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Comprendre les dimensions de la pauvreté
en croisant les savoirs« Tout est lié, rien n’est figé »
Dans le cadre d’une recherche internationale participative menée par le Mouvement ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford
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Introduction et contexte 6
1. « Toutestlié,rienn’estfigé »–uneapprochesystémique delapauvreté 10
1.1. L’approche systémique 11
1.2. Deuxexpériencestransversales :ladépendanceetlecombat 121.2.1. Ladépendance 131.2.2. Lecombat 14
1.3 Analysed’unesituation 14
2. Lapauvretéestmultidimensionnelle 172.1. Privationsmatériellesetdedroits 182.1.1. Définitionetdescription 182.1.2. Caractéristiques (manifestations concrètes) 192.1.3. Interactionsaveclesautresdimensions 20
2.2. Peurs et souffrances 222.2.1. Définitionetdescription 222.2.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes) 232.2.3. Interactionsaveclesautresdimensions 23
2.3. Dégradationdelasantéphysiqueetmentale 252.3.1. Définitionetdescription 252.3.2. Caractéristiques (manifestations concrètes) 262.3.3. Interactionsaveclesautresdimensions 27
2.4. Maltraitance sociale 292.4.1. Définitionetdescription 292.4.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes) 302.4.3. Interactionsaveclesautresdimensions 30
2.5. Maltraitanceinstitutionnelle 322.5.1. Définitionetdescription 322.5.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes) 332.5.3. Interactionsaveclesautresdimensions 34
Sommaire
55
2.6. Isolement 352.6.1. Définitionetdescription 352.6.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes) 372.6.3. Interactionsaveclesautresdimensions 37
2.7. Contraintesdetempsetd’espace 392.7.1. Définitionetdescription 392.7.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes) 392.7.3. Interactionsaveclesautresdimensions 42
2.8. Compétences acquises et non reconnues (issuesdel’expériencedelapauvreté) 43
2.8.1. Définitionetdescription 432.8.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes) 452.8.3. Interactionsaveclesautresdimensions 46
3. Méthodologieetprocessusderecherche 48
3.1. Lecroisementdessavoirsetdespratiques avecdespersonnesensituationdepauvreté© 49
3.2. LesétapesduprocessusenFrance 503.2.1. Constitutiondel’équipederecherchenationale 503.2.2. Letravailderecherche 503.2.3. Analyseetécrituredurapportfinal 543.2.4. Compositiondesgroupesdepairs 543.2.5. Outilsderecherche 563.2.6. Leslimitesdelarecherche 56
Conclusion 58
Annexes 61
Annexe 1 Zoom sur la recherche internationale «Lesdimensionscachéesdelapauvreté» 62
Annexe 2 Aperçudestravauxexistantsurlesmesures delapauvreté 65
Annexe3 Listedesparticipantsetdespartenaires 67
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INTRODUCTIONET CONTEXTE
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Ilestreconnuquelapauvretéestmultidimensionnelle.Depuis2015,les« Objectifsdedéveloppementdurable »1visentàéliminerl’extrêmepauvreté,soustoutessesformesetdanstoutessesdimensions.Cependant,jusqu’àprésent,cesdimensionsn’ontpasbienétéprécisées,certainesd’entreellesn’ontpasétéidentifiéesetles
manièresdontellesinteragissentetfaçonnentl’expériencedelapauvretén’ontpasbienétéappréhendées.Deplus,lamesuredelapauvretés’appuieessentiellementsurdesindicateursmonétairesetmatériels.
Danscecontexte,leMouvementinternationalATDQuartMondeetl’Universitéd’Oxfordontmisenplaceunprogrammederecherchesurlesdimensionsdelapauvretéetleursmesures2.Celui-cis’estdérouléentre2017et2019,danssixpays :leBangladesh,laBolivie,lesÉtats-Unis,laFrance,leRoyaume-UnietlaTanzanie.Plusdemillepersonnesontparticipéàceprogramme,dontplusdelamoitiéétaientdespersonnesensituationdepauvreté. Des séminaires internationaux ont eu lieu chaque année pour partager les avan-céesetlesrésultatsdechacunetpourchercherlesdimensionscommunesauxsixpays.
L’objectifdeceprogrammeétaitd’affinerlacompréhensiondelapauvretéaveclespre-miersconcernés,àsavoirlespersonnesensituationdepauvreté,encroisantleursavoiravecceluidesprofessionnelsetdeschercheursuniversitaires.Àmoyenetlongtermes,ceprogrammeapourambitiondeparticiperàl’élaborationdemeilleuresmesuresdelapauvretéetdemeilleurespolitiquesdeluttecontrelapauvretéauxniveauxnationaletinternational,etdoncàl’éradicationdelapauvreté.
Danslessixpaysconcernés,uneéquipenationalederechercheaétéconstituée.Elleétaitresponsabledelamiseenœuvreduprogrammedanssonpays.Laméthodologiedelarecherches’estappuyéesurladémarcheducroisementdessavoirsetdespratiquesavecdespersonnesensituationdepauvreté©3.
EnFrance,larecherches’estfaiteenpartenariatentreleMouvementATDQuartMonde,leSecoursCatholique– CaritasFrance,l’associationdesCentresSocio-Culturelsdes3citésàPoitiersetl’InstitutcatholiquedeParis.L’équipederechercheétaitcomposéedequatrepersonnesayantl’expériencedelapauvreté(apportantleursavoirduvécu),quatre professionnels praticiens4travaillantdansdesassociationsoustructuresd’ac-compagnementindividueletcollectif(apportantleursavoird’action)etquatrepersonnestravaillantdansledomainedelarecherchesurlapauvreté,dedisciplinesdifférentes(apportantleursavoiracadémique).
Leprésentrapportestcomposédetroischapitres.Lepremierexpliquelanécessitéd’uneapprochesystémiquedelapauvretéetdécritlesdeuxexpériencestransversalesquilacaractérisent :ladépendanceetlecombat.
Ledeuxièmechapitreprésentelesdimensionsdelapauvreté,certainesétantdéjàreconnuesetétudiéesetd’autresbeaucoupmoins :privationsmatériellesetdedroits,peursetsouffrances,dégradationdelasantéphysiqueetmentale,maltraitancesociale,
1 LesObjectifsdedéveloppementdurablesontlesdix-septobjectifsétablisparlesÉtatsmembresdesNationsunies,pourassurerlapaixetlaprospéritépourlespeuplesetlaplanète,àl’horizon2030.www.un.org/sustainabledevelopment/fr/
2 Lerapportdesrésultatsinternationauxestdisponibleici : www.atd-quartmonde.fr/wpcontent/uploads/2019/05/DimensionsCacheesDeLaPauvrete_fr.pdf
3 Lecroisementdessavoirsetdespratiques–Quanddespersonnesensituationdepauvreté,desuniversitairesetdesprofessionnelspensentetseformentensemble,Éditionsdel’Atelier–ÉditionsQuartMonde,réédition2008.
4 Professionnelsoumembresd’associations...quiagissentdansledomainedelapauvreté,soitdirectementdansunaccompagnementsocialindividueloucollectif(travailleurssociauxoumédiateurs,parexemple),soitindirectementenaccueillantunpublicdéfavoriséauseind’unemissionplusgénéraliste(enseignantsousoignants,parexemple).
INTRODUCTIONETCONTEXTE
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COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
maltraitanceinstitutionnelle,isolement,contraintesdetempsetd’espace,compétencesacquisesetnonreconnues(issuesdel’expériencedelapauvreté).
Letroisièmechapitreprésentelaméthodologieetleprocessusduprogrammedere-cherche.L’équipederechercheatravailléavecvingt-deuxgroupesdepairsàtraverslaFrance,enmilieururaleturbain.Cesgroupesétaientcomposésdesixàhuitpersonnesquiontlamêmesourcedesavoir :savoirdel’expériencedelapauvreté(douzegroupes),savoird’action(sixgroupes)etsavoiracadémique(quatregroupes).Chaquegroupeadéfiniquellesétaientselonluilesdimensionsdelapauvreté.Lesrapportsdecestravauxontconstituéleprincipalmatériaudetravaildel’équipederecherche.
Enannexes,sontprésentésunrésumédesrésultatsduprogrammeinternationaldanslequelcetterecherches’inscrit,unrapideaperçudestravauxsurlamesuredelapauvretéetlalistedesparticipantsetdespartenaires.
ContexteEnFrance,lespersonnesensituationdepauvretéaccèdentàdesdroitsspécifiquesquiaméliorentleursituationentermesfinanciers(RSA5,parexemple)ouentermesd’accès(auxsoinsparlaPUMa6 ou au logement par le Dalo7).Cesdroitssontunpremierfiletdesécuritéquandlespersonnesparviennentàyaccéder.Cetteexistencededroits,auregarddesautrespaysquiontparticipéàlarechercheinternationale,influencelesrésultatsdelarechercheenFrance.
Iln’existepasuneseuleformedepauvreté.Cen’estpaslamêmeexpériencedelapau-vretéd’avoirounonunlogement,unstatutadministratifparexemple.Lespersonnesensituationdepauvretédanslesgroupesdepairsévoquentaussiladuréedurantlaquellelespersonnesviventdanslapauvreté.L’expérienceestdifférentesilapersonnerestedanslapauvretéunmois,unanoudixans ;siellenaîtdansunefamillevivantlapauvretéousi,adulte,elleyplonge(pertedetravail,divorce,accident,etc.).
Lerisqueestplusgrandpourlesenfantsdereproduirelasituationdepauvretédeleursparents.L’enfantoulejeunepartavecunhandicap(accèsdifficileauxétudessupérieures,réseaurestreint,manquedemoyenspouraccéderàuneviedécente,faibleestimedesoi,etc.)etdevrafournirbeaucoupd’effortspoursortirdelapauvreté.Toutefois,celan’estpasimpossible.Lapauvretén’estpasunefatalité.
« Il y a un risque plus grand de répétition de la pauvreté. Par rapport à la protection de l’enfance, les assistantes sociales constatent qu’elles suivent les familles sur trois ou quatre générations. Il y a un risque plus grand que le cumul de problèmes se répète de génération en génération. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
« Nous avons évoqué le cercle vicieux. Quand tu nais dans une famille pauvre, tu as plus de risque d’être pauvre et de rester pauvre. Car le système fait que c’est plus difficile de s’en sortir, que la situation s’aggrave. C’est l’idée de déterminisme social. »(Groupedechercheursuniversitaires)
5 Lerevenudesolidaritéactive(RSA)assureauxpersonnessansressourcesunniveauminimumderevenuquivarieselonlacompositiondufoyer.LeRSAestouvert,souscertainesconditions,auxpersonnesd’aumoins25 ansetauxjeunesactifsde18à24 anss’ilssontparentsisolésoujustifientd’unecertaineduréed’activitéprofessionnelle.
6 Depuis2016,laprotectionuniversellemaladie(PUMa)permetunepriseenchargedesfraisdesantésansrupturededroits.Elleremplacelacouverturemaladieuniverselle(CMU).
7 Ledroitaulogementopposable(Dalo),instituéen2007,permetauxpersonnesmallogéesdefairevaloirleurdroitàunlogementouàunhébergementdigne.
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INTRODUCTIONETCONTEXTE
Lespersonnesayantplongédanslapauvreté« aprèsunaccidentdelavie »parlentde « descenteauxenfers ».Alorsqu’ellesavaientuntravail,lesmoyensdesubveniràleursbesoins,unstatutsocial,uneutilité…ellesontvuleursituationsubitementchanger.Lacomparaisonaveccequ’ellesavaientconnuauparavantestd’autantplusdifficilequ’ellesperdentleurplacedanslasociété.D’oùl’expressionde« descenteauxenfers » :ontombetrèsbas,dansuneviefaitedesouffrances,commeenenfer.
« Nous avons parlé de la pauvreté dans laquelle certains tombent à la suite d’un accident de la vie, par exemple la perte d’un emploi. C’est une “descente aux enfers”, ils partent de très haut et ils tombent très bas. C’est difficile car ils comparent avec la vie qu’ils ont eue avant. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• • •
Larechercheatentéderejoindredesgroupesdifférentsdepersonnespouravoir,nonpasunereprésentativité,maisunediversitédepointsdevuesignificatifs.Lesdimensionsdéfiniesl’ontétéàpartirdesaspectscommunsauxdifférentsgroupes,sansgommertoutefoislesspécificités(contexteruralouurbain,migrantsansstatutadministratif,sans-abri,femmesouhommes,etc.)
1010
1 « TOUT EST LIÉ,
RIEN N’EST FIGÉ » UNE APPROCHE
SYSTÉMIQUE DE LA PAUVRETÉ
11
CHAPITRE1:« TOUTESTLIÉ,RIENN’ESTFIGÉ »–UNEAPPROCHESYSTÉMIQUEDELAPAUVRETÉ
11
Lapauvretéestmultidimensionnelle,c’est-à-direqu’ellerelèved’unemultiplicitédedimensionsdifférentes.Or,avantdeprésenterlesdifférentesdimensionsidentifiéesàtraverslarecherche,cechapitresoulignelefaitquecettemultidimensionnalitéprenduneforme« systémique ».
Afindepréciserlasignificationdecetteapproche,lanotionde«systémique»esttoutd’abordexplicitéeenlareliantàlaformule:«Toutestlié,rienn’estfigé.»Ensuite,sontprésentéesdeuxexpériencestransversalesquirelientlesdifférentesdimensionsdelapauvretéetquidonnentainsiàvoircommentellesfontsystème.Enfin,lasignificationdecetteapprocheestillustrée par un exemple.
1.1. L’approchesystémiqueLanotionde« systémique »estlerésultatd’unlongprocessusderéflexiondansl’équipederechercheautourdesrelations8entrelesdifférentesdimensionsdelapauvreté.
Afinderendrelasignificationdelanotionde« systémique »plusaccessible,elleaététraduiteparlaformule :« Toutestlié,rienn’estfigé. »Pournepasinduireunemauvaiseinterprétationdecetteformuleetdelanotionde« systémique »,nouscommençonsparexpliquercequelanotion« systémique »n’estpas,afind’éviterlesfaussesinterprétationsduterme.
Ce que « systémique » n’est pas :• Systémique ne signifie pas systématique : « toutestlié »maislesliensentrelesdimensionsdelapauvreténesontpaspourautantmécaniques.Unedimensionn’induitpasnécessaire-mentuneautre.Danschaquesituationconcrète,lesliensprennentuneformedifférente.Iln’yapasdedéterminismeentreunedimensionetuneautre.Et,commeiln’yapasdelienprédéterminé,nousdisonségalementque« rienn’estfigé » :l’interactionentrelesdimensionspeutfaireévoluerlasituationdepauvretédansunsenscommedansunautre,enprovoquanttantôtuneamélioration,tantôtuneaggravation.C’estaussiàcausedeceliennonsystématiquequenousdisonsque« lapauvretén’estpasunefatalité ».
• Systémique ne signifie pas une relation de cause à effet : « toutestlié » peut naturellement fairepenserquelesliensentrelesdimensionsnesontquedescausesetdesconséquences.Onvadire,parexemple,quelemanquederevenuprovoqueunedétériorationdelasanté.Or,ilaétéconstatéqueceslienspeuvents’inverser.Parfois,c’estladétériorationdelasantéquiaunimpactnégatifsurlesrevenus.Encoreunefois,cecidépenddechaquesituationconcrète.
• Systémique ne signifie pas que chaque dimension perd sa particularité : si « toutestlié » et que « rienn’estfigé »,celanesignifiepasquetoutseconfondetquel’actionsurunedimensiondevientinefficace.Bienaucontraire,celasignifiequechaquedimensionprenduneformeparticulièreàpartirdesrelationsqu’elleentretientaveclesautresdimensions.Systémiquenesignifiepas,dèslors,qu’onnepeutpasagirsurlesystèmeenagissantsurunedimension.Aucontraire,systémiquesignifiequ’enagissantsurunedimension,onpeutagirsurlesystèmesionprendencomptesesliensaveclesautresdimensions.
Ce que « systémique » est :• Systémique signifie une relation d’interdépendance et de réciprocité : lesdimensionsdelapauvretéinteragissent.Chaquedimensiondépenddesautreset,àlafois,chaquedimensionimpactelesautres.Unexempleillustrantcesrelationsestanalysédansleparagraphe 1.3.
• Systémique signifie un lien particulier entre l’individuel et le collectif : on ne peut pas séparer l’individuetlasociété.Ilyaunlienindissociableentrelesdeux.Lesindividussontmodelésparlasociétéqu’ilscontribuentàconstruire.Danscesens,chacunestconcernéparlapauvreté,qu’ilviveounonensituationdepauvreté.Pourcomprendrelapauvreté,ilestnécessairedecomprendreàlafoisl’expérienceindividuelledelapauvreté(c’est-à-diresonapprochemicro),
8 Lanotionde« relation »peutfaireréférenceautantaulienentrelesdimensionsqu’àceluientrelespersonnes.
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
lephénomènesociétalqu’estlapauvreté(sonapprochemacro)etleurinteraction.Regarderuniquementl’expérienceindividuellemèneàlaculpabilisationouàlacompassion :« C’estdeleurfaute,quandonveut,onpeut ! » ou « Ilsn’ontpaseudechancedanslavie ! ».Àl’inverse,regarderlapauvretéuniquementcommeunphénomènesociétalmèneàlavictimisationdespersonnesensituationdepauvretéensoulignantqueleproblèmevientseulementdelasociété,dusystème :« C’estlesystèmequinefonctionnepasbien,c’estlasociétéquiestmalade ! »La recherchemontrequelaréalitédelapauvretéestbienpluscomplexeetnécessiteuneapprochequineséparepasl’individud’uncôtéetlasociétédel’autremaisqui,aucontraire,metleurinteractionaucœurdel’analyseetdelacompréhensiondelapauvreté.
• Systémique signifie un lien circulaire et non linéaire : puisque le « toutestlié » ne se tra-duitpasentermesderelationsdecauseàeffet,commeindiquéplushaut,lelienprenduneformecirculaireplutôtquelinéaire.Cettecircularitéentrelesdimensionspeutdonneraulienuneformedespirale.Unespiralequipeutallerverslehaut,permettantàlapersonneensituationdepauvretédeprogressivements’ensortir(selonuncerclevertueux),ouallerverslebasenl’enfonçantdavantage(selonuncerclevicieux),car« rienn’estfigé ».
« La pauvreté est une descente en cascade, un malheur entraînant un autre, c’est un enchaînement, un engrenage. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Quand on vit dans la pauvreté, on doit toujours lutter. Vivre dans la pauvreté, c’est être enfermé dans une spirale. C’est aussi avoir des blocages. Le blocage est global, quand les entreprises te refusent et que tu ne peux pas travailler, quand tu ne peux pas te soigner, quand tu n’as pas de permis, quand tu as moins de choix dans tes études, quand tu ne peux pas te déplacer... » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
1.2.Deuxexpériencestransversales :ladépendanceetlecombatLecaractèresystémiquedelapauvretédevientparticulièrementvisibleàtraversdeuxexpé-riencesconstantesettransversalesquilacaractérisent :ladépendanceetlecombat.Ladépen-dance,c’estêtreàlamercid’uneautrepersonneoud’uneinstitution.Lecombatestdouble,c’estuneluttedifficilepourlasurvieet,àlafois,unecapacitéàrésister.Nousprécisonsci-dessouschacunedecesdeuxexpériencesetleurlienaveclecaractèresystémiquedelapauvreté.
Schéma2.Représentationdesinteractionsentrelesdimensionsdelapauvreté
Lecture :Les« ronds »blancsreprésententlesdifférentesdimensionsdelapauvreté.L’ovalemontrequelesdimensionssontreliées.Lesflèchesmontrentqu’ellessonteninteraction.
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CHAPITRE1:« TOUTESTLIÉ,RIENN’ESTFIGÉ »–UNEAPPROCHESYSTÉMIQUEDELAPAUVRETÉ
1.2.1.LadépendanceEntravaillantavecdesgroupesdepairsenmilieurural,lanotiondedépendanceestressortietrèsfortement.Elleaététravailléelorsdudeuxièmecroisementdessavoirs,enjuillet 2018.Unexercicedecoécritureapermisd’endonnerunedéfinition.
L’êtrehumainestsocialparnature,noussommesdonctousdépendantslesunsdesautres.Toutefois,nousneparlonspasicid’interdépendancemaisdeladépendancequirestreintlaliberté.Ladépendanceinduitunrapportd’autorité,dedomination,voiredesoumission,danscertainscas.Ilyadifférentsdegrésdedépendance.
Ladépendanceestdifférenteselonlasituationdevie(âge,lienentrelespersonnes,statutadministratif,etc.).Elleadifférentesconséquences :avoirpeurdurefus,avoirhonte,êtrejugé
Schéma3.Représentationdesexpériencestransversalesdelapauvreté :dépendanceetcombat
Lecture :Les« ronds »blancsreprésententlesdifférentesdimensionsdelapauvreté.L’ovalemontrequelesdimensionssontreliées.Lesflèchesmontrentqu’ellessonteninteraction.Lecombatquotidienetladépendancesontdesexpériencestransversales.
Définitioncoécritedeladépendance
Ladépendance,c’estdenepaspouvoirfaireseulcequ’onauraitenviedefaireoubesoindefairesoi-même.Onabesoind’uneinstitution,dequelqu’unquinousaide.Parexemple,lesgensquin’ontpasdelogementsontobligésdedemanderunhéber-gementprovisoire.Unautreexemple,lorsqu’onn’apasdevoiture,ondoitdemanderàquelqu’undenousaccompagnerouêtredépendantdestransportsencommun(petitesvilles,milieurural),deleurshorairesettrajets(détour,tempspluslong,pertedetemps).
