19
Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006 1 La démonstration La philosophie de la démonstration mathématique Alain Chauve Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Dans l’Introduction à la philosophie mathématique (1919), au chapitre I, Bertrand Russell fait la distinction entre, d’un côté, la mathématique ordinaire, celle qui part d’objets mathématiques simples et élémentaires pour construire des objets de plus en plus complexes et s’élever aux mathématiques supérieures et, d’un autre côté, ce qu’il appelle la philosophie mathématique, qui se tourne vers les principes et notions fondamentales pour les élucider et les élaborer mathématiquement. Russell prend l’exemple du début même des mathématiques : « Quand les anciens géomètres grecs passèrent des règles empiriques de l’arpentage égyptien aux propositions générales dont ils découvrirent qu’elles permettaient de justifier les premières, puis de là aux axiomes et postulats d’Euclide, ils faisaient de la philosophie mathématique […] ; mais une fois découverts les axiomes et les postulats, leur utilisation dans des déductions, comme on le voit chez Euclide, appartient aux mathématiques au sens ordinaire » 1 . Ce propos caractérise assez bien le processus de mise en œuvre et d’élaboration de la notion de démonstration dans les mathématiques en attirant l’attention sur l’exigence philosophique qui gouverne ce processus. Nous nous proposons de le montrer sur l’exemple de la géométrie. On a dit que la géométrie trouvait son origine dans l’arpentage que l’on pratiquait dans l’Egypte des Pharaons pour redistribuer les lots de terre 1 Introduction à la philosophie mathématique, trad. François Rivenc, éd.Payot, 1991, pp. 36-37.

Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

1

La démonstration La philosophie de la démonstration mathématique

Alain Chauve

Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr

Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance.

Dans l’Introduction à la philosophie mathématique (1919), au chapitre I, Bertrand Russell fait la distinction entre, d’un côté, la mathématique ordinaire, celle qui part d’objets mathématiques simples et élémentaires pour construire des objets de plus en plus complexes et s’élever aux mathématiques supérieures et, d’un autre côté, ce qu’il appelle la philosophie mathématique, qui se tourne vers les principes et notions fondamentales pour les élucider et les élaborer mathématiquement. Russell prend l’exemple du début même des mathématiques : « Quand les anciens géomètres grecs passèrent des règles empiriques de l’arpentage égyptien aux propositions générales dont ils découvrirent qu’elles permettaient de justifier les premières, puis de là aux axiomes et postulats d’Euclide, ils faisaient de la philosophie mathématique […] ; mais une fois découverts les axiomes et les postulats, leur utilisation dans des déductions, comme on le voit chez Euclide, appartient aux mathématiques au sens ordinaire »1. Ce propos caractérise assez bien le processus de mise en œuvre et d’élaboration de la notion de démonstration dans les mathématiques en attirant l’attention sur l’exigence philosophique qui gouverne ce processus. Nous nous proposons de le montrer sur l’exemple de la géométrie.

On a dit que la géométrie trouvait son origine dans l’arpentage que

l’on pratiquait dans l’Egypte des Pharaons pour redistribuer les lots de terre

1Introduction à la philosophie mathématique, trad. François Rivenc, éd.Payot, 1991, pp. 36-37.

Page 2: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

2

après les crues du Nil. Mais il faut dire aussi, en reprenant une célèbre distinction que faisait G. Canguilhem, que, si c’est peut-être son origine, ce n’est pas encore son commencement. Ce commencement est grec. C’est en effet avec la démonstration que commence la géométrie. Les prêtres égyptiens ne connaissaient que des règles empiriques, des procédés d’arpenteurs. Ils savaient par exemple que l’on obtenait un angle droit lorsqu’on construisait un triangle dont les côtés sont comme 3, 4, et 5. Les Grecs, eux, en savaient plus, et le savaient autrement. La tradition, en l’occurrence Diogène Laërce, nous dit que le premier géomètre fut Thalès (vers 580 ?). Il aurait formulé une proposition générale sur la construction des triangles rectangles, une proposition qui exprime une loi géométrique de construction d’une figure : « Il inscrivit dans un cercle le triangle rectangle et pour cette découverte immola un bœuf ». Plus exactement, il s’agit de l’inscription du triangle rectangle dans le demi-cercle dont le diamètre est le côté opposé à l’angle droit. Le doxographe ne nous dit pas ce qui justifie cette proposition et d’où elle vient, mais il n’est pas difficile de restituer la démonstration.

Admettons que l’on a déjà démontré que la somme des angles d’un triangle vaut deux angles droits – on attribue cette démonstration à Pythagore – et considérons le triangle ABC, inscrit dans le demi-cercle de centre O.

Page 3: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

3

Un autre exemple célèbre est celui de la duplication du carré dont la démonstration fut donnée, dit-on, par Pythagore et que Platon met en scène dans le Ménon. Pour démontrer que le carré qui a pour côté la diagonale AC d’un carré donné ABCD aura la surface double de ce dernier, on construit la figure et l’on compte les triangles égaux pour constater qu’il y en a deux dans le carré donné (ABC et ACD) et quatre dans le carré construit (A B C, A B A’, A’ B C’ et C’ B C)

Sous cette forme rudimentaire, la démonstration consiste à montrer quelque chose sur une figure. Toutefois, il ne s’agit pas d’une figure que l’on trouverait parmi les choses que l’on peut observer. La figure que l’on montre est une figure que l’on a construite et qui n’apparaît qu’avec cette construction. Et pour montrer quelque chose sur cette figure, il ne s’agit pas de la regarder, même avec attention, pour tenter de l’y apercevoir, mais il s’agit de raisonner sur elle, en particulier d’établir des égalités entre ses éléments. Nous dirons que, au début de la géométrie, la démonstration consiste à montrer non en observant et en regardant, mais en construisant une figure pour pouvoir raisonner sur la construction. L’objet géométrique n’est pas ce qu’on fait apparaître visuellement mais une figure qu’on se représente dans l’esprit et qui est comme à l’arrière-plan de la figure qu’on trace. Platon disait que cet objet est « supposé » (République VI, 510 b-e) et que, par exemple, sous le carré qu’on trace, il y a le « carré en soi ». En faisant son apparition dans le champ de la géométrie, la notion de démonstration exige que l’on distingue et sépare les choses mathématiques, que l’on conçoit et que l’on forme par la pensée, des choses concrètes et « visibles » que l’on peut observer autour de nous. D’emblée la notion de démonstration est solidaire d’une conception philosophique de la nature des choses mathématiques, de sorte que toucher à cette notion, c’est modifier cette conception. Et c’est justement ce qui va arriver.

