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Tous droits réservés © Revue des sciences de l’éducation, 2011 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 09/06/2021 8:15 a.m. Revue des sciences de l’éducation Comprendre les résistances à l’éducation à la santé : la nature de l’ignorance dans la philosophie de Socrate Understanding resistance to health education : the nature of ignorance in Socrates’ philosophy Entender las resistencias a la educación para la salud : la naturaleza de la ignorancia en la filosofía de Sócrates Marie Agostini and Jeanne Mallet Éducation à la santé Volume 36, Number 3, 2010 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1006249ar DOI: https://doi.org/10.7202/1006249ar See table of contents Publisher(s) Revue des sciences de l’éducation ISSN 0318-479X (print) 1705-0065 (digital) Explore this journal Cite this article Agostini, M. & Mallet, J. (2010). Comprendre les résistances à l’éducation à la santé : la nature de l’ignorance dans la philosophie de Socrate. Revue des sciences de l’éducation, 36(3), 631–647. https://doi.org/10.7202/1006249ar Article abstract This theoretical article refers to Socrates’ interpretation in order to explain the role that ignorance plays in resistance to health education and how to find solutions to this problem. The objective is to verify the validity of this philosophical approach : its limits and also its modernity. The authors suggest confronting this theory and its practical reality. Using an example, they show that this ignorance is not only a lack of information but rather an inattentiveness to the underlying meaning, so that, although the information has been understood, the reality to which it refers has not necessarily been integrated. This interpretation encourages researchers in health education to pursue further philosophical reflection.

Comprendre les résistances à l’éducation à la santé : la ... · notion de pharmakon apparaissant dans le Phèdre de Platon (1989) et analysée par Jacques Derrida dans La pharmacie

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Page 1: Comprendre les résistances à l’éducation à la santé : la ... · notion de pharmakon apparaissant dans le Phèdre de Platon (1989) et analysée par Jacques Derrida dans La pharmacie

Tous droits réservés © Revue des sciences de l’éducation, 2011 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can beviewed online.https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit.Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is topromote and disseminate research.https://www.erudit.org/en/

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Revue des sciences de l’éducation

Comprendre les résistances à l’éducation à la santé : la naturede l’ignorance dans la philosophie de SocrateUnderstanding resistance to health education : the nature ofignorance in Socrates’ philosophyEntender las resistencias a la educación para la salud : lanaturaleza de la ignorancia en la filosofía de SócratesMarie Agostini and Jeanne Mallet

Éducation à la santéVolume 36, Number 3, 2010

URI: https://id.erudit.org/iderudit/1006249arDOI: https://doi.org/10.7202/1006249ar

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Publisher(s)Revue des sciences de l’éducation

ISSN0318-479X (print)1705-0065 (digital)

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Cite this articleAgostini, M. & Mallet, J. (2010). Comprendre les résistances à l’éducation à lasanté : la nature de l’ignorance dans la philosophie de Socrate. Revue dessciences de l’éducation, 36(3), 631–647. https://doi.org/10.7202/1006249ar

Article abstractThis theoretical article refers to Socrates’ interpretation in order to explain therole that ignorance plays in resistance to health education and how to findsolutions to this problem. The objective is to verify the validity of thisphilosophical approach : its limits and also its modernity. The authors suggestconfronting this theory and its practical reality. Using an example, they showthat this ignorance is not only a lack of information but rather aninattentiveness to the underlying meaning, so that, although the informationhas been understood, the reality to which it refers has not necessarily beenintegrated. This interpretation encourages researchers in health education topursue further philosophical reflection.

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Volume 36, no 3, 2010 631 - 647

Comprendre les résistances à l’éducation à la santé : la nature de l’ignorance dans la philosophie de Socrate

Marie Agostini, allocataire-monitrice Jeanne Mallet, professeure Université d’Aix-Marseille I Université d’Aix-Marseille I

résumé • Cet article théorique fait appel à une conception philosophique de la résistance à l’éducation pour comprendre la part d’ignorance qu’elle implique et trouver comment y remédier. Nous pourrons ainsi mettre à l’épreuve cette approche pour en saisir les limites, mais également la modernité : par l’intermé-diaire d’un exemple concret, nous verrons que cette ignorance ne relève pas tant d’un manque d’information que d’une certaine forme d’inconscience au sens où, bien que l’information ait été comprise, la réalité qu’elle engage, elle, n’a pas été forcément entrevue. Une telle interprétation incite les chercheurs en éducation à la santé à s’engager dans un travail de réflexion philosophique.

mots clés • éducation à la santé, résistances, ignorance, éthique, pédagogie socratique.

1. Introduction et problématique IlpeutsemblerincongrudefaireappelàSocratepourcomprendrelesrésistancesfaceàl’éducationàlasanté.Pourtant,s’ilyabienunedisciplinequis’intéresseàl’efficacitédudiscoursetauxconditionsdecetteefficacité,c’estbienlaphilo-sophieet,plusparticulièrement,laphilosophieantique.

En effet, la rhétorique représente l’une des préoccupations majeures de laphilosophieantique.Lesphilosophessesontinterrogéssurlesconditionsd’uneutilisationmoraledeceredoutableoutildepersuasion.OnpeutévoqueràcetégardlacroisadeengagéeparSocratecontrelesrhéteursetlessophistesquiven-daient leur science au plus offrant sans se soucier ni du bien, ni de la justice(Platon,1993,p.162,465a).Cependant,lesphilosophessesontégalementinter-rogéssurlesconditionsdel’efficacitédudiscours(Aristote,1991),efficacitéremiseencauseparl’hommeintempérant(Aristote,1967),c’est-à-direceluiquireconnaîtqu’ildevraitchangersoncomportement,etdontpourtantlecomportementne

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changepas.Problèmecrucialpourlesphilosophesquiprétendaientrendreleshommesmeilleursgrâceàleursenseignements.

Deplus,laphilosophies’estelle-mêmelongtempsprésentéecommeuneméde-cinedel’âme,sous-entendantainsiquesilamédecinetraditionnelleœuvraitàlasantéducorps,laphilosophieœuvrait,quantàelle,àlasantédel’âme(Platon,1993,p.162-163,465b-c;2006,p.244-246,719e-720e).Onpeutd’ailleursremar-quer que le vocabulaire lui-même trahit ce rapprochement entre médecine etphilosophie.CitonsleTétrapharmakond’Épicure(2003),recueildequatreprin-cipesphilosophiquescenséspermettreauxhommesd’êtreheureux,ainsiquelanotiondepharmakonapparaissantdanslePhèdredePlaton(1989)etanalyséeparJacquesDerridadansLa pharmacie de Platon(1989).