C’estêtresousl’autoritétotaleoupartielled’unetiercepersonne,physiqueoumorale.C’estunerelationdedomination ;maisilyadifférentsdegrés,cen’estpasfigé.Onn’estpaslibre,onn’estpasautonome,onestbloqué,onperdsadignité,onestrabaissé.
Ladépendanceadifférentesformesetdifférentsniveaux,jusqu’àl’extrême.Parfois,monbesoinestvitaletdoncmasurvieestentrelesmainsdesautres.Jen’aipluslechoix,jedoisdépendredequelqu’unoud’uneinstitution.Jesubis.
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COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
parlesautres,devoirsepriver,nepasavoirdeplaisir,nepaspouvoirallerchercherdutravailquandonestenmilieurural(parcequel’onn’apasdepermis,pasdevoiture,pasoupeud’accèsàdestransportsencommun)...
Ladépendanceauxinstitutionspermetparfoisd’avancer,maisempêchedevivreuneviequ’on aurait choisie et non une vie imposée.
Ladépendance,ainsidéfinie,qualifieunerelationvécueparlapersonneensituationdepauvretéaveclesautrespersonnesouinstitutions.Or,dufaitquecetterelationseretrouvedanstouteslesdimensionsdelapauvreté(privations,maltraitances,souffrances,etc.),ellerenforcelelienentrecesdimensions.L’expériencededépendancedevientdecefaitunfacteur« systémique »delapauvreté.
1.2.2. LecombatCettenotiondecombataétémentionnéeplusieursfois,principalementdanslesgroupesdepersonnesensituationdepauvreté.Elleévoqueladureluttequotidiennemaisaussilacapacitédefaireface,derésister,desurmonterlesépreuves.
« La pauvreté est un combat parce qu’en étant pauvre, on veut toujours s’en sortir, c’est une situation difficile qu’il faut surmonter. Cela demande une force mentale et de la persévérance. On se bat tous les jours pour, peut-être, en sortir un jour. Les pauvres se battent beaucoup et se soutiennent entre eux. On a l’espoir de s’en sortir. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« La pauvreté est un combat continu : il faut se défendre et se battre tous les jours pour survivre et s’en sortir. Parfois cela nous décourage, parfois on a les forces pour continuer le combat. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
C’estuncombatpersonnelmaisaussiuncombatcollectif :onsebatpoursoietpourlesautres.
« On n’a pas le choix, on doit se battre. Il faut montrer à la société qu’on est capable. Il faut montrer aux autres, aux plus démunis que soi, qu’on peut s’en sortir. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
L’expérienceducombatrenvoiedoncautantàlacapacitéderésistancequ’àl’écrasementprogressifproduitparlasituationdepauvreté.Encesens-là,etcommeladépendance,lecombatestprésentdanstouteslesdimensionsdelapauvreté.Decefait,lecombatquiestuneexpériencepersonnelle,parcequ’ilestprésentdanstouteslesdimensions,constitue,commeladépendance,unfacteur« systémique »delapauvreté.
•••
Cepremierrésultatdenotrerecherchesoulignelefaitquelesdimensionsmultiplesquicarac-térisentlapauvreténepeuventpasêtreabordéesdemanièreséparée.Ellesnesejuxtaposentpascommedesréalitésindépendantes.Lesdimensionssontliéesentreellesetinteragissent.Leurinteractionn’estnisimplenilinéaire.C’estlaraisonpourlaquellenousparlonsd’uneapproche systémique.
1.3 Analysed’unesituationDansl’explicationdonnéeci-dessusdel’approche« systémique »,l’accentaétémissurlefaitqueletypedelienetd’interactionentrelesdimensionsdépenddechaquesituationconcrète.Afind’illustrercetteapprochesystémiquedelapauvreté,l’équipederechercheachoisidemontrercommentle« systémique »opère,àtraversunexempleconcret.
Dansunpremiertemps,nousprésentonsl’exemple.Ensuite,nousidentifionslesdifférentesdimensionsdelapauvretédégagéesdansnotreétude.Et,enfindechapitre,nousmontronslesliensentrelesdimensionsidentifiées,pourrendrevisibleleurcaractèresystémique.
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CHAPITRE1:« TOUTESTLIÉ,RIENN’ESTFIGÉ »–UNEAPPROCHESYSTÉMIQUEDELAPAUVRETÉ
Exempleconcretdel’approchesystémique
Unemamanquiaquatreenfants(1,9,10et14 ans)estmaladedepuisplusieursmois,elletousse,elleestfatiguée.Ellemetdutempsavantd’allerconsulterunmédecin.Onluidiagnostiquelatuberculose.C’esttrèscontagieux.Lemédecinluiprescritunehospitalisa-tion en urgence pour un mois.
Elleneveutpasêtrehospitaliséeparcequ’elleapeurquesafamillenesubviennepasàsesbesoinspendantsonabsence,lesfinsdemoisétanttoujoursdifficiles(lafamillevitdesminimasociauxetdesallocationsfamiliales).Ilsn’ontpasd’argentdecôtépourparerauxcoupsdurs.
Untravailleursocialsuitlafamilledepuisplusieursannées.L’éventualitéd’unplacementdesenfantsestrégulièrementmiseàl’ordredujour,notammentparce que les enfants manquent souvent l’école. La mamanestinquiète :sonhospitalisationneva-t-ellepasentraînerunplusgrandabsentéismescolairedeses enfants puisqu’elle ne sera pas là pour les lever etlesemmeneràl’école ?Ellesaitqu’ellenepeutpascomptersursesvoisins,ilsn’ontpasdebonnesrelations.Àpartsonmarietsesenfants,ellenepeutpas se tourner vers sa famille élargie.
Unmois,c’estlongetl’hôpitalestloin.Lesenfantspourrontdifficilementvenirlavoir,lesdéplacementsentransportencommuncoûtentcher.Lepapaabienunevoituremaiselleestenpannedepuisplusieursannées,fauted’argentpourlaréparer.
Lamamancherchedessolutions,letempsdesonab-sence :lesenfantspourraientresteraudomicileavecl’appuidupapa,delafilleaînée(14 ans)etdebénévolesd’uneassociationoùelleestelle-mêmeengagée(leverpourl’école,courses,ménage,accompagnementauxrendez-vousmédicaux,etc.).
Rassurée,elleestprêteàpartiràl’hôpitalmaiselleest convoquée par le travailleur social qui refuse les solutionsdelamaman :iln’apasconfiancedanslescompétencesdupapapours’occuperdesenfantsetproposeunplacementprovisoire.Lamamanrefuse,elleapeurqueleplacementdureetqu’ellenepuissepasrécupérersesenfantsquandellesortiradel’hô-pital.Ledialogueestdifficile,chacuncampesursespositions,cequiretardel’hospitalisation.
Lesdimensionsdelapauvretéidentifiéesparl’équipederecherchesonttoutesprésentesdansl’exempleci-contre(pourplusdeclarté,lesdimensionssontbrièvementdécritesici,maisellesserontdavantagedéveloppéesdanslechapitre 2) :
Lecoupledépenddesminimasociauxetlesfinsdemoissontdifficiles.Ilsn’ontpasderéservepourparerauxcoupsdurs.
• Privationsmatériellesetdedroits :ressourcesfi-nancièresinsuffisantes,mauvaisesconditionsmaté-rielles,droitsquimanquent,non-accèsauxdroitsetobstaclesquerencontrentlespersonnespouravoiraccèsàleursdroits.C’estl’impactdesmanquessurlasituationdepauvreté(salaires,allocations,retraites,éducation,travail,logement,etc.).
Lessolutionsproposéesparlemédecin(hospitali-sation) et le travailleur social (placement provisoire desenfants)nesontpasconcertéesaveclamaman.Les solutions proposées par la famille ne sont pas prises en compte.
• Maltraitanceinstitutionnelle :comment l’État et les institutionsregardent,jugentettraitentlespauvres.
Onladevineenfiligranemêmesiellen’estpaspré-ciséedansl’exemple.C’estcequipeutempêcherdese tourner vers ses voisins.
• Maltraitancesociale :manièredontlespersonnesnonpauvresregardentettraitentlespersonnesensituationdepauvreté.
Lafamillen’apasdebonnesrelationsavecsonvoi-sinage,niavecsafamilleélargie.
• Isolement :rupturedesliensentrelespersonnesensituationdepauvretéetleurentourage.Lapau-vretépeutcasserlesrelationsaveclesautres :fa-mille,amisetvoisins.
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COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
Lamamanalatuberculose,maladiequiestunmar-queurdelapauvretéetquipourraits’élargiràlafamille.
• Dégradationdelasantéphysiqueetmentale : ef-fetsnégatifsdelapauvretésurlasantéphysiqueetmentale. La santé ainsi fragilisée maintient encore plusdanslapauvreté.Cettedimensionestenlienétroitavecladimension« Peursetsouffrances ».
Lamamanestinquièteetapeurpoursafamille :peurpourlesfinsdemois,peurquel’absentéismescolaires’aggravependantsonabsence,peurduplacementdeses enfants...
• Peursetsouffrances :émotions provoquées par la pauvretéetquelespersonnesensituationdepau-vretéressentent.L’omniprésencedecertainesémo-tionspeutaggraverlapauvreté,produiredenouvellesformesdepauvretéouencoredéterminerlecompor-tementd’unemanièrenégativeoupositive.
Lamamantrouvedessolutionspourdépassersespeursetpouvoirallersesoigneràl’hôpital.Elleestforcedepropositions.
• Compétencesacquisesetnonreconnues(issuesdel’expériencedelapauvreté) :savoirs et compétences quelespersonnesensituationdepauvretéontdéve-loppés pour survivre et résister à la pauvreté. Ce ne sontpasseulementdescompétencesindividuelles,mais aussi ce qu’elles peuvent apporter à la société etquin’estpasreconnuaujourd’hui.
Unmoisd’hospitalisation,c’estlongetl’hôpitalestloindudomicilefamilial.
• Contraintesdetempsetd’espace :rapport au temps,c’est-à-diremanièredes’approprier,desesituerdanssonpassé,sonprésentetsonavenir ;etrapportàl’espace,c’est-à-diremanièredes’ap-proprier,desesituerdanssonlieudevie.
Analysedel’exempleNepasprendreencomptelesinteractionsentrelesdimensionsadeseffetssurlacompréhensiondelasituation et sur les solutions proposées par les uns et les autres.
Lamaladienécessiteunehospitalisationd’urgencemaislemanquedemoyensdelafamillenepermetpasdeparerauxcoupsdursetdetrouverdessolutionsfaceàuneabsenceprolongéedelamaman.
Ladépendancedelafamilleauxdispositifssociauxetlapeurdel’interventionsocialenepermettentpasauxparentsd’envisager,avecleurlibrearbitre,lesmeilleuressolutions.Ilsnedécidentpascequiestlemieuxpourlamamanentermesdesoins,maiscequiestlemieuxpourlafamilleafind’éviterleplacement.
Lanon-priseencomptedespeursmultiplesdelamamanetdessolutionsqu’elleenvisagemalgrélesdifficultés(combat)amèneàuneimpasse :l’interven-tionsocialedevientalorsunrapportdeforceentrelafamilleetl’institutiondontlamissionestdeprotégerlesenfants.Celaempêcheunerechercheconjointedesolutionsacceptablespartous,quipourraientfairelevieretnouerdesrelationsdeconfianceentrelafamille et les professionnels.
Chaqueprofessionnelrestedanssonchampd’inter-vention,sansentendrelesinquiétudesdelamaman,cequiconduitlafamilleàseprotéger.Lerisquederefusdesoinsparlamamanestgrand.Celapour-raitconduirelesprofessionnelsàmettreencoreplusendoutelescapacitésdelafamille,jugeantqu’ilsmettentendangerlaviedesenfants(latuberculoseétantcontagieuse).Etlafamillepourraitcouperlesrelations avec les services sociaux censés la soutenir.
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2LA PAUVRETÉ
EST MULTIDIMENSIONNELLE
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
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À partirdutravaildesgroupesdepairs,l’équipederechercheadéfinihuitdimen-sionsdelapauvreté.Toutcommeilaétéévoquédansl’introduction,iln’existepasuneseuleformedepauvreté,lespersonnesnevivantpaslesmêmesex-périences.Lesdimensionsn’ontdoncpastouteslemêmepoidsetlamême
placedanslaviedespersonnes.Pourcertains,lesprivationspeuventêtrecentrales ;pourd’autres,c’estl’isolementouencorelespeursetsouffrances.Etcelapeutvarieraucoursdelavie.Celaconfirmel’approche« systémique ».Aussi,lalistedesdimensionsneseveutpasexhaustive,ellepeutévoluerselonlesréalitésetlescontextes.Et,siunedimensionvenaitàêtreajoutée,elleentreraiteninteractionavecl’ensemble.
Lechapitre1amontréquelesdimensionssontreliéesetinteragissent.C’estpourquoi,sontprésentéesdanscechapitreceshuitdimensions,quelquescaractéristiques9 qui les composent et les interactions que chacune peut avoir avec les sept autres. Les expériences transversalesetconstantes(ladépendanceetlecombat)nesontpasdétailléesici,ellesontétéexplicitéesdanslepremierchapitre.Maisellesfontévidemmentpartiedecesdimensionsetdeleursinteractions.
2.1.PrivationsmatériellesetdedroitsLadimension« Privationsmatériellesetdedroits »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(oucaractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.1.1.DéfinitionetdescriptionIls’agitàlafoisderessourcesfinancièresinsuffisantes,demauvaisesconditionsmaté-rielles,dedroitsquimanquent,dunon-accèsauxdroitsetdesobstaclesquerencontrentlespersonnespouravoiraccèsàleursdroits.
9 Caractéristiques:manifestationsconcrètesd’unedimension.Ellessonttiréesdutravaildesgroupesdepairs.Autotal,prèsde1100caractéristiquesdelapauvretéontétécitéesparlesgroupesdepairs.
Schéma4.Représentationdeshuitdimensionsdelapauvreté
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
19
C’estl’impactdesmanquessurlasituationdepauvreté(salaires,allocations,retraites,éducation,travail,logement,santé,relationsaveclesautres,etc.).Cesprivationsamènentàdeschoiximpossiblesetàunedépendance.Certainespersonnesougroupesdeper-sonnessontencoreplusvulnérablescarl’accèsauxdroitsestdifficile,parfoisimpossiblequandlesdroitsn’existentpas.
Lesjeunessonttrèsviteconfrontésàcesprivations :lemanqued’expérienceetdedi-plômeestunfreinpouraccéderautravail.Lesjeunesdemoinsde25 ans,danscertainscas,n’ontaucunesressourcesfinancièresetnepeuventdoncpasprendreleurindépen-dance.Lesparentssepriventpourleursenfantspourqu’ilsmanquentlemoinspossibledel’essentiel.Cesprivationsimpactentdirectementlesenfantsdesfamillesensituationdepauvreté.Lerisqued’échecscolaireestnotammentplusgrandetlesenfantspeuventdifficilementfairedesétudeslongues.
La recherche effectuée en milieu rural a révélé un lien entre privations et territoire. Certainsgroupesavaientdéfinil’isolementterritorialcommeunedimension.Quandleterritoireestpauvreenbiensetenservices(transports,médecins,commerces,etc.),celarendlavieencoreplusdifficilepourlespersonnesquiyhabitentetquin’ontpaslesmoyensdesedéplacer.Celaaunimpactsurl’accèsauxsoins,surlarecherched’emploietcelamaintientlespersonnesdansladépendanceoul’isolement.Danslarechercheenmilieuurbain,cettenotionestpeuressortie.Toutefois,l’isolementspatialexistequandonhabiteunquartiermaldesservientransportsencommunetquel’accèsàl’emploioulesdéplacementspourlesdémarchesadministrativesnécessitentunegrandemobilité.
« Quand on a une facture à payer, on va se restreindre sur la nourriture, car c’est le plus simple, et ensuite sur l’habillement. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« Certains migrants sont sans droits, ou quasiment. Ils ont un petit droit à la santé, un petit droit à scolariser les enfants. Mais ils n’ont ni le droit de travailler, ni le droit d’avoir un logement, ni le droit de formation. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
« Par isolement géographique, nous évoquons les distances des individus avec les différentes infrastructures ou services, par la faiblesse des réseaux de transport et des propositions de proximité. Cette dimension est caractéristique du milieu rural qui s’avère être un environnement de vie plus complexe : le temps passé à faire des démarches ou aller chez un spécialiste est plus long, le coût est plus élevé du fait des transports… » (Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
2.1.2.Caractéristiques(manifestationsconcrètes)Cesontplusdedeuxcentscaractéristiquescitéesparlesgroupesdepairs,quiserépar-tissententreplusieursdomaines.
Tableau 1.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Privationsmatériellesetdedroits »,classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Besoinsessentiels Manqued’alimentation –Faim –Avoirfroid –Manquedevêtements
Travail Nepasavoiraccèsàl’emploi –Travailpénible,précaire,àbascoût –Êtreobligédetravaillersansêtredéclaré
LogementNepasavoirdelieuàsoi –Dormirdanslarue –Nepaspouvoirpayersonloyeretsescharges –Manqued’équipements –Logementindécent,insalubre,inadapté,exigu
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
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Domaine Quelquescaractéristiques
Culture et loisirs Impossibilitédepartirenvacances –Manqued’argentpouraccéderàlacultureetauxloisirs –Nepaspouvoirsefaireplaisir(coiffeur,restaurant,cinéma,etc.)
Ressourcesfinancières Revenusinsuffisants –Manqued’argent –Avoirdesdettes –Vivredesminimasociaux –Nepaspouvoirpayerlesfraisd’obsèques
Santé Manqued’accèsauxsoinspourraisonséconomiques –Nepaspouvoirpayersesmédicaments –Difficultéspouracheterdesproduitsd’hygiène
Situation géographique Isolement –Nepaspouvoirpayerlestransportsoulepermisdeconduire –Problèmesdemobilité –Désertsmédicaux –Manquedecommerces
Éducation Difficultésd’accèsauxétudessupérieures –Moinsdechoixdans lesétudes –Desformationsimposées
Relations avec ses proches
Nepaspouvoiroffrirdecadeaux –Nepasavoirlesmoyensdefairevenir safamille –Envoid’argentdanslepaysd’origine
2.1.3.InteractionsaveclesautresdimensionsCesprivationssontenlienavecd’autresdimensionsdelapauvretédéfiniesdanscetterecherche.Ellesinteragissentavecladimension« Isolement » :lespersonnespeuventêtreamenées à s’isoler elles-mêmes ou à être isolées par la famille ou les amis. Les privations matériellesetdedroitspeuventfragiliserlenoyaufamilial,allantjusqu’àdesrupturesouleplacementdesenfants.
Eninteractionavecladimension« Maltraitancesociale »,lejugementdelasociétésurlespersonnesquiviventdesminima sociaux peut les pousser à ne pas aller chercher leursdroits.CertainsrenoncentàdemanderleRSApournepasêtrestigmatisés.Celaaggrave leur situation matérielle.
Cettedimensionesttrèsenlienavecladimension« Dégradationdelasanté »,parrenoncementaux soins10maisaussiparcequelespersonnessouffrentdeprivationsetviventdanslapeurdenepouvoirsubveniràleursbesoinsoudeperdrecequ’ellesont.Cesprivationsrendentdif-ficileslesprojetsetenfermentdanslasurvie(dimension« Contraintesdetempsetd’espace »).
Afindepalliercesprivations,lespersonnesdéveloppentdescompétences.Lesenfantspeuventêtremoteursdansceprocessus.Ilsdonnentlaforced’affronterlesdifficultésetdecombattre(dimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »).
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Privationsmatériellesetdedroits »etlesdimensions« Peursetsouffrances »,« Dégradationdelasanté »et« Isolement » :
Manquedesécurité :« QuandonarriveenFrance,oneststressé.Onneconnaîtper-sonne.Onestvulnérable,surtoutlesfemmes.Ellesnepeuventpasseprotéger,sontdesfoisvictimesdeviol,nepeuventpasporterplainte.Ellesnevoientpasoùêtreensécurité.Desfois,c’estledésespoirtotal. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Privationsmatériellesetdedroits »etlesdimensions« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Ruptured’accèsàlaculture :« Danslemilieurural,l’accèsàlacultureestplutôtdifficile :sionn’apasdemoyensdelocomotion,ilfautfairedeskilomètrespouralleràlabibliothèque,lamédiathèqueoulaludothèque. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
10 Lerenoncementauxsoins :uneapprochesocio-anthropologique,CarolineDesprès(Irdes),PaulDourgnon(Irdes ;UniversitéParis –Dauphine,Leda-Legros),RomainFantin(Irdes),FlorenceJusot(Irdès ;UniversitéParis-Dauphine,Leda-Legros).www.irdes.fr/Publications/2011/Qes169.pdf
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Être moins bien habillé que les autres /
Vivre avec les allocations chômagePression sociale / Être rabaissé par des
gens qui ont de l’argent
Non-accès aux biens et aux services /
Travail à bas coût
Difficulté d’accès aux droits / Droits
suspendus
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Risque de coupures (eau, chauffage,
électricité) / Souffrir de ne pas pouvoir offrir
à ses enfants une vie plus confortable
Ne pas oser faire valoir ses droits / Peur de
manquer
Pas d'accès aux soins de santé,
aux médicaments
Ne pas avoir les moyens de prendre soin
de soi / Problèmes de santé à cause
d’une mauvaise alimentation
PRIVATIONS MATÉRIELLES ET DE DROITS
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
MALTRAITANCE SOCIALE
PEURS ET
SOUFFRANCES
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLEISOLEMENT
Faire
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Problèmes
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Être dans la
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• Liensentreladimension« Privationsmatériellesetdedroits »etlesdimensions« Maltraitanceinstitutionnelle »,« Contraintesdetempsetd’espace »et« Maltraitancesociale » :
Desformationsimposées :« Onn’apaslechoixd’acceptercesformations ;sionarriveenfindedroits,ondoitaccepterpourcontinueràavoirsesdroits.C’estunjeusansfin,ilst’obligentsansfinàfairedesformations.Commeonabesoind’argent,onfaitlaformation,sinononseracataloguécommenecherchantpasd’emploidoncnevoulantpastravailler. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Privationsmatériellesetdedroits »etlesdimensions« Dégradationdelasanté »,« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Manqued’hygièneparmanquedelieux(pourlessans-abri) :« Quandonvitàlarue,onn’apasdefacilitéspourselaver,laversonlinge. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
Lecture :Ladimension« Privationsmatériellesetdedroits »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions. Entredeuxdimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespondàlacouleur deladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma5.Interactionsentreladimension« Privationsmatériellesetdedroits »etlesseptautresdimensions
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
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• Liensentre ladimension« Privationsmatériellesetdedroits »et ladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues » :
Pourlesenfants :« Lesenfantssontlemoteurdenotrevie,ilssontnotreraisondevivre,ilsnouspoussentàsortirdelamisère,nousdonnentdelaforce.Onsefaitvio-lenceaussipournosenfants,onacceptedetendrelamain,d’êtrehumilié.Onsesentresponsabled’eux.Onsebatavecd’autrespourquetouslesenfantsneconnaissentpaslapauvreté. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
2.2. PeursetsouffrancesLadimension« Peursetsouffrances »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.2.1. DéfinitionetdescriptionIls’agitdesémotionsprovoquéesparlapauvretéetquelespersonnesensituationdepauvretéressentent.Certainesémotionssontomniprésentes,envahissantes.Cetteomni-présencedecertainesémotionspeutaggraverlapauvreté,produiredenouvellesformesdepauvretéouencoredéterminerlecomportement,d’unemanièrenégativeoupositive.