Cette démarche démonstrative, à laquelle nous devons les premières lois géométriques, reste pourtant insatisfaisante, car si l’on comprend bien qu’il fait avoir recours à des constructions et non à des observations, en

Page 4: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

4

revanche, la nécessité de la construction qu’il faut faire pour démontrer n’apparaît pas. On a le sentiment que le géomètre doit inventer cette construction, qu’il doit la trouver par lui-même, en tâtonnant ou en réfléchissant ou par une sorte d’inspiration, comme Thalès le taciturne au pied de la pyramide. Peut-on admettre que la nécessité objective de la démonstration soit ainsi livrée à la contingence subjective de celui qui en a l’idée ? La démonstration ne serait alors qu’une « opération extérieure », pour parler comme Hegel, dans le Préface de la Phénoménologie de l’esprit, un moyen de mettre en évidence un résultat, mais un moyen qui reste un appareil démonstratif extérieur, un « mode de présentation » d’arguments mathématiques propres à convaincre et à se convaincre soi-même qu’une figure a bien telle ou telle propriété. Qu’on ait l’idée de la construction ou qu’on nous la souffle – comme fait Socrate avec le petit esclave dans le Ménon – « on a à obéir aveuglément à cette prescription de tirer précisément ces lignes […] sans rien savoir d’autre et en ayant confiance que cela servira bien à la conduite de la démonstration »2. On voudrait pourtant comprendre à quelle nécessité, à quelles règles obéissent les constructions qu’on peut et qu’on doit faire pour démontrer. On voudrait passer des lois géométriques – tel ou tel théorème qu’on démontre – aux lois de la géométrie – les principes et les notions qui norment les démonstrations. On voudrait passer des lois qu’on démontre à celles qui permettent de les démontrer.

Euclide a été probablement le premier à répondre à cette exigence. Sa géométrie se présente comme un système déductif où l’on distingue d’abord les raisonnements qu’on tient et les choses sur lesquelles on raisonne. Les raisonnements obéissent au principe de contradiction auquel toute démonstration se ramène « comme à son ultime vérité », avait dit Aristote, à savoir : « il est impossible que l’affirmation et la négation soient vraies et fausses en même temps » (Métaphysique, 3). Enoncé sous cette forme, ce principe a une valeur générale ; il vaut pour « tout être en tant qu’être » et s’impose à chaque « science » sous une forme particulière dans son domaine propre. En géométrie, où il s’agit de « grandeurs », Euclide formule donc 9 « axiomes »3 (« notions communes ») qui expriment l’exigence de non contradiction dans le domaine des grandeurs (par exemple, « les grandeurs égales à une même grandeur sont égales entre elles », ou encore : « le tout est plus grand que la partie »). Les choses sur lesquelles on raisonne font l’objet de définitions, par exemple celle du point : « le point est ce qui n’a pas de parties », ou celle de la droite : « la ligne droite est celle qui est interposée également entre ses points ». Euclide cherche à évoquer les choses mathématiques en voulant éviter qu’on les confonde avec des choses concrètes. Il en parle comme de choses abstraites dont il ne peut pas même y

2 Préface et Introduction de la Phénoménologie de l’esprit, trad. Bernard Bourgeois (légèrement modifiée), éd. Vrin,1997. 3 Liste des définitions, axiomes et postulats dans Introduction à l’histoire des

sciences, 1. Eléments et instruments. Textes choisis, éd. Classiques Hachette, 1970, pp. 43-46.

Page 5: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

5

avoir d’image sensible : un point n’est pas la trace que laisse une pointe sur un support ; ce serait plutôt une sorte de « monade ». La ligne droite n’est pas l’alignement rectiligne de l’arête d’un mur ou d’une corniche.

On a ainsi clarifié le discours du géomètre, sa syntaxe et ses notions. On sait en quels termes exacts il faut parler des choses géométriques ; on sait qu’il faut s’en tenir strictement aux termes dans lesquels elles sont définies et l’on sait qu’il faut les considérer sans introduire des représentations étrangères aux termes que l’on utilise. Reste qu’il faut maintenant expliciter non seulement la manière de parler des choses géométriques mais aussi la manière de les former intellectuellement dans l’esprit. C’est ce que va faire Euclide. Il va ramener les constructions géométriques à quelques règles fondamentales qui norment tous les procédés de construction de figures. Tous en effet se ramènent à trois actes intellectuels fondamentaux qui constituent la pensée géométrique. Euclide demande qu’on les admette eux et eux seuls, aussi les appelle-t-il des postulats. Il demande qu’on puisse 1/ « conduire une droite [et une seule !] d’un point quelconque à un point quelconque », 2/ « prolonger indéfiniment, selon sa direction, une droite finie », 3/ « d’un point quelconque et avec un intervalle quelconque, décrire une circonférence de cercle ». On aura reconnu l’utilisation de la règle et du compas exprimée de façon abstraite (il ne s’agit pas d’expliquer la manière d’utiliser une règle pour tirer un trait ou un compas pour tracer une circonférence). Les démonstrations devront ainsi faire appel à ces postulats qui imposent d’effectuer des constructions à la règle et au compas.

Il y a trois autres postulats, mais le quatrième et le sixième peuvent être rattachés aux autres. Par contre le cinquième, comme on sait, va poser un problème. Il ne semble pas être de même nature que les trois premiers. Ce postulat concerne le parallélisme : « Si une droite, tombant sur deux droites, fait les angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, ces droites prolongées à l’infini se rencontrent du côté où les angles sont plus petits que deux droits ».

Soit la droite AB perpendiculaire à la droite BC. L’angle ABC est droit. Si l’angle BAD est plus petit qu’un angle droit, la somme des angles ABC et BAD est plus petite que deux droits, et les droites AD et BC seront sécantes du côté de D et C. Ce postulat sous-entend que, dans le cas où l’angle BAD

Page 6: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

6

serait droit, et dans ce cas seulement, les deux droites ne seront pas sécantes. Quoi que ce ne soit pas dit explicitement, on convient d’admettre que c’était bien là ce que l’on voulait dire : par un point extérieur à une droite on ne peut construire qu’une et une seule parallèle à cette droite. Ce type de postulat est bien différent des autres. Il fait plutôt état du résultat d’une construction particulière que de la façon de faire des constructions en général, et il énonce ce résultat sous la forme d’une règle de construction.