Certes,cetteapprocheimpliquequeleconceptdesanténes’appliquepasuni-quementaucorps.Enquoicetteconceptiondelasantédel’âmepouvait-ellebienconsister?Ilnes’agissaitpasderésoudreuntroubled’ordrephysique,maisbienuntroubled’ordreexistentiel.Ilapparaissaitalorsqu’unhomme,physiquementenbonnesanté,maisenmald’exister,devaitencoreprendresoindesonâme.L’âmeenbonnesantéétaituneâmeheureuse.Cebonheurpouvaitrevêtirplu-sieursaspects:l’ataraxie,lasagesseouencorelajustice;eneffet,chaquemouve-mentphilosophiquetravaillantleconceptdebonheurpourcomprendreenquoiilconsistait,adonnéàcelui-ciuncontenuspécifique.NousutilisonsdonciciletermedebonheurnonpasenréférenceàAristote,maisenréférenceàlafinalitéreconnueauxphilosophiesdel’Antiquité(Hadot,1995);cetermenoussembleassez largepourdésigner lesdifférentesconceptionsde lanaturedubonheurrecherché.

Ainsi,lesmaîtresdephilosophieétaientdeséducateurset,entantquetels,ilssesontvusconfrontésauxrésistancesdeleursdisciples,alorsmêmequ’ilsleurpromettaientlasantédel’âme,c’est-à-direlebonheur.Cesrésistancesexpliquentenpartiepourquoilesphilosophessesontintéressésauxtechniquesrhétoriques.

Il n’est donc pas absurde de convoquer un philosophe de l’Antiquité pourcomprendrelesrésistancesàl’éducationàlasanté,sil’onsesouvientdugrandintérêtdelaphilosophiepourl’efficacitédudiscoursetdesesvertusthérapeuti-quespourlasantédel’âme.

Citons,parexemple,Montaignequi,dansl’essaiDe l’institution des enfants(I,26),vantelesvertusdelarhétoriqueaupointdepréconiserd’introduirel’ap-prentissageduphilosopherauplustôtdansleuréducation:

Une mine triste et transie montre que ce n’est pas là son giste […]. L’ame qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain encores le corps. Elle doit faire luire jusques au dehors son repos et son ayse ; doit former à son moule le port exterieur, et l’armer par conséquent d’une gratieuse fierté, d’un maintien actif et allegre, et d’une conte-nance contente et débonnaire(1969,p. 208).

Autrementdit,d’aprèsMontaigne,l’exerciceduphilosopherestbénéfiqueàlasantédel’âme:illarendheureuse,etc’estlasantédel’âmequiengageàsontour

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lasantéducorps:lebonheurdel’âmes’accompagneousemanifesteparunbien-êtreducorps.

Celienentrephilosopheretbonheurseretrouveradansl’œuvred’Alain(1928,p.156-157),quiexpliquequec’estenfaisantréfléchirleshommessurleuravenir,cequ’ilsenattendent,pourquoietcommentyparvenir,quelecharmedelaphi-losophieopère.Etaujourd’huicesvertussemblentprésenterunintérêtgrandis-santdanslecadredelaconsultationphilosophique(Fastvold,2006;Brennifier,2007) et dans celui de démarches préventives contre la souffrance psychique(Ribalet,2008).

Comment l’approche philosophique de Socrate pourrait-elle expliquer larésistanceàl’éducationàlasantéetquepropose-t-ellepouryremédier?

Pourrépondreàcetteproblématique,nousavonschoisideporternotreatten-tionsurlaphilosophiedeSocrate(oudumoinssurcellequiluiesttypiquementattribuée)etsurlaconceptionqu’ilproposedelarésistanceàl’éducation.Nousentireronsunmodèled’interprétationquenousconfronteronsàd’autresappro-chesphilosophiquesafind’enéprouverlacohérenceetleslimites.Nouspourronsainsipréciserdespossibilitésd’interventiondel’éducateurpoursurmontercesrésistances.

2. Contexte théoriqueCommençonsparrappelerquenousn’avonsencorejamaislu,àtraversnosinves-tigationssurlaphilosophiedeSocrate,derecherchesspécifiquementconsacréesàlamiseàl’épreuvedecettephilosophiefaceauxrésistancesàl’éducationàlasanté.Certes,onestendroitdesupposerquecettephilosophies’estinterrogéesurlanaturedesrésistancesàl’éducationengénéral.Lesprocédésdelamaïeu-tique et de la réfutation en témoignent. Cependant ces techniques sont elles-mêmes considérées, non pas comme des techniques visant à surmonter unerésistanceàl’éducation,maisdavantagecommedesressourcesmisesàladispo-sitiondel’éducateurdanslebutdedynamisersapratique.Lapossibilitéd’unerésistancefaceàcesprocédésn’apasétéétudiée.

2.1 Socrate pédagoguePourquoiunetellelacune?L’histoiredelaphilosophienepeuttémoignerquedel’absencedetracesécriteslaisséesparSocratelui-même(Dorion,2004).Ainsi,parlerdelaphilosophiedeSocraterevientnécessairementàproposerunelecturepersonnelledesœuvresdePlaton(essentiellementlesdialoguesdejeunesse)etdediverstémoignages,àlalumièred’autreslecturesdecesmêmesœuvres(Brès,1968;Hadot,1995;Mattéi,1996;Nehamas,1998;Robin,1964;Taylor,1966).

Cesinvestigationsvisentrarementàprésenteruneéventuellephilosophiedel’éducation propre à Socrate, tout simplement parce que ce n’est pas en tantqu’éducateur que Socrate est entré dans l’histoire de la philosophie, mais entantquepremierphilosophe,posantlanaissancedecettenouvellediscipline,la

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caractérisantparlaquestiondel’essenceetladistinguantdelarhétoriqueetdelasophistique.

Toutefois,onaccordevolontiers le titredepédagogueàSocrate(Houssaye,2002).Lesélémentsprincipauxdecettepédagogiesont lamaïeutique(Solère-Queval, 2002), la dialectique (Dixsaut, 2001) et l’ignorance (Rancière, 2004)auxquellesviennents’ajouterd’autresélémentsexpliquantsonsuccès:laséduction(GauthieretJeffrey,2002),lecharisme(Grimaldi,2004)voirelamanipulationdesaffects,notammentlahonte(deRomilly,1997).Cesélémentspédagogiquesontétéreprisparnombredepraticiensetéducateurs,maiscettereprisenepermetpas de comprendre pourquoi ces éléments pourraient se révéler inefficaces etcommentl’approchephilosophiquedeSocrateaffronteraitcetteinefficacité.Ceque l’histoire de la philosophie retient de la pratique pédagogique de Socraten’expliquepascommentcederniercomprendouauraitpucomprendrelarésis-tanceàl’éducationengénéralainsiqu’àl’éducationàlasanté.