Touslesêtreshumainsontdesémotions.Enquoicettedimensionnousapprendalorsquelquechosed’essentielsurlapauvreté ?Est-cequelespersonnesensituationdepau-vretéontdesémotionsdifférentes ?Quandonvitensituationdepauvreté,est-cequecertainesémotionssontplusfréquentes ?Plusintenses ?Commelapeur,parexemple,soulignéepartouslesgroupescommeunecaractéristiquedelapauvreté :peurd’êtreexpulsé,peurdulendemain,peurqu’onplacelesenfants,peurdecequ’ilsvontdevenir…
L’équipederechercheestarrivéeàlaconclusionqueladifférenceaveclesautrespersonnessesitueàdeuxniveaux.D’unepart,certainesémotionssontomniprésentes,envahissantes.D’autrepart,ladifférenceavecdespersonnesquinesontpasensituationdepauvretésesitueauniveaudesconséquencesdecetteomniprésencedecertainesémotions :celapeutaggraverlapauvreté,produiredenouvellesformesdepauvretéouencoredéterminerlecomportement,d’unemanièrenégativeoupositive.Lapeur,parexemple,peutêtreunfreinpourdemanderdel’aidemaisellepeutaussidonnerdesforcespourcombattre.
D’oùviennentcesémotionsetressentis ?Onnenaîtpasaveclapeur,lahonte,unsen-timentd’inférioritéoulacolère.Lespersonnesensituationdepauvretésoulignentquecertainesémotionsetcertainsressentisfontpartied’elles,maisnesontpasleuridentité.Cesressentissontprovoquésparlesconditionsdevieouparlesréactionsdelasociété,commeleméprisoul’indifférence.Lacausevientdoncdel’extérieur.
Chezlespersonneslesplusvulnérables,c’estlecasparexempledespersonnessanspapiers,ilyasouventuneintensitéspécifique,plusgrandeencequiconcernecesémo-tions.Ilsparlentd’angoisseextrême,dedésespoirtotal.
Cessouffrancestouchentaussilesenfants :ledécouragementestcontagieuxpourlesenfants,ilsontunsentimentd’infériorité,ilssontfrustrésdenepasavoirlesmêmeschosesqueleurscopains.
« Les émotions et ressentis sont là, ils sont présents, ils nous suivent, ils nous font faire des choses qu’on ne ferait pas. Où qu’on aille, ils sont là, ils sont en nous, ça joue sur notre vie. Ils influencent ce qu’on fait. Et ils réduisent notre capacité à réagir. » (Groupedespersonnesayantl’expériencedelapauvreté,équipederecherche)
« Avec ces émotions, les personnes en situation de pauvreté ne savent plus comment faire pour trouver des solutions. Elles ont un poids. Elles se posent toujours des questions : comment faire demain, comment récupérer mes enfants, comment faire mes papiers ? » (Groupedespersonnesayantl’expériencedelapauvreté,équipederecherche)
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
« C’est la frustration de ne pas avoir les mêmes choses que les copains, les enfants se sentent inférieurs aux autres, ils ont honte. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Il y a des jours où je n’arrive plus à penser. On dirait que le cerveau se met à l’abri, il ne pense plus, il ne marche plus parce qu’il y a un trop plein de malheur, un trop plein de chagrin. On dirait que le cerveau se met à l’abri tout seul, il ne veut plus penser. Moi, cela m’arrive des fois et, quand cela arrive, je dis que je suis vide. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
2.2.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes)Laplupartdesgroupesdepairsconstituésdepersonnesensituationdepauvretécitentlespeursetlessouffrancesdansleurstravaux.Touslesgroupesdepersonnesensituationdepauvretéenontfaitunedimensionnomméedifféremment :ressentis,conséquencesémotionnelles,sentimentscausésparlapauvreté,peurs,humeursetsentiments,souf-francesmorales…
Cespeursetcessouffrancespeuventêtreclasséesauregarddesseptautresdimensions.Ellescomptentprèsdedeuxcentscaractéristiques.
Tableau 2.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Peursetsouffrances »,classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Privations Peurdenepasjoindrelesdeuxbouts,demanquer,deperdresonlogement –Cogiterparmanquedetravail –Nepasoserfairevaloirsesdroits
Santé Refuserounepasdemanderdel’aideousesdroitsparhonte –Manque desoinsparpeur –Anxiétépermanente
Lien avec la société Sesentirjugé,anormal,rejeté –Avoirpeurduregarddesautres etdujugement
Lien avec les institutions
Baisserlatête,tendrelamainetperdresafierté –Sesentirpiégé –Peur duplacementdesenfants
Relations avec ses proches
Démotivationparmanquedemobilité –Avoirplusderisquesd’être oudesesentirisolé(e)
Rapportautemps et à l’espace Peurdel’imprévu,dulendemain,del’inconnu
Résistance Effortpermanent –Luttequotidienne
2.2.3. InteractionsaveclesautresdimensionsLespersonnesn’ontpaslesmoyensdevivredignement,celaentraîneunesouffranceetdespeursmultiples,allantjusqu’àrenonceràdesdroits,cequiaggravelasituation(dimension« Privationsmatériellesetdedroits »).
Leregarddelasociétéproduitunedévalorisationetuneperted’estimedesoi,deconfianceensoi.Lespersonnessesententjugées,contrôléesparlesinstitutions.Ladépendanceauxdispositifsd’aidehumilieetatteintladignité(dimensions« Maltraitancesociale »et« Maltraitanceinstitutionnelle »).
Lapauvretéempêchedemenerdesprojetsetdeseprojeterdansl’avenir(dimension« Contraintesdetempsetd’espace »).
Ledécouragement,larage,laméfiancepeuventconduireàfairelevideautourdesoi,repoussantsoi-mêmel’entourageouétantrepousséparlui.Ons’isoleouonestisolé,cequiaggraveencorepluslasouffrance(dimension« Isolement »).
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
Commecelaaétémentionnédansladimension« Dégradationdelasanté »,ilyauneinteractiontrèsforteentrecesdeuxdimensions,lespeursetlessouffrancespouvantprovoquerdespathologiesmentalesoudevenirunobstacleauxsoins.
Lespersonnessebattentauquotidienpoursurmonterleurspeursetleurssouffrancesetavancer(dimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »).Ceseffortssontpeu reconnus.
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Peursetsouffrances »etlesdimensions« Isolement »,« Privationsmatériellesetdedroits »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Lespeurs :« Lapauvretéinduitunsentimentd’insécuritédanslaviedetouslesjours.Lespeursamènentlespersonnesàs’isoler,àseméfierouàparfoisrenoncerauxaidesextérieurespouvantleurêtreproposées.Lapeurempêchelesprojectionsdansl’avenir. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
• Liensentreladimension« Peursetsouffrances »etlesdimensions« Compétencesacquisesetnonreconnues »et« Privationsmatériellesetdedroits » :
C’estplusdifficilederesterfidèleàsesvaleurs :« Quandonestpauvre,c’estplusdifficilederesterfidèleàsesvaleurs,ilfautplusdeforcepourrésisterparcequ’onestsoumisauxautres.Onestpauvreparcequ’onn’acceptepastout.Ilyadesgensquipeuventtefaireduchantage.Ilssontprêtsàt’aider,financièrementparexemple,mais,enretour,ilfautquetuacceptesquelquechose.C’estlasoumission.Desfois,tudisnon,tupréfèresresterdanstapauvretéqued’accepterdefairedeschosesquinesontpasbien,pasenphaseavectescroyances,tonéducation,tareligion. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Peursetsouffrances »etlesdimensions« Privationsmaté-riellesetdedroits »,« Isolement »et« Dégradationdelasanté » :
Oncogiteparmanquedetravail :« Letravailpermetdefinirlesfinsdemois.Çafaitdubienàlatête,çafaitvoirautrechose.Çapermetdesortirdechezsoi,devoirdumonde,çafaitfairedel’exercice.Quandtun’aspasdetravail,tucogites,tudéprimes,tutelaissesaller. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Peursetsouffrances »etladimension« Isolement » :Nepassesentirlégitime :« Leursituationd’isolemententraîneuneperted’espoiretdesentimentdelégitimité.Celaprovoqueunepeur,unmanquedeconfianceensoi,quiapourconséquenceunedifficultéàs’exprimerouàsefairecomprendre. »(Groupe dechercheursuniversitaires)
• Liensentreladimension« Peursetsouffrances »etlesdimensions« Maltraitanceins-titutionnelle »,« Privationsmatériellesetdedroits »et« Maltraitancesociale » :
Desfois,onestobligédes’asseoirsursafierté (enallantdemanderdel’aideetcelafaitmal) :« Lesrestosducœur,celaaidebienmais,siondoitfairedesdémarchesdansunevilleoùonatoujoursvécu,c’estbeaucoupplusdurcarlestroisquartsdesgensvousconnaissent.Ilyadesmomentsoùcen’estpasévident,surtoutsionn’apasétéhabituéàdemanderdel’aide.Cen’estpasévidentdefairelepremierpas.C’estsurtoutleregarddesgensquiestdifficile. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
2.3. DégradationdelasantéphysiqueetmentaleLadimension« Dégradationdelasantéphysiqueetmentale »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.3.1. DéfinitionetdescriptionIls’agitdeseffetsnégatifsdelapauvretésurlasantéphysiqueetmentale.Lasantéainsifragiliséemaintientencoreplusdanslapauvreté.
Lesproblèmesdesanténesontpaspropresauxpersonnesensituationdepauvreté.Maislapau-vretéinduituneplusgrandevulnérabilitéducorpsetdupsychisme.Ainsi,parmiles5 %lesplusaisés,l’espérancedevieàlanaissancedeshommesestde84,4 ans,contre71,7 ansparmiles5 %
Avoir honte du regard de l’autre / Se sentir
anormal, rejeté, inférieur aux autresEntendre des mots qui blessent / Être stigmatisé
Être révolté et en colère d’être balancé
de droite à gauche par les institutions /
Être obligé de tendre la main
Être dépendant des institutions / Être
condamné d'office et sous contrôleAv
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lesRisque de coupures (eau, chauffage,
électricité) / Souffrir de ne pas pouvoir offrir
à ses enfants une vie plus confortableNe pas oser faire valoir ses droits / Peur de
manquer
Manque de soin par peur / Faible estime
de soiNotre corps souffre / Souffrances
psychologiques
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
MALTRAITANCE SOCIALE
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLEISOLEMENT
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demain
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Absence
de confian
ce en l’a
venir
Subir / Renoncer
, se ré
signer
Lecture :Ladimension« Peursetsouffrances »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeuxdimen-sions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespondàlacouleurdeladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma6.Interactionsentreladimension« Peursetsouffrances »etlesseptautresdimensions
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
lespluspauvres,soitprèsdetreizeansd’écart.Chezlesfemmes,cetécartestplusfaible :huitansséparentlesplusaiséesdespluspauvres(selonuneenquêtedel’Insee,en2018).Lespersonnesvivantdanslapauvretéportentdesstigmatesphysiques ;lesprivations,lesconditionsdevieetdetravaildifficileslaissentdestraces :vieillissementprématuré,dentsabîmées,maigreurouobésité,doscourbéparexemple.
Ilexisteunmal-êtrepsychique,expliquéparlestress,lafatigue,l’angoisse.Celapeutallerjusqu’àladépressionoudesaddictionsàdifférentsproduits(alcool,tabac,drogue,médicaments)quiaggraventlasituationdepauvreté.Lapriseenchargedelasantén’estpasprioritaire,comptetenuducumuldedifficultéspourassurerlasurvieauquotidien.Lesmaladiessontfréquemmentdiagnostiquéesàunstadeplusavancé.L’espérancedevieenbonnesanté(nombremoyend’annéesdebonnesantéquel’onpeutespérervivreauseindel’espérancedevie)estmoindreparrapportaurestedelapopulation.Ilyaunlienentrelasantéphysiqueetmentale :lestressetl’anxiétéamènentdesproblèmesd’eczéma,etdeseffetssurlalibido,parexemple.
« Tu te sens tellement fatigué que tu vieillis prématurément. Quand on vit dans la rue, on est marqué physiquement. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Ce sont les signes extérieurs de la pauvreté, ce qui ressort. C’est tout le corps qui est pris, il n’y a pas un endroit dans le corps qui ne soit pas touché par la pauvreté. » (Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
« À force de vivre dans la misère, à force de vivre des problèmes, le cerveau est atteint. Le psychique encaisse et devient malade. L’angoisse extrême fait qu’on a une boule dans la gorge. Des fois, on n’arrive même plus à manger. Tout le monde ne vit pas cela, mais c’est un symptôme d’une grande angoisse ou de dépression. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Je suis tombé dans l’alcool, ce qui n’a pas arrangé les choses. La misère vous fait plonger dans un autre truc qui la fait empirer. On boit pour oublier, on pense oublier mais le problème reste là. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« Ils arrivent à des stades plus sévères de la maladie car la prise en charge est plus tardive. Ils ont moins accès au dépistage. Il y a moins de prévention. » (Groupedechercheursuniversitaires)
« Il y a la nécessité de prendre en charge les conséquences des mutilations, subies au pays ou lors de la traversée pour venir en France. » (Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
2.3.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes)L’exercicedubody-mapping(« cartographiecorporelle »)amontré,danslesgroupesdepairsrassemblantdespersonnesensituationdepauvreté,unnombreassezconséquentd’effetsconcretsdelapauvretésurlecorpsetlapsyché.
Tableau 3.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Dégradationdelasanté »,classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Corps Lecorpsestusé – Fatiguegénérale –Êtreplusvulnérableauxmaladies –Santéfragilisée –Stigmatesphysiques
Esprit,psyché Êtreexposéauxsouffrancespsychologiques –Plusdemaladiespsychiatriques –Mal-êtrepsychique –Dépression –Idéesdesuicide
Prise en chargeBesoind’accompagnementpsychique –Nepasavoirl’énergieoulesmoyensdeprendresoindesoi –Négligersoncorps –Stadesplusavancésdanslamaladieaumomentdudiagnostic
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
2.3.3. InteractionsaveclesautresdimensionsCettedimension« Dégradationdelasanté »estenlienétroitavecladimension« Peursetsouf-frances ».Lesémotionsetsentimentsnégatifs(peurs,anxiété,désespoir,etc.)vontfavoriserunealtérationdelasantéphysiqueetmentale :cesontdesfacteursdevulnérabilité(risquesdetroublesetdemaladies).Lapeurexpliqueaussileretardprisàsesoigner,parcraintequ’ondé-couvreunemaladiegraveetdenepaspouvoircontinueràs’occuperdesafamilleouàtravailler.
Ladégradationdelasantéphysiqueetmentaleesttrèsliéeàladimension« Privationsmatériellesetdedroits » :carencesalimentaires,malnutritionetdénutrition,manquedemoyenspoursesoigner.Lasantéesttrèsaltéréeparletyped’emploioccupéquiparticipeàl’usureducorps,etparlesmauvaisesconditionsdetravail.Lespersonnesdoiventac-cepterdetravaillerau-delàdeleursforces,dansdesemploisnonadaptés,pastoujoursdéclarésetdoncn’ouvrantpasàdesdroits.
Auniveaudelaprotectionsociale,desdispositifsontétémisenplacepourpermettreauxplusexclusd’avoiraccèsauxsoinsdesanté(PUMaouAidemédicaled’État11).Pourtant,30 %despersonnespouvantavoiraccèsàlaCMU-C12 n’y ont pas recours13. Plusieurs facteurs peuvent expliquercenon-recours :nonconnaissancedesdispositifs,manqued’informationsurlesdroits,ouverturededroitscomplexe,mauvaisaccueilauxguichets,refusd’êtrestigmatiséoupeurd’êtremoinsbienprisencharge(refusdecertainsmédecinsdeprendredespersonnesquibénéficientdelaPUMa,parexemple),santéconsidéréecommenonprioritaire.
Ilpeutêtredifficiledesesoignerquandonvitàdistancedescentresdesoinoudesmédecinsspécialisés,quandonadesproblèmesdemobilité,quandonvitdansdesdésertsmédicaux(dimensions« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Contraintesdetempsetd’espace »).
Lerapportautempsadesconséquencessurlesconduitesdepréventionetdedépistage.
Quandl’accèsauxsoinsmédicauxestdifficile,lespersonnesensituationdepauvretémobilisentdesressourcesetdessavoirsalternatifs,desremèdestraditionnels,l’auto-médication…parfoispouréviteraussidetombermalade.
L’altérationdelasantémentale(tellequedéfinieparl’OMS14)nepermetpasdedévelopperaumieuxses« compétences »etdecontribueràlaviedelasociété.Ellemaintientdansunisolementet/ouunedépendancequiempêchentd’agir.
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Dégradationdelasanté »etlesdimensions« Peursetsouf-frances »,« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Privationsmatériellesetdedroits » :
Notrecorpssouffre :« Àforcedemarcher,dedemanderdel’aideouqu’ont’imposedefairedestravauxdépassés,çacréedesproblèmesd’articulation. »(Groupedeper-sonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Dégradationdelasanté »etlesdimensions« Privationsmaté-riellesetdedroits »,« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Avoirunesantéfragile :« C’estcompliquéquandilfautprendretroisbuspouralleràunrendez-vousmédical,ilfautaussidel’argent. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexte rural)
11 L’aidemédicaled’État(AME)estundispositifpermettantauxétrangersensituationirrégulièredebénéficierd’unaccès aux soins.
12Lacouverturemaladieuniversellecomplémentaire(CMU-C)estuneprotectioncomplémentairedesantégratuite,quiestattribuéesousconditionsderésidenceetderessources.
13ChiffresdelaDirectiondelarecherche,desétudes,del’évaluationetdesstatistiques(DREES),2016.14L’Organisationmondialedelasanté(OMS)définitlasantémentalecomme« unétatdebien-êtrequipermetàchacun
deréalisersonpotentiel,defairefaceauxdifficultésnormalesdelavie,detravailleravecsuccèsetdemanièrepro-ductiveetd’êtreenmesured’apporterunecontributionàlacommunauté ».
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
• Liensentreladimension« Dégradationdelasanté »etlesdimensions« Peursetsouf-frances »et« Isolement » :
Souffrancespsychologiques :« Àlasuited’unerencontreaudomicile,j’aiététémoindecondi-tionsd’existencestrèsprécairesetchoquanteshumainement.Toutefois,cesconditionsdevienedérangeaientpaslapersonne,lasouffrancequ’elleexprimaitétaitlemanquederapportssociauxetunegrandesolitude. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
• Liensentreladimension« Dégradationdelasanté »etlesdimensions« Privationsmaté-riellesetdedroits »,« Compétencesacquisesetnonreconnues »et« Peursetsouffrances » :
Toutfairepournepastombermalade :« Onfaittoutpournepastombermalade,onprotègesasantécar,quandonesttoutseul,cen’estpasévident.Sionestmalade,ilfautpayerlesfraismédicauxetilfautenplussedébattrecontrelamaladie. » (Groupe depersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
Attitude physique montrant la honte / Stigmates
physiques (maigreur, obésité, dents abimées)
qui engendrent la stigmatisationÊtre jugé comme bon à rien sans
prendre encompte la situation de santé
Fatigue à cause des démarches / Problèm
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d’hygiène par manque de lieux pour se laver
Manque de soins par m
anque d’information
ou grande complexité des dém
arches / Être
refusé par les médecins
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Pas d'accès aux soins de santé,
aux médicaments
Ne pas avoir les moyens de prendre soin de soi /
Problèmes de santé à cause
d’une mauvaise alimentation
Notre corps souffre / Souffrances
psychologiques
Manque de soins par peur / Faible
estime de soi
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
MALTRAITANCE SOCIALE
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLEISOLEMENT
Tout
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Lecture :Ladimension« Dégradationdelasantéphysiqueetmentale »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeuxdimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéris-tiquescorrespondàlacouleurdeladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma7.Interactionsentreladimension« Dégradationdelasantéphysiqueetmentale »etlesseptautresdimensions
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
2.4. MaltraitancesocialeLadimension« Maltraitancesociale »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.4.1. DéfinitionetdescriptionC’estlamanièredontlespersonnesnonpauvresregardentettraitentlespersonnesensituationdepauvreté.Leregardsurlespersonnesensituationdepauvretéestconditionnéparlasociété(médias,femmesethommespolitiques,etc.).
