie : « Ma voiture ! » Instantanément la gentille gantière estdevenue grande dame — une toute jeune et très malicieusegrande dame, mais qui tient son rôle si dignement ! Et la voiturel’emmène à travers la ville, avec de jolies prises de vues à contre-jour, dans une course ensoleillée où elle reçoit, d’une joyeusebonne grâce de femme-enfant, les ovations de la foule. Toute lascène est ravissante […] Lilian y sera servie par son étonnantemobilité d’expression, par son intelligence si juste de ce qu’il fautfaire — mais il y a autre chose encore : cet incroyable brio, cettevie intense et, par-dessus tout, l’indéfinissable charme qui l’au-réole, cette lumière de grâce qui la révèle une force de la nature— une force délicieuse.

L’attention toute particulière prêtée par le compositeur à cettescène nous pousse à faire l’hypothèse que la pièce « En route versle bonheur » de L’album de Lilian (op. 139, no 7) a peut-être étécomposée pour remplacer la musique de la scène de la calèchequi emmène Christine. Écrite sur un rythme ternaire, pour flûtepuis petite flûte, soprano et piano, cette pièce, qui enchaîne trèsrapidement une série d’atmosphères sonores que s’échangent laflûte et la soprano, a une durée de 4 min 30 s 30 qui correspondpresque exactement à la longueur de la scène de la calèche (entrele moment où Lilian Harvey y monte puis en descend). Le cou-plage de la musique de Koechlin à cette scène en change com-plètement le caractère et ouvre alors sur le monde idéal du com-positeur. La scène accompagnée par « En route vers le bonheur »n’exprime plus une joie populaire, celle de la foule et de la jeunehéroïne qui échangent refrain et couplets, mais devient l’expres-sion d’une joie intérieure, que traduit une mélodie continue deforme improvisée sur un rythme ternaire vif, à laquelle se greffeune flûte dont la mélodie plane « dans un bonheur doux etlumineux 31 ». Le tout se manifeste à l’écran par l’expression duvisage de la star, dont le charme génère « une lumière de grâce »qui se superpose à la scène.

La star qui éclaire le compocinémisteIl est frappant de constater que le compositeur, dans les

réflexions qu’il a rédigées à propos de Lilian Harvey, s’attache àanalyser la diversité des expressions de l’actrice par le filtre d’une« synthèse harmonieuse où rien ne se voit de disparate »

99L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page99

Page 17: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

(Koechlin  1934a). Si Koechlin trouve l’inspiration auprès deLilian Harvey, c’est en bonne partie parce qu’il lui accorde cedon artistique de créer une unité dans l’élaboration du caractèredu personnage qui, quelles que soient les émotions exprimées,reste unique et vrai. Dans la scène de la calèche, c’est la forcevitale de la gantière qui réjouit le compositeur, et la musiquedoit être là pour répondre à l’expression de cette force « déli-cieuse » et non pas à la joie plus ordinaire d’une foule amassée lelong du chemin. La musique de Heymann parfaitement syn-chronisée à l’image répond au cadre cinématographique de lascène extérieure qui fait manifestement référence à la joie dupeuple plutôt qu’au bonheur intense du personnage. PourKoechlin, la musique doit ici jouer un autre rôle, celui de l’uni-fication de l’expression que l’image ne peut révéler au-delà del’expression des visages. Pour Koechlin, cette question de l’unitéest importante et concerne la musique de scène en général. Ilappliquera au cinéma ce qu’il conçoit pour la scène. L’unité fon-damentale de l’œuvre musicale s’applique à tous les genres etconstitue probablement son apport le plus fondamental àl’œuvre que l’on qualifierait aujourd’hui d’« interartistique »(voir Koechlin 1916, p. 71-72).