Résumons maintenant la situation et essayons de caractériser ce qui s’est passé. Avec Euclide, la géométrie a explicité les lois auxquelles obéissent les constructions qui servent à démonter une loi géométrique. On est passé des lois géométriques que l’on démontre aux lois de la géométrie avec lesquelles on fait ces démonstrations ; on a explicité les lois de la pensée géométrique, les lois de la démarche démonstrative en géométrie. Russell, dans la citation donnée au début, avait tout à fait raison de parler de « philosophie mathématique ». Cette élaboration de la géométrie comporte en effet trois aspects : elle se tourne vers les principes et notions fondamentales de la géométrie ; elle clarifie la signification mathématique de la géométrie ; elle fait apparaître un présupposé philosophique. Les deux premiers aspects peuvent être aisément aperçus. On voit bien que l’élaboration euclidienne de la géométrie conduit à expliciter et à codifier la pensée géométrique elle-même, c’est-à-dire ce qui fait d’elle une géométrie. Elle rend intelligible non seulement les objets du savoir géométrique mais aussi le savoir de ces objets. Jusqu’alors le géomètre étudiait les propriétés des objets géométriques en faisant spontanément appel à la considération de points, de lignes, de plans, etc., sans trop s’interroger sur ce que c’est que point, droite, plan, angle, etc. Euclide met à jour, précise et fixe ces notions et les règles fondamentales qui gouvernent leur utilisation dans des constructions. Du coup, la signification mathématique de la géométrie devient plus claire. On passe de la considération des figures où l’on voyait l’image des choses géométriques à la considération des grandeurs constructibles à la règle et au compas dans l’espace. Les possibilités de constructions sont exprimées par les postulats, les règles de raisonnement sur des grandeurs par des axiomes. Ces possibilités et ces règles qui constituent la pensée géométrique passent au premier plan, de sorte que c’est la méthode qui détermine l’objet, qui délimite le champ de la géométrie et qui limite ses possibilités démonstratives. La géométrie d’Euclide est impuissante devant des problèmes insolubles par des constructions à la règle et au compas : le problème de Délos (l’île du dieu Apollon qui demande qu’on lui édifie un autel deux fois plus grand. C’est le problème de la duplication du cube), le problème de la trisection de l’angle et le problème des quadratures (Archimède le maîtrisera par la méthode d’exhaustion qui n’est plus celle de « l’application des aires » qui caractérise la géométrie d’Euclide).

Qu’en est-il du troisième aspect, le présupposé philosophique ? C’est l’analyse que fait Kant du fondement de la géométrie qui le fait le plus nettement apparaître. La géométrie procède par « construction de concepts », c’est-à-dire que pour démontrer, il faut procéder à des constructions. Au concept d’un objet géométrique – c’est-à-dire à sa définition – il faut

Page 7: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

7

associer une construction et c’est sur cette construction qu’il faut raisonner, car si l’on se contente de raisonner sur la définition toute seule pour essayer d’en déduire quelque chose, on n’arrivera à rien. On ne peut pas déduire de la définition du triangle, par exemple, la somme de ses angles sans raisonner sur la construction de la figure. Pour démontrer, il faut construire. Or pour construire, il faut se donner une représentation de l’objet géométrique (Kant dit une « intuition »). Puisqu’on se donne cette représentation en construisant, il s’agit d’une représentation a priori, qui ne nous est pas donnée par ce qu’on observe ou ce qu’on constate. Ce ne saurait être la représentation empirique du tracé d’une figure. Il ne peut s’agir que de la représentation que nous en avons dans l’espace, c’est-à-dire dans une « intuition pure » comme dit Kant, où il est fait abstraction des choses concrètes que l’on peut voir dans l’espace qui nous entoure, mais où l’on se représente l’étendue elle-même. Cette représentation est la condition ultime de la géométrie. Kant soutient en effet que les axiomes et les postulats tels que « le tout est plus grand que la partie », « entre deux points on ne peut mener qu’une ligne droite », etc., relèvent d’un principe dit « mathématique » que Kant appelle « axiome de l’intuition » et qui énonce que « toutes les intuitions sont des grandeurs extensives » (on ne peut se représenter quelque chose que sous la forme d’une grandeur dans l’espace). Ce principe, bien que qualifié de « mathématique », n’est pas lui-même un axiome des mathématiques ; il est, précise Kant, « le fondement de la possibilité des axiomes » en vertu duquel « ces axiomes mêmes […] ne sont admis dans la mathématique que parce qu’ils peuvent être représentés dans l’intuition » [pure]4. Les propriétés des objets géométriques ne sont accessibles que dans une intuition pure, celle de l’espace, fondement des lois qui gouvernent les procédures géométriques de construction. Cette intuition pure commande des actes de représentation et est constitutive de la possibilité et du pouvoir qu’a notre esprit d’avoir des représentations. La géométrie se trouverait donc fondée dans une intuition pure qui oblige le géomètre à se soumettre aux exigences fondamentales de la représentation. Au discours du géomètre est imposée une condition : on exige qu’il ne soit pas seulement déductif, mais qu’il se soumette aux possibilités d’une représentation. Démontrer, c’est construire, construire, c’est se représenter quelque chose. La démonstration exige une représentation.

Peut-être cinq ans après la seconde édition de la Critique de la raison

pure, si l’on en croit Gauss, à coup sûr vers 1824, les géomètres se tournent à nouveau vers les principes de la géométrie et ses procédures démonstratives. Euclide avait bien dégagé la pensée géométrique sous-jacente aux démonstrations par construction de figures, mais il n’avait pas pris cette pensée elle-même pour objet de la géométrie. C’est au contraire ce que vont faire Gauss, Bolyai et Lobatchevski. Il ne s’agit plus de démontrer quelque chose à l’aide d’un postulat qui commande une construction

4 Critique de la Raison pure, introduction, trad. Jules Barni, revue par P. Archambault, éd. G F. Flammarion, p. 68

Page 8: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

8

géométrique, mais d’essayer de démontrer le postulat lui-même qui sert à démontrer. Le moyen de démonstration est pris comme objet de démonstration, de sorte que, au bout du compte, c’est la démonstration géométrique qui finira par devenir l’objet de la géométrie. De là va naître une nouvelle conception de la géométrie. En attendant d’en arriver là, le sentiment sera que l’on assiste à l’apparition déconcertante d’une nouvelle géométrie. À celle-ci, Gauss donne le nom de « géométrie non-euclidienne ». Elle part de l’idée que d’un point extérieur à une droite, il y a plusieurs droites « non-sécantes » qui ne couperont pas cette droite. Lobatchevski, par exemple, reprenant la construction correspondant à la formulation du cinquième postulat, raisonne de la façon suivante :

D’un point A extérieur à une droite BC on abaisse la perpendiculaire

AD à cette droite. De A on tire une droite AE perpendiculaire à AD. Dans l’angle droit EAD, ou bien toutes les droites partant de A dans la direction de C et E rencontrent la droite DC, comme par exemple AF, ou bien quelques unes, comme AE, ne rencontrent pas DC. Et Lobatchevski ajoute : « dans l’incertitude si la perpendiculaire AE est la seule droite qui ne rencontre pas DC, nous admettrons la possibilité qu’il existe encore d’autres lignes telles que AG, qui ne coupent pas DC, quelque loin qu’on les prolonge »5. À quoi tient cette « incertitude » qui fait envisager qu’il pourrait bien y avoir d’autres droites qui ne coupent pas DC ? Elle tient au fait que, comme nous l’avons signalé, le cinquième postulat ne formule pas, comme font les autres, une règle qui exprime la possibilité d’effectuer une construction, mais formule une règle qui enveloppe tacitement une affirmation sur le résultat d’une construction (la perpendiculaire AE sera la seule droite qui ne coupera pas DC).