L’approchedeSocrateàproposdesrésistancesàl’éducation,quenoussouhai-tonsexposerici,s’inscritdanslecadredesathéoriedelamotivationdel’action,théoriequenousallonsbrièvementrappeler.

2.2 L’origine de la motivation de l’actionCettethéoriequestionnel’originedelamotivationdel’actioncar,pourlephilo-sophe,ils’agitdecomprendreàquellesconditionsundiscoursengagelamotiva-tiondeceluiquil’écouteetàquellesconditionscediscoursluiresteraindifférent.Laquestiondelamotivationparlediscoursestcapitalepourceluiquiprétendéduquerparlediscours,carelleluipermetdecomprendrecommentcediscourspeut produire un changement dans le comportement de l’apprenant ou, aucontraire, rester inefficace.Comprendre l’originede lamotivationde l’action,c’estcomprendreàquellesconditionsl’éducationpeutréussir.

Quelleest,pourSocrate,l’originedelamotivationquidéclenchenotreaction?Pourlui,c’estnotrereprésentationdubienquiengendrenotreaction:c’estparceque,consciemmentouinconsciemment,nouspensonsqu’unechoseestbonnepournousquenouslafaisons.Autrementdit,danschacunedenosactionss’ex-prime,plusoumoinsmalgrénous,notreproprereprésentationdubien.Plusoumoins malgré nous, dans le sens où il est possible que l’éducateur exprimeconsciemmentcettereprésentation,notammentlorsqu’ilaprisconsciencedesaproprereprésentationdubienetyaajustésesactions.Toutefois,ilrestepossiblequecetteprisedeconsciencenesoitpasentièreetqu’unepartdecelle-cirestedansl’ombre.Ainsi,malgrél’effortdeconscientisation,cettepartd’ombres’ex-primeraittoutdemêmedansnosactions,ànotreinsu.

C’estpourquoiSocratesoutientquenul ne fait le mal volontairement.Dorionrelèvelesnombreuxpassagesoùapparaîtceparadoxe(2004,p.84):Protagoras,345d-e,358c-d;Apologie,25d-26a;Gorgias,467c-468c,509e;Ménon,77b-78b:

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Les hommes ne choisissent jamais le mal pour lui-même, et ils font toujours ce qui leur paraît être bien ; mais il leur arrive souvent, en raison de leur ignorance du bien véritable, de prendre pour un bien réel ce qui n’est qu’un bien apparent, c’est-à-dire un faux bien(Dorion,2004,p.85).

Dorion insistedoncsur laconceptionqueSocrateade lanaturehumaine,conceptionselonlaquellel’hommetendnaturellementverscequ’ilpenseêtrebonpourlui.Ainsi,lorsquel’enfantnefaitpassesdevoirspourl’école,c’estparcequ’ilpréfèrejouer;ilestimequejouervautmieuxquetravailler;ilnepensepas–c’estlàquel’ignoranceintervient–auxconséquencesdesonmanquedetravailpourl’école.Ilnesaitpasquetravaillerpeutêtreunbienpourlui,unbien,sinonplusimportantquejouer,dumoinsànepasnégliger.

Ce que Socrate rejette, c’est l’idée que l’homme œuvre consciemment à sapropreperte.S’ils’engagedanslamauvaisevoie,c’estparcequ’ilnesaitpasquecettevoie-ciestmauvaise.Autrementdit,lorsquequeleshommesfontlemal,c’estparignorancedubien,parcequ’ilsprennentcemalpourunbien.Onretrouvecette idée – selon laquelle c’est notre propre bien que nous poursuivons danschacunedenosactions,saufqueparfoisnousnoustrompons,etcequenouspensionsêtreunbienn’enestpasun–chezdenombreuxpenseurs(Aristote,1967;Épictète,1999;Platon,1967;SaintAugustin,1964;Spinoza,1993).Eneffet,pourbeaucoup,l’hommetendnaturellementverscequ’ilpenseêtrebonpourlui, et ce mouvement peut être compris comme un instinct de conservation,commelesuggèrelanotiond’oikeiosis(propriété)chezlesStoïciens.Cependant,saconnaissancedubienestimparfaite,l’hommesetrompe,tendverscequiluiestnéfaste,sansserendrecomptequ’ilœuvreàsapropreperte.

2.3 Quel est donc le rôle du maître chez Socrate ?SiSocrateveutquesesélèvess’occupentdavantagedeleurâme(Platon,2002),c’estpourqu’ils travaillent,évaluent,clarifient leurproprecompréhensiondubien.Ils’agitdoncderésorber,parlephilosopher,l’ignorancequileurfaitprendreunmalpourunbien,eninterrogeantlavaleurdesbiensquilesentourent.Lerôledumaîtreestd’accompagnersonélèveversunemeilleurecompréhensiondubien,meilleuredanslesensoùl’élèveconnaîtlestenantsetlesaboutissantsdecetteconception du bien. En effet, il ne s’agit pas,  pour un maître tel que Socrate,d’imposerunemêmeconceptiondubienàtous,maisd’accompagnersonélèvedanslaconstructionrationnelledesapropreconceptiondubien.C’estpourquoiSocratelui-mêmenenousditriensurcebien.Eneffet,notrelecturenousinviteànousinterrogersurceparadoxequel’onattribueàlaphilosophiedeSocrate,etquiconcernelanaturedelavertu:celle-cis’identifieausavoir,maisàunsavoirquel’onn’ajamaisfinid’acquériretquiserejouesanscesse,tantdanslaréflexiondechacunquedansl’appréciationdel’infinitédessituationsquiseprésentent.Encesens,cesavoirrépondauportraitduphilosophe,pendanttoutesavieenquêtedelasagessesansjamaisladétenirpleinement(Platon,1929).

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Tel est donc le cadre théorique dans lequel s’inscrit notre réflexion sur lesrésistancesàl’éducationàlasanté:unethéoriedel’actionselonlaquellechacuntendspontanémentverscequiluisembleêtremeilleurpourlui.Ainsil’éducationconsiste-t-elleàtravaillersurcettereprésentationdumeilleurpourorienterouréorienterl’action.

3. HypothèseDanscetteperspective,larésistanceàl’éducationàlasantéprovientdel’ignorancedel’apprenant.Toutefois,cetteignorancen’estpasune:ellepeutrevêtirdemul-tiplesaspectsquenous tenteronsd’exposeraucoursdecetterecherche.Nouspouvons cependant poser, d’ores et déjà, qu’il ne saurait être question d’uneignorancedansunsensvulgaire:direquelarésistanceàl’éducationestlefaitdel’ignorance,cen’estpasdirequ’elleest lesigned’unespritsimple.Commel’amontrénotrecadrethéorique,cetteignorancesesituedansl’inadéquationdelareprésentationdubiendel’apprenantetdelaréellebontédecebien,uneinadé-quationdoncentrereprésentationetréalité.Nousnousefforceronsdoncd’expli-querlesdifférentesmodalitésdecetteinadéquation.