Lespersonnesensituationdepauvretésubissentdespréjugés,accuséesdesecomplairedansleursituation,deprofiterdel’aidesocialeetdenepasvouloirtravailler.Danslesgroupesdepairsressortentdesmotstrèsfortstelsquecatégorisation,stigmatisation,humiliation,dévalorisation,rejet,mépris…
Ilexisteunparadoxeentrelefaitd’êtretropvisibleetd’êtreinvisible :d’uncôté,lespauvressontinvisibles ;d’unautre,ilssontvisiblescarilssontstigmatiséscomme« pauvres ».Lespersonnessontanonymisées,ellesn’existentplusentantquetellesmaisentantquegroupe :lespauvres.Lesreprésentationsnégativesàl’égarddes« pauvres »renforcentlamaltraitanceindividuelle :« Ilssonttouscommeça ! »
Cettemaltraitanceestrenforcéequandelles’adresseaussiàdesgroupesdepersonnesensituationdepauvretéappartenantàungroupeouunecommunautéspécifique(mi-grantsrécents,roms,homosexuels,parexemple).Cetteinvisibilitépeutallerjusqu’àunedominationetuneexploitationparlesautres,voireunesoumissionauxautres.
Leurvoixestpeuentenduedanslasociété,ilssontsous-représentésdansleslieuxdecitoyenneté.Ilssontcontraintsparlasociétéàentrerdansdesnormesalorsqu’ilsn’enontpaslesmoyens,nilesclés.
« On est mal perçu par le monde extérieur. On se sent diminué et inférieur face au regard des autres, avec la sensation d’être inutile. On est rejeté, mal regardé et mal considéré. On nous parle mal, on est harcelé. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« On est transparent, on est des fantômes, on n’existe pas. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Les discriminations sont une conséquence de ce phénomène : en effet, la société stéréotype cette catégorie de personnes et l’exclut. La société va anonymiser les pauvres, ce qui va les “invisibiliser”, ainsi que porter un jugement plus dur sur la base de ces stéréotypes et représentations. » (Groupedechercheursuniversitaires)
« Pour les autres, si on en est là, c’est parce qu’on le veut bien, on ne se bat pas pour faire ceci. On entend souvent : s’il en est arrivé là, c’est de sa faute. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« Il y a un lien entre invisibilité et exploitation. Tu es d’autant mieux exploité que tu es invisible. Tu n’existes pas, donc tu es à la merci de tout ce qui se passe. La faible capacité d’agir entraîne une exploitation par les autres. » (Groupedesprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
2.4.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes)Letableauci-dessousdonnequelquescaractéristiquesenfonctiondutypedemaltraitance :
Tableau 4.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Maltraitancesociale »,classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Subirdespréjugés, êtrejugé
Subirleregard,lesréflexionsetlejugementdesautres –Êtrejugésurlesapparences –Êtrecritiqué,accuséd’êtrefainéant,considérécommeinactif
Exclusion,rejet,indifférence
Êtreignoré,laissédecôté,considérécommeindésirable –Êtremarginalisé,transparent,invisibleetinaudible
Discrimination et stigmatisation
Cumuldefacteursdediscrimination –Discriminationenraison del’origine –Racisme –Catégorisation
Regardetparoles desautres
Regardnégatif,méprisant,cruel –Moqueries –Mépris –Êtreinsulté(traitéde« cassocial ») –Manquederespect –Entendredesmotsquiblessent –Êtrerabaissé,humilié
Nepasêtreentendu,avoirmoinsdepoids
Onnet’écoutepas,onneteconsidèrepas –Onnenousdemandepasnotreavis –Êtrerabaisséparlesgensquiontdel’argent –Êtreobligéd’obéirauxdécisionsdesriches –Êtredominé
Êtreendehors desnormes
Nepasêtredanslacatégoriedesnormaux –Êtreendehorsdesnormesqu’imposelasociété –Êtreendifficultépourrépondreauxattentesdelasociété –Pressionsfamilialesetsociales
2.4.3. InteractionsaveclesautresdimensionsCettedimensionesttrèsliéeàladimension« Privationsmatériellesetdedroits ».Lemanquederessources,quandilinduitunedépendanceetunmanquedechoix,empêchedeparticiperpleinementàlaviesocialeetcréeundécalageaveclerestedelasociété.Celaconduitàdesjugementsetàdeladiscrimination.Leregardnégatifposésurlespersonnesquiviventdesaidessociales(nonconsidéréescommedesdroits)peutaussiavoircommeconséquencelenon-recoursauxdroitsafind’éviterlastigmatisation.
La« maltraitancesociale »induitdes« peursetsouffrances »,lahonteesttrèsprésenteainsiquel’atteinteàladignité.Celadétériorel’estimedesoietpeutpousserourenforcerl’« isolement ».
Lespersonnesnepeuventpasmontrercequ’ellesvalent,apporterleursavoir,serendreutilesdanslasociété.Et,quandellesessaient,leurs« compétences »nesontpasrecon-nues.Onleurreprochedefairedubénévolataulieudechercherdutravail,parexemple.
Cettemaltraitancesocialeinteragitavecladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »,les représentations sur la pauvreté traversant société et institutions.
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Maltraitancesociale »etlesdimensions« Privationsmaté-riellesetdedroits »et« Peursetsouffrances » :
Entendredesmotsquiblessent :« Onasouvententendu :tuasvucommentelleesthabillée,celle-là ? »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Maltraitancesociale »etlesdimensions« Contraintesdetempsetd’espace »et« Peursetsouffrances » :
Regarddesautres :« Quandj’aifaitlesdémarches,vuquejevenaisducentred’hé-bergement,j’étaisdéjàvucommeunpauvre.Vuleregardqu’ilsportentsurmoi,jemesensdéjàpauvreparrapportauxautres.Mêmedanslelycéeoùonnousamis,mêmelà,àtraversleregarddenosamis,onsesentdéjàpauvre.Lebâtimentoùjevisestreconnucommelebâtimentdespauvres. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Être jugé comme bon à rien sans prendre
en compte la situation de santéAttitude physique la honte / Stigmates physiques
(maigreur, obésité, dents abimées)
qui engendrent la stigmatisation
Catégorisation / Avoir moins de poids
Manque de solidarité envers les personnes
qui vivent la pauvreté / Être moins sollicité,
être moins utile
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Être moins bien habillé que les autres /
Vivre avec les allocations chômagePression sociale / Être rabaissé par des gens
qui ont de l’argent
Entendre des mots qui blessent / Être
stigmatiséAvoir honte du regard de l’autre / Se sentir
anormal, rejeté, inférieur aux autres
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLEISOLEMENT
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Être co
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MALTRAITANCE SOCIALE
Lecture :Ladimension« Maltraitancesociale »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeuxdimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespondàlacouleurdeladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma8.Interactionsentreladimension« Maltraitancesociale »etlesseptautresdimensions
• Liensentreladimension« Maltraitancesociale »etlesdimensions« Privationsmaté-riellesetdedroits »,« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Catégorisation :« C’estmettredansdescases.QuandonparledelapauvretéenFrance,c’est toucher les minimasociauxetnepasavoirderevenus.C’estêtreenfermédanslapauvretéàtraversuneséparationdesclasses.C’estl’idéed’êtreestampillé,marquéaufer(tuespauvreettuleresteras).C’estuneformedefatalité,onestassignéàunstatut,àunecatégorieprécise. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Maltraitancesociale »etlesdimensions« Privationsmaté-riellesetdedroits »et« Compétencesacquisesetnonreconnues » :
Êtreendehorsdesnormesqu’imposelasociété :« Lapauvretéengendreunsystèmeparallèle,destrocsavecl’environnementruralproche,cessystèmesDdéveloppésdanslesfamillespauvrespeuventdérangercarilsnerépondentpasauxnormesdelasociété. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
2.5. MaltraitanceinstitutionnelleLadimension« Maltraitanceinstitutionnelle »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.5.1. DéfinitionetdescriptionCettedimensionobservecommentl’Étatetlesinstitutionsregardent,jugentettraitentlespauvres.Danscettedimension,ladépendanceesttrèsprésentedansdesrelationsdedomination,d’obligation,decontrôle,voiredesoumission.
EnFrance,lespersonnesensituationdepauvretéontaccèsàdesdispositifsd’aideetàdesdroitsspécifiques(RSA,PUMa,Dalo,etc.)qui,quandl’accèsestefficient,permettentauxpersonnesd’avoiruneviemeilleureoudenepastomberdansl’extrêmepauvre-té.Cesdispositifsetdroitsdonnentdesfiletsdesécurité.Lespersonnesbénéficientd’unaccompagnementdansleuraccèsauxdroits.Toutefois,larelationestdéséquili-brée,certainsgroupesparlentderelationdepouvoir,dedomination,voired’aliénation.L’accompagnementetl’aidepeuventêtrevécuscommeunehumiliation.Lespersonnessontconfrontéesàl’exigencedesinstitutions,ayantàfaireleurspreuvesplusquelesautres.Ellesdoiventrépondreauxinjonctionsqu’ellesn’ontpaslalibertéderefuser.
Deleurcôté,lesgroupesdeprofessionnelspraticiensparlentbeaucoupdel’accompa-gnementqu’ilssontamenésàeffectuer,sansavoirlesmoyensdelefairedansdebonnesconditions,dufaitdel’organisationadministrative.
L’accèsàdesdroitsestrendudifficileparlacomplexitéetlalenteurdesdémarchesadministratives,lemanqued’informations.Cettemaltraitancesemanifestedanstouslesdomainesdelavie(santé,logement,travail,éducation,etc.).L’accompagnementestparfoisvécucommeuncontrôle,dufaitdel’organisationdesdispositifs.
Estobservéeaussiunemiseàdistancedespersonnesensituationdepauvretéquiviventmajoritairementenmargedesvilles,dansdesquartiersàpart,dansdesenvironnementsdégradés,dansdeszonespauvreseninfrastructures…Certainsgroupesparlentd’assi-gnationàrésidence.
Lespersonnessansstatutadministratif(sanspapiers)rencontrentbeaucoupdedifficul-tésavecl’administration,enFrance.Celaneleurestpasforcémentspécifique,maiscelaaunimpactplusprégnantdansleurviecarcespersonnessontenattented’unstatutadministratifquileurdonneraaccèsauxdroits.
Enfin,ilpeutexisteraussiunediscriminationdegenre :l’accèsauxdroitsetauxdispositifspeutêtreplusoumoinsdifficileselonqu’onestunhommeouunefemme.
« Quand la personne demande de l’aide, elle peut alors être repérée par les services sociaux et sera davantage suivie que d’autres personnes. La peur d’être repéré comme quelqu’un en difficulté peut être un frein pour aller demander de l’aide, au risque de rester dans une situation de pauvreté. Il y a encore aujourd’hui pour les familles une crainte des services sociaux, craignant le placement des enfants. Les parents ont peur d’être repérés comme de mauvais parents. » (Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
« Ce sont les conseils, l’encadrement et l’accompagnement donnés par les institutions et les associations. Cela peut se passer bien, cela nous aide. Mais, par endroit, l’encadrement peut être défectueux. Par exemple, les travailleurs sociaux accompagnent mal ou ont trop d’exigences à notre égard. Étant donné ce qu’on vit, on est aussi obligé de demander de l’aide, on n’a pas le choix. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
« C’est être aliéné aux différents dispositifs sociaux, économiques, d’aides. Tu as un dispositif par rapport à l’éducation de tes enfants, tu as un autre dispositif du point de vue social… Tu as toujours des rendez-vous, tu as un agenda de ministre. C’est une obligation, tu n’as pas le choix (par exemple, concernant les mesures de protection de l’enfance). » (Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
« Tu demandes de l’aide mais tu dois rester derrière les décisions de la personne qui t’aide. Si tu t’opposes à elle, tu vas avoir peur qu’elle te refuse complètement son aide. Tu vas accepter les idées qu’elle va te donner. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Les difficultés administratives, la perte des documents, la dématérialisation peuvent avoir comme conséquences la perte d’identité et l’absence d’existence sociale et/ou juridique. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« La question de l’égalité face aux droits nous semble aussi très importante. Pour les personnes en situation de pauvreté en général et les migrants en particulier, tout se passe comme s’ils “n’avaient pas le droit à avoir des droits”. Pour nous, cela pose la question du “droit à l’égalité”. » (Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
2.5.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes)Cescaractéristiquessonttrèsliéesauxdroitsquel’onvachercherauprèsdesinstitutions.
Tableau 5.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »,classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Dépendanceauxdispositifs
Êtredépendantdesminimasociaux –Êtredépendantdesassociations etdesinstitutions –Nepaspouvoirs’assumerlibrement
Droits
Non-respectdesdroits –Difficultéàfairevaloirsesdroits –Inégalitésd’accèsauxdroitsentrelesrichesetlespauvres –Lenteuradministrative –Aidesprécairespourlesmoinsde25 ans –Manqued’informationsur sesdroits
AccompagnementÊtremalaccompagnéparlestravailleurssociaux –Êtrebaladé parlesorganismes –Manqued’uneapprocheglobaledespersonnes –Accompagnement vécu comme un contrôle
Représentation,participation et pouvoir dedécision
Non-représentationdesquartierspopulaires –Non-participation –Nepasêtrepartieprenantedesespacesdedécision –Êtremoinssollicité, moins utile
Travail Êtreexploitédansletravail –Êtreobligédetravaillerau-delàdesesforces –Nepasavoirledroitdetravailler(pourlesmigrantssanspapiers)
ÉcoleDiscriminationàl’orientationscolaire –Sortieprématuréedusystèmescolaire –Orientationsubie –Nepascroiredanslescapacitéséducativesdesparents
Santé Manquedesoinsparmanqued’information –ÊtrerefuséparlesmédecinsquandonalaCMU –Refusdesoinsdufaitdumanqued’argent
Logement Dormirdanslarue –Manqued’accèsaulogement –Manquedelogementssociaux
Espaceetmobilité Vivredansunenvironnementdégradéoudansdesghettos –Êtretenu àdistance –Manquedemixitédanslesquartiers
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
2.5.3. InteractionsaveclesautresdimensionsCettedimensionesttrèsliéeàladimension« Privationsmatériellesetdedroits » :l’accèsauxdroitspasseparlesinstitutions,l’accèsauxminimasociauxetlemanquederes-sourcesmaintiennentdansunedépendanceauxdispositifs.Lenon-recoursauxdroits,enplusd’êtrelerésultatdelastigmatisation(voir« Maltraitancesociale »),trouveaussisonoriginedanscettecomplexitéadministrativeetdanslemanqued’information.Ilpeutêtreexpliquéaussiparlamauvaiseexpériencedespersonnesaveclesinstitutionsetlavolontédenepasêtre« repéré ».
Lamaltraitanceinstitutionnelleestaussiliéeàladimension« Peursetsouffrances »,carladépendanceetlamaltraitancehumilientetaltèrentladignité.Lesinstitutionsnerecon-naissentpasles« compétences »quepeuventapporterlespersonnesconfrontéesauxpro-blématiquesdelapauvreté.Cesdernièressontsous-représentéesdansleslieuxdedécision.
Manque de soins par manque d’information
ou grande complexité des démarches /
Être refusé par les médecinsFatigue à cause des démarches / Problèmes
d’hygiène par manque de lieux pour se laver
Manque de solidarité envers les personnes qui
vivent la pauvreté / Être moins sollicité, m
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Catégorisation / Avoir moins de poidsDo
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Non-accès aux biens et aux services /
Travail à bas coût
Difficulté d’accès aux droits /
Droits suspendus
Être dépendant des institutions / Être
condamné d'office et sous contrôle
Être révolté et en colère d’être balancé
de droite à gauche par les institutions /
Être obligé de tendre la main
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLE
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MALTRAITANCE SOCIALE
Lecture :Ladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeuxdimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespond àlacouleurdeladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma9.Interactionsentreladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »etlesseptautresdimensions
35
CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions• Liensentreladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Maltraitancesociale »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Exclusionparl’habitat :« Onlesmetdansdeslogementsàpart,dansdesquartiersàpart,dansdescircuitsàpart…Lasociétécréedescircuitsparticuliers. »(Groupedechercheurs universitaires)
• Liensentreladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Isolement »,« Peursetsouffrances »et« Dégradationdelasanté » :
Êtreoublié,abandonné,détruit :« Parcequ’onestoubliédansl’accompagnement,dansl’accèsauxdroits,onsesentabandonnéparlesinstitutions,lesamis,lafamille.Onestdétruitparlafamille,lesamis,lesystème.Onsedétruitaussisoi-même. »(Groupe depersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Dégradationdelasanté »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Difficultéd’accèsauxsoins :« Unproblèmesupplémentairepourlespersonnespauvres,c’estlerefusdeprisederendez-vousparcertainsmédecinspourlespersonnesbé-néficiairesdelaCMU.Deplus,descréneauxetdesdélaisd’attentesontobligatoirescaronestimequelespersonnesn’ontriend’autreàfaire. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Dégradationdelasanté »,« Peursetsouffrances »et« Contraintesdetempsetd’espace » :
Lalenteuradministrative :« Leproblèmeleplusépineux,c’estl’administration,lapaperasse.Ilyalalenteuradministrative.C’estcelaquilaisselesgensdanslami-sèrependantlongtemps.Desfoispendantunan,deuxans,troisans.Et,siturestesdanslaruependantdeuxoutroisans,lesconséquences,c’estlestress,lamaladiepsychologique,psychiatrique,physique.C’estlamisèretotale. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
2.6. IsolementLadimension« Isolement »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinte-ractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.6.1. DéfinitionetdescriptionCettedimensiontraitedelarupturedesliensentrelespersonnesensituationdepauvretéetleurentourage.Lapauvretépeutcasserlesrelationsaveclesautres :famille,amis,voisins.
Cetterupturedelienspeutprovenirdelapersonneelle-même,quiserepliesurelle-même,s’enferme,s’isole.Parfois,c’estlafamilletoutentièrequis’isole.
Lafamillepeutêtreelle-mêmeuneraisondel’isolement :lespersonness’enéloignentpouréchapperàlapression,àlasouffrance,voireàlaviolence.
Inversement,àcausedesapauvreté,lapersonnepeutêtrerejetéeparsonentourage,quandlesrelationsdeviennentdifficiles,quandlapersonneestconsidéréecommeres-ponsabledesasituation,quandladépendanceestomniprésente…
Lapauvretéaffectelavieaffectiveetamoureuse,allantjusqu’àdesrupturestotales.Réciproquement,lesrupturesetlesdivorcespeuventêtredescausesdeladésescalade.
Lafaiblesseducapitalsocialrendd’autantplusvulnérables :lesréseauxfamiliauxetsociauxsurlesquelsprendreappuisontrestreintsouinexistants.
36
COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
Pourlespersonnesquiontvéculamigration,ilyasouventdesmembresdelafamillequisontrestésaupays,parfoislesparents,desfrèresetsœursouencoresespropresenfants.Lespersonnesayantvéculamigrationdoiventlesaiderfinancièrement,àdistance,cequiaggraveleursprivations.Ouellesn’ontpaslesmoyensdelefaireetcelapeutcouperles liens avec leur famille.
Desfamillesnéessurleterritoirefrançaisontpuaussivivreunemigration,moinsgrande,maisquidéracine.Unefemmeraconteavoirquittésarégiond’originepourvenirtravail-lerenrégionparisienne.Lemanquedemoyensetdemobilitél’empêcheaujourd’huiderevenirdanssonvillaged’origineetdevisitersafamille.Celacoupelesliens.
Leplacementdesenfantsresteuneréalitéimportantechezdesfamillesensituationdepauvreté.Làaussi,ilestquestiondeséparation.Lesenfantsainsiplacéseninstitutionsouenfamillesd’accueilsontcoupésdeleurviefamiliale.Lelienpeutallerjusqu’àsebrisercomplètementaveclesparents.
Aussibienpourlespersonnesquiontuneexpériencedelamigrationquecellesquinel’ontpas,cetteséparationaunedimensioncollective :cequileurarrive,d’autresleviventaussi.C’estancrédansleurhistoireindividuelleetcollective :lesmigrantssaventquetouslesautresmigrantsviventcetteséparation,d’unemanièreoud’uneautre.Etlepla-cementestfortementancrédansl’histoiredesfamillesensituationdepauvreté,parcequelesparentsontpulevivreeux-mêmesenfants,parcequ’ilsconnaissentquelqu’undeleurfamille,deleurrueàquic’estdéjàarrivé.
« Il y a des gens qui ont le cafard, ils ne bougent plus de chez eux pendant plusieurs jours, ils restent chez eux, ils ne font plus rien. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« L’isolement familial a été encore plus douloureux que l’isolement social. Quand j’allais chez ma mère, elle me faisait sentir la différence. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« C’est une pauvreté familiale et affective : plus de contacts et de visites des enfants, de la famille proche. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
« Quand tu vis dans la rue, c’est que tu as perdu ton logement, mais aussi que tu n’as plus d’amis, ou plus de famille, qui pourraient te soutenir. » (Groupedechercheursuniversitaires)
« On a tellement de soucis qu’on ne s’ouvre pas aux autres, on est en attente d’affection et d’amour. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
37
CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
2.6.2. Caractéristiques(manifestationsconcrètes)Letableausuivantreprendunepartiedescaractéristiquesdel’isolement,desonfaitoudufaitdesonentourage.
