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Journal de pédiatrie et de puériculture (2010) 23, 26—29 CAS CLINIQUE Conduite à tenir devant une brièveté du frein de la langue Management of tongue-tie in children A. Kaddour-Brahim a , B. Michel b , J. Fenouillat a , D. Ginisty a,a Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale pédiatriques, groupe hospitalier Saint-Vincent-de-Paul, 82, avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris cedex 14, France b Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale pédiatriques, hôpital Necker—Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France MOTS CLÉS Frein de la langue ; Ankyloglossie ; Chirurgie ; Orthophonie KEYWORDS Tongue-tie; Ankyloglossia; Frenuloplasty; Speech therapy Le frein lingual est un repli muqueux arciforme s’étendant de la face ventrale de la langue au sillon alvéololingual bas. Il sépare donc les deux régions caronculaires, où siège l’ostium des canaux excréteurs des glandes submandibulaires et des glandes sublinguales. De chaque côté du frein descendent deux éléments veineux : les veines ranines super- ficielles bien visibles sur la face ventrale de la langue. Le frein lingual est donc un élément anatomique normal ; il peut présenter de nombreux aspects dont certains sont pathologiques, dans la mesure où ils vont modifier la statique et la dynamique linguales, avec comme point commun la brièveté de la face inférieure de la langue. Selon l’importance de la bride, on peut observer un aspect caractéristique de la langue, en gouttière à concavité supérieure (Fig. 1), avec des difficultés motrices variables en élévation, protraction ou latéralité. Au maximum, la bride peut s’étendre jusqu’à la man- dibule, réalisant une réelle ankyloglossie (Fig. 2). Les malformations plus graves de la langue sont toujours associées à une ankyloglossie. Certains auteurs ont proposé une classification des anomalies selon le retentissement sur l’élévation linguale maximale possible [1] ou par une évaluation fonctionnelle plus complexe telle que l’échelle d’Hazelbaker [2]. La mensuration en millimètres et les items proposés sont difficiles à apprécier chez l’enfant. C’est pourquoi, nous préférons un cri- tère simple pour poser l’indication opératoire : l’enfant, bouche grande ouverte, ne peut toucher la voûte palatine avec la pointe de langue. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Ginisty). 0987-7983/$ — see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.jpp.2010.01.001

Conduite à tenir devant une brièveté du frein de la langue

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ournal de pédiatrie et de puériculture (2010) 23, 26—29

AS CLINIQUE

onduite à tenir devant une brièvetéu frein de la langue

anagement of tongue-tie in children

A. Kaddour-Brahima, B. Michelb,J. Fenouillata, D. Ginistya,∗

a Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale pédiatriques, groupe hospitalierSaint-Vincent-de-Paul, 82, avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris cedex 14, Franceb Service de stomatologie et chirurgie maxillofaciale pédiatriques, hôpital

Necker—Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France

MOTS CLÉSFrein de la langue ;Ankyloglossie ;Chirurgie ;Orthophonie

KEYWORDSTongue-tie;Ankyloglossia;Frenuloplasty;Speech therapy

Le frein lingual est un repli muqueux arciforme s’étendant de la face ventrale de la langueau sillon alvéololingual bas. Il sépare donc les deux régions caronculaires, où siège l’ostiumdes canaux excréteurs des glandes submandibulaires et des glandes sublinguales.

De chaque côté du frein descendent deux éléments veineux : les veines ranines super-ficielles bien visibles sur la face ventrale de la langue.

Le frein lingual est donc un élément anatomique normal ; il peut présenter de nombreuxaspects dont certains sont pathologiques, dans la mesure où ils vont modifier la statiqueet la dynamique linguales, avec comme point commun la brièveté de la face inférieure dela langue.

Selon l’importance de la bride, on peut observer un aspect caractéristique de la langue,en gouttière à concavité supérieure (Fig. 1), avec des difficultés motrices variables enélévation, protraction ou latéralité. Au maximum, la bride peut s’étendre jusqu’à la man-dibule, réalisant une réelle ankyloglossie (Fig. 2). Les malformations plus graves de lalangue sont toujours associées à une ankyloglossie.

