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(1830-1842)
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Cours de philosophiepositive / par M.
Auguste Comte,...
Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France
Comte, Auguste (1798-1857). Cours de philosophie positive / par M. Auguste Comte,.... 1830.
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COURS
DE
PHILOSPHIE POSITIVES.
IMPRIMERIE DE BACHELIER.
rue du Jardinet, n 12.
COURS
DE
PHILOSOPHIE POSITIVE,
PAR M. AUGUSTE COMTE,ANCIENLVEDE L'COLEPOLYTECHNIQUERPTITEUR D'ANALYSESTRANICENDANTE
ETDEMCANIQUERATIONNELLEALADITECOLE.
TOME DEUXIME,
CONTENANT
LA PHILOSOPHIE ASTRONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE
PARIS,BACHELIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE
POUR LES SCIENCES,
QUAI DES AUGUSTINS, N 55.
1835
DE LA PHYSIQUE.
AVIS DE L'AUTEUR.
Le premier volume de cet ouvrage, renfermant les
prliminaires gnraux et la philosophie mathmatique,a paru en juillet i83o. La crise extraordinaire survenue
dans la librairie, la suite des vnemens politiques, a
long-temps interrompu cette publication, que les pre-miers diteurs se sont vus contraints d'abandonner.Confie maintenant un nouvel diteur, dont le nom
est une garantie, elle sera dsormais continue, de faon tre termine la fin de l'anne 1835.
Il peut tre utile de rappeler ici que, suivant le plan
gnral expos ds l'origine, ce second volume com-
prend la philosophie astronomique et la philosophie dela physique proprement dite le troisime sera consacr
la philosophie chimique et la philosophie physiolo-
gique enfin, le quatrime contiendra la philosophiesociale et les conclusions philosophiques qui rsultentde l'ensemble de l'ouvrage; chaque volume tant com-
pos de dix-huit leons.
DIX-NEUVIMELEON.
Considrations philosophiques sur l'ensemble de la science
astronomique.
L'astronomie est jusqu'ici la seule branche dela philosophie naturelle dans laquelle l'esprit hu-
main se soit enfin rigoureusement affranchi de
toute influence thologique et mtaphysique, di-
recte ou indirecte; ce qui rend particulirementfacile de prsenter avec nettet son vrai carac-
tre philosophique. Mais, pour se faire une justeide gnrale de la nature et de la compositionde cette science, il est indispensable, en sortantdes dfinitions vagues qu'on en donne encore ha-
bituellement, de commencer par circonscrire avec
PHILOSOPHIE POSITIVE.8
exactitude le vritable champ des connaissances
positives que nous pouvons acqurir l'gard des
astres.
Parmi les trois sens propres nous faire aper-cevoir l'existence des corps loigns, celui de la
vue est videmment le seul qui puisse tre em-
ploy relativement aux corps clestes; en sorte
qu'il ne saurait exister aucune astronomie pourdes espces aveugles, quelque intelligentes qu'onvoult d'ailleurs les imaginer; et, pour nous-
mmes, les astres obscurs, qui sont peut-tre plusnombreux que les a,-tres visibles, chappent
toute tude relle, leur existence pouvant tout
au plus tre souponne par induction. Toute
recherche qui n'est point finalement rductible
de simples observations visuelles nous est donc
ncessairement interdite au sujet des astres, quisont ainsi de tous les tres naturels ceux que nous
pouvons connatre sous les rapports les moins
varis. Nous concevons la possibilit de dtermi-
ner leurs formes, leurs distances, leurs grandeurset leurs mouvemens; tandis que nous ne sau-
rions jamais tudier par aucun moyen leur com-
position chimique, ou leur structure minralogi-
que, et, plus forte raison, la nature des corps
organiss qui vivent leur surface, etc. En un
mot, pour employer immdiatement les expres-
ASTRONOMIE. 9
sions scientinqucs les plus prcises, nosconnais.
sances positives par rapport aux astres sont nces-
sairement limites leurs seuls phnomnes go-
mtriques et mcaniques, sans pouvoir nullement
embrasser les autres recherches physiques, chi-
miques, physiologiques, et mme sociales, que
comportent les tres 'accessibles tous nos divers
moyens d'observation.
Il serait certainement tmraire de prtendrefixer avec une prcision rigoureuse les bornes n-
cessaires de nos connaissances dans chaque partiedtermine de la philosophie naturelle; car, en
s'engageant dans le dtail, on les placerait pres-
que invitablement ou trop prs ou trop loin.
Une telle apprciation est d'ailleurs singulire-ment influence par l'tat de notre dveloppe-ment intellectuel. Ainsi, tel esprit, entirement
tranger aux conceptions mathmatiques, ne
comprend pas mme qu'on puisse estimer avec
certitude les distances et les dimensions des corps
clestes, puisqu'ils ne sont point accessibles; tan-
dis que tel autre, demi clair sous ce rapport,admettra sans difficult la possibilit de sembla-
bles mesures, mais niera son tour qu'on puisse
peser indirectement le soleil et les plantes. No-
nobstant ces remarques videntes, il n'en est pasmoins indispensable, ce me semble, de poser cet
10 PHILOSOPHIE POSITIVE.
garddes limites gnrales, pour que l'esprit hu-
main ne se laisse point garer dans le vaguede recherches ncessairement inabordables, sans
que cependant il s'interdise celles qui sont vrai-
ment accessibles par des procds plus ou moins
indirects, quelque embarras qu'on doive prou-ver concilier ces deux conditions galementfondamentales. Cette conciliation si dlicate me
parat essentiellement tablie l'gard des re-
cherches astronomiques par la maxime philoso-
phique ci-dessus nonce, qui les circonscrit dans
les deux seules catgories des phnomnes gom-
triques et des phnomnes mcaniques. Une telle
rgle n'a rien d'arbitraire, puisqu'elle rsulte vi-
demment d'une comparaison gnrale entre les
objets tudier et nos moyens pour les explorer.Son application peut seule prsenter quelque
difficult, qu'un examen spcial plus approfondifera presque toujours disparatre dans chaque cas
particulier, en continuant procder d'aprs le
mme principe fondamental. Ainsi, pour fixer les
ides, dans la clbre question des atmosphres des
corps clestes, on pouvait certainement concevoir,mme avant la dcouverte des ingnieux moyens
imagins pour leur exacte exploration, qu'unetelle recherche nous prsentait quelque chose
d'accessible, cause des phnomnes lumineux
ASTRONOMIE. 11
plus ou moins apprciables que ces atmosphresdoivent videmment produire; mais il est tout
aussi sensible, par la mme considration, quenos connaissances, l'gard de ces enveloppes
gazeuses, sont ncessairement bornes celles de
leur existence, de leur tendue plus ou moins
grande, et de leur vrai pouvoir rfringent, sans
que nous puissions nullement dterminer ni leur
composition chimique, ni mme leur densit en
sorte qu'il y aurait une grave inadvertance sup-
poser, par exemple, comme on l'a fait quelque-
fois, l'atmosphre de Vnus aussi dense que notre
atmosphre, d'aprs la rfraction horizontale d'en-
viron un demi-degr qui leur est commune, car la
nature chimique des gaz influe autant que leur
densit sur leur puissance rfringente.En gnral, dans chaque espce de question
que nous pouvons imaginer sur les astres, ou nous
apercevons clairement qu'elle ne dpend en der-
nier lieu que d'observations visuelles plus ou
moins directes, et alors nous n'hsitons pas la
dclarer tt ou tard accessible; ou bien nous re-
connaissons avec vidence qu'elle exigerait par sa
nature, quelque autre genre d'exploration, et
dans ce cas nous ne devons pas balancer davan-
tage l'exclure comme radicalement inabordable;
ou, enfin, nous ne voyons nettement ni l'un ni
PHILOSOPHIE POSITIVE.12
l'autre, et ds lors nous devons compltement
suspendre notre jugement, jusqu' ce que le pro-
grs de nos connaissances relles vienne nous
fournir quelques indications dcisives, disposition
d'esprit malheureusement fort rare et pourtantbien ncessaire. Cette rgle est d'autant plus ais-
ment applicable que l'observation scientifique
n'emploie jamais et ne saurait employer d'autres
moyens que l'observation la plus vulgaire dans
des circonstances analogues; seulement elle en
perfectionne et en tend l'usage.La dtermination des tempratures est proba-
blement la seule l'gard de laquelle la limite
prcdemment tablie pourra paratre aujour-d'hui trop svre. Mais, quelques esprances qu'ait
pu fire concevoir ce sujet la cration si capi-tale de la thermologie mathmatique par notre
immortel Fourier, et spcialement sa belle va-
luation de la temprature de l'espace dans lequelnous circulons, je n'en persiste pas moins re-
garder toute notion sur les vritables tempra-tures moyennes des diffrens astres comme de-
vant ncessairement nous tre jamais interdite.
Quand mme toutes les influences thrmologiques
proprement dites, relatives aux changes de cha-
leur entre les divers corps clestes, auraient t
mathmatiquement analyses, ce qui d'ailleurs
ASTRONOMIE. 13
me semble peu admissible, la question renferme-
rait toujours un lment qui doit tre ternelle-
ment inconnu, et qui cependant est peut-tre
prpondrant pour certains astres, l'tat interne
de chacun d'eux, et, dans beaucoup de cas, la
manire non moins inconnue dont la chaleur est
absorbe par son atmosphre. Ainsi, par exem-
ple, la tentative de Newton, pour valuer la tem-
prature de la comte de 1680 son prihlie,tait certainement illusoire; car un tel calcul,refait mme aussi convenablement qu'il peutl'tre aujourd'hui apprendrait, tout au plus,
quelle serait la temprature de notre terre si,sans rien changer sa constitution actuelle, on
la supposait transporte dans cette position: ce
qui, vu les diffrences physiques et chimiques,
peut s'carter extrmement de la temprature ef-
fective de la comte.
D'aprs les considrations prcdentes, je crois
donc pouvoir dfinir l'astronomie avec prcision,et nanmoins d'une manire assez large, en lui as-
signant pour objet de dcouvrir les lois des ph-nomnes gomtriques et des phnomnes mca-
niques que nous prsentent les corps clestes.
