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Correction:IngridPelletierMiseenpages:PascaleDarrigrand

Titreoriginal:TheTestingPublishedbyspecialarrangementwithHoughton

MifflinHarcourtPublishingCompany(Boston,USA).Allrightsreserved.

Copyright©2013byJoelleCharbonneauTranslationcopyright©2014,byéditionsMilan

Pourl’éditionfrançaise:©2014,ÉditionsMilan

300,rueLéon-Joulin,31101ToulouseCedex9,FranceLoi49-956du16juillet1949

surlespublicationsdestinéesàlajeunesse

www.editionsmilan.com

©2014,ÉditionsMilan,pourlaversionnumérique

ISBN:978-2-7459-7372-6

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PourStaciaDecker,pourtantderaisons.

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CHAPITRE1

Jourderemisedesdiplômes.Jemetrémoussependantquemamèrem’ajustematunique.Apparemmentsatisfaite,ellemeglisse

unemèchedecheveuxderrière l’oreille, puisme tournevers le réflecteurdenotre airede séjour.Rouge.Jeportemaintenantdurouge.Finilerose.Jesuisuneadulte.Enavoirlapreuvesouslesyeuxmenouel’estomac.–Tuesprête,Cia?medemandemamère.Elle aussi est vêtue de rouge. Sa robe arachnéenne ondoie élégamment jusqu’au sol. En

comparaison,marobesansmanchesetmesbottesdecuirparaissentunpeuenfantinesmaisçanemegênepastrop.J’aitoutletempsdem’appropriermonnouveaustatutd’adulte.Jesuisencorejeune.À16ans,jesuisd’ailleurslaplusjeunedemaclasse.Je jetteunderniercoupd’œilauréflecteurensouhaitantde toutesmesforcesqu’aujourd’huine

soitpasledernierjourdemascolarité.Maisçanedépendpasdemoi.J’aibeaucouptravaillé,j’aifaitdemonmieux,jenepeuxqu’espérerêtrechoisie.Unebouled’angoissedanslagorge,jeparviensàarticuler:–Allons-y.Lacérémoniesedérouledansleparc,aumilieudesstandsdepâtisseriesetdelaitfrais.Lacolonie

augrandcompletseraprésente.C’estlogiquecartouslescolonsontunliendeparentéavecaumoinsundesétudiants.Noussommesquatorzeàpasserdel’enfanceàl’âgeadulte,huitgarçons,sixfilles,plusnombreuxquetouteslesannéesprécédentes.C’est lesignequenotrecolonieestdynamiqueetflorissante.Mon père et mes quatre frères, vêtus de l’habit de cérémonie violet, nous attendent devant la

maison.Monfrèreaîné,Zeen,m’ébouriffelescheveuxensouriant.–Alorsgamine,prêteàdireadieuàl’écoleetàrejoindrelesratéscommenousdanslavraievie?Mamèrefroncelessourcils.Jeris.Zeen etmes autres frères sont loin d’être des ratés. D’ailleurs les filles ne s’y trompent pas et

passentleurtempsàsejeteràleurtête.Maiss’ilsnerefusentjamaisunesoiréeenbonnecompagnie,ilss’intéressentplusàlacréationd’unplantdetomatehybridequ’àl’idéedes’installerpourfonderunefamille.Danscedomaine,Zeenestcertainementlepiredesquatre.Grand,blond,beaugarçon,ilestsurtouttrèsintelligent.Pourtant,iln’apasétéchoisipourleTestetcetteidéemedonnelecafard.Peut-être que c’est la première règle que l’on doit intégrer en devenant adulte : on n’obtient pastoujourscequel’onveut.Zeenauraitsûrementpréférécontinuersesétudesetentrerà l’université.Marcherdanslespasdenotrepère.Ildoitsavoircequejeressens.J’aimeraispouvoirenparleraveclui,luidemandercommentilavéculadéceptionquejem’apprêtetrèscertainementàexpérimenter.NotrecolonieauradelachancesiundessiensestchoisipourleTest.Cen’estpasarrivédepuiscinq

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ans.Jesuiscertesuneexcellenteélève,maisd’autressontmeilleursquemoi.Bienmeilleurs.Jen’aipratiquementaucunespoir.Jemeforcenéanmoinsàsourire.–Biensûrquejesuisprête.Jen’aipaslechoixsijeveuxdirigerlacolonieavantquevoussoyez

mariés.HartetWinrougissentjusqu’àlaracinedescheveux.Ilsontdeuxansdeplusquemoietlasimple

idéedumariageleurdonneenviedeprendreleursjambesàleurcou.Cequ’ilsaiment,c’esttravaillerensembleà lapépinière,s’occuperdesplantesquenotrepèreaconçuespourqu’elles résistentauxsolscorrompusquientourentlacolonie.–Personnenedirigerariendutoutsionneseremuepas!Letondemamèreestsec.Déjà,elleremontelechemind’unbonpasetmesfrèresetmonpèrela

suiventsansdiscuter.ElleaimeraittellementvoirZeenetAminmariésetinstallésquelesujetlamettoujoursunpeuencolère.Àpeineavons-nousquittélejardinquemesfrèresetmonpèreontcrééautourdelamaisonque

nousnousretrouvonsentourésd’uneterrecraqueléeetaride.Seulesquelquestouffesd’herbeetunarbustemalingre parviennent à y survivre.D’aprèsmonpère, c’est encore pire à l’ouest et si nosdirigeants ont choisi la région des Cinq Lacs pour monter notre colonie, c’est qu’elle avait unpotentiel.Noushabitonsàpresquehuitkilomètresducentre-villeethabituellement, je lesparcoursàvélo.

Aujourd’hui, ma famille et moi les feront à pied. Quelques citoyens possèdent des voitures maisl’essenceetlescellulessolairessonttropraresetprécieusespouruneutilisationquotidienne.Avec son centreovale et ses extensions sur les côtés, le parc communautaire a unpeu la forme

d’unetortue.Aumilieu,unemagnifiquefontaineprojetteuneeauincroyablementcristalline.C’estunluxe car l’eau propre n’est pas facile à obtenir.Ce gaspillage au nomde la beauté est autorisé enl’honneurdel’hommequiadécouvertlemoyendedécontaminerleslacsetlesnappesphréatiquesaprèsl’ÉpoqueSept.Pourlesocéans,oucequ’ilenreste,lasolutionresteàtrouver.À mesure que nous approchons, le paysage devient plus vert et on entend les oiseaux chanter.

Mamanestsilencieuse.Zeenla taquineenaffirmantqu’elleneveutpasquejegrandissemais jenecroispasquecesoitleproblème.Oupeut-êtrequesi.Jem’entendsbienavecmamèremaiscesdeuxdernièresannées,elleestdevenueplusdistante.Plus

réticenteàm’aiderpourmesdevoirs.Plusintéresséeàmariersesfilsetàparlerdel’apprentissagequejechoisiraiaprèsl’école.CommesilesdiscussionssurleTestétaientdevenuestaboues.Alorsjeme suis éloignée d’elle et rapprochée demon père.Aumoins, s’il nem’encourage pas, il nemedécouragepasnonplus.Engénéral,quandjeluiparledemesenviesd’université, ilm’écoutesansriendire.Jesupposequ’ilapeurquejesoisdéçue.Le soleil est chaud et alors quenousgravissons la dernière colline, je sens la sueur dégouliner

dansmondos.Deséchosdemusiqueetderiresnousparviennentetmefontaccélérer lepas.Justeavantlesommet,papapassesonbrasautourdemonépauleetmemurmurederalentiretd’attendrequelerestedelafamilleaitprisunpeud’avance.L’excitationmepousseenavantmaisj’obéisenluidemandant:–Ilyaunproblème?Sonsourireresteéclatantmaissonregards’assombrit.–Non,pasdeproblème,m’assure-t-il.Jevoulaisjusteunmomententêteàtêteavecmapetitefille

avantlegrandchambardement.Dèsquenouscommenceronsàdescendreleversantdecettecolline,plusrienneseracommeavant.–Jesais.

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–Tuesnerveuse?–Jecrois.Lapeursemêleàunefouled’autresémotionsquejeneparvienspasàidentifier.–C’estbizarredenepassavoircequejevaisfaireenmelevantdemainmatin.La plupart de mes camarades de classe ont déjà décidé de leur avenir. Ils savent s’ils seront

apprentisous’ilsdéménagerontdansuneautrecoloniepour trouverdu travail.Certainsontmêmedéjàprévuladatede leurmariage.Cen’estpasmoncas.Monpèrem’abienproposéde travailleravecluietmesfrères,maisjen’aipascommeeuxlamainverte.Ladernièrefoisquej’aiaidémonpère,j’aifaillidétruirelesgrainesdetournesolqu’ilavaitmisdesmoisàcréer.Mondomaineàmoi,c’estplutôtlamécanique.–Tuvasdevoir affronter la réalité, reprendmonpèred’unevoixdouce.Et n’oublie pasque je

seraifierdetoi,quoiqu’ilarrive.–MêmesijenesuispassélectionnéepourleTest?– Surtout si tu n’es pas sélectionnée pour le Test, sourit-il en me donnant un petit coup dans

l’estomac.Quandj’étaispetite,çamefaisaithurlerderire.Aujourd’huiencore,çamefaitsourire.Certaines

chosesnechangentpas.C’estrassurant.Pourtant,lesparolesdemonpèrenemeconvainquentpas.Ilestalléàl’université.C’estlàqu’ilaapprisàmodifiergénétiquementlesplantespourqu’elles

surviventet sedéveloppentdansune terreprofondémentpolluée. Il neparlepasbeaucoupde cettepériodedesavie.Pasplusd’ailleursquedelacolonieoùilapassésonenfance.Probablementparcequ’ilestmodesteetneveutsurtoutpasnousécraserparsonsuccès.–Tupensesquejeneseraipasacceptée,c’estça?Monpèrefroncelessourcils.–Jepensequetutesous-estimes.Tuestrèsintelligente,Cia.Onnesaitjamaisquilecomitéchoisit

etonneconnaîtpaslescritèresdesélection.DansmaclassenousavonsétécinqàpasserleTest.Lesquatre autres avaient de meilleurs résultats scolaires que moi mais je suis le seul à être entré àl’université.LeTestn’estpastoujoursjusteetcen’estpasunefinensoi.–Mais tuescontentd’êtreallé à l’université, ai-jeprotesté.Si tun’avaispas faitd’études, tune

seraispascapablederéalisertouscesmiracles!Àdeuxpasdenous,unpommierexplosede fleurs,autantdepromessesde fruitsdélicieuxdans

quelquesmois.Nonloin,desbuissonsdemyrtillespoussentàcôtédemargueritesetd’autresfleursdont j’ignore lenom.Sansmonpère, riende toutçan’existerait.Quand j’étaispetite, cette collinen’hébergeaitquedesplantesrabougriesauxfruitsraresouinexistants.Àcetteépoque,nousavionssouvent l’estomacvide.Quand il a pris enmain les cultures, tout a changé.Bien sûr, nousdevonstoujoursfaireattentionànepasgaspiller,maislafaimn’estplusunproblème.–Jenepeuxnimeréjouirnimedésolerd’êtrealléàl’université,asoupirémonpère.Jen’aipas

eulechoix.Sonregardseperddanslevaguependantunmoment,puisilsouritdenouveau.Maislesnuages

n’ontpasquittésesyeux.–Sijen’étaispasalléàl’université,jeneseraisjamaisvenuvivreicietjen’auraispasrencontréta

mère.Qu’est-cequejeseraisdevenusanselleetsansvous?–Probablementunvieuxgarçonquivivraitchezsesparentsetdontlamèresedemanderaitchaque

jourquandilvasemarier.Ilm’ébouriffelescheveux,lesyeuxpétillantsdemalice.–Undestinpirequelamort,rit-il.C’estaussicequejepenseàchaquefoisquemamèrerépèteàZeenqu’ilpasseàcôtédelavie.–Allons-y, lance-t-il, tamèrevafairesonner le tocsinsiontraîneplus longtemps.Jeveuxjuste

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quetun’oubliesjamaisunechose:jecroisentoi,quoiqu’ilarrive.Sonbrassurmonépaule,lemienautourdesataille,nousfranchissonslesdernierspasquinous

séparentdusommetdelacolline.Jesourismaistoutaufond,jemedemande,leventrenoué,sipapan’apas toujourspenséque jen’aurai jamais lacapacitéd’atteindre sonniveau.Que je ledécevrai,quoiqu’ilarrive.

Lacolonieesttrèsétendueetlacérémoniederemisedesdiplômesestlaseulevéritableoccasionqui permette à tous les habitants des Cinq Lacs de se retrouver. Bien sûr, il y a les réunionsobligatoires durant lesquelles nos dirigeants nous délivrent lesmessages officiels,mais elles sontsommetoutetrèsrares.Avecàpeineplusdeneufcentscitoyens,notrecolonieestunedespluspetiteset aussi unedesplus éloignéesdeTosu, la capitaleoùvivent lesmembresdugouvernementde laCommunautéUnifiée.Nousnelesintéressonspasbeaucoup,cequiconvientàlaplupartd’entrenous.Nousnousdébrouillonstrèsbiensanseux.Ici,nousnerejetonspersonne,maischacundoitfairesespreuvesparlui-même.Leparcestassezgrandmaisaujourd’hui,ainsibondé,ilparaîttoutpetit.Toutlemondearevêtu

soncostumed’apparat.Desstandsdebougies,degâteaux,dechaussuresetdetoutessortesd’objetspourlamaisons’alignentsansfin.Ilsfermerontquandlacérémoniedébuteramaispourl’instant,ilsbourdonnentcommedesruches.Lescitoyensquineviennentpassouventenvilleenprofitentpourachetercedontilsontbesoin.LamonnaiedelaCommunautéUnifiéeestraredansnotrecoloniemaislesemployésdugouvernement,commemonpère,l’utilisent.–Cia!Unemains’agiteau-dessusdelafoule.MameilleureamieDaileensefraieunpassagejusqu’àmoi.

Sesbouclesblondesetsaroberoseflottentdanssonsillageetuneglaceencornetfonddanssamain.Ellemeserrecontreelleavecferveur.– Je n’arrive pas à y croire ! s’exclame-t-elle. Tu vas recevoir ton diplôme ! C’est dingue ! Et

regarde,ilsdistribuentdesglaces!Gratuitement!Jesuistellementexcitée!Jeluirendssonétreinteenessayantd’éviterd’êtretachée.Mamèremetuerasijeruinematenue

avantlacérémonie.–Tuasraison,Daileen,c’estexcitant,maisçafichelatrouilleaussi!Daileen est la seule à qui j’ai confié mes craintes concernant l’avenir. Ma peur de ne pas être

choisiepourleTest.Ellejetteunbrefcoupd’œilautourdenouspours’assurerquepersonnenenousécoute.–Monpèrem’aditqu’uninvitéspécialétaitprévu.Lejourdelaremisedesdiplômesestaussilejourdesdiscoursetilyabeaucoupd’intervenants.

Nosprofesseursvontprendrelaparole,ainsiquelemagistratetdenombreuxresponsablesdesCinqLacs.Quandtoutelacolonieestrassemblée,onn’estjamaisàcourtdesujetsàaborder.C’estpourçaquecetinvitéspécialnemesemblepassispécial.Dumoins,jusqu’àcequeDaileenajoute:–IlvientdeTosu.–Ahbon?LadernièrefoisquedesofficielssesontdéplacésdeTosu,c’étaitilyatroisanspourledécèsde

notrevieuxmagistrat.Deuxhommesetunefemmesontvenusdésignerlenouveau.Tosusecontenteengénérald’envoyerlesproclamationsànotremagistratparradio.Cederniersechargedenousenfairepart.–Entoutcas,c’estcequemonpèreaentendu,reprendDaileenenléchantsaglace.Ellecommenceàenavoirpleinlesmains.

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–Ilpensequ’ilestvenuescorterlecandidatchoisipourleTest.Ceserapeut-êtretoi.Pendantuninstant,sonsourires’évanouit.–Tuvasmemanquer.Daileenetmoin’avonsquedeuxsemainesd’écartetnoussommesamiesdepuisquenousavons3

ans.Sesparentsl’ontenvoyéeàl’écoleà6ansalorsquej’yétaisdéjàdepuisunan.C’estpourçaquenousnesommespasdanslamêmeclasse.Denousdeux,c’estlaplustimide,laplusdouceetlaplusintelligente.C’est aussi cellequi aura leplusdemal à se fairedenouveaux amis si nous sommesséparées. Si je ne la poussais pas à parler aux autres élèves de sa classe, elle serait probablementtoujoursseule.Samèreestmorteilyadeuxansdansunaccidentetsonpèreestsouventabsent.LeurmaisonrespirelatristesseetDaileendoitsedébrouillersansaideavectouteslescorvées.Cen’estpastoujoursfacile.Quandnoussommesensemble,j’essaiedelafaireriremaisparfois,lesténèbreslarattrapentetj’aipeurquesansmoi,cesténèbresl’engloutissententièrement.Jelaserreunenouvellefoiscontremoietjehausselesépaules.–Ilyatouslesansdesrumeurssurlavenued’unofficieldeTosu.Mais au fond, je souhaite que cette fois, la rumeur soit fondée. Pour nous changer les idées,

j’ajoute:–Jeveuxuneglacemoiaussi!Tum’emmènes?Sur le trajet, nous croisons d’autres amis de la classe deDaileen et, ensemble, nous partons en

quête de sorbet à la framboise. J’espère secrètement que ce petit groupe s’occupera demon amiequand les cours reprendront dans quelques semaines. Si ce n’est pas le cas, je devrai trouver unmoyenderendrelaviedeDaileenplusgaie.Mamèremefaitsigne.Ellesemblepréoccupée.J’abandonneDaileenetlesautrespourlarejoindre

près de la fontaine. Presque tous les gens que je croiseme saluent. Si nous connaissons autant demonde,c’estparcequenousdéménageonspresquetouslesans.Papaserendlàoùlemagistratpensequ’onaleplusbesoindelui.Ducoup,jenemesuisjamaisattachéeàunemaison.Desenfantstropjeunespouralleràl’écoleetvêtusdejauneetvertdansentautourdelafontaine.

Ilsjouentàs’éclaboussermaisévitentsoigneusementl’endroitoùsetientmamère.Sonexpressionsévèrelesintimidesansdoute.Elles’apprêteprobablementàmefairedesreproches.Ellemeregardedespiedsàlatêteavantdelâcher:–Tuestoutedécoiffée!Qu’est-cequetuasfabriqué?Enréalité,mescheveuxfrisésnesontjamaisbiencoiffés.J’aiproposéàmamèredemelescouper

maiselleaffirmequecettecascadequimetombejusqu’aumilieududosestunatout indispensablepourunejeunefillecélibataire.Simescheveuxressemblaientvraimentàunecascade,jeseraispeut-êtred’accordavecelle.Alorsquedestamboursetdestrompettesrésonnent,mamèrecessedes’enprendreàmoi.Monestomacserétrécitàlatailled’unpetitpois.Jedoisallerrejoindremescamarades.Lacérémonievacommencer.Mon père etmon frère apparaissent etme serrent dans leurs bras chacun leur tour. Puis jeme

dirigeversl’estradedresséepourl’occasion.Onditsouventquedeuxheurespasséessurcetteestradeparaissentpluslonguesquelesonzeannéesd’école.J’espèrequec’estseulementuneblague.Nousnousalignonsdanslefond.Lesgarçonsderrière,lesfillesdevant.Heureusementpourmoi,

parcequesinon,jeneverraisrien.Mesfrèresonthéritédelatailledemonpèreetdemamèremaismoij’airécoltélesgènesd’uneautregénération.Jefaisàpeineunmètresoixanteetjesuislapluspetitedemaclasse.Dix fois,M Jorghens, notre professeur, nous changede place.Cent fois elle nous rappelle de

nous tenir droits, de sourire et d’être attentifs.C’est sa première cérémonie de diplômes auxCinqLacs et elle est très nerveuse.Alors qu’elle va se poster au centre de la scène, les tambours et les

lle

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trompettesretentissentànouveau.LamagistrateOwensapparaîtsurleseuildesaporte–ellevitdanslaseulemaisonàtroisétages

delaville–ettraverselafouled’unpasraide.C’estunefemmerobusteauxcheveuxgrisetauxridesmarquées.Sarobeestuntonplusfoncéquecelledesautres.Presquerouille.Ellemontesurl’estradeetsepencheverslemicro:–Jevoussouhaiteàtousuneexcellentecérémoniederemisedesdiplômes.Le public répond en chœur : « Bonne cérémonie des diplômes. » Nous nous joignons à eux.

Certainsapplaudissent.–Cettejournéereprésentebeaucouppourchacund’entrenous,reprendlamagistrate,maissurtout

pour les étudiants alignés derrière moi. Dès demain, ils feront partie des forces vives de notrecolonie. Ilyavingt-cinqans, legouvernementde laCommunautéUnifiéeaenvoyécentcinquantehommesetfemmespourvivresurceterritoire.Ensemble,ilsontfondélacoloniedesCinqLacsdansl’espoirqueleurtravailpourraitaidernotreterreabîméeàrevivre.Autrefois,cetterégionétaitcelledes Grands Lacs. Elle était couverte de forêt et de champs cultivés. De toute notre force, nousespérons lui redonner sa beauté d’antan, et chaque membre de cette communauté participe à cecombatquotidien.Nousavonsbesoindetous.Lajournéederemisedesdiplômescélèbrel’ajoutdequatorzecitoyensdévouésànotrecauseetnousnousenfélicitons.Chaqueprogrèsnécessitedesbrassupplémentairesafinquenouscontinuionsàavancer.Nousavonstoujoursbesoinderenfort.Jesaisque nombre d’entre vous n’ont pas encore décidé quelle carrière ils allaient embrassermais nousvoussommesreconnaissantsdecequevousaccomplirezdanslesannéesàvenir.Les applaudissements crépitent. Quand la magistrate Owens lance enfin : « que la parade

commence»,moncorpsentierbouillonned’excitation.Jememords la lèvrepour l’empêcherde trembler.La fanfareentameunemarche.Mavisionse

brouilleetjedistingueàpeinelecortègedemesbientôtex-camarades.Chaqueannée, toutel’écoledéfile dans le parc. Les classes portent des bannières qui annoncent ce qu’elles ont appris dansl’année.Lesbannièressontensuiteexposéesdansleparcetunvoteestorganisépourrécompenserlameilleure.Souvent,lesadultesparientamicalementsurlaclassegagnante.Pourlapremièrefois,jenefaispaspartieducortègeetjeréalisequejen’enferaiplusjamaispartie.Lesplusjeunessontentêteetlesautressuiventparordred’âge.Ilsfontletourdelafontaineau

rythmede lamusique et s’arrêtent à la gauche de notre estrade. La parade terminée, lamagistrateOwens reprend la parole pour nous parler du nouveau train qui relie Tosu à dix colonies de lacommunauté. Il est prévuque les travaux se poursuivent afin qu’à terme toutes les colonies soientreliées à la capitale. C’est une grande nouvelle. La magistrate invite ensuite les responsables dessecteurs eau, énergie, agriculture ainsi que ceuxde tous les projets en lien avec la revitalisation àpasserleursannonces.Entrelesrappelssurl’usageraisonnédel’eau,lesappelsàvolontairespourlaconstructiond’habitationsdejeunesmariésetlereste,çaprendunebonneheure.Lediscoursdemonpèreportesurlanouvellevariétédepommedeterredéveloppéeparsonéquipe.Jesuissurprise.J’étais bien sûr au courant de son succès. À cause de certaines modifications génétiques

nécessaires,lespommesdeterrequ’ilavaitobtenuesjusqu’àprésentavaientunepeautrèsépaissequinoircissaitàl’air.Çan’étaitpasréellementgênant:unefoislapeauôtée,lachairdutuberculeétaitparfaitementcomestible.MaisZeenatentéunenouvelleversionetabrillammentréussi.Cequimesurprend,c’estquemonpèrenelecitepasuneseulefois,alorsquelasemainedernière,

ilnousalui-mêmeannoncéquemonfrèreauraitdroitàdesfélicitationspubliquespoursontravail.Pourquoia-t-ilchangéd’avis?Je tends lecoupouressayerd’apercevoir laminedeZeen.Est-ildéçu?Vexé?Cemomentétait

censéêtresonheuredegloire.Est-ilaussisurprisquemoi?

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Jeledécouvre,lesbrascroisés,unpeuenretrait,appuyécontreunarbre.Quelquespersonnesluidonnentdesclaquesdansledosparcequ’ilfaitpartiedel’équipedenotrepèremais jenesuispasdupedesonsourire.Samâchoirecrispéeetsesyeuxplisséstrahissentsacontrariété.Papadescendde l’estradesous lesapplaudissementsetnotreprofesseurprendsaplacedevant le

micro. Mon estomac se contracte et les battements de mon cœur s’accélèrent déraisonnablement.Voilà.C’estmaintenant.M Jorghensnoussouritavantd’énoncerlentement:–Jesuisfièredetousnosélèvesquideviennentdesadultesaujourd’hui.Puis vient l’énumération des noms. Un par un, mes camarades avancent au centre de l’estrade,

serrent lamaindelamagistrateet reviennentà leurplace.La listeestdans l’ordrealphabétique.Jesuisappeléeladernière.–MalenciaVale.Mesjambestremblentetmenacentdesedérober.Jetraverselepodiumetcommemescamarades

avantmoi,jeserrelamaindeM Jorghens,puiscelledelamagistrateOwens.Lepublicapplaudit.Daileenpoussedescrisdejoieetd’encouragement.Jesouris.Moncœurestsurlepointd’exploser.Jesuisofficiellementuneadulte.Sanscesserdesourire,jeretourneàmaplace.Lamagistraterevientdevantlemicro.Lafoulese

tait. Je suis si nerveuseque je nepeux empêchermespoingsde s’ouvrir et de se refermer.Si desétudiantsontétésélectionnéspour leTest,nousallons lesavoirmaintenant.J’essayederepérerunvisageinconnuparmilesspectateurs–l’officielenvoyéparTosu.Maisiln’yapersonne.Cen’étaitqu’unerumeur.LamagistrateOwenssouritetnousféliciteune

dernièrefois.–Bravoàtousetparticulièrementànosétudiants.J’aihâtedevoircequel’avenirvousréserve.La foule applaudit encore. Je n’ai pas cessé de souriremais le cœur n’y est plus. La déception

forme une énorme boule dans ma gorge. Pendant des années, je me suis préparée à ce jour etmaintenant,c’estterminé.Mesrêvesd’avenirviennentdes’envolerenfumée.J’aitravaillédur,maispasassezpourêtrechoisie.Alorsque jedescendsde l’estradeà lasuitedemescamarades,uneseulequestionmehante :Et

maintenant?

lle

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CHAPITRE2

–Tutecaches?La voix de Zeen me fait sursauter. Son sourire entendu me fait ravaler le mensonge que je

m’apprêtaisàluiservir.Jemecontentedehausserlesépaules.–Lajournéeaétédifficile.J’avaisjustebesoindemeretrouverseuledeuxminutes.Tambours,guitaresetcornesjouentdevant laboulangerieetplusieurspersonnessesontmisesà

danserouàtaperdansleursmains.Del’autrecôtéduparc,nousparvientuneodeurdevianderôtie.Des torches enflammées et des lampes électriques illuminent les allées. Les gens rient, chantent,s’amusent.J’aiprissoindemeréfugierdansl’ombre.Cesdernièresheures,jemesuismêléeauxautresuniquementparcequec’estcequel’onattendait

demoi.Jerefused’affichermadéceptionetderévélerenmêmetempsmonarrogance.Jemesuiscrueassezintelligentepourêtrechoisie.Quelleidiote!–Tiens.Zeenmetendungobelet.–Çateferadubien.Jelaisselebreuvagesucrémecoulerdanslagorge.Unarrière-goûtplusfortmebrûlelespapilles.

Del’alcool.Lacolonieabesoindetouteslescéréalesetdetouslesfruitspoursenourrir;l’alcoolestdonctrèsrare.Néanmoins,unepetitequantitéestfabriquéepourlesgrandesoccasions–commelasoiréedelaremisedesdiplômes.Seulslesadultessontautorisésàenconsommermaismesfrèresm’ontdéjàpermisdetremperleslèvresdansleurverrelesannéespassées.Enréalité,jen’aimepasvraimentça.J’avaleuneminusculegorgéeavantderendresonverreàZeen.–Tutesensmieux,gamine?Jebaisselesyeux.–Pasvraiment.–Mouais.Ils’adosseautroncd’ungroschêneetvidesonverred’untrait.–Toutnesepassepastoujourscommeonlevoudrait,soupire-t-il.C’estcommeça.Danscescas-

là,ilfautrebondirettrouverdenouveauxobjectifs.Sonamertumeàpeinedéguiséemefaitdresserl’oreille.–C’estcequetuvasfaire?Trouverdenouveauxobjectifs?Cesdernièresannées,Zeenapassépasmaldetempsàréfléchiràdesopportunitésendehorsdes

CinqLacs.Jedétesteraisqu’ilsedécidemaintenant.Qu’ilquittelacolonieseraittriste.Qu’illaquitteencolèremebriseraitlecœur.Sesdoigtssecrispentautourdesonverre,maisilrépondd’unevoixétrangementdouce.