Certains auteurs ont proposé une classification des anomalies selon le retentissement

sur l’élévation linguale maximale possible [1] ou par une évaluation fonctionnelle pluscomplexe telle que l’échelle d’Hazelbaker [2]. La mensuration en millimètres et les itemsproposés sont difficiles à apprécier chez l’enfant. C’est pourquoi, nous préférons un cri-tère simple pour poser l’indication opératoire : l’enfant, bouche grande ouverte, ne peuttoucher la voûte palatine avec la pointe de langue.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (D. Ginisty).

987-7983/$ — see front matter © 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.jpp.2010.01.001

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Conduite à tenir devant une brièveté du frein de la langue 27

Figure 1. Aspect en gouttière.

du frein en maternité. Nous n’avons pas trouvé de relationobjective entre frein de langue et douleurs mammelonaires,à l’origine de sevrages décrits par des auteurs anglosaxons[3].

Un frein lingual hypertrophique ne peut à lui seul expli-quer une difficulté de tétée au biberon.

Cas clinique chez l’enfant

La plupart des auteurs s’accordent sur la relation entrefrein lingual hypertrophique et anomalies de croissance desmaxillaires, troubles phonatoires et, à un degré moindre,gêne à la mastication.

Anomalies de croissance des maxillaires etalvéolodentaires

Ce sont majoritairement une promandibulie (classe III sque-lettique) par trouble de statique et dynamique linguales,avec béance incisive en cas d’interposition linguale entreles arcades. Le diastème interincisif est l’anomalie dentairefréquemment retrouvée (Fig. 4).

Figure 4. Articulé dentaire inversé.

Figure 2. Ankyloglossie.

Cas clinique chez le nouveau-né

Seule la section d’un rideau pellucide (Fig. 3) situé entrela face inférieure de langue et le plancher buccal peut êtreenvisagée à l’état vigile.

Il nécessite un bon éclairage et un praticien connaissant

parfaitement l’anatomie de la région. Ce geste n’est passuffisant pour normaliser l’anatomie linguale.

En ce qui concerne l’allaitement, nous avons pu consta-ter une amélioration inconstante des tétées après section

Figure 3. Membrane pellucide. Figure 5. Excursion vers le haut impossible.

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28 A. Kaddour-Brahim et al.

Difficultés de mastication

La langue sert à interposer les aliments entre les molairesjusqu’à trituration complète ; on comprend qu’en casd’ankyloglossie, les morceaux ne puissent être efficacementtriturés et que les morsures de langue soient fréquentes.

Troubles de l’articulation phonétique

Un frein lingual court n’est pas seul responsable d’une ano-malie de développement de la parole mais peut, à lui seul,entraîner un trouble de l’articulation phonétique [4].

La pointe de langue appuie normalement sur le prémaxil-laire, derrière les incisives pour l’articulation des palatales.Du fait de l’interposition linguale entre les arcades, lestroubles d’articulation concernent « t », « d » et « n », et latransformation du « l » en « y » est permanente. Il est fré-quent d’observer chez les jeunes enfants une raucité vocalequi évoque un forcage.

La gravité est, là-aussi, variable d’un enfant à l’autreselon chaque forme, avec chez les plus jeunes (quatreà cinq ans) une lenteur ou une maladresse audible dans

Figure 6. Propulsion linguale limitée.

Figure 7. Incision au laser en V.

l’enchaînement des phrases caractéristiques d’un flou del’articulation.

Chez l’enfant plus âgé, cela s’estompe en général, maisl’articulation peut rester floue, car l’enfant parle avecarcades serrées d’où un schlintement qui correspond à unpassage latéral d’air par les joues.

Dans tous les cas de béance incisive, un troubled’articulation se crée, à type de sigmatisme addental ouinterdental (le zozotement).

La consultation d’orthophonie permet de coter lestroubles phonologiques en rapport avec les maladressesmotrices en fonction de l’âge.

Conduite à tenir thérapeutique chezl’enfant

Orthophonie

Nous insistons particulièrement sur le bilan orthophoniqueinitial pour programmer l’intervention au moment opti-mal.