Le développement de cette idée géométrique sur la possibilité de construire d’autres droites non-sécantes a donné lieu, au moment où elle est apparue, à une interprétation mathématique et philosophique que nous ne pouvons plus admettre. Du point de vue mathématique, Gauss, comme on l’a dit, voyait dans cette géométrie une « géométrie non-euclidienne ». Du point

5 Introduction à l’histoire des sciences, 2. Objet, méthodes, exemples. Textes

choisis, éd. Classiques Hachette, 1971, pp. 114-115

Page 9: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

9

de vue philosophique, Bolyai y voyait une création qui égale le géomètre à Dieu lui-même. Il a eu en effet cette déclaration stupéfiante qu’on peut lire dans une lettre adressée à son père en 1823 : « j’ai tiré du néant un nouvel univers »6. Pourquoi une telle interprétation ? Parce qu’aux yeux de ces géomètres, la géométrie passe toujours pour être une représentation de l’espace, conformément à ce que soutenait Kant. Plus précisément, celui-ci faisait de l’intuition pure de l’espace le fondement de la géométrie. Or, puisque cette intuition pure était, en outre, selon Kant, une forme a priori de la sensibilité, la représentation géométrique de l’espace devait forcément être la représentation (pure) que nous avons a priori de l’espace réel. C’est pourquoi la question de la vérité de la représentation d’un espace « non-euclidien » semblait se poser : est-ce l’espace euclidien ou l’espace de la nouvelle géométrie qui est l’espace réel, celui qui « a lieu dans la réalité » (Bolyai) ? Bolyai tenait qu’il s’agit d’un espace réel, donc d’un nouvel univers ; Lobatchevski tenait qu’il s’agit d’une « géométrie imaginaire ». Gauss hésitait et voulait, en quelque sorte, qu’on mesure l’univers pour savoir ce qu’il en est, en vérifiant par des triangulations si, à de grandes distances, la somme des angles d’un triangle vaut toujours deux angles droits ! Le ridicule de ces attitudes nous saute aux yeux, car nous ne voyons plus du tout les choses de cette façon. D’abord, d’un point de vue mathématique, l’expression de « géométrie non-euclidienne » n’est pas très heureuse. Elle semble signifier que cette géométrie contredit une géométrie euclidienne. Or il n’en est rien. Elle veut dire au contraire que la négation du postulat d’Euclide ne contredit pas les autres axiomes et postulats euclidiens, de sorte que si la géométrie non-euclidienne était contradictoire, la géométrie euclidienne le serait aussi. Quand on parle de géométrie non-euclidienne, on veut simplement dire que le postulat euclidien sur les parallèles est indépendant des autres postulats et des axiomes, et rien d’autre. Ensuite, d’un point de vue philosophique, nous ne nous demandons plus si le postulat sur l’unicité de la parallèle est vrai ou faux ; nous ne nous interrogeons plus sur la vérité ou le caractère imaginaire de la nouvelle géométrie. Celle-ci a pour nous une tout autre signification : elle oblige à abandonner l’idée même que la géométrie serait une représentation de l’espace – réel ou imaginaire - , cette représentation fût-elle une intuition pure.

Dans une géométrie, il n’y a pas de représentation de l’espace ; il y a une structure de l’espace. Une géométrie est en effet une axiomatique où l’on a fait abstraction de toute représentation et où le mot « espace » désigne une structure, c’est-à-dire un système d’axiomes et de déductions. Axiomatiser une théorie consiste à formuler rigoureusement des propositions premières en ce sens précis qu’elles sont celles qui permettent de déduire des théorèmes sans avoir à considérer la nature des objets de la théorie. On appelle « axiomes » ces propositions premières, mais ce mot n’a plus le sens restreint que lui donnait Euclide. On appelle « démonstration » la pure

déduction de théorèmes à partir des axiomes. Cela signifie que, dans les

6 Id. p. 118

Page 10: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

10

démonstrations, on fait abstraction des représentations des objets géométriques que semble évoquer le discours de la géométrie ou que nous en donneraient des constructions dans l’espace, ces représentations seraient-elles pures et a priori. On s’en tiendra strictement à ce qu’on peut déduire des axiomes d’après les règles de la seule syntaxe logico-mathématique du discours géométrique. Il faut comprendre que, lorsque le géomètre parle d’un espace, il parle d’un pur concept mathématique, c’est-à-dire d’un système d’axiomes et de relations logiques de déductibilité de propositions à partir de ces axiomes. Il ne parle pas d’une intuition pure qui serait, au surplus, une forme a priori de la représentation objective. Il n’envisage plus les possibilités de constructions pures qu’autorise cette forme intuitive, mais il envisage les possibilités de pures déductions de propositions en vertu de la forme logique et de la syntaxe du discours géométrique. Dans une géométrie axiomatisée, on a substitué la déduction à la construction ; il n’est plus question d’en appeler à une intuition pure, mais on devra s’en tenir à de pures déductions. À ce qui est constructible, on a substitué ce qui est déductible dans la syntaxe du discours géométrique.

Ainsi, par exemple, à la considération de droites et de parallèles on substitue la considération de la syntaxe des expressions avec lesquelles on parle de parallélisme. Considérons le cas d’un ensemble E à quatre éléments a, b, c, d : E = a, b, c, d . Considérons les couples (a, b), (a, c), (a, d), (b, c), (b, d), (c, d). Notons D, D’, etc, des couples distincts. Adoptons le mot « plan » pour désigner cet ensemble E, le mot « point » pour ses éléments et le mot « droite » pour les couples. Formulons maintenant deux axiomes pour doter cet ensemble d’une structure :

Axiome 1 (on l’appelle axiome d’incidence) : si l’intersection de D et D’ contient au moins deux éléments distincts, alors D = D’. Nous venons de dire que par deux « points » distincts « passe » une et une seule « droite ». Lorsque l’intersection est un singleton (c’est-à-dire ne contient qu’un élément), on peut utiliser l’expression de « droites sécantes ».

Axiome 2 (on l’appelle axiome du parallélisme) : quelque soit D, si x (x étant un élément de E) n’appartient pas à D, alors il y a un et un seul D’ tel que x appartient à D’ et l’intersection de D et de D’ est vide. Nous venons de dire que par un « point » x « extérieur » à une « droite » D, il y a une et une seule droite D’ parallèle à D.