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–Jen’aipasenvoyédedemanded’emploiàTosu,sic’estcequetuveuxsavoir.Sipapaachangésa déclaration cet après-midi, c’est à la demande de lamagistrate. Tume connais, je vais être demauvaisehumeurpendantquelquesjoursetpuisçavamepasser.Sonregardbalaieleparc.Ilesttardetsicertainsdansentetchantentencore,beaucoupcommencent

àpartir.Lagrandejournéetoucheàsafin.Aprèsquelquesminutesdesilence,Zeenlâche:–Tupourraislefaire,tusais?–Quoi?–Parleràlamagistrate.Envoyerunedemanded’emploiàTosu.L’idée est à la fois tentante et terrifiante. Avec l’accord du magistrat, tout colon désireux de

travailleràTosuoudansuneautrecoloniepeutenvoyerunformulaired’application.Siunemploicorrespondantestdisponible,ilreçoituneoffreenbonneetdueformedelaCommunautéUnifiée.Enseize ans, je n’ai connu que deux personnes qui ont obtenu un poste après avoir effectué cettedémarche.Après la déception d’aujourd’hui, je ne suis pas sûre d’être capable d’en affronter uneautre.Mes doutes doivent se lire sur mon visage car Zeen me prend par les épaules et me serre

brièvementcontrelui.–T’enfaispas,gamine.Tuastoutletempspourdéciderdecequetuferasdurestedetavie.Dommagequenotremèrenesoitpasdumêmeavis.

Lelendemainmatin,nousnouslevonstousasseztard,maisjeviensàpeinedem’habillerqu’ellelancelapremièreoffensive:–Situneveuxtoujourspastravailleravectonpère,KipDrystenauneplacedanssonéquipe.Tu

devraislerencontreravantqu’ilembaucheunautrediplômé.KipDrysten est le chef de l’équipe qui s’occupe de l’entretien et des réparations desmachines-

outils agricoles de la colonie.C’est vrai que j’adore lamécaniquemais l’idée de passerma vie àréparerdestracteursmedésespère.Jemarmonne:–Jevaisypenser.Cetteréponseévasiveneconvientpasàmamère.Illuisuffitd’unfroncementdesourcilspourque

jemeretrouveperchéesurmonvélo,directionlecentre-ville.LesDrystenhabitentdansunejoliepetitemaisondel’autrecôtédelacolonie.Jefrappeàlaporte,

le cœur lourd. Je ne peuxm’empêcher de pousser un soupir de soulagement quandM Drystenm’apprend que sonmari est parti tôt cematin à la ferme Endress. Il ne sera pas de retour avantplusieursjours.Jeviensdegagnerunsursis.Lelendemaindelaremisedesdiplômesesttraditionnellementunjourderepos.Lesgensrestent

chezeuxetreçoiventdesamisoudelafamille.Mamèreaprévuunrepasetjedevraiprobablementrentrerpourl’aideràlepréparer.Maisjen’enaiaucuneenvie.Arrivéeauparc, j’appuiemonvélocontreunarbreet jem’assoisaubordde la fontaine.Unou

deuxcitoyensmefontsignemaisaucunnes’arrêtepourdiscuter.Çam’arrange.Lementondanslesmains,jeregardel’eaucoulerenessayantd’oublierlevidequigranditenmoidepuishier.Jesuisuneadulte.Depuisquejesuistoutepetite,j’observemesparentsenattendantle jouroùjeseraicommeeux.Pleined’assurance.Forte.Jenemesuisjamaissentieaussidésemparée.L’horlogesurlafaçadedelamaisondelamagistratesonne3heures.Ilestgrandtempsderentrer

sijeneveuxpasquemamères’inquiète.

me

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Jesuisàmi-cheminquandj’aperçoismonfrèreHart.Ilcourtversmoienm’adressantdegrandssignes.Zut.Simamèrel’aenvoyémechercher,c’estquejesuisdanslepétrin.Sûrquejevaisavoirdroitàunsermon.Maisils’agitdetoutautrechose.–LamagistrateOwenaenvoyéunmessageradioàpapajusteaprèstondépart.Tudoisêtrechez

elleà4heurespourdiscuterdetonavenir.Quandmamanavuquetunerevenaispas,ellenousatouslancésàtarecherche,m’expliquemonfrère.Ett’asplutôtintérêtàtedépêchersituveuxyarriveràtemps,ajoute-t-ilsuruntonnarquois.Il a raison. Quand j’arrive au parc, je suis en nage, échevelée et surtout tendue. La magistrate

convoqueparfoismonpèreoumesfrèrespourévoquer l’avancéede leurs travaux,maisc’estunepremièrepourmoi.Elleveutdiscuterdemonavenir?Jemedemandesimamèrel’acontactéepourluifairepartdesoninquiétudeàmonégard.Àmoinsquemonindécisionnesoitsiévidente…l’idéequequiconqueaitremarquémadéceptionmeremplitdehonte.Aprèsavoirtirésurmontee-shirtetm’êtremaladroitementlissélescheveuxduplatdelamain,je

frappeàlaportedelamagistrate.–Tueslà!s’exclame-t-elleenguised’accueil.Parfait!Ellem’adresseunsourirequimesembleunpeuforcé.–Entre,Cia.Toutlemondeestdéjàlà.Toutlemonde?Lamagistratemeguidejusqu’àunsalonmoquettéoùquatrevisagessetournentversmoi.Lestrois

personnesassisesmesontfamilières:TomasEndress,yeuxgris,mignon;MalachiRourke,timidemaistrèsgentil;etZandriHicks,trèsbelle,genreartiste.Commemoi,ilsonttousreçuleurdiplômehier.Jelesconnaisdepuistoujours.Jen’aijamaisvulaquatrièmepersonnedemavie.Tomasmefaitsignedem’asseoiràcôtéde lui.Sesfossettes interdisentdenepas luisourireen

retour.LamagistrateOwensvaseplacerprèsdel’inconnuetselance:–Merciàtousd’êtrevenusaussivite.Jesuisdésoléedevousarracherauxfêtesdefamillemaisje

n’avaispaslechoix.Ellenousscruteunparunavantdepoursuivre:–JevousprésenteMichalGallen,officieldelavilledeTosu.Ildevaitarriverhiermaisdessoucis

mécaniquesontretardésavenue.Tosu.Monestomacsecontractedésagréablement.Michal Galen fait un pas en avant et sort une feuille de papier pliée de sa poche. Il n’est pas

beaucoupplusvieuxquenous.Ildoitavoirl’âgedeZeen.Malgrésescheveuxbrunsenbatailleetsonalluredégingandée,ilsedégagedeluiunecertaineautorité,sansdoutepropreauxcitoyensdeTosu.Sonregardsombreestsérieux,voiregrave.Ilcommenceàlire:–ChaqueannéelaCommunautéUnifiéeexamineattentivementledossierdesdiplômésdesdix-huit

colonies.LesmeilleursétudiantssontsélectionnéspourserendreàTosuafindepasserleTest.Êtrechoisiestunhonneur.Lesdiplômésdel’universitésontl’aveniretleplusgrandespoirdetous.Nouscomptonssureuxpourrégénérerlaterreetaméliorernotrequalitédevie.Ilsserontlesmédecins,lesingénieurs, les professeurs et les membres du gouvernement de demain. L’élite dont notrecommunautéabesoin.Jecommenceàavoirdespicotementsdanslesdoigts.Jeregardelesautrespourm’assurerquej’ai

bien entendu. Tomas sourit jusqu’aux oreilles. C’était le meilleur élève de la classe, ce n’est pasétonnantqu’ilaitétéchoisi.Etsijecomprendsbien,jel’aiétémoiaussi.Cen’estpasunrêve.NousallonstouslesquatrepasserleTest.Mavieneconsisterapasàréparerdestracteurs.Jevaispasserle

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Test.JevaispasserleTest!–Ledépartestprévupourdemain.Cesquelquesmotsmefontbrusquementreveniràlaréalité.Demain.–Pourquoisitôt?demandelamagistrateOwens.Lesélèvesavaientplusdetempsautrefoisentre

laremisedesdiplômesetleTest.– Votre colonie n’avait pas eu de candidats depuis longtemps et les choses ont changé, répond

l’officiel d’une voix où perce un léger agacement. Le processus débute cette semaine et vousm’accorderezqu’ilsontplusdechancesderéussirs’ilsarriventàtemps.–EtsionneveutpaspasserleTest?TouslesvisagessetournentversZandri.Sesjouessontpresqueaussirougesquesatunique.Mais

ellen’estpasgênéecommejel’aid’abordcru.Àlamanièredontelledresselementon,ilestévidentqu’elleestencolère.Sesyeuxbleuslancentdeséclairs.Jesuisétonnéequ’elleaitétéchoisie.Elleestintelligentesansaucundoute,maispourelle,l’artatoujoursétéplusimportantqueletravailscolaire.Elleneréussitquedanslesmatièresquiluidonnentdel’inspirationpourdenouvellesœuvres.Pourtant,mêmesiàmaconnaissanceellen’ajamaisexpriméledésirdepoursuivresesétudes,je

necomprendspassonattituderebelle.Pourquoirefuserl’honneurdepasserleTest?Lesourireglacialdel’officielmefaitfrissonner.–Vousn’avezpaslechoix,lâche-t-il.LaloiobligetoutcitoyendelaCommunautéUnifiéechoisi

pourpasserleTestàseprésenteràl’examenfauted’encourirunchâtiment.–Quelgenredechâtiment?rétorqueZandrienfixantlamagistratedontleregardcroiseaussitôt

celuidel’officiel.Ilsepasseunesecondeentièreavantquelamagistratesedécideàrépondre,nonsansprendreune

profondeinspiration.–Lanon-présentationauTestestconsidéréecommeunetrahison.Etchacunsaitquelatrahisonestpuniedemort.Quelqu’un – Malachi peut-être – laisse échapper un soupir de protestation. J’ai soudain

l’impression quemapoitrine s’est rétrécie demoitié.Ma joie etmon excitation se sont évanouiespourlaisserplaceàlapeur.Unepeurquejen’aipourtantaucuneraisonderessentir.Jen’aijamaiseul’intentionderefuserleTest,bienaucontraire.Etsic’étaitlecasdeZandri,leterme«trahison»luiavisiblementfaitchangerd’avis.Pouratténuernotrechoc, lamagistrateOwens s’empressed’expliquerquecette loi remonteaux

premierstempsdelaCommunautéUnifiéealorsquedesfactionshorslaloitentaientdedéstabiliserl’uniténouvelledugouvernementenconvainquantlescandidatsdenepasparticiperauTest.Onparleaujourd’huidechangercetteloi,maiscegenredechoseprenddutemps.D’apprendrequel’onn’apaseurecoursàcetteloidepuisplusieursdizainesd’annéesm’apaiseun

peuetmonexcitationrefaitsurface.Lamagistrateénumèrelalistedecequenoussommesautorisésàemporter avec nous à Tosu : deux tenues de rechange complètes, un pyjama, deux paires dechaussures,deuxobjetspersonnels.Pasdelivre,pasdepapier.Rienquipuissedonnerl’avantageàuncandidat sur un autre.Tout doit tenir dans les sacs qui nous sont fournis.Nous avons rendez-vousdemainà l’aubedevant leparc.L’officielMichalGallennousattendrapournousescorter jusqu’aucentred’examen.Ellenousféliciteetnousrépèteàquelpointelleest fièredenous.Elleaffirmeêtrecertaineque

nous réussirons tous leTest.Mais je sais qu’ellement.Mamère a lemême ton forcé, faussementjoyeuxquandelleestprofondémentperturbée.LamagistrateOwensnecroitpasquenousréussironstous.Craint-ellequenotreéchecdonnemauvaiseréputationauxCinqLacs?Jen’aipaslaréponseàcettequestionalorsqu’ellenousraccompagneàlaporte.

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Unsoleiléclatantnousattenddehors.JesuisladernièredesquatreàprendrelesacmarronornédulogorougeetvioletdelaCommunautéUnifiée.Jelepasseenbandoulièreenmedisantqueledînerquemamèreavaitprévuvadevoirêtreécourté.Sinon,jen’auraipasletempsdemepréparerpourledépart.JerejoinsMalachietTomas.Zandriestdéjàpartie.Pendantunmoment,nousnousregardonssans

savoirquoinousdire.Tomasestlepremieràretrouverlavoix.–Jecroisquenousdevrionsrentrercheznous,lâche-t-il,plussouriantquejamais.Demainestune

grandejournée.Ilaraison.Ilesttempspourmoiderentreretd’annonceràmafamillequejequittelamaisonpour

neplusjamaisrevenir.

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CHAPITRE3

Ce sont des rires qui m’accueillent quand je franchis la porte de chez moi. Une banderole defélicitationsaétéaccrochéeaumuretlatabledelacuisineestcouvertedenourriture.Nousdevionsfêtermondiplôme.Nousallonségalementfêtermondépart.–Lavoilà!s’exclameZeen.Jevousavaisditqu’elleneseraitpasenretardpoursafête.Elleaime

troplesroulésàlacannelle!Monpèresouritmaisàlasecondeoùilremarquelesacàmonépaule,sonvisagedevientgrave.–TuasétéchoisiepourleTest,souffle-t-il.Plus de rire, nimêmede sourire.Tous attendentma confirmation.Malgréma joie etma fierté,

j’acquiesce lagorgeserrée.Après l’université, lesétudiants sontenvoyésdansunecoloniechoisieparlaCommunauté.Làoùlesbesoinssontlesplusprégnants.Jen’aipratiquementaucunechancederevenirauxCinqLacs.Les jumeaux sont les premiers à se remettre du choc. Avant d’avoir le temps de réagir, je me

retrouve écrasée en sandwich entre les deux qui me serrent dans leurs bras en criant. Hamin mefélicitepluscalmementmaisavecplusdechaleur.Puisc’estautourdemamère.Sesmainstremblentmaisc’estavecunsourirefierqu’ellemedemandequandjedoispartiretcequejepeuxemporter.J’aiàpeineletempsderépondreetd’apercevoirZeens’éclipserquemesamiesfrappentàlaporte.Je suis si heureuse de les voir. SurtoutDaileen.Si heureuse de pouvoir la serrer dansmesbras

avantmondépart.Ilyaencoredescrisdejoieetdeslarmesquandj’annoncelanouvelle.Daileenestla plus heureuse et la plus triste de tous.Elle essaie de dissimuler son chagrin derrière de grandssouriresmaisaufuretàmesuredelasoirée, je lavoiss’éloignerdemoietdenosamisqu’elleatoujoursplus considérés comme lesmiensquecomme les siens. J’aipeurpour elle. Jemanqueraibiensûràmafamille,maisilssesoutiendrontlesunslesautres.Daileenseraseule.Alorsquemamèreannonce la finde la fête, jem’arrangepourmeretrouveren têteà têteavec

LyaneMaddows.Contrairementauxautres,ellenesautepas,necriepaspourattirermonattention,maisse tient tranquillementprèsde laporte.Lyanen’estpasmameilleureamie.Onseditbonjourmaisons’assoitrarementcôteàcôteàlacantineetonneseretrouvepresquejamaisaprèslescours.Pourtant,jetenaisàcequ’ellesoitprésentecesoircarnoussommesliéesparunsouvenir.Etparce

quej’espèrepouvoircomptersurelle.Pendant que les filles continuent de bavarder et de rire, je l’enlace et la serre contremoi. Elle

sursaute,surprise,maisnes’écartepas.Jeluimurmureàl’oreille:–Daileenaurabesoind’uneamiequand jeseraispartie.Tuveuxbienveillersurelleet faireen

sortequ’ellenesoitpastropseule?S’ilteplaît.Lyanemerendmonétreinte.Jelasenspresquepesermarequête.Cequ’ellechuchoteàmonoreille

m’ôteunpoids.Jenem’étaispastrompée.

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Ellesortdelamaisonsansunregardderrièreelleetjemeretournepourdireaurevoirauxautres.Daileen attend pour être la dernière. Elle retient ses larmes et me promet de me retrouver l’anprochainàTosu.–Jevaistravaillerplusdurquejamais,ilsserontobligésdemechoisir.SeulelavoixdeLyanequil’appelleempêchemoncœurdesebriser.–Daileen?Onrentreensemble?Quelques instants plus tard, les deux silhouettes disparaissent dans la nuit. Lyane connaît les

ténèbres de la solitude. Il y a quatre ans, alors que je faisais un tour à vélo de l’autre côté de lacolonie,jesuistombéesurelle.Debout,aubordd’unravin,prêteàsauter.Jel’enaiempêchéeetjel’aiobligéeàmeconfiercequil’avaitpousséeàunetelleextrémité.Sonpère,officielàTosu,n’étaitpresquejamaislà.SamèredétestaitlesCinqLacsetreportaittoutesafrustrationetsacolèresursafilleenlabattant.Àmaconnaissance,jesuislaseuleàquiLyaneaitjamaismontrélesmarquesdecoups.Avecl’aidedemonpèreetdelamagistrateOwens,lamèredeLyaneapurejoindresonmariàTosuetLyaneest restéevivreavecuneautre famillede lacolonie.Ellea retrouvé le sourire.EllesauraaiderDaileen.Mesfrèressontpartisraccompagnermesamiesetlamaisonmesemblesoudainimmense.Elleest

d’ailleursassezgrandeenréalité.Enplusdelapiècecommune,nousavonsdeuxchambres.Unepourmesparents, l’autreque je suiscenséepartageravecmes frères.Saufqu’ils ronflent tellement fortquej’aiprisl’habitudedevenirdormirsurunepiledecouverturesdevantlacheminéedanslesalon.ÀTosu,jevaisdormirdansunlitpourlapremièrefoisdepuislongtemps.J’aide mes parents à débarrasser et à ranger. Ma mère ne tarit pas de conseils et de

recommandationssurcequejedevraisemporteravecmoipourlevoyageetcommentjedevraismecomporterdanscettegrandeville.Àplusieurs reprises,elles’arrêteet fonden larmes. Je suis sonpremierenfantàquitterlamaison.Monpèrerestesilencieux,pourtant,jesensqu’ilmeurtd’enviedeparler.Unefoislavaissellefinie,ilmeproposeunepromenade.Mamèreouvrelabouchepourprotester

maismonpèredéclared’unevoixgrave:–JesaisqueCiaabesoindefairesonsacmais j’aimeraispasserunpeude tempsseulavecma

petitefille.Mamèrerenifleetmonpèreetmoisortonsdanslanuit.Ilmeprend lamaincommequand j’étaisunepetite filleetnousnousdirigeonsvers le jardinà

l’arrièredelamaison.Laluneetlesétoilessontvoilées,commetoujours.Ilparaîtqu’àunecertaineépoque,quandlecielétaitencoreclair,laluneetlesétoilesscintillaientcommedesdiamants.C’estpeut-êtrevraimaisc’estdifficileàimaginer.Monpèreappuiesuruninterrupteuretdansunbourdonnement,unspotéclairelesmarguerites,les

rosesetlepotager.Leslégumesetlesfleurssontl’œuvredemonpèreetdemesfrères,lalumièreestlamienne. Les lois de la colonie sur l’usage de l’électricité sont très strictes. La production et lestockage sont extrêmement limités dans notre zone. La plupart des familles sont dépourvues decourantsaufcellesquiparviennentàengénérerelles-mêmes.Peus’endonnentlapeine;aprèstout,lesbougiesetleslanternesfonctionnenttrèsbien.Ilyaquelquesannées,j’aidécidédereleverledéfiet papa a accepté de me donner des tuyaux d’irrigation dont il ne se servait pas. J’ai égalementrécupéréàdroiteàgauchedufiletdesmorceauxdecuivre.Leplusdifficileaétédepersuadermamèredemecéderdesbocauxenverre,unpeudenotreprécieuxseletquelquesautresobjetsdontj’avaisbesoin. J’ai ainsi réussi à créerun réseaudequinze lampes toutes alimentéespar l’énergiesolairequemespanneauxemmagasinentdanslajournée.Jepourraisfabriquerunsystèmebeaucoupplussophistiquéaujourd’hui,maispapaveutgardercelui-ci.Nous ledémontonset le remontonsàchacundenosdéménagements.Pendantuninstant,jemedemandequandnousauronsàledéplacerà

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nouveaupuis,jemerappellequecettequestionnemeconcerneplus.Monpèrem’entraînejusqu’aubancdechênequ’Haminafabriquépourl’anniversairedemaman.

Nousnousasseyons.Les criquets stridulent et le vent fait bruisser les feuilles de l’arbre au-dessus de nous. Dans le

lointain,entendantl’oreille,ondistinguelehurlementdesloups.Aprèsuneéternité,papaserremamainplusfort.Quandenfinilsedécideàprendrelaparole, il

parlesibasquejedoismerapprocherdeluipourl’entendre.–Ilyadeschosesquejenet’aijamaisdites,Cia.Quej’espéraisnejamaisavoiràtedire.Même

maintenant,jenesuispassûrquejedevrais.Mondosseraidit.–C’estàproposduTest?J’aibeaul’avoirharcelédequestions,papanenousajamaisparlédesjoursqu’ilapassésaucentre

deTestdeTosu,pasplusquedesesannéesd’université.Pendantuninstant,jemesensplusprochedeluiquejamais:jem’apprêteàvivrecequ’ilavécu.Maisenquelquesmots,ilfaitvolercetinstantenéclats.–Tun’auraisjamaisdûêtrechoisie.C’estcommes’ilmegiflait. J’essaiede récupérermamain,mais il s’yaccroche.Son regardse

perddanslanuitetc’estlapeurquejelisdanssesyeux.L’angoissemeserresoudainlapoitrine.– Quand j’avais ton âge, reprend mon père, j’avais le même rêve que toi. Mes parents me

soutenaient.Nousvivionsdanslacolonied’Omaha,unedesplusgrandesdelaCommunautéUnifiée.Et nous avions à peine de quoi manger. Nous étions trop nombreux. Il n’y avait pas assez deressourcespournourrirtouslescitoyens.Toutlemondeconnaissaitaumoinsunepersonnemortedefamine.Mesparentscroyaientquej’avaislescapacitésdechangerlemonde,derestaurerl’équilibrede laTerre.Moi, je voulais qu’ils reçoivent l’argent que le gouvernement alloue aux familles descandidatspourcompenser laperted’une forcede travail. Je reconnais aussique j’étais flattéde laconfiance qu’ils m’accordaient. J’avais envie de croire que je possédais ces qualités qu’ils meprêtaient.Jevoulaisessayer.J’ignoraisque les familles recevaientde l’argent et j’ai enviede luidemander si euxaussivont

recevoircetteallocation,maisjeneveuxpasl’interrompre.–À l’époque, iln’existaitquequatorzecolonies.Nousétions soixanteetonzeaucentredeTest.

L’examen a duréquatre semaines. Je neme rappelle pas une seule journée.Seized’entre nousontréussi.Ledoyendel’universiténousaexpliquéquelamémoiredescandidatsétaiteffacéeaprèsleTest,afind’assurerlaconfidentialitédesépreuves.–Tunepeuxpasdutoutmedirecommentçavasepasser?Je suis déçue. J’espérais que l’expérience de mon père serait un atout. Mais évidemment, le

gouvernementneprendaucunrisque.– Je me rappelle mon arrivée au centre, poursuit mon père. Je me rappelle mon camarade de

chambre,GeoffBillings.Jemerappellequenousavonstrinquéànotrebrillantaveniravecdulaitetdesbiscuits.Ilyavaitbeaucoupàmanger,nousétionstouslesdeuxtrèsexcités.Nousavonsàpeinefermél’œilcettepremièrenuitcarnoussavionsquenotrerêvepouvaits’arrêterdèslelendemainsinousn’étionspasassezbons.Ensuite,plusrien.Puisjemeretrouvedansunegrandepiècefaceàdesexaminateurs et onm’annonce que j’ai réussi.À la rentrée universitaire, trois semaines plus tard,Geoffn’étaitpaslà.Pasplusquelesdeuxfillesdemacoloniequiavaientvoyagéavecmoi.Unechouettepousseuncriperçant,maismonpèrenesemblepasl’entendre.–Lescoursàl’universitéétaientstimulants,jetravaillaisbeaucoupetj’aimaisça.J’aimaissavoir

quejeparticipaisàquelquechosed’important.Mesparentsontréussiàmefairesavoirqu’ilsallaientbienetqu’ilsétaientfiersdemoi.J’étaisheureux.Jen’aiplusjamaisaccordéunepenséeàGeoffet

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auxautrescandidatsquiavaientéchoué.Ilfermelespaupièresetmoi,jemedemandecequeçafaitdeperdreunepartiedesessouvenirs.

Queressentirais-jesijenemerappelaisriend’autredeDaileenquelejourdenotrerencontre?Sij’oubliaisnosaventuresetnosfousrires?Cetteseuleidéemedonneenviedepleureretj’entrecroisemesdoigts avecceuxdemonpèrepour lui faire sentirque je suis là.Pour nous rassurer tous lesdeux.–Aprèsl’université,j’aiétéenvoyéàlacolonieLennox.Unbotanisteétaitsurlepointdefaireune

importante découverte et le gouvernement a estimé que je pourrais l’aider. J’ai travaillé là-baspendant un an et puis, un jour, j’ai croisé un garçon quim’a rappeléGeoff. La nuit suivante, j’aicommencéàfairedescauchemars.Jemeréveillaisennageaumilieudelanuit,lesoufflecourt.Montravailsouffraitdemonmanquedesommeiletlesmédecinsofficielsm’ontprescritdespilules.Çan’apasarrêtélesrêves,aucontraire.Jemesuismisàavoirdesvisionsenpleinjour.Audébut,cen’étaitquedesimagessanslienentreelles.Geoffdansunepièceblancheavecdespupitresnoirsquim’adressait un sourire et un geste d’encouragement, une grande horloge rouge dont la trotteusecliquetaitpendantquejemanipulaistroisfilsélectriquesbleus,unefilleentraindehurler.Monpèremelâchebrusquementetselève.Ilsepasselamaindanslescheveuxetsemetàfaireles

centpasdevantlebanc.–Cesvisionssesontarrêtéesbrusquement.Ellesontétéremplacéesparunrêverécurrent.Geoff,

unefilledunomdeMinaetmoi-mêmemarchonsdansuneruebordéedebâtimentsenruines.Deséclats de verre jonchent l’asphalte. Nous cherchons à boire et un endroit où passer la nuit. Lesbâtimentsenruinesmenacentdes’effondrermaisnousytrouvonstoutdemêmerefugepourlanuitàcausedesprédateursquirôdent.Minaboite.Jevaiscouperunebrancheàunarbreetluiproposedeluienfaireunecanne.Pendantquejememetsautravail,Geoffpartexplorerlesenvirons.Minaluirecommandedenepass’éloigner.Ilacquiesce.Quelquesminutesplustard,ilnousappelle.Ilatrouvéquelquechose.Etàcemoment,lemondeexplose.Papasetait.Moncœurbatàtoutromprecontremacagethoracique.–C’estMinaquejeretrouveenpremier,soufflemonpèred’unevoixsibassequejel’entendsà

peine.Àmoitiébrûléesousunmorceaudebéton.Elleadusangpleinlevisage.Ilouvreetrefermelespoingscommepourseforceràcontinuer.Maismoi,jeveuxqu’ilsetaise.

Sonhistoireesttropréelle.Jevoislesang.Jesenssapeur.– J’aperçois la botte de Geoff non loin du corps de Mina. Il me faut quelques secondes pour

réaliserquesonpiedesttoujoursdedansetjememetsàhurler.Etlà,jemeréveille.Noussommesenvironnésparlanuitetlesilence.Lesanimauxsesonttus.Monpèren’estplusmon

pèremaisungarçonàpeineplusâgéquemoi,seuldansunerueinconnueencompagnieducadavredesesamis.–Cen’étaitqu’unrêve.C’estcequepapamechuchotaitquandj’étaispetiteetqu’uncauchemarmeréveillaitenpleinenuit.–Peut-être.Sesyeuxreflètentundésespoirinsondable.– C’est ce que je me suis répété pendant des années. Je me consolais en me disant que je ne

connaissaispersonnedunomdeMina.Aulaboratoire,nousfaisionsdesdécouvertesextraordinaires.Desvariétésdeplantesquej’avaiscontribuéàcréerpoussaientmerveilleusement.Jen’aijamaisparléà personne de ces rêves. Être muté aux Cinq Lacs m’a mis en colère. C’était une humiliation. Jen’avaismêmepasdemaisonàmoietjedevaisdormirdanslesalondeFlintCarro.Jeconnaiscettepartiedel’histoire.Habituellement,illaraconteensouriant.Ilestdevenuamiavec

Flint,lemédecindelacolonie,ilarencontrémamère,lafilledutailleuretesttombéamoureuxdesagrâceetdesagentillesse.