Dans « Le problème de la musique de cinéma », publié endécembre 1934, Koechlin s’attaque à ce qui lui semble l’une desplus sérieuses difficultés du cinéma : celle de la continuité dansl’expression des sentiments, continuité difficile à maintenir dansl’enchaînement rapide des plans visuels. Problème qui, à sesyeux, se pose en ces termes :

Il existe, plus ou moins réussis, des films-comédies, des films-opérettes, des films tragiques — toutes sortes de variétés de scé-narios, dont un grand nombre directement faits pour l’écran,dans lesquels maintes scènes comportent un développement desensibilité que goûte fort le public si les choses lui sont bien pré-sentées. Ces scènes durent en général de deux à quatre minutes,ou même davantage. Elles n’offrent guère de vrais contrastes, maisseulement ce qu’on appelle des changements de plan : personnagesvus d’assez loin, de distance moyenne, ou de près. On abuse par-fois de ce moyen, comme de tout ce qui est devenu traditionnel,et formule. Mais il est parfaitement légitime en bien des cas,puisqu’il nous montre l’expression d’un personnage comme

100 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page100

Page 18: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

jamais ne ferait le théâtre […] Mais, sauf exception, si le planchange, le sentiment et le sujet restent les mêmes ; la musiquepeut donc y jouer son rôle de commentaire humain sans cesserd’être une tout en évoluant : et cela, durant toute la scène dequatre minutes, or, quatre minutes, c’est assez long pour consti-tuer réellement un morceau (Koechlin 1934b, p. 234-235).

Les œuvres composées sous l’influence de Lilian Harvey sont,pour plusieurs d’entre elles, ces morceaux de quelques minutesqui témoignent du fait que pour Koechlin « le musicien auratoujours le droit de penser à l’unité principale de la scène ». Parconséquent, la musique ne pourra pas toujours être « collée » àl’image, tout en ayant l’obligation de contribuer à la continuitéet à la simultanéité de l’action 32. Ce problème trouve donc, évi-demment, sa solution dans une musique qui assure l’effet decontinuité nécessaire à l’unité de sentiment requise par la tramedramatique. Dans la logique du compositeur, il n’est pas pos-sible de concevoir une œuvre cinématographique sans unitéexpressive et par conséquent sans prendre en considérationsimultanément les techniques de l’image et du son (musical).

Cette problématique de la forme et de la fonction de lamusique au sein de l’œuvre cinématographique ne sera pas pourautant résolue, car, toujours selon Koechlin (1938, p.  401), lecinéma souffre de la faiblesse du mixage entre l’image et le son,faiblesse issue :

[…] d’une conception réaliste et matérielle, ignorante des droitset des devoirs de l’œuvre d’art. Celle-ci conserve toujours unepart de convention inséparable de sa beauté. La vérité composée yest plus vraie que la vérité réaliste.

Toujours dans cette optique, le compositeur fait référence àdeux genres d’œuvre qui pourraient bénéficier du pouvoir évo-cateur du cinéma, tout en respectant cet équilibre entre conven-tion symbolique et réalisme : le ballet et le conte de fées. Ce serala voie qu’empruntera, par exemple, un Jean Cocteau 33. On voitici aussi l’emprise encore très grande d’une tradition musicaleforte, celle du ballet et de l’opérette, lesquels se rapprochentdans plus d’un cas de la représentation que se fait Koechlin(1938, p.  402) d’une forme moderne de conte de fées qui

101L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page101

Page 19: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

allierait puissance évocatrice de l’image et qualité de la « poésiedélicieuse des vieux conteurs ». Plusieurs des films où joue LilianHarvey appartiennent à cet univers irréel tant apprécié deKoechlin, celui de l’opérette et du conte. L’actrice y est à la foisl’incarnation d’un personnage de conte, que ce soit une fée, uneprincesse ou une petite fille, et l’interprète d’un monde sensible,mais imaginaire. Ce dernier agit comme un passeur entre l’ima-ginaire que l’actrice véhicule et celui des spectateurs. Cettehypothèse pourrait être corroborée par le fait que Le chemin duparadis et Le congrès s’amuse seront considérés comme de véri-tables opérettes filmées, dont la musique sera diffusée indépen-damment des films. Monde improbable habité par des person-nages caricaturaux, dont la laideur ou la beauté (physique etpsychologique) appartient d’abord et avant tout à la tradition dela scène, et dans lequel, pour la durée du spectacle, sera créé ununivers idéal auquel tous croiront.