Autrement dit, dans le cas du « plan à 4 points », on peut parler de « droites » et de « parallélisme » au sens d’Euclide. Certes on conviendra que c’est un étrange « plan » qui n’a aucune étendue ; ce sont d’étranges « points » qui ne sont nulle part dans l’espace, d’étranges « droites », qui ne sont pas des traits rectilignes et qui n’ont ni distance ni longueur. Mais le plus étrange est que ce que l’on dit de ces choses étranges est exactement ce qu’on dit de plans, de points, de droites quand on parle de parallélisme. On a ramené les énoncés concernant le parallélisme à leur pure syntaxe ; on les a ramenés à ce que l’on dit quand on parle de parallélisme. Et ce que l’on dit

n’est pas ce que l’on se représente quand on en parle. On dispose ainsi de la syntaxe des expressions avec lesquelles on peut parler de points, de droites et de parallèles, mais sans avoir à se figurer une construction géométrique

Page 11: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

11

dans l’espace avec des lignes droites qu’on trace, qui se coupent ou se prolongent à l’infini sans se rencontrer. Non seulement nous n’avons pas à nous figurer une telle construction, mais nous ne pouvons pas nous la figurer : dans le « plan à 4 quatre points », le « plan » n’a plus guère de rapport avec la représentation d’une surface plane, pas plus que les « droites » n’en ont avec celle de traits rectilignes. Et pourtant les axiomes que nous avons donnés constituent bien dans le discours géométrique la syntaxe qui permet de parler de parallélisme et à laquelle les raisonnements euclidiens qui font intervenir le parallélisme peuvent se ramener. La pensée géométrique du parallélisme n’est pas dans ce que je me représente quand je

parle de droites parallèles, mais dans ce que je dis quand j’en parle. Elle est dans la syntaxe logico-ensembliste de ce que je dis. Sans doute les termes de « droite » et de « points » évoquent-ils des représentations géométriques qu’on ne reconnaît plus dans cette syntaxe du discours géométrique. Cela signifie seulement que la représentation de la droite qu’on a dans la tête – un trait rectiligne – est porteuse d’autres structures : ordre, mesure (longueur), continuité. Mais, d’une part, il s’agit encore et toujours de structures auxquelles se ramène cette représentation et, d’autre part, on n’a pas besoin de ces structures pour raisonner sur le parallélisme de droites. Pour s’en convaincre, il faut corriger, rectifier, épurer, préciser, réorganiser le discours euclidien, classer les « axiomes », délimiter précisément le champ des propositions qu’ils concernent et déterminer exactement la façon dont ils interviennent dans les démonstrations. Ce travail a été fait par David Hilbert, professeur « ordinaire » à Göttingen, dans les Grundlagen der Geometrie, les Fondements de la géométrie, de 1899, où il présente la première axiomatisation rigoureuse de la géométrie d’Euclide. C’est lui qui, pour faire comprendre à ses étudiants que, dans une géométrie axiomatisée, la structure se substitue à la représentation, disait, en manière de boutade, que « l’on devrait pouvoir parler, en géométrie, de tables, de chaises et de chopes de bière, au lieu de points, de droites et de plans »7.

Nous allons voir maintenant comment l’élaboration de la notion de démonstration dans une axiomatique s’inscrit dans le cadre d’une « philosophie mathématique ». En effet, chez Hilbert lui-même, l’élaboration de la démarche démonstrative dans le champ des mathématiques est solidaire d’exigences et de présupposés philosophiques qui sont clairement exprimés.

Au mois d’août 1900, à Paris, c’est l’exposition universelle. À cette

occasion se tiennent des congrès scientifiques internationaux. Celui des mathématiciens est présidé par Poincaré et réunit plus de 260 participants. Le 8 août, on donne la parole à David Hilbert. Celui-ci, plutôt que de parler de ses travaux, propose une liste, restée célèbre, de 23 grands problèmes en suspens auxquels les mathématiciens devront tenter d’apporter une réponse au XXe siècle. D’où le titre de sa conférence : Sur les problèmes futurs des

7 Cité dans Hilbert de Pierre Cassou-Noguès, coll. Figures du savoir, éd. Les Belles Lettres, 2001, p. 60.

Page 12: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

12

mathématiques8. Elle commence par un Préambule, sur lequel nous allons

nous arrêter, où Hilbert s’explique sur « les exigences et les conditions générales auxquelles doit répondre la solution d’un problème mathématique ». En d’autres termes, il entend s’expliquer sur ce que doit être le raisonnement mathématique, c’est-à-dire une démonstration. Ces exigences et conditions générales se résument « avant tout » dans celles de « la rigueur dans le raisonnement ». En quoi consiste cette rigueur ? En ceci que, dans une démonstration, « la solution […] doit être obtenue au moyen d’un nombre fini de conclusions et doit reposer sur un nombre fini d’hypothèses fournies par le problème même et fondées dans chaque cas avec précision ». Ainsi, la démonstration, dans sa rigueur, fait appel à « une déduction logique au moyen d’un nombre fini de conclusions » ; elle consiste dans « un nombre fini de déductions logiques ». Or cette idée de la rigueur démonstrative répond à une exigence intellectuelle qui dépasse le seul domaine des mathématiques. Elle représente, pour Hilbert, une idée philosophique : la rigueur dans la démonstration « correspond, dit-il, à un besoin philosophique général de notre entendement ».

Voyons d’abord ce qu’il en est de cette rigueur. Que signifie faire des hypothèses en nombre fini et procéder à un nombre fini de déductions ? Faire des hypothèses ne signifie pas se livrer à des conjectures qu’on essayerait ensuite de vérifier. Il s’agit, devant un problème, d’expliciter et de formuler exactement, en termes purement logico-mathématiques, les propositions qui permettent de résoudre le problème, c’est-à-dire qui permettent de procéder de façon purement déductive et de conduire à la conclusion en un nombre fini de déductions. Il s’agit donc d’abord de se donner des axiomes pour procéder déductivement. En géométrie, par exemple, il faudra que les figures et les constructions que l’on a l’habitude de faire soient ramenées aux règles et aux structures logico-mathématiques qui sont « la base de ces figures », c’est-à-dire soient ramenées à des propositions que l’on doit formuler indépendamment de leur application à des figures ou de leur utilisation dans des constructions. C’est pourquoi Hilbert souligne qu’en géométrie en particulier, où les notions mathématiques sont enveloppées dans les figures, « une discussion axiomatique rigoureuse de leur contenu intuitif est de toute nécessité ». Mais en outre, une fois que l’on a dégagé ces structures et qu’on s’est donné des axiomes, il s’agira de procéder à des déductions en nombre fini, c’est-à-dire que les déductions devront consister dans l’application de procédures qui ont un terme et aboutissent effectivement à un résultat déterminé auquel on arrive pas à pas. En disant cela, Hilbert n’a pas encore pris conscience qu’il est en train de faire d’une démonstration (déduction de théorèmes à partir d’axiomes) une procédure numérique comme celles auxquelles nous

8 Texte de la conférence dans Le Défi de Hilbert de Jeremy J. Gray, trad. de C. Grammatikas, coll. Universcience, éd. Dunod, 2003, pp.253-263 (pour le Préambule).

Page 13: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

13

sommes habitués dans les calculs de l’arithmétique élémentaire des nombres entiers.