Tableau 6.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Isolement »,classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Vieaffective Misèreaffective –Absencedeliensaffectifs –Difficultéducouple –Lecœurestenattente –Viesexuelleimpactée
Rupturesdeliens avec ses proches
Rupturedulienaveclesenfants –Neplusavoird’amis –Moinsdelienssociaux –Absencedel’entouragefamilialetamical –Êtreséparédesafamille
Viesociale–Réseaurestreint
Nepasavoirderéseausurquicompter –Restrictiondelaviesociale –Dépendredesassociationspoursaviesociale
Renfermementsursoi Replisursoi –S’emprisonnersoi-même –Auto-exclusion
Rejetparlesautres Êtrerejetéparsafamilleousesamis
2.6.3. InteractionsaveclesautresdimensionsCettedimension« Isolement »esttrèsenlienavecladimension« Peursetsouffrances »carlesruptures,lesabsences,lesmanquesdelienscréentunesouffrance.Les« Privationsmatériellesetdedroits »fontqu’ilestdifficiled’avoiruneviesociale,derépondreauxinvitations.
Parrapportàladimension« Dégradationdelasanté »,lereplisursoipeutisolerphysiquementetaltérerlasantéphysiqueetmentale.L’auto-exclusionestencoreplusforte,aurisquedetomberdansladépressionoudansdescomportementsàrisques(addictions,parexemple).
Lespersonness’enfermentsurelles-mêmesmaisaussiphysiquement :ellesnesortentplusdechezelles,leurréseauserestreint.Cettedimensionesteninteractionavecladimension« Contraintesdetempsetd’espace ».Lespersonness’éloignentaussidesdispositifsd’aides,enlienavecladimension« Maltraitanceinstitutionnelle »(mauvaiseexpérienced’accompagnement,peurdurefus).
Concernantladimension« Maltraitancesociale »,lesreprésentationsvéhiculéesdanslasociétérenforcentlespréjugésauseinmêmedel’entourageetaccentuentlerejet.
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Isolement »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »et« Peursetsouffrances » :
Viesexuelle :« Sionn’apasd’argent,quandonvitdanslarue,malhabillé,unemauvaisehygiène,ilestdifficiled’avoiruneviedecoupleetdesrapportssexuels. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Isolement »etlesdimensions« Maltraitancesociale »et« Peursetsouffrances » :
Serenfermer :« Onestisoléphysiquementdesautresmais,sileregardnégatifdesautress’yajoute,onserenfermeencoreplussursoi. »(Groupedepersonnesensitua-tiondepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Isolement »etlesdimensions« Dégradationdelasanté »et« Peursetsouffrances » :
Isolementrelationnel :« L’isolementrelationnelaccentuelesdifficultésenmettantàdistancedepersonnesaidantes :famille,voisins,amis...Ilpeutallerjusqu’àdévelopperdestroublespsychologiqueschezlapersonneisolée. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
38
COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
• Liensentreladimension« Isolement »etlesdimensions« Contraintesdetempsetd’espace »et« Peursetsouffrances » :
Avoirunréseaurestreint :« Resterentresoi,celapeutêtreunenfermement,tutournesenronddanstonquartier. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
Solitude avec risque d’addictions / Absence
de liens affectifsRisque de développer des troubles psychologiques
/ Détresse due au manque de relations
Être rejeté par les autres / Manque de liens
avec les proches qui ne sont pas dans la pauvreté
S’écarter des autres, fuir / Être jugé
par les autres (famille, am
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Manque de moyens pour avoir une vie
sociale de son choix / Perte de travailNe pas pouvoir inviter ou répondre à des invitations
/ Ne pas pouvoir s’habiller comme les autres
Se renfermer sur soi / Ruptures familiales
Avoir plus de risques d'être ou de se sentir
isolé(e) / Avoir peur du placement de ses
enfants
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
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MALTRAITANCE SOCIALE
Lecture :Ladimension« Isolement »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeux dimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespondàlacouleur deladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma10.Interactionsentreladimension« Isolement »etlesseptautresdimensions
39
CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
2.7.Contraintesdetempsetd’espaceLadimension« Contraintesdetempsetd’espace »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévo-quées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.7.1.DéfinitionetdescriptionCettedimensionparledurapportautemps,c’est-à-diredelamanièredes’approprier,desesituerdanssonpassé,sonprésentetsonavenir,etdu rapport à l’espace,c’est-à-diredelamanièredes’approprier,desesituerdanssonlieudevie.
« Quand j’étais dans un centre d’hébergement, je n’avais plus de repères. Je n’avais plus confiance en personne. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Les sans-abri doivent trouver un lieu pour dormir, faire le 11515. Ils n’arrivent pas à se poser. On n’arrive plus à trouver un endroit où se poser. On est toujours à courir à droite et à gauche pour trouver un endroit chaud. On a nos bagages sur le dos. On ne se pose pas. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
L’équipederechercheasouhaitétravaillerdefaçonplusapprofondiesurlaquestiondutemps.Eneffet,quelquescaractéristiquessoulignaientquelespauvresviventaujourlejour,qu’ilsneseprojettentpas,qu’ilsviventdansunperpétuelprésentetqu’ilsontuneabsencedeperspectives.
Lesmembresdel’équipequiontl’expériencedelapauvretéontréaliséuntravailàpartirdulivreLecroisementdessavoirs :quandleQuartMondeetl’Universitépensenten-semble16(encadréci-après).
2.7.2.Caractéristiques(manifestationsconcrètes)Cescaractéristiquesserépartissententrelerapportautempsetlerapportàl’espace,précisantàchaquefoiscommentlespersonneslesviventetcommentcelainduitleurcomportement.
Tableau 7.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Contraintesdetempsetd’espace »,classéespardomaines
Domaine Comment–Quoi Quelquescaractéristiques
Rapport au temps
Comment les personnes vivent le temps
Tuerletemps –Ilyaletempslent(attente)etletempsquipassevite(trouverdessolutionspourlesoir,lelendemain,etc.)–Letempsquin’apasdesens –Êtredanslarueempêched’avoirdesrepèresdansletemps,d’avoirlanotiondutemps
Cequecelainduitcommecomportements
Renoncer –Difficultéàprévoirl’avenir –Vivre aujourlejour –Déployerbeaucoupd’énergie
Rapport à l’espace
Comment les personnes appréhendentleurespace
Promiscuité –Errance –Êtrehébergéàdroite etàgauche –Capacitéréduitededéplacement
Cequecelainduitcommecomportements
Nepaspouvoirseposer –Difficultédequitterchezsoi –Difficultédequittersonquartier –Immobilisme –Difficultéàactionnerunréseaudeprofessionnels
15Le115estunnumérod’urgencequivientenaideauxpersonnessansabrietengrandedifficultésocialeenleurpropo-santuneorientationversdesservicesd’hébergement.
16Danslechapitre«Famille,leprojetfamilialetletemps»
40
COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
Extraitderéflexionautourdutemps
Parlesmembresdel’équipederechercheayantl’expériencedepauvreté
Nousavionseuici,dansl’équipederecherche,touteuneréflexionsurcescaractéristiques,siouiounon,lespersonnesensituationdepauvretéviventdansunperpétuelprésent,siouiounon,ellesseprojettentdansl’avenir,siouiounon,ellesontdesprojets.
Laconclusionétaitdedirequeoui,lespersonnesensituationdepauvretéontbiendesprojets,souventenlienavecleursenfantsouenlienavecdescombatsprécisqu’ellesveulentgagner.C’estplutôtexceptionneletdansdesconditionsextrêmesqu’ellesn’ontplusdeprojetsd’avenir.
Alorsnousavonsvoulucreuserlesquestions :Commentseposelaquestiondutempsquandonvitdanslapauvreté ?Quedirions-nousdenotrerapportautempssinousnousappuyonssurcequenoussavonsdelapauvreté,àtraversnosexpériencesetl’expérienced’autresautourdenous ?[…]
Nousnoussommesditsqu’ilyadespériodesdelavieoùonpeutfairedusurplace,quandlavieesttrèsdifficile,parexemple.Onestparfoisprisdansuncerclevicieux,maisilyad’autrespériodesoùonavance.
« Quandtuespauvre,danslarue,tun’aspluslanotiondutemps(danslesensdurythmedelajournée).Tumangesàn’importequelleheure.Tunetedemandespascequetuvasfairelelendemainmaistuvisaujourlejour.Vivreaujourlejour,c’estsedire :jesaisaujourd’huimaisjenesaispasdemain... »
« Avoirunlogementm’apermisdemerepérerdansletemps.Majournéeétaitrythméeparlesenfants,j’étaisoccupéepareuxmaispasuniquementoccupéeàsurvivrecommedanslarue.Onreprenddesrepères. »
Onvoiticilaplacecentraledulogement.Lefaitd’êtredanslarueempêched’avoirdesrepèresdansletemps.
Unautreexemplemontrequel’insécurité,lapeuretlahontesontautantdechosesquipeuventempêcherdeseprojeteràunmomentdelavie.
« Quandj’étaisjeune,jenevoyaispasletempspasser.Jemesouviensquandjevivaisencaravaneavecmafamillesurunterrainquin’étaitpasànous.Onsedemandaitcequ’onallaitfairesionétaitexpulsésduterrain.Çafaitpeur :partir,maispouralleroù ?Heureusement,cen’estjamaisarrivé,onapurester.Aujourd’hui,j’aimonloge-ment,jefaisdesprojets,ceuxderencontrerdespersonnes,delesinviterchezmoi. »
Quandilaeusonlogement,cethommeaétélibérédelapeur,ilapufairedesprojets.Ilaprislamesuredutemps.[…]
Ilyadifférentesapprochesdutemps.
Onpeutvoirletempslinéaire,dupasséaufutur,desgrands-parentsauxpetits-enfants.
41
CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Uncerclevicieuxnousenfermeraitdansletempscirculaireoùonreproduiraitlapauvretédenosparents.
Letempscirculaire
C’estleconditionnelparcequenouspensonsquecen’estpastoutàfaitvrai.
Deschercheursdisentquelapauvretéesthéréditaire.Ellesetransmetdegénérationengénération.Maiscen’estpasunegénéralité,niunefatalité.
Parfois,ontombedanslapauvretéàcaused’unaccidentdelavie,onpeuts’enreleveretnosenfantspeuvents’ensortir,mieuxquenous.
Lesenfantsnésd’unefamillepauvren’ontpascommebutderesterpauvres.Ilsvontcombattrepours’ensortir.
Etmêmedansdessituationsdepauvretécomplexes,onpeutavancer.
« Quandonadesenfantsplacés,onpeuttournerenrondquandonnerécupèrepassesenfants.Maisonal’espoirdelesrécupéreretcelafaitavancer,celaprojettedansl’avenir. »
« Quandj’étaisdanslarue,mêmesij’étaisdanslasurvieaujourlejour,j’avaisleprojetd’accéderaulogement,derécupérermafilleplacéechezdesamiset,quandelleétaitavecnous,onfaisaittoutpourqu’ellepuissealleràl’école.Leprojetquenotrefilleaitsonavenir,celanousfaisaitbouger. »
Nousnousretrouvonsplusdanslanotiondetempsenboucle.
Letempsenboucle
Onvoit,danscesexemples,qu’onpeutêtreprisdansuncerclevicieux :quandonsubitleplacement,quandonvituneinjusticequ’onn’arrivepasàrégler,quandonvitdanslarue.
Maiscequifaitqu’onnefaitpasdesurplace,c’estnotrecombat.Combattrecettein-justice,c’estdéjàseprojeterdansl’avenir.Cherchercommentsortirdecetteinjustice,c’estseprojeter.Notrecombatcontrelapauvreté,celaveutdirequ’onavance.Gagnerlecombat,c’estsortirdececerclevicieuxpouravancer.
42
COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
2.7.3.InteractionsaveclesautresdimensionsCettedimension« Contraintesdetempsetd’espace »esttrèsenlienavecladimension« Maltraitanceinstitutionnelle » :celadépenddelamanièredontlasociétéetlesins-titutionscomprennentlarelationautempsetàl’espacedespersonnesensituationdepauvreté.Aussilesinstitutionsetlesadministrationsimposentleursproprescontraintesdetempsetd’espace.Parexemple,ellesfixentleurspropreshorairesenpensantquelespersonnesn’ontriendemieuxàfaire ;ellesleurfontperdredutempsdansdesdémarchesadministratives,dansl’attented’ouverturededroits.
La« maltraitancesociale »peutamenerlespersonnesàs’isoleretàneplussortirdechezelles,ànepasallerdemanderleursdroitsetànepaspouvoirfairedeprojets.
Ilyaunlienaussiavecladimension« Privationmatériellesetdedroits »,lecumuldedifficultésempêchantd’avanceretenfermantdansuncerclevicieux.Lemanquedemoyensmatérielsempêchedeseprojeter,desedéplaceraisément,etenfermedanslasurvieetlarecherchecontinuelledesolutions.
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Contraintesdetempsetd’espace »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »et« Maltraitanceinstitutionnelle » :
Absencedeprojets :« Nepasavoirtouslesmêmesdegrésd’information,deconnais-sancedescodesinstitutionnelsnepermetpasd’avoirsuffisammentderessourcespouravoirdesprojets. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Contraintesdetempsetd’espace »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »et« Compétencesacquisesetnonreconnues » :
Vivreaujourlejour :« Quandtuaspeud’argentpourvivre,tucalculescombientupeuxdépenserchaquejour.Parexemple,situasdixeurosparjour,tunedoispasdépenserplusdedixeurosparjour.C’estcomptersessous.Uncentime,c’estuncentime. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Contraintesdetempsetd’espace »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Peursetsouffrances »et« Maltraitanceinstitutionnelle » :
Nepaspouvoirseposer :« Nepasavoirunlieuàsoi,quandonesthébergéchezquelqu’un,onauneépéedeDamoclèssurlatête. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Contraintesdetempsetd’espace »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Maltraitanceinstitutionnelle »et« Compétencesacquisesetnonreconnues » :
Déployerbeaucoupd’énergie : « Fairebeaucoupdedémarchesquotidiennespourpasgrand-chose,àcausedelastructureadministrative. »(Groupedechercheursuniversitaires)
43
CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Cumul de soucis avec effets sur le rapport au temps / Rapport à la préventionVieillissement prématuré et espérance de vie réduite / Stades plus avancés dans la maladie au moment du diagnostic
Se sentir enfermé dans sa condition /
Incompréhension par la société du tem
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reste dans son coin
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Problèmes de mobilité / Difficulté de mettre
de l’argent de côté
Vivre au jour le jour / Être dans la survie /
Absence de sécurité pour le lendemain
Subir / Renoncer, se résigner
Avoir peur de l’imprévu / Peur du lendemain /
Absence de confiance en l’avenir
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
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MALTRAITANCE SOCIALE
ISOLEMENT
Lecture :Ladimension« Contraintesdetempsetd’espace »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeuxdimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespondàlacouleurdeladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma11.Interactionsentreladimension« Contraintesdetempsetd’espace »etlesseptautresdimensions
2.8.Compétencesacquisesetnonreconnues(issuesdel’expérience delapauvreté)Ladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »estdéfinieetdécritedansunpremiertemps,quelques-unesdesesmanifestionsconcrètes(caractéristiques)sontensuiteévoquées.Enfin,sesinteractionsaveclesautresdimensionsdelapauvretésontétudiées.
2.8.1.DéfinitionetdescriptionCesontlessavoirsetlescompétencesquelespersonnesensituationdepauvretéontdéveloppéspoursurvivreetrésisteràlapauvreté.Cenesontpasseulementdescompé-tencesindividuelles,maisaussicellesqu’ellespeuventapporteràlasociétécollective-mentetquinesontpasreconnuesaujourd’hui,commeparexempleladébrouillardise.
44
COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
Discussiondel’équipederechercheàproposdeladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues(issuesdel’expériencedelapauvreté) »
Unediscussionaeulieuautantdansl’équipederecherchequ’aveclesreprésentantsdesdifférentsgroupesdepairs(sessiondecroisementdessavoirs,octobre2017),afindesavoirsicettedimensiondecompétences(dite« positive »)devaitêtregardéecommeunedimensionàpartentière.Leschercheursuniversitairesnotaientquelescaracté-ristiquespositivesdelapauvretéétaientrépartissablesdanstouteslesdimensions.Ilsontconstatéqueçapouvaitêtreunefaçondemontrerl’aspectsystémiquecompriscommeuneambivalenceentrele« négatif »etle« positif »delapauvreté.Lespersonnesayantl’expériencedelapauvretéontdéfendul’idéed’enfaireunedimensionàpart :
« Lapauvretén’apasquedesdimensionsnégatives.Onnousconsidèreparfoiscommedesmoinsquerien,maisonaaussideschosesàapporter,onvautaussiquelque chose. On se sent souvent inutile à la société mais on peut être utile en apportantnotresavoiràd’autrespersonnes.Onadeschosesàdire,onaaussiuneintelligence. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
« Ilfautmettrelepositifàpart.Sinon,c’estconfus,onmélangelespointsdevueetleslogiques. »(Sessiondecroisementdessavoirs,octobre2017)
Unargumentsupplémentaireétaitdedirequebienidentifiercescaractéristiques« positives »,àtraversunedimensionspécifique,permettraitdes’appuyersurcessavoir-faireetsavoir-êtrepourcombattrelapauvreté.
« Cescompétencespeuventêtreunsupportpourlasuitedelarecherche,ensebasantsurcequiestvécu,celapeutêtreunpointdedépartpourvoiroùagirpouréliminerlapauvreté. »(Sessiondecroisementdessavoirs,octobre2017)
Lorsdelasessiondecroisementdessavoirs,lavolontéd’enfaireunedimensionaétéquestionnée :Est-cejusteunbesoindevalorisationdespersonnespauvres ?Est-cequelescaractéristiquesnomméessontdéveloppéesenréponseàlapauvretévécue ?
« Onacherchécescompétences-làetc’estcompliquédesavoirsicesontdescom-pétencesacquisesdanslapauvretéouest-cequec’estjustequ’ondéfenddesvaleursparcequ’onveutmontrerautrechosedespauvres ?Cesontdescaractéristiquesefficientes,onnepeutpasdirequ’ellesn’existentpas,c’estunfait,cen’estpasjustedubonsentiment.Onpeutdirequelapauvretérenforcecertainescompétences. » (Sessiondecroisementdessavoirs,octobre2017)
« Cen’estpaspourdonnerunecouleurroseauxgensquiviventdanslapauvreté,pourdirequec’estbien.C’estcommeça,ilsontcescaractéristiques-là,ilfautentenir compte comme les autres caractéristiques qui seraient neutres. Ce n’est pas parcequ’onaenvied’êtregentilqu’onatrouvécescaractéristiques-là.C’estparcequ’ellessontlà. »(Sessiondecroisementdessavoirs,octobre2017)
Àlasuitedecesdifférentséchanges,l’équipederechercheadoncdécidédegarderles« Compétencesacquisesetnonreconnues »commeunedimensionàpartentière.
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Lessavoir-fairedéveloppésparlespersonnesensituationdepauvretépeuventser-vird’exemple,notammentdansuncontexteoùlemondecherchedesalternativesauchangementclimatique.Cescompétencespeuventdevenirdescontributionsutilesàlasociétéetaumonde.
« La situation de pauvreté favorise le développement d’alternatives (débrouille, potager, troc, glanage17, etc.) et de compétences, de capacités à faire d’une difficulté une force (mobilisation, résilience, abnégation). Cette situation peut parfois être une forme de développement personnel. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexterural)
« Moi, quand j’ai de vieux habits, j’en refais d’autres dedans. Je me débrouille comme cela. Quand on n’a rien à manger, je fais des gâteaux avec les moyens du bord. Je fais des légumes dans mon jardin. On se débrouille comme on peut. Système D, quoi. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« J’allais glaner aussi dans les champs. Quand les tracteurs venaient de passer, j’allais glaner pour trouver à manger à mes poulailles. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« Même si on a cette difficulté-là, j’ai trouvé un moyen de la dépasser. Je ne peux pas la combattre pour l’instant, comme je n’ai pas les moyens financiers. Mais mon engagement associatif à la JOC m’épanouit et me donne des compétences, des clés, du soutien. Mon engagement syndical me permet de pousser des coups de gueule et d’agir. » (Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
« Pour m’en sortir, pour pouvoir acheter le repas, je récupère des sacs plastiques que je ramène aux magasins. Cela me donne des points sur ma carte du magasin. J’en parle aussi à d’autres pour qu’ils fassent pareil. Cela protège aussi la planète. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
2.8.2.Lescaractéristiques(manifestationsconcrètes)Cescaractéristiquesmontrentdesmodesd’organisationpourfairefaceauxdifficultés.
Tableau 8.Quelquescaractéristiquesdeladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues », classéespardomaines
Domaine Quelquescaractéristiques
Organisation face aux privations Débrouillardise –Récupération –Recyclage –Glanage –Ingéniosité
Solidaritédansl’épreuve Mieuxcomprendrelesautresquisontendifficulté –Partage etgénérosité –Entraide –Secréerdesréseauxdesolidarité
Combat Forcefaceàl’adversité –Combativité –Résister – Sebattre –Lutter –Persévérance
Organisationfaceauxpréjugés Sefondredanslamasse –Stratégiespourparaîtremoinspauvre
Engagement Forcedel’engagement –Êtredevenubénévole –L’unionfaitlaforce
17Glaner :recueillircequirestedansleschampsenfinderécolteoudemoisson,lesinvendusàlafindesmarchés...
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
2.8.3.InteractionsaveclesautresdimensionsCettedimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »estenlienavecladimen-sion« Privationsmatériellesetdedroits » :lespersonnesdéveloppentdescompétencesfaceauxprivationsvécues,ellesdoiventsebattrepourleursdroitsetlutterpournepastomberdansunedépendancequiprivetotalementdeliberté.