Que propose la philosophie pour remédier à cette ignorance et donc pourrésorbercetterésistance?Notrehypothèseconsisteàsoutenirquel’interprétationdelarésistanceàl’éducationàlasantéquenouspermetdeproduirenotrelecturedelaphilosophiedeSocrateestfécondepourcomprendrelapartd’ignorancequ’ellemetenjeu,lanaturedecetteignoranceetquellesressourcespédagogiquesellemobilise.

Pourrépondreauproblèmedelarésistanceàl’éducation,ouplutôtdesrésis-tancesàl’éducation,nousverronsalorsquelesphilosophesontdéveloppédeuxmodèles opposés de relation éducative, des modèles répondant chacun à unengagementéthiquedumaîtrequenoustenteronsdemettreenlumière.

D’uncôté,unengagementdémocratique,dontlebutserad’amenerl’apprenantàsurmonter,delui-mêmeetparlui-même,sesrésistancesàl’éducationàlasanté,entravaillantsursapropreconceptiondelasanté.OnretrouveiciunerelationéducativerépondantauxexigencesdelaphilosophiedeSocrate.D’unautrecôté,unengagementdetypetotalitaire,dontlebutseradeveniràboutdesrésistancesàl’éducationàlasanté,quoiqu’ilencoûtepédagogiquement.Onserapprochealorsdumodèledelarelationéducativetellequ’elleavaitétéenvisagéeparPlaton.

4. MéthodologieOutre une méthodologie de type historique pour comprendre et restituer lesmodèlesdesphilosophiesantiquesquiontportésurlarésistanceenéducation,laquestionméthodologiqueinviteàsedemandercommentprésentercesmodèlessanscantonnercetteinvestigationàn’êtrequ’uneapprochethéorique.

Ainsi,pourexposercommentlaphilosophiedeSocratecomprendlesdiffé-rentesrésistancesquerencontrel’éducationàlasantéetcommentellepropose

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d’y répondre, nous avons choisi d’illustrer cette approche théorique par unexemplesusceptibled’interpellerl’expériencedechacun,celuidufumeur.Danscetteperspective,notrefumeurseraceluiauquelmaintesinstancesontprésentélesrisquesetlesdangersdesapratique,maisqui,néanmoins,continuedefumer.Eneffet,pourqu’ilyaitrésistance,ilfautbienqu’ilyaiteu,aupréalable,unedémarcheéducativeminimaleentreprisedanslebutdechangersoncomporte-ment.Voyonscommentlemodèledelarésistanceàl’éducationdeSocratecom-prendcetterésistance.

En confrontant la théorie avec la réalité qu’elle prétend comprendre, nousespérons mettre en évidence les ressources éducatives que la philosophie deSocratesupposepourremédierà larésistance. Il s’agitdonc, ici,d’unemiseàl’épreuved’uneapprochephilosophiquevisantàsuggérerdenouvellespratiquespédagogiques.

5. Résultats5.1 La résistance comme résultat d’une ignoranceSi la résistanceà l’éducationest le résultatd’une ignorance,qu’entend-onparignorance?D’aprèsl’intellectualismedeSocrate,cetteignorancerésidedansunereprésentationerronéedesbiensquinousentourent:soitnoussurvalorisonsunbiendontparlasuitenousconstateronslafutilité,soitnousn’accordonsquepeudevaleuràunbiendontnousnousrendronscompteplustarddel’importance.Danslesdeuxcas,nouspensonsconnaîtreunbienàsajustevaleur,pournousapercevoirensuitequecetteconnaissanceétaitfausseouincomplète.L’éducation,pourSocrate,doitvenirpalliercetteignorance.

Danslecasdenotrefumeurinformédesrisquescourus,peut-onvraimentdirequ’ilnesaitpascequ’ilfait?Celadépenddessituations.Pourcomprendrelesnuancesquelesauteursdemodèlesphilosophiquesapportentàleurcompré-hensiondesrésistances,étudionsunepremièresituation.Cettesituationestcelledufumeurqui,informédesrisques,ditlui-mêmequ’ilsouhaitearrêterdefumermais,defait,continue.Ils’agitlàd’unexempletypedel’hommeintempérantouakratiqued’Aristote(1967).Quesepasse-t-il?Commentexpliquerqueledireetl’actionnesoientpasenadéquation?

PourAristote,l’hommeakratiqueestenfaitauxprisesavecunconflitintérieur.D’uncôté,saraisonluiditunechose(arrêter de fumer serait bien);del’autre,soncorps,siègedesplaisirs,luiendituneautre(fumer est délectable).Cequiexpliquepourquoi Aristote considère que l’action de l’homme akratique est en partieinvolontaire,danslesensoùilsuccombeàsesappétits,malgréunepartiedelui-même,lapartieraisonnable.Dansuneperspectivearistotélicienne,notrefumeurfumeraitdoncàcontrecœur.

Enquoiyaurait-iliciignorance?Danslaperspectivedel’intellectualismedeSocrate,notreactionrévèlecequenousconsidéronsêtrenotrebienréel,cartoutesnosactionstendentverscequenouspensonsêtrebienpournous.Ainsi,si le

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fumeur dit qu’il veut arrêter de fumer mais continue, cela signifie qu’au plusprofonddelui-même,ilestimequ’ilestpréférablepourluidecontinueràfumerquedes’arrêter.

Autrementdit, lefumeur,informédesrisquescourus, lesacertescompris,maiscettecompréhensionn’estquepartielledanslesensoù,pourSocrate,sicettecompréhensionavait été complète, elle aurait alorsnécessairementengagéunchangementdecomportement.C’est-à-direque,danscecas-ci,laconnaissancedesrisquesencourusn’estquesuperficielle:ellenemobilisepasl’individuauplusprofonddelui-même.Lorsquel’individuditqu’ilsouhaitearrêterdefumer,maisn’yparvientpas,c’estque,danslaperspectivedeSocrate,ilneveutpasvraimentarrêter.Illeveutenpartie:sapartielogique,raisonnable,lelogos,luiditqu’ilvaudraitmieuxarrêteretilenconvientaisément,maiscen’estqu’uneadhésionlogique,cen’estpasuneadhésiondeconviction,carlaconvictionengagetoutl’être:corpsetesprit.S’il levoulaitvraiment,soncorps(sestripesenquelquesorte)levoudraitégalement.Or,danscetexemple,ilestclairquelecorpsneleveutpas,quelecorpsestencoretournéversleplaisirdefumer.