Considérons maintenant l’aspect philosophique de cette exigence de rigueur. Celle-ci est « une loi générale […] de notre entendement, à savoir que toutes les questions que se pose notre entendement soient susceptibles d’être résolues par lui ». Dans les mathématiques, cette loi signifie que, pour tout problème, on doit pouvoir ou bien obtenir la solution par démonstration, ou bien démontrer l’impossibilité de la solution à partir des hypothèses telles qu’elles sont données ou formulées. Hilbert déclare : « tout problème mathématique déterminé doit être forcément susceptible d’une solution rigoureuse [i.e. purement déductive] que ce soit par une réponse directe à la question posée ou bien par la démonstration de l’impossibilité de la résolution, c’est-à-dire de l’insuccès de toute tentative de résolution ». C’est par exemple de cette façon que les Anciens avaient montré qu’il ne peut y avoir de commune mesure entre la longueur du côté du carré et celle de sa diagonale, ou encore qu’on ne peut obtenir (en géométrie euclidienne) une quadrature du cercle. L’exigence de rigueur dans les raisonnements nous est ainsi imposée par la conviction que tout problème peut être résolu. Cette conviction, qui déborde le champ des mathématiques et qui exprime un « besoin philosophique », Hilbert la proclame dans une envolée qui termine son préambule : « Nous entendons toujours résonner en nous cet appel : voilà le problème, cherches-en la solution. Tu peux la trouver par le pur raisonnement. Jamais en effet le mathématicien ne sera réduit à dire : ‘ignorabimus’ ». À la fin de sa carrière, en 1931, il le répète dans un discours prononcé à Kœnigsberg, sa ville natale : « Il n’y a absolument pas de problème insoluble. Au lieu de l’ignorabimus ridicule, notre réponse est au contraire : nous devons savoir, nous saurons »9. Un tel impératif n’exprime pas un banal besoin de connaissance ; il n’est pas dicté par un mouvement naturel de curiosité ou par l’intérêt que l’on porterait aux mathématiques. Il est dicté par une idée de ce que doit être le savoir, par l’idée d’un savoir complet et total : rien ne doit échapper à la démonstration ; la démonstration couvre le champ du savoir.`

Pour répondre à cette exigence, il faudra non seulement axiomatiser les théories mathématiques, mais il faudra ramener leurs démarches démonstratives à des procédures « finitistes » (ou « finitaires »), comme dit Hilbert, c’est-à-dire à un mode de pensée tenu pour fondamental et qui doit être le mode de pensée qui est à l’œuvre dans toute théorie et dans tout raisonnement mathématiques, c’est-à-dire dans tout le domaine de la démonstration. Ce mode de pensée nous est familier et l’arithmétique élémentaire des entiers en fournit un exemple. Un raisonnement finitiste procède en un nombre fini d’étapes et porte sur des données finies, par exemple sur des nombres déterminés ou des collections finies de nombres, mais n’introduit jamais la considération d’une totalité infinie, par exemple celle de l’ensemble infini des nombres ou celle de la totalité infinie des décimales d’un nombre irrationnel. Pourquoi veut-on faire du mode de

9 Cité dans Le Défi de Hilbert, op.cit., p. 175

Page 14: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

14

pensée finitiste le mode de pensée fondamental qui constitue le discours mathématique ? Parce que ce mode de pensée peut être traduit en une procédure « effective », c’est-à-dire consistant en des opérations que l’on peut effectivement exécuter et des résultats auxquels on peut effectivement aboutir. Effectivement veut dire : en effectuant une opération de proche en proche en suivant pas à pas une liste finie d’instructions pour obtenir un résultat déterminé. Une telle procédure est comparable à celle qu’on applique dans des calculs lorsqu’on effectue, par exemple, des opérations d’addition ou de multiplication. Si l’on peut ramener le discours mathématique aux démarches d’une pensée finitiste, toute théorie mathématique pourra devenir un système où la déduction des propositions prendra la forme d’une procédure de calcul.

Est-ce mathématiquement possible ? Hilbert pensait que ça l’était. L’axiomatisation, en effet, nous a montré qu’une théorie peut se présenter comme un système démonstratif où des théorèmes sont déduits d’axiomes selon les pures règles de la syntaxe logico-mathématique des expressions. Dans un tel système il n’y a plus que des suites de propositions qui se succèdent et qui sont constituées de signes logico-mathématiques– autrement dit, ce sont des formules – comme s’il s’agissait d’une sorte d’algèbre. Une formule est une suite de signes ; une démonstration une suite de formules, et l’on codifie les procédures qui permettent d’écrire ces suites. Dès lors on parle de la formalisation d’une théorie et l’on dit que l’on a affaire à un « système formel » qu’il faut donc voir comme un système de signes. En 1925, Hilbert résume la chose en expliquant qu’à la place des théories mathématiques nous avons « un stock de formules constituées de signes mathématiques et logiques enchaînés à la suite les uns des autres selon des règles définies »10. Dans un tel système, une démonstration « constitue un objet concret visualisable, exactement comme un chiffre »11, de sorte que raisonner et démontrer, c’est appliquer des procédures comparables à celles qu’on applique à des chiffres dans des calculs. En transformant les théories mathématiques en systèmes formels où les démarches démonstratives prennent la forme de procédures de calcul, Hilbert pense qu’on pourra répondre à l’injonction que nous dicte le « besoin philosophique » de savoir : tout problème peut être résolu. On pourra en effet examiner et étudier mathématiquement le formalisme d’un système formel pour établir les possibilités de démonstration qu’il offre et s’assurer de leur validité. Pour pouvoir raisonner en toute rigueur sur le formalisme qui gouverne les démonstrations d’un système formel, Hilbert exige qu’on s’en tienne à des méthodes effectives et des raisonnements finitistes. Cette étude mathématique des systèmes formels des mathématiques est appelée par Hilbert la métamathématique, et puisque celle-ci a pour objet les possibilités démonstratives des systèmes, elle sera une « théorie de la démonstration ».

10 Hilbert. « Sur l’Infini », 1925, dans Logique mathématique, Textes réunis et présentés par Jean Largeault, coll. U, éd. Armand Colin, p .233 11 Id. p. 236

Page 15: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

15

C’est la tâche que se propose d’accomplir l’école de Göttingen à partir de 1922 et que l’on appelle « le programme de Hilbert ». Il s’agit 1/ de formaliser les théories mathématiques, 2/ de développer la théorie de la démonstration, c’est-à-dire l’étude métamathématique des propriétés des systèmes formels. Au congrès international de Bologne en 1928, Hilbert croit toucher au but et explicite les propriétés qu’à ses yeux doivent avoir les systèmes formels (en ce sens, ces propriétés sont donc des normes pour tout système formel où les démonstrations sont des procédures finitistes et effectives). Ces propriétés sont la consistance, la complétude et la décidabilité. On peut les présenter de la façon suivante, qui n’est pas celle de Hilbert, mais qui me semble mieux en éclairer l’idée et qui peut se rattacher aux formulations hilbertiennes :

la consistance (dite syntaxique) : quelle que soit une formule

A du système, on n’a jamais à la fois A est démontrable et

non A est démontrable. On peut considérer que c’est bien une norme, une propriété qu’on attend d’un système formel et sans laquelle un système cesserait d’en être un.

la complétude (dite syntaxique) : on a toujours ou bien A est

démontrable ou bien non A est démontrable (dans ce cas, on dit que A est réfutable). Si cette condition n’est pas remplie, on dit que A est « indécis »

la décidabilité : on peut toujours « décider » si A est démontrable ou si A n’est pas démontrable. « Décider » veut dire : en appliquant une procédure effective. Dans le cas où cette condition ne serait pas remplie, on dira que A est « indécidable ».