A cette limitation ncessaire portant sur la na-
ture des phnomnes observables, il faut, ce me
semble, pour tre pleinement dans la ralit
PHILOSOPHIE POSITIVE.14
scientifique, en ajouter une autre relative aux
corps qui peuvent tre le sujet de telles explora-tions. Cette dernire restriction n'est point sans
doute absolue comme la premire, et il importe
beaucoup de le remarquer; mais, dans l'tat pr-sent de nos connaissances, elle est presque aussi
rigoureuse.Les esprits philosophiques auxquels l'tude ap-
profondie de l'astronomie est trangre, et les as-
tronomes eux-mmes, n'ont pas suffisamment
distingu jusqu'ici, dans l'ensemble de nos recher-
ches clestes, le point de vue que je puis appelersolaire, de celui qui mrite vritablement le nom
d'universel. Cette distinction me parait nanmoins
iudispensable pour sparer nettement la partie de
la science qui comporte une entire perfection,de celle qui, par sa nature, sans tre sans doute
purement conjecturale, semble cependant devoir
toujours rester presque dans l'enfance, du moins
comparativement la premire. La considration
du systme solaire dont nous faisons partie nous
offre videmment un sujet d'tude bien circons-
crit, susceptible d'une exploration complte, et
qui devait nous conduire aux connaissances les
plus satisfaisantes. Au contraire, la pense de ce
que nous appelons l'univers est par elle-mme
ncessairement indfinie, en sorte que, si ten-
ASTRONOMIE. 15
dues qu'on veuille supposer dans l'avenir nos con-
naissances relles en ce genre, nous ne saurions
jamais nous lever la vritable conception de
l'ensemble des astres. La diffrence est extrme-
ment frappante aujourd'hui, puisque, ct de
la haute perfection acquise dans les deux derniers
sicles par l'astronomie solaire, nous ne poss-dons pas mme encore, en astronomie sidrale,le premier et Je plus simple lment de toute re-
cherche positive, la dtermination des intervalles
stellaires. Sans doute nous avons tout lieu de pr-
sumer, comme j'aurai soin de l'expliquer plustard, que ces distances ne tarderont pas tre
values, du moins entre certaines limites, l'-
gard de plusieurs toiles, et que, par suite, nous
connatrons, pour ces mmes astres, divers au-
tres lmens importans, que la thorie est toute
prte dduire de cette donne fondamentale,tels que leurs masses, etc. Mais l'importante dis-
tinction tablie ci-dessus n'en sera nullement
affecte. Quand mme nous parviendrions un
jour tudier compltement les mouvemens re-latifs de quelques toiles multiples, cette notion,
qui serait d'ailleurs trs prcieuse, surtout si elle
pouvait concerner le groupe dont notre soleil fait
probablement partie, ne nous laisserait videm-
ment gure moins loigns d'une vritable con-
16 PHILOSOPHIE POSITIVE.
naissance de l'univers, qui doit invitablement
nous chapper toujours.Il existe, dans toutes les classes de nos recher-
ches et sous tous les grands rapports, une harmo-
nie constante et ncessaire entre l'tendue de nos
vrais besoins intellectuels et la porte effective,actuelle ou future, de nos connaissances relles.
Cette harmonie, que j'aurai soin de signaler dans
tous les phnomnes, n'est point, comme les phi-
losophes vulgaires sont tents de le croire, le r-
sultat ni l'indice d'une cause finale. Elle drive
simplement de cette ncessit vidente nous
avons seulement besoin de connatre ce qui peut
agir sur nous, d'une manire plus ou moins di-
recte et, d'un autre ct, par cela mme qu'unetelle influence existe, elle devient pour nous tt
ou tard un moyen certain de connaissance. Cette
relation se vrifie d'une manire remarquabledans le cas prsent. L'tude la plus parfaite pos-sible des lois du systme solaire dont nous faisons
partie, est pour nous d'un intrt capital, et aussi
sommes-nous parvenus lui donner une prci-sion admirable. Au contraire, si la notion exacte
de l'univers nous est ncessairement interdite,il est vident qu'elle ne nous offre point, except
pour notre insatiable curiosit, de vritable im-
portance. L'application journalire de l'astrono-
ASTRONOMIE. 17
TOME Il. 2
me montre que les phnomnes intrieurs de
chaque systme solaire, les seuls qui puissent af-
fecter ses habitons, sont essentiellement indpen-dans des phnomnes plus gnraux relatifs
l'action mutuelle des soleils, peu prs comme
nos phnomnes mtoroliques vis--vis des ph-nomnes plantaires. Nos tables des vnemens
clestes, dresses, long-temps d'avance, en ne
considrant dans l'univers aucun autre monde
que le ntre, s'accordent jusqu'ici rigoureuse-ment avec les observations directes, quelque mi-
nutieuse prcision que nous y apportions aujour-d'hui. Cette indpendance si manifeste se trouve
d'ailleurs pleinement explique par l'immense
disproportion que nous savons certainement exis-
ter entre les distances mutuelles des soleils et les
petits intervalles de nos plantes. Si, suivant une
grande vraisemblance, les plantes pourvues d'at-
mosphres, comme Mercure, Vnus, Jupiter, etc.,sont effectivement habites, nous pouvons en re-
garder les habitans comme tant en quelque faonnos concitoyens, puisque, de cette sorte de patriecommune, il doit rsulter ncessairement une
certaine communaut de penses et mme d'in-
trts tandis que les hahitans des autres systmessolaires nous doivent tre entirement trangers.II faut donc sparer plus profondment qu'on n'a
PHILOSOPHIE POSITIVE.18
coutume de le faire le point de vue solaire et le
point universel, l'ide de monde et celle d'uni-
vers le premier est le plus lev auquel nous
puissions rellement atteindre, et c'est aussi le
seul qui nous intresse vritablement.
Ainsi, sans renoncer entirement l'espoird'obtenir quelques connaissances sidrales, il faut
concevoir l'astronomie positive comme consistant
essentiellement dans l'tude gomtrique et m-
canique du petit nombre de corps clestes qui
composent le monde dont nous faisons partie.C'est seulement entre de telles limites que l'as-
tronomie mrite par sa perfection le rang suprme
qu'elle occupe aujourd'hui parmi les sciences na-
turelles. Quant ces astres innombrables diss-
mins dans le ciel, ils n'ont gure, pour l'astro-
nome, d'autre intrt principal que celui de nous
servir de jalons dans nos observations, lenrs po-sitions pouvant tre regardes comme fixes rela-
tivement aux mouvemens intrieurs de notre sys-
tme, seul objet essentiel de notre tude.
En considrant, dans tout le dveloppement dece cours, la succession des divers ordres de ph-nomnes naturels, je ferai soigneusement ressortir
une loi philosophique trs importante, et tout--
fait inaperue jusqu' prsent, dont je dois signalerici la premire application. Elle consiste en ce
ASTRONOMIE.19
a..
que, mesure que les phnomnes tudier de-
viennent plus compliqus, ils sont en mme temps
susceptibles, par leur nature, de moyens d'ex-
ploration plus tendus et plus varis, sans quetoutefois il puisse y avoir une exacte compensationentre l'accroissement des difficults et l'augmen-tation des ressources; en sorte que, malgr cette
harmonie, les sciences relatives aux phnomnesles plus complexes n'en restent pas moins nces-
sairement les plus imparfaites, suivant l'chelle
encyclopdique tablie ds le dbut de cet ou-
vrage. Ainsi, les phnomnes astronomiques tant
les plus simples, doivent tre ceux pour lesquelsles moyens d'exploration sont les plus borns.
Notre art d'observer se compose, en gnral,de trois procds diffrens: 1 l'observation pro-
prement dite, c'est--dire l'examen direct du
phnomne tel qu'il se prsente naturellement;2 l'exprience, c'est--dire la contemplation du
phnomne plus ou moins modifi par des cir-
constances artificielles, que nous instituons ex-
pressment en vue d'une plus parfaite exploration;3 la comparaison, c'est--dire la considration
graduelle d'une suite de cas analogues, dans les-
quels le phnomne se simplifie de plus en plus.La science des corps organiss, qui tudie les ph-nomnes du plus difficile accs, est aussi la seule
PHIILOSOPHIE POSITIVE.20
qui permette vritablement la runion de ces trois
moyens. L'astronomie, au contraire, est nces-
sairement borne au premier. L'exprience y est
videmment impossible; et, quant la comparai-
son, elle n'y existerait que si nous pouvions ob-
server directement plusieurs systmes solaires,ce qui ne saurait avoir lieu. Reste donc la simple
observation, et rduite mme, comme nous l'a-
wons remarqu, la moindre extension possible,
puisqu'elle ne peut concerner qu'un seul de nos
sens. Mesurer des angles et compter des temps
couls, tels sont les seuls moyens d'aprs lesquelsnotre intelligence puisse procder la dcouverte
des lois qui rgissent les phnomnes clestes.
Mais ces moyens n'en sont pas moins parfaitement
adapts la nature des vritables recherches as-
tronomiques, car il ne faut pas autre chose pourobserver des phnomnes gomtriques ou des
phnomnes mcaniques, des grandeurs ou des
mouvemens. On doit seulement en conclure que,entre toutes les branches de la philosophie natu-
relle, l'astronomie est celle o l'observation di-
recte, quelque indispensable qu'elle soit, est parelle-mme la moins significative, et o la partdu raisonnement est incomparablement la plus
grande, ce qui constitue le premier fondement de
sa dignit intellectuelle. Rien de vraiment int-
ASTRONOMIE. 21
ressant ne s'y dcide jamais par la simple inspec-tion, contrairement ce qui se passe en physique,en chimie, en physiologie, etc. Nous pouvons
dire, sans exagration, que les phnomnes, quel-
que rels qu'ils soient, y sont pour la plupart es-
sentiellement construits par notre intelligence;car on ne saurait voir immdiatement la figurede la terre, ni la courbe dcrite par une plante,ni mme le mouvement journalier du ciel notre
esprit seul peut former ces diverses notions, en
combinant, par des raisonnemens souvent trs
prolongs et fort complexes, des sensations iso-
les, que, sans cela, leur incohrence rendrait
presque entirement insignifiantes. Ces diflicults
fondamentales propres aux tudes astronomiques,
qui offrent un attrait de plus aux intelligencesd'un certain ordre, inspirent ordinairement au
vulgaire une rpugnance trs pnible surmonter.