Autrementdit,pourSocrate,àladifférenced’Aristote,iln’yapas,danscetexemplederésistance,conflitentrelaraisonetlesdésirs,maisconflitentredeuxdiscoursdelaraison.D’uncôté,saraisonluiditqu’arrêterdefumerseraitbienpourlui;d’unautrecôté,elleluiditaussiqueleplaisirdefumerestimportant.Or,sisapropreraisonluitientcedoublediscours(cequiexpliqueleconflitinté-rieur),c’estbienparcequ’ellen’apasprispleinemesurenidelanécessitévitaled’arrêterdefumer,niducaractèrenégligeableduplaisirquefumerprocureencomparaisondesrisquescourus(selonlediscoursdel’éducationàlasanté).D’oùl’idée socratique que l’homme akratique est en réalité ignorant: il n’a pasconscienceàquelpointunechoseestbonneoumauvaisepourlui.C’estdoncàl’éducateurqu’ilrevientderévélerceà quel point,defaireensortequel’adhésionnesoitpasseulementlogiqueetsuperficielle,voireuneadhésiondecomplaisance,maisengagel’êtreentierdel’individuetmobilisesoncorps.

Cette distance entre l’adhésion seulement logique et celle de la convictions’expliqueparlefaitquel’éducateur,pouréduquer,nedisposebiensouventqued’unseulmoyen:lelangage.Or,lesmotsnerenvoientpasforcémentàuneréalitéquinousaffecte.Pourêtrecompris,leurcohérencelogiquesuffit.Autrementdit,nouspouvonslescomprendresansforcémentqu’ilsnoustouchentréellement.C’est ainsi que, dans Émile  ou  de  l’éducation, Rousseau (1966), par exemple,dénonce l’absurdité éducative qui consiste à faire référence à l’avenir pourconvaincreunenfantdechangerdecomportement.Defait,toutaulongdecetouvrage,Rousseau(1966)incitel’éducateurànepasfaireviolenceàl’enfance,maisplutôtàadaptersondiscoursàsonélève:Traitez votre élève selon son âge(p.109); la plus utile règle de toute éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre(p.112);laissez mûrir l’enfance dans les enfants(p.113);Respectez l’enfance(p.131);Nul de nous n’est assez philosophe pour savoir se mettre à la place 

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d’un enfant(p.143);Chaque âge, chaque état de la vie, a sa perfection convenable, sa sorte de maturité (p.202). Inutiledoncde luienjoindredebientravailleràl’écolepourque,plustard,ilaituntravailbienrémunéré,oudeluidemandercequ’iladviendradeluis’iln’apprendpasàlire.L’argumentnepeutpasletoucherparceque,ditRousseau,l’avenirnefaitpaspartiedumondedel’enfant.Certes,ilencomprendlacohérencelogique,maisleproposluiresteindifférent.

Danscecasderésistanceàl’éducationàlasanté,ilyadoncadhésionlogique,puisquel’individucomprendlesinformationsrelativesauxrisques,maisiln’yaqu’uneadhésionlogique,parcequecesinformationsnel’affectentpasou,plusexactement,neleconduisentpasàremettreenquestionsonrapportàl’existence.Lestermesdesanté,mort,souffrances,dangers,risques,etc.,restentcreux;ilsnerenvoientpasàuneréalitéimminente.Sitelétaitlecas,danslaperspectivedeSocrate,l’individumodifieraitnécessairementsoncomportementenfonctiondecetteprisedeconscience.S’iln’yapasmodification,c’estqu’iln’yapasenprisedeconscienceréelle.L’éducateurdoitalorsamenersoninterlocuteuràprendrepleinementconsciencedecequereprésentechacundecestermespourlui.Onvoiticiqueletravaildel’éducateurestcomplexe,carils’agitdetravaillersurlesreprésentationsdechacunalorsmêmequechacunnourritdesreprésentationsdifférentes:alorsquecertainsn’aurontjamaisréellementpenséàlamortcommerisquepotentiel,pourd’autres, se sera la réalitéduhandicap,ouencorede lasouffrancedestraitements,quidevrontêtretravailléspourmettreenquestionleursreprésentations.C’estencesensqueSocrateparled’ignorance:cequelapersonneignoraitavantl’éducation,c’estcequ’étaitvraimentlamort,lavie,lasanté,lasouffrance,etc.,pourelle.Jusque-là,cestermesétaientdesabstractionsimpersonnelles;l’éducationleurdonnevieetpermetàchacundeselesapproprier.C’estpourquoicetravailnepeuts’inscrirequedansladurée:uneinterventionponctuellenesuffitpas–ourarement–,àelleseule,àdéclencheruneprisedeconsciencequimodifielesreprésentations,puislecomportementdelapersonne.

5.2 Le rôle de l’éducateur5.2.1 Faire comprendre les risques ?Alors,quepeutbienfairel’éducateur?Quellesressourcesa-t-ilàsadisposition?Ils’agitdecréerlesconditionsd’uneprisedeconsciencepourquel’apprenantagisseenconnaissancedecause.Ilnes’agitpasicid’uneconnaissanced’ordreseulementlogique,carcetypedeconnaissanceresteimpersonnelleetn’aaucuneefficacité,maisplutôtd’uneconnaissanceéprouvée.Pourquoiéprouvée?Pourquel’apprenantaitlapossibilitédecomprendreàquelleréalité,àquelétatdefaitrenvoiecedontonparle.

D’oùl’importanceaccordéeàlarhétorique,quicomprendunensembledetech-niquescapablesdemodifierlesreprésentations,quecesoitparcoobtentiondesémotions,parconviction,ouencoreparcrainte.DéjàdansGorgias(Platon,1993,527c),lepersonnagedeSocratelaissaitentrevoirlapossibilitéd’uneréhabilitation

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delarhétorique.Cependant,c’estAristote(1991),quiadavantageétudiélanaturedel’efficacitédudiscoursrhétoriqueenfaisantappelauconceptdecoobtentiondesémotions.Ceconceptrappellequec’estenproduisant,parsondiscours,desémo-tionsprécises chez les jurésque le rhéteurparvient àmodifier leur jugement.Cependant,larhétoriquen’estpasune :iln’existepasuntypedediscourssusceptibledenouspersuadertous;eneffet, leproprede larhétoriqueestdes’adapterauxspécificitéspsychologiquesdesoninterlocuteur.Sinousutilisonsletermepsycho-logique, c’estparcequeces théoriesphilosophiques sur l’efficacitédesdiscoursreposentsuruneanalysedelapsyché,del’âme.