Enlienavecladimension« Maltraitancesociale »,ellesdoiventluttercontreleregardnégatifdelasociétéetlesinjonctionsinstitutionnelles.Pouréviterlastigmatisation,ellescachentleurpauvreté,etcelanécessiteungrandeffort.
Lespersonnesrésistent,continuentàavancer,encherchantperpétuellementdesso-lutions,notammentpourgagnerdescombatsdansl’accèsauxdroits,parexemple,etpourleursenfants(dimension« Contraintesdetempsetd’espace »).Commepourtouslesparents,lesenfantssontunmoteur,maisl’énergiedéployéeestlàconsidérable,tantlesobstaclessontnombreux.
Enlienavecladimension« Peursetsouffrances »,ellesdoiventaussicombattreleurspropressouffrances,pouréviterqu’elleslesparalysent.Celarejointl’idéedecombat.
Exemplesd’interactionsaveclesautresdimensions :• Liensentreladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »etlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »et« Peursetsouffrances » :Onapprendàgérersonbudget :« C’estdifficiledegérersonbudgetcar,quandiln’yapas,iln’yapas.Onapprendàfaireattention.Etonseprivesurcertaineschoses,lespetitsplaisirs.Onsepassedeschosesinutiles. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexterural)
• Liensentreladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »etlesdimen-sions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Peursetsouffrances »et« Maltraitanceinstitutionnelle » :Sebattre :« C’estnepasbaisserlesbrasmalgrélasouffranceoulafamine,lafatigue.C’estnepasêtreparalysémalgrélesdémarchessansréponses.C’estnepasêtresourde,nepasêtremuette,malgrélesquestionssansréponsesoulesrefus.C’estcontinuerlecombat. »(Groupedepersonnesensituationdepauvreté,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Compétencesacquisesetnonreconnuesetlesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »,« Peursetsouffrances »,« Maltraitancesociale »et« Maltraitanceinstitutionnelle » :Sefondredanslamasse :« Ilyaunevolontédesedissimulerdanslapopulation.Lepauvren’apasenviequ’onluimetteuneétiquettedepauvresurlefront.Parexemple,lesAfghanssesontcollectivementrévoltésparrapportauxvêtementsqu’onleurdon-naitauvestiaire.Ilsontlesensdelamode,ilssontbienhabillés.Lesvêtements,c’estladignité,ilfautêtrereconnusocialement. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain)
• Liensentreladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »etlesdimensions« Maltraitancesociale »et« Maltraitanceinstitutionnelle » :Non-reconnaissancedessavoirs :« C’estlanon-reconnaissancedel’expériencedeviedespersonnesensituationdepauvreté.Onnereconnaîtpascetteexpériencecommeunesourcedesavoir,ellen’apaslamêmevaleurquelesavoirofficiel,formeletsanc-tionné. »(Groupedeprofessionnelspraticiens,encontexteurbain).
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CHAPITRE 2 : LA PAUVRETÉ EST MULTIDIMENSIONNELLE
Combattre pour maintenir l’existant / Force mentaleTout faire pour ne pas tomber maladeSe fondre dans la m
asse /
Non-reconnaissance des savoirs
Dévalorisation par les autres / Ne pas
pouvoir faire entendre sa voix
Parc
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tsFaire avec ce qu’on a / Devoir faire plus
d’efforts pour réussir
Recyclage, récupération / Débrouillardise,
système D
Devoir lutter pour garder sa dignité /
Surmonter les épreuves
Effort permanent / C’est plus difficile
de rester fidèle à ses valeurs
PEURS ET
SOUFFRANCES
COMPÉTENCES ACQUISES
ET NON RECONNUES
PRIVATIONSMATÉRIELLESET DE DROITS
DÉGRADATION DE
LA SANTÉ
MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLE
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MALTRAITANCE SOCIALE
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CONTRAINTES DE TEMPS
ET D'ESPACE
Lecture :Ladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »estreprésentéedanssesliensaveclesseptautresdimensions.Entredeuxdimensions,sontreprisesquelquescaractéristiquesdeliens.Lacouleurdescaractéristiquescorrespondàlacouleurdeladimensiondelaquelleellesproviennent.Ladoubleflèchemontrelaréciprocité.
Schéma12.Interactionsentreladimension« Compétencesacquisesetnonreconnues »etlesseptautresdimensions
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3MÉTHODOLOGIE ET PROCESSUS DE RECHERCHE
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CHAPITRE3:MÉTHODOLOGIEETPROCESSUSDERECHERCHE
Cechapitreprésenteladémarcheemployéedanslarecherche,touteslesétapesduprocessusquiadurédeuxansetdemi,ainsiquelesoutilsutilisésetdesdétailssurlesgroupesdepairsconstitués.Quelqueslimitesdelaméthodologieemployée
sontabordées.
3.1. Lecroisementdessavoirsetdespratiquesavecdespersonnes ensituationdepauvreté©
Lecroisementdessavoirsetdespratiquesavecdespersonnesensituationdepauvreté(« croisementdessavoirs »parlasuite)estunedémarche18visantàcréerlesconditionspourquelesavoirvenantdel’expériencedespersonnesensituationdepauvretépuissesebâtiretentrerenrelationaveclessavoirsacadémiquesetprofessionnels,afindeproduireuneconnais-sanceetdesméthodesd’actionpluscomplètesetinclusivespourluttercontrelapauvreté.
Cettedémarchepartduconstatquelesavoirissudel’expériencedelapauvretéestrarementprisencompteetquedenombreusesasymétriesexistententrelesavoirdespersonnesayantl’expé-riencedelapauvreté,d’unepart,etlesavoirdesprofessionnelsetdesuniversitaires,d’autrepart.
Surlabasedececonstat,ladémarcheducroisementdessavoirsproposeunepédagogievisantàpermettreàchacund’exprimersapenséeetàl’ensembledemeneruneréflexioncommune.
Cettepédagogiereposesurlespostulatssuivants :toutsavoiresttoujoursenconstruction,toutepersonnedétientunsavoiret,enfin,c’estlecroisementdecessavoirsquiproduitdesconnaissancespluscomplètesetplusfidèlesàlaréalité.
Pourparveniràmettreenœuvrececroisementdessavoirs,desconditionsdoiventêtrerespectées.Parmicelles-ci,ilyalefaitqu’alternentdesmomentsderéflexionindividuelle,degroupedepairsetdecroisementdessavoirs.Danslesdeuxpremierstemps,chaqueparticipantetchaquegroupepartageantunemêmesourcedesavoir– académique,pro-fessionneletissudel’expériencedelapauvreté –bâtitsonpropresavoir.Ilestensuiteconfrontéàceluidesautres,lorsdesmomentsdecroisementdessavoirs.
Uneautreconditionestdefaireuntravailautourdesreprésentationsdesunsetdesautressurlesujetabordé.Lebutestdepermettredeprendreconsciencedesespropresreprésentationsetdecellesdesautres,deréaliserquel’expériencepersonnelleinfluencesamanièredevoiretd’entrerenrelationavecl’autre.C’estunemanièredefaireconnaissanceetdecommenceruntravailcoopératifendécouvrantlespremièresconditionsquipermettrontledialogue.
Desanimateurscontribuentàfacilitercesmomentsd’échangeenfavorisantl’adoptiondeposturesouvertesetcritiquesdesparticipantsàl’égarddeleurpropresavoir.Unani-mateurquial’habitudedefaireuntravailderéflexionavecdespersonnesensituationdepauvretélesaccompagneenamontetenavaldesrencontrespourleurpermettredeconsoliderleurpropresavoir,sansjamaissesubstitueràelles.Unsoutienpourlespro-fessionnelsetlesuniversitairesestaussinécessairepourleurpermettrederéussiruncroisementdessavoirs,carilsn’ontpasnonplusl’habituded’unteltravail.
Ilestégalementimportantdegarantirlaconfidentialitédesparolesetdesécritspro-duitslorsduprocessusdecoconstructionpourpermettreàchacundes’exprimersanscraintes.Ilfautégalementrespecterdesvaleursliéesaudialogueentrelespersonnes :écouteactive,respectdelaparoledel’autre,disponibilitéàadopteruneposturecritique…
Surlabasedecespostulatsetenrespectantcesconditions,lamiseenœuvredecettedémarchedanslecadreduprogrammederecherchesurlesdimensionsdelapauvretéaconduitl’ensembledesmembresdel’équipederechercheenFranceàseplacerdansunepositiondecochercheursetàparticiperàtouteslesétapesduprocessusderecherche.
18 Surlesiteinternet :www.atd-quartmonde.fr/nos-actions/action-pour-lacces-a-la-parole/le-croisement-des-savoirs-et-des-pratiques-3/ Charteducroisementdessavoirs :www.atd-quartmonde.org/wp-content/uploads/2015/07/Charte-du-Croisement-des-savoirs-ATD-Quart-Monde.pdf
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
Laparoledespersonnesensituationdepauvretéétait,àlafois,lepointdedépartetlefilconducteurdeladémarche.C’estàpartirdecepointdevueetdecetteexpériencequel’oninterrogelesconceptsdesautresacteurs.Ils’agitdefaireunevraieplaceàcequipeutdonnerunéclairagenouveau,afinquelecroisementdessavoirsproduisedenouvellescompréhensionsetdessavoirsbienpluscomplets.C’estpourquoi,parexemple,l’équipeachoisidenepasétudierendébutderecherchelestravauxexistantsafindenepasêtreinfluencée.
3.2. LesétapesduprocessusenFrance
3.2.1. Constitutiondel’équipederecherchenationaleLorsduderniertrimestre2016,l’équipederechercheenFranceaétéconstituée :quatrepersonnesayantl’expériencedelapauvreté,militantsQuartMonde19 ;quatrepersonnestravaillantdansledomainedelarecherchesurlapauvreté(socio-économie,anthropologieetstatistiques) ;quatrepersonnesagissantdansdesassociationsoudesstructuresd’accompagnementindividueloucollectif.Lepremiermoduledelarecherches’estdérouléentrejanvieretmars2017 :l’équipeaprisletempsdeseconnaître,detesterlesdiffé-rentsoutilssuggérésparl’équipedepilotageinternationaletdeconcevoirlarechercheenFrance.
Cetteéquipes’estretrouvéepourdessessionsdetravailsurtrente-cinqjournéesendeuxansetdemi,sanscompterlesséancesdepréparationindividuelleetdegroupes.
Parmilesdouzepersonnesdel’équipederecherche,quatreontassurélacoordinationetl’animation.Ils’agissaitdedeuxchercheursuniversitairesetdedeuxvolontaires-per-manentesd’ATDQuartMondeformésàl’animationdeladémarcheducroisementdessavoirs.Effectivement,pourêtrecochercheursensemble,celanécessiteunepréparationspécifiquedesséancesdetravail,enréfléchissantàl’organisationdesjournées,àlaplacedechaquesourcedesavoirs,auxoutilsutilisésetautravailpréalabledemandéàchacun.
CesquatrepersonnesétaientaussienlienavecleComitédepilotageinternationaletavecunComitédeconseilfrançais20composéd’universitaires,depraticiensetderepré-sentantsd’organismesetd’institutions.
3.2.2. LetravailderecherchePourmobiliserlesdifférentssavoirs,toutesleséquipesderecherchenationalesontmisenplacedesgroupesdepairsdesixàhuitpersonnesayantlamêmesourcedesavoir :savoirduvécu(expériencedelapauvreté),savoird’action(professionnels)etsavoiracadémique(chercheursuniversitaires).EnFrance,pourmettreenplacecesgroupesdepairs,l’équipederechercheafaitappelàsesréseaux.
Lespersonnesensituationdepauvretéontétérejointesàtraversuneassociationaveclaquelleellesétaientenlien,quecesoitleMouvementATDQuartMonde,l’associationdesCentresSocio-Culturelsdes3citésàPoitiers,leSecoursCatholique–CaritasFrance,laJeunesseouvrièrechrétienne(JOC),« BougetaGalère »àMulhouseoulesPetitsFrèresdespauvresdanslaNièvre.
Lesprofessionnelsontétémobilisésviadesassociationsouinstitutions :associationsdeluttecontrelapauvreté,d’accompagnementdemigrants,d’insertionprofessionnelle,d’accompagnementaulogement,deprotectiondel’enfance,d’accompagnementsocialetéducatif,centresSocio-Culturels,servicesdeconseilsdépartementauxetcommunaux...
19LesmilitantsQuartMondesontdespersonnesquiviventouontvécuensituationdepauvretéetquichoisissentderejoindreATDQuartMondepourapporterleurréflexionetleurexpérienceetquis’engagentactivementàrechercheretàsoutenirdespersonnesencoreplusdémunies.
20Voirlalisteenannexe 3.
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CHAPITRE3:MÉTHODOLOGIEETPROCESSUSDERECHERCHE
Encequiconcernelestroisgroupesd’universitaires,deuxontétéorganisésparlescher-cheursuniversitairesdel’équipe :ungroupemultidisciplinaireàl’InstitutcatholiquedeParisetungroupedechercheurstravaillantdanslechampdelagéographieetdelasanté.Untroisièmegroupeaétéorganisédirectementparl’équipederecherchequiamobilisédeschercheursenraisondeleursspécialités.Eneffet,certainsd’entreeuxétaientspé-cialisésdanslapauvretéenmilieurural,d’autresdansl’éducation,letravailsocial,lesindicateursdepauvreté,desgroupesparticuliersdepersonnesensituationdepauvreté…
D’avrilàseptembre2017,l’équipederechercheaorganisélesdixpremiersgroupesdepairspourréfléchiràlapauvretéenmilieuurbaindespersonnesenâgedetravailler :cinqgroupesaveclesavoirduvécu,deuxgroupesaveclesavoird’actionettroisgroupesaveclesavoiracadémique.Chaquegroupedepairss’estréunientreuneetdeuxjournéesetdemie,etilaécritsonproprerapport.Danscesens,lesparticipantsauxgroupesdepairsn’ontpasété« objets »mais« sujets »derechercheetontdoncapportéleurana-lyseetleursavoiràcetterecherche.Danscecadre,lapersonnen’estpasunesourcededonnéesmaisunesourcedesavoir.
2017Construction
du plande recherche Groupes de pairs
Synthèse
Session de croisement
des savoirs
Rapportintermédiare
Séminaire international
Évaluationà mi-chemin
Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre
Synthèse des militants
Chaque groupe de l’équipe de recherche (militants, professionnels et chercheurs universitaires), lit les rapport de ses pairs, analyse et écrit une synthèse avec de nouvelles dimensions.
Synthèse des douze rapports
Session de croisement des savoirs avec des délégués des groupes de pairs
Premier rapport
intermédiaire
Synthèse des professionnels
Synthèse des chercheurs universitaires
Travail sur les synthèses en croisement des savoirs, pour ne faire qu’une seule liste de dimensions
Travail sur la synthèse
Schéma13.Étapesduprocessusd’analyseetd’écrituremenéparl’équipederechercheàpartirdesrapportsdesgroupesdepairs
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COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
Dansunpremiertemps,lestroisgroupesdesavoirdel’équipederecherche(personnesayantl’expériencedelapauvreté,professionnelsetchercheursuniversitaires)ontfaitlasynthèsedesgroupesdepairsaveclamêmesourcedesavoirquelaleur.Celaadonnélieuàtroissynthèsesdistinctes.Ensuite,untravailencroisementdessavoirs,àl’intérieurdel’équipederecherche,apermisd’établiruneseulelisteuniquedesdimensionsdelapauvreté.Aprèsavoirfaituneseulesynthèsedesdouzerapports,l’équipederecherches’estréunie,enoctobre 2017,avecdesreprésentantsdesdouzegroupesdepairspourunepremièresessiondecroisementdessavoirs.Aprèsprésentationdelasynthèsedesrésul-tatsparl’équipederecherche,legroupeatravaillédesquestionssoulevéesparl’équipederechercheetpardesreprésentantsdesgroupesdepairs.Celaapermisàl’équipederecherched’écrireunpremierrapportintermédiairesurlapauvretéenmilieuurbain.
Surlabasedesonpremierrapportintermédiaire,l’équipederechercheapréparéunséminaireinternationaletyaparticipé,ennovembre2017,avecdesdélégationsdessixpaysparticipantàlarecherche :Bolivie,États-Unis,Royaume-Uni,France,TanzanieetBangladesh.L’objectifétaitdedialoguersurleprocessusderechercheetdepartagerlespremiers résultats nationaux. Ce séminaire est venu questionner et enrichir le travail enFrance.
Endécembre2017,l’équipederechercheaprisuntempsd’évaluationafind’adapteraubesoinlaméthodologieetdedéciderlasuitedelarecherche.
Àlasuitedel’évaluation,ilaétéremarquéquelarechercheavaitmoinsrejointdesper-sonnesquiontl’expériencerécentedelamigrationetplusjeunes(20-40 ans).L’équipeadoncmisenplaced’autresgroupesdepairsenmilieuurbain.
Parallèlement,l’équipeaorganisédesgroupesdepairsdansdeuxterritoiresruraux :leSambre-Avesnois,dansleNord,etlaNièvre,enBourgogneFranche-Comté.
Aprèsavoirfaitunesynthèsecomplétéeenmilieuurbainparlesnouveauxgroupesdepairsetunesynthèsedesgroupesdepairsenmilieurural,l’équipederechercheaorganisé,enjuillet 2018,unesecondesessiondecroisementdessavoirsavecdesreprésentantsdesdixgroupesdepairsdecettesecondevague,afindeprésenterlasynthèseetdecroiserlessavoirssurcertainesquestionsprécisesissuesdel’analysedestravauxouformuléesparlesreprésentantsdesgroupesdepairs.
Parexemple,lesreprésentantsdesgroupesdepairsontinterpellél’équipederecherchesurl’absencedesdimensions« Travail »et« Éducation »danslerapportintermédiaire.L’équipederechercheapuconfirmerqueladimension« Éducation »n’étaitpresquepasapparuedanslesrapportsdesgroupesdepairsenmilieururaletqueladimension« Travail »n’étaitpresquepasapparuedanslesrapportsdesgroupesdepairsenmilieuurbain.L’éducationetletravailétaientévoquésparlesgroupesdepairsdansleuraspectd’« accèsauxdroits »– droitàl’éducation,àuntravaildécent,àlaformation,etc. –ouencorepoursignalerunemiseenœuvredecesdroitsgénérantunemaltraitanceàl’égarddesdestinatairesdeceux-ci– parexemple,lefaitdesubirdesformationsquineconduisentpasàunemploi.Finalement,l’équipederechercheadécidéd’inclurecesthématiquesdanslesdimensions« Privationsmatériellesetdedroits »et« Maltraitanceinstitutionnelle »,selonlescaractéristiquesdéfiniesparlesgroupesdepairs.
2018Synthèse
Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre
Rapportintermédiaire
Session de croisement
des savoirsSéminaire
internationalGroupes de pairs
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CHAPITRE3:MÉTHODOLOGIEETPROCESSUSDERECHERCHE
Unautreexempleconcernelelogement.Lasessiondecroisementdessavoirsaétél’occasionpourl’équipederecherchededemanderauxreprésentantsdesgroupesdepairssilathématiquedulogementétaitimportanteenmatièredepauvretécarelleapparaissaitdansdescaractéristiquesmaispascommedimension.Laréponsefutaffirmative.Ilaétéconstaté,lorsdececroisementdessavoirs,quelelogementaffectetouteslesfacettesdel’êtrehumainetquelaquestionn’estpasseulementd’avoiroudenepasavoirunlogement.Unedescoordinatricesdel’équipederechercheasynthétisécelaendisantquelelogementaffectelerapportàsoi,auxautres,autempsetàl’espace.Tellesqu’évoquéesparlesgroupesdepairsdansleursrapports,lescaractéristiquesenlienaveclelogementontétérépartiesdansdifférentesdimensions.Parexemple :lenon-accèsoulemanquedelogementdécentdansles« privationsmatériellesetdedroits »,l’espacecontraintouladifficultédeseprojeterquandonestsans-abridansles« contraintesdetempsetd’espace »,lapeurd’êtreexpulsédansles« peursetsouffrances »,lemanquedelogementssociauxoul’attentepouraccéderaulogementdansla« maltraitanceinstitutionnelle ».
Àlasuitedecettesecondesessiondecroisementdessavoirs,l’équipederechercheaécritunsecondrapportintermédiaire.
Enseptembre 2018,undeuxièmeséminaireinternationals’esttenuàVillarceaux,enFrance.Ilaréunidesdélégationsdessixpaysparticipantàlarecherche.Àpartirdessixrapportsintermédiairesnationaux,ilaétécherché,encroisementdessavoirs,quellesétaientlesdimensionscommunesauxsixpays(voirzoominternationalenannexe1).
L’équipederechercheaaussisouhaitérencontrerdespersonnesextérieures,afindedia-logueravecellessursesrésultatsintermédiaires.Elleaainsirencontré,enfévrier 2018,VincentDivoux,directeurdel’associationdesCentresSocio-Culturelsdes3Cités,etBertLuyts,volontaire-permanentd’ATDQuartMonde,déléguéàl’Unioneuropéenne.
Delamêmefaçon,ellearencontré,enmars 2018,NicolasDuvoux,chercheurensociologieàl’UniversitéParisVIIIVincennesSaint-Denis.
Enmai 2018,l’Universitépopulaired’ATDQuartMonded’Île-de-Franceaétél’occasiondeprésenterdesrésultatsprovisoiresetdedialogueravecdespersonnesensituationdepauvreté.Àlafindeceprocessusd’échangeavecdespersonnesextérieures,l’équipederechercheavaitunerelecturedesontravailparlestroistypesdesavoirs,issusdel’expériencedelapauvreté,desprofessionnelsetdechercheursuniversitaires.