La combinaison de ces deux caractres essen-
tiels, extrme simplicit des phnomnes tudier,et grande difficult de leur observation, est ce quiconstitue l'astronomie une science si minemment
mathmatique. D'une part, la ncessit o l'on
s'y trouve sans cesse de dduire d'un petit nombre
de mesures directes, soit angulaires, soit horaires,des quantits qui ne sont point par elles-mmes
immdiatement observables, y rend l'usage con-
PHILOSOPHIE POSITIVE.22
tinuel de la mathmatique abstraite absolument
indispensable. D'une autre part, les questions asa
tronomiques tant toujours en elles-mmes ou
des problmes de gomtrie, ou des problmes de
mcanique, elles tombent naturellement dans le
domaine de la mathmatique concrte. Enfin, sous
le rapport gomtrique, la parfaite rgularit des
formes astronomiques, et, sous le rapport mca-
nique, l'admirable simplicit de mouvemens s'o-
prant dans un milieu dont la rsistance est jus-
qu'ici ngligeable et sous l'influence d'un petitnombre de forces constamment assujetties une
mme loi trs facile, permettent d'y conduire,
beaucoup plus loin qu'en tout autre cas, l'appli-cation des mthodes et des thories mathmati-
ques. Il n'est peut-tre pas un seul procd ana-
lytique, une seule doctrine gomtrique ou mca-
nique, qui ne trouvent aujourd'hui leur emploidans les recherches astronomiques, et la plupartmme n'ont pas eu jusqu'ici d'autre destination
primitive. Aussi est-ce surtout en tudiant conve-
nablement une telle application qu'on peut ac-
qurir un juste sentiment de l'importance et de
la ralit des spculations mathmatiques.En considrant la nature minemment simple
des recherches astronomiques, et la facilit qui en
rsulte d'y appliquer de la manire la plus ten-
ASTRONOMIE. 23
due l'ensemble des moyens mathmatiques, ou
conoit pourquoi l'astronomie est unanimement
place aujourd'hui la tte dessciences naturelles.
Elle 'mrite cette suprmatie, 1 par la perfectionde son caractre scientifique; 2 par l'importance
prpondrante des lois qu'elle nous dvoile.
Je ne dois point envisager ici sa haute utilit
pratique pour la mesure des temps, pour la des-
cription exacte de notre globe, et surtout pour le
perfectionnement de la navigation; car une telle
considration ne saurait devenir un moyen de
classement entre les diffrentes sciences, qui,
cet gard, sont en ralit essentiellement quiva-lentes. Mais il importe de remarquer ce sujet,comme rentrant pleinement dans l'esprit gnralde cet ouvrage, que l'astronomie nous offre l'exem-
ple le plus tendu et le plus irrcusable de l'in-
dispensable ncessit des spculations scientifiquesles plus sublimes pour l'entire satisfaction des
besoins pratiques les plus vulgaires. En se bornant
au seul problme de la dtermination des longi-tudes en mer, on voit que sa liaison intime avec
l'ensemble des thories astronomiques a t ta-
blie, ds l'origine de la science, par son plus mi-
nent fondateur, le grand Hipparque. Or, quoi-
qu'on n'ait, depuis cette poque, rien ajoutd'essentiel l'ide fondamentale de cette relation
24 PHILOSOPHIE POSITIVE.
il a fallu tous les immenses perfectionnemens suc-
cessivement apports jusqu'ici la science astro-
nomique pour qu'une telle application devfnt
susceptible d'tre suffisamment ralise. Sans les
plus hautes spculations des gomtres sur la m-
canique cleste, qui ont tant augment la prci-sion des tables astronomiques, il serait absolument
impossible de dterminer la longitude d'un vais-
seau avec le degr d'exactitude que nous pouvonsmaintenant obtenir; et, bien loin que la sciencesoit cet gard plus parfaite que ne l'exige la
pratique, il est au contraire certain que si nous
ne pouvons pas encore connatre toujours srement
notre position avec une erreur de moins de trois
ou quatre lieues dans les mers quatoriales, cela
tient essentiellement ce que la prcision de nos
tables n'est point encore assez grande. De telles
rflexions sont propres frapper ces esprits troits
qui, s'ils pouvaient jamais dominer, arrteraient
aveuglment le dveloppement des sciences, en
voulant les restreindre ne s'occuper que de
recherches immdiatement susceptibles d'utilit
pratique.En examinant scrupuleusement l'tat philo-
sophique actuel des diverses sciences fondamen-
tales, nous aurons lieu de reconnatre, comme jeJ'ai dj indiqu, que l'astronomie est aujourd'hui
ASTRONOMIE. 25
la seule qui soit enfin rellement purge de, toute
considration thologique ou mtaphysique. Tel
est, sous le rapport de la mthode, son premiertitre la suprmatie. C'est l que les esprits
philosophiques peuvent efficacement tudier en
quoi consiste vritablement une science; et c'est
sur ce modle qu'on doit s'efforcer, autant que
possible, de constituer toutes les autres scien-
ces fondamentales, en ayant toutefois convena-
blement gard aux diffrences plus ou moins
profondes qui rsultent ncessairement de la com-
plication croissante des phnomnes.Sans doute, la gomtrie abstraite et la mca-
nique rationnelle sont, en ralit, des sciences na-
turelles, et les premires de toutes, comme jeme suis efforc de le montrer dans le premier
volume; elles sont suprieures l'astronomie
elle-mme, cause de la perfection de leurs m-
thodes et de l'entire gnralit de leurs thories.
En un mot, nous avons tabli qu'elles constituent
le vritable fondement primitif de toute la
philosophie naturelle, et cela est particulirementsensible l'gard de l'astronomie. Mais, quelquerel que soit leur caractre physique, leurs ph-nomnes sont d'une nature trop abstraite pour
quelles puissent tre habituellement, sous ce
rapport, apprcies d'une manire convenable,
26 PHILOSOPHIE POSITIVE.
surtout cause de l'esprit vicieux qui domine
encore dans leur exposition ordinaire. Nos intel-
ligences ont besoin jusqu'ici de voir ces combi-
naisons gnrales de figures ou de mouvemens se
spcifier dans des corps existans, comme le fait si
compltement l'astronomie, pour que leur ralit
devienne suffisamment manifeste. Quoique la con-
naissance des lois gomtriques et mcaniques
soit, en elle-mme, extrmement prcieuse, il est
certain que, dans l'tat prsent de l'esprit hu-
main, elle est bien plus employe comme un
puissant et indispensable moyen d'investigationdans l'tude des autres phnomnes naturels,
que comme une vritable science directe. Ainsi,le premier rang, dans la philosophie naturelle
proprement dite, reste incontestablement l'as-
tronomie.
Ceux qui font consister la science dans la simpleaccumulation des faits observs, n'ont qu' consi-
drer avec quelque attention l'astronomie poursentir combien leur pense est troite et superfi-cielle. Ici, les faits sont tellement simples, et
d'ailleurs si peu intressans, qu'il devient impos-sible de mconnatre que leur liaison seule,l'exacte connaissance de leurs lois, constituent la
science. Qu'est-ce rellement qu'un fait astrono-
mique ? rien autre chose habituellement que tel
ASTRONOME. 27
astre a t vu tel instant prcis et sous tel anglebien mesur; ce qui, sans doute, est, en soi-
mme, fort peu important. La combinaison con-
tinuelle et l'laboration mathmatique plus ou
moins profonde de ces observations caractrisent
uniquement la science, mme dans son tat le
plus imparfait. L'astronomie n'a pas rellement
pris naissance quand les prtres de l'gypte ou de
la Chalde ont fait sur le ciel une suite d'obser-
vations empiriques plus ou moins exactes, mais
seulement lorsque les premiers philosophes grecsont commenc ramener quelques lois gom-
triques le phnomne gnral du mouvement
diurne. Le vritable but dfinitif des recherches
astronomiques tant toujours de prdire avec cer-
titude l'tat effectif du ciel dans un avenir plusou moins lointain, l'tablissement des lois des
phnomnes offre videmment le seul moyen d'y
parvenir, sans que l'accumulation des observations
puisse tre, en elle-mme, d'aucune utilit pour
cela, autrement que comme fournissant nos sp-culations un fondement solide. En un mot, il n'ya pas eu de vritable astronomie tant qu'on n'a
pas su, par exemple, prvoir, avec une certaine
prcision, au moins par des procds graphiques,et surtout par quelques calculs trigonomtriques,l'instant du lever du soleil ou de quelque toile
PHILOSOPHIE POSITIVE.28
pour un jour et pour un lieu donns. Ce carac-
tre essentiel de la science a toujours t le mme
depuis son origine. Tous ses progrs ultrieurs
ont seulement consist apporter dfinitivement
dans ces prdictions une certitude et une prci-sion de plus en plus grandes, en empruntant
l'observation directe le moins de donnes possible
pour la prvoyance la plus lointaine. Aucune
partie de la philosophie naturelle ne peut donc
manifester avec plus de force la vrit de cet
axiome fondamental toute science a pour but la
prvoyance, qui distingue la science relle de la
simple rudition, borne raconter les vnemens
accomplis, sans aucune vue d'avenir.
Non-seulement le vrai caractre scientifique est
plus profondment marqu dans l'astronomie
qu'en aucune autre branche de nos connaissances
positives; mais on peut mme dire que, depuis le
dveloppement de la thorie de la gravitation,elle a atteint la plus haute perfection philosophi-
que laquelle une science puisse jamais prtendresous le rapport de la mthode, l'exacte rduction
de tous les phnomnes, soit quant leur nature,soit quant leur degr, une seule loi gnrale;
pourvu toutefois que, suivant l'explication prc-demment tablie, on ne considre que l'astrono-
mie solaire. Sans doute, la complication graduelle
ASTRONOMIE. 29
des phnomnes doit nous faire envisager une telle
perfection comme absolument chimrique dans
toutes les autres sciences fondamentales. Mais tel
n'en est pas moins le type gnral que les diverses
classes de savans doivent sans cesse avoir en vue,en s'efforant d'en approcher autant que le com-
portent les phnomnes correspondans, comme jetacherai de le montrer successivement dans les
diffrentes parties de cet ouvrage. C'est toujoursl qu'il faut remonter dsormais pour sentir, dans
toute sa puret, ce que c'est que l'explication po-sitive d'un phnomne, sans aucune enqute sur
sa cause ou premire ou finale; c'est l enfin qu'ondoit apprendre le vritable caractre et les condi-
tions essentielles des hypothses vraiment scienti-
fiques, nulle autre science n'ayant fait de ce puis-sant secours un usage la fois aussi tendu et
aussi convenable. Aprs avoir expos la philoso-
phie astronomique de manire faire ressortir, le
plus qu'il me sera possible, ces grandes proprits
gnrales, je m'efforcerai ensuite de les appliquer,
plus profondment qu'on ne l'a fait encore,
perfectionner le caractre philosophique des autres
sciences principales.En gnral, chaque science, suivant la nature
de ses phnomnes, a d perfectionner la mthode
positive fondamentale sous quelque rapport es-
30 PHILOSOPHIE POSITIVE.
sentiel qui lui est propre. Le vritable esprit de
cet ouvrage consiste, cet gard, saisir succes-
sivement ces divers perfectionnemens, et ensuite
les combiner, d'aprs la hirarchie scientifiquetablie dans la deuxime leon, de manire
acqurir, comme rsultat final d'un tel travailune connaissance parfaite de la mthode positive,
qui j'espre, ne laissera plus aucun doute sur
l'utilit relle de semblables comparaisons pourles progrs futurs de notre intelligence.