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Maisaujourd’huitoutestdifférent.–LamaisondeFlintétaitminusculeetiln’apastardéàserendrecomptequemonsommeilétait

agité.Ilm’aposédesquestions,je l’airembarré.C’estalorsqu’ilm’aparlédesesrêvesà lui.Pasaussi effrayants, mais également perturbants. Des visages de gens qu’il ne se rappelait pas avoirrencontrés.Desamisquiavaientpassé leTestenmêmetempsqueluietdont iln’avaitplus jamaisentendu parler. L’année qui a suivi, Flint etmoi avons essayé de discuter de tout ça avec d’autresanciensétudiants.Nousétionsseptentout.NousdevionsnousmontrerprudentscartouslesemployésdelaCommunautéUnifiéesontencontactrégulieravecdesofficielsdeTosu.Nousnevoulionspasrisquerdeperdrenospostes.Jesuiscertainquequatredesautresdormaientcommedesbébésmaisladoyenne de l’école avait un regard hanté que je reconnaissais. Elle a toujours nié avoir descauchemars,maisjenel’aijamaiscrue.Jemelève,lesbrascroiséssurlapoitrine.–Tunepeuxpasêtresûr!Jevoudraisqu’ilhochelatête,qu’ilreconnaissequetoutçan’estquepurehypothèse.J’aibesoin

qu’illefasse.Maisilsecontentedemeregarderdroitdanslesyeux.–Pendant tout le tempsoùelleadirigé l’école,aucunélèvedesCinq lacsn’aétéchoisipour le

Test.Cen’étaitpasunhasard.Unfrissonmeparcourt.Jenesaisplusquoicroire.Quelesrêvesdemonpèresoientplusquedes

rêvesestinimaginable.Demain,jeparspourTosu.Àlafindelasemaine,jecommenceraileTest.Jenepeuxrefusersouspeined’êtreaccuséedetrahison.J’aienviedehurlermaisjesaisqu’aucunsonnesortiraitdemabouche.Monpèrepassesonbrasautourdemesépaulesetmeramèneverslebanc.Jemelaisseallercontre

luicommequandj’étaispetite.Pendantuninstant,jemesensensécurité.Maisçanedurepas.– D’après Flint, ces rêves sont peut-être provoqués par le procédé utilisé pour effacer notre

mémoire.Notrecerveaucréeraitdefauxsouvenirspourremplacerceuxauxquelsiln’apasaccès.–Maistun’ycroispasuneseconde…Monpèresecouelatête.–J’aiétéheureuxquetesfrèresnesoientpaschoisis.Sihierj’aidécidédenepasciterZeendans

mondiscours,c’estparcequejevenaisd’apprendrequ’unofficieldeTosuétaitenroutepournotrecolonie. Je ne voulais surtout pas que quiconque se demande pourquoi aucun élève n’avait étésélectionnédepuissilongtemps.J’avaispeurqu’uneréévaluationsoitdemandée.Ilposesonmentonsurlehautdemoncrâne.Unelarmecoulesurmajouemaisellenevientpasde

mesyeux.Monpère,quiatoujoursétésifortetsiintelligent,estentraindepleurer.–Etalors?Etmaintenant?Jeme tortille pourme dégager de son étreinte. Jeme lève, prise d’une soudaine colère. Ilm’a

laisséetravailler,étudier,espérersansjamaismeparlerdesesdoutesetdesespeurs.–Jeparsdemainmatin!Pourquoimeracontertoutçamaintenant?Àquoiçasert?Monpèrenehaussepaslavoixpourmerépondre.–Peut-êtreàrien.Peut-êtrequeFlintaraisonetquenosrêvesnesontquedeshallucinations.Mais

peut-êtrequ’ilsetrompeetdanscecas,jepréfèrequetusaches.QuetuaillesàTosulesyeuxgrandsouverts et préparée à ne rien laisser au hasard. Ça pourrait faire la différence entre l’échec et laréussite.Il se lève à son tour et pose sesmains surmes épaules. J’ai envie dem’écarter de luimais les

larmesbrillentencoredanssesyeux.Jechuchote:–Est-cequemamanestaucourant?–Tamèresaitquemamémoireaétéeffacéeetellesaitaussiquejefaisdescauchemars,maisjene

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lesluiaijamaisracontés.Jeréfléchisuninstant.Certaineschosesdeviennentplusclaires.–C’estpourçaqu’ellenevoulaitpasquejesoischoisie?Monpèremecaresselajoueaveclepouce.–Cia,jen’aijamaisrevumesparentsdepuisquej’aiparticipéauTest.C’estunhonneurd’avoirun

enfantchoisi,maisc’estaussiunegrandeperte.Ettamèreneveutpasteperdre.

Jenesaispascombiendetempsnousrestonsdebout,faceàface,ensilence.Nousentendonsmesfrèresrentreretmamèrequileurreprochedefinirlesassiettes.Toutsemblesinormal.Quand mes larmes se sont enfin taries, mon père me ramène à l’intérieur. Hamin taquine les

jumeauxenaffirmantquemesamiesflirtaientaveceux.Mamanprépareunthéetposeuneassiettedebiscuits sur la table. Les garçons sortent un paquet de cartes et nous jouons, tous ensemble, unedernièrefois.SaufqueZeenn’estpasencorerentréetqu’ilmemanque.Jenecessedeleverlesyeuxvers laporte,espérant levoirenfinapparaître.J’aimetousmesfrèresmaisc’estàZeenque jemeconfiequandj’aiunproblème.Ilsemontreinvariablementpatientetdebonconseil.Discuteravecluimefaittoujoursdubien.Maiscesoir,iln’estpaslà.Lapartieterminée,mamèremerappellegentimentquejedoispréparermesaffaires.Jeprendsle

sacdelaCommunautéUnifiéeetjevaisdanslachambrequejepartageavecmesfrères.C’estsansdoute parce que je ne la reverrai sûrement plus jamais,mais ce soir, elleme paraît étonnammentaccueillanteetchaleureuse.Unfeucrépitedanslacheminée;untapisélimécouvreunepartiedusol;contre lesmurs, les litssuperposés ; lemien,unpeuà l’écart,est leseuldont lescouverturessonttirées.Quandlesgarçonsontobtenuleurdiplôme,mamèreadéclaréqu’ilsétaientassezgrandspourfaireleurlittoutseuls.Etilsontdécidéqu’ilsétaientassezgrandspournepaslefairedutout.Nousavonschacununecommodepour rangernosvêtementsde tous les jours.Les tenuesde fêteoudecérémoniesontpenduesdansunearmoire.Selon ma mère, la première impression est capitale. Je me mordille la lèvre inférieure en me

demandantquelshabitschoisir.Jemesenstoujoursplussûredemoiquandjesuissurmontrenteetun,maislesimagesquemonpèrem’adécritestoutàl’heuresontprésentesàmonespritetlesdeuxrobesquejepossèdenemeserontd’aucuneutilitédanslesruesd’unevilleenruines.Etmêmesisesrêvesnesontquedesrêves,jesaisaufonddemoiquedejolishabitsnemeservirontàrienpourleTest.Je me décide finalement pour deux pantalons en grosse toile, deux chemises robustes et mes

bottineslesplusconfortables.Toutmevientdemesfrèresetjesuiscontented’emporterunpeud’euxavecmoi.Ilmerestemaintenantàchoisirdeuxobjetspersonnels.Je serais tentée de prendrema flûte ou le collier en argent quemamèrem’a offert pourmon

seizième anniversaire, mais là encore, j’ai intérêt à penser pratique. Après plusieurs minutes deréflexionetd’hésitation, j’optepourmonpetitcouteaupliant.Papaenaoffertunàchacund’entrenous.Ilestaussimunid’untournevisetdequelquesautresoutils.Pourledeuxièmeobjet, j’aibienuneidéemaisilfaudraitquejedemandelapermissionàZeenetiln’estpaslà.L’andernier,papaaautoriséZeenàmettreenplacesespropresprojets.Certainsl’ontamenéloin

au-delàdesfrontièresdelacolonie.Cesfrontièresmatérialiséesparuneclôturen’ontpastantpourbutd’empêcherhumainsouanimauxvenantdel’extérieurdelesfranchirqued’informerlescitoyensdelacoloniequ’ilspénètrentdansunezonenonsécurisée.Lesplantesvénéneusesetlesprédateursnereprésentent qu’une infime partie du danger. Durant les trois époques de la guerre, de violents

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tremblementsdeterreontformédeprofondescrevasses.Siunvoyageursolitairetombedansundecesravins, ilpeutsebriser lecou,mourird’hypothermieoudefaim.C’est laraisonpour laquellepapa a donné àZeenun transcommunicateur.C’est unminuscule appareil alloué aux employés dugouvernementparlaCommunautéUnifiée.Ilestéquipéd’uneboussole,d’unemachineàcalculeretd’un système de communication qui permet à Zeen d’entrer en contact avec mon père en cas deproblème. Je ne l’ai jamais utilisé mais si j’en ai besoin je trouverai bien comment le fairefonctionner.Quand Zeen ne travaille pas en dehors de la colonie, il garde son appareil sur une étagère au-

dessusdesonlit.J’aimeraisvraimentqu’ilsoitlàetqu’ilmeledonnelui-même.Jevoudraisqu’ilmepardonned’avoirétéchoisiealorsqu’ilnel’apasété.J’aimeraisaussiluidirequenotrepèreessayaitseulementdeleprotégerennecitantpassonnomlorsdelacérémonie.Qu’iln’étaitpasmotivéparl’egomaisparl’amour.J’enveloppe le transcommunicateur dans une paire de chaussettes et je le glisse dans mon sac.

J’espèrequeZeenrentreraàtempspourquejeluidisequej’aiprissonappareil,maisjesaisqueceneserapaslecas.Zeenestleplusintelligentdemesfrèresetc’estaussileplussensible.Win,HartetHamin sont gentils et aimantsmais ils cultivent une désinvolture qui agace terriblementmamère.Zeen, lui, est un passionné. Il s’emporte facilement mais son empathie est infinie. La perte d’unprocheluiestpratiquementinsupportable.Iln’apasouvertlabouchependantunmoisaprèslamortdenotregrand-père.Assisesursonlit, je luiécrisunpetitmot.Jeveuxleprévenirpour le transcommunicateurmais

surtoutluidirequejel’aimeetquejenel’oublieraipas.Maintenantquemonsacestprêt,jesenslapaniques’emparerdemoi.Demain,jevaisquittertout

cequejeconnaispourunendroitpotentiellementpleindedangers.Là, toutdesuite, jen’aiqu’uneenvie :mecoucheretmecachersousmescouvertures.Maisbiensûr, jene le faispas. Je refermemonsacetjeretournedanslesalonenespérantpasseraumieuxlesquelquesheuresquimerestentavecmafamille.

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CHAPITRE4

Mesfrèresdormentencorequandmonpèrevientmeréveilleraprèsunenuitagitée.J’enfileunepairedeleggings,unetuniqueetmesbottinesavantd’attrapermonsac.Mamèremetendunboldelaitchaud.Ellealesyeuxrougesetgonflésmaisellenepleureplus.Ellemerépètequ’elleestfièredemoi.Aumomentdenousdireaurevoir,j’aibeaucoupdemalànepasm’accrocheràellecommeunepetitefillelejourdelarentrée.Jeregrettesoudaintoutletempsquej’aipasséàêtreencolèrecontreelleparcequ’ellenem’encourageaitpasassez.Jecomprendsmaintenant.Elleavaitpeurquejeréussisse.Luttantcontreleslarmes,j’avalemonlaitetjeprendslapommequ’elleaposéepourmoisurle

comptoirdelacuisine.Jeluiprometsd’écrire.Monpèreattenddevantlaporteetjeserremamèredansmesbrasunedernièrefois.Lejourestàpeinelevé.Nousparcouronsunbonkilomètreavantquepapanebriselesilence.–Tuasréussiàdormir?–Unpeu.D’unsommeilentrecoupéderêvesbizarresetinquiétants.–Flintasansdouteraison,tusais.Cescauchemarsnereposentprobablementsurrien.–J’espère.–Moiaussi,soupiremonpèreenmeprenantlamain.Tuesintelligente,Cia.Tuesforteaussi.Je

suis sûr que tu réussiras le Test. Ne te laisse surtout pas impressionner par les autres candidats.Certainsparticipantsdemacolonieétaientvicieux.Ilsétaientprêtsàtoutpourêtrelesmeilleurs.–Prêtsàtout?Passerlanuitàréviserétaitmonnaiecourantedansmaclasse.Moi-même,jel’avaisfaitplusieurs

fois.–Lepoisonétaitunedesméthodespréféréesd’uneoudeuxfillesdel’université,précisemonpère.Jem’immobilise.–Quoi?– Pas suffisamment pour tuer quelqu’un, juste assez pour le rendre malade et l’empêcher de

participer à une épreuve. Lors dema dernière année, je nemangeais que ce que j’apportaismoi-même.–Est-cequ’ilsn’étaientpaspunis?–Ceuxquifaisaientçaétaienttropmalinspoursefaireprendre,merépondpapaavecunsourire

triste,maismêmesiçan’avaitpasété lecas, jenepensepasqu’ilsauraient récoltébeaucoupplusqu’uneréprimande.Cen’estpasévidentdepunirdes jeunesgensquifont leurpossiblepoursortirleurfamilledelapauvreté.Nousgravissonslacollinesanséchangerunmot.Jeréfléchisàcequemonpèrevientdemedire.

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Jepeuxtoujoursmerassurercommejepeuxausujetdesrêves,maisça…PasunélèvedesCinqLacsneseraitprêtàs’enprendreàunautredans leseulbutd’êtremieuxclassé.Dansnotrecolonie, sipersonnen’estriche,personnenemeurtnonplusdefaim.Plusmaintenantdumoins.Maisde toutefaçon,quandunefamilleestendifficulté,lasolidaritésemetenplace.Unmondedanslequellesgensiraientjusqu’àutiliserdupoisonpours’ensortirestinconcevableàmesyeux.Alorsquenousapprochonsde laville, leciel secolorepeuàpeude roseetd’orangé.Papame

prendparlesépaules.–Tudoisbienmangeretbiendormir.Çat’aideraàresterenformeetàgarderunepenséeclaire.J’acquiesce.Ilm’adonnécemêmeconseilduranttoutemascolarité.–Faisattentionàquituaccordestaconfiance,Cia,ajoute-t-il.Situt’entiensàça,toutsepassera

bien.C’esttoujoursmaindanslamainquenousentronsdansleparc.Unaérojetnoirornédusceaudela

CommunautéUnifiéenousattenddevant lamaisonde lamagistrateOwens.Tomas,Malachi et desmembres de leurs familles attendent à côté. Malachi a fait des efforts vestimentaires : pantalonamidonné, chemise dont le blanc éclatant contraste avec sa peau sombre, veste, chaussures noirescirées.Àsafaçondesetenir,iln’estpasdifficilededevinerqu’ilseretientdepleurer.LatenuedeTomasestplusprochedelamienne:pantalongrisdélavéettee-shirtcolVcommes’ilsepréparaitàaller travaillerà la fermedesonpèreetnonpasàvoyager jusqu’àunegrandeville.Alorsquesamèreessaievainementdemettreunpeud’ordredanssatignasse,sonexpressionestimpénétrable.Unpeuenretrait,lamagistrateetl’officieldeTosunousfontsigne.MichalGallenestvêtud’une

combinaisonajustéequi,commel’aérojet,portelelogodelaCommunauté.Ilaramenésescheveuxenqueue-de-cheval,cequimetenvaleursonvisageanguleux.LamagistrateOwensentraînemonpèreà l’écart.MichalGallenmesourit et je suis surprisede

découvrirdelachaleurdanssesyeuxverts.–Cevoyageneterendpastropnerveuse,Malencia?medemande-t-il.Jenem’attendaispasàcequ’ilaitretenumonprénom.Jereconnaisquej’ensuisflattée.– L’idée de décevoir ma famille et ma colonie en ratant le Test me rend plus nerveuse que le

voyage,monsieurGallen.Ilrit.–Appelle-moiMichal.Etnet’enfaispas.Çatepassera.Dequoiparle-t-il?Demanervositéoudemoninquiétudepourlacolonie?Jen’aipasletempsde

leluidemander.Ilouvrelehayonarrièredel’aérojetetmetendlamain.–Donne-moitonsac,tun’enauraspasbesoinpendantletrajet.Puisilsortdesapocheunsachettransparentcontenantdeuxbandeauxargentés.–Lepluslargeesttonbraceletd’identification,précise-t-il.Ilportelesymbolequit’estassigné.Tu

nedoisjamaisl’enlever.Leplusfinestpourtonsac,pouréviterqu’ilsoitconfonduavecceluid’unautrecandidat.Avantquej’aieletempsderéagir,ilfaitclaquerlefermoirdubraceletmétalliquesurmonpoignet

et fixe l’autre à la lanière dema besace. Je lève le bras pour regarder de plus près. L’attache estindétectable.Surlemédaillonestgravéeuneétoileàhuitbranchesavecunéclairàl’intérieur.–L’étoileestl’emblèmedetongroupe.J’étaisperduedansmacontemplationetlavoixdeMichalmefaitsursauter.–D’autresontlemêmemaistueslaseuleàavoirl’éclair.–Etcessymbolessignifientquelquechoseoupas?Laquestionm’aéchappé.Peut-êtrequelesdiplôméschoisispourleTestsontcensésconnaîtrela

réponse.Maiss’iltrouvemoninterrogationstupide,Michaln’enmontrerien.–L’étoileàhuitbranchesreprésentelerajeunissement,lerenouveau.Çaveutdirequetongroupe

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possèdedesaptitudesdansdifférentsdomaines.C’estplutôtbiend’enfairepartie.Sonsourireestencourageant.Jemedemandedansquelgroupeilétaitquandilalui-mêmepasséle

Test. Sa montre émet un petitbip et son sourire s’évanouit. Zandri n’est toujours pas arrivée. Jecommenceàmedemandersielleestjusteenretard–laponctualitén’ajamaisétésonfort–ousielleafinalementdécidédenepasvenir.Croit-ellequelegouvernementneferapasappliquerlaloi?Michalm’adresseunsignedetêteavantderejoindremonpèreetlamagistrate.Illeurdésignesa

montreetparleavecanimation.Monpèreluidemanded’attendreencoreunpeu.Jemeretourne,unénormepoidssurlapoitrine.C’estàcemomentquejel’aperçoisenfin.Jecrie:–Lavoilà!–Dieumerci,murmureunevoixderrièremoi.Toutenavançantnonchalammentversnous,Zandriretientsajupequelevents’amuseàsoulever

légèrement. Les rayons du soleil font briller ses longs cheveux blonds. Elle sourit. Et ne présenteaucuneexcuse.Elleapréparésonentrée.Elleveutmontrerquesionpeutl’obligeràparticiperauTest,onnepeut

pas la contrôler entièrement. Je l’admiremalgrémoi,mais le regard agacé deMichalm’inquiètepourelle.Monpèrerevientàmescôtés.MichaldonnesonbraceletàZandrietplacesonsacaveclesnôtres.

Sontonn’aplusriendechaleureuxquandilnousordonnedemonteràbord.Quandmonpèremeserrecontre lui, lavagued’émotionsque j’aiessayéde teniràdistanceme

submerge.Jeluidisquejel’aimed’unevoixquelessanglotsmenacentd’étouffer.J’essaiedenepaspenseràZeenquejen’aipasrevu.Monpèrememurmurequ’ilm’aimeaussietmerappelledansunsouffle:–Cia,nefaisconfianceàpersonne.Je suis la dernière àmonter dans l’aérojet.Laporte se fermederrièremoi.Lemoteur vrombit.

Monpèreposesamainsurlavitreetjeposelamiennedel’autrecôté.Nosregardssecroisentetunelarmeéchappeàmadétermination.L’aérojetdécolle.Monpèrereculeetdéjà,leparcettoutcequim’étaitfamiliers’éloignent.Moncœurestdéchiré:je

suisprofondémenttristeetenmêmetempstrèsexcitée.Lesmêmessentimentspartagéssontinscritssurlevisagedemescompagnons.Lacérémoniederemisedediplômesafaitdenousdesadultessurlepapiermaisc’estcedépartquinousfaitréellementgrandir.Noussommesseuls.Lefrontappuyécontrelavitre,j’emmagasinelessouvenirsdeschamps,desfermes,descollines.

Puisunnouveaupaysage,inconnu,apparaît.Jesuisdéjàmontéedansundesaérojetsquemonpèreutilisepourson travail,mais ilétait loin

d’êtreaussisophistiquéetrapide.Ilnepouvaitaccueillirquequatrepersonnesetencore,ilfallaitseserrer.Danscelui-ci,onpourraitfacilementteniràdouze.Lessiègessontconfortablesetàl’arrière,ilyamêmeunepetitecuisine.Sionselève,onnesecognepasauplafond.Jenevoispasnossacsetj’hésiteunmomentàdemanderàMichaloùillesamis,maislaplacedu

conducteurestséparéedesnôtresparunevitre.Deplus,ilal’airconcentréetc’esttantmieux.Silesaérojets sont prévus pour s’élever à quatre mètres, leur système de propulsion exige d’être enpermanence en contact avec le sol. Pour peu que le véhicule passe au-dessus d’un trou ou d’unecrevasse, lemoteur s’arrête. Il est également difficile de les diriger au-dessus des étendues d’eau,c’estpourquoilaplupartsontéquipésdebouéesleurpermettantdeflotter.–C’estlapremièrefoisquejemontedansundecesengins,lanceMalachi.Sesyeuxreflètentunecertaineinquiétude.Sonpèreestunouvrierd’irrigationetsamèrecouddes

couverturesenpatchwork.Cen’estpasétonnantqu’iln’aitjamaiseul’occasiondemontersurquoique ce soit d’autre que son vélo. Jusqu’à aujourd’hui. Je penche la tête pour essayer de voir le

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symbole gravé sur son bracelet. Un triangle avec une flèche.Nous ne sommes pas dans lemêmegroupe.– Je crois qu’aucun d’entre nous n’est jamaismonté dans un engin comme celui-ci, commente

Tomas.Àcettevitesse,onseraàTosuavantlanuit.–Tucrois?Tupensesqu’ilsnouslaisserontvisiterlaville?L’angoissedansleregarddeMalachiestremplacéepardelacuriosité.–SansdoutepasavantquenousayonspasséleTest,répondTomas.J’ail’impressionqu’ilsvont

noustenirenlaisse.IldonneunetapesurledosdeMalachiensouriantetajoute:–Maisdèsqu’onseraàl’université,onferacequ’onvoudra,non?Ànouslavilleetlesfilles!Malachiluirendsonsourire.–C’estsûr.–Toutes les filles ne tombent pas dans les bras des étudiants, le rembarreZandri en rejetant sa

crinièredoréeenarrière.Malachi se recroqueville dans son siègemaisTomas se contente de rire.Après unmoment, les

deuxgarçonssemettentàparlerdeTosuetàdécrirelesphotosqu’ilsontvuesdelavilleoùcertainsimmeublespeuventatteindredixétages.Zandricessedebouderetsejointàeuxpourénumérerlesœuvresd’artqu’elleaimeraitvoir.Je ne suis pas étonnée que Tomas ait réussi à mettre tout le monde à l’aise. Pour ma part, je

n’arrivepasàoublierquejesuis laplus jeune.Enclasse,c’étaitpareil. Jene levais lamainquesij’étaissûreàcentpourcentdemaréponse.Alors, jemecontentede lesécouter.Grande,blondeetmagnifique,Zandridégageuneassuranceombrageuse,maisquandelleparled’artavecMalachi,ellesemblemoins sur la défensive. Sa connaissance d’artistesmorts depuis longtemps est surprenante.Tomass’estmisunpeuenretraitetsecontentedeglisserunoudeuxcommentairesçàetlà.Commemoi,ilobserve,jaugelesriresetlessilences.Iltournelatêteversmoietremarquequejeleregarde.Mesjouesdeviennentécarlatesetjebaisselesyeux.Tomasesthabituéàêtreregardé,admirémême.Laplupartdesfillesdemonécolepasseraientlajournéeàlereluqueraulieudeseconcentrersurletableau.Jen’enaijamaisvraimenteul’occasionparcequ’ilétaitassisderrièremoi,maisjenesuispas aveugle.Comme les autres, je suis sensible à ses fossettes, et plus d’une fois j’ai eu envie derepoussercettemèchequiluitombeaumilieudufront.Jen’enaiévidemmentjamaiseulecourage.Ce qui ne me pose pas de problème. Les garçons et les sorties n’ont jamais été sur ma liste depriorités.Etlà,cen’estvraimentpaslemoment.Le trio éclate de rire et bien que j’aie l’impression d’être mise à l’écart, j’essaie d’avoir l’air

intéresséeparleursbavardages.Zandri etMalachi avouent ne pas avoir passé une très bonne nuit et après s’être étirés et avoir

copieusement bâillé, ils se mettent en position pour dormir dans leur siège. Ils tombent presqueaussitôtdanslesbrasdeMorphée.–Allonsderrièrepournepaslesdéranger,memurmureTomas.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrentunpeualorsquejeluiemboîtelepas.Nousexploronsla

cabineetjetombesurunsachetcontenantdesfruitssecs,dufromageetdesbiscottes.Puisjepousselapetiteportequidonnesurlestoilettes.Nousnousinstallonssurlessièges.– C’est dingue de se dire qu’on a été choisis, lance Tomas en tournant une tranche de pomme

séchéeentresesdoigts.Le symbole sur sonbracelet est lemêmeque lemien.Nous sommesdans lemêmegroupe.Ma

surpriseetmon inquiétudedoiventêtrevisiblesparcequ’ilmedemandesi j’aiunproblème.Je luirépète les explications deMichal. Et commeMalachi et Zandri ronflent toujours, je décide d’être

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complètementhonnête.Jesoupire:–Çavaêtredifficiled’êtremeilleurquetoi.–Turigoles,là?Ilseredresseetsepencheenavantpourmeregarderdeplusprès.Finalement,iléclatederire.–Non,tunerigolespas!Jehausselesépaules.–M Jorghensteconsidèrecommelemeilleurdelaclasse–Ça,c’est justeparceque laprofn’étaitpas là l’andernier.Ellene saitpasquec’est toiquias

fabriquélesgénérateurséoliensetsolairesquel’écoleutilise.–Monpèrem’aaidée.Cen’estpasdelafaussemodestie.Jen’auraisjamaisréussisanslui.Jereprends:–D’aprèslui,lesystèmed’irrigationquetuasconçuvapermettrederevitaliserdeszonesau-delà

deslimitesdelacolonie.C’estgénial.C’estàsontourdehausserlesépaules.–Monpèreatoutdessiné.J’aijusteajoutéuneoudeuxidéesicietlà.Jenedispasquecen’était

pas important,mais je suis loind’être legéniequeM Jorghens s’est entêtée àvoir enmoi toutel’année.J’ail’impressionqu’ellecroyaitquetouslesélèvesdesCinqLacsétaientdesdemeurés.Sansdouteparcequeçafaisaitdesannéesqu’aucunn’avaitétéchoisipourleTest.Jesuisd’accordaveclui.IlestévidentqueM JorghensestarrivéeauxCinqLacsavecdesidées

préconçues. Les premiers temps, elle prenait soin de parler lentement en n’utilisant que des motssimples. On aurait dit qu’elle s’adressait à des gamins de quatre ans. Comme premier sujet derédaction,ellenousademandéderacontercequenousavionsfaitpendantnosvacances.Aprèsça,tout a changé et les cours sont devenus plus complexes. Je me demande maintenant si mon pèren’avaitpasraisonhiersoir.Peut-êtrequenotreancienneprofesseurfaisaitensortequelesofficielsdeTosunenouscroientpasassezintelligentspourparticiperauTest.Maispourquoi?Parcequ’ellenevoulaitpasséparerlesfamilles?Ouparcequ’ellepensaitqueleTestétaitdangereux?–Àquoitupenses?medemandeTomas.Jesursauteetjeprendsunairinnocent.–Quoi?Ilhausseunsourcil.Iln’estpasdupe.Jememordslalèvreetjemelance:– Pourquoi crois-tu qu’aucun élève des Cinq Lacs n’a été sélectionné pour le Test pendant si

longtemps?Ilplisselenezetprendletempsderéfléchir.–Peut-êtreque legouvernementde laCommunautéUnifiée trouvaitquenotrecolonieétait trop

petitepourlapriverdecitoyens.Les Cinq Lacs ont beaucoup grandi ces dix dernières années. À peu près trois cent cinquante

nouveauxcitoyenssontvenuss’yinstaller.Malgrétout,çarestepeusil’onconsidèrequelesautrescoloniescomptentjusqu’àdixmillehabitants.Tomasmedévisage.–Tucroisqu’ilyauneautreraison?medemande-t-il.J’aimerais pouvoir partager avec lui les soupçons de mon père. Ce serait rassurant de savoir

qu’uneautrepaired’yeuxestattentiveàunéventueldanger.Maismonpèreaétéclair : jenedoisfaire confiance à personne. Si Tomas et moi étions seuls, je choisirais peut-être d’ignorerl’avertissementmaisjesuisobligéedepenserauxautres.Jemecontentedoncd’un:–Jediraisquec’estunepossibilité.–Ehbien,situapprendsquelquechoseàcesujet,tiens-moiaucourant.Çaferaplaisiràmonfrère.

Iln’apasencaisséquej’aieétéchoisialorsqu’ilavaitéchoué.Jehochelatête.

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–MonfrèreZeenaeulamêmeréaction.Tomasmesourittoutesfossettesdehorsetpendantl’heurequisuitnousdiscutonsdenosamis,de

notre famille, de tout ce qui nous manquera des Cinq Lacs, de nos ambitions et de nos espoirs.J’apprendsavecsurprisequ’ilveuttravaillerdanslagénétiquevégétalecommemonpère.Jepensaisqu’ilopteraitpourunsecteurplusprestigieux.Pourtant,aprèsréflexion,c’estassezlogique.Tomasestmignonetiladucharismemaisiln’enajamaisabusé.Ilesttoujoursprêtàaiderunvoisinet iln’attendjamaisderemerciementsouderécompenseenretour.Jepensequemonpèreseraitfierdel’avoirdanssonéquipe.Nousavonsterminélesachetdefruitssecsmaisnousavonsencorefaim.Tomasprendunpaquet

debiscuitsets’apprêteàl’ouvrirquandMichalnousprévient:–Onvas’arrêterpourdéjeunerdansquelquesminutes.Vousdevriezréveillervosamis.Nous n’y sommespas obligés.La voix deMichal a suffi à tirerZandri etMalachi du sommeil.