ConclusionSi certaines idées de Koechlin à propos du cinéma sont

davantage de l’ordre de l’utopie, d’autres semblent remarquable-ment pertinentes et toujours d’actualité. C’est le cas du rapportque le compositeur établit entre la capacité de la musiquemoderne de répondre aux exigences formelles du cinéma et lesavancées du langage musical, que ce soit la Durchführung desAllemands (Mahler, Bruckner, Strauss) ou la liberté formelledebussyste (Koechlin 1934b, p. 236). Mais, dans son amour ducinéma et son désir d’y entendre de « belles musiques », Koechlin(1934b, p. 236) reste prisonnier du paradoxe de l’indépendancede l’artiste et des contraintes commerciales du septième art :

Le développement symphonique, ou plutôt, comme disent mieuxles Allemands : la Durchführung, exposé de sentiments, évolution àtravers les méandres de l’âme, cela ne comporte pas obligatoirementune forme déjà connue, cataloguée, un plan a priori. […] Ainsiconçue, sans perdre son unité, sans errer à l’aventure, d’ailleurs sanstrucs ni décalages, la musique pourra très bien, ayant sa forme, gar-der la souplesse qui lui permettra de concilier sa technique propreavec celle du cinéma. Et sans concessions aucunes.Je rêve d’une musique, la meilleure possible, faisant corps avec lefilm.

102 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page102

Page 20: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

La musique inspirée par Lilian Harvey sera cette musique sansconcessions. Envoûté par la star, Koechlin n’aura d’yeux quepour sa beauté et d’oreilles que pour sa voix et son « parlé 34 ». Ellesemble avoir incarné la perfection artistique sous la forme d’une« nature toute simple et non sans beaucoup d’art, mais où l’art, àforce de naturel et de technique et parce qu’il est commandé parl’élan intérieur, ne se perçoit plus. C’est la vie à la fois interprétéeet réelle » (Koechlin 1934a, c’est l’auteur qui souligne).

Au terme de cette étude, nous espérons avoir éclairé au moinspartiellement cette relation complexe entre le compositeur et lastar. En ce qui concerne Koechlin (1934b), se méfiant desparoles, il juge la musique beaucoup plus efficace pour exprimerles sentiments qu’il a pu ressentir à voir et à revoir Lilian Harveyau grand écran : c’est parce que les mots sont « des moyens trèsimparfaits pour définir et qualifier une artiste », explique-t-il,que « j’eus recours à la musique de l’Album de Lilian pour rendremes impressions à ce sujet ». Sans hésitation, on peut affirmerque Lilian Harvey aura été une figure marquante de la carrièredu musicien, qui avouera à son ami Ernest Le Grand, dans unelettre de 1935 : « […] même si elle reste inaccessible, ou repré-sentée de manière incompréhensible dans mon œuvre, LilianHarvey aura été très précieuse dans ma vie artistique et je seraisingrat de ne pas lui en être reconnaissant 35. »

Université de Montréalet Observatoire interdisciplinaire de recherche

et de création en musique

NOTES1. Voir, entre autres, la biographie qu’Orledge (1989) lui a consacrée, les textes

réunis dans Cathé, Douche et Duchesneau 2010, ainsi que les écrits de Koechlin(2006 et 2009). Notons qu’Orledge, dans sa biographie du compositeur, consacre unevingtaine de pages (du chapitre 6) au rapport de Koechlin à la musique de film. Bienqu’il fasse référence aux écrits du compositeur et présente quelques éléments musicauxspécifiques à certaines partitions, le travail pionnier d’Orledge n’entre pas profondé-ment dans la psychologie créatrice du compositeur, ni dans la relation détaillée entremusique et image que suggèrent les œuvres musicales et les écrits de Koechlin. Lespremiers travaux d’Orledge ouvrent la porte à cette étude.

2. Pour ne citer que quelques noms, rappelons que Koechlin défendra tour à tourClaude Debussy, Maurice Ravel, Florent Schmitt, Arnold Schönberg, Igor Stravinsky

103L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page103

Page 21: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

(celui du Sacre du printemps, car, après 1914, il doute de la nouvelle orientation dumusicien russe) et Darius Milhaud.