En considrant maintenant l'ensemble de la
science astronomique, non plus relativement la
mthode, mais quant aux lois naturelles qu'ellenous dvoile effectivement, sa prminence est
tout aussi incontestable.
J'ai toujours regard comme un vritable trait
de gnie philosophique, de la part de Newton,d'avoir intitul son admirable trait de Mcaniquecleste Philosophi naturalis principia mathe-
matica. Car, on ne pouvait indiquer avec une plus
nergique concision que les lois gnrales des ph-nomnes clestes sont le premier fondement du
systme entier de nos connaissances relles.
La loi encyclopdique tablie au commence-
ment de cet ouvrage me dispense de grands dve-
loppemens ce sujet. Il est vident que l'astrono-
mie doit tre par sa nature, essentiellement in-
ASTRONOMIE. 31
dpendante de toutes les autres sciences naturelles,et qu'eue a seulement besoin de s'appuyer sur la
science mathmatique. Les divers phnomnes
physiques, chimiques et physiologiques, ne peu-vent certainement exercer aucune influence sur
les phnomnes astronomiques, dont les lois ne
sauraient prouver la moindre altration mme
par les plus grands bouleversemens intrieurs de
chaque plante sous tous ces autres rapports na-
turels. La physique, il est vrai, et mme, quel-
ques gards secondaires, la chimie (1), ont pufournir l'astronomie, lorsqu'elle a t trs avan-
ce, des secours indispensables pour perfection-ner ses observations mais il est clair que cette
influence accessoire n'a t nullement ncessaire
sa constitution scientifique. L'astronomie avait
certainement, entre les mains d'Hipparque et de
ses successeurs, tous les caractres d'une vri-
table science, au moins sous le rapport gom-
trique, pendant que la physique, la chimie, etc.,taient encore profondment enfouies dans le
chaos mtaphysique et mme thologique. A une
poque toute moderne, Kepler a dcouvert ses
grandes lois astronomiques d'aprs les observa-
(t) C'est videmment la chimie, par exemple, qni a fourni Wol-
laston l'ingnieux procd par lequel on obtient aujourd'hui les meil-
leurs fils micromtriques.
PHILOSOPHIE POSITIVE.32
tions faites par Tycho-Brah, avant les grands
pcrfectionnemeus des instrumens, et essentielle-
ment avec les mmes moyens matriels qu'em-
ployaient les Grecs. Les instrumens de prcisionn'ont aussi nullement contribu la dcouverte
de la gravitation; et c'est seulement depuis lors
qu'ils sont devenus ncessaires pour correspondre la nouvelle perfection que la thorie permettaitdsormais dans les dterminations astronomiques.Le grand instrument qui rellement produisittoutes les dcouvertes fondamentales de l'astro-
nomie, ce fut d'abord la gomtrie, et plus tard
la mcanique r-ationnelle, dont les progrs sont,en effet, chaque poque, un excellent critrium
pour prsumer, avec une entire certitude, l'tat
gnral des connaissances astronomiques corres-
pondantes. L'indpendance de l'astronomie, re-
lativement aux autres branches de la philosophie
naturelle, demeure donc incontestable.
Mais, au contraire, il est certain que les ph-nomnes physiques, chimiques, physiologiques,et mme sociaux, sont essentiellement subordon-
ns, d'une manire plus ou moins directe, aux
phnomnes astronomiques, indpendamment de
leur coordination mutuelle. L'tuds des autres
sciences fondamentales ne peut donc avoir un
caractre vraiment rationnel, qu'en prenant pour
ASTRONOMIE. 33
TOME II. 3
base une connaissance exacte des lois astro-
nomiques, relatives aux phnomnes les pins
gnraux. Notre esprit pourrait-il penser, d'une
manire rellement scientifique, aucun ph-nomne terrestre, sans considrer auparavantce qu'est cette terre dans le monde dont nous
faisons partie sa situation et ses mouvemens
devant ncessairement exercer une influence pr-
pondrante sur tous les phnomnes qui s'y pas-sent ? Que deviendraient nos conceptions phy-
siques, et par suite chimiques, physiologiques, etc.,sans la notion fondamentale de la gravitation, quiles domine toutes? Pour choisir l'exemple le plusdfavorable, o la subordination est la moins
manifeste, il iaut reconnatre, quoique cela puissed'abord sembler trange, que, mme les phno-mnes relatifs au dveloppement des socits hu-
maines, ne sauraient tre conus rationnelle-
ment sans la considration pralable des prin-
cipales lois astronomiques. On pourra le sentir
aisment en observant que si les divers lmens
astronomiques de notre plante, comme sa dis-
tance au soleil, et, par suite, la dure de l'anne,
l'obliquit de l'cliptique, etc., prouvaient quel-
ques changemens importans, ce qui, en astrono-
mie, n'aurait gure d'autre effet que de modifier
quelques cocfficiens, notre dveloppement social
34 PHILOSOPHIE POSITIVE.
en serait sans doute notablement affect, et de-
viendrait mme impossible si ces altrations
taient pousses trop loin. Je ne crains nullement
de mriter le reproche d'exagration, en tablis-
sant ce sujet, tlue la physique sociale n'tait
point une science possible, tant que les gomtresn'avaient pas dmontr, comme rsultat gnralde la mcanique cleste, que les drangemens de
notre systme solaire ne sauraient jamais tre quedes oscillations graduelles et trs limites autour
d'un tat moyen ncessairement invariable. Com-
ment esprerait-on, en effet., former avec certi-
tude quelques lois naturelles relativement aux
phnomnes sociaux, si les donnes astronomi-
ques, sous l'empire desquelles ils s'accomplissent,
pouvaient comporter des variations indfinies? Je
reprendrai cette considration d'nne manire sp-ciale dans la dernire partie de cet ouvrage. Il me
sufrit, quant prsent, de l'indiquer pour faire
comprendre que le systme gnral des connais-
sances astronomiques est un lment aussi indis-
pensable combiner dans la formation rationnelle
de la physique sociale qu' l'gard de toutes les
autres sciences principales.On n'aurait qu'une ide imparfaite de-la haute
importance intellectuelle des thories astrono-
miques, si l'on se bornait envisager ainsi leur
ASTRONOMIE. 55
5..
influence ncessaire et spciale sur les diverses
parties de la philosophie naturelle, quelque essen-
tielle que soit d'ailleurs une telle considration. Il
faut encore avoir gard l'action gnrale qu'ellesexercent directement sur les dispositions fondamen-
tales de notre intelligence, la rnovation de la-
quelle les progrs de l'astronomie ont plus puissam-ment contribu que ceux d'aucune autre science.
Je n'ai pas besoin de signaler expressment icicomme trop vident par lui-mme et trop com-
munment apprci aujourd'hui, l'eflt des con-
naissances astronomiques pour dissiper entire-
ment les prjugs absurdes et les terreurs supers-
titieuses, tenant l'ignorance des lois clestes,au sujet de plusieurs phnomnes remarquables,tels que les clipses, les comtes, etc. Ces dispo-sitions naturelles ont cess ou cessent de jour en
jour dans les esprits les plus vulgaires, mme
indpendamment de la diffusion des vraies notions
astronomiques, par l'clatante concidence de ces
vnemens avec les prdictions scientifiques. Tou-
tefois, nous ne devons jamais oublier cet gard
que, suivant la juste remarque de Laplace, elles
renatraient promptement si les tudes astrono-
miques pouvaient jamais cesser d'tre cultives.
Mais je dois principalement insister dans cet
ouvrage sur une action philosophique plus gn-
56 PHILOSOPHIE POSITIVE.
rale et plus profonde, jusqu'ici bien moins sentie,inhrente l'ensemble mme de la science astro-
nomique, et qui rsulte de la connaissance de la
vraie constitution de notre monde et de l'ordre
qui s'y tablit ncessairement. Je la dvelopperai
soigneusement mesure que l'examen philoso-
phique des diverses thories astronomiques m'en
fournira l'occasion. En ce moment, il me suffirade l'indiquer.
Pour les esprits trangers l'tude des corpsclestes, quoique souvent trs clairs d'ailleurs
sur d'autres parties de la philosophie naturelle,l'astronomie a encore la rputation d'tre une
science minemment religieuse, comme si le fa-
meux verset Cli enarrant gloriam Dei avait
conserv toute sa valeur (i). Il est cependant cer-
tain, ainsi que je l'ai tabli, que toute science
relle est en opposition radicale et ncessaire avec
toute thologie; et ce caractre est plus prononcen astronomie que partout ailleurs, prcisment
parce que l'astronomie est, pour ainsi dire, plusscience qu'aucune autre, suivant la comparaison
indique ci-dessus. Aucune n'a port de plus
(t) Aujourd'hui pour les esprits familiariss de bonne heure avec
ta vraie philosophie astronomique, les cieux ne racontent plus d'autre
gloire que celle d'Hipparque, de Kpler, de Newton, et de tous ceux
qui ont concouru en tablir les lois.