Pendant qu’ils bâillent et s’étirent, jeme demande commentMichal a su que Tomas avait pris lesbiscuits.Letimingétaittropparfaitpourquecesoitunecoïncidence.Pourtant,Tomas,nisurprisniinquiet,rangelepaquetdansunplacard.IldoitsupposerqueMichalatournélatêteetnousavusparlavitre.Maismoi,jesaisquecen’estpaslecas.Alors?Là,dansuncoinde lacabine, je repèreunminuscule ronddeverre.Unobjectifdecaméra?Je

scrutediscrètementlerestedelacabine.Jen’envoispasd’autres.Jesuispresquesûred’avoirraison.Nous sommes observés. Par Michal ou d’autres ? Le Test aurait-il déjà commencé ? L’idée

d’apparaîtresurunécranquelquepartmedonnelachairdepoule.PeudegensenpossèdentunauxCinqLacs.Monpère,lamagistrateettroisouquatreautrespersonnesdanstoutelacolonie.Ilssontéteintslaplupartdutemps.Ondiraitquecen’estpaslecaspartout.Je me lève pour m’approcher du poste de pilotage. J’ai l’impression que la caméra suit mes

moindresmouvements.Est-ellemunied’unmicro?Si jepouvais, jeregarderaisdeplusprèsmaisc’est troprisqué.De toute façon, ilvautmieuxpartirduprincipequesiquelqu’unnousregarde, ilnousécouteprobablement aussi. J’appuiemon front contre lavitre et j’essaiedegarderun visageimpassible.L’étendue brune et craquelée que nous avons survolée estmaintenant remplacée par un paysage

plus vert. La terre est aussi plus foncée, plus riche ; c’est le signe de la revitalisation. Le fruit dutravaild’uneautrecolonie.Auloin,jedistinguedesédifices.Certainssonttrèsélevés.Plusélevésqueceux des Cinq Lacs. Je me demande de quelle colonie il s’agit et je réalise que j’ai dû poser laquestionàvoixhautequandMichalmerépond:–C’estlacolonied’Ames.Nousallonsnousposerenpériphériepourdéjeuner.LecomitédeTesta

prévudenouslivreràmangeràcepointderendez-vous.Jem’étonne:–Nousneverronspaslacolonie?–Unautrejour.Pourlemoment, lecomitépréfèreévitertoutcontactavecd’éventuellessources

d’informationextérieures.Etmaintenantassieds-toisituneveuxpastomberpendantl’atterrissage.J’obéisetjerépèteauxautreslesinformationsquevientdemedélivrerMichal.Lacaméraetlefait

quenosdéplacementssoient restreintsmecrispeunpeu.L’aérojet ralentitpuisdescendavantdeseposerdansunsoubresautquiprojetteMalachiparterre.–Désolé,s’excuseMichalensortantdelacabinedepilotagepourvenirdenotrecôté.J’aitoujours

dumalàmeposeretpuis,lesfreinssontneufsetjenelessenspastrèsbien.Il tendlamainàMalachipour l’aideràseredresseretappuieensuitesurunbouton.Laportière

s’ouvredansun soupir.L’air chaud et uneodeurd’arbre et d’herbenous sautent à la figure.NoussuivonsMichaljusqu’àunepetitecabane,nichéeaumilieud’arbustes,debuissonsetdeplates-bandesfleuries.C’estdifficiledecroirequ’àseulementquelquesmètres, la terreestasséchéeetmourante.

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Celuiquis’estoccupédesplantationsabientravaillé.Lacuisineestéquipéed’unetableetdecinqchaises.Danslefond,uneportedonneprobablement

surdestoilettes.Letoutnefaitpasplusdequatreoucinqmètrescarrésetembaumelerôtigrillé,leslégumeset l’ail.Sur lecomptoir,uneclocheenverreprotègeunemichedepainetunmorceaudefromage.Ilfaitfrais,presquefroidetMichalneveutpasquenousouvrionslesfenêtrespournepasdéréglerleclimatiseur.Lesunsaprèslesautres,nousallonsnouslaverlesmainsetnouspasserdel’eausur levisage. Jepasse ladernièreetenattendantmon tour, je fais semblantdemepromenerdanslapetitepièce.Lapremièrecaméraquejerepèreestplacéedanslelustreau-dessusdelatable.Ladeuxièmedanslecoingaucheduplafond.S’ilyenad’autres,ellessont tropbiencachéespourmoi.Detoutefaçon,cesdeux-làsuffisentàmegâcherleplaisirdurepas.Malgrétout,jem’efforcedemangernormalement.Jesourisetjeris.Ducoindel’œil,jeremarquequeMichalm’observeaveccuriosité.Ilregardelacamérapuismeregardedenouveau.Ilsaitquejesais.Ilsemblesatisfait.Presquefierdemoi.J’enfourneungrosmorceaudepain.Çam’évitedeparleretçamedonneunpeude tempspour

réfléchir.Ilsemblequejeviennederéussiruneépreuve.Ilafaitexprèsdenousinterpellertoutàl’heuredansl’aérojet.Biensûr,Michalestleplusjeune

desOfficielsquej’aiejamaisrencontrésmaisiln’apasétéchoisipournousescorterparhasard.Iln’aurait pas commis ce genre d’erreur. Maintenant, une question se pose : était-ce une épreuveordonnéeparsessupérieursouuneaidedesapart?Ilposeuneassiettedebiscuitssur la table.Ondiraitceuxquemamèreavaitpréparéspourfêter

mondiplômeetaulieudemefaireenvie,ilsmeserrentlecœur.Lesautresseservent,ravisdecettefriandiseinattendue;moi,jerepoussemachaiseetdemandesijepeuxallermarcherunpeu.– Je reste dans les environs, promis. Je veux juste me dégourdir un peu les jambes avant de

remonterdansl’aérojet.–Pasdesouci,accepteMichalenjetantuncoupd’œilàsamontre.Tuastrenteminutesdevanttoi.

Quelqu’unveutl’accompagner?Personnenebouge.Jemedécidequandmêmeàprendreuncookieetjesors.Lesoleilesthautdans

leciel.Lachaleurestmerveilleusementagréable.Cequi l’estplusencore,c’est la sensationd’êtrelibre.Sanscaméranipersonnepourm’espionneretmejuger,jen’aipluspeurdemetromperoudedireunebêtise.Sachantcequim’attend,jem’appliqueàprofiteraumieuxdecesderniersmomentsd’insouciance.Dans lessemainesquiviennent, jepuiserai lecalmeet laséréniténécessairedans lesouvenirdecettejournée.Jemedirigeversunbosquet.L’herbehautem’arrivepresqueauxhanches.Jegrignotemonbiscuitquandunevoixm’interpelle:–Cia!Attends-moi!Jemeretourne, lamainenvisièresur lefront.Jesuisdéjààprèsdecentmètresde lacabaneet

Tomascourtpourmerejoindre.Àl’idéedepartagermesderniersinstantsdetranquillité,j’aienviedeluihurlerdes’enaller.Maiss’ilretourneprèsdesautres,ilserasousl’œildescaméras,alorsjemeretiens.–Onvaoù?medemande-t-ilenhaletant.–Jusqu’auxarbreslà-bas.Nousmarchonsensilenceavantdenousasseoiràl’ombre,surlesolfrais.–TudevraisfaireattentionouZandrivaêtrejalouse!Je le taquinemais une certaine vérité se cache derrièremaplaisanterie.Chaque fois queZandri

rejettesacrinièreblondeenarrière,ouqu’ellebatdescils,c’estàl’intentiondeTomas.Ilnesemblepasyprêtergrandeattentionetjenesuispassûredecequejeressentiraissijemerendaiscomptequ’ilestintéressé.

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–Jenem’inquiètepaspourelle,rétorque-t-il,maispourtoi.Samaineffleuremonbrasetjenepeuxretenirunfrisson.–Pourquoi?–Jeteconnais,Cia,jesaisquequelquechosetetracasse.Jehausselesépaules.–Onvientdequitternosfamillesetnosamis.Onnelesreverrapeut-êtreplusjamais.–Jesaiscommenttuesquandtutefaisdusoucipourtafamille,jesaisaussireconnaîtrequandtu

stressespourunexamen.Maislà,c’estdifférent.Ilposesamainsurlamienne.–Jesaisquenousnenousfréquentionspasbeaucoupàl’école,maistupeuxmefaireconfiance,

murmure-t-il.Mais c’est justement de ça que je ne suis pas sûre. J’évite son regard en tournant la tête vers

l’aérojet et la cabane. Je connais Tomas depuis toujours. Nous avons travaillé sur des projetsensemble, nous avons partagé des jeux et nous avons même dansé dans les bras l’un de l’autrependantuneheuremémorablelorsdelafêtedesdiplômesdel’andernier.Enrevanchecetteannée,nousnenoussommespresquepasadressélaparole.Parmafauteuniquement.Tomasm’aplusd’unefoisproposédemeraccompagnermaisj’aitoujourstrouvéuneraisonderefuser.Lesmoqueriesdemesfrèresaprèslafameusesoirée,lesregardsnoirsdesautresfilles,mesdoutessurlasignificationdecemoment,toutcelam’afaitpeur.Aujourd’hui,j’ailechoixentrereculerencoreoufaireunpasverslui.Techniquement,TomasestmonadversaireauTestetpourcetteraison,jeferaismieuxdelerepousser.Lesautressortentàleurtourdelacabane.Bientôt,nousseronsdenouveausousl’œildelacaméra.

Je sais que c’est ma dernière chance de parler sans risquer d’être entendue. Mon père m’arecommandédenefaireconfianceàpersonnemaisl’airgravedeTomasfinitdemeconvaincre.Sijecommetsuneerreur,j’ensupporterailesconséquences.–Ilyaunecaméradansl’aérojetetj’enaivudeuxlàoùnousavonsdéjeuné.–Tuessûre?J’acquiesce.Unemèchedecheveuxluitombesurlefront.–Jenecomprendspas.Pourquoiprendraient-ilslapeinedenoussurveiller?Jehochelatête.–ParcequeleTestadéjàcommencé.

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CHAPITRE5

Jeme retrouve à tout raconter àTomas.Les souvenirs effacés demonpère, ses cauchemars, laquasi-certitudequenotreancienneprofesseurfaisaitlesmêmescauchemarsetausédesoninfluencepourempêcherlesélèvesdesCinqlacsd’êtresélectionnéspourleTest.Quandj’aiterminé,jeretiensmonsouffle.Tomasvasansdoutesemoquerdemoioumetraiterdefolle.Àmoinsqu’ilnetentedeme rassurer en me promettant que cet examen n’est pas différent de ceux que nous avons passéspendantnotrescolarité.Maisaulieudeça,ilsemordlalèvreavantdelâcher:–Jesuiscontentqu’onsoitdanslemêmegroupe.Onpourras’entraider.–Tucroisquelescraintesdemonpèresontfondées?–Jecroisqu’ilvautmieuxseprépareràtout.Sitonpèresetrompe,restersurnosgardesnepeut

pasnousfairedemal,s’ilaraison…Sesdoigtss’entrecroisentaveclesmiensetlesmotsqu’iln’apasprononcésflottententrenousun

moment.Unsifflementnousfaitsursauter.Michalnousfaitsigne.Ilesttempsdepartir.Tomas se redresse en gardant mamain dans la sienne. Il ne la lâche qu’après que nous avons

traversé l’herbehaute. Il sort de sa pocheunmouchoir en cotonblancdans lequel il a placé deuxbiscuits.Ilenprendunetm’offrel’autre.–Tiens,partenaire.Lemotmefaitsourire.Partenaire.Nousl’avonsétéàplusieursreprises.Àchaquefoisquenous

avonstravailléensemble,nousavonsobtenulesmeilleuresnotesdelaclasse.J’espèrequecettefoisceserapareil.J’aijusteletempsdeluifaireprofiterd’unautreavertissementdemonpère.–N’acceptesurtoutrienàmangerd’unautreélèvequandonseralà-bas.Onnesaitjamais.Commejem’yattendais,Zandrinesemblepastrèscontentedemevoirarriverencompagniede

Tomas.Ilsepourraitquejen’aiepasseulementgagnéunpartenaire,maiségalementunadversaire.Jenepensepasqu’ellesoitcapabledem’empoisonnermaislalongueurdesesonglesestloindemerassurer.Tomassedirigeversl’arrièredel’aérojetoùils’assoitaveclesautres.Alorsquejem’apprêteàle

rejoindre,unemainseposesurmonbras.–Toutvabien,Malencia?Michal semble inquiet. Je n’arrête pas de penser à la caméra qui observe la moindre de mes

réactions.J’afficheunsourireétonné.–Oui,biensûr,toutvabien.C’étaittrèsintéressantdevoirdeprèstoutcetravailderevitalisation.

Monpèreseraitimpressionné.Michaljetteuncoupd’œilversl’objectifavantdemeretournermonsourire.Jen’aiplusdedoute

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àprésent.Mêmesij’enignorelaraison,ilestévidentqueMichaladécidédem’aider.Etilal’airdetrouverquejem’ensorstrèsbien.Ilreprendsaplaceaupostedepilotageetjemonteàmontour.Zandriesttrèsoccupéeàdiscuter

avecTomasd’unesoiréeà laquelle ilsétaient tous lesdeuxprésents.Elle tripotesonbraceletornéd’unefleuretsepencheenavantpourmettreenévidencesondécolleté.Jenesaispassiceuxquinoussurveillent sont agacés par sonmanègemais en tout cas,moi je le suis.Àmon avis, son sujet deconversationest loinderendrecomptedesonintelligence.Sionajouteàçasaréticenceàveniretsonretard…Jeprofited’unblancdansleurdiscussionpourluiposerdesquestionssurlemoulinqu’elleaaidé

àconcevoir.Lesarchitectesdelacoloniefontparfoisappelàellepoursonsensdelasymétrieetdel’harmonie.Jesuissûrequ’elledessinesesbijouxelle-même.Ellemejetteunregardétonné.Sansdouteparcequej’aimoiaussitravaillésurleprojet,maiselle

nerésistepasàl’occasiondeparlerd’elle.TomassemontreintéresséetpousseégalementMalachiàmettresescompétencesenavant.Duranttoutel’heurequisuit,nousinterrogeonsnoscamaradesafinqu’ilsdonnentunebonneimaged’eux-mêmesàceuxquinousépient.Noussommesconcurrentsmaisnousvenonsdelamêmecolonie.Çacompteàmesyeux.Peuàpeu,jecommenceàsentirlafatigue.ÇadoitsevoircarTomasmesouffle:–Pourquoiest-cequetun’essayespasdedormirunpeu?Ilmefaitdelaplaceetajoute:–Jeteréveillerais’ilsepassequelquechose.Jesuissonconseiletjem’étendssurlabanquette.Jenesuispassûrederéussiràdormirenpensant

quejerisquedebaverdansmonsommeiletqueTomaspourraits’enrendrecompte.Malgrétout,jefermelesyeux.Ladernièrechosequej’entendsavantdem’assoupir,c’estTomasquidemandeauxautresdeparlerplusbas.Jerêvedemonpère.Iln’estpascommecederniersoirquenousavonspasséensemble.Ilestle

père que j’ai toujours connu, celui qui m’a patiemment enseigné comment séparer les gènes desplantes à fleurs. Ilme tient lamain alors que j’essaie d’imiter ses gestes. Souvent on commet deserreursgrossièresaprèsavoirfaituneimportantedécouverte,m’explique-t-il,maisjenedoisjamaismedécourager,caronapprendbeaucoupdeseserreurs.–Cia,réveille-toi.Monpèremesecoue,maiscen’estpasmonpère,c’estTomas.Jenesuisplusàlamaison.–Réveille-toi,Michalditquetunedoispasraterça.Michalaraison.Uneincroyableétendued’eaumiroitesousnosyeux.C’estmagnifique.LesCinq

lacsquiontdonnéleurnomànotrecolonieontéténettoyésmaisilssontloind’êtreaussibeaux.J’enailesoufflecoupé.Desimmeublesargentéss’élèventàl’horizon.Leslumièresquilesilluminentsontassezpuissantes

pourêtrevuesàdeslieuesàlaronde.Tosu.Noussommesarrivés.Àl’école,nousavonsapprisqueTosuaquatre-vingt-dix-neufans.Lorsdesafondation,elleétait

lesymboledelasurviedenotreespèce.Lelieun’avaitpasétéchoisiparhasard:durantlesquatrepremièresépoquesdelaguerre,quandleshumainsessayaientdesedétruirelesunslesautres,lavillequisedressaitàcetendroitavaittoujoursétéconsidéréecommeuneciblenégligeable.Biensûr,lorsdes trois époques suivantes, celles où la Terre s’était rebellée, elle n’avait pas échappé auxtremblementsdeterre,auxtornadesouauxinondations.Maisquandlescataclysmesavaientprisfin,deshommesetdesfemmes,rescapés,avaientcommencéàreconstruire.Àmesurequenousapprochons,lesimmeublesmeparaissentdeplusenplusgrands.Cedoitêtre

enmêmetempsexcitanteteffrayantderegarderlemondedusommetdecestours.D’ailleurs,mêmelesmoinshautessont impressionnantes,avec leur silhouettecylindriquedemétaletdeverre. Il est

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impossiblededistinguer cellesquidatentd’avant laguerrede cellesquiont été édifiées plus tard.L’aérojetentamesadescenteetnousapercevons lesgensdans les rues.Descentaines,desmilliers.Quimarchent, courent, rient.Desvéhiculesvolantsde toutes les taillespartagent l’espaceavecdesbicyclettes et des vieilles voitures. La plupart des rues sont larges et parfaitement propres. C’estexactementcommeçaquej’imaginaisnotrecapitale,notreespoirpourlefutur.C’estainsiqu’unjourseront toutes les colonies.Mais à mesure que nous avançons, je découvre aussi des zonesmoinsreluisantes. Ici, les gens semblent fatigués etmal nourris.Certains donnent l’impressionde ne pass’êtrelavésdepuisdessemaines.Jemedemandepourquoi.Laplusgrandepartiedenotrepopulationseconcentreici,àTosu.Plusdecentmillepersonnesviventdanslacapitaleetavantaujourd’hui,jen’avaispasprislamesuredecechiffre.Tomasglissesamaindanslamienne.Danssonvisagepâle,sesyeuxsontécarquillés.Jenesuispaslaseuleàmesentirtoutepetiteetperdue.Michal nous annonce qu’il nous emmène directement au centre de Test. Pas de promenade

touristique pour nous. Pourtant, il prend soin de passer devant le Capitole et le département de laJustice, les deux endroits que Malachi souhaitait voir. L’aérojet passe sous une grande archesurmontéed’uneenseigneenferforgé:UniversitédelaCommunautéUnifiée.Voilà,nousysommes.Lesbâtimentsdebriquerougesontvieux.Ilyaunetouravecunehorloge,

d’autres édifices sont en verre, certains en pierre. Tout respire l’ancienneté et la sagesse. Uneimmense sculpture représente deuxmains jointes – en prière ? En attente ? Zandri le saurait sansdoutemaisjen’aipasenviedeparler,jeveuxjusteregarder.Nouspassonsdevantunstadeavantderalentir.L’aérojetseposeaupiedd’unebâtissetoutenverre

et fer noirs. Les fleurs, les buissons et les arbres plantés autour ne parviennent pas à atténuer sasévérité.Uneplaquedebronzeannonce:CentredeTest.Jedescendsdel’aérojet,unpoidsaucreuxdel’estomac.Unemainseposesurmonépaule.Tomas.

Soncontactm’aideàrepousserlapaniquequimenacedemesubmerger.–Tiens!Michalmetendmonsac.–Neleperdspasdevue,meconseille-t-ilàvoixbasse.Nosregardssecroisent.Lesienestgrave.Jedoisfaireattention.Puis,commes’ilnem’avaitriendit,Michallanced’unevoixforte:– Dès que votre arrivée sera enregistrée, vos chambres vous seront assignées. La plupart des

candidatssontdéjàarrivés.Lesautresserontlàdanslasoirée.Ilajouteavecungrandsourire:–Vousêtesprêts?Nousacquiesçons.Sinousne l’étionspas,çanechangerait rien.Michalcompose lecodesur le

clavierdelaported’entréeetnouslesuivonsàl’intérieur.Tomasestledernieràfranchirleseuil.Laporteserefermederrièreluidansunclaquementdeverrous.Nousdébouchonsdansuncouloirmaléclairé, à la peinture écaillée, au sol d’un gris terne.Deux chaises disposées dans un coin laissentimaginer que l’on peut s’asseoir pour discuter mais je doute que qui que ce soit le fasse. Nousarrivonsdevantunerangéed’ascenseurs.Jen’enaijamaisutilisémaisj’aiétudiéleurfonctionnementen cours. Une des portesmétalliques s’ouvre et nous nous engouffrons à l’intérieur. En quelquesinstants, nous arrivons au cinquième étage.Nous sortons et découvrons cette fois unvaste couloiravecdesampoulesélectriques,desmurspeintsenbleuetunsolcarrelédeblanc.Enface,derrièreuneparoideverre,desjeunesgensdenotreâgesontassisàdestables.Desdizainesetdesdizainesd’autrescandidats.Derrièreunimposantbureau,unetrèsgrossefemmes’éclaircitlagorge.Elleadelongscheveux

blancsetbouclésetdeslunettesrondes.Ellenoussouritetselèvepournousaccueillir.D’unevoixchaleureuse,ellenousfélicited’avoirétéchoisis.

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–Vousarrivezjustepourl’heuredurepas.Vouspouvezpasservousrafraîchirdansvoschambresouallerdirectementauréfectoire.Elledésignelagrandesallederrièrelaparoideverre.Jemedéciderapidement.–Jepréfèreallermangertoutdesuite.Si je vais dansma chambre, je n’aurai peut-être pas le courage de redescendre. Zandri semble

vouloir protester mais Tomas est d’accord avec moi, ce qui clôt le débat. Michal m’adresse unhochementdetêtediscret.Quandnousentrons,lesilencesefait.Noussommesobservés,jaugésetpuislesdiscussionsetles

bruits de couverts reprennent. Trois serveurs se tiennent derrière un buffet couvert de nourriture.Plusieurssortesdepain,despommes,desoranges,duraisin;unragoûtdebœufetdelégumes,descarottes et des oignons en saumure, d’épaisses tranches d’un poisson inconnu.Michal me soufflequ’ils’agitdesaumon.Suruneautretablesontdisposéslesdesserts.–Prendsuneassietteetsers-toidetoutcequitefaitenvie,merecommandeMichalensuivantson

propreconseil.Jechoisisunpetitmorceaudesaumon,descarottes,unepommeetunpainauxraisinsetauxnoix.

Justecequejepeuxmanger.Touslescandidatsn’ontpassuivicetterègle.Nombreuxsontceuxavecplusieursassiettesdevanteux.Ilsgoûtentunpeudetoutetlaissentcequineleurplaîtpas.Monpèrem’aapprisàrespecterlanourritureetàlapartageravecnosvoisins.Cegâchismecouperaitpresquel’appétit.Les tables les plus proches du buffet sont complètes. Nous traversons la salle sous les regards

curieux.Aprèsavoirposémonassiette,jemeretournejusteaumomentoùungarçonauxcheveuxenbatailleetau regardsournois tend la jambepour faireuncroche-piedàMalachiqui trébuche.Sonassiette s’écraseau soldansunbruit fracassant.SiTomasne l’avaitpas rattrapé,Malachi se seraitétalélenezdansleragoût.Gêné,ilmarmonnedesexcusesetcommenceànettoyermaisMichall’enempêche.–Cen’étaitpastafaute.Iljetteuncoupd’œilverslegarçonmalcoiffé,occupéàsegoinfrerd’uneénormepartdegâteau.–Prendsmonassiette,lance-t-ilàl’intentiondeMalachi.Jevaischercherquelqu’unpournettoyer.Lesyeuxbaissés,Malachiobéit.Sahonteestpresquepalpable.Jem’aperçoisque j’ai lespoings

serrés.Laragecourtdansmesveines.Dansmafamille,nousavonsapprisàdiscuterpourrésoudrenosdifférends,maisj’aiquatregrandsfrèresetjesaismebattre.–Cia,tonrepasrefroidit.Lesmots deTomas sonnent comme un avertissement.Nous sommes observés.Chacune demes

réactionsestjugée.Cen’estpaslemomentdemefaireremarquer.Maislevisagedececandidatestgravédansmamémoire.J’inspireprofondémentavantdeprendremafourchette.TomasdonneuncoupdecoudeàMalachi

et lui murmure quelque chose à l’oreille. Je ne sais pas ce qu’il lui dit mais il obtient l’effetescompté :Malachise reprendetcommenceàmanger.Michal revientavecunenouvelleassietteetnousnousmettonsàdiscuterdetoutetderien.Desbribesdeconversationsmeparviennentdestablesvoisines.Lesautressedemandentd’oùonvient.Certainsontd’ailleursdevinémais lamentiondesCinqLacsnerécoltequedesriresétouffés.Ilsnousconsidèrentmanifestementcommedesimbécilesdontilestinutiled’avoirpeur.Monangoissenecessedecroître.Jeparviensquandmêmeàmangertoutmonrepassaufmapomme.Lesaumonétaitprobablement

trèsbon,mais jen’étaispasdans lemeilleur étatd’espritpour apprécierdenouvelles saveurs.Unnouveaugroupeentredansleréfectoire.Ilssontsixets’installentjustederrièrenous.Ilssehâtentdemangeralorsquedesfemmesencombinaisoncommencentàdébarrasser.Unevoixretentitdans lasalle.

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–BienvenueàTosuetfélicitationàtous!Ilmefautquelquessecondespourrepérerleshaut-parleurs.Del’autrecôtédelavitre,lafemme

quinousaaccueillisparledansunmicro.–Vousêtesaujourd’huicenthuitmaisvingtd’entrevousaumaximumentrerontàl’université.Moinsd’unechancesurcinq.Unerumeurs’élèvedansleréfectoire.Certainssemblentconfiants,

voiretropconfiants,d’autress’étonnentavecinquiétudeduchiffrequivientd’êtreannoncé.–Puisque tout lemonde est enfin arrivé, reprend la femme, leTest commencera demainmatin.

Dansdixminutes,vousrejoindrezvoschambresquevouspartagerezavecunautrecandidat.Sil’onnevousenapasencoredésignéune,demandezàl’officielchargédevousescorter.Jevousconseilledevousreposercarvousaurezbesoindetoutevotreconcentrationdanslesjoursetlessemainesàvenir.Enmedonnantlafeuillesurlaquelleestnotélenumérodemachambre,Michalmefixequelques

secondes.C’estsafaçondemesouhaiterbonnechance.Àl’extérieurduréfectoire,lesgarçonssontdirigésversladroite,lesfillesverslagauche.Zandri

etmoi regardonsMalachietTomaspartirde leurcôtéavantdenouséloigner. J’ai lachambre34,Zandrila28.Prised’uneimpulsion,jelaserredansmesbras.Aucunedenousdeuxnesaitdequoidemainserafait.J’espèredetoutmoncœurqu’ellevaréussir.Ellemesurprendenmerendantmonétreinte.Quandelles’écarte,ellemesourit:–Onvaleurmontrerdequoionestcapables!–C’estsûr!Une fois seule, je remonte le couloir.Devant la porte 34, je retiensma respiration et je pose la

mainsurlapoignée.Puisjemedécideàouvrir.–Bonjour,m’accueilleunevoixclaire.Lachambreestgrandeetlumineuse.Ellecontientdeuxlits,deuxbureauxetdeuxchaises.Unefille

trèsjolie,svelteetauxlongscheveuxblondssetientprèsdelafenêtre.Ellemesourit.–JesuisRymedelacolonieDixon,seprésente-t-elle.–Bonjour,jesuisCia,desCinqLacs.Ellehausselessourcils.–DesCinqlacs!s’exclame-t-elle.Toutlemondeneparlaitquedevouspendantledîner.Ilparaît

quec’estlapremièrefoisdepuisdesannéesquedescandidatsdecettecoloniesontsélectionnéspourleTest.Certainsaffirmaientquec’estparcequ’elleétaitsurlepointdefermer.–Non,CinqLacsesttoujoursdebout.C’estjustequenoussommestoutpetits.–Dixonn’estpasgrandnonplus!Rymes’assoitsurundeslitsetramènesesjambessouselle.–Nousne sommesquequinzemille, poursuit-elle, c’était d’autant plus excitant quehuit d’entre

noussoientchoisiscetteannée.Sontonestgaietsincère.Jeluiretournesonsourire.Jeposemonsacetm’assoisfaceàellesur

l’autrelit.–Quinzemille colons, çame paraît énorme.AuxCinq Lacs, nous sommes un peumoins d’un

millier.–EtcombiendediplômésvontpasserleTest?–Quatre.Lamoitiédenotreclasse.Ellemeposedesquestionssurmacolonie,sasituationgéographique,legenredeplantesquel’on

yfaitpousseretlesanimauxquifréquententlazone.D’aprèssesindications,jesitueDixonàenvironcinq cents kilomètres au sud-ouest de chez moi. Apparemment, bien qu’elle soit plus grande, lacoloniedeRymedisposedemoinsderessourcesquelesCinqLacs.Peut-êtreest-ilplusdifficilede

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nourrir tout le monde quand la population est plus importante. Sans compter que la majorité descitoyenstravaillentàlafabricationdepilesetdematérielélectriqueaulieudecultiverlaterre.Rymevientd’unefamilled’agriculteursetneconnaîtdoncpaslafaimmaisellem’expliquequecen’estpasle cas de ceux qui vivent dans le centre-ville. Ses parents comptent utiliser l’argent que legouvernement verse aux familles des élèves sélectionnés pour créer des équipements de stockagealimentaire dont pourront bénéficier tous leurs voisins. Elle est fière de participer à cette action.Mêmesij’avaisprévudegardermesdistancesaveclesautrescandidats,jemerendscomptequejel’appréciedéjà.Nousdiscutonspendantplusd’uneheure.Sonbraceletestgravéd’untriangleavecunAmajuscule

àl’intérieur.Ellen’estpasdansmongroupe.Elleproposedem’aideràrangermesaffairesmaisjerefuse.–Jen’aipasl’intentiondedéfairemonsac.OnnesaitpascombiendetempsleTestdurerapour

chacund’entrenous,n’est-cepas?Elleacquiesce,pensive.Dans son placard, elle a déjà accroché deux robes. Ma mère aimerait les vêtements qu’elle a

choisis. Parfaits pour faire bonne impression. Nous passons à la salle de bains et enfilons nospyjamas avant de nous coucher.Rymemedemande si nous pouvons garder les lumières alluméesencoreunmoment.Assiseentailleursursonlit,ellefeuilletteunalbumphoto.Jesensqu’elleestsurlepointdepleureretj’aimeraislaconsoler.Mafamillememanqueàmoiaussi.Àcetteheure-là,mamère,assisedevant lacheminée,meposedesquestionssurma journée.Monpère,penchésurunetable,unpeuàl’écart,réfléchitàdenouveauxprojets.Mesfrèresetmoi,leplussouvent,jouonsauxcartes.Jemeglissesouslescouverturesetjefermelesyeux.Soudain,ellemelance:–Situasfaim,j’aiapportédesbiscuitsaumaïsdechezmoi.Jelesaifaitsmoi-même.Jem’endorsavecmonsacserrécontrelapoitrine.