Début2019,l’équipeapoursuivil’analysedutravaildesgroupesdepairsetanotammentdavantagecreusélaquestiondesinteractionsentrelesdimensions,questionsoulevéelorsdelasecondesessiondecroisementdessavoirs(juillet2018).Elleaaussidébutélacoécrituredesonrapport.Elleabrièvementabordélaquestiondesmesuresdelapauvretésurlabasedesrésultatsdesarecherche.ElleaainsireçuIdesNicaise,économisteetchercheuràl’institutHIVA(ResearchInstituteforWorkandSociety,UniversitédeLouvain,Belgique).Cetravailn’estpasallétrèsloinauniveaudesmesuresmaisapermisd’affinerencorepluslesrésultatsdelarecherche.Unedélégationdel’équipeétaitaussiprésenteàl’UniversitépopulaireQuartMondeeuropéenneàBruxelles,tenueauParlementeuropéenenfévrier2019,etapudialogueravecdesreprésentantsd’Eurostat21.
21EurostatestlaDirectiongénéraledelaCommissioneuropéennechargéedel’informationstatistiqueàl’échellecom-munautaire.Elleproduitlesstatistiquesofficiellesdel’Unioneuropéenne.
2018/2019Analyse et début
de l’écriture du rapport
Université populaire
Quart Monde européenne
JanvierDécembreNovembre Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre
Travailsur les
mesuresRestitution des
résultats auxgroupes de pairs
Séminaire international
à l’OCDE Publicationdu rapport
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COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
Enmai,l’équipederechercheaparticipéauséminaireinternational,ainsiqu’àlaconférencedeprésentationdesrésultatsinternationauxàl’Organisationdecoopérationetdedéve-loppementéconomique(OCDE).
Enjuin,l’équipederechercheaorganiséunévénementderestitutiondesrésultatsdesarechercheauxparticipantsdetouslesgroupesdepairsayantparticipéàcelle-ci.
Àlasuiteduséminaireinternational,l’équipederechercheafinalisésonrapport(voirleparagraphe 3.2.3).
3.2.3. AnalyseetécrituredurapportfinalL’équipederechercheadoncanalysélesrapportsdesgroupesdepairs,complétésonanalyseàpartirdedeuxsessionsnationalesdecroisementdessavoirs,participéàtroisséminairesinternationauxetrencontrédespersonnesextérieuresàlarecherche.Aprèstoutcetravail,ilétaitclairquelerésultatdelarecherchen’étaitplusseulementunelistededimensionsdelapauvreté.Lesinteractionsentrelesdimensionsétaientévidentesetimposaientunenouvelleapprochedelapauvreté.
Pourmettredesmotssurcettenouvelleapproche,l’équipederechercheaprisletempsd’écrirecequiétaitpourellelemessageprincipal,lerésultatprincipaldelarecherche.Ceprocessusdecoécritureaétéfaitselonlesétapessuivantes :• Écritureindividuelle :chaquemembredel’équipeaécritcequiétaitpourluilemessageprincipalàfaireconnaîtreàlasuitedestravauxderecherche.
• Écriturecollectivepargroupesdesavoirs(savoird’expérience,savoird’actionetsavoird’étude) :chaquegroupeaécrituntextecollectif.
• Découvertedestroisécritspartous.• Travailpoursemettred’accordsurlesélémentsetlastructuredumessage.• Écrituredutexteparunpetitgroupe.• Relectureindividuelleetcollectivedumessage,aveccorrectionsetvalidation.
C’estàlafindeceprocessusdecoécriturequel’équipeapumettredesmotssurcequiétaitpourellelerésultatleplusimportantdelarecherche :« Toutestlié,rienn’estfigé.Uneapprochesystémiquedelapauvreté. »
Afindefaciliterlacompréhensiondesonmessage,l’équipederechercheaaussitravaillésurunexempleafindel’illustrerconcrètement.Cetexempleesttirédel’expériencedespersonnesensituationdepauvretéetpermetd’observerlesliensetlesinteractionsquiexistententrelesdifférentesdimensionsdelapauvretédanslaviequotidiennedecespersonnes.
Ilestimportantdesignalerque,lorsdecettephasefinale,laconfiancequis’étaitcrééeauseindel’équipeapermisdetravaillerengroupesmixtes,etdetailleréduite,entrechercheursuniversitaires,professionnelsetpersonnesayantl’expériencedelapauvreté.
3.2.4. CompositiondesgroupesdepairsL’équipederechercheadonctravailléavecvingt-deuxgroupesdepairs,selonlarépartitionsuivante :
Tableau9.Répartitiondesgroupesdepairsparsourcesdesavoirs
Personnesensituationdepauvreté
Professionnels Chercheursuniversitaires Total
Nombredegroupes 12 6 4 22
Nombredepersonnes 79 41 29 149
Pourcequiestdesgroupesdepairsdepersonnesensituationdepauvreté,environ40 %desparticipantsétaientdeshommeset60 %desfemmes.Lamajoritédespersonnes
55
CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ET PROCESSUS DE RECHERCHE
étaientenâgedetravailler.Quelquespersonnesavaientunâgeassezavancé(75à90 ans),surtoutdanslesgroupesruraux,etquelquesjeunesadultes(moinsde25 ans)ontparti-cipé à la recherche.
Laplupartdespersonnesétaientsansemploi,quelques-unestravaillaient.Certainespersonnesontconnudespériodesdevieàlarue,d’autresnon.Danslesgroupesurbains,ilyavaittroisgroupesdepersonnesayantuneexpériencerécentedelamigration,avecousansstatutadministratif.
Encequiconcernelessixgroupesdeprofessionnels,quatretravaillaientenmilieuurbainetdeuxenmilieurural.Ilyavaitàlafoisdesprofessionnelsquiétaientdansl’accom-pagnementindividueletd’autresdansuntravailcollectif.Différentschampsdetravailétaientreprésentés :accompagnementadministratifetjuridique,éducation,pouvoird’agir,travailsocial,médiation,alphabétisation,protectiondel’enfance,insertionsocialeetprofessionnelle,protectiondesmajeurs...
Encequiconcernelestroisgroupesdechercheursuniversitaires,différentesdisciplinesétaientreprésentées :lasociologie,l’économie,lagéographie,lamédecine,lessciencesdel’éducation,l’histoire,l’anthropologieetlaphilosophie.Ungroupedejeunesétudiantsdeniveaumaster 1ou2(actioninternationale,développementlocal,communication)ont aussi composé un groupe.
LesgroupesdepairsonteulieudanslarégionÎle-de-Franceetdanslesvillessuivantes :
LILLE232 440 hab.
MAUBEUGE29 680 hab.
FOURMIES12 120 hab.
METZ117 890 hab.
NANCY104 590 hab.
MULHOUSE109 000 hab.
COSNE-COURS-SUR-LOIRE10 100 hab.
SAINT-BENIN-D’AZY1 300 hab.
PRÉMERY1 850 hab.POITIERS
87 960 hab.
ÎLE-DE-FRANCE12 117 000 hab.
Schéma14.Répartitiongéographiquedesgroupesdepairs
Lecture :Localisationdesgroupesdepairsdanslesvillesdontlenombred’habitantsestindiqué(source : Insee,2016).
56
COMPRENDRE LES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ EN CROISANT LES SAVOIRS
3.2.5. OutilsderechercheLesgroupesdepairsont,àchaquefois,étéaniméspardeuxmembresdel’équipederechercheetilsonttravailléenquatreétapes :
• Lesblasons :chacunréfléchitindividuellementàuneexpériencequiluiaapprisquelquechosedelapauvretéetladessineaucentred’unblasonreproduitsuruneaffiche.Àgauche,ilécritcequecetteexpérienceluiaapprissurlapauvretéet,àdroite,unequestionqu’ilseposesurlapauvreté.Chacunprésentesonblasonauxautresetlegroupeéchangesurcequilesétonne,surcequ’ilsvoientencommun…
• Lebody-mapping :chacunexprimesurunesilhouettedessinéecequelapauvretéfaitsurlecorps,surlatête ;cequelespauvresvoient,entendent,ressentent...Puis,endemi-groupe,àtroisouquatre,ilsconstruisentunesilhouettecollectiveetlaprésententàl’autredemi-groupe.
• Lescaractéristiquesetlesdimensions :àpartirdesexercicesprécédents,legroupenommedescaractéristiquesdelapauvreté(oudesmanifestationsconcrètesdelapau-vreté :« Lapauvreté,c’est... »)pourensuitelesregrouperetformerdesdimensions.
• L’écriturecollectivedurapport :chaquegroupedepairsécritunrapportavecuneintroduction,unelistededimensions,unedéfinitiondecesdimensions,unelistedecaractéristiquespourchacunedecesdimensionsetuneconclusionaveclesréflexionsetquestionsdugroupe.
Chaquegroupes’estrencontréentreunejournéeentièreetcinqdemi-journéesetaréaliséunrapportquirendcomptedesrésultatsdeleursréflexions,avec :• Leurlistedesdimensionsdelapauvreté ;• Ladéfinitiondechaquedimension ;• Lescaractéristiquesdechaquedimension.
3.2.6. LeslimitesdelarechercheConcernant les groupes de pairsLalimitepropreàtoutedémarchequalitativeestsanon-représentativité.L’objectifdanslarechercheétaitd’obtenirlaplusgrandediversitédesavoirssurlapauvretéet,plusparticu-lièrement,laplusgrandediversitédesituationsdepauvreté.Lepoidsrespectifdechaquegroupe(selonlegenre,l’âge,lasituationprofessionnelle)n’étaitpasrespecté,niajusté.
Concernantlessavoirsacadémiques,unegrandepartiedesdisciplinesuniversitairesquitravaillentsurlapauvretéétaientreprésentées.Ilestàsignalerlepeudedisponibilitédeschercheursuniversitairesdecesgroupesqui,pourlaplupart,n’ontpasputravaillerau-delàdedeuxàtroisdemi-journéesetontpeuparticipéauxsessionsdecroisementdessavoirs.
Concernantlesprofessionnels,cesontessentiellementdestravailleurssociaux.Ilauraitétéutileetenrichissantd’incluredesprofessionnelsamenésàrencontrerfréquemmentdespersonnesensituationdepauvreté,telsquedesenseignants,dessoignants,despersonnelsmédico-sociaux(PMI,auxiliairesdevie,assistantesma-ternelles,personnelsadministratifsdesCAF,etc.),desjugesdedifférentesinstancesoujuristes(danslecadredescommissionsdesurendettement,demisesoustutelle,deplacementd’enfants,etc.)…
Concernantlespersonnesensituationdepauvreté,lapremièrephased’organisationdesgroupesdepairsapuêtrecomplétéeenintégrantdessituationsinsuffisammentexplo-rées,tellesquedessituationsdemigration,ainsiquecertainestranchesd’âge(jeunesetpersonnesâgées).L’équipederecherchesouhaitaitréaliserdesgroupesdepairsavecdesenfantsmais,n’apaseuletempsdel’organiser.Celapourraitfairel’objetdetravauxcomplémentaires.
57
CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ET PROCESSUS DE RECHERCHE
Autotal,ilyaunediversitéentermesd’âge,degenre,desituationsprofessionnelles(chômeursetpersonnesquitravaillent),despersonnesensituationdehandicap,desfamillesetpersonnesisolées,depauvretérécenteouinstalléedepuisplusieursgénéra-tions,d’origines,despersonnesengagéesoumilitantes(dansdesassociationsdiverses)et quelques-unes ne participant à aucune activité collective. Les personnes ne parlant paslefrançaisn’ontpasparticipéauxgroupesdepairs.
Aller vers les plus invisibles, les plus exclusPourfaciliterl’organisationsurunterritoireetdansuntempsdonné,nousavonssollicitédesinstitutionsouassociationspartenairesquiontrecrutépournousdespersonnes.Laparticipationauxgroupesdepairsétaitbaséesurlevolontariat.Laparticipationestpar-ticulièrementdélicatepouruncertainnombredepersonnesexclues(honte,faibleestimedesoi,manqued’habitudedelaprisedeparole,problèmesdelangue).Ens’appuyantsurdesassociationspartenaires,nousavonspudiversifierlesparticipants,certainsmoinshabituésàlaprisedeparole,quiétaientrassurésquandilsétaientaccompagnéspardespersonnesrelaisconnuesd’eux(accompagnatricedanscertainesassociationsoumé-diateursocialdequartier).Celanousapermis« d’allervers »lesplusexclus(groupesdemigrants,personnesisoléessurleurterritoire,etc.).Pourautant,celarestedespersonnesparticipantauminimumàdesassociationsdequartierouàdesréunions.Certainssontdesmilitantsassociatifsquiontdéveloppédansletempsdescompétencesoralesouderegardcritiquesurleursituationousurl’organisationdelasociété.
Certainespopulationsnousontsansaucundouteéchappé,parexemplelesgensduvoyage.Cependant,ilfautrappelerquelespersonnesneréfléchissaientpasseulementàpartirdeleurpropreexpériencemaiss’appuyaientaussisurcelledeleursproches,deleursvoisins…
Concernant les outilsLechoixdesoutilsn’estpasneutre.Ainsilebody-mapping,unesilhouettecorporelle,apuinduireuneformedeconstructionsymboliqueautourducorpsquipeutapparaîtrerestrictive.Lespersonnesensituationdepauvretéontassezfacilementréussiàtraduireleurexpérienceautourdecetexercicealorsque,dansungroupedechercheurs,certainssesontlaisséenfermerdansunelogiquecorporelle,laissanttomberuneapprochespa-tialedelapauvretéqu’ilsavaientévoquédansl’exerciceprécédent(c’estnotammentlecasdesgéographes).
Ladémarcheparticipativedelarechercheferal’objetd’uneévaluationultérieureafindedéfinirsilessavoirsontpuréellementdialoguer,etdequellemanière.
58
CONCLUSION
L’objectifduprogrammederechercheparticipative,initiéparleMouvementin-ternationalATDQuartMondeetl’Universitéd’Oxforddanssixpays(Bangladesh,Bolivie,États-Unis,France,Royaume-UnietTanzanie),étaitdemieuxcomprendrelapauvretéau-delàdesadimensionmonétaire,afind’ouvrirdespistesdemesures
complémentaires nouvelles.
EnFrance,dansunpartenariatentreleMouvementATDQuartMonde, leSecoursCatholique–CaritasFrance,l’associationdesCentresSocio-Culturelsdes3citésàPoitiersetl’InstitutcatholiquedeParis,larechercheaétémenéeauprèsdevingt-deuxgroupesdepairs,encroisantlesavoirduvécudepersonnesayantl’expériencedelapauvreté,lesavoird’actiondeprofessionnelspraticiensetlesavoiracadémiquedechercheursuni-versitaires.L’originalitédelarechercheétaitlaprésencedansleséquipesderecherchenationalesdepersonnesayantl’expériencedelapauvreté.Eneffet,enFrance,l’équipeétaitcomposéededouzemembres,quatrepersonnespourchaquesourcedesavoirs.L’équipederechercheamobiliséladémarcheducroisementdessavoirsetdespratiquesaveclespersonnesensituationdepauvreté©.Ellepartduconstatquelesavoirissudel’expériencedelapauvretéestrarementprisencompteetquedenombreusesasymétriesexistententrelesavoirdespersonnesayantl’expériencedelapauvreté,d’unepart,etlesavoirdesprofessionnelsetdesuniversitaires,d’autrepart.Surlabasedececonstat,ladémarcheducroisementdessavoirsproposeunepédagogievisantàpermettreàchacund’exprimersapenséeetàl’ensembledemeneruneréflexioncommune.
UneapprochesystémiquedelapauvretéCetravailderechercheamisenévidenceuneapprochesystémiquedelapauvreté.« Toutestlié,rienn’estfigé » :lesdimensionsdelapauvretésontreliéesetinteragissent.Chaquedimensiondépenddesautreset,àlafois,chaquedimensionimpactelesautres.Lesdimensionsnedoiventpasêtreprisesencompteséparément.Cesinteractionsnesontpasdesrelationsdecauseàeffet,cequiestcausepeutdevenirconséquenceetinversement.Lelienprenduneformecirculaireplutôtquelinéaire.Puisque« rien n’est figé »,celaveutdirequ’onpeuts’ensortir :lapauvretén’estpasunefatalité.
Larecherchemontrequelaréalitédelapauvreténécessiteuneapprochequineséparepasl’individud’uncôtéetlasociétédel’autremaisqui,aucontraire,insistesurleursinteractionsdansl’analyseetlacompréhensiondelapauvreté.Deuxexpériencestrans-versalesontétéidentifiées :ladépendance(êtreconstammentàlamercidesautres)etlecombat(uneluttedifficilepourlasurvieet,àlafois,unecapacitéàrésister).
Lamultidimensionnalitésetraduitàtravershuitdimensions :« Privationsmatériellesetdedroits »,« Peursetsouffrances »,« Dégradationdelasantéphysiqueetmentale »,« Maltraitancesociale »,« Maltraitanceinstitutionnelle »,« Isolement »,« Contraintesdetempsetd’espace »et« Compétencesacquisesetnonreconnues(issuesdel’expériencedelapauvreté) ».
Pourcomprendrelapauvreté,c’estdecetensembledontilfauttenircompte.
DespistespourlessuitesdelarechercheConcernant la méthodologie et le processus de recherche, l’équipederecherchesoulignel’importancequepeuventavoirlesdémarchesparticipativesincluantdespersonnesensituationdepauvretédanslarechercheuniversitaireenlamatière.Pardémarchespar-ticipatives,l’équipeentenddesdémarchesquiassocientlespersonnesensituationdepauvretéàtouteslesphasesdelarecherche,ducadragejusqu’àl’évaluation,enpassantparlacollecteetl’analysedesdonnées.
En matière d’indicateurs,l’indicateurmonétaireestaujourd’huilepluscourammentutilisé.EnFrance,ils’agitprincipalementdutauxdepauvreté,quiestlaproportiondepersonnesoudeménagesayantunniveaudevieinférieurauseuildepauvreté,calculéparrapportàlamédianedesniveauxdevie.L’aspectmultidimensionnelestaujourd’huireconnumaiscertainesdimensionssontdavantageprisesencomptedanslesmesures,
59
CONCLUSION
60
COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
commelesprivationsmatérielles,parexemple.D’autressontmoinsétudiées,c’estlecasnotammentdesdimensions« Peursetsouffrances »ou« Compétencesacquisesetnonreconnues ».
L’équipederechercheapudébuteruntravailsurlesmesures,entravaillantnotammentsurcertainescaractéristiquesdeliens,tellesquedécritesdanslesschémasdesdimensions.Desindicateurssurcescaractéristiquespermettraientdemieuxappréhenderlesinterac-tionsentrelesdimensionsetdecompléterlesdifférentstypesd’indicateursexistants.
Pour ce qui est des actions de lutte contre la pauvreté,l’équipederechercheaconcluàl’importancedeprendreencomptel’ensembledesdimensionsdelapauvretédansletravaildesdifférentesinstitutionsetorganisationsœuvrantdanscedomaine.Celaneveutpasdirequ’ilfauttoujoursetpartoutagirsurtouteslesdimensionsdemanièresimultanée,maisqu’ilestpossibled’agirsuruneouplusieursd’entreellestoutenpre-nantencomptelesautres.Pouruneactionsurunchampspécifique,ilseraitégalementintéressantd’évaluerl’impactdel’actionsurlesautresdimensions.Celapermettraitdesavoirsil’actionmenéepermetdefairebougerle« systémique »versdumieuxouversdumoinsbien.
L’approchesystémiqueencourageàrenforcerlespartenariatsentrelesacteursdelaluttecontrelapauvreté,ycomprislespersonnesensituationdepauvretéelles-mêmes,entravaillant avec elles et non pourelles.C’estcequemetenévidencel’exempleanalysédanscerapport.
Dansleprolongement, les politiques publiquesdevraientprendreencomptecetteap-prochesystémiquepourarriveràuneéradicationdelapauvreté,commeannoncéen2018lorsdulancementduplandestratégienationaledepréventionetdeluttecontrelapauvretéetdanslesObjectifsdedéveloppementdurabledontlaFranceestcoautrice.
Ilconvientdoncd’avoirunevisionglobaledansl’élaboration,lamiseenœuvreetl’évaluationdespolitiquespubliques,aveclaparticipationdespersonnesensituationdepauvreté.Toutenouvelleloioupolitiquedevraitconsidérerl’impactqu’ellepourraitavoirsurl’ensembledesdimensionsdelapauvreté.Eneffet,desloissectorielles,penséessansprendreencomptelesinteractionsentrelesdifférentesdimensionsdelapauvretéetlesliensaveclesexpériencestransversales,pourraientpénaliserlesplusdéfavorisés.C’estlecas,parexemple,deladématérialisationdesdocumentsadministratifscenséesimplifierlesdémarchesmaisqui,pourcertains,souventlesplusvulnérables,lescomplexifient.
Lenon-recoursàcertainsdroitsmontrecombiencelui-ciestliénonseulementàunmanqued’informationsoudemoyens,àlacomplexitédesdémarches,maisaussiàlastigmatisationparlasociétédespersonnesquibénéficientdecesdroits.Lapauvretén’estpasseulementunequestionindividuelle,elleestunphénomènesociétalqueseuleuneapprocheglobalepeutappréhender.
Laparticipationdespersonnesensituationdepauvretéàlaviecitoyenneetpolitique,répondantausouciduchocdeparticipationvouludansleplandestratégiecontrelapauvreté,permettraitd’élaborerdemeilleurespolitiquesdeluttecontrelapauvretécarlacompréhensiondelapauvretéseraitainsipluscomplète.Unepremièreétapeseraitdereconnaîtrelesavoirdespersonnesensituationdepauvretéetdelesconsidérercommedespartenairesàpartentière.Unesecondeétapeseraitdepermettrelescondi-tionsfavorablesàleurparticipationàl’élaboration,àlamiseenœuvreetàl’évaluationdespolitiquespubliques.