La prise de contact avec l’orthophoniste permettra demontrer les exercices de praxies linguales à l’enfant et de leslui proposer en vue d’acquérir une meilleure connaissancede la cavité buccale. L’orthophoniste appréciera si l’enfantcomprend les consignes et sa capacité actuelle à réaliser lesmouvements linguaux. Deux séances sont en général suffi-santes pour évaluer le comportement de participation del’enfant. L’opération est alors programmée.

L’âge moyen d’intervention se situe entre cinq et six ans.

Figure 8. Suture en VY.

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Conduite à tenir devant une brièveté du frein de la langue

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Figure 9. Aspect postopératoire avec une mobilité linguale plusaisée.

Chirurgie

L’intervention chirurgicale sous anesthésie générale vapermettre de réaliser non seulement la section dela bride, comme chez le nouveau-né, mais aussi uneplastie d’allongement de la face inférieure de langue(Fig. 5—9).

La technique utilisée dans le service est une plastie enVY (Fig. 5—9), avec éventuellement une plastie en Z sus-caronculaire.

Les fils de suture sont résorbables.L’alimentation est liquide, puis molle pendant quelques

jours et des antalgiques permettent de reprendre une réédu-cation dans les premières heures postopératoires.

Rééducation postopératoire

Dans les trois ou quatre premiers jours, nous privilégionsquelques exercices de statique linguale, après la prised’antalgique pour favoriser la posture haute de la pointe delangue au palais. Les mouvements deviennent plus facilesà effectuer grâce à une acquisition proprioceptive buccaleplus complète et aisée.

Puis, nous poursuivons par des exercices dynamiques ; lesbruits de claquement de langue au palais, tantôt souplestantôt brefs et vifs, seront repris à la maison pour stimulerl’entraînement de nouvelles praxies linguales en rapidité etforce musculaire.

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L’enfant est revu en contrôle par le chirurgien uneemaine plus tard afin d’apprécier la qualité de la cica-risation, le gain de mobilité, l’augmentation de la forceusculaire linguale et les changements morphologiques,uisque l’apex commence à bien s’individualiser.

L’alimentation peut ensuite être normalisée et les antal-iques arrêtés.

L’enfant est alors réadressé à son orthophoniste de proxi-ité pour poursuivre les acquisitions motrices, développer

es nouvelles praxies buccales et articulatoires. Par la suite,l utilisera de mieux en mieux les mots contenant les pho-èmes « t », « d », « n » et « l », et la répétition de phrasesous forme de lecture indirecte sera continuée jusqu’à ceue l’élocution soit fluide et claire.

L’évaluation des progrès phonétiques et alimentaires estaite lors d’une consultation plus tardive (trois à six moisostopératoire).

En cas d’anomalie de croissance des maxillaires, le traite-ent d’orthopédie dentofaciale n’est débuté qu’à ce stade.

onclusion

ous les auteurs s’accordent sur les impacts favorables duraitement chirurgical lingual associé à l’orthophonie sur lesroubles d’articulation phonétique.

La correction des troubles d’articulation est souventapide, en moins d’un mois. Les impacts sur l’alimentationont souvent plus tardifs.

Une meilleure intégration et des modifications positivese comportement à l’école sont constatées.

Nous sommes très réservés quant à l’utilité d’un actehirurgical en période post-natale. Le bilan orthophoniqueun rôle majeur pour déterminer le moment optimal de

’intervention quand la coopération de l’enfant est acquise.Aucune récidive de la bride n’a été notée à long terme,

ême chez des enfants dont la coopération postopératoire’a pas été totale.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

1] Kotlow LA. Ankyloglossia (tongue-tie): a diagnostic and treat-ment quandary. Quintessence Int 1999;30:259—62.

2] Amir LH, James JP, Donath SM. Reliability of the Hazelbakerassessment tool for lingual frenulum function. Int Breastfeed J2006;1:3.

3] Ballard JL, Auer CE, Khoury JC. Ankyloglossia: assessement, inci-dence, and effect of frenuloplasty on the breastfeeding dyad.Pediatrics 2002;110:e63.

4] Messner AH, Lalakea ML. The effect of ankyloglossia on speechin children. Otolaryngol Head Neck Surg 2002;127:539—45.