Jesuisréveilléeparleshaut-parleursquiannoncentquenousavonsuneheurepournoushabilleretdéjeuneravantlapremièreépreuve.Monsommeilaété troublépardesrêvesquej’aidéjàoubliés.J’enfileunpantalon foncé,une tuniquecrèmeetmesbottinesavantde fourrermonpyjamaetmesvêtements de la veille dansmon sac.Rymem’observe en fronçant les sourcilsmais ne fait aucuncommentaire.Elleporteunerobeàfleursjaunesetdessandalesvernies.Elles’estmêmelégèrementmaquillée.J’entendssonestomacgargouillermaisjeremarquequ’ellesegardebiendemangerlesgâteauxqu’ellem’aproposéslaveille.S’ilenrestetoujoursneufcesoir,jesauraiquejenepeuxpasluifaireconfiance.Jevérifiemonsacunedernièrefoisetnoussortonstouteslesdeuxdanslecouloir.Elleignoreles

invitationslancéesdeplusieurstables.J’ignorepourquoielleresteavecmoimaisjesupposequ’elleestcurieusederencontrerd’autreshabitantsdesCinqLacs.D’aprèscequej’aientenduhiersoir, ilsemblequelesautrescoloniesontlemoyendecommuniquerentreelles.CelledesCinqLacs,isolée,estunvraimystèreàleursyeux.Jeme sers de framboises, de tranches demelon, de roulés à la cannelle et de deux tranches de

bacon. Ryme me taquine et affirme que le stress me coupe l’appétit. Elle empile une dizaine depancakes, puis prend des gaufres, desœufs, des saucisses et des frites. Nous ajoutons chacune unverredelaitsurnotreplateau.Jecherchedesyeuxmescamarades.Ilssesontassisàlatablequenousoccupionshieretilsnesontpasseuls.Ondiraitqu’euxaussiontgagnédespassagers.MalachietZandrinousprésententBoydetNicoletteavecquiilspartagentleurchambre.Ilsonttous

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lesdeuxlesyeuxbrunsetlapeaumate.Jenesuispasétonnéed’apprendrequ’ilsviennentdelamêmecolonie,PineBluff.BoydestdanslemêmegroupequeZandri,maisjen’arrivepasdéterminerceluideNicoletteàcausedelamanchedesarobequirecouvrepartiellementsonbracelet. Ilmesemblenéanmoinsdistinguerlaformed’uncœur.Commemoi,Tomasagardésonsacaveclui.Unbontiersdescandidatsafaitdemême.Jepicoremesfruitsenessayantdenepaspenseràcequinousattend.Sijenesuispasprêtemaintenant, jeneleserai jamais.Pourmedistraire, j’écoute lesautresdiscuter.Nicolette et Boyd sont cousins. Leurs deux familles gèrent une rizière et ont récemment eu desdifficultés avec leur système de distribution d’eau. Je n’ai jamais goûté de riz dema vie et je neconnaisrienàsaculture.Enrevanche,jesuistrèsintéresséeparlessystèmesd’irrigationetjefinisparmemêleràlaconversation.Notre échange est passionnant. Je sursaute quand les haut-parleurs annoncent que les candidats

doiventrejoindrelesascenseurs.Monpetit déjeuner tourbillonnedansmonestomac.Tomasmeprend lamain et la serredans la

sienne.Est-ilaussinerveuxquemoi?Jen’ensaisrienmaislachaleurdesapeaumecalmeunpeu.Presque toutes les autres filles portent des robes. Sans Tomas à mes côtés, je me sentirais

horriblement seule avec mon vieux pantalon et mes grosses chaussures. Il est habillé à peu prèscommemoiet jesaisqu’aumoins,quelquesoit legenred’examenquinousattend,nousseronsànotreaisedanslesheuresquiviennent.Desofficiels,vêtusdecombinaisonsvioletetrougefoncé,nousguidentjusqu’autroisièmeétage.

Tomas me tient toujours la main et quelques autres candidats nous jettent des regards entendus.Lorsquej’essaiedelelâcher,ilmeserreplusfort.Jenesaispaspourquoiilprendsoindemoimaisj’ensuisheureuse.Ilm’aappeléesonpartenaire.Soncontactnemelaissepasindifférente.Autroisièmeétage,d’autresOfficielsnousaccueillentetnousemmènentdansunamphithéâtreoù

destablesetdeschaisessontalignéesfaceàuneestradeéclairée.Unhommebarbunousyattend,unmicroàlamain.Tomasetmoiprenonsplacedanslefond.Ilnem’apaslâchée.JechercheZandrietMalachides

yeux,envain.Desofficielssepostentdechaquecôtédelasalle.L’hommeprendlaparole.–BienvenueàTosu.JesuisledocteurJedidiahBarnes.Mescollèguesetmoi-mêmesommestrès

honorésdevousrecevoir.Sivousêtesici,c’estquevousêteslesmeilleursetlesplusbrillantsélèvesdevos colonies respectives.L’avenir de laCommunautéUnifiée repose survos épaules.Vous êtesnotrefutureéliteetc’estlaraisonpourlaquellevousdevezêtretestés.Quelquescandidatss’agitentsur leursiège.Nervosité?Excitation?Jeressenspourmapartune

combinaisondesdeux.–LeTestestcomposédequatreparties,reprendl’homme.Lesdeuxprochainsjourssontconsacrés

aux examens écrits et nous permettront d’évaluer vos connaissances en histoire, en sciences, enmathématiques et en littérature. Vous devrez également faire preuve de logique et résoudre dessituationshypothétiques.Àpartirdecesrésultats,nousferonsunepremièresélection.Latensiondanslasallemonted’uncran.–Ladeuxièmepartieconsisteendestravauxpratiquesaucoursdesquelsvousdevrezappliquervos

connaissances.Lesmeilleurspourront alors passer à l’étape trois.Cette fois, vousdevrezmontrervotrecapacitéàtravaillerenéquipe,etenfin,l’épreuvefinalemesureravostalentsdemeneuretvotrerapiditédedécision.Ceuxquiaurontobtenulesmeilleuresnotesàcesquatreexamensserontévaluéspsychologiquement et sur la base de tous ces renseignements, nous choisirons les futurs étudiants.CesderniersnousaiderontàrestaurerlaplanèteetàrendreànotreTerresagloirepassée.L’objectifestambitieux,maisj’aientenduleplusgrandbiendevoustous,enparticulierd’unecertainecoloniequenousn’avionspaseuleplaisirderecevoirdepuisdetropnombreusesannées.QuelquesétudiantssetournentbrièvementversTomasetmoi.D’aprèsmacamaradedechambre,

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nousexcitionslacuriositécartoutlemondesupposaitquelesCinqLacsn’existaitplus.Sid’autrescolonies s’étaient faites aussi rares ces dernières années, elle les aurait mentionnées. En nousdistinguant ainsi des autres, le docteurBarnes vient de nous peindre une cible dans le dos.Veut-ilencouragernosconcurrentsànouspiégerouseulementànousisoler?Une femme mince en combinaison orange l’a rejoint sur l’estrade. Elle se présente comme le

professeurVéronaHolt.–Jevaisàprésentvousameneràvossallesd’examen,annonce-t-elle.Quandlesymboledevotre

groupe apparaîtra sur l’écran derrière moi, vous êtes priés de rejoindre les ascenseurs. Je voussouhaitebonnechanceetj’aihâtedetravailleravecvousdanslessemainesàvenir.Unécransedéroulecontrelemuretuncœurnoirapparaîtdessus.Dansuncrissementdechaises,

desétudiantsselèvent.JerepèreNicolettequi,avecunevingtained’autres,sedirigeverslecouloir.Plusieursminutess’écoulent.Pendantquecertainsmurmurententreeux,jeretiensmarespiration.Un triangle.C’estau tourdeRymeetMalachi.Cederniera les lèvrespincées. Je lui adresseun

signed’encouragementmaisilnemevoitpas.De nouveaux murmures s’élèvent. Mon cœur bat au rythme des secondes qui passent. L’écran

clignote.Unsymboleapparaît.Lemien.Tomasprendunecourteinspirationetjemerappellequenoussommesdanslemêmegroupe.Je

suissûrequesesrésultatsnousferonttouspasserpourdesidiots,maisjesuiscontentequ’ilsoitlà.Notregroupeestbeaucouppluspetitquelesautres.Nousnesommesquedix.Est-ceunbonouun

mauvais signe ? Les officiels qui nous accompagnent ne me laissent pas l’opportunité de m’eninquiéterpluslongtemps.Lafemmeblondenousdemandedelasuivre,l’hommefermelamarche.Nousentronsdansunesalleblancheauxpupitresnoirs.Commedanslescauchemarsdemonpère.

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CHAPITRE6

J’essaie de respirer calmement et jeme force à avancer. Si les cauchemars demon père ont lamoindreréalité,queva-t-ilm’arriver?Maisjemereprends.L’angoissenem’aiderapasàréussirl’examen.Jedoismeconcentreretme

détendre. Du coin de l’œil, je vois Tomas qui m’observe avec inquiétude. Je lui souris pour lerassurer.Jevaisbien.Toutvabien.Mon groupe ne comprend qu’une autre fille. Elle a de longs cheveux noirs et sa robe blanche

tranchesursapeaufoncée.Ellesetienttrèsdroiteetregardedevantelle.Lesgarçonssonttoutaussitendus.Ilssontplutôtfrêles,àpartunrouquindont lesmusclesrévèlentunevieenpleinair.Alorsquejemedemandedequellecolonieilvient,unhommechargéd’unepilededossiersentredanslasalle.Lepapierestunedenréeprécieusecarbeaucoupd’arbresontétédétruitsdurantlesSeptÉpoques

delaguerre.Àl’école,nousutilisionslemoindreespaceblancdenosfeuilles.Lepapierusagéestsystématiquementenvoyéàl’usinederecyclage.L’officielsedéplacesilencieusemententrelestablesetydéposelessujetssansjamaisregarderles

candidatsdanslesyeux.Lemot«Histoire»estinscritsurlacouverturenoiredelachemise.Danslecoinàgauche,lemêmesymbolequesurmonbracelet:l’étoileàhuitbranchesetl’éclair.J’aihâtededécouvrircequ’onnousaconcocté,maisj’attendssagement.L’officielaterminéladistribution.Surl’estrade,sansprendrelapeinedeseprésenter,ilénonceles

règles:–Vous devez compléter ce questionnaire dumieux que vous pouvez. Si vous avez besoin d’un

verred’eau,levezlamainetilvousseraapporté.Sivousavezbesoind’allerauxtoilettes, levezlamainetunofficielvousescortera.Vousavezquatreheures.Il appuie surunboutonetunehorlogedescendduplafond.Elledécompte le tempsquinousest

impartienchiffresdigitaux.Lesdoigtstremblants,j’ouvreledossieràlapremièrepage.Question:ExpliquezlaPremièreÉpoquedelaguerre.Réponse:Après l’assassinatduPremierministreChaeet l’effondrementdel’AllianceAsiatique,

lesreprésentantsdesautresnationssesontlivrésàuneluttedepouvoiracharnée.UneguerrecivileenadécouléetlesÉtatscoréensontétélacibledebombardementsquiontdétruitunemajeurepartiedelapopulationetprovoquél’explosiondedeuxréacteursnucléaires.Question:Nommezlesdeuxpremièresgrandesvillesnord-américainesdétruitesparlacoalition

duMoyen-Orient.Réponse:WashingtonDCetBoston.Question:Quelgroupeaétélepremieràdéclarerlaguerreàl’AllianceNord-Américaine?

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Réponse:Lacoalitionsud-américaine.J’écrissansm’arrêter.Enespérantnepasmetromper.Enespérantquelesdétailsquejementionne

sontceuxqu’attendlecomitédeTest.J’inventorielesguerres,lesvillesdétruites,lestremblementsdeterre, les inondations, les ouragans radioactifs. Tous les événements qui ont réduit la populationmondialeàuneinfimefractiondecequ’elleétaitauparavant.Commeàchaquefoisquej’ypense,jesuis ébahie et émerveillée que des gens aient survécu après ces cataclysmes. Et plus encore quecertainsd’entreeuxaienteulaconvictionqu’ilspouvaientredonnervieàlaplanète.Jecitelenomdecet ingénieur des Cinq Lacs qui a créé une herbe génétiquementmodifiée capable de pousser surnotreterrepolluéeetmourante.Jeparledetousceuxquisesontbattuspouréchapperauchaosetàl’anéantissement.Jejetteuncoupd’œilàl’horloge.Troisheuressesontécoulées.Jetournedoucementlatêtepour

medétendrelecou.J’agitemesdoigtsraidesd’êtrerestéscrispéssurlecrayon.J’hésiteàdemanderunverred’eaumaisjenelefaispas.Jeneveuxsurtoutpasperdredeprécieusesminutesenallantauxtoilettes.Pastantquejen’aipasréponduàtouteslesquestions.Noms.Dates.Nouveauxaliments.Technologiesperdues.Échecs,morts.Toutcequim’afinalement

permis d’être assise sur cette chaise. Je fatigue, ma vision se brouille, mais je me force à resterconcentréepourrépondreàunmaximumdequestions.J’arriveàladernièrepagequandunesonneriesourderetentit.– L’épreuve est terminée, refermez les dossiers et posez vos crayons. Des officiels vont vous

escorterauxétagessupérieurs.Mesmembressontengourdis.Jeplieetdéplie lesgenouxunedizainedefoisavantdemelever.

Quandnousarrivonsau réfectoire, jemesensdéjàunpeumieuxmais l’idéedeme rasseoirpourmangernemefaitpasdutoutenvie.Malgrétout,jesaisquemoncerveauabesoindecarburant.Jeremplisdoncmonassietted’unetranchederôtidebœuf,d’unecuilleréede légumesvertsetd’unedemi-tomategrilléeavantderejoindrelesautresàlatablequenousoccupionshiersoiretcematin.Latensionquirègnedanslasalleestpalpable.Toutlemondediscutedel’examen,serepasseles

questions et doute de ses réponses. C’est bien le président Dalton qui a ordonné les premiersbombardementssurLondres?C’estlepremiertremblementdeterredel’ÉpoqueCinqdelaguerrequiaprovoquélagrandeinondationdel’ÉtatdeCalifornieouledeuxième?Unefillesemetsoudainà pleurer. Deux autres se tapent dans les mains en signe de triomphe. J’essaie d’ignorer cesmanifestationsd’émotionsetjefaismonpossiblepourdétournerlaconversation.Zandrisautesurl’occasion.Ellenousparledescroquisqu’elleafaitsdenotrebrefaperçudeTosu

la veille. Bientôt, nous nous mettons tous à énumérer ce que nous avons découvert depuis notredépart.ToussaufTomas.Ilsouritetfaitsemblantd’écoutermaissesyeuxsontfixéssurlegâteauaucitronqui trôneaumilieudesonplateau.Lestress l’aurait-il faitéchouer?J’essaiedecroisersonregard,envain.Nous sommes autorisés à retourner dans nos chambres pour nous rafraîchir. Je recompte les

gâteauxaumaïsdeRyme.Ilyenatoujoursneuf.C’estàprésentl’heuredudeuxièmeexamen.Descrayonsbientaillésnousattendentsurnostables.

Les sujets sont distribués.Mathématiques. Un officiel nous récite le même discours que le matin.L’horlogeréapparaîtetnouscommençons.Je travailleaccompagnéepar lescrissementsdesminessurlesfeuillesetlesbruitsdegommagesfrénétiques.Si je termineunesection troprapidement, je revérifie trois foismescalculs.Si,aucontraire,un

problèmemeprendtropdetemps,j’ail’impressionquelessecondesdéfilentdeplusenplusvite.Jen’osepas lever lesyeuxdepeurdevoirunautrecandidat lesbrascroisésdevant luiparcequ’il aterminé.Quandlasonnerievrombit,ilmeresteencoretroispages.Jesuisdésespérée.J’aiéchoué.J’aidumalàrésisteràl’enviedemendierquelquesminutessupplémentaires.M Jorghensmelesme

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auraitaccordées.Elleaimaitquenousfassionspreuvedepersévéranceetdedétermination.Maisici,seullerésultatcompte.Nousavonsdroitàtrenteminutesdansnoschambresavantl’heuredudîner.Jen’aiqu’uneenvie:

m’enfouirsouslescouverturesetneplusjamaisvoirpersonne.MaisRymeestlà.Etalorsquejesuisuneépave,elleestaussifraîchequecematin.–Commentças’estpassépourtoi?medemande-t-elle.J’aitrouvélapartiesurl’histoireunpeu

simpliste,pastoi?Jerepenseàladernièrepagequejen’aipaseuletempsderempliretjehausselesépaules.–J’espèreavoirréussiàdirel’essentiel.– Les exercices de maths étaient un peu longs, mais franchement celui qui ne connaît pas les

différenciationsn’arienàfairelà!Cettepartiesetrouvaitaumilieu.Aumoins,jel’aifaite.C’estdéjàça.Ryme me tend l’assiette de gâteaux au maïs, mais je refuse. Elle repose son offrande sur son

bureau.– Je pensais que ce serait plus difficile. Comment comptent-ils réellement se débarrasser des

incapables?Son souriredepitiémedonneenviedevomir. Il est évidentqu’ellepenseque je faispartiedes

«incapables».Jesuisfinalementsoulagéequandleshaut-parleursnousannoncentqueledînerestservi.Jefaisà

peineattentionàcequejemetsdansmonassiette.Tomasestseulàlatable.Jem’assoisàcôtédelui.–Commentças’estpassé?medemande-t-il.Dans le cliquetis des couverts, tout lemondeparle assez fort. Il y a ceuxqui se vantent d’avoir

survolél’examenetceuxquiselamententd’avoirraté.Personnenefaitattentionànous,jepeuxmepermettreuneréponsehonnête.–Jen’aipaseuletempsdeterminer.Ilmesouritetsepasselamaindanslescheveuxavecunsoupirdesoulagement.–Jepensaisêtreleseul,m’avoue-t-il.Jenesaispascommentilsimaginentqu’onpeutrépondreà

autantdequestionsenaussipeudetemps.Aprèslesmaths,j’aicruquemoncerveauallaitfondre.Jerisetjesenslatensionquittermoncorps.SiunélèveaussibrillantqueTomasn’apaseuassez

detemps,jedoutequebeaucoupaientréponduàtouteslesquestions.Malachi,Zandrietleurscamaradesdechambrenousrejoignent.Leursyeuxreflètentl’inquiétude

etlafatigue.J’hésiteunedemi-secondeetjerepenseausoulagementdeTomasetaumien.C’estcequimedécide.–Jenesaispaspourvous,maisjen’aiterminéaucunedesdeuxépreuves.Ilsmedévisagent,lessourcilsenarcdecercle.Nicoletteestlapremièreàadmettre:–Moinonplus.–Moinonplus,intervientMalachiavantdesetournerversBoyd.Ettoi?Soncamaradedechambresecouelatête.–Ilmerestaitcinqpagespourlesmaths,reconnaît-il.–Moicinqetdemie,lanceZandri.Deux candidats à la table derrière nous se retournent. Ils sont jumeaux,minces, blonds, la peau

claire et deux paires d’yeux verts identiques. Seule la longueur de leurs cheveux permet de lesdifférencier.Celuiàlaqueue-de-chevalplisselenez.–Vousn’avezpasterminél’examen?Jememords l’intérieur de la joue. J’espérais que personne ne nous entendrait. Je prendsmon

courageàdeuxmainsetjelèvelementon.–Ilyavaittropdequestions.J’aipresqueréussienhistoiremaisj’aiperdubeaucoupdetempsà

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revérifiermesréponsesenmaths.Lesjumeauxseregardent.Sansunmot,ilsprennentleurassietteetviennents’asseoirànotretable.

Celuiquiavaitdéjàprislaparolesourit.–C’estvraimenttropcoold’entendreenfinquelqu’unquioseledireàhautevoix.Çafaitdubien!Ilmetendlamain.–Moi,c’estWill,monfrère,c’estGill.OnestdelacoloniedeMadison.MadisonestàseulementquelquesheuresdesCinqlacs.Monpèreyestdéjàalléplusieursfoisces

troisdernièresannées.Jesaisqueleursrécoltesmeurentàcaused’unepollutionspécifiquedanslaterre.Àlamanièredontlesjumeauxontempilélanourritureetvuleurmaigreurmaladive,jedevinequ’ilsn’ontpastoujoursmangéàleurfaim.Ilssontdrôlesquandilsracontentenriantqu’onauraitdûlesautoriseràpasserleTestensemble.Chezeux,toutlemondeaffirmequ’ilsontunseulcerveaupour deux.Gill est excellent enmaths et en sciences,Will est lemeilleur en littérature, histoire etlanguesétrangères.Pendantquenouscomparonsnosréponsesauxexamens,WilletGillnecessentdemanger.Puisils

nousdécriventleurcolonieetnousparlentde leur famille.Leurpère travailleà l’usineàpapieretleurmèredansunefermelaitière.Commecelledenombreuxhabitantsdeleurcolonie,leurvien’estpas facile, mais ils sont optimistes et pleins d’entrain. Ils nous régalent d’anecdotes, comme lapremière fois où ils ont essayé de traire une vache, ou les difficultés de leur propre famille à lesdifférencier jusqu’àcequeGilldécidedesecouper lescheveux.Nouspartageonsànotre tourdeshistoires denotre enfance et, à chaque nouvel éclat de rire, de plus en plus de visages envieux setournentversnous.Mais c’est si bon. Nous nous sentons mieux, moins fatigués. À la fin du dîner, la plupart des

candidatsdisparaissentdans leurchambremaisnousdemandonsà resterunpeuplus longtempsauréfectoire.Aucund’entrenousn’aenvied’abrégertropviteleréconfortd’unmomententreamis.Tomasetmoichantonsensembleunechansonquenousavonsappriseàl’école.Lesparolesparlent

d’espoiretderenouveau.Nosvoixsemêlentetemplissentlagrandesalle.Lesofficielschargésdenettoyers’arrêtentpournousécouter.Nousregagnonsnoschambresd’unpasplusléger.Jeparviens à resterdebonnehumeurmêmequandRymeexprime son soulagementdevoir une

partiedescandidatsréexpédiéschezeuxlelendemain.Jepasseunenuitcalmeetsansrêve.Au petit déjeuner, nous avons tous l’air reposésmais tendus. Prêts pour un nouveau round. Ce

matin,c’estsciences.Tablespériodiques,formuleschimiques.Lespremièresquestionssontfacilescomparéesàcelles

qui exigent des explications scientifiques sur le processus de mutation des insectes et des autresanimauxmodifiésquipeuplentmaintenantlaplanète.Enrevanche,monexpériencepersonnellem’estd’unegrandeaidepourlapartiesurlesplantes.Jen’aipasvraimentlamainvertemaisjecomprendsparfaitement les concepts qui permettent de créer des hybrides et les facteurs concourant à leursuccès.Malgrétout,letempss’écouletropvite.Jelaissedeuxpagesviergesderéponse.Aprèsledéjeuner,

nous attaquons « littérature et langues ». Mes yeux sont douloureux, mon corps perclus decourbatures,maiscettefois,jetermineentièrementletest,dixminutesavantlafin.Au lieu d’en éprouver du soulagement, je suis submergée par un sentiment de panique. J’ai

forcémentrépondutropvite,jemesuistrompéeoubienjen’aipassuffisammentdéveloppé.Jesuisprêteàrouvrirlefasciculepourtoutrevoirdepuisledébutmaisjemerappellecequemesparentsme disaient quand ils m’aidaient à préparer une interrogation. « Prends ton temps et fais-toiconfiance.Tuconnaistoncours,cequitevientàl’espritestlabonneréponse.»Je reposemoncrayonet jecroise lesbrassurmonpupitre.Àcôtédemoi,Tomasfait lamême

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chose.Ilmesourit.J’adoresesfossettes.Encore cinq minutes. Quatre, trois, deux… les crayons s’agitent, des visages se lèvent vers

l’horloge.Lasonnerieretentit.LapremièrepartieduTestestofficiellementterminée.Onnousescortejusqu’auxascenseurs.Quelquesélèvessetapentdanslesmains.Jesuisfatiguéeet

soulagée.J’aifaitdemonmieux.Avantdesortirdelacabine,Tomasserrebrièvementmamaindanslasienne.Puisils’éloigneaveclesautresgarçons.JesuisdéçuedevoirqueRymeestcettefoisencorearrivéeàlachambreavantmoi.Elleestassise

àsonbureau,penchéesurunobjetqu’elleaprobablementapportédechezelle.Ilyatoujoursneufbiscuitsdansl’assiette.Ellesetourneversmoi,unsourireéclatantmaisunpeucrispéauxlèvres.–Alors,commentças’estpassé?melance-t-elle.Aprèsavoirposémonsacsurmonlit,jedécidederépondrehonnêtement.–Jen’aipasréussiàterminerlessciences.Rymeplisselesyeux.Ellesemordlalèvreetm’observesansriendirependantunebonneminute.

Elleessaieprobablementdedevinersijeluiaiditlavérité.Elledoitsupposerunemanœuvredemapartpourluifaireavouerseséventuelséchecs.C’esttrèscertainementcequ’elleferaitàmaplace.Ellefinitparhausserlessourcils,cequiluidonneunairsournois.– Je suppose que les écoles desCinqLacs ne sont pas aussi performantes que celles deDixon.

Dommagepourtoi.Ondiraitquel’uned’entrenousneserapluslàdemain.Jeserrelepoingsifortquemesonglesmeblessentlapaume.Lacolèrem’envahitetjenepeuxpas

m’empêcherdelarembarrersèchement:– Nos professeurs étaient excellents ! Tomas et moi avons fini la littérature et les langues dix

minutesavantl’heure!Ettoi?Sonexpressionmerévèlequecen’estpassoncasetjelatoisesanspitié.–Tuassansdouteraison,l’uned’entrenousneserapluslàdemain!Dommage!Etn’oubliepas

tesbiscuitsenpartant!Montonestméprisantcommequandmesfrèresseliguentcontremoietquemonseulmoyende

défenseestd’essayerdelesrabaisser.Maissoudain,macolèreestremplacéeparlahonte.J’attendsqueRymem’envoiebaladermaisriennevient.Ellealatêtebaissée.–Jesuisdésolée,jemurmure.Quandelleseredresse,ellesourit.–De quoi ? Tu essayais juste de te rassurer après avoir reconnu que tu ne t’étais pas très bien

débrouilléecematin.C’est toujourscequefaisaient lesélèves lesmoinsbonsàmonécole.Jesuishabituée.Argh.Cette fillecherche lesgifles.Pourm’empêcherde faireungesteque je regretterais, jeme

laissetombersurmonlitetjefermelesyeuxjusqu’àl’annoncedudîner.Àpeineleshaut-parleurscommencent-ilsàgrésillerquejesorsentrombedelachambre.