3. Au sujet de l’engagement politique de Koechlin, voir Bouscant 2010.4. Parmi les plus connus des poèmes symphoniques de Koechlin, citons La course

de printemps, op.  95 (1923-1926), La loi de la jungle, op.  175 (1939-1940), et Les bandar-log, op. 176 (1939-1940), tous les trois inspirés par Le livre de la jungle (1884)de Rudyard Kipling.

5. Les articles publiés dans L’Humanité en 1936 seront regroupés dans un recueilintitulé La musique et le peuple, publié la même année à Paris par les Éditions socialesinternationales.

6. Koechlin se passionne pour le cinéma parlant lorsqu’il découvre L’ange bleu(Der blaue Engel, 1930) de Josef von Sternberg, avec Marlene Dietrich et EmilJannings, le 29  juin 1933. Séduit, il reverra le film à deux reprises, soit les 4 et20 juillet suivants.

7. À propos de cette musique de film, voir Rossi 2010b.8. À propos de cette partition, voir l’article de Robert Orledge (2010).9. Orledge (1989, p.  171 [notre traduction]) n’hésite pas à écrire qu’en général

« Koechlin avait bien moins le sens pratique que ses collègues Auric, Milhaud,Honegger et Ibert en ce qui concerne la musique de film comme d’ailleurs pour lesautres choses [de la vie] ».10. Le plus abouti est le projet de film intitulé Les confidences d’un joueur de clari -nette (1934-1935), une adaptation du conte d’Émile Erckmann et d’AlexandreChatrian publié en 1863, pour lequel il composa 18 séquences musicales.11. À propos de l’unité de scène en rapport avec l’expression corporelle au cinéma,voir le livre de Vincent Amiel (1995), en particulier le chapitre « Buster Keaton etl’exact emportement des corps » (p. 13-29).12. Orledge (1989, p.  167) confirme que la passion que Koechlin connaîtra pourLilian Harvey sera le principal moteur de l’intérêt du compositeur pour le cinémasonore jusqu’en 1938. Lorsque Koechlin se rendra compte qu’il n’obtient pas l’atten-tion de l’actrice pour ses projets de musique et de film, son intérêt « s’évaporera ».13. Le congrès s’amuse est la version française, réalisée par Jean Boyer, de Der Kongreßtanzt (Erik Charell, 1931), dont la musique a été composée par Werner Heymann.14. La musique du film-opérette La fille et le garçon — version française, réalisée parRoger Le Bon, de Zwei Herzen und ein Schlag (Wilhelm Thiele, 1931) — a été com-posée par Jean Gilbert ; les paroles des chansons sont de Jean Boyer.15. Princesse, à vos ordres ! est la version française, réalisée par Max de Vaucorbeil, deIhre Hoheit befiehlt (Hanns Schwarz, 1931). La musique est de Werner Heymann etl’adaptation française des dialogues et des paroles des chansons, de Jean Boyer.16. Un rêve blond, version française de Eine blonder Traum (Paul Martin, 1932), aété coréalisé par André Daven. La musique du film a été composée par WernerHeymann et Gérard Jacobson.17. La 40 CV du roi (My Lips Betray) est un film de John Blystone dont la versionanglaise est sortie aux États-Unis en 1933. La musique et les paroles des chansonssont de William Kernell.18. Inspirée du personnage de Marie-Christine (Lilian Harvey), la « Sicilienne lentepour une princesse de film » (Le portrait de Daisy Hamilton, op.  140, no 79) estaccompagnée du commentaire suivant : « pour Marie-Christine (après avoir vuPrincesse à vos ordres pour la neuvième fois, le 20  juin 1935, au Cinéma Secrétan,Paris) » (Koechlin 2007a, p. 28).