ASTRONOMIE. 37terribles coups la doctrine des causes finales,
gnralement regarde par les modernes comme
la base indispensable de tous les systmes reli-
gieux, quoiqu'elle n'en ait t, en ralit, qu'une
consquence. La seule connaissance du mouve-
ment de la terre a d dtruire le premier fonde-
ment rel de cette doctrine, l'ide de l'univers
subordonn la terre et par suite l'homme,comme je l'expliquerai spcialement en traitant
de ce mouvement. D'ailleurs, l'exacte explorationde notre systme solaire ne pouvait manquer de
faire essentiellement disparatre cette admiration
aveugle et illimite qu'inspirait l'ordre gnral de
la nature, en montrant, de la manire la plus
sensible, et sous un trs grand nombre de rap-
ports divers, que les lmens de ce systme n'-
taient certainement point disposs de la manire
la plus avantageuse, et que la science permettaitde concevoir aisment un meilleur arrange-ment (i). Enfin, sous un dernier point de vue
(1) Il convient d'observer ce sujet, comme trait caractristique
que, lorsque des astronomes se livrent aujourd'hui un tel genre
d'admiration, il porte essentiellement sur l'organisation des animaux,
qui leur est entirement trangre; tandis que les anatomistes, au
contraire, qui en connaissent tonte l'imperfection, se rejettent sur
l'arrangement des astres, dont ils n'ont aucune ide approfondie etce qui est propre mettre en vidence la vritable source de cette
disposition d'esprit.
PHILOSOPHIE POSITIVE.58
encore plus capital, par le dveloppement de la
vraie mcanique cleste depuis Newton, toute
philosophie thologique, mme la plus perfection-
ne, a t dsormais prive de son principal office
intellectuel, l'ordre le plus rgulier tant ds lors
conu comme ncessairement tabli et maintenu,dans notre monde et mme dans l'univers entier,
par la simple pesanteur mutuelle de ses diverses
parties.Si les philosophes qui, de nos jours, tiennent
encore la doctrine des causes finales n'taient
point, ordinairement, dpourvus d'une vritable
instruction scientifique un peu approfondie, ils
n'auraient pas manqu de faire ressortir, avec leur
emphase habituelle, une considration gnralefort spcieuse, laquelle ils n'ont jamais eu gard,et que je choisis exprs comme l'exemple le plusdfavorable. Il s'agit de ce beau rsultat final de
l'ensemble des travaux mathmatiques sur la tho-
rie de la gravitation, mentionn ci-dessus pourun autre motif, la stabilit essentielle de notre
systme solaire. Cette grande notion, prsentesous l'aspect convenable, pourrait sans doute de-
venir aisment la base d'une suite de dclamations
loquentes, ayant une imposante apparence de
solidit. Et, nanmoins, une constitution aussi
essentielle l'existence continue des espces ani-
ASTRONOMIE. 39
males est une simple consquence ncessaire,
d'aprs les lois mcaniques du monde, de quel-
ques circonstances caractristiques de notre sys-tme solaire, la petitesse extrme des masses pla-ntaires en comparaison de la masse centrale, la
faible excentricit de leurs orbites, et la mdiocre
inclinaison mutuelle de leurs plans; caractres
qui, leur tour, peuvent tre envisags avec beau-
coup de vraisemblance, ainsi que je le montrerai
plus tard suivant l'indication de Laplacc, comme
drivant tout naturellement du mode de formation
de ce systme. On devait d'ailleurs priori s'at-
tendre, en gnral, un tel rsultat, par cette
seule rflexion que puisque nous existons, il faut
bien, de toute ncessit, que le systme dont nous
faisons partie soit dispos de faon permettrecette existence, qui serait incompatible avec une
absence totale de stabilit dans les lmens prin-
cipaux de notre monde. Pour apprcier convena-
blement cette considration, il faut observer quecelte stabilit n'est nullement absolue; car elle
n'a pas lieu l'gard des comtes, dont les per-turbations sont beaucoup plus fortes, et peuventmme s'accrotre presque indfiniment par le d-
faut des conditions de restriction que je viens
d'noncer, ce qui ne permet gure de les concevoir
habites. La prtendue cause finale se rduirait
40 PHILOSOPHIE POSITIVE.
donc ici, comme on l'a dj vu dans toutes les
occasions analogues, cette remarque purileil n'y a d'astres habits, dans notre systme so-
laire, que ceux qui sont habitables. On rentre, en
un mot, dans le principe des conditions d'exis-
tence, qui est la vraie transformation positive de
la doctrine des causes finales, et dont la porteet la fcondit sont bien suprieures.
Tels sont, en aperu, les services immenses et
fondamentaux rendus par le dveloppement des
thories astronomiques l'mancipation de la rai-
son humaine. Je m'efforcerai de les mettre en
vidence dans les diffrentes parties de l'examen
philosophique dont je vais m'occuper.
Aprs avoir expliqu l'objet rel de l'astrono-
mie, et m'tre efforc de circonscrire, avec une
svre prcision, le vritable champ de ses re-
cherches aprs avoir tabli sa vraie position en-
cyclopdique, par sa subordination ncessaire
la science mathmatique et par son rang incon-
testable la tte des sciences naturelles; aprsavoir enfin signal ses proprits philosophiques,
quant la mthode et quant la doctrine, il ne
me reste plus, pour complter cet aperu gnral,
qu' envisager la division principale de la science
astronomique, qui dcoule tout naturellement
des considrations dj exposes dans ce discours.
ASTRONOME. 41
Nous avons prcdemment tabli le principe
que les phnomnes tudis en astronomie sont,de toute ncessit, ou des phnomnes gom-
triques, ou des phnomnes mcaniques. De l
rsulte immdiatement la division naturelle de la
science en deux parties profondment distinctes,
quoique maintenant combines de la manire la
plus heureuse 1. l'astronomie gomtrique, ou
la gomtrie cleste, qui, pour avoir eu, si long-
temps avant l'autre, le caractre scientifique, a
conserv encore le nom d'astronomie proprementdite; 2. l'astronomie mcanique, ou la mcanique
cleste, dont Newton est l'immortel fondateur, et
qui a reu, dans le sicle dernier, un si vaste et
si admirable dveloppement. Il est d'ailleurs vi
dent que cette division convient aussi bien l'as-
tronomie sidrale, si jamais elle existe vritable-
ment, qu' notre astronomie solaire, la seule que
je doive avoir essentiellement en vue par les rai-
sons expliques ci-dessus, et qui, dans toute hy-
pothse, occupera toujours le premier rang. Une
telle distribution drive si directement aujour-d'hui de la nature mme de la science, qu'on la
voit dominer presque spontanment dans toute
exposition un peu mthodique, bien qu'elle n'ait
jamais t, ce me semble, rationnellement exa-
mine.
PHILOSOPHIE POSITIVE.42
Il importe de remarquer cet gard que cette
division est parfaitement eu harmonie avec la r-
gle encyclopdique pose au commencement de
cet ouvrage, et que je m'efforcerai toujours de
suivre, autant que possible, dans la distribution
intrieure de chaque science fondamentale. Il est
clair, en effet, que la gomtrie cleste est, par sa
nature, beaucoup plus simple que la mcaniquecleste et, d'un autre ct, elle en est essentiel-
lement indpendante, quoique celle-ci puisse con-
tribuer singulirement la perfectionner. Dans
l'astronomie proprement dite, il ne s'agit que de
dterminer la forme et la grandeur des corps c-
lestes, et d'tudier les lois gomtriques suivant
lesquelles leurs positions varient, sans considrer
ces dplacemens relativement aux forces qui les
produisent, ou, en termes plus positifs, quantaux mouvemens lmentaires dont ils dpendent.Aussi a-t-elle pu faire et a-t-elle fait rellement
les progrs les plus importans avant que la mca-
nique cleste et aucun commencement d'exis-
tence et, mme depuis lors, ses dcouvertes les
plus remarquables ont encore t dues son dve-
loppement spontan, comme on le voit si mi-
nemment dans le beau travail du grand Bradleysur l'aberration et la nutation. Au contraire, la
mcanique cleste est, par sa nature, essentielle-
ASTRONOMIE. 45
ment dpendante de la gomtrie cleste, sans
laquelle elle ne saurait avoir aucun fondement so-
lide. Son objet, en effet, est d'analyser les mou-
vemens effectifs des astres, afin de les ramener,
d'aprs les rgles de la mcanique rationnelle,
des mouvemeus lmentaires rgis par une loi
mathmatique universelle et invariable; et, en
partant ensuite de cette loi, de perfectionner un
haut degr la connaissance des mouvemens rels,en les dterminant priori par des calculs de
mcanique gnrale, empruntant l'observation
directe le moins de donnes possible, et nau-
moins toujours confirms par elle. C'est par la
que s'tablit, de la manire la plus naturelle, la
liaison fondamentale de l'astronomie avec la phy-
sique proprement dite; liaison devenue telle au-
jourd'hui, que plusieurs grands phnomnes for-
ment de l'une l'autre une transition presque
insensible, comme on le voit surtout dans la tho-
rie des mares. Mais il est vident que ce quiconstitue toute la ralit de la mcanique cleste,ainsi que je m'attacherai le faire ressortir en son
lieu, c'est d'avoir pris son point de dpart dans
l'exacte connaissance des vritables mouvemens,fournie par la gomtrie cleste. C'est prcismentfaute d'avoir t conues d'aprs cette relation
fondamentale, que toutes les tentatives faites
PHILOSOPHIE POSITIVE.44
avant Newton pour former des systmes de m-
canique cleste, et entre autres celle de Descartes,ont du tre ncessairement illusoires sous le rap-
port scientifique, quelque utilit qu'elles aient puavoir d'ailleurs momentanment sous le point de
vue philosophique.La division gnrale de l'astronomie en go-
mtrique et mcanique n'a donc certainement
rien d'arbitraire, ni mme de scolastique elle
drive de la nature mme de la science; elle est
la fois historique et dogmatique. II serait inutile
d'insister davantage sur un principe aussi vi-
dent, et que personne n'a jamais contest. Quant
aux subdivisions, d'ailleurs trs aises tablir, ce
n'est point le moment de s'en occuper elles seront
expliques mesure que le besoin s'en fera sentir.