Pourcernercesspécificitéspsychologiques, l’éducateurdoitcomprendre lasituationdeceluiqu’ilcompteéduqueret,sirésistanceilya,dequellenatureestcetterésistance.Si,danslasituationétudiéeprécédemment,ilyavaitignorance,nousavonsvuquecetteignorancen’étaitpasforcémentlamêmed’unindividuàunautre:pourcertains,ils’agitdetravaillersurlaréalitédesdangersqu’ilscourent;pourd’autres,surlareprésentationdelavieetdelamort;pourd’autresencore,surlesconséquencesdetelleoutelledécisionpourl’entouragedel’indi-vidu, etc. Il y aura donc, potentiellement, autant de stratégies éducatives qued’individusàéduquer.

5.2.2 Privilégier le développement personnel à tout prix ?Deplus,larésistanceàl’éducationnetientpastoujoursàl’ignorance.Eneffet,considérons une deuxième situation: le fumeur, bien qu’informé des risquescourus,nechangepassoncomportement,carilnelesouhaitepas.Outrel’expli-cationdel’ignorance(ilneleveutpasparcequ’ilnesaitpasà quel pointcettepratiqueestdangereusepourlui),cettesituationpeuts’expliquerparlefaitquelefumeurchoisitdélibérémentcecomportement.Cechoixdélibérédecontinuerdefumeroudepoursuivreunepratiquerisquées’expliquerait,parexemple,parlefaitquecequecertainsconsidèrentcommeunrisquen’enestpasunpourcespersonnes: soit qu’elles remettent en cause les informations scientifiques quijustifientquel’onappelleunechoseunrisque;soitquelasanté,finalitédel’édu-cationàlasanté,nereprésentepas,pourellesetentouteconnaissancedecause,unbiensuffisantpourmotiverunchangementdecomportement.Danscecas-ci,c’estlavieelle-mêmequiestconsidéréecommeunbiennégligeable.L’éducateurdoitdoncs’assurerquec’estbienenconnaissancedecausequelecomportementaétéchoisi,quecen’estpasparignorancequelavieestmépriséeouquelesrisquessontniés.

Eneffet,onpeutadmettrelapossibilitéd’unerésistancelégitimeàl’éducationàlasantéquinesoitpasdueàl’ignorancedel’individu,maisàunchoixexisten-tiel délibéré. Un tel choix est, certes, lourd de signification. C’est pourquoi laconceptionqueSocrateproposedelarelationéducativeviseàmettreàl’épreuveleschoixdechacunetàs’engager,avecsoninterlocuteur,dansunedémarchephilosophiqued’accompagnementdansuneconnaissancedesoitoujoursplus

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sûreetplusapprofondie.Cetteconceptiondelarelationéducativeaccepte,onleconstate,lapossibilitédel’inefficacitédel’éducation,puisqu’elletendà mobiliserl’engagementexistentieldeceluiqu’ilveutéduquer,àl’éprouversanspourautantsesubstitueràsonautorité;donc,sanspourautantendoctriner.

Cependant,d’autresconceptionsdel’éducationpréfèrentprivilégierl’efficacitéplutôtqueledéveloppementpersonnel.Platon,parexemple,distinguetroiscom-posantesàl’âmeetaélaborétroistypesdediscours(2006)selonqueprédominetelleoutellecomposante: lediscoursrationnels’adresseauxâmesgouvernéesparl’intellect;lediscourscoercitifseraefficacesurlesâmesgouvernéesparleursdésirsparcequ’ellescraindrontlapunitionetserontattiréesparlesrécompenses;quantauxâmesgouvernéesparlecœur(thumos),lediscoursdetypemédiateur(Lacks,2005)seraleplusapproprié,undiscoursquimetenœuvreunesortedechantageaffectifetjouesurl’importanceduregarddesautrespourcesâmes-là.DanslaperspectivedePlaton,cequicompte,cen’estpasquel’éduquéadhèreréellementauxprincipesdel’éducationquel’onveutluitransmettre;quesonactionysoitconformesuffit.Etce,quelquesoitleprixdecetteconformité.Lerecoursàl’endoctrinement,quibrisetouterésistance,peutainsiêtrelégitiméaunomduprinciped’efficacitéetaudétrimentdelalibertédepenser.

5.2.3 Le respect des libertés de penser de chacun ?Onvoiticiquelesrésistancesàl’éducationpeuventégalementêtreinterprétéesnonpascommelesigned’unéchecdel’éducation,maiscommelesigned’unerelationéducativerespectueusedeslibertésdepenserdechacun.C’estquelefaitqu’ilyaitrésistancemontreprécisémentqu’iln’yapaseuendoctrinement,etqu’on est donc en présence d’une éducation soucieuse non pas de manipulerl’apprenantetdeluifaireadopter,malgrélui,uncomportementauqueliln’adhèrepas, mais bien de l’y accompagner. Or, l’accompagnement nécessite temps etrésistancesparcequ’ilconduitauchangement.Pourêtrerespectueuxdel’appre-nant, ce changement auquel aspire l’éducation implique nécessairement desrésistances – qu’elles soient fondées ou pas, l’éducateur devra les éprouver.Autrementdit,silesrésistancesenéducationrévèlentleslimitesdel’efficacitédudiscourséducatif,quidoitalorss’adapteràsoninterlocuteur,ellesengarantissentlecaractèreéthique.

Decepointdevue,l’efficacitédelarelationéducativerésidedanslefaitqu’ellenefaitpasviolenceàlalibertédepenserdel’apprenant,maisdevientlelieudesonexpression.Larelationéducativeprendalorslaformed’unaccompagnementquin’imposepasdecontenudepensée,maisoùl’éducateuraccompagnel’éduquédanslaconstructiond’unepenséepropre(VialetCaparros-Mencacci,2007).Ilnes’agitdoncplusseulementdevaincrelesrésistancesàl’éducationàlasanté,maisde lescomprendrepourapprécier leur fondement,et lorsquecelui-ciesterroné,d’accompagnerchaqueéduquédanslaconstructiondesonproprerai-sonnementpourréorganisersoncomportement.

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Faceauxrésistances,l’éducateurpeutdoncs’engagerdansdeuxtypesderela-tions éducatives différentes: l’une, qu’une tradition de pensée philosophiquequalifiedetotalitaire,quisacrifielalibertédepenseretl’autonomiedel’individuà l’efficacitédel’éducation,relationquenousavonsretrouvéedansl’approcheplatonicienne;l’autre,éthiqueoudémocratique,quiconçoitl’éducationcommeunaccompagnementbienveillant,quitteàcequel’efficacitédel’éducationsoitmoindre,relationquinoussemblerépondreàlaphilosophiedeSocrate.