104 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page104

Page 22: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

19. Moi et l’impératrice, version française de Ich und die Kaiserin (FriedrichHolländer, 1933), est un film de Paul Martin, qui met en scène, entre autres, CharlesBoyer, Pierre Brasseur et Lilian Harvey ; la musique est de Franz Wachsmann.20. La musique du film Suzanne, c’est moi ! (I Am Suzanne!, Rowland Lee, 1933) estde Friedrich Holländer.21. Calais-Douvres est la version française, réalisée par Jean Boyer, de Nie wiederLiebe ! (Anatole Litvak, 1931).22. La version française du film franco-allemand Quick (Robert Siodmak, 1932) aété coréalisée par André Daven.23. Rêve de Monte Carlo (Let’s Live Tonight, 1935) est un film de Victor Schertzinger,qui en signe aussi la musique.24. On trouvera, dans Orledge 1989 (p. 173), un tableau qui établit le rapport entreles films de Lilian Harvey et les œuvres qu’ils ont suscitées chez le compositeur d’aprèsles annotations de Koechlin sur ses manuscrits.25. Pour Koechlin, la simultanéité dans la conception des différentes parties del’œuvre cinématographique n’est possible que dans le cas où le projet artistique estconçu de concert avec les acteurs, car c’est à eux que revient, selon lui, le pouvoirexpressif de l’œuvre, qui ne peut naître que de la synthèse la plus parfaite entre l’ex-pression du visage, le débit de la parole, la musique et la prise de vues.26. Dans une entrevue avec Michael Chanan (1969, p.  644) pour la revue de laBBC The Listener, Darius Milhaud relate que lorsque Koechlin « […] used to go tosee a movie he had a little notebook. When there was some music which he thoughtwas awful, he timed it, and when he came back home he wrote another piece toreplace it. »27. Pour une description de la scène et de la musique de Koechlin, voirOrledge 1989 (p. 165).28. Pour voir la scène : http://www.youtube.com/watch?v=eA7IeHC9j6Y.29. Koechlin cite très souvent Rameau dans ses écrits et tout particulièrement dansses études sur l’harmonie et la modalité. Il est à peu près certain qu’il connaissait bienle traité du compositeur français.30. Dans la version de Christoph Keller (piano), Philippe Racine (flûte) et KathrinGraf (soprano) : Koechlin. Musique de chambre, étiquette Accord, Musidisc France,4658942, 2001.31. Indication dans la partition (Koechlin 1985, p. 9).32. À ce sujet, voir Descheneaux 2012 (p. 478) et Koechlin 1938 (p. 400).33. Parmi les films de Cocteau qui explorent la fable et le mythe, on pense à La belleet la bête (1946), mais aussi à Orphée (1950).34. Expression fréquemment utilisée par Koechlin à propos de la manière qu’avaitLilian Harvey de dire son texte.35. Lettre de Koechlin à Ernest Le Grand, 27 mai 1935. Cette lettre est citée enanglais dans Orledge 1989 (p. 162). Malgré nos recherches, nous n’avons pas été enmesure d’en retrouver l’original. S’agissant sans aucun doute d’un brouillon de lettre(Koechlin a conservé de nombreux brouillons de lettres), il aura peut-être été perdudans le déménagement des archives du compositeur.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUESAmiel 1998 : Vincent Amiel, Le corps au cinéma. Keaton, Bresson, Cassavetes, Paris,PUF, 1998, 121 p.