Relativement au point de vue o le lecteur
doit se placer, je renvoie aux judicieuses remar-
ques de Delambre sur l'innovation tente par La-
caille, qui, pour simplifier son exposition, avait
imagin de transporter son observateur la sur-
face du soleil. Il est certain que la conception des
mouvemens clestes devient ainsi beaucoup plus
facile; mais on ne saurait plus comprendre par
quel enchanement de connaissances on a pu s'-
lever une telle conception. Le point de vue
solaire doit tre le terme et non l'origine d'un sys-
ASTRONOMIE 45
tme rationnel d'tudes astronomiques. L'obliga-tion de partir de notre point de vue rel est sur-
tout prescrite par la nature de cet ouvrage, ou
l'analyse de la mthode scientifique et l'observa-
tion de la filiation logique des ides principalesdoivent avoir encore plus d'importance que l'ex-
position plus claire des rsultats gnraux.Il convient, enfin, d'avertir ceux de mes lec-
teurs qui seraient trangers l'tude de l'astro-
nomie, mais qui, dous d'un vritable esprit phi-
losophique, voudraient se former une juste ide
gnrale de ses mthodes essentielles et de ses
principaux rsultats, que je leur suppose prala-blement au moins une exacte connaissance des
deux phnomnes fondamentaux, le mouvement
diurne et le mouvement annuel, telle qu'on peutl'obtenir par les plus simples observations, faites
sans aucun instrument prcis, et seulement la-
bores par la trigonomtrie. Je les renvoie pourcet objet, comme, en gnral, pour toutes les
autres donnes ncessaires, l'excellent trait de
mon illustre matre en astronomie, le judicieuxDelambre. Il ne s'agit point ici d'un trait, mme
sommaire, d'astronomie; mais d'une suite de con-
sidrations philosophiques sur les diverses partiesde la science toute exposition spciale de quel-
que tendue y serait donc dplace.
PHILOSOPHIE POSITIVE.46
Ayant ainsi considr, sous tous les aspects es-
sentiels, le systme de la science astronomique,
je dois procder maintenant l'examen Philoso-
phique de ses diverses parties, dans l'ordre tabli
ci-dessns. Mais il faut auparavant jeter un coupd'il gnral sur l'ensemble des moyens d'obser-
vation ncessaires aux astronomes, ce qui fera
l'objet de la leon suivante.
VINGTIME LECON.
Considrations gnrales sur les mthodes d'observationen astronomie.
Toutes les observations astronomiques se r-
duisent ncessairement, comme nous l'avons vu, mesurer des temps et des angles. La nature de
cet ouvrage ne comporte nullement une exposi-
tion, mme sommaire, des divers procds par
lesquels en a enfin obtenu, dans ces deux sortes
de mesures, l'tonnante prcision que nous yadmirons aujourd'hui. Il s'agit seulement ici de
concevoir, d'une manire gnrale, l'ensemble
des ides fondamentales qui ont pu successive-
ment conduire une telle perfection.Cet ensemble se compose essentiellement, pour
l'un et l'autre genre d'observations, de deux
ordres d'ides bien distincts, quoiqu'il y ait entre
eux une harmonie ncessaire le premier est re-
latif au perfectionnement des instrumens; le se-
cond concerne certaines corrections fondamen-
48 PHILOSOPHIE POSITIVE.
tales apportes par la thorie leurs indications,et sans lesquelles leur prcision serait illusoire.
Telle est la division naturelle de nos considra-
tions gnrales n cet gard. Nous devons com-
mencer par celles sur les instrumens.
Quoique les moyens gnomoniques aient. du
tre rejets avec raison parles modernes, comme
n'tant pas susceptibles de la prcision ncessaire,il convient d'abord de les signaler ici dans leur
ensemble, cause de leur extrme importance
pour la premire formation de la gomtrie c-
leste par les astronomes grecs.Les ombres solaires, et mme, un degr
moindre, les ombres lunaires, ont t, dans l'ori-
gine de l'astronomie, un instrument trs pr-
cieux, immdiatement fourni par la nature, aussi-
tt que la propagation rectiligne de la lumire a
t bien reconnue. Elles peuvent devenir un
moyen d'observation astronomique sous deux rap-ports envisages quant leur direction, elles
servent la mesure du temps; et, par leur lon-
gueur, elles permettent d'valuer certaines dis-
tances angulaires.Sous le premier point de vue, lorsque l'uni-
formit du mouvement diurne apparent de la
sphre cleste a t une fois admise, il suffisait,
videmment, de fixer un style dans la direction,
ASTRONOMIE.49
TOME Il. 4
pralablement bien dtermine, de l'axe de cette
sphre, pour que l'ombre qu'il projetait sur un
plan ou sur toute autre surface fit connatre,
toute poque dans chaque lieu correspondant,les temps couls, par le seul indice de ses di-
verses positions successives. En se bornant au cas
le plus simple, celui d'un plan perpendiculaire
cet axe, duquel tous les autres cas peuvent tre
aisment dduits par des moyens graphiques, il
est clair que les angles horaires sont exactement
proportionnels aux dplacemens angulaires de
l'ombre depuis sa situation mridienne. Toutefois,de semblables indications doivent tre imparfaites,
puisqu'elles supposent que le soleil dcrit chaque
jour le mme parallle de la sphre cleste, et
que par consquent, elles exigent une correc-
tion, impossible excuter sur l'appareil lui-
mme, raison de l'obliquit du mouvement
annuel, outre celle qui correspond son inga-
lit ce qui rend de tels instrumens inapplicables des observations prcises.
Sous le second point de vue, il est vident quela longueur variable de l'ombre horizontale pro-
jete chaque instant par un style vertical,tant compare la longueur fixe et bien connue
de ce style, on en conclut immdiatement la
distance angulaire correspondante du soleil au
PHILOSOPHIE POSITIVE.50
znith; ce rapport constituant par lui-mme la
tangente trigonomtrique de cet angle, dont il a
primitivement inspir l'ide aux astronomes ara-
bes. De l est rsult un moyen long-temps pr-cieux, d'observer les variations qu'prouve la dis-
tance znithale du soleil aux divers instans de la
journe, et celles plus importantes de sa positionmridienne aux diffrentes poques de l'anne.
L'inexactitude invitable des procds gnomo-
niques consiste, cet gard, dans l'influence dela pnombre, qui laisse toujours une incertitude
plus ou moins grande sur la vraie longueur de
l'ombre, dont l'extrmit ne peut jamais tre
nettement termine. Cette influence, qui affecte
d'une manire ncessairement fort ingale les di-
verses distances au znith, peut bien tre attnue
par l'emploi de trs grands gnomons; mais il est
videmment impossible de s'y soustraire tout"-
fait.
Cette double proprit des indications gno-
moniques avait t ralise, ds l'origine de la
science, par l'ingnieux instrument connu sous
le nom d'hmisphre creux de Brose, qui ser-
vait mesurer simultanment les temps et les
angles, quoique, d'ailleurs, il ft encore moins
susceptible d'exactitude que les instrumens ima-
gins plus tard d'aprs le mme principe.
ASTRONOMIE. 5t
4..
L'imperfection fondamentale des procds gno.
moniques, la difficult d'une excution suffisam-
ment rigoureuse, et l'inconvnient de cesser d'tre
applicables prcisment aux instans les plus con-
venables pour l'observation, ont dtermin les
astronomes y renoncer entirement, aussitt
qu'il a t possible de s'en passer. DominiqueCassini est le dernier qui en ait fait un usage
important, l'aide de ses grands gnomons, poursa thorie du soleil. Toutefois, la spontanit d'un
tel moyen d'observation, lui conservera toujoursune valeur relle, pour procurer une premire
approximation de certaines donnes astronomi-
ques, lorsqu'on se trouve plac dans des circons-
tances dfavorables, qui ne permettent pas l'em-
ploi des instrumens modernes. Il est rest,
d'ailleurs, dans nos observatoires actuels, la
base de l'importante construction de la ligne
mridienne, envisage comme divisant en deux
parties gales l'angle form par les ombres
horizontales de mme longueur qui correspondentaux deux parties symtriques d'une mme jour-ne. Dans ce cas spcial, les deux causes fonda-
mentales d'erreur signales ci-dessus sont essen-
tiellement ludes; car la pnombre affecte videm-
ment au mme degr les deux ombres conjugues,
et, quant l'obliquit du mouvement du soleil,
PHILOSOPHIE POSITIVE.52
il est facile d'en viter presque entirement l'in-
fluence en faisant l'opration aux environs des
solstices, surtout vers le solstice d't. On peut,en outre, la vrifier et la rectifier aisment parl'observation des toiles.
Considrons maintenant les procds les plus
exacts, en sparant, comme il devient indispen-sable de le faire, ce qui se rapporte la mesure
du temps de ce qui concerne celle des angles, et
en examinant d'abord la premire.Il faut, cet gard, reconnatre, avant tout,
que le plus parfait de tous les chronomtres est
le ciel lui-mme, par l'uniformit rigoureuse de
son mouvement diurne apparent, en vertu de la
rotation relle de la terre. Il suffit, en effet, d'aprs
cela lorsqu'on sait exactement la latitude de son
observatoire, d'y mesurer, chaque instant, la
distance au znith d'un astre quelconque, dont
la dclinaison, d'ailleurs variable ou constante, est
actuellement bien connue, pour en conclure
l'angle horaire correspondant, et, par une suite
immdiate, le temps coul, en rsolvant le
triangle sphrique que forment le ple, le znith
et l'astre, et dont les trois cts sont ainsi don-
ns. Si l'on avait dress, dans chaque lieu, des
tables numriques trs tendues de ces rsultats
pour quelques toiles convenablement choisies,
ASTRONOMIE. 53
ce moyen naturel deviendrait, sans doute, beau-
coup plus praticable qu'il ne le semble d'abord.
Mais il ne saurait, videmment, jamais compor-ter toute l'actualit ncessaire pour qu'il put en-
tirement suffire, outre le grave inconvnient
qu'il prsente de faire dpendre la mesure du
temps de celle des angles, qui est rellement
aujourd'hui moins parfaite. Aussi ce procd
chronomtrique n'est-il employ qu' dfaut de
tout autre moyen exact, comme c'est essentiel-
lement le cas en astronomie nautique. Sa grande
proprit usuelle consiste, dans nos observa-
toires, rgler avec prcision la marche de toutes
les autres horloges, en la confrontant celle de
la sphre cleste. Et, cette importante vrifica-
tion se fait mme le plus. souvent sans exigeraucun calcul trigonomtrique car on peut se
borner modifier le mouvement du chronomtre
jusqu' ce qu'il marque trs exactement vingt-
quatre heures sidrales, entre les deux passagesconscutifs d'une mme toile quelconque une
lunette fixe, aussi invariablement que possible,dans une direction d'ailleurs arbitraire.