Au réfectoire, l’ambiance est festive. Tout le monde est fatigué mais manifestement heureuxd’avoirterminélapremièreétape.Lemenun’estsansdoutepasétrangeràcettegaieté.Pizza.Chaudeetmoelleuse,c’estlameilleurequej’aiejamaismangée.J’endévoresixparts.Monestomacestsurlepointd’exploser.Lesjumeauxnousracontentdesblaguesetnoussommestousécroulésderirequandlehaut-parleurcrépite.–MalenciaValeestdemandéedanslehall.Merci.Leréfectoiredevientimmédiatementsilencieux.Moncœurbatàtoutrompredansmapoitrine.Les

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officiels ont-ils déjà décidé que j’avais échoué ? Je suis immédiatement le centre de l’attentiongénérale.Jedoisavoirl’airterrifiécarTomasmeprendlamainetmurmure:–Tuvasvoir,ilsvonttedemanderdedevenirprofd’universitéaulieud’étudiante.Netefaispas

avoiretdemandeungrossalaire.J’esquisseunsourireforcéetjemelève.Alorsquejetraverselasalleavecraideur,touslesyeux

sontfixéssurmoi.Dans le couloir, mon sac serré contre ma poitrine, je me demande avec appréhension ce qui

m’attend.–MalenciaVale?La voix m’est familière. Je me retourne pour découvrir le docteur Jedidiah Barnes. Il est

accompagnédedeuxofficielsvêtusdeviolet.Jeparviensàarticuler:–Toutlemondem’appelleCia.–Lesdeuxsontjolis,sourit-il.J’aimerais répondre quelque chose mais c’est comme si ma voix était coincée au fond de ma

gorge.Heureusement,ilreprend:–Pardonne-moidetedérangeraumilieudetondînermaisdesamisdeRymeReynaldontexprimé

desinquiétudesàsonégard.Quandl’as-tuvuepourladernièrefois?Ils’agitdeRyme.Çan’arienàvoiravecmoi.OuavecunéventueléchecauTest.Lesoulagement

m’envahitetjeretrouvemavoix.–Elleétaitàsonbureauquandjesuispartiedîner.–Commentétait-elle?Arrogante.Exaspérante.Irrationnellementagressive.–Unpeustressée,jedirais.LedocteurBarneshochelatête.–Seizeheuresd’examensendeuxjoursstresseraientn’importequi.Touslesans,nousdébattons

poursavoirs’ilneseraitpasmieuxd’étalerlapremièrepartieduTestsurunesemaine.Maisavoirtropdetempspourréfléchirestégalementsourcedestress.Ilsoupire.–Accepterais-tuquenousjetionsuncoupd’œildanstachambre?M Reynaldasansdoutetout

simplementdécidédesauterunrepas,maisnousaimerionsnousassurerquetoutvabien.–Biensûr.Vouspouvezyaller.Cen’estpasvraimentmachambre,detoutefaçon.–Enfait,reprend-il,nousavonsbesoindetoi,laloiinterditauxofficielsd’entrerdanslachambre

d’uncandidatensonabsence,saufencasd’urgencebiensûr.Jesuiscontentequelesexamensn’aientpasportésurlesloisparcequejen’avaisjamaisentendu

parlerdecelle-là.AgacéequeRymem’obligeàvivrecettedésagréableexpérience,jemedirigeversnotrechambreaupasdecharge,ledocteurBarnesetlesdeuxofficielssurlestalons.Je tourne lapoignée, jepousse laporte et j’entre.L’odeur, unmélanged’urine et debiscuits au

maïs,m’assaillelesnarines.Etpuis,jelavois.Sespiedssebalancentdoucement.Elleestpendueauplafond,unecordecoloréeautourducou.Sonvisageestécarlateetgonflé,sesyeuxexorbités.Dusang coule au niveau de sa gorge. Elle a dû se débattre. Instinct de survie ou regrets de dernièreminute.Jehurle.Rymeestmorte.

lle

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CHAPITRE7

Desbrasmesoutiennent.Onmeramènedanslehall.Onmedemanded’attendreetdesofficielsencombinaisoncourentdanstouslessens.Jeserremonsaccontremoi.UnbrancardpasseaveclecorpsdeRyme.Elleatoujourslacordeautourducou.C’estenfaitlarobequ’elleportaitlaveillenouéeavecundrap.Jevomis.Meslarmesruissellentsurmesjoues.Jepleuresurelleetsurmoiquin’aipassudéceler

sondésespoirsoussafaçadehautaine.Est-cequemadernièreréflexionaétélagoutted’eauquil’apousséeàpasseràl’acte?Aurais-jepulasauveravecunmotd’encouragement?–Cia?LedocteurBarnesmetientparlesépaulesetmeregardedanslesyeux.Jeremuelatêtepourlui

montrerquejel’aientendu.–Onvatedonnerunenouvellechambre.Est-cequetuasenviedeparler?Non,maisjevaislefaire.Illefaut.Jeluiracontetoutcequis’estpasséentreRymeetmoiunpeu

plustôt,jeluiparleaussidesbiscuitsetdemessoupçons.Ilm’écouteattentivement,sansmejugernim’interrompre.D’unsignedetête,ilm’encouragesansjamaisselaisserdistraireparlesofficielsquinettoientlesoletdiscutentàvoixbasse.Quandj’aifini,jemesensvide,cequiestmieuxqued’êtretorturéeparlaculpabilité.Ledocteur

Barnes m’assure que je n’ai aucune responsabilité dans la mort de Ryme. Certains candidats ontparfois dumal à gérer leur stress. Il arrivequ’ils ne parviennent plus àmanger, d’autres font desinsomnies. Ryme, elle, s’est ôté la vie. C’est une tragédie mais finalement, c’est mieux pour laCommunauté. Elle n’aurait pas été capable de supporter la pression inhérente aux hautesresponsabilitésquiattendentceuxquipassentleTestavecsuccès.C’estunévénementregrettable,biensûr,maisquiaunsens.IlespèrequelechoixdeRymedenepaspoursuivreleTestneremetpasenquestionmapropremotivation.SonchoixdenepaspoursuivreleTest?LesmotsdudocteurBarnesmeglacent.Unofficielvient

m’informerquemachambreestprête.Jemeforceàsourireetj’assureaudocteurBarnesquejevaisbienetqueluiparlerm’abeaucoupaidée.Maisc’estunmensonge.Malgréladouceurdesonton,j’aiperçusonindifférence.Pourlui,toutçafaitpartieduTest.Rymeaéchouéetsijenefaispasattention,j’échoueraiaussi.Manouvellechambresetrouvetoutauboutducouloir.Lesmursjaunesmerappellentlarobeque

Rymeportaitquandjel’aivuepourlapremièrefois.L’officielmedemandesiçam’ennuiedenepaspartager ma chambre. Si je n’ai pas envie d’être seule, une femme du personnel sera heureused’occuperledeuxièmelit.Non,jen’aipasenvied’êtreseule.Jen’arrivepasàmedébarrasserdel’imagedeRymependueau

plafond,lesjambessebalançantdanslevide.Sijefermelesyeuxouquejem’endors,ceserapire.

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L’idée de rester seule me donne envie de me recroqueviller sur moi-même et de ne plus jamaisbouger.Mais les mots du docteur Barnes résonnent encore à mes oreilles. Ici, on ne teste pas que nos

connaissances.Si jedemandedel’aide,ceseraunaveudefaiblesse.L’élitenepeutfairepreuvedefaiblesse.EtlebutduTestestdesélectionnerl’élite.Jeremercie l’officielenaffirmantquejen’aibesoindepersonne.Ilmerépondquesi jechange

d’avis,jen’auraiqu’àprévenirl’officielaubureaud’accueil.Etsijeledésire,onpeutmefournirdessomnifèresoudescalmants.Jerefuseetils’enva.Hormislacouleurdesmurs,manouvellechambreestl’exacterépliquedecellequejepartageais

avecRyme.Dans le couloir, j’entends des pas et desmurmures. Le dîner est terminé et les autrescandidatsvontsecoucher.Pendantuninstant,j’hésiteàallerretrouvermesamismaisjenelefaispasparcequeçapourraitaussiêtreconsidérécommedelafaiblesse.Jeprendsunedouche,enfilemonpyjama,lavemesvêtementsetlesmetsàsécher.Allongéesurmonlit,jefixeleplafondenessayantdemeconcentrersurdessouvenirsheureux.Je

n’yarrivepas.JemedemandesimonpèreavécuuneexpériencesimilairequandilapasséleTest.Peut-êtrequesoncerveauadécidédecréerdessouvenirsencorepirespour l’aideràdécompenseruneexpériencequ’iln’apasréussiàdigérer.Àcetinstantprécis,jepensequec’esttrèscertainementlecas.Le couloir estmaintenant silencieux. Les autres dorment sans aucun doute. J’ai laissé toutes les

lumièresalluméesetjeluttecontrelalourdeurdemespaupières.Jesuisentraindeperdrelecombatquandunéclatauplafondattiremonattention.Uncercleminusculecommedansl’aérojet.Unecaméra.Sachantquejesuisobservée,jefaisdemonmieuxpourdissimulermasurprise.Cettechambreest-

elle laseuleàêtresurveillée? Ilsveulentpeut-êtregarderunœil surmoiaprèscequis’estpassé.Mais non, au fond de moi, je sais que ce n’est pas le cas. Ce qui veut dire que… quelqu’un aforcémentvuRymepréparer lacordepoursependre,réfléchiraumeilleurendroitoùl’accrocher,montersurunechaiseetlabalancerd’uncoupdepied,sedébattre.Elleauraitpuêtresauvée.Ilsl’ontlaisséemourir.J’essaied’avoirl’aircalme.Jemelèveetj’éteinslalumière.Lachambreestplongéedanslenoir.

Jeneveuxpasquequique ce soit assiste àmonmalaise. Jemeglisse sous les couvertures et parhabitude,jeserremonsaccontremoi.JemedemandesilapersonnequiaététémoinduderniergestedeRymeesthantéeparlascène.J’espèrequeoui.Jefinisparm’endormiretlevisageboursouflédeRymemepoursuitdansmonsommeil.Elleme

parle,semoquedemeséchecs,m’offreunbiscuitetcettefois,j’accepte.Chaquefois,jemeréveilleensursaut.Etpuis,latêtesousl’oreiller,jemeforceàmecalmer.Lacaméraestpeut-êtrepourvued’unevisioninfrarouge.L’annoncedupetitdéjeunerestunsoulagement.Danslasalledebains,j’étudiemonvisagedansle

réflecteur. J’ai l’air fatigué mais pas plus qu’hier matin. Je m’habille et, tout en me brossant lescheveux, je scrute la salledebains à la recherched’une caméra. Je n’envois pas.Lesofficiels nes’intéressentapparemmentpasànotrehygiène.Jenem’attachepas lescheveuxenespérantque lesmarquesdefatigueserontmoinsvisiblessurmonvisageainsiencadré.Àmonarrivée,Tomasetlesjumeauxsontdéjàattablés.Tomasselèveetmeserredanssesbras,

manifestementsoulagédemevoir.Quandjem’assois,iljetteunregardétonnéàmonassiette.Dansmoneffortpouravoirl’airnormal,jel’airempliedebacon,d’œufs,depommesdeterresautées,defruitsetderoulésàlacannelle.J’enfourneunetranchedebaconpourledécouragerdemeposerlamoindrequestion.Mastratégietombeàl’eauquandZandri,Malachietleurscamaradesdechambre

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nousrejoignent.Tomasattendquetoussoientassispourmedemander:–Toutvabien?Onsedemandaitoùtuétaispasséehiersoir.Ilstournenttouslatêteversmoi.JemerepasselesmotsdudocteurBarnes.M’a-t-ilsuggérédene

pasparlerdelamortdeRymeàmescamarades?Jenecroispas.Jerépondsàvoixbasse.–Rymeestmorte.Elles’estsuicidée.Tomas,ZandrietMalachisontabasourdisparlanouvelle.Lesjumeauxsejettentunregardentendu

etWillsoupire:–Onsedoutaitd’untruccommeça.Notreprofesseurnousamisengardecontrelapression.Ila

faitpartidujuryduTestpendantquelquesannéesetilnousaprévenusqu’ilyavaitaumoinsdeuxoutroissuicidesparsession.Ryme est la première. Malgré moi, je me demande qui seront les autres. Après avoir échangé

quelques impressions,nousnousconcentrons surnos assiettes. Jepropose àMalachidem’aider àterminer.Ilaccepteensouriant.Entroisjours,ilabienprisunoudeuxkilos.J’enveloppeunrouléàla cannelle dansune serviette et je le glisse dansmon sac. Je ne sais pas si c’est autorisé,mais jesupposequesiçanel’estpas,l’officieldel’autrecôtédelacamérameleferasavoir.Une annonce nous demande de nous regrouper dans l’amphithéâtre.C’est le docteurBarnes qui

nousaccueille.Ilnousfélicited’êtrearrivésautermedecettepremièrepartieduTest.–Voscopiessontencemomentmêmeévaluéespar lesOfficielschargésde lacorrection.Étant

conscientsdevosdifférences,nousjugeonschaquegroupeenfonctiondecritèresparticuliers.Aprèsle repas, nousvous rencontreronsunpar un et vous informerons de vos résultats. Jusque-là, vouspouvez vaquer aux occupations de votre choix.Dans vos chambres, au réfectoire ou à l’extérieur,dansleszonesautorisées.ÀL’extérieur.J’aienvie,besoind’airfrais.LedocteurBarnesajoutequeleszonesautoriséessont

clairementdélimitéesetquesinouslesfranchissons,nousseronsaussitôtexclusduTest.Lescandidatss’agitentdans leurssièges,déjàprêtsàbondirvers laportequand l’expressiondu

docteurBarnes se fait plus grave. J’ai beaum’être préparée, je ne peux empêchermes yeuxde seremplirdelarmes.–JesuisdésolédevousapprendrequelacandidateRymeReynalds’estôtélavie,hiersoir.Ilyadescrisdansl’assemblée,maisaussilessouriresdeceuxquiseréjouissent.Unedemoins.

J’essaiedegraverlesvisagesdecesderniersdansmamémoire.Aucasoù.–NoussavonsqueceTestestdifficilemaisj’espèrequeceuxd’entrevousquisesentirontvaciller

viendrontmeparler.Noussommeslàpourvousaider.Profitezbiendevotredemi-journéededétente.Jevoussouhaitebonnechancepourcetaprès-midi.Tomas,Malachi,Zandrietmoiavonstousoptépourpassercesquelquesheuresdehors.Lesoleil

brilleet l’herbeestcaresséeparunebrise tiède.Deuxofficielssontpostésdevant laported’entréemais les alentours cernés d’une barrièremétallique sont assez vastes.De dehors, l’impressionnantbâtiment,symboledelaConnaissance,merappellepourquoijesuislà.Moinsd’une trentainedecandidatsont fait lemêmechoixquenous.Laplupart s’assoient sur la

pelouseàl’avantetnousdécidonsdoncdefaireletourafind’êtreunpeuseuls.Nousprenonsplacesurdesbancssousdesarbresenfleursprèsd’unbassin.Jeretiremesbottesetmeschaussettesetjetrempemespiedsdedans.C’estfurieusementagréable.Unpetitmorceaudetuyaudépassedumilieu.Unefontaine?Oui,leboîtierélectriqueestdissimulésousdespierres.Alorspourquoinemarche-t-elle pas ? Est-ce que c’est un autre Test ? Je prends mon couteau dans mon sac et je déplie letournevis. J’ouvre le boîtier. Aucune des connexions neme semble endommagée.Aucunemarquenoiren’indiqueunéventuelcourt-circuit.L’interrupteurestcorrectementrelié.Leproblèmedoitsesituerauniveaudelapompe.Maislànonplus,jenevoispasdesouci.Ilfaudraitsansdoutequejeladémonte.SaufqueTomasestcertainementbienplusqualifiéquemoipourça.Aprèstout,c’estluiqui

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ainstallétoutlesystèmed’irrigationàlafermedesesparents.Quandjeluidemandesonaide,ilacceptevolontiers.ZandrietMalachisemoquentdenousmais

finissentparreprendreleurdiscussion.PourTomas, leproblèmevientde lapale rotative ;moi, jepenchepour lemoteur.Nousdécidonsdevérifier lequel denousdeux a raison.Quelquesminutesplus tard, je pousse un cri de victoire. La pale est intacte, lemoteur a un faux contact facilementréparable.Uneminuteaprès,l’eaujaillitetnoustrempetouslesdeuxdelatêteauxpieds.Problèmerésolu.Nousnousétendonsdansl’herbepournoussécherausoleilet jem’accrocheàcettejoiequime

remplitquandjeréussisàfairefonctionnerquelquechose.Toutentripotantmonbracelet,jemejoinsàlaconversation.NousparlonsdenosfamillesetdecequipeutbiensepasserauxCinqLacsàcetinstantprécis.LeregarddeZandriseperddanslevague.Sonfoyerluimanque.Lemienaussi.Jenepeuxm’empêcherdemedemandersinousseronsencoretouslàdemain.Sansm’enrendrecompte,j’aitrouvél’attachedemonbracelet.Ilmefautnéanmoinsmoncouteau

pour l’ouvrir. Je devrais peut-être partager l’information avec mes amis, mais le haut-parleur adiffusél’annoncedurepasetilssedirigentdéjàverslebâtiment.Jerefermemonbraceletetj’éteinslafontainepournepasgaspillerd’énergie.Cen’estpeut-êtrepasunproblèmeicimaisjenepeuxpasfaireautrement.J’aiétéélevéecommeça.Tomasm’attendetjepresselepaspourlerattraper.Lerepassedérouledansunrelatifsilence.Personnenesaitexactementàquelleheurecommencent

lesentretiensaveclesexaminateursmaisceneserasansdoutepaslongtempsaprèslafindudéjeuner.Beaucoupdecandidatsnefinissentpasleurassiette.Jeglisseunepommedansmonsacpendantquelesjumeauxessaientd’allégerl’atmosphèreenracontantdesblagues.Nousnousforçonsà rire.Lecœurn’yestpas.Leshaut-parleurscrépitent.–Vousêtespriésderetournerdansvoschambres.Quandvousentendrezvotrenom,vousdevrez

vousprésenterdanslehallavecvosaffaires.Unofficielvousescorteraàlasalledesrésultats.Les chaises crissent sur le sol.Notre table est la dernière à se lever. Je regarde chacun demes

camarades. Tomas, Malachi, Zandri, Nicolette, Boyd, Will et Gill. Les chances que nous nousretrouvionstouscesoirsontminimes.Personnen’yfaitallusion.Nousnenoussouhaitonsmêmepasbonne chance. Rien maintenant ne peut plus changer nos performances aux épreuves. Nous noussaluonsd’un«àplustard»ensachantpertinemmentquenousnenousreverronspastous.J’attendsdansmachambreenessayantdenepaspenseràcequemonpèrem’aracontéavantmon

départ. Je ne peux pasm’empêcher deme demander pourquoi personne nem’a jamais dit ce quedevenaientlescandidatsquiéchouentàl’examen.Des noms sont appelés.Celui deMalachi est rapidement suivi de celui deTomas. Les secondes

durentdesheures.Enfin,c’estmontour.Jemerendsdanslehalletunefemmeenrougemonteavecmoidansunascenseur.Elleappuiesurleboutondudeuxièmeétage.Quandlesportesserouvrent,unofficielmedemandedelesuivredansunlongcouloirblancoùs’alignentdesportessombres.Ilenouvreuneets’efface.Jerentreseule.Lapièceestassezpetite.Unefemmeblondem’attendderrièreunbureaunoir.Ellemefaitsignede

m’asseoiretj’obtempèreenessuyantmespaumesmoitessurmonpantalon.Moncœurcognecontremacagethoracique.Quelquessecondess’écoulentpuisellesourit.–Félicitations,vousavezréussilapremièrepartieduTest.Jepousseunsoupirdesoulagement.Lafemmemerecommandedebienmereposercardemain,

lesépreuvesrecommencent.Unofficielmeramènedanslehall.Desbrasm’enlacent.CeuxdeTomasquim’attendait.–Félicitations,partenaire,mesouffle-t-il.Jesavaisquetuyarriverais!

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Malachimeserreàsontourcontrelui,plustimidement.Noussommeslestroispremiersdenotrepetitgroupe.BoydarriveensuiteetfrappedanslapaumedeMalachi.Lehallseremplitpetitàpetit.Nicolettefaitsonapparition,rougedefierté.Nousnousplaçonsdefaçonàvoirquipasselaporte.Willapparaîtavecunsouriresatisfait.Nousluifaisonssigneetsonsourires’élargit.Maisalorsqu’ils’approchesonvisagesedécompose.Ilreprendcontenanceassezvitemaisjevoisbienquequelquechosenevapas.Il se passe encore cinqminutes avant que les deux derniers candidats fassent leur apparition en

compagniedudocteurBarnes.ZandrisedirigeimmédiatementversMalachi.NouslafélicitonstousmaisWill nepeut s’empêcherde fixer la porte. Il neparvient pas à réaliser que son jumeau ne lerejoindrapas.LedocteurBarnesnousdemandedenousasseoiretnousfélicite.JedoissoutenirWilletl’aiderà

trouverunechaise.Tomasetmoiprenonsplacedechaquecôtédelui.Willtremble.C’estlapremièrefoisqu’ilestséparédesonfrèreplusd’uneheureoudeux.Chacunestcapabledeterminerlaphrasedel’autre.Jemedemandecommentilvasupportercettenouvellevie.Enest-ilseulementcapable?Wills’accrocheàmoicommeàunebouéedesauvetage.LedocteurBarnesnousannoncequela

deuxièmepartieduTestdébuteradèsdemainmatin,parlestravauxpratiques.Ilinsistesurunpoint:–Sivousêtesconfrontésàunproblèmequevousnesavezpasrésoudre,netentezrienauhasard.

Levez lamainetprévenez l’officielde servicequevousnepouvezpas terminer l’exercice. Ilvautmieuxnepasdonnerderéponsedutoutqu’uneréponseincorrecte.Ilnouslaissenousimprégnerdesesderniersmotsavantdenouslibérer.Willsembles’êtrerepris.

Pendantledîner,illanceenplaisantantquesonfrèreadûfaireexprèsd’échouerpourallerretrouversapetiteamieàDixon.Ilcontinuedeblaguerduranttoutlerepas,maisdetempsentemps,iljetteunpetitcoupd’œilsursadroitecommes’ils’attendaitàlevoir.Nous allons nous coucher tôt. Je rêve que Ryme, sa corde artisanale autour du cou, offre des

biscuitsaumaïsàGill.Puisellemesouritets’effondresurlesol.Le lendemainmatin, jeme lave à l’eau froide avant d’aller au réfectoire. Je suis la dernière à

arriverànotretable.Toutlemondesembleenforme,particulièrementWillquiflirteavecNicoletteetparvientàlafairerougir.J’espèrequecen’estpasseulementsamanièredesurmonterl’absencedesonfrère.Puisonnousdemandedenousprésenteràl’amphithéâtre.Noussommesmaintenantquatre-vingt-

sept.LedocteurBarnessouritderrièresabarbegriseetnousrépètequelorsdesexamensquivontavoirlieumaintenant,lesmauvaisesréponsesserontpénalisées.Noussommesappeléspargroupesdesix.Àmagrandesurprise,MalachietWillsontavecmoi.

Dans cette nouvelle salle d’examen, les tables sont plus hautes et portent nos symboles respectifs.Nousprenonsplacesurdestabouretspivotants.Jesuisàladeuxièmerangéeaumilieu,MalachiestdevantmoiàdroiteetWilljustesurmagauche.Ilm’adresseunclind’œil.Devantnoussetrouveunegrandeboîteenbois.Unefemmeauxcheveuxgrisnousdemandedeleverlamainquandnousauronsterminé.Laboîte

nous sera alors enlevée et une autre nous sera apportée. Le but est de faire le plus d’exercicespossible. Il n’y aura pas de pause à l’heure du déjeuner. Puis elle répète les recommandations dudocteurBarnesconcernantlesréponseserronées.Nous devons avant tout réussir à ouvrir la boîte et ensuite suivre les instructions que nous

trouveronsàl’intérieur.Çamesemblefacile,cequimerendnerveuse.J’étudiemaboîtesoustouteslescouturespendant

que d’autres candidats tapotent la leur ou la secouent.Magnifiquement décorée, elle est d’un boissombreetlisse.Maisjenesuispaslàpourl’admirer.Mamèreauneboîtesimilaireàlamaisonquesonpèreavaitfabriquéepourelle.C’estungenredecasse-têteetpourl’ouvrir,ilfautfaireglisserles

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morceauxdeboisdansuncertainordre.Làaussi,ildoityavoiruntruc.J’examinelaboîtedeprèsetdécouvre,surunedesfaces,unminusculeboutondissimulédansun

desentrelacsdudécorpeint.J’appuiedessuset j’entendsuncliquetis.Lecouvercleestdébloqué.Jesorslafeuillequisetrouveàl’intérieur.Déterminezquellesplantesdelaboîtesontcomestiblesounon.L’avertissementestrépété:Sivousn’êtespassûrdelaréponse,mettezlaplantedecôté.Jesouris.Cetteépreuveaétéfaitepourmoi.Laboîtecontienthuitplantesdontsixquejereconnaisimmédiatement.Lesombrellesblanchessont

delaciguë.D’aprèsmonpère,ellesétaientdéjàmortellesavantlagrandepollution.Larhubarbe,auxfeuillesvertesveinéesderouge,estégalementdangereuse.Labrancheauxfeuillesovalesetbrunesdoitêtreduhêtre.Jereconnaisaussidusassafras,del’oignonsauvageetdel’ortie.Jereniflel’avant-dernieréchantillon,unefeuilleauxcontoursdentelésquidégageunlégerparfum

floral.Jepassemondoigtdessus,elleestlisseetmefaitpenseràuneplantesauvagequemonpèrem’a montrée quelques années plus tôt. C’était du poison mais il en adorait l’odeur. Serait-ce lamême?Jesuispresquesûrequ’ellessontaumoinsdelamêmefamille.Jelaposedanslapiledesvénéneuses.Ladernièreplanteestuneracinebulbeuseornéedefeuillesquiressemblentàdesfleurs.J’engrattelasurfaceetjelaporteàmonnez.L’odeurestsucréemaispascommeunecarotteouunebetterave. Ça me rappelle quelque chose. Mon père m’a un jour parlé de variétés de racines quipoussaient dans le Sud. L’une d’entre elles s’appelait la chicorée et Zeen voulait en étudier unexemplaire. Ilpensaitqueçapourrait l’aideràaméliorersapommede terre. Jedécidede laposerdansletasdescomestibles.Lesautrescandidatsm’observentàladérobéependantquel’officiellevérifiemontravail.Elleveut

savoir si je suis sûredemoi. Je regardeunenouvelle fois les plantes et j’acquiesce.Elle sourit etgriffonnequelquechosesuruncarnet.Puiselleprendmesplantesnoncomestiblesetm’enjointdem’asseoirenattendantquelesautresaientfini.Dixminutesplus tard, le travaildechacunaétécontrôlé.Lafemmenousdemandeunenouvelle

foissil’und’entrenousdésiremodifiersesréponses.Toutlemonderefuse.–Parfait,lance-t-ellegaiement,danscecas,ingérerunmorceaudechacunedesplantesquevous

avezestiméêtrecomestiblesnevousposerapasdeproblème.Unechapedeplombs’abatsurlasalle.Jecomprendsmieuxmaintenantpourquoiilsonttellement

insisté.Oui,uneréponseerronéeserapénalisée.Étourdissements,vomissements,hallucinations.Peut-êtremêmelamort.Je regarde autour de moi. Nous avons tous des plantes différentes. Je n’ai aucun moyen de

comparermeschoixavecceuxdesautres.Ai-jecommisuneerreur?Legarçondevantmoisemblesûrdelui. Ilcoupetranquillementunmorceaudechacundeseséchantillons.Will faitdemême.Jeprendsunegrandeinspirationavantdecroquerdanslabranchedehêtre,laracinedecequej’espèreêtre de la chicorée et les trois autres plantes. Aucune de celles que j’ai sélectionnées commevénéneusesn’ad’effetrapide.Sil’undenouss’esttrompé,nousnelesauronsprobablementpastoutdesuite.Maisjen’aipasvraimentletempsdem’eninquiéter.Unenouvelleboîteestdéposéedevantnous.

Celle-cis’ouvreenenfaisantglisserlespanneaux.Àl’intérieursetrouveuneradiomagnétiquequenousdevonsremettreenétat.Nousavonsapprisqu’avant lesSeptÉpoquesde laguerre,onpouvaitcommuniquergrâceàdes

satellitesenvoyésdansl’espace.Jenesaispasoùsontcessatellitesàprésent.Peut-êtretoujourslà-haut, àmoins qu’ils se soient écrasés quelque part. Les tremblements de terre ont détruit tous lesréseauxfilaires.Aprèslaguerre,desscientifiquesonteul’idéed’utiliserl’augmentationconsidérable

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des radiationsélectromagnétiquesdans l’atmosphèrepour restaurer lesmoyensdecommunication.Laradiomagnétiqueétaitnée.Ellepeutdiffuserdesvoixmaisaussidesimages,àconditionqueceluiàquionlesenvoiesoitéquipédubonrécepteur.EllepermetauxresponsablesdesecteurdescoloniesdecommuniquerentreeuxetsurtoutavecTosu.Monpèreenpossèdeunepoursontravailetilm’alaissée jeter unœil à l’intérieur. Je n’ai donc aucunmal à identifier les mauvais branchements, àréparer le moteur solaire et à faire quelques ajustements sur le transmetteur. Régulièrement, jem’arrêtepourmeprendrelepoulsetessayerdedéterminersilesplantesquej’aiingéréesmerendentmalades.Aupremiermauvaissigne, jen’hésiteraipasàmefairevomirpourmepurgerl’estomac.Çan’empêcherapaslepoisondéjàdansmesveinesd’agirmais il faudrabienquej’essaiequelquechose.Danslaradio,jedécouvredesfilsquin’ontpasleurplaceainsiqu’unepetiteboîteàcharnière.Si

j’étaisàlamaison,jefarfouilleraisunpeuplus,maisici,jeneveuxprendreaucunrisque.Je revisse le capot arrière de la radio et je m’apprête à lever la main quand je remarque que

Malachititube.Lafatigueoul’effetd’unpoisonquelconque?Ilestennage.Sesmainstremblentetildirigeson tournevisvers lapetiteboîtemétalliqueque j’aisoigneusementévitée.Nousnesommespascensésaider lesautrescandidats,mais j’ai l’impressionqu’ilne réfléchitplus rationnellement.J’ouvre la bouche pour le retenir ; c’est trop tard. L’extrémité du tournevis a touché la boîte quis’ouvredansunbruitderessort.Uncloujaillitetseplantedansl’œildeMalachi.Ils’effondresurlesolcommeunepierre.