105L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page105

Page 23: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

Bouscant 2010 : Liouba Bouscant, « Charles Koechlin politicien : l’engagement desannées 1930 » dans Cathé, Douche et Duchesneau 2010, p. 145-171.Cathé, Douche et Duchesneau 2010 : Philippe Cathé, Sylvie Douche et MichelDuchesneau (dir.), Charles Koechlin. Compositeur et humaniste, Paris, Vrin, 2010,609 p.Chanan 1969 : Michael Chanan, « Charles Koechlin and the Movies », The Listener,vol. 82, 1969, p. 644.Descheneaux 2012 : Audrée Descheneaux, « Idées, espoir et grande illusion : quand lecompositeur s’engage », Thèse de doctorat, Université de Montréal, 2012.Duchesneau 1997 : Michel Duchesneau, L’avant-garde musicale et ses sociétés à Parisde 1871 à 1939, Sprimont, Mardaga, 1997, 352 p.Icart 1988 : Roger Icart, La révolution du parlant, vue par la presse française,Perpignan, Institut Jean Vigo, 1988, 466 p.Koechlin 1916 : Charles Koechlin, « Le théâtre, du Rêve à Pelléas et à Pénélope[1916] », dans Koechlin 2006, p. 53-75.Koechlin 1928 : Charles Koechlin, « De la simplicité [1928] », dans Koechlin 2006,p. 301-311.Koechlin 1934a : Charles Koechlin, « En marge de L’album de Lilian », août 1934,Archives Charles Koechlin, Médiathèque musicale Mahler, Paris.Koechlin 1934b : Charles Koechlin, « Le problème de la musique de cinéma[1934] », dans Koechlin 2009, p. 233-238.Koechlin 1938 : Charles Koechlin, « Musique et cinéma [1938] », dans Koechlin 2009,p. 399-402.Koechlin 1985 : Charles Koechlin, L’album de Lilian — Première série. En route vers lebonheur, op. 139, no 7, Paris, Max Eschig, 1985, 17 p.Koechlin 2006 : Charles Koechlin, Esthétique et langage musical. Écrits  présentés parMichel Duchesneau (volume 1), Sprimont, Mardaga, 2006, 518 p.Koechlin 2007a : Charles Koechlin, Le portrait de Daisy Hamilton, op. 140. Premièresérie : douze pièces pour piano, Mainz, Schott, 2007, 35 p.Koechlin 2007b : Charles Koechlin, Le portrait de Daisy Hamilton, op.  140.Volume 3 : sept pièces pour deux pianos, Mainz, Schott, 2007, 36 p.Koechlin 2009 : Charles Koechlin, Musique et société. Écrits présentés par MichelDuchesneau (volume 2), Sprimont, Mardaga, 2009, 446 p.Orledge 1989 : Robert Orledge, Charles Koechlin (1967-1950): His Life and Works,Chur, Harwood Academic Publishers, 1989, 457 p.Orledge 2010 : Robert Orledge, « Éditer Daisy Hamilton », dans Cathé, Douche etDuchesneau 2010, p. 493-508.Rameau 1722 : Jean-Philippe Rameau, Traité de l’harmonie réduite à ses principesnaturels, Paris, Ballard, 1722, 432 p.Rossi 2010a : Jérôme Rossi, « La musique d’un film documentaire : l’exemple deCharles Koechlin (1938) » dans Frédéric Gimello-Mesplomb (dir.), Analyser lamusique de film, Paris, Books on Demand, 2010, p. 99-110.Rossi 2010b : Jérôme Rossi, « Koechlin et la musique pour l’image. Victoire de la viede Henri Cartier-Bresson », dans Cathé, Douche et Duchesneau 2010, p. 449-473.Viviani 1995 : Christian Viviani, « Corps morcelés, corps exaltés dans le musical amé-ricain », dans Jacques Aumont (dir.), L’invention de la figure humaine. Le cinéma : l’hu-main et l’inhumain, Paris, Cinémathèque française, 1995, p. 91-99.

106 CiNéMAS, vol. 25, no 1

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page106

Page 24: Charles Koechlin et l amour des stars. L acteur et son jeu comme … · Charles Koechlin et l’amour des stars. L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma

ABSTRACT

Charles Koechlin and the Love of Stars: Actingas the Expressive Driving Force of an IdealFilm MusicMichel DuchesneauIn the 1930s, the composer Charles Koechlin (1867-1950)developed a passion for sound film. In addition to his articles onthe topic, he left personal notes on and projects for film scriptsand music, going so far as to conceive film scripts for music thatdid not exist and music for images that did not exist—butwhich, in his imagination, were both compatible and of thehighest artistic quality. This passion was accompanied by a pas-sion for movie stars and in particular for the actress LilianHarvey (1906-1968). Koechlin sublimated this love in musicand composed more than a hundred pieces, gathered together intwo Albums de Lilian and in Le portrait de Daisy Hamilton. Thisarticle undertakes an analysis of the three cinematic elements—movement, line and expression—that Koechlin endeavoured totranspose into music in his “sketches for an imaginary film” andshows that beyond the aesthetic principles behind his work, thecomposer found in the sound image a material with dynamic,plastic and sensual qualities which no other form of inspirationhad been able to provide him with hitherto.

107L’acteur et son jeu comme moteur expressif d’une musique de cinéma idéaleCharles Koechlin et l’amour des stars.

Cinémas 25, 1_Cinémas 24, 1 15-03-25 22:19 Page107