Si ces trois conditions sont remplies – et Hilbert tient qu’un système

formel devrait forcément les remplir -, on pourra maîtriser entièrement le domaine des démonstrations d’un système. D’une formule A du système, on pourra décider si elle est démontrable, et dans ce cas on saura que sa négation ne l’est pas (par la consistance) ou si elle n’est pas démontrable, et dans ce cas on saura que sa négation l’est (par la complétude). On aura répondu à l’exigence de démonstrabilité qui exprime un « besoin philosophique » : « nous saurons ! ». Hilbert attend des systèmes formels qu’ils donnent aux mathématiques la possibilité d’en finir avec l’« ignorabimus ».

Mais il y a plus encore. On aura fait de la pensée finitiste un mode fondamental de pensée qui gouverne et structure toute la pensée mathématique et qui constitue « une sorte de cour d’arbitrage ou de cour suprême apte à décider de toutes les questions de principe, en partant d’une base concrète sur laquelle tout le monde est forcé de s’entendre »12. En effet, en raisonnant de cette façon, on peut s’assurer de la validité des démonstrations et on peut toujours procéder à des démonstrations. On a en

12 Id. p. 236

Page 16: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

16

quelque sorte sous les yeux les démonstrations que l’on fait ; elles se montrent sous la forme de suites de formules que l’on écrit en appliquant des instructions, de sorte que l’on peut intégralement suivre et parcourir ces suites jusqu’à leur terme. Ainsi on s’en tient à ce que l’on peut montrer et obtenir en vérifiant qu’on l’a effectivement obtenu en l’ayant sous les yeux. La conviction de Hilbert est que ce mode de pensée ne gouverne pas seulement le champ des démonstrations mathématiques ; il gouverne toute pensée. C’est, dit-il, « la conception philosophique fondamentale qu’à mon sens exigent les mathématiques et d’ailleurs toute pensée »13. Formaliser, c’est « dépeindre l’activité de notre intelligence »14, d’abord en ce sens qu’un système formel est l’image de la pensée, il « simule l’activité interne de l’entendement »15, mais on peut même aller jusqu’à dire que « formaliser, c’est dresser l’inventaire des règles d’après lesquelles fonctionne réellement notre pensée »16. En somme, Hilbert nous dit que la pensée doit être identifiée à un système formel. L’esprit est un système formel.

Pour terminer, il faudrait préciser le portée et clarifier le sens du

développement de la notion de démonstration dans la « philosophie mathématique », pour parler comme Russell.

Partons d’une mise au point sur le programme de Hilbert : il est mathématiquement irréalisable. Le 7 septembre 1930, lors d’un colloque à Kœnigsberg, un jeune mathématicien autrichien de 24 ans, Kurt Gödel, fait état d’un résultat qu’il a obtenu sur le système formel de l’arithmétique : si le système formel de l’arithmétique est consistant, alors il n’est pas complet. Le 15 avril 1936, à Cambridge, un jeune mathématicien anglais de 24 ans, Alan Turing, remet un mémoire sur les « nombres calculables » (computable numbers) où il établit que « le problème de la décision de Hilbert n’a pas de solution »17 (par des méthodes effectives et des raisonnements finitistes comme l’exigeait Hilbert). Que faut-il en conclure ? Nullement qu’un système formel est impossible, mais qu’il y a des systèmes formels qui, tout en étant consistants, n’auront pas la propriété d’être complets ou décidables. Cela n’exclut pas qu’on puisse construire des systèmes formels qui auront ces propriétés (par exemple celui du « calcul des propositions » en logique), mais ils ne suffiront pas pour formaliser l’arithmétique et toutes les théories mathématiques que l’on construit sur la base de l’arithmétique (la théorie des nombres réels, la théorie des fonctions et toute l’Analyse, avec, du coup, la géométrie). En revanche, cela invalide l’idée hilbertienne que les théories

13 Id. p. 228 14 Hilbert. Les Fondements des mathématiques, 1927, cité dans Hilbert, op.cit., p.120 15 Hilbert. Les Fondements de l’arithmétique élémentaire, 1930, cité dans Hilbert, op. cit., p.96 et p.147. 16 Id., p. 120 et p. 147 17 Alan Turing, « Théorie des nombres calculables suivie d’une application au problème de la décision », trad. Julien Basch dans La Machine de Turing, Jean-Yves Girard, coll. Points Sciences, éd. du Seuil, 1995, p. 91.

Page 17: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

17

mathématiques relèvent des démarches fondamentales – on oserait dire transcendantales – et effectives d’une pensée finitiste qu’on pourrait ériger en instance métamathématique suprême, juge du pouvoir démonstratif des mathématiques.

Cela signifie-t-il que l’exigence de rigueur démonstrative nous a fait courir après une illusion philosophique ? Il faut peut-être voir les choses autrement. Est-ce le « besoin philosophique » de savoir qui nous a abusés ou est-ce nous qui nous sommes abusés sur ce qu’était en vérité ce besoin ? Nous avons d’abord cru que la démonstration nous transportait dans une région idéelle où l’on peut contempler des objets abstraits, des nombres, des points, des droites, des triangles, des cercles, etc. Nous avons ensuite vu s’évanouir cette vision et nous avons eu le sentiment qu’il ne restait du discours mathématique que des axiomes, des déductions, des théorèmes. Enfin nous n’avons voulu voir dans cette déductibilité qu’une procédure effective, une procédure de calcul. On est passé de la démonstration qui construit à celle qui déduit, et de celle qui déduit à celle qui calcule. Que devient alors une démonstration ? Quand on parle de calcul, on songe spontanément à des opérations sur des nombres, l’addition, la multiplication, par exemple. Mais on peut envisager un calcul de deux façons : soit en y voyant une règle de calcul (les tables de multiplication, par exemple), soit en considérant ce qu’on fait quand on calcule (pour faire une multiplication, il faut poser des chiffres, des retenues, passer à la ligne en décalant d’une place, etc). Il s’agit alors de la procédure de calcul. Celle-ci porte sur des « chiffres » (Hilbert) – Leibniz aurait dit des « caractères » - c’est-à-dire sur des signes, et elle est indépendante des objets que représentent ces signes et qui peuvent être des nombres, des vecteurs, des ensembles, etc., aussi bien que des suites et séquences de formules qu’on appelle des déductions. Une procédure de calcul qui correspond à une méthode effective porte le nom d’algorithme. Plutôt que des règles de calcul, un algorithme donne des instructions pour effectuer un calcul. On a pris l’habitude d’appeler ces instructions un programme. Dans son mémoire de 1936, Turing montre qu’on peut définir et caractériser un algorithme par une suite d’opérations effectuables par une machine dotée d’une table d’instructions et à laquelle on a donné le nom de « machine de Turing ». Nous connaissons bien ce type de machine que nous appelons « programme d’ordinateur ». Ainsi « système formel », « procédure effective », « algorithme », « machine de Turing », « programme d’ordinateur » sont des expressions équivalentes. Un système formel où les démarches démonstratives sont des procédures effectives peut être analysé et décrit comme un mécanisme. Dès 1927, von Neumann avait aperçu ce que deviendraient les mathématiques si on parvenait à les ramener à des systèmes formels : « à leur place, il y aurait une instruction absolument mécanique à l’aide de laquelle quiconque pourrait décider à partir de n’importe quelle formule donnée, si elle est ou non démontrable »18. En