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CHAPITRE8

Enfant,jemesuisunjourcoupéledoigtjusqu’àl’os.Mamèrem’ademandédenepascrieretdenepas pleurer. Jeme suis pétrifiée comme simon immobilité pouvait suffire à arrêter le sangdecouler.LesangdeMalachiquis’étaleenflaquesurlesolaaujourd’huiexactementlemêmeeffetsurmoi.Mespoumonssegonflentd’uncriquinefranchitpasmagorge.Quelqu’und’autrehurle,peut-être Will. C’est comme si je recevais une décharge électrique. Je me précipite sur Malachi.L’officiellem’obligeàreculer.Jemedébatsetj’entendsàpeinecequ’ellemedit.Unautreofficielapparaît etmedemande si j’ai finimon exercice. Sinon, je doisme remettre au travail sous peined’êtreaccuséedetricherie.J’aienviederépondrequecefichuTestn’apasd’importance,quemonamiestentraindesevider

desonsang,mais,lavoixétranglée,jeparviensàrépondrequej’aiterminé.L’officielmelâcheetjem’agenouilleprèsdeMalachi.À leurposture, jedevinequ’aucundesdeuxneproposera sonaide.Poureux,Malachiaseulementétépénalisépouruneréponseerronée.Ilaméritécequiluiestarrivé.Monamitrembledeplusenplus.Sonœilencorevalideestgrandouvertmaisjenesuispassûre

qu’ilpuissemevoir.Néanmoins,aucasoù,jemeplacefaceàlui.Ainsi,ilauradanssonchampdevision quelqu’un qui lui rappellera l’endroit où il a passé toute sa vie. Une fille qui a chanté deschansonsavecluietluiademandésonaidequandellenecomprenaitpassesdevoirs.Uneamie.Quelqu’unquin’arrivepasàimaginercequisepasseraquandilneserapluslà.Etpuis,lestremblementscessent.Soncorpssedétend,satêtetombesurlecarrelage.Ilestmort.Il fautcroireque jepleurecarquand lesofficielsmedemandentde retourneràmonbureau,un

goûtdeselemplitmabouche.Combiende tempsm’ont-ils laisséeassiseprèsducorpssansviedeMalachi?Suffisammentpourquedeuxautrescandidatsterminentleurexercice.Àmoinsqu’ilsaientdécidéd’arrêterenvoyantcequiétaitarrivéàleurcamarade.Avantdemelever,jerepousseunemèchedecheveuxsurlefrontdeMalachietjeposemeslèvres

sursajoue.Quandjemeredresse,lapiècetangueautourdemoi.Jeparviensquandmêmeàretourneràmontabouret.LesofficielsnefontpasunmouvementpourdéplacerMalachi.Jem’attendsàdesprotestationsdelapartdesautrescandidatsmaisilsneprononcentpasunmotet

jesaispourquoi.C’estpourlamêmeraisonquejen’aipashurlé.Parcequenousvoulonstousvivre.Quelquesminutesplustard,Willlèvelamainpourprévenirqu’ilaterminéetfermelesyeuxpour

nepasvoircequirestedugarçonavecquiilapartagétoussesderniersrepas.C’estautourdelafillesurmadroitedeleverlamain.Lafemmeauxcheveuxgrisvérifienotre travailpuisfaitsigneauxautresofficielsqu’ilspeuventemmenerlecorps.Lescandidatss’appliquentàregarderdroitdevanteux ou à fixer le plafond. Pas moi. Malachi mérite que quelqu’un l’accompagne. Je me force à

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observerchaquemouvementdesofficielsquileportentparlesbrasetlesjambesetluifontfranchirlaporte.Àpeinea-t-ildisparuquelesnouveauxsujetsarrivent.Mesmainstremblentetl’odeurdusangqui

tachelesolm’emplitlesnarines.J’aienviedehurler,dequittercetendroit,derentrerchezmoi,maisjesaisquec’estimpossible.J’essuiemesmainssurmonpantalon,jeravalemeslarmesetj’examinelaboîtedevantmoi.Ilmefautplusieursessaispourcomprendrecommentelles’ouvre.Ellecontientdeséchantillonsdeterre.Nousdevonsutiliserlecontenudedifférentesfiolespourtrouver lesquelssontradioactifs.Je n’utilise que les liquides que je peux identifier à la couleur ou à l’odeur. Je parviens à

déterminerquequatre fragmentsdesol surdixsontcontaminésde façoncertaine.Troisne lesontpas. Je nem’aventurerai pas àme prononcer pour les trois derniers. Pas après ce qui vient de sepasser.J’airéduitd’uncranmonniveaudecertitude.LamortdeMalachiseraitencoreplusinutilesijen’apprenaispasdeseserreurs.Onnousapportequatreboîtesen tout.Nousdevonsd’abordchoisirentredifférentessolutionsà

des équationsmathématiques complexes grâce à un clavier. Je ne fais l’exercice qu’àmoitié sansprendreaucunrisque.Legarçondevantmoin’amanifestementpasétéaussiprudent.Soncorpsestsoudainagitédesoubresauts.Électrocution.Ilnemeurtpasmaisabeaucoupdemalàrestersursontabouretjusqu’àlafindel’examen.Jeparviensàidentifierlestroisquartsdesorganismesquel’onnousdemanded’observeràtravers

unmicroscopesansdoutepiégé.Parbonheur,aucundenousn’al’occasiondedécouvrirlasanctionprévueencasd’erreur.Ilfautensuiteremonterunebatteriesolaire.Pasdedifficultépourmoimaisunefilleyperdunmorceaudechairdanslegrasdudoigt.Vientlapurificationdesixéchantillonsd’eau grâce à des produits chimiques.Ça ne nous prend pasmoins de deux heures et quand nousavons terminé, nousdevonsboire ceuxquenouspensons avoir correctement assainis. Je negoûtequ’àdeux.Legarçonquis’estfaitélectrocuteretlafillequis’estcoupéenetrempentleslèvresquedansun.Etpuis,c’estterminéetnouspouvonsquitterlasalle.Willadumalàmettreunpieddevantl’autre.Lestressouunempoisonnement?Impossibleàdire.

Jepassemonbrasautourdesatailleetjel’aideàmarcher.Avantdefranchirleseuil,jemeretourneversl’endroitoùMalachiestmort.Laflaquedesangaséché.Unelarmem’échappeetjemurmureundernieradieuàmonami.Will et moi rejoignons le réfectoire et je ne peux m’empêcher de demander qui d’autre sera

manquant.Boyd.Le teint cendreux, Nicolette nous raconte qu’il s’est écroulé pendant l’exercice sur la terre

radioactive.Ilaétéemmenépardesofficielsetn’estpasrevenu.Tous lesregardsse tournentversmoi.Will est assis mais n’arrive pas vraiment à se tenir droit.Mes yeux s’emplissent de larmes.Tomasprendmamaindans lasienne.Jesuisheureusequ’ilsoit là.Qu’ilait survécu.Je retraceenquelquesmots ce qui est arrivé àMalachi. Je parle vite.Quandon enlèveunpansement, il ne fautsurtoutpasprendreson temps.Mais ladouleurest tropprofonde.Ellenes’arrêtepasquand jemetais.Tomascrispelamâchoire.Zandriestsouslechoc.Alorsquelesdernierscandidatsentrentdansleréfectoire,uneannoncerésonne:–Lesélèvesquipensentavoirbesoindesoinsmédicauxsontpriésdeseprésenterdanslehall.Aumoinsunpartabléeselève.NicoletteencourageWillàyaller.Ilestsurlepointdeselaisser

convaincremaisjel’empêchedebouger.J’essaied’évaluersonétat.Sespupillessontdilatéesmaisilrespiredéjàmieux.Sonfrontestmoitemaissesjouesontretrouvédescouleurs.Jesuispresquesûrequequelquesoitlepoisonquil’amisdanscetétat,seseffetsarriventàleurterme.Biensûr,dessoins

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l’aideraientàseremettreplusvitemaisjen’aipasoubliélesproposdudocteurBarnesaprèslamortdeRyme.Ilyaceuxquisupportentlapressionetlesautres.Ceuxquisontalléssefairesoignernereviendrontprobablementpas.Nicolette insistemais je refusedecéder. JedemandeàTomasd’apporterde l’eauetàmangerà

Will.J’espèrequejenemetrompepas.Aprèsavoirbudeuxverresdejusd’orangeetgrignotédupainetunfruit,Willvaunpeumieux.Il

n’aplusbesoind’aidepourtenirassis.Jevaismeserviràmontour.Jen’aipasfaim,maisjedoismeforcer.Unpeudelégumes,quelquesbouchéesdepoulet,dujusdefruit.Jeglissedansmonsacdeuxpommes,uneorange,unsacderaisinssecsetunrouléàlacannelle.J’attendsquemesamisaientfinidemangeretjestocketoutcequ’ilslaissent.Jenesaispasvraimentpourquoi.Detoutefaçon,jenesuisplussûrederien.Toutcequejesais,c’estquejedoismepréparer.Àtout.La plupart des candidats restent dans le réfectoire jusqu’à ce qu’on leur demande de partir. La

célébrationdelaveilleestloin.Cesoir,noussommesseulementcontentsd’êtretoujoursenvie.Nousretournonsdansnoschambres.Jem’endors la lumièrealluméeenespérantqueMalachiet

BoydnevontpasvenirrejoindreRymeetGilldansmesrêves,maisbiensûr,dèsquejefermelespaupières,ilssonttouslà.Ilsontpeurpourmoi,merépètentd’êtreprudente,denefaireconfianceàpersonne.Malachimechanteunechansondecheznous.Aumatin,jesuisaucombledel’angoisse.Jemerassuredemonmieux.Sansbeaucoupdesuccès.Willm’accueilleensouriant.Ilal’airtristemaisiln’estapparemmentplusmalade.Ilmeremercie.

LegarçonquipartagelachambredeTomasestalléàl’infirmerieetn’estjamaisrevenu.Jemeforceàmanger.Jeremarquequ’unautrecandidatglissedelanourrituredanssonsac.LavoixdudocteurBarnesnousparvientparlehaut-parleur.–Félicitations,vousavezfranchiunenouvelleétape.Aujourd’hui,voustravaillerezpargroupesde

cinq.Comptetenudevotrenombre,lederniergroupenecomprendraquequatrepersonnes.Vousêtespriésdevousprésenterdanslehalldèsquevousentendezvotrenom.Bonnechanceàtous.Jen’aipasletempsd’espérerquenousrestionsensemblecarTomasestappeléavecquatreautres

personnes. Il m’effleure l’épaule en se levant et s’éloigne son sac sur le dos. Plusieurs minutess’écoulentavantqueledeuxièmegroupesoitconvoqué.C’estautourdeWilletZandridepartir.IlnerestequeNicoletteetmoiàlatable.Leréfectoiresevidepeuàpeu.PuisNicolettes’envaaussi.Jesuismaintenantseuleavec legarçonauxcheveuxébouriffésquia faituncroche-piedàMalachi lejourdenotrearrivée,unefilleroussequej’avaisremarquéependantlapartieécritedel’examenetungrandblondmusclé.–Jepensequ’onpeutyaller,yaplusquenous,lancelafille.Jesouris.–C’estvraiquesionn’apasencoredevinéavecquionest,onn’arienàfaireici.Lesdeuxgarçonsrestentassispendantquenousallonsdanslehall.–AnnaliseWalker,seprésentemanouvellepartenaire.DelacoloniedeGrandForks.Lesymbolesursonbraceletestlemêmequelemien,uneétoile.–CiaVale,desCinqLacs.Ellehochelatête.–Jesais.TousceuxdemacolonieneparlentquedevousdepuisledébutduTest.Jegrimace.–Ilsdisentquoi?–Lamajoritépensequevousêtesdesconcurrentsfacilesàbattre.Poureux,petitecolonieégale

attardésmentaux.–Ettonavisàtoi?Elleréfléchituneseconde.

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–Undesgarçonsdemacolonieavaitlemêmesymbolequetoietmoisursonbracelet.Àl’école,ilavaittoujourslesmeilleuresnotes.J’aipassédessemainesetdesmoisàétudierpouressayerdelebattre,jen’aijamaisréussi.Jesupposequesitroisd’entrevoussontarrivésjusqu’ici,c’estquevousn’êtesprobablementpassinuls.–MalenciaVale,BrickBarron,RomanFryetAnnaliseWalkersontpriésdeserendredanslehall.BricketRomannousrejoignentd’unpastraînant.Avantquej’aieletempsdeleurdemanderlequel

est Brick et lequel est Roman, une officielle nous fait monter dans un ascenseur qui s’arrête auquatrième.Ellenousguideensuite jusqu’àunepièce touteblancheavecune table etquatre chaises.Dans le

fond,au-dessusd’unegrandeporteenbois,unelumièreverteclignote.Nossujetsetquatrecrayonssontposéssurlatable.Jemedétendsunpeu.Jenesaispascequinousattendmaisuneépreuveécriteneconstituepasdemenaceimmédiate.Aucundemesamisnemourraaujourd’hui.Pendantquenousnousasseyons,l’officielnousdonnedesprécisions.–L’épreuveapourbutd’évaluervotrecapacitéà travaillerenéquipe.Lesproblèmesàrésoudre

requièrentdesconnaissancesetdescompétencesparticulières.Lorsquevousaurezchoisileplusapteàrépondreàlaquestionposée,ilseraappelépouruntestindividueldansl’autresalle.Elledésignelaporteéclairée.–Quandvousêtesde l’autrecôté,poursuit-elle, la lumièredevientrouge.Dans lecouloir, ilya

cinqautresportes.Ellesportent lesnuméroscorrespondantauproblèmepour lequelvousavezétédésignéparlesmembresdevotreéquipe.Vousdevezentrer,fairel’exercicedemandédevotremieuxetretournerdanslecouloir.Toutaubout,voustrouverezlasortie.Lalumièreredeviendraverte.Ceseraalorsletourducandidatsuivant.Lanotedechaquemembreestattribuéeàtoutlegroupe.L’idéed’êtreévaluéesurletravaildequelqu’und’autrenemeplaîtpasbeaucoup,maislesourire

confiantd’Annalisemerassureunpeu.–Vousn’êtesquequatre, reprendl’officielle,cequisignifiequ’und’entrevousdevras’occuper

d’aumoinsdeuxproblèmes.Vousn’avezqu’unechanceparexercice.Sivousessayezd’entrerdansune salle qui a été attribuée à unde vos camardes, vous serez pénalisé.Vous avez une heure pourdéterminervotrestratégie,conclut-elleenappuyantsuruninterrupteur.Aussitôtlalumièrevireaurouge.–Quandceseradenouveauvert,précise-t-elleencore,celuiquevousavezdésignépourrayaller.

Vousn’avezaucunelimitedetemps.Bonnechance.L’officielleverrouillelaportederrièreelle.Nousnepouvonsplusreculer.Nousnousobservonspendantunmomentavantquejemedécideàprendreunsujetmarquédemon

symbole.LegrandblondprendceluisurlequelestgravéeuneancredansuncœuretlegarçonauxcheveuxenbatailleceluiavecleX.Mon intuition me souffle que l’officielle ne nous a pas tout dit et que je dois rester en alerte.

Annaliseprendlaparoleavecautorité:–Sinousprenions lesproblèmeslesunsaprès lesautres?suggère-t-elle.Ons’ymetchacunde

notrecôtéetoncomparenosnotes.Comme personne n’a de meilleure idée, nous nous mettons au travail. Il s’agit d’abord de

mathématiques.Nousdevonsrésoudreuneéquationsimplepourdéterminer le flux thermiqued’unsegment électrique dont seules les extrémités ne sont pas isolées. C’est un principe dethermodynamiquequejeconnaisparcœur.Àmagrandesurprise,legarçondécoiffé,quienfaits’appelleRoman,finitavantmoi.Nousavons

touslesdeuxtrouvélemêmerésultat.Annalise terminerapidementetarriveàunchiffre identique.SeulelaréponsedeBrickestdifférente.L’exercice d’histoire consiste essentiellement en l’énumération de noms, de dates, de tailles de

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population.Enbiologie,nousdevons compléter le schémade l’ADNd’ungloutondesmontagnes.CetanimalressembleàunloupmaisestenfaitunemutationduchatdeNebelung.Lalumièrepasseau vert pendant que je suis sur un calcul d’énergie solaire. Nous enchaînons sur les principes defonctionnement des armes nucléaires. Je suis sans doute distraite ou déconcentrée parce que maréponseestlaseulequinecorrespondpasàcelledesautres.Aufinal,ilsemblequej’obtienne,commeAnnalise,quatrebonnesréponsessurcinq.Brickdeux,

Romann’aeujustequ’àlapremière.–Jesupposequec’estàmoid’yaller,non?lance-t-il.Jesuislaplusjeunemembredenotregroupe.Entempsnormal,jeprendraisletempsd’écouterles

avisdechacunavantd’énoncerlemienmaissonenthousiasmemechiffonne.Jememordsl’intérieurdelajoueavantdedéclarer:–L’officiellen’apasditqu’ondevaitrépondredansl’ordre.Romancroiselesbrassursapoitrine.–C’estcequej’aicompris,moi!JeconsulteAnnalisedu regard.Elleplisse lenezet ferme lesyeuxcommepour se rappeler les

termesexactsdel’officielle.Quandellelesrouvre,elles’excusepresque:–JecroisqueRomanpourraitavoirraison.Jeneveuxpasprendrelerisque.Roman a un sourire triomphant. Brick hausse les épaules. Trois contre un, la discussion est

terminée.Annalisemènelasuitedesdébats.Romanseradonclepremier,ellerépondraauxquestionsdeuxet

trois, j’iraipourlaquatreetBrickpour lacinq.J’exprimemapréférencepour laquestion troisenargumentant que le travail demon pèrem’a donné une excellente compréhension de la génétique.Mais Roman et Annalise ne sont pas d’accord. Brick refuse de donner son avis. Je me demandepourquoi.Romanouvrelaporteens’exclamant:«Àtoutàl’heure!»Lalumièreredevientrouge.Nousdiscutonspourtromperl’attente.Àlademanded’Annalise,Bricknousexpliquequ’ilvientde

la coloniedeRoswell et que ses parents sont tous les deuxdiplômésde l’université. Ils travaillentdansuneanciennezonemilitaireoùilsdéveloppentdesarmesetdessystèmesdesécuritécontrelesattaquesd’animauxsauvages.Jecomprendsmieuxsescompétencesdansledomainedunucléaire.Àmesurequeletempspasse,notreconversations’éteint.Lessilencessontdeplusenpluslongs.

Lesréponsespluscourtes.Jusqu’àcequenousneprononcionsplusunmot.Nousnouscontentonsd’attendrequelalumièrechangedecouleur.Nousn’avonspasd’horloge,pasdefenêtredoncpasdesoleil.Aucunmoyendemesurerletemps.

Lesmusclesdemesépaulesseraidissent.Annalisefaitdesexercicespoursedétendrelecou.Brickestimmobileetimpassible.Ilfermelesyeux.Annaliseserongel’ongledupouce.Jem’étire.Chaqueminuteenduredix.Jegardelesyeuxfixéssurlalumière.Enfin,ellechange.Annaliseselèveensouriant.–C’estmontour.Jesuissûrequejevaisprendremoinsdetempspourmesdeuxproblèmesque

Romanavecunseul.–Onn’estpaspressés,jeluirappelle.Jerougisunpeu,gênéedevouloirluidonnerunconseil.J’ajouted’unevoixplusdouce:–Onpeutattendre.

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Lesourired’Annalises’évanouit.Jeperçoissanervositéetsapeurderrièresonairbravache.Elleacquiesce.–Jenemetromperaipas.Vouspouvezcomptersurmoi.Leresteestentrevosmains.Laporteserefermesurelleetlalumièrepassedenouveauaurouge.Bricknebougetoujourspas.Aulieudedéteindresurmoi,soncalmejoueavecmesnerfs.Jeme

lèvepourfairelescentpas.Monventregargouille.L’heuredurepasestprobablementpasséedepuislongtemps. Il est évident qu’on ne nous apportera rien àmanger avant la fin de l’épreuve.Ça faitmêmesansdoutepartieduTest:lacapacitédescandidatsàresterconcentrésmalgrélafaim.Ma mère exige toujours que je prenne un bon petit déjeuner avant un examen important. Elle

affirmequelecerveauetlecorpsontbesoindecarburantpourfonctionnercorrectement.Jeprendsdansmonsacundesroulésàlacannellequej’aigardés.Enouvrantlesachet,jeréalisequ’ildatedenotrepremierrepasaucentredeTest.C’étaitilyamoinsd’unesemaineettantdechosesontchangé.Malachiestmortetjetravailleengroupeaveclegarçonquil’afaittomber.PourquoiRomana-t-ilfaitça?Poursemoquerde lui?Parcequ’il trouvaitçadrôle?Essayait-ild’intimidermonami?Sansdouteunpeutoutça.Romann’aeuqu’uneseulebonneréponsesurcinq,toutàl’heure.Ilnedoitpasêtreaussiintelligentqu’ilessaiedelefairecroire.C’estmêmeétonnantqu’ilsoitarrivéjusque-là.Saufque…Jeprendssonsujet.CeluiavecunXsurlacouverture.Sonallurenégligéenem’avaitpaspréparée

àuneécritureaussilisible.Mamèrem’apourtantsouventrépétédenejamaismefierauxapparences.Sontravailestimpressionnant.Jemerendscomptequ’ilapresquetoutcalculédetête.Normalqu’ilait fini avantmoi. Jecomprendspourquoi il aété sélectionné. Il est très intelligentet sescapacitésmathématiquessontnettementau-dessusdelamoyenne.Qu’ilsesoitàcepointtrompéauxquestionssuivantesn’apasdesens.Entournantlespages,jeme

rendscomptequ’iln’atoutsimplementpasvraimentessayé.Pourquoi?–Cia?Je sursaute et je suis le regard de Brick. La lumière est de nouveau verte. J’ai l’impression

qu’Annaliseestpartieilyamoinsd’uneheure.A-t-ellepuêtreaussirapide?Lesmainstremblantes,jeprendssonsujetetjelefeuillette.Sesdémonstrationssontclairesetconcises.Ellesaittrèsexactementcequ’ellefait.Salogiqueest

sansfaille.Elleapuréussir.Maisjen’aiaucunmoyend’enêtresûre.–Alors,tuyvas?mepresseBrick.–Uneminute.Jen’aipaslechoix.Jedoisfranchircetteporte.Jemeremémorelesinstructionsdel’officielle.Et

l’insistance de Roman pour passer le premier. Une réponse par exercice. Les scores de chacuncomptentpourtoutel’équipe.Toutetentativederetenterunproblèmeserapénalisée.Lecarnetd’Annalisemetombedesmainsalorsquelespiècesdupuzzlesemettentenplacedans

matête.Romanestrestélongtempsdel’autrecôté.LedocteurBarnesnousavaitprévenusqueceTestneservaitpasseulementàévaluernosproprescompétencesmaisnotrecapacitéàévaluerlesforcesetlesfaiblessesdenoscoéquipiers.Simonraisonnementestbon,Romannousaparfaitementévaluésetnousatenduunpiège.UnpiègedanslequelAnnaliseesttombée.Je m’assois sur ma chaise et je prends de longues inspirations pour empêcher la panique de

m’envahir. Si je neme trompe pas, je ne dois pas essayer de répondre à la question quim’attendderrièrelaporten 4.Maiscommentêtresûre?Lemauvaischoixmemèneraàmaperte.Jedoismedécider.

o

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Mon cœur cogne dans ma poitrine. J’observe Brick. Son calme malgré ses mauvais résultatssembleconfirmermesdoutes.Ets’ilétaitaucourantduplandeRoman?S’ilsl’avaientmisaupointensemble?Pourenavoirlecœurnet,ilmefaudraitsoncarnet,maisilalecoudeposédessus.Jenel’obtiendraiqu’en lui faisantpartdemon inquiétude.Saufque s’iln’estpasdéjà au courant, je luipermettraideréussircetteépreuvealorsqu’ilneleméritepas.J’aihontedepensercommeça.Jerefused’essayerdefaireéchouerlesautrespouravoirplusde

chances. D’ailleurs même si les méthodes des examinateurs m’horrifient, je ne pense pas qu’ilsapprécientqu’onchercheàsepiégermutuellement.Quelgenred’élitesélectionneraient-ilsdecettefaçon?J’expose donc doucement à Brick mes doutes concernant Roman et sur ce qui a pu arriver à

Annalise.Cequinousarriveraànousaussisinousessayonsd’ouvrir lesportes4et5.Ilm’écoutesansm’interromprepuismecontemplependantunlongmomentavantdelâcher:–Onvafaireexactementcequ’onaprévu.Est-cequ’ilnemecroitpas?Maissonexpressionestsurtoutrésignée.J’insiste.–JecroisqueRomann’ajamaiseul’intentiondetravaillerenéquipe!Rappelle-toilesproposde

l’officielle:sinoustentonsderevenirsurunexercice,nousseronspénalisés.Pénalisés:cemotapourmoilaformeduclouquis’estplantédansl’œildeMalachi.J’aienviede

secouer Brick quand ilme répète qu’il fera comme ça a été décidé. Qu’il a donné sa parole. Sesparentsluiontapprisàtenirsespromesses,pointfinal.Le désespoir m’envahit mais en même temps, il a peut-être raison. En suivant mon instinct, je

risquedecommettreuneénormeerreur.Monsacsurl’épaule,jetraverselapièce.J’aifaittoutcequejepouvaispourBrick.S’ilne…Non,jenepeuxpas.–S’ilteplaît…Jemeretourneversluietjelesupplie.–Tunemeconnaispas, tun’as aucune raisondeme faire confiance,mais regarde le carnetde

Romanetdemande-toilequeldenousdeuxaleplusàgagneràtrahirlesautres.Jenesaispasquellessontlespénalitésprévues…Encorececlou.Etlesang.–…mais si j’ai raison, trois d’entre nous pourraient être éliminés pour avoir fait confiance à

notrecoéquipier.L’impassibilitédeBrickestmaintenantremplacéeparlaconfusion.–Onn’estpasdelamêmecolonie.Qu’est-cequeçapeuttefairesijesuiséliminé?–Jeneveuxplusvoirpersonnemourir.LesyeuxdeBrickseposentsurlaportederrièremoi.Ilesttemps.Jefaisvolte-faceetjeposela

mainsurlapoignéeenespérantl’avoirconvaincu.Quoiqu’ilensoit,j’aiprismadécision.Le couloir est mal éclairé et la pénombre est inquiétante. J’arrive aux portes décrites par

l’officielle. Àma droite, la numéro 4 ; à ma gauche, les numéros 1, 2 et 3. Je les inspecte sansvraimentsavoircequejecherche.Dusang?Descheveux?Lespoignéesneportentpasdetracesdedoigts.Commesiellesavaientétéessuyées.Je ne sais pas combien de temps je reste là sans bouger. Et puis, je continue plus loin dans le

couloiretjesorsenespérantdetoutmoncœurquejenevienspasdeprendreladernièredécisiondemavie.

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CHAPITRE9

Uneofficiellem’attenddel’autrecôté.Elletientàlamainuneespècedeboîtierdecontrôlequiluisertsansdouteàcommanderlalumière.Ellemeguidegentimentjusqu’auxascenseurs.Jedescendsaucinquièmeétageenmedemandantquandjeseraifixéesurmonsort.Jenevais peut-être pas avoir besoind’attendre longtemps.Desbruits devoixm’attirent dans le

réfectoire.Moncœur segonflede joiequand j’aperçoisZandri,Will etTomasassis ànotre table.Maisj’aiquelquechoseàfaireavantdelesrejoindre.Romanestlàetilnem’apasencorevue.Ilritavecsesamis.Peut-êtreleurraconte-t-ilcommentilaréussiàtousnouséliminer.Tomasm’appellemaisjerestedansl’encadrementdelaporte.LafilleàcôtédeRomanluidonne

un coupde coude. Il se retourne et quand son regard croise lemien, je sais. Son incrédulité et sacolèremeconfirmentque j’aieuraisondenepas lui faireconfiance. Je regrettedenepas l’avoircomprisplustôt.Annaliseseraitavecnous.Unepetitepartdemoiespèrequ’ellese reposedanssachambremaissic’estlecas,jesuispresquecertained’êtreéliminée.Romanmesuitdesyeuxpendantquejeprendsunpaquetdebiscuitsavantderetrouvermesamis.

Ilsmeracontentleursdernièresheures.Apparemment,nousavionstouslemêmegenredequestionsmais chaque groupe y a répondu dans un ordre différent. Tomas a été choisi pour ses talents enmaths ; Zandri est passée la première pour l’histoire ; Will était deuxième et il se chargeait duproblèmedegénétique.TousceuxdugroupedeTomassontdéjàrevenus.AucundeceluideWilletZandri. Quand je leur explique que je pense qu’un demes partenaires a trahi l’équipe et que j’aidécidédenepasrépondreàlaquestion,ilsmedévisagent,lesyeuxécarquillés.Willestlepremieràse reprendre et affirmequ’il est certainque j’ai bien fait de suivremon instinct. Il ajoutequ’il estheureuxdenepasavoireucetteangoissepuisquec’estZandriquiétaitpasséeavantlui.Tomashochelatêteetm’assurequej’aibienfaitdeprévenirmoncoéquipier.Willessaiedemeréconforteravecuneblague,maisçan’estpastrèsefficace.L’expressioninquiètedeZandrimerappellequejenesaistoujourspassij’aieuraisonoutort.D’ailleurs,quandBrickapparaîtdansleréfectoire,jesuissûrequej’aiéchoué.Iltenaittellementà

respectersaparole.Ilnem’accordepasunregard.Jemedemandeàprésentsij’aigâchéleschancesdetoutel’équipe.Nicolettearriveavecdestasd’histoiressursescoéquipiers.Certainsétaientplutôtsympasmaisily

enavaituntrèsarrogantetdésagréable.Legroupeadécidédelefairepasserendernierpourqu’iln’aitpaslamauvaiseidéed’allerrépondreàdesquestionsquineluiétaientpasdestinées.J’écoutelesdiscussionsentripotantunbiscuit.Tomasneditplusunmot.Ilobservenosamis.Etmoiaussi.Est-cequ’ilpensequejesuisparano?Peut-êtrelesuis-je.Le réfectoire se remplit.Ledînerest servi. Jemange sansappétit.Àchaquebouchée, je jetteun

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coupd’œilàBrickenespérantaccrochersonregard.Alorsquenousterminons,lehaut-parleurannonce:–LatroisièmephaseduTestestmaintenantterminée.Lescandidatsayantéchouéserontprévenus

dansleurchambred’iciàuneheure.Jesouhaiteunebonnenuitàceuxquiontréussi.Toutlemondeselève.Jefaissemblantd’ajusterlalanièredemonsacetj’attendsqueBrickpasse

devantmoi.Pasunefois,ilnesetournedansmadirection.Dansmachambre,jeregardelesminutespasser.J’entendsdespleurs.Despass’approchentdema

portemaispersonnenes’arrête.L’heureestmaintenantécoulée, lecouloirest redevenusilencieux.J’ai réussi. Je devrais être soulagée, heureuse, mais je suis seulement épuisée. J’espère être à lahauteurpourcequim’attenddemain.Noussommesréveillésàl’aube.Nousdevonsapportertoutesnosaffairesavecnouspourlepetit

déjeuner. Jem’habille rapidement. L’appréhensionme tenaille l’estomac. Je retrouve les autres auréfectoire.LesyeuxbattusdeZandri racontent à eux seuls les épreuves que nous avons traverséescettedernièresemaine.Nousnesommespluslesmêmes.Cettefois,Brickn’éviteplusmonregard.Ilm’adresseunsignedetête.C’estsafaçondemeremercier.Une heure plus tard, une nouvelle annonce nous invite à nous regrouper dans l’amphithéâtre.