Les moyens artificiels pour mesurer le tempsavec prcision par des instrumens de notre cra-tion sont donc indispensables en astronomie.
Cherchons en saisir l'esprit gnral.
54 PHILOSOPHIE POSITIVE.
Tout phnomne qui prsente des changemens
graduels quelconques est rellement susceptiblede nous fournir, par l'tendue des changemens
oprs, une certaine apprciation du temps em-
ploy les produire. Dans ce sens gnral,l'homme semble pouvoir choisir cet gard entre
toutes les classes des phnomnes naturels. Mais
son choix devient, en ralit, infiniment restreint,
quand il veut obtenir des estimations prcises.Les divers ordres de phnomnes tant, de toute
ncessit, d'autant moins rguliers qu'ils- sont
plus compliqus, cette loi nous prescrit de cher-
cher seulement parmi les plus simples nos vrais
moyens chronomtriques. Ainsi, les mouvemens
physiologiques eux-mmes (i) pourraient, cet
gard, nous procurer quelques indications, en
comptant, par exemple, le nombre de nos pul-sations dans l'tat sain, ou le nombre de pas bien
rgls, ou celui des sons vocaux, etc., pendant le
temps valuer, et, quelque grossier que soit
ncessairement un tel procd, il peut nan-
moins avoir une vritable utilit dans certaines
occasions o tout autre nous est interdit. Mais
(1) On peut utilement remarquer ce sujet, d'aprs les pomes d'Ho-mre et les rcits de la Bible, que, dans l'enfance de la civilisation,les fonctions sociales elles-mmes servaient, jusqu' un certain points marquer et mesurer le temps.
ASTRONOMIE. 55
il est vident, en gnral, que les divers mou-
vemens des corps vivans varient d'une manire
beaucoup trop irrgulire pour qu'on puisse ja-mais les employer la mesure du temps. 11 en
est encore essentiellement de mme, quoiqu' un
degr bien moindre, des phnomnes chimiques.La combustion d'une quantit dtermine de ma-
tire quelconque homogne, peut devenir, par
exemple, un moyen d'valuer, avec une gros-sire approximation le temps coul. Mais la
dure totale de cette combustion, et surtout celle
de ses diverses parties, sont videmment trop in-
certaines et trop variables pour qu'on en dduise
aucune dtermination prcise. Ainsi, puisqu'il a
fallu carter les phnomnes astronomiques,comme seulement destins la vrification, quoi-
qu'ils soient, par leur nature, les plus rguliers, cen'est donc que dans les mouvemens physiques
proprement dits, et surtout dans ceux dus la
pesanteur, que nous pouvons rellement chercher
des procds chronomtriques susceptibles d'exac-
titude. C'est aussi l o ils ont t puiss de tout
temps, aussitt qu'on a senti le besoin de ne plusse borner aux moyens gnomoniques.
Les anciens ont d'abord employ le mouvement
produit par la pesanteur dans l'coulement des
liquides de l leurs diverses clepsydres, et les
PHILOSOPHIE POSITIVE.56
sabliers encore usits bord de nos vaisseaux.
Mais il est vident que de tels instrumens, mme
en les supposant aussi perfectionns que le per-mettraient nos connaissances actuelles, ne sont
pas susceptibles, par leur nature, d'une grande
prcision, cause de l'irrgularit ncessaire de
tout mouvement dans les liquides. C'est pourquoion a t rationnellement conduit, dans le moyen
ge, substituer les solides aux liquides, en ima-
ginant les horloges fondes sur la descente verti-
cale des poids. Ainsi, en cherchant, parmi tous les
phnomnes naturels, des moyens exacts de mesu-
rer le temps, on a t successivement conduit se
borner un principe unique de chronomtrie,
qui semble, d'aprs l'analyse prcdente, tre en
effet le seul propre a nous fournir dfinitivement
une solution convenable du problme, et qui,sans doute, servira toujours de base nos horloges
astronomiques. Mais il s'en fallait de beaucoup
qu'il pt suffire par lui-mme, sans une longue et
difficile laboration, qui se rattache aux plushautes questions mathmatiques. En effet, le mou-
vement vertical des corps pesans, bien loin d'tre
uniforme, tant, au contraire ncessairement
acclr, les indications d'un tel instrument sont
donc naturellement vicieuses, quoique assujetties une loi rgulire. Le ralentissement indispen-
ASTRONOMIE. 57
sable de la chute, l'aide des contre-poids, ne
rmdie en rien ce dfaut capital, puisque,affectant proportionnellement les diverses vitesses
successives, il ne saurait altrer leurs rapports il
peut seulement diminuer la rsistance de l'air,
qui n'est l qu'une cause fort accessoire. Le pro-blme chronomtrique fondamental n'tait donc
nullement rsolu jusqu' ce que la cration de la
dynamique rationnelle par le gnie de Galile
et conduit dcouvrir, dans une moditication
capitale du mouvement naturel des corps pesans,la parfaite rgularit qu'on avait jusqu'alors vai-
nement cherche.
On a long temps disput Galile la gloired'avoir eu, le premier, l'ide de mesurer le temps
par les oscillations d'un pendule; et la discussion
attentive de ce point d'rudition a montr, ce me
semble, que c'tait tort. Mais il est, dans tous
les cas, scientifiquement incontestable que ses
belles dcouvertes en dynamique devaient y ame-
ner naturellement. Car, il en rsultait ncessai-
rement que la vitesse d'un poids qui descend sui-
vant une courbe verticale dcrot mesure qu'il
s'approche du point le plus bas, en raison du
sinus de l'inclinaison horizontale de chaque l-
ment parcouru de sorte qu'on pouvait aisment
concevoir que, par une forme convenable de la
PHILOSOPHIE POSITIVE.58
courbe, l'isochronisme des oscillations serait ob-
tenu si le ralentissement se trouvait, en chaque
point, compenser exactement la diminution de
l'arc dcrire. La solution de ce dernier problme
mathmatique tait rserve Huyghens la go-mtrie n'tant point assez avance l'poque de
Galile pour qu'il ft encore accessible. Galile
parat avoir t seulement conduit par l'observa-
tion regarder comme rigoureusement isochrones
les oscillations circulaires, sans avoir nullement
connu la restriction relative leur amplitude trs
petite, quoique ses propres thormes permissentde l'apercevoir aisment.
A partir de la premire ide du pendule, et de
la connaissance du dfaut d'isochronisme rigou-reux dans le cercle, l'histoire, impossible dve-
lopper ici, de la solution de ce beau problme
par les immortels travaux d'Huygheus devient un
des plus admirables exemples de cette relation
intime et ncessaire qui fait dpendre les questions
pratiques les plus simples en apparence des plusminentes recherches scientifiques. Aprs avoir
dcouvert que l'galit parfaite de la dure des
oscillations quelconques n'appartenait qu' la cyc
clode Huyghens, pour faire dcrire cette courbe
son pendule, imagina un appareil aussi simple
que possible, fond sur la belle conception des d-
ASTROSOMIE. 59
veloppes, qui, transporte ensuite dans la go-mtrie abstraite, en est devenue un des lmens
fondamentaux. Les difficults d'une excution pr-
cise, et surtout l'impossibilit pratique de mainte-
nir un tel appareil suffisamment inaltrable, ont
d faire entirement renoncer au pendule cvclo-dal. Quand Huyghens l'eut reconnu, il dduisit
de sa thorie un moyen heureux de revenir enfin
au pendule circulaire, le seul vraiment admissi-
ble, en dmontrant que, le rayon de courbure de
la cyclode son sommet tant gal la longueurtotale de son pendule, il pouvait transporter,d'une manire suffisamment approche, au cercle
osculateur tout ce qu'il avait trouv sur l'isochro-
nisme et sur la mesure des oscillations cyclodales,
pourvu que les oscillations cireulaires fussent
toujours trs petites,ce qu'il assura par l'ingnieuxmcanisme de l'chappement, en appliquant le
pendule la rgularisation des horloges. Mais
cette belle solution ne pouvait encore devenir en-
tirement pratique, sans avoir pralablementtrait une dernire question fondamentale, quitient la partie la plus leve de la dynamiquerationnelle, la rduction du pendule compos au
pendule simple, pour laquelle Huyghens inventale clbre principe des forces vives, et qui, outre
qu'elle tait indispensable, indiquait l'art de
PHILOSOPHIE POSITIVE.60
nouveaux moyens de modifier les oscillations sans
changer les dimensions de l'appareil. Par un tel
ensemble de dcouvertes pour une mme desti-
nation, le beau trait De Horologio oscillatorio
est peut-tre l'exemple le plus remarquable de re-
cherches spciales que nous offre jusqu'ici l'his-
toire de l'esprit humain tout entire.
Depuis ce grand rsultat, le perfectionnementdes horloges astronomiques a t uniquement du
domaine de l'art. Il a port essentiellement sur
deux points la diminution du frottement, parun meilleur mode de suspension, et la correction
des irrgularits dues aux variations de tempra-
ture, par l'ingnieuse invention des appareils com-
pensateurs. Je n'ai point d'ailleurs considrer
ici les chronomtres portatifs, fonds sur la dis-
tension graduelle d'un ressort mtallique pli en
spirale, et dont l'tonnante perfection, presque
gale aujourd'hui celle des horloges astronomi-
ques, est due essentiellement l'art, la science y
ayant peu contribu.
Tel est, en aperu, l'ensemble des moyens par
lesquels le temps est habituellement mesur, d'une
manire sre, dans nos observations astronomi-
ques, une demi-seconde prs, et quelquefoismme avec une prcision encore plus grande.
Considrons maintenant, sous un point de vue
ASTRONOMIE. 61
gnral, le perfectionnement de la mesure des
angles, dont l'histoire n'offre point toutefois un
ensemble de recherches aussi intressant.