18 Cité dans Turing de Jean Lassègue, coll. Figures du savoir, éd. Les Belles Lettres, 1998, p. 68. En 1927, Janos Neumann est un jeune mathématicien hongrois de 24 ans qui fait partie de l’équipe de Hilbert à Göttingen. Il

Page 18: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

18

1963, Gödel déclarait au sujet des travaux de Turing : « Nous disposons désormais d’une définition sûre, précise et adéquate du concept de système formel ». Et il ajoutait que la propriété caractéristique de tels systèmes est qu’ « en eux, et en principe, le raisonnement peut être entièrement remplacé par des règles mécaniques »19.

Que s’est-il donc passé pour que l’exigence de rigueur dans les démonstrations aboutisse à la mécanisation de la démonstration ? Probablement cette exigence a-t-elle révélé ce qu’elle était en vérité. On a cru illusoirement que la démonstration représentait le pouvoir de la pensée d’accéder à la connaissance de vérités éternelles et nécessaires. La longue histoire du développement d’une « philosophie mathématique » nous apprend qu’elle est plutôt l’expression d’une volonté de dominer le champ du démontrable, de suivre pas à pas et de contrôler les démarches démonstratives d’un système, de s’assurer qu’elles sont effectuées, qu’on obtient effectivement le résultat et qu’on l’obtient à coup sûr. S’il y a un « besoin philosophique » derrière l’exigence de rigueur dans les démonstrations, ce n’est qu’en apparence un besoin de savoir et un besoin de vérité ; c’est plutôt un besoin de systématicité, le besoin de faire fonctionner un système.

Alain Chauve

travaille sur la théorie des systèmes formels et c’est probablement lui qui en conçoit la structure. En 1929, il part aux U.S.A. et devient professeur à Princeton. Il prend alors le nom de John von Neumann. Durant la guerre, il contribue à la mise au point de la bombe nucléaire à fission, la bombe A au plutonium, puis, au début des années 50, à celle de la bombe H thermonucléaire à fusion. Le 30 juin 1945, il avait remis à la Moore School de l’Université de Philadelphie un rapport resté célèbre où il proposait le schéma du dispositif d’un « calculateur » universel avec programmes intégrés et enregistrés sous forme électronique. C’est le schéma même d’un ordinateur. Les premiers ordinateurs sont entrés en fonction en 1948. 19 Gödel, note du 28 août 1963, dans Le Théorème de Gödel, trad. Jean-Baptiste Scherrer, commentaires de Ernest Nagel, James R. Newmann et Jean-Yves Girard, coll. Points Sciences, éd. du Seuil, 1997 (1ére édition 1989), p. 142.

Page 19: Chauve, Alain - La Philosophie de La Démonstration Mathématique

Philopsis La démonstration Alain Chauve.doc © Alain Chauve, Philopsis 2006

19

Références des citations.. 1. Introduction à la philosophie mathématique, trad . François Rivenc,

éd.Payot, 1991, pp. 36-37. 2. Préface et Introduction de la Phénoménologie de l’esprit, trad. Bernard

Bourgeois (légèrement modifiée), éd. Vrin,1997. 3. Liste des définitions, axiomes et postulats dans Introduction à l’histoire des

sciences | 1. éléments et instruments. Textes choisis, éd. Classiques Hachette, 1970, pp. 43-46.

4. Critique de la Raison pure, introduction, trad. Jules Barni revue par P. Archambault, éd. G F. Flammarion, p. 68 .

5. Introduction à l’histoire des sciences | 2. Objet, méthodes, exemples. Textes choisis, éd. Classiques Hachette, 1971, pp. 114-115.

6. id., p.118. 7. Cité dans Hilbert de Pierre Cassou-Noguès, coll. Figures du savoir, éd. Les

Belles Lettres, 2001, p.60. 8. Texte de la conférence dans Le Défi de Hilbert de Jeremy J.Gray, trad. de

C.Grammatikas, coll.Universcience, éd.Dunod, 2003, pp.253-263 (pour le Préambule).

9. Cité dans Le Défi de Hilbert, op.cit., p.175. 10. Hilbert. Sur l’Infini, 1925, dans Logique mathématique .Textes réunis et

présentés par Jean Largeault, coll. U, éd. Armand Colin, p .233. 11. id., p.236. 12. id., p.236. 13. id., p.228. 14. Hilbert. Les Fondements des mathématiques, 1927, cité dans Hilbert,

op.cit., p.120. 15. Hilbert. Les Fondements de l’arithmétique élémentaire, 1930, cité dans

Hilbert, op.cit., p.96 et p.147. 16. id., p.120 et p.147. 17. Théorie des nombres calculables suivie d’une application au problème

de la décision, Alan Turing, trad. Julien Basch dans La Machine de Turing, Jean-Yves Girard, coll. Points Sciences, éd. du Seuil, 1995, p.91.

18. Cité dans Turing de Jean Lassègue, coll. Figures du savoir, éd. Les Belles Lettres, 1998, p.68.

En 1927, Janos Neumann est un jeune mathématicien hongrois de 24 ans qui fait partie de l’équipe de Hilbert à Göttingen .Il travaille sur la théorie des systèmes formels et c’est probablement lui qui en conçoit la structure. En 1929, il part aux U.S.A. et devient professeur à Princeton. Il prend alors le nom de John von Neumann. Durant la guerre, il contribue à la mise au point de la bombe nucléaire à fission, la bombe A au plutonium, puis, au début des années 50, à celle de la bombe H thermonucléaire à fusion. Le 30 juin 1945, il avait remis à la Moore School de l’Université de Philadelphie un rapport resté célèbre où il proposait le schéma du dispositif d’un « calculateur » universel avec programmes intégrés et enregistrés sous forme électronique. C’est le schéma même d’un ordinateur. Les premiers ordinateurs sont entrés en fonction en 1948. 19. Gödel, note du 28 août 1963, dans Le Théorème de Gödel, trad. Jean-Baptiste Scherrer, commentaires de Ernest Nagel, James R. Newmann et Jean-Yves Girard, coll. Points Sciences, éd. du Seuil, 1997 (1ére édition 1989), p.142.