61
ANNEXES
62
Annexe 1
Zoom sur la recherche internationale « Lesdimensionscachéesdelapauvreté »Larechercheparticipativeinternationalesurlesdimensionscachéesdelapauvreté,pilotéeparl’Universitéd’OxfordetATDQuartMonde,aveclesoutiendenombreuxparte-naires,aétémenéeconjointementdanssixpays :Bangladesh,Bolivie,France,Tanzanie,Royaume-UnietÉtats-Unis.Elleapourobjectifd’affinerlacompréhensionetlamesuredelapauvretéenfaisanttravaillerensembledespersonnesavecuneexpériencedirectedelapauvreté,desuniversitairesetdesprofessionnels,quisontcochercheurs,àégalité.
Laméthodologiedelarecherche– appelée« croisementdessavoirsetdespratiquesavecdespersonnesensituationdepauvreté »22 –apermisunetransformationdelapenséeauxniveauxindividueletcollectif,parlaproductionetlepartagedesconnaissances.Descentainesdepersonnesensituationdepauvretéyontparticipé,leursconnaissancesontétécroiséesaveccellesd’universitairesetdeprofessionnelsdanslecadred’unprocessusdediscussionsmultiples,aucoursdesquelleslesconnaissancesdétenuesparchaquegroupe ont été collectivement mises à l’épreuve et évaluées.
Leséquipesderecherchedesdifférentspaysontétéamenéesàfairedeschoix.Parexemple,laTanzanieetleBangladeshontmenélarechercheauprèsdegroupesspéci-fiquesd’enfants,contrairementauxquatreautrespays.EnFrance,l’équipeachoisid’ap-profondirlanotiond’interactionsentrelesdimensionsetn’apaspoursuividegroupesdepairsau-delàdeladeuxièmeannée.
Lesrésultatsdechaqueprocessusnationalsontuneréflexionglobalesurlapauvretéetunensemblededimensionscapablesdedéfinirlapauvretédanscepays,résultatsutilesauregarddel’objectifdedéveloppementdurable1.2 :« D’icià2030,réduiredemoitiéaumoinsla proportiond’hommes,defemmesetd’enfantsdetousâges souffrantd’uneformeoul’autredepauvreté,telleque définieparchaquepays. »
Encomparantcesdifférentsensemblesdedimensionsetàl’occasiondesdiscussionsentrereprésentantsdeséquipesnationales,ilestdevenuévidentquebeaucoupdecesdimensionsdécrivaientdesmanifestationslocalesdesmêmesdimensionssous-jacentes.
Parconséquent,lacomplexitédelapauvretéaétéconceptualiséeendéterminanttroisgroupesdedimensionsinterdépendantes,énuméréesci-après.
22Explicationdeladémarcheducroisementdessavoirsdanslechapitre 3,auparagraphe 3.1.
COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
63
ANNEXES
• Lecœurdel’expérience :Dépossessiondupouvoird’agir–Combatetrésistance–Souffrancedanslecorps,l’espritetlecœur.
• Dynamiquesrelationnelles23 :Maltraitanceinstitutionnelle–Maltraitancesociale–Contributionsnonreconnues.
• Privations :Manquedetravaildécent–Revenuinsuffisantetprécaire–Privationsmatérielles et sociales.
Cesneufdimensions,etdoncl’intensitédelapauvreté,peuventêtremodifiéesparcinqfacteurs appelés modificateurs :
> Identité :lastigmatisationestcumulativelorsquelespersonnesensituationdepauvretéappartiennentousontassignéesàd’autresgroupesstigmatisésenraisondeleurgenre,leurappartenanceethnique,leurapparencephysique,leurorientationsexuelleouleurstatutdemigrantoud’immigré.
> Tempsetdurée :l’intensitédiffèreselonlemomentdelavieoùlapauvretéestvécue,selonladuréeetlarépétitiondespériodesdepauvreté.
> Lieu :lapauvretévarieselonlespays,entreleszonesruraleseturbainesetlesquartiersplusoumoinsdéfavorisés(infrastructuresmédiocres,pénuriedeservices,manquedetransports,écolessous-financéesoudéficientes,etc.).
> Environnementetpolitiqueenvironnementale :l’expériencedelapauvretéestinfluencéeparlanatureetledegrédedégradationdel’environnement(inondationsetsécheresses,déforestation,pollutiondel’airetdel’eau,utilisationaccruedepesticidesetdeplastiques,réductiondeshabitatspourlabiodiversité,épuisementdesterres,etc.).
> Croyancesculturelles :laculturecréedesattentesmatériellesetfinancières(parexemple,lebesoindecadeaux,dedots,lesfêtes,lescérémoniesetlesdépensesdesorcellerie),définitquiestcenséfaireuntravailrémunéréetquidevraitfairedutravailnonrémunéré,quidevraitrecevoirdel’aideetàquiondevraitenrefuser,pourquellesraisonsetdansquelles circonstances.
Lestroisdimensionsquiformentlecœurdel’expériencedelapauvretésontdélibéré-mentsituéesaucentredudiagramme(schéma 15)etdiscutéesenpremier.Ellesattirentl’attentionsurcequiaétéexprimétrèsfortementdanslessixpays :lessouffrancesrésultantdeladépossessiondupouvoird’agir,causéesparlesprivationsetlesmaltrai-tancesauxquelleslespersonnesréagissentparlalutteetlarésistance.Cesdimensions,quisontaucœurdelapauvreté,soulignentégalementquelapauvretéestdynamiqueetquelespersonnesensituationdepauvretésontgénéralementproactivesetnonpassives.
Les dimensionsrelationnellesdelapauvretéontégalementreçupeud’attentiondelapartdesdécideursetuniversitaires,contrairementauxprivations.Et,pourtant,ilyavaitunaccordtrèsétroitentrelespersonnesensituationdepauvreté,lesprofessionnelsetlesuniversitairessurlafaçondontlesdimensionsrelationnellesfaçonnentlapauvreté.
Lestroisdimensionsdeprivationsrenvoienttoutesàunmanquederessources :moné-taires,matériellesetsociales.Ellessontreconnuesdanslediscourspolitiqueetfigurentdanscertainsindicateursmultidimensionnelsdelapauvreté.
23Lemot« relationnelle »faiticiréférenceauxrelationsentrelapersonneensituationdepauvretéetlasociétéoulesinstitutions.DanslarechercheenFrance,cemotpeutfaireréférenceautantaulienentrelesdimensionsqu’aulienentre les personnes.
64
COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
Deplus,ilyavaitunaccordsimilairesurl’importancedesinteractionsentrelesdiffé-rentesdimensions.Cesinteractionssontillustréesschématiquementdanslegraphiqueci-dessous,demêmequel’influencedescinqmodificateurs.Bienquetoutsoitpotentiel-lementliéetquel’expériencedelapauvretédechacunsoitunique,lesneufdimensionsetlescinqmodificateursfontclairementpartiedel’expériencecommune,partagéeparlespersonnesensituationdepauvreté.
Schéma15. Représentationgraphiquedesrésultatsdelarechercheinternationale :« Lesdimensionscachéesdelapauvreté »
Source:«Lesdimensionscachéesdelapauvreté»,rechercheinternationaleparticipative,MouvementATDQuartMondeetUniversitéd’Oxford(conceptiongraphique:CécileWintrebert),janvier2019. Lecture :Dansdespolygonesdecouleursdifférentes,lesneufdimensionsinterdépendantessontrépartiesentroisgroupes.Surlescôtés,lescinqmodificateurs.Lesinteractionssontillustréespardesflèchesblanches.
65
Annexe 2
Aperçudestravauxexistant sur les mesures delapauvreté
Cetteannexen’estpasexhaustive,elleproposeunedescriptionrapidedesgrandesten-dancesdestravauxenmatièredemesuredelapauvretéetdepriseencomptedesamultidimensionnalité.
DepuislafinduXIXe siècle,lapauvretéasouventétéuniquementabordéeentermesmonétaires.Seloncetteapproche,lespauvressontceuxdontleniveaudeviesesitueendessousd’unniveauprédéterminé,appelé« seuildepauvreté ».
EnFranceetenEurope,leseuildepauvretéestdéfinidemanièrerelative.Lespersonnesensituationdepauvretésontcellesdontlesrevenussontinférieursàuncertainpourcentageduniveaudeviemédian,celuiquipartagelapopulationendeux.Traditionnellement,enFrance,ceseuilétaitfixéà50 % ;sousl’influencedesinstitutionseuropéennes,onutiliseaujourd’huiprincipalementunseuilà60 %.Lechoixdel’unoul’autredecesseuilsn’estpasneutre.Quantitativement,choisirleseuilà60 %faitpasserdecinqàneufmillionslenombredepersonnespauvres.Qualitativement,lessituationssocialesobservéessontplus hétérogènes24.
Lapauvretépeutêtreaussidéfiniecommel’exclusiond’uncertainnombredepratiques,etnotammentdecertainstypesdeconsommations.Lapauvretéen« conditionsdevie »viseàmettreenœuvrecetteapproche.EnFrance,dansladéfinitiondel’Institutnationaldesstatistiquesetétudeséconomiques(Insee),ilfautsouffrirdehuitprivationsmatériellesparmivingt-septdifficultéspourêtreconsidérécommepauvre.LadéfinitionadoptéeparEurostatetFrancestratégie25– danslecadredesdixindicateurscomplémentairesauPIB26 –retientaumoinstroisprivationsparmiunelistedeneufitems27.
Lacomparaisondeschiffressurlapauvretéseloncesdifférentesapprochestémoignedesdifficultésquesoulèvelamesuredelapauvretéentermesmonétaireset/oumatériels.Ainsi,pourl’année2016,ilya,enFrance,14 %depauvresselonleseuilà60 %,8 %selonleseuilà50 %et11 %enconditionsdevie(selonlaméthodedel’Insee28).
Àpartirdesannées1970,uneautreapproche,visantàrendrecomptedemanièreplusexhaustiveetcomplètedelapauvreté,sedéveloppe.L’idéeaucentredecettenouvelleapprocheestquelapauvretésemanifestedansdifférentsdomaines– habitat,santé,
24Voir,entreautres,lesrapportsstatistiquesduSecoursCatholique–CaritasFranceetlesitewww.inegalites.fr/Comment-mesurer-la-pauvrete
25AdministrativementappeléCommissariatgénéralàlastratégieetàlaprospective(CGSP),FranceStratégieestuneinstitutionrattachéeauPremierministreetapourobjectifdeconcouriràladéterminationdesgrandesorientationspourl’avenirdelanationetdesobjectifsàmoyenetlongtermesdesondéveloppementéconomique,social,culturel etenvironnemental,ainsiqu’àlapréparationdesréformes.
26Cesindicateurssontliésàlaloi« Sas »du13 avril2015.27Voirwww.insee.fr/fr/statistiques/3549496?sommaire=3549502etwww.strategie.gouv.fr/espace-presse/10-indicateurs-
completer-pib28www.insee.fr
65
ANNEXES
6666
éducation,etc. –etqu’ilconvientdelatraiterdemanièremultidimensionnelle.Lestra-vauxdeSabinaAlkire29concernantl’indicedepauvretémultidimensionnellesontunemanifestationrécentedecetteapproche.
L’approchemultidimensionnelledelapauvretéestaujourd’huiadmiseetrépandue,notammentauniveaudesorganisationsinternationales.Parexemple,lepremierdesObjectifsdedéveloppementdurableviseàéliminerlapauvretédanslemondesous« toutessesformes ».Àtraverscetobjectif,lespaysreconnaissentque« lapauvreténeserésumepasàl’insuffisancederevenusetderessourcespourassurerdesmoyensdesubsistancedurables »etquelesmanifestationsdelapauvreté« comprennentlafaimetlamalnutrition,l’accèslimitéàl’éducationetauxautresservicesdebase,ladiscrimina-tionetl’exclusionsocialesainsiquelemanquedeparticipationàlaprisededécisions ».
Bienquel’approchemultidimensionnellesoitadmiseetrépandue,iln’existepasau-jourd’huiunréelconsensussurlamanièredontondoitdéfiniretmesurerlapauvretémultidimensionnelle.Ceconstats’explique,dumoinsenpartie,parlefaitqueladéfinitiondelapauvretédépenddumomentetdel’endroitdanslesquelselleestétudiée,ainsiquedesarbitragesquesontobligésd’effectuercellesetceuxquisouhaitentladéfinir.Desexemples,parmid’autres,decesarbitragessontlessuivants :Quellesdimensionsprendreencompte ?Quelleestleurimportancerelative ?Commentlesarticuler ?...Ceciposelaquestionduprocessusparlequellapauvretéetsamultidimensionnalitésontabordées30.
Ceprocessusesttraditionnellementréservéàdesexperts– économistes,statisticiens,etc. –travaillantdansdeslaboratoiresderechercheuniversitaire,desinstitutionsgou-vernementalesouinternationales.Lespersonnesensituationdepauvretésontdonctrèspeu,oupasdutout,associéesàcetravail.
EnFrance,certainesstructuressouhaitentlesyassocier.En2009,l’Observatoirenationaldelapauvretéetdel’exclusionsociale(ONPES)aprésentéunrapport31issud’untravaild’expérimentationd’uneméthodedeconnaissancedelapauvretéetdel’exclusionsocialeeffectuéàpartirdecellesetceuxquilesvivent.
29GiselaRobles,GlobalMultidimensionalPovertyIndex–Winter2016 :Briefmethodologicalnoteandresults,Universityd’Oxford,2016.www.ophi.org.uk/multidimensional-poverty-index/mpi-resources/
30www.un.org/sustainabledevelopment/fr/poverty/31www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/RAPPORT_final_Valeur_plus_partie_1.pdf
COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
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Annexe 3
Listedesparticipants etdespartenairesMembresdel’équipenationalederechercheAbdallahBendjaballah–ChantalConsolini-Thiébaud–MariannedeLaat–CarolineDesprès –Marie-HélèneDufernez –BafodéDiaby –Jean-ClaudeDorkel –EvelyneDubois –GerardoGilGarcia –ElenaLasida –MarionNavelet –PascaleNovelli
Traduction : SylvieRebeyroletShirleyMilojevic
Membresdesgroupesdepairs(Chaqueparticipantapudonnerlui-mêmelamanièredontilvoulaitquesonnomap-paraissedanscerapport,d’oùdesnomsincompletsoudesinitiales.Certainsn’ontpasvoulu mettre leur nom.)
Ont apporté leur savoir d’expérience de la pauvretéYvelines : AnnaBatindi,LaurenceAbotchi,ManuellaLecanu,Mireille M.,PascalMoullec,Patrice MorauxMulhouse : AntoninDubois,BrigitteDrach,ClarisseMotchoulsky,Franco,FrançoiseOrcel,Mickaël,MireilleDiharse,Yvette H.Metz : BertrandBilly,CheballahAli,ChristianDosda,ChristopheCattey,ClaudeArnould,Denis,PatrickHoka,SergeKacémiNancy :AquilinaFerreira,Babette,Denise A.,DeniseNicolas-Barthélémy,E. Fatima,MichelineAdobati,VivianeTirlicienMaubeuge : GeraldDemamen,JessyPerenou,LahoucineFarhane,LoïcVitrant,Nadia B.,PhilippeFroment,RobertQuinzin,V. C.Prémery : Florence B.,G. M.,Laurence,NathalieRobertSaint-Benin-d’Azy : AuroreRémy,IsabelleFouratier,MaudMouton,MauriceCosne-Cours-sur-Loire : Christelle B.,H. M.,JacquelineLanterne,MichelineJanssens,MoniqueBrosse,Sylvie R.Le Cèdre, Paris : Ouiza,Diallo,MamoudouSoumaré,Martine B.Poitiers :AhmedAdabia,Bova,DavidPierson,LaetitiaKay,Marie-StéphanieBoulestier,Marie-ThérèseBonamy,Patrick,Yaovi,Jemado,AwaDiouf,Fatoumata D.,JeannetteCrotiaux,MaïmounatouCissé,MendomoPaulineSandridg,NoumetonAmahayaSethRegis,BachirBayo,DiabySeny,ElhadjiDialloMamadou,Muedyzi,Sacko,MamadouSoumayé Souaré
Ont apporté leur savoir d’actionParis : AlexandreLeonardi,Céline D.,HenryMasson,LaureBrière,Marie-Ange,MichelAntoineMaubeuge :A. Adiasse,BénédicteMartin,CélineBoulet,LaurenceKubiak,MélanieDelassus,PhilippeSaunier,HennebertFourmies :ChristianBas,SabrinaCornu,KarineOrdad,E. K.,BenoîtFouré,VanessaBatonPoitiers : AbdellatifTakourbi,GwenaëlCaillaud,MarieBouchand,PierrePapillon,ValérieChampain,ValériePalard,AlbertoBalaguer,AmélieRouquet,SolangeBaikoua,Anne-SophiePyvka,V. Blanchard,NicolasPetitjeanLille : CélineTruong,ChristineDucourant,DavidNavarro,MarieVerkindt,RénaldVanicatte,SéverineCaron,VéroniqueCormont
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ANNEXES
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Ont apporté leur savoir académiqueAugustinGille,CécileDubernet,CharlotteGregorsky,GerardoGilGarcia,LéaAmbroise,NathalieRabemalanto,NathalieSarthou-Lajus,SophieRouay-Lambert,S. Rousseau,AlexandrePagès,ArmelleAndo,BlandineDestremau,DelphinePiétu,FranckBettendorff,Marie-OdileMaire-Sandoz,PapaOumarNdiaye,StéphaneRullac,Audrey B.,Candy J.,Charlotte N.,Emmanuelle F.,Hélène C.,Sandrine B.,Shervine S.,JulieGrychta,KathleenNandiguinn,MélaineSevim,SarahPhilippe,T. Soukouna,VivianPortier
AssociationspartenairespourlesgroupesdepairsAEP(Associationd’éducationetdeprévention),FourmiesAFEJI(AssociationdesFlandrespourl’éducation,laformationdesjeunesetl’insertionsocialeetprofessionnelle),MaubeugeAGSS(Associationpourlagestiondesservicesspécialisés)del’UDAF(Uniondépartementaledesassociationsfamiliales),Maubeuge,Aulnoye-Aymeries,Avesnes-sur-HelpeAssociationdépartementalepourlasauvegardedel’enfantàl’adultedelaVienneAssociationPrim’toit,territoireavesnoisAssociationSanza,PoitiersATDQuartMonde,Alsace,Lorraine,Hauts-de-France,MontreuiletYvelinesBougetaGalère,MulhouseCentresocialinterculturel« ToitduMonde »,PoitiersAssociationdesCentresSocio-Culturelsdes3cités,PoitiersCimade,ParisJOC(Jeunesseouvrièrechrétienne),MaubeugeoisLeCèdre,centred’entraidepourlesdemandeursd’asile(SecoursCatholique–CaritasFrance),ParisLesPetitsFrèresdespauvres,PrémeryPromotionfamilialesocialeetculturelledeLille-Fives(ATDQuartMonde ;CentresocialMosaïque ;UTPASouUnitéterritorialedepréventionetd’actionsociale,ConseildépartementalduNord ;DREouDispositifréussiteéducative,villedeLille)Réseauchrétienimmigrés,ParisSecoursCatholique–CaritasFrance,Maubeugeois,Saint-Benin-d’Azy,Cosne-Cours-sur-Loire,MetzSIP(Sociétédesintérêtspopulaires),MaubeugeSolidaritésSaint-Bernard,Paris
CompositionducomitédeConseilJérômeAccardo,chefdudépartement« Ressourcesetconditionsdeviedesménages »,Insee(Institutnationaldelastatistiqueetdesétudeséconomiques)–PhilippeCabin,Divisionduparte-nariataveclesOSC(organisationsdelasociétécivile),AFD(Agencefrançaisededéveloppement)MarionCarrel,maîtredeconférencesensociologie,Lille 3–VincentDivoux,directeurdel’associationdesCentresSocio-Culturelsdes3cités,Poitiers–ChristopheGeroudet,déléguénationalATDQuartMondeFrance–JacquesGiraud,associationGeorges-Hourdin–PhilippeLefilleul,pôle« Études–Recherches–Opinion »,SecoursCatholique–CaritasFrance–AlainRégnier,préfetaulogement,présidentdeSNL(Solidaritésnouvellespourlelogement)–MichelRenault,économiste,maîtredeconférences,Rennes 1–AlbertRitzenthaler,secrétaireconfé-déralCFDT,membreduCESE(Conseiléconomique,socialetenvironnemental)
RemerciementsL’équipederecherchetientàremercierl’ensembledesparticipantsetdespartenairesquiontcontribuéàcetterecherche.
COMPRENDRELESDIMENSIONSDELAPAUVRETÉENCROISANTLESSAVOIRS
CofinanceursLeprésentprogrammeestcofinancépar :
ANNEXES
Auteurs AbdallahBendjaballah,ChantalConsolini-Thiébaud,
MariannedeLaat,CarolineDesprès,Marie-HélèneDufernez,BafodéDiaby,Jean-ClaudeDorkel,EvelyneDubois,
GerardoGilGarcia,ElenaLasida,MarionNavelet,PascaleNovelli
Correction OlivierPradel
Maquette Guillaume Seyral
Conceptiongraphique Geoffroy Lefort – Guillaume Seyral
Fabrication SandrineRoutier
Impression XX
Tirage 1100exemplaires
Datedepublication Septembre2019
ISBN 979-10-91178-70-9
MOUVEMENTATDQUARTMONDEFRANCE63, rue Beaumarchais - 93 100 Montreuil
Tél : 01.42.46.81.95
SECOURSCATHOLIQUE-CARITASFRANCE106, rue du Bac - 75 341 Paris Cedex 07
Tél. : 01 45 49 73 00
ISBN
:97
9-10-91178
-70-9