Certains d’entre nous inspirent profondément, ou comme Zandri, laissent échapper desgémissements ; d’autres – Tomas est de ceux-là – ont l’air inquiet mais résigné. Même Roman,toujourssisûrdelui,montredessignesdefaiblesse.Nousn’avonspasfinidepayerleprixdeceTest.LedocteurBarnesnousaccueille.Ilnesouritpas.–Félicitationsà tous.Vousétiezcenthuit,vousn’êtesplusquecinquante-neuf.Demaindébute la

plus longue phase duTest. Et la plus importante. La pratique. Les étudiants de l’université sont lafuture élite de la Communauté Unifiée et en tant que tels, ils doivent comprendre les défis qu’ilsdevrontrelever.Danscebut,nousallonsvousamenerdansunezonenonrevitaliséedenotrepays.Vous devrez retrouver votre chemin jusqu’à Tosu. Ceux qui y parviendront seront qualifiés pourl’examenfinal.Uneterreurglacées’emparedemoi.Nousallonsnousretrouverseulsdansunterritoireinconnu.

Maisnousneseronspasvraimentseuls.Desanimauxmutantsrôdentdansceszones.Ainsiquedeserrants,ceshommesetfemmesquiontrefuséd’intégrerlaCommunautéUnifiée.–Vouscommencerezl’épreuvechacundevotrecôté,maisvouspourrezparlasuitefonctionneren

équipe. Vous pouvez également empêcher les autres candidats de réussir afin de mettre plus dechancesdevotrecôté.Quelquesoitvotrechoix,ilseraprisencomptelorsdel’évaluation.Tomasmeprendlamain.Lapressiondesesdoigtsm’assuredesonsoutien,cequimepermetde

mereconcentrer.C’estessentielsijeneveuxpaséchouer.Unécrandescendderrière ledocteurBarnesets’allumesurunecarte.Dans lecoinàgauche, la

ville deTosu est représentée par une étoile argentée.Dans le coin à droite, une étoile noire a étédessinéeprèsd’unegrandeétendued’eau.Lemot«Départ»estnotéengras.Deuxlignes,unerougeetunebleue,délimitentunezoneentrelesdeuxétoiles.–Vousdevrezvousdéplacerentrecesdeuxclôtures.Sivous les franchissez,vousserezaussitôt

éliminés de la compétition. Alors s’il vous plaît, ne nous obligez pas à prendre des décisionsdrastiquesetrespectezcetterègle.Le corps sans vie deMalachi m’apparaît, puis celui de Ryme. Et la chaise vide d’Annalise. Je

comprendsparfaitementlestermes«décisiondrastique».–Un officiel vous donnera des instructions plus précises avant votre départ, conclut le docteur

Barnesennousregardantunparun.–S’ilvousplaît,soupire-t-il,agissezdefaçonintelligente.Monvœulepluscherestdevousvoir

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tousreveniràTosu.Il se retourne vers la carte et nous demande de nous rendre dans le hall quand notre symbole

apparaît.Puisilnoussouhaitebonnechanceetsortsansnousaccorderunregard.Lepremiersymboleclignoteetungarçonaupremierrangselève.Tomas,quinem’apaslâchéla

main,sepencheversmoi.–Lepointdedépart,c’estlavilledeChicago.Jejetteuncoupd’œilàlacarteetj’acquiesce.J’étaistropstresséepourm’enrendrecomptemais

même sans les repères habituels, je suis certaine que Tomas a raison. Alors que je me demandecommentnousallonspouvoirutiliser cette informationànotre avantage,Tomasadeux longueursd’avancesurmoi.Àvoixbasse,ilmedonnerendez-vousaupiedduplushautbâtimentencoredebout.S’iln’yestpasdanslesvingt-quatreheures,jedoisavancerversl’ouestjusqu’àatteindrelaclôturequidéterminelafrontièrenorddelazone.Ilprometquenousallonsréussirensemble.Commedeuxpartenaires.Cesdeuxplanssontautantd’espoirdenepasêtreseule.J’acquiesce.Jeferaidemonmieuxpourle

retrouver.Notre symbole apparaît. J’ai soudain la bouche sèche. Je ne veux pas lâcher lamain deTomasmaisjen’aipaslechoix.Jevaisdevoirmecontenterdelaforcequ’ilm’adonnée.Jemelève.Monsacsurl’épaule,j’effleurelajouedechacundemesamis–Tomas,Zandri,WilletNicolette–enrejoignantlaporte.Danslehall,j’éprouveunsoulagementenreconnaissantMichal.Sonexpressionestgravemaisje

croisdistingueruneétincelledefiertéquandilvoitquejesuistoujourslà.Pourtant,c’estsuruntonextrêmementformelqu’ilmedemandelesuivre.Commesinousnenousétionsjamaisrencontrés.Nous descendons au premier étage et traversons un long couloir sombre avant de nous arrêter

devantuneportegrise.– C’est la réserve, m’explique-t-il. Chaque candidat est autorisé à y passer dix minutes pour

sélectionnertroisobjetssusceptiblesdel’aideràréussirleTest.Jeterecommandedebienréfléchiravantdefairetonchoix.Ilpeutêtredéterminant.Maisjesupposequesituesarrivéejusque-là,tul’asdéjàcompris.Cettefois,jesuissûrequ’ilestcontentpourmoi.Ilmeprécisequelesdixminutescommencerontà

êtredécomptéesaumomentoùj’ouvrirailaporte.Jeprendsuneprofondeinspirationavantdeposerlamainsurlapoignée.À l’intérieur, jedécouvredesvêtementschauds,deschaussuresdemarche,de lanourriture,des

boussoles, des trousses de premier secours, des toiles de tente, de quoi faire du feu, des cannes àpêche, des couteaux, des armes à feu et beaucoup d’autres choses encore. Tout le nécessaire pourresterenvieenmilieuhostile.Maisjen’aidroitqu’àtroisobjets.Michalme suit pendant que je déambule entre les tables et les étagères. Je suis contente d’avoir

apportémesbottesau lieude chaussuresplus élégantes.Laplupartdes fillesvont êtreobligéesdeprendredeschaussuresdemarche.Meslarcinsauréfectoireserévèlentaussijudicieux.Sixpommes,quelques roulés à la cannelle et des sacs de fruits secs neme permettront pas de survivre jusqu’àTosu,maisj’aiassezpourvoirvenir.Toutleresteenrevanchemesemblenécessaire.Maisletempsquim’aétéimpartis’écouleetilfautquejemedécide.J’ouvreunsacestampilléH O.Ilcontientdeuxgourdespleinesetunkitsemblableàceluiquenous

avonsutilisépendantl’examenpratique.Jemereprésentelacarte.Lazonedanslaquellenousévolueronsestgrande.Mêmes’ilsn’étaient

pas visibles, je suis certaine que nous croiserons des lacs et des rivières, mais l’eau en seracertainement contaminée.La pollution n’est pas toujoursmortellemais elle cause auminimumdegravestroubles,particulièrementsurunorganismefatiguéetdénutri.J’aifaitmonpremierchoix.

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Jepoursuis.Latenteimperméableesttentantemaisj’yrenonceaprèsl’avoirsoulevée.Ellenemesemblepas

lourdemaintenantmaisjedoisparcourirplusdemillekilomètres.Grâceau transcommunicateurque j’aiempruntéàmonfrère,uneboussolenemeserad’aucune

utilité.Jenem’arrêtepasnonplussur lesbriquetset lesallumettes.Mêmes’ilmefaudradutempspourfairedufeuavecdeuxmorceauxdebois,jesaisquejepeuxyarriver.C’estunedespremièreschosesqu’onapprendàl’écoledesCinqLacs.Jemedemandeducoupsic’estlecasdanstouteslescolonies.Encequiconcernelescouteaux, j’aiceluiquej’aiapportédechezmoi.Enrevanche, lesarcs, les fusils et lesexplosifs retiennentmonattention. Jeveuxpouvoirmedéfendre siunanimalm’attaque.Jerayel’arcdemalistecarjen’enaijamaisutilisé.Jefaisdemêmeaveclesexplosifsquim’onttoujoursfaitpeur.J’aifaitmondeuxièmechoix.Un revolver et deux boîtes de munitions disparaissent dans mon sac au moment où Michal

m’annonce que je n’ai plus que deux minutes. Je sens la panique monter. Que dois-je prendred’autre?DesfuséesdesignalisationpourfairesavoiràTomasoùjesuis?Unsacdecouchage?Unvêtementdepluie?Unenoticeexpliquantcommentdémarrerunevoitured’avant-guerre?Jenesaismêmepass’ilyauradesvoitures.Jefermelesyeuxetjedressementalementlalistedecequej’aidéjà:delanourriture,del’eau,un

couteauavecdesoutils,untranscommunicateur,unrevolver.Etsijesuisblessée?Jerouvrelespaupièresetmesaisisdelatroussedepremiersecours.Ellecontientdespansements,

des bandages, une aiguille et du fil, une pommade antibactérienne, des pilules d’iode contre uneéventuelle irradiation, de l’ibuprofène contre lesdouleurs et la fièvre et quelques autres bouteillesquejen’aipasletempsd’examinerdeplusprès.–Tontempsestécoulé!meprévientMichal.Pendantqu’ilrefermelaportedelaréserve,j’essaiederepoussercetteimpressiond’avoircommis

uneerreur.Detoutefaçon,ilestmaintenanttroptardpourchangerd’avis.Michal vérifie samontre etme guide jusqu’à une autre portemarquée du symbole quim’a été

attribué.Derrièresetrouveunechambreetuneminusculesalledebains.–Tuasuneheurepourréorganisertonsacetchangerdevêtementssibesoin,lance-t-il.Il sourit brièvement en regardant comment je suishabillée.Mais je supposequ’il doit suivreun

scriptprécis.Sansdouteest-ilsurveillé.–Situasbesoindequoiquecesoitd’autre,préviens-moi,jeseraijusteàcôté.Ilmelaisseetjem’assoissurlelit.Toutdanslapièce,descouverturesàlapeinturedesmurs,est

gris.Onnepeutpasdirequecesoitunlieutrèsgai,maisçapourraitêtrepire.D’ailleurs,çavatrèsbientôtêtrepire.Jeprendsunedoucheetmelavelescheveuxavantdelesattacherserré.Siàunmomentouàun

autre,jedoislescouper,jen’hésiteraipas.Jerelacemesbottinesetjevidemonsacpourleréorganiserdefaçonpluspratique.Je garde une gourde à portée demain et glisse les autres sousmes vêtements. Vient ensuite la

trousse de secours, puismanourriture que j’enveloppe dans une serviette trouvée dans la salle debains (personne ne m’a expressément interdit de la prendre). Au-dessus, j’empile letranscommunicateuretlerevolver.Lecouteauestàl’abridansmapoche.Jesoulèvemonsac.Ilestunpeupluslourdquequandj’aiquittélacoloniemaisilestbienéquilibré.Ilnem’empêcherapasdecourirsibesoinest.Trois coups légers frappés à la portem’annoncent que l’heure est passée.Michalm’adresse un

signedetêteapprobateurenremarquantmescheveuxetmedemandede lesuivre.Nous traversonsplusieurscouloirsavantd’arriverdevantunascenseur.IlappuiesurunboutonmarquéSS,sansdoute

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pour«sous-sol».Michalm’expliquequ’untapisroulantnousamènerajusqu’auxlimitesdelavilleoùnousprendronsunaérojetpourfinirlevoyage.Quandnousarrivonsautapisroulant,jenepeuxpasm’empêcherdeposeràMichaldesdizainesde

questions sur son fonctionnement énergétique et la taille du réseau. Il sourit etme promet de toutm’expliquerpendantletrajet.JemanquedetomberenposantlepiedsurlabandedecaoutchoucmaisMichalmerattrapedejustesse.Nousnousdéplaçonsainsipendantprèsd’uneheuresousdestunnelsmaléclairés.Laprésenceetla

voixdeMichalm’empêchentdetroppenseràcequim’attend.Un ascenseur nous amène à la surface où, d’aprèsMichal, nous pourrons nous restaurer. Nous

arrivonsdansunegrandepiècebondéed’officiels.L’und’entreeuxseprécipiteversnous,uncalepinà la main. Il note mon identité et mon symbole avant de demander à Michal de me conduire aunuméro14.C’estenfaitunezonededécollaged’aérojet.Dansunabri,petitmaisbienéclairé,unetableaété

dressée.Michalm’inviteàmangerpendantque lesofficiels terminent lespréparatifs.Lafenêtredel’abridonnesurunepelouseaumilieudelaquelletrôneunefontaine.Jeviensdepasserdelonguesjournées enfermée et je ne sais pas quand je reverrai de l’herbe ; je demande à Michal si nouspouvonsallermangerdehors.Ilcommenceparrefusermaisjedoisavoirl’airdésespéréecarilmeditd’attendrependantqu’ilsoumetmarequêteàsessupérieurs.Ilrevientunsourireauxlèvresetjelanceuncridejoie.Michalmetlanourrituredansunpanieretm’informequenousavonsexactementuneheuredevantnous.Ilappuiesuruninterrupteurquisoulèveunrideaudeferetnoussortons.Je m’assois sous un arbre en avouant que je suis étonnée qu’on nous autorise cette entorse au

règlement.–Tant que je suis avec toi, nous sommes sûrs que tu ne peuxpas communiquer avec les autres

candidats.Iln’yavaitdoncpasderaisondet’obligeràmangeràl’intérieur.Ilmetendunepommeavantd’ajouter:– Pour te dire la vérité, la majorité des candidats préfère suivre les instructions à la lettre. Le

comitéesttoujoursintéresséparceuxquifontpreuved’initiative.Ainsi,mêmemaintenant,alorsquenoussommessur lepointd’être lâchésaubeaumilieud’une

contréedévastéeetdangereuse,noussommesévalués.Çanedevraitpasm’étonner,pourtantc’estlecas.Jechercheunmicroouunecaméradesyeuxmaisjen’entrouvepas.–Net’enfaispas,merassureMichalensouriant.Ilsn’ontaucunmoyendenousentendreici.Et

puis,ilssonttropoccupésàréglerlesderniersdétails.Jesuiscenséfaireunrapportsurnoséchangesmaisjen’enaipasl’intention.C’est l’occasion ou jamais de parler de tout ce quime tracasse. J’hésite car je ne suis pas sûre

d’avoirsuffisammentconfianceenMichal.Monpèrem’arecommandéd’êtreprudentemaisdepuismon arrivée, j’ai prouvé maintes et maintes fois que j’avais beaucoup de mal à suivre cetterecommandationparticulière.Michalmetendunsandwichaufromageetmedemande:–Commenttutesensaprèstoutça?Tutienslecoup?Jen’aipastrèsfaimmaisjemeforceàmordredanslepainquiestsansdoutedélicieux.J’avale

unebouchéeetjeparviensàarticuler:–Malachiestmort.Sousmesyeux.–Jesuisaucourant.Jesuisdésolé.Jelecrois.L’empathiequ’ildégagemedonneenviedepleurer.Jememordslalèvreetjesecouela

tête.–Pourquoiest-ilmort?Uneplanteempoisonnée,uncloudansl’œil,cesontlescauses,maislaraison…

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Michaljetteuncoupd’œilpar-dessussonépauleetmedemandedemangeretdefairesemblantderire de façon à ce qu’un éventuel observateur ne se demande pas de quoi nous parlons. J’obéis.Pendantque je croquedansmon sandwich, ilm’expliqueque le processusduTest a été pensédesannéesplustôtparlepèredudocteurBarnes.Ilestimaitquelaguerreétaitlaconséquencedumanqued’intelligence et de compétence des dirigeants de l’époque. D’après lui, ils étaient incapables deprendredesdécisionssouslapressionetc’estlaraisonpourlaquelleilsn’ontpassunoussortirduconflit.LeTestestleseulmoyendes’assurerquelaCommunautéUnifiéenerépéterapaslesmêmeserreurs. L’idée n’est pas seulement de revitaliser le paysmais de garder le peuple en sécurité.Aucoursdesannées,denombreuxofficielsontremisenquestionlasévéritédespénalitésencouruesparlescandidats.Certainssontmêmeallésjusqu’àaffirmerquelesépreuvesavaienttendanceàéliminerlesmeilleurs,ceuxquipourraientdansl’avenirquestionnerleschoixetlesloisdelaCommunauté.Tous ceux qui osent élever la voix dans ce sens sontmutés dans des colonies éloignées, ou pire,disparaissentcorpsetbiens.Michaléclatederirecommesicequ’ilvenaitdedireétaithilarant.Jel’imitemêmesiriennem’a

jamaissemblémoinsamusant.Éliminerlesmeilleurs?Veulent-ilsdirelesmoinsconformes?Est-cequelefaitd’avoirdemandéàmangerdehorsfaitdemoiungenrederebelleàleursyeux?Toutescesquestionsmefonttournerlatêtemaisjecontinuedesourirecommesimavieendépendait.Cequiestpeut-êtrelecas.Jeterminemonsandwichetj’enprendsundeuxième.Inutiledelemettredansmonsac; ilnese

garderapas.Et jesaisque j’ai intérêtàcommencercettedernièreépreuve leventreplein.Allongédans l’herbe,Michalmeregarde,puis il jetteuncoupd’œilà samontre.Plusquedixminutes,meprévient-ilavantdemedemander:–Tuaspeur?Il me tend une bouteille d’eau. Je bois une gorgée et j’acquiesce en silence. En vérité, je suis

terrifiée. J’essaie néanmoins de ne pas perdre contenance. Je glisse les pommes et les orangesrestantes dansmon sac. J’ai dumal à le refermer carmesmains tremblent.Michalm’aide etmemurmure:– N’essaye pas à tout prix d’arriver la première. Tous les ans, des candidats pensent que c’est

important,c’est faux.Utilise ton intelligence, faisensortedeprendreunminimumde risques, faisconfianceàtesamisdesCinqLacssitupeuxmaisàpersonned’autre.Certainsconcurrentsessaierontdet’éliminerdelacompétition.C’estunestratégiequipeutmarcher.Netelaissesurtoutpaspiéger.Jemesensétourdieetmavisions’obscurcit.Michalmepasseunbrasautourdesépaules.–Tuesforte,Cia,et intelligente,continue-t-il.Jenesuispasleseulàcroireentoi.Prouve-leur,

prouve-moiquenousavonsraison.Etpuis,plusrien.Quandjerouvrelesyeux,j’entendsdel’eauquigoutte.Jesuisallongéesurunmatelas,danscequi

ressemblefortàuncontainermétallique,lequelnedoitpasmesurerplusdedeuxmètressurdeux.Jemesensaussitôtoppresséemaisjeprendssurmoi.Aumoins,j’aidelalumière.Etunpetitpanierdenourritureàmespieds. Ilyaaussides toilettesetunminuscule lavabodansuncoin.Ainsiqu’unehorlogequim’apprendqueleTestcommencedanstrenteminutes.Non,vingt-neuf.J’utilise les toilettes etme passe de l’eau sur le visage.Au goût écœurant qui persiste dansma

bouche,jedevinequej’aiétédroguée.SansdouteparMichal.Jemesensd’abordtrahiemaisçanedurepascarjemerappellesesderniersmots.Ladroguefaisaitpartieduprotocoleobligatoire.Passesencouragements.Michalcroitenmoi.IlpensequejesuiscapablederéussirleTest.Jenevaispasledécevoir.Lesaiguillestournent.J’ôtelesdrapsetlacouverturedulitetjelestassedansmonsac.Lepanier

contientdes sandwichs,unebouteilled’eau,uneboîtedebiscuits et trois framboises. Jemange les

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sandwichsetreniflel’eauavantdelaboire.Lesbiscuitsvontrejoindremesautresprovisions.J’aiàmangerpourunesemaine,peut-êtreplussi jemerationnecorrectement.Jedéguste les framboisessansquitterl’horlogedesyeux.Jemelavelesmainsetsorsletranscommunicateur.L’aiguillede laboussoles’agitesanssefixer.J’espèrequec’estseulementparcequejesuisenfermée.Plusquedeuxminutes.Jeboisunedernièregorgéeetjerangelabouteille.Uneminute.Jenesaisabsolumentpascequim’attenddehors.Jesorsmonrevolver.Uneparoidelaboîteglisseetunevoixenregistréem’annonce:–LaquatrièmepartieduTestamaintenantcommencé.

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CHAPITRE10

Jeremarquequ’onnenoussouhaitepasbonnechance.Une fois dehors, le pied sur un dallage de béton fissuré et envahi par l’herbe, le souffle me

manque. Le paysage est dévasté. Débris d’acier, de béton, de verre et de bois, les bâtiments sonteffondrés.Lesquelquesvoitures,rouillées.Toutestrecouvertd’unecouchedesuiepoisseuse.Icietlà, des arbres à l’aspectmaladif luttent pour émerger et trouver le soleil. Des plantes grimpantesrecouvrentlescarrosseriescorrodéesetcequirestedesédifices.Jeposelesyeuxsurunearchedebrique partiellement détruite. Des mots sont gravés sur le fronton brisé. Je m’approche pour lesdéchiffrer:Chica.oStocExch.eBAumoins,jesuismaintenantsûrequeTomasnes’étaitpastrompé.JesuisàChicago,latroisième

villeàavoirétéanéantiedurantlaQuatrièmeÉpoquedelaguerre.Lesdeuxpremièresavaienteuletemps d’évacuer, pas celle-ci.Des centaines demilliers de gens sontmorts.Nous avons appris enhistoirequel’attaqueaétérapideetinattendue.Lanationalitédesassaillantsn’ad’ailleursjamaisétéconfirmée.Néanmoins,lesdirigeantsdupaysontcruqu’ilssavaientetilsontriposté.Signantainsilafindeleurmonde.Leventsiffledanslesruesabandonnées,maisjesaisquecontrairementauxapparences,jenesuis

passeule.Jepartagele terrainaveccinquante-huitautrescandidats.Etsi j’encroisMichal,certainsn’hésiterontpasàs’enprendreàmoi.Jenesuisforcémentpaslaseuleàêtrearmée.CommentretrouverTomassansrisquerdetombersurdepotentielsennemis?D’oùjesuis,ilestdifficilededéterminerquelédificeestleplushaut.J’escaladelecontaineretdu

toit, j’essaie d’avoir une meilleure vue mais je ne découvre que des amas de béton. Dessous, setrouventlescorpsdeceuxquivivaientlà.Avant.Moncœurseserreàcettepensée.Maisjedoisresterconcentréesurmonobjectif:retrouverTomas.J’aperçoisalorsunéclatdelumière.Lerefletd’unrayondesoleil.Passûrequecesoitunbâtiment,

mais c’est le point le plus haut qui se détache.Difficile d’estimer à quelle distance il se trouve etj’ignoresiTomasseralà-bas,maisjedoistentermachance.Laboussoledutranscommunicateurremarche.L’outilquipermetdedéterminerlalongitudeetla

latitudefonctionneégalement.Aumoins,jeconnaismescoordonnées.Aubesoin,jepourrairevenirici.Je saute au bas du container et je me dirige vers le nord. Je gravis les ruines et j’évite les

excavations. Je m’arrête régulièrement pour tendre l’oreille, mais je n’entends que le vent et lesfeuillesd’unarbrequibruissent.Lesoleilesthautdanslecielquandj’arriveaupieddelastructuremétalliquequej’avaisrepérée.

C’est en fait le squelette d’un ancien gratte-ciel. Comment a-t-il survécu à la destruction, c’est un

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mystère.Jem’assoissurunblocdebétonetjeboisquelquesgorgéesd’eau.Ilfaitchaud,jedoisfaireattentionàresterhydratée.Monestomacgargouilleetjegrignoteunpeudepainauraisin.Combiendetempspuis-jeattendreTomas?Jen’aiaucuneassurancequ’ilmeretrouveici.Ilaaussibienpudécider que son plan du plus haut bâtiment était un échec et partir directement vers l’ouest endirectiondelaclôture.Àlapositiondusoleil,ildoitêtremidipassé.Plusieursheuressesontdéjàécouléesdepuisledébut

delacourse.Jevaisdevoirtrouverunabripourlanuit.L’idéededormiràlabelleétoileexposéeauxautrescandidatsetauxanimauxquipeuventrôderdans lazonemeterrifie.Uneheure.JenedonnepasplusàTomaspourmerejoindre.Ensuite,jebougerai.Je termine ma maigre collation et je décide d’explorer les environs. Ce n’est pas facile de se

déplacerdanslesruinesetjemanquedetrébuchersuruneracine.Del’autrecôtédelastructure,jetombesuruncontainermétallique,exactementcommelemien.Jem’enapprocheprudemmentsansfairelemoindrebruit.Ceseraittropbeauquecesoitceluide

Tomas,maisjevaisvérifierquandmême.L’horloge à l’intérieur est éteinte. Le panier de nourriture ne contient plus qu’un trognon de

pommeetuneboîtedebiscuitsvide.Cen’estpasTomasquiétaitlà.Ilneseseraitpasjetésurdelanourriturequ’ilpouvaitconserver.Etilauraitcommemoiprislesdrapsetlacouverture.J’hésiteàlesajouterauxmiensquandj’entendsunbruit.Ilyaquelqu’undehors.Je m’immobilise et je retiens ma respiration. Il s’agissait assurément de bruits de pas. Les

battementsdemoncœurégrènent les secondes.Plus rien. Je serre la crossedemon revolver et jecomptejusqu’àcent.Toujoursrien.Enferméedanscetteboîtesansfenêtremedonneunsérieuxdésavantage.Nonseulementjenevois

rien,maisjen’aiaucuneissuedesecours.Ilfautquejesorte.Maintenant.Jejetteunœilprudentàl’extérieur.Enfacedemoi,desmurstiennentencorepartiellementdebout.

Laplupartnemesurentpasplusd’unmètredehautmaisunoudeuxmeprocureraientunecachetteparfaite.Dumoinsjusqu’àcequejedéterminedefaçoncertainesilapersonnequirôdemeveutdumal ou pas. Je rajustemon sac surmon épaule. Si quelqu’unme guette,mameilleure chance estd’utiliserl’effetdesurprise.Jeprendsuneprofondeinspirationetjem’élance.Les semelles demesbottes résonnent sur le béton. Ilme semble entendre quelqu’un jurer.C’est

peut-êtreunamisurprisdemevoir ici.Danscecas, ilvam’appeler.Riennevient.Jenesuisplusqu’àquelquesmètresdumurquandjeperçoisunsonaigu,presquemusical.Unecordequivibre.Uncarreaud’arbalèteseplantedansuntroncd’arbreàquelquescentimètresdematête.Quand le son se reproduit, jeme jette au sol.Cette fois, le carreau s’abatpar terre.Encoreplus

près.Unnouveaujuron.Ilvientdemadroite.Ilestévidentqueletireursaitseservirdesonarme.Jedoismemettreàl’abrileplusvitepossible.Jemeredresseetjemeprécipitederrièrelemurjusteaumomentoùuntroisièmecarreaurebonditdessus.Quiessaiedemetuer?Unautrecandidat?Oui,sansdoute.Ilyavaitunearbalètedanslaréserve.

Quellequesoitlapersonnequi l’aprise,elleavait l’intentiondel’utiliserpoursefairedelaplacedans la compétition.CommeRomanquand il a tenté de saboter le travail d’équipede la troisièmeépreuve.La colère et l’indignation m’envahissent.Manifestement, mon assaillant ne compte pas sur son

intelligence pour réussir le Test.Michal m’a prévenue que le règlement autorisait les candidats às’entretuer,maispourmoi,c’estuneformedetriche.Etjen’aipasl’intentiondelaisseruntricheurgagner.J’aiunearmemoiaussi.Accroupie,jemedéplaceprudemmentsurmadroite.Arrivéeauboutdu

mur,j’essaiedecalculerlapositiondutireurenfonctiondel’emplacementdescarreauxquiontfailli

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m’embrocher.Jevise.Etjefaisfeu.Lereculdurevolverirradiemonbrasetmonépaule.Ladétonationseréverbèredanslesruines.

Monadversairejureencoreunefois.C’estungarçon.Jemedemandesijel’aitouché.Jen’enavaispasl’intention.Jenecomptepassurvivreentuantmesconcurrentsmaisjen’aipasnonplusenviedeleurservirdeciblesansriposter.Jetireencoretroisfoisetjetendsl’oreille.Ils’estmisàcourir.Descaillouxcrissentsoussespieds.Ilyaunbruitmétallique.Silence.Etdenouveau,despasquis’éloignententoutehâte.J’airéussiàlefairefuir.Pourlemoment.Je tremblede toutmoncorps.Lacolèrea laisséplaceà lapeur. Jeviensde tirer surquelqu’un.

J’auraispuletuer.Biensûr,jenefaisaisquemedéfendremaislahontem’envahit.Auboutdequelquesinstants,jemerendscomptequejesuisrecroquevilléecontrelemuretqueje

neprêteplusaucuneattentionauxbruitsdelaville.Jedoismereprendre.Jeréfléchiraiplustardàceque je viens d’apprendre sur moi-même. Je dois avant tout partir d’ici. Les coups de feu aurontforcémentattirél’attentiond’autrescandidatsdanslesenvirons.Jepasselatêtepar-dessuslemuretscrutelesalentours.Personne.Apriori,jesuisseule.Etjevais

devoirleresterjusqu’àcequejeretrouveTomas.Jevérifiemaboussoleetjeprendsladirectiondel’ouest.Jem’arrêtetouslesdixpaspourtendre

l’oreille.L’arbalétriernepeutpasêtrebienloin.Lesruinesm’empêchentdemedéplacervite.Heureusement,jefinispartombersurunerueunpeu

plusdégagée.Après une bonne heure de marche, j’arrive devant une large rivière aux eaux noires et