6. Discussion des résultatsDémocratiqueou totalitaire,accompagnementouendoctrinement, la relationéducativedemeureunemanipulation.Dans lesensoùl’éducationtransformesciemmentl’étatdel’apprenant,cechangementestlebutdel’éducation.Cen’estdoncpasdanslecaractèremanipulateurquerésidelaquestiondelarésolutiondesrésistances,cartouteéducationestbienmanipulatrice.Laquestionconcernedavantagel’intentiondel’éducateur:s’agit-ild’unengagementdémocratiquequitentededévelopperlapenséedel’individuous’agit-ild’unformatageindifférentauxspécificitésdechacun?

Cependantlepremierest-ilsiéthiqueetlesecondsicondamnable?Eneffet,danslecadredel’éducationàlasanté,n’est-ilpaspréférablequelesgensvivent,mêmesic’estauprixd’unealiénationàunendoctrinement?Onpeutsedemander,danscecas,silafinnejustifiepaslesmoyens.Parailleurs,l’efficacité,sacrifiéeaunomd’uneéducationdémocratique,sacrifieégalementlasantédeceuxaux-quelsestdestinéecetteéducation.Est-onprêtàassumeruntelsacrificeaunomdel’éthiquedelarelationéducative?Unetelleéducations’inscritdansladuréeetpeutnejamaisaboutir.Peut-on,parprincipe,accepterdetellesconséquences?Ilexiste,noussemble-t-il,dessituationsd’urgence,oùlasurvieoulasécuritéd’unindividuestenjeu,quilégitimentsansdouteunrecourstemporaireàl’endoctri-nement.Précisonsicitemporaire,cartoutledangerdecetteinterrogationrésidedanslatentationd’accepterquecerecoursnesoitpasseulementtemporaire,maisdeviennedéfinitif.

C’estpourquoilecadreetlesconditionsmatériellesdel’éducationàlasantéetl’enjeuspécifiquedecetteéducation –lasanté–nepeuventêtreécartéslorsdel’appréciationdelarelationéducative.Siuneinterventionponctuelleenéducationàlasanténepeutmettreenplaceunaccompagnementdignedecenom,queltypederelationéducativeadopteralors,enconnaissancedecause?

Cettediscussiondel’approchephilosophiquedel’éducationmontrequ’ilnes’agitplusicidehiérarchiserlesdeuxtypesderelationséducatives–démocra-tique / totalitaire–maisplutôtdemontrerque,danscertainesconditions,l’en-gagementéthiquedel’éducateurnesuffitpasàgarantirl’intégritédelarelationéducative.Selonlecontexte,celle-ciadesconséquencesqui doiventêtreprisesen considération. L’engagement démocratique de l’éducateur ne peut être unrefugepourlégitimerlerecourssystématiqueàunerelationéducativedecetype,

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sanssoucidesconséquences,notammentliéesàladuréedel’accompagnement,àlapossibilitéd’unéchecetauxconditionsmatériellesdecetaccompagnement.Inversement,onpeutsansdoute,danscertainscas,reconnaîtreàl’endoctrinementdesconséquenceslouablesjustifiantlesacrificedelarelationéducative.

Unedeuxièmelimitequenouspouvonsreconnaîtreàcetteinvestigationestuneconséquenceducadrethéoriquedanslequels’inscritcetteapproche:laphi-losophienepeutques’occuperdel’âme.Nousavionsposéquelamotivationétaituneaffairedesensetlaphilosophieouplutôtlephilosopherestprécisémentceparquoil’onpeuttravaillersurcesensetainsiorienterlamotivation.

Cependant,forceestderemarquerquel’éducationàlasantén’estpasqu’unequestiondemotivation,carintervientunautreélémentquel’âmeayantsespro-preslois:lecorps.Etmêmelesphilosophesquiontconsidérél’imbricationintimede l’âme et du corps, considérant qu’en agissant sur l’un, on agit sur l’autre,reconnaissentleslimitesdecetteapproche.Autrementdit,parfois,pourchangerl’étatdel’âme,ilfautchangerl’étatducorps,carcelui-cipeutentraverlebonfonctionnementdecelle-là.C’estpourquoilesmodèlesphilosophiquesquicher-chentàrépondreauproblèmedelarésistanceenéducationnepeuventproposerqu’unesolutionrelativeàlamotivation,relativeausens,entantquecedernierselogedansl’âme.

Cesmodèlesneprétendentdoncpasrésoudreleproblèmedelarésistanceàl’éducationàlasantésicedernierrelèved’unedépendancephysiqueoud’unepathologie.L’approchephilosophiqueneprétendaucunementsesubstitueràlamédicalisation.Inversement,lamédicalisationnepeutsesubstitueràuntravailphilosophiquedusens: lamédecinenepeutrépondreauxquestionsquenousposel’existence.Or,l’éducationàlasantésupposequel’onreconnaisseunsensàl’existencequiengagelecomportementàpréserverlasanté.

Voilàpourquoiledernierpointquenousvoulonssoumettreàladiscussion,relativementàl’approchephilosophiquedesrésistancesàl’éducation,concernelesuicide.Commentl’éducationàlasantépeut-elleprévenirlesuicide?Lesuiciden’estpasunemaladie.Ilpeut,certes,dépendred’unétatmaladifducorps,maisil est également souvent l’expression d’un mal d’exister. Or, savoir commentœuvrer à la préservation de sa santé n’implique aucunement la volonté de lapréserver.Savoircommenttraiteretprévenirmédicalementunepulsionsuicidaireestunechose,savoirprévenirunecriseexistentiellepouvantaboutirausuicideenestuneautre.Eneffet,seloncesdeuxlogiques,lepremierrapportausuicideest médical, le second est une affaire de sens à laquelle la médecine ne peutrépondre.Seuleunedémarcheéducativephilosophiquelepeut,carlequestion-nementphilosophiqueapourfinalitélaconstructiond’unsenspropreàchacun.

Ilfautdoncquecetteéducationàlasanténesoitpasseulementuneéducationàlasantéducorps,quisecontented’informersurlagestionmédicaledesrisques,maisbienégalementuneéducationàlasantédel’âme,quiengageunedémarcheréflexivedonnantàchacunlapossibilitédedécouvrirlesensmêmedel’éducation

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àlasanté:pourquoipréserversasanté?Autrementdit,pourquoivivre?Entantque démarche réflexive sur le sens et la valeur que l’on accorde à l’existence,l’éducationàlasantédevientphilosophiqueetsetransformeenunemédecinedel’âme.

7. ConclusionNousnousétionsdemandécommentlaphilosophiecomprenaitlarésistanceàl’éducationetcommentelleseproposaitd’yrépondre.Nousavionsalorssuggéréd’éprouverlaféconditéd’unmodèleinterprétatifdecetterésistance,celuiquenousproposelaphilosophiedeSocrate,afindecomprendrequellessontlesres-sourcesdupédagoguefaceàcetterésistance.Pouréprouvercettefécondité,nousavonsdécidédeconfronterthéorieetpratiqueou,plusexactement,d’explicitercommentlaphilosophiedeSocratepermettaitdesaisiruncasconcretderésis-tanceàl’éducationàlasanté.Cetteconfrontationdevaitàlafoisétablirlacohé-renceetleslimitesdecemodèleinterprétatif.