Pour concevoir nettement d'abord, en quoi
consiste, cet gard, la difficult essentielle, il
suffit, ce me semble, de se reprsenter que, lors-
qu'on se propose d'valuer un angle seulement
une minute prs, il faudrait, d'aprs un calcul
trs facile, un cercle de sept mtres de diamtre
environ, en y accordant aux minutes une ten-
due d'un millimtre; et l'indication directe des
secondes sexagsimales, en rduisant chacune
occuper un dixime de millimtre, exigerait un
diamtre de plus de quarante mtres. D'un autre
ct, en restant mme fort au-dessous de dimen-
sions aussi impraticables, l'exprience a dmontr
que, indpendamment de l'excution difficile et
de l'usage incommode, la grandeur des instru-
mens ne pouvait excder certaines limites assez
mdiocres sans nuire ncessairement leur prci-sion, cause de leur dformation invitable parle poids, la temprature, etc. Les astronomes
arabes du moyen ge ont vainement employ des
instrumens gigantesques sans en obtenir l'exac-
titude qu'ils y avaient cherche; et on y a gn-ralement renonc depuis plusieurs sicles. Les
tlescopes grandes dimensions qu'on remarque
PHILOSOPHIE POSITIVE.62
dans nos observatoires actuels sont uniquementdestins procurer de forts grossissemens pourvoir les astres les moins apparens, et ils seraient
entirement impropres aucune mesure exacte.
Tous les observateurs conviennent aujourd'hui
que les instrumens destins mesurer les anglesne sauraient avoir sans inconvnient plus de trois
ou quatre mtres de diamtre, quand il s'agit d'un
cercle entier; et les plus usits n'ont gure quedeux mtres. Cela pos, la question consiste es-
sentiellement comprendre comment on a pu
parvenir valuer les angles une seconde prs;comme on le fait habituellement aujourd'hui,avec des cercles dont la grandeur permettrait
peine d'y marquer les minutes.
Trois moyens principaux ont concouru pro-duire un aussi grand perfectionnement l'appli-cation des lunettes aux instrumens angulaires
l'usage du vernier; et enfin la rptition des
angles.Les astronomes se sont long-temps borns
employer leurs lunettes pour distinguer dans le
ciel de nouveaux objets, sans penser l'usagebien plus important qu'ils en pouvaient faire pour
augmenter la prcision des mesures d'angles. Mais
la curiosit primitive une fois satisfaite, le tles-
cope devait tre naturellement appliqu, comme
ASTRONOME. 63
il le fut par Morin un demi-sicle environ aprs
son invention, remplacer dans les instrumens
angulaires les alidades des anciens et les pinnulesdu moyen ge, pour permettre de viser plusexactement. Cette heureuse ide put tre enti-
rement ralise lorsque Auzout eut' imagintrente ans aprs, le rticule, destin fixer
avec la dernire prcision l'instant effectif du
passage d'un astre par l'axe optique de la lu-
nette. Enfin ces importans perfectionnemensfurent complts, un sicle plus tard, par la
mmorable dcouverte que fit Dollond, des ob-
jectifs achromatiques, qui ont tant augment la
nettet des observations.
L'ingnieux procd imagin par Vernier, en
1631, pour subdiviser un intervalle quelconqueen parties beaucoup moindres que les plus pe-tites qu'on y puisse marquer distinctement, est
la seconde cause fondamentale laquelle nous
devons la prcision actuelle des mesures angu-laires. Les transversales de Tycho-Brah avaient
offert pour cela un premier moyen, d'un usageincommode et trs limit, que l'emploi du ver-
nier a fait avec raison entirement oublier. On a
pu ainsi dterminer aisment les angles, une
demi-minute prs, par exemple, avec des cercles
diviss seulement en siximes de degr. Ce simple
PHILOSOPHIE POSITIVE.64
appareil semble pouvoir procurer, par lui-mme,une prcision en quelque sorte indfinie, quin'est limite, en ralit, que par la difficult
d'apercevoir assez distinctement la concidence
des traits du vernier avec ceux du limbe.
Quelle que soit l'importance de la lunette et
du vernier, la combinaison de ces deux moyensaurait t nanmoins insuffisante pour porter la
mesure des angles jusqu' la prcision des se-
condes, sans une dernire cause essentielle de
perfectionnement, l'ide minemment heureuse
de la rptition des angles, conue d'abord par
Mayer et ralise plus tard par Borda, avec les
modifications qu'exigeait la nature des observa-
tions astronomiques. Il est vraiment singulier
qu'on ait t aussi long-temps reconnatre que,l'erreur des instrumens angulaires tant ncessai-
rement indpendante de la grandeur des angles
valuer, il y aurait avantage, pour l'attnuer,
augmenter exprs, dans une proportion connue,
chaque angle propos, pourvu que cette multipli-cation s'effectut sans dpendre en rien de l'exac-
titude de l'instrument un procd analogue tait
habituellement employ depuis des sicles, dans
d'autres genres d'valuation, il est vrai, et entre
autres dans l'approximation indfinie des racines
numriques, qui repose directement sur le mme
ASTRONOMIE. 65
TOMEII, 5
principe. Quoi qu'il en soit, la rptition des an-
gles tait immdiatement excutable, par un m-
canisme trs simple, relativement aux mesures
terrestres, cause de l'immobilit des points de
mire. Mais, au contraire, le dplacement conti-
nuel des corps clestes, prsentait, dans l'appli-cation d'un tel moyen, une difficult spciale,
que Borda parvint surmonter. En se bornant,comme on le peut presque toujours, mesurer
les distances znithales des astres lorsqu'ils tra-
versent le mridien, il est clair que, maigre son
dplacement, l'astre reste, cette poque, sensi-
blement la mme distance du znith, pendantun temps assez long pour permettre d'oprer la
multiplication de l'angle. Cette remarque est le
fondement de la disposition imagine par Borda.
C'est d'aprs ces diverses bases essentielles qued'habiles constructeurs ont pu donner aux ins-
trumens angulaires une prcision en harmonie
avec celle des instrumens horaires, et qui imposemaintenant l'observateur la stricte obligationde pratiquer, avec une constance infatigable, les
prcautions minutieuses et les nombreuses recti-
fications dont l'exprience a fait reconnatre suc-
cessivement la ncessit, pour tirer rellement
de ces puissans appareils tous les avantages pos-sibles.
PHILOSOPHIE POSITIVE.6G
Afin de complter cet aperu gnral des moyensfondamentaux sur lesquels repose la perfectiondes mesures astronomiques, il est indispensablede signaler ici l'instrument capital invent parRomer sous le nom de lunette mridienne. Il est
destin fixer aveo une merveilleuse exactitude
le vritable instant du passage d'un astre quelcon-
que travers le plan du mridien. Avec quelquesoin que pt tre excut un mridien matriel,il laisserait toujours cet gard une incerti-
tude invitable. C'est pour l'luder que Romer
imagina de rduire ce plan tre purement go-
mtrique, en le dcrivant par l'ax optique d'une
simple lunette convenablement dispose, ce qui
sufilt quand on veut seulement connatre le mo-
ment prcis du passage. La distance znithale cor-
respondante est d'ailleurs mesure ncessairement
sur un cercle effectif; mais il peut ne pas conci-
der entirement avec le vrai mridien, sans qu'ilen rsulte aucune inexactitude sur cette distance,
qui est une telle poque de mouvement, sensi-
blement invariable.
Enfin, il faut encore mentionner, comme instru-
mensessentiels, les divers appareils micromtriquessuccessivement imagins pour mesurer avec prci-sion les diamtres apparens des astres, et gn-ralement tous les petits intervalles angulaires.
ASTRONOMIE.67
5-
Quoique la thorie en soit extrmement facile, de-
puis le simple micromtre rticulaire jusqu'au mi-
cromtre double image, il est nanmoins re-
marquable qu'ils aient tous t invents par des
astronomes, sans que les constructeurs y aient eu
aucune part essentielle, comme le montre, au
reste, l'histoire de tous les instrumens de prci-sion. Cela tient principalement, sans doute, l'-
ducation si imparfaite de la plupart des construc-
teurs habiles dont plusieurs ont videmment
tmoign par leurs productions un gnie mcani-
que plus que suffisant pour inventer spontan-ment les instrumens qu'ils se bornaient excu-
ter, s'ils eussent pu en mieux sentir l'importanceet en comprendre plus clairement la destination.
Aprs avoir considr le perfectionnement des
mesures astronomiques, soit angulaires, soit ho-
raires, relativement aux principaux moyens ma-
triels qu'on y emploie, il faut maintenant envi-
sager les moyens intellectuels qui sont au moins
aussi ncessaires, c'est--dire la thorie des cor-
rections indispensables que les astronomes doivent
faire subir toutes les indications de leurs instru-
mens pour les dgager des erreurs invitables
dues diverses causes gnrales, et surtout aux
rfractions et aux parallaxes.Il existe, comme je l'ai indiqu ci-dessus, une
PHILOSOPHIE POSITIVE.68
harmonie fondamentale entre ces deux ordres de
perfectionnemens. Car il faut des instrumens
d'une certaine prcision pour que la rfraction et
la parallaxe deviennent suffisamment apprcia-
bls; et, d'un autre ct, il serait parfaitementinutile d'inventer des instrumens extrmement
exacts, si la rfraction ou la parallaxe devaient,
elles seules, apporter dans les observations une
incertitude suprieure celle qu'on se proposed'viter par l'amlioration des appareils. Pour-
quoi, par exemple, les Grecs se seraient-ils ef-
forcs de perfectionner beaucoup leurs instru-
mens, lorsque l'impossibilit o ils taient de
tenir compte des rfractions et des parallaxes in-
troduisait ncessairement dans leurs mesures an-
gulaires des erreurs habituelles de un deux
degrs, et quelquefois mme davantage? C'est
sans doute dans une telle corrlation qu'il faut
chercher l'explication vritable de la grossiretdes instrumens grecs, qui forme un contraste si
frappant avec la sagacit d'invention et la finesse
d'excution dont les anciens ont donn tant de
preuves irrcusables dans d'autres genres de pro-ductions.
Ces corrections fondamentales peuvent tre dis-
tingues, d'aprs leurs causes, en deux classes.
Les unes tiennent, d'une manire directe et vi-
69ASTRONOMIE.
dente, la position de l'observateur, et n'exigentaucune connaissance approfondie des phnomnes
astronomiques ce sont la rfraction et la paral-laxe ordinaire proprement dite. Les autres, quiont sans doute, au fond, la mme origine, puis-
qu'elles proviennent des mouvemens de la pla-nte sur laquelle l'observateur est situ, son