LemodèledeSocratesaisitlarésistanceàl’éducationentermesd’ignorance,maisplusqu’uneignoranceausensdemanque d’informations,ils’agitenréalitéd’unimpenséou,plusexactement,d’uneformed’inconscience.Cetteinterpré-tations’inscritdanslacontinuitédel’intellectualismedeSocrate(Dorion, 2004;Hadot,1995).

Laphilosophiedel’éducationinviteàdistinguerdeuxtypesderelationédu-cativesusceptiblesdegénérercetteprisedeconscience:lapremière,qualifiéedetotalitaire,tented’imposercetteprisedeconscience,quecesoitparpersuasionoudissuasion(deuxprocessusquenousavonsinscrits,précédemmentetdansunetraditionaristotélicienne,dans lechampde lamanipulationdesémotions); laseconde,qualifiéededémocratique,tentedefaireémergercetteprisedeconscienceenengageantuntravailderéflexionavecl’apprenant,travaildanslequelcedernierenvientàpercevoirlui-mêmelanécessitéetlebien-fondéd’unchangementdanssoncomportement,cequicen’étaitpaslecasdanslepremiertypederelationéducative.Alorsquelepremiertypederelationéducativeserapprochedel’en-doctrinement,lesecondsemblerelever,lui,del’accompagnement.

Leslimitesdecesdeuxtypesderelationéducativenepermettentcependantpasd’encondamnerunesystématiquementauprofitdel’autre:selonlepremiertypederelationéducative,lafin(lasanté)justifielesmoyens,maispasdanslesecond,quisevoitdèslorssoumisàuneinscriptiondansletempsetconfrontéà lapossibilitéde l’échec.Autrementdit, l’engagementéthiquede l’éducateurpourl’undesdeuxtypesderelationéducativenegarantitpasàluiseullaqualitééthiquedesapratique,danslamesureoùlesortdel’éduquéestégalementenjeu.

L’éducateurdisposed’unensembledetechniquesrhétoriquespourorganisersondiscoursetexploiterlesdifférentesmodalitésdel’efficacitédiscursivespouratteindresonbut: faireémergeruneprisedeconsciencequioccasionneraunchangementdanslecomportement.Néanmoins,toujoursdanslaperspectivede

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Socrate,engageruntravailderéflexionsembleêtreleplusàmêmedemettreàl’épreuvelesrésistancesdechacun,delesexamineret,finalement,delesmettreàprofitenvued’unengagementplusprofondpourcechangementdecomporte-ment.C’estpourquoi,par rapport aux investigations liéesà laphilosophiedeSocrate,nousdirionsqueSocraten’étaitpaspédagogueenplusd’êtrephilosophe,maispédagogueparcequelapédagogieestfondamentalementphilosophique.

Pourêtreefficace,laphilosophieproposedoncàl’éducationàlasantéd’adopterunepédagogiequiengageunedémarchephilosophique,c’est-à-direuneréflexionsurcesconceptsetsurlavaleurqu’onleurreconnaît.Entendons-nousbien,ilnes’agitpasdedirequel’éducationàlasantédoitdevenirphilosophiqueparcequ’ellenel’étaitpasjusque-là!Enfait,danscetteperspective,c’estl’originemêmedel’éducationàlasantéquiestphilosophique.L’éducationàlasantéestphiloso-phiquedèssonintention,carvouloiréduqueràlasantéimpliqueunengagementphilosophique, engagement qu’il s’agit de partager pour que cette éducationdevienne véritablement efficace, à savoir existentiellement efficace. C’est doncfinalementenrestantphilosophiquequel’éducationàlasantépeutapprécierlesrésistancesqu’ellerencontreetqu’ellepeutlesrésorber.Lamotivationesteneffetunthèmequiaététraitépardenombreuxphilosophes,notammentenrelationavecceluidel’imagination(Platon,Aristote,lesstoïciens,lesPèresdel’église,maisaussiDescartes,Pascal,Kant…).Unepistederecherchequipourraits’avérerfécondepournourrirlaréflexionsurlesrésistancesàl’éducationàlasanté.

Dès lors, laphilosophiede l’éducationsevoit invitéeàpuiserdans lesres-sourcesdel’histoiredelaphilosophie,dansdesressourcesthéoriquespourétablirdesmodèlesd’interprétationsvisantàcontribueràsaisirlacomplexitédel’hu-main,lacomplexitédelaréalitéhumaine.Cettesaisieétanttoujoursimparfaite,satâchedemeureinachevéeetl’appelauphilosopher,infini.

english  title • Understanding resistance to health education : the nature of ignorance in Socrates’ philosophy

summary • This theoretical article refers to Socrates’ interpretation in order to explain the role that ignorance plays in resistance to health education and how to find solutions to this problem. The objective is to verify the validity of this philosophical approach : its limits and also its moder-nity. The authors suggest confronting this theory and its practical reality. Using an example, they show that this ignorance is not only a lack of information but rather an inattentiveness to the underlying meaning, so that, although the information has been understood, the reality to which it refers has not necessarily been integrated. This interpretation encourages researchers in health education to pursue further philosophical reflection.

key words • Health education, resistances, ignorance, ethics, Socrates’ pedagogy.

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título • Entender las resistencias a la educación para la salud : la naturaleza de la ignorancia en la filosofía de Sócrates

resumen • Este artículo teórico apela a una concepción filosófica de la resistencia a la educación para entender la parte de ignorancia que conlleva y encontrar la manera de remediarla. Asimismo, nos proponemos poner a prueba este enfoque para comprobar sus limitaciones, pero también la modernidad : por medio de un ejemplo concreto, veremos que esta ignorancia no tanto com-pete a una falta de información como a una cierta forma de inconsciencia en el sentido que, pese a que la información haya sido entendida, la realidad que conlleva no necesariamente ha sido percibida. Tal interpretación lleva a los investigadores en educación para la salud a involu-crarse en un trabajo de reflexión filosófica.

palabras claves • educación para la salud, resistencias, ignorancia, ética, pedagogía socrá-tica.

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MadameMarieAgostiniestattachéetemporaired’enseignementetderecherche(ATER)àl’Institutuniversitairedeformationdesmaîtresàl’Universitéd’Aix-Marseille1.

[email protected]@romarin.univ-aix.fr

Contribution des auteuresMarieAgostini:70%JeanneMallet:30%

CetexteaétéréviséparSandraNajac.

Textereçule:25avril2009Versionfinalereçuele:30novembre2009Acceptéle:4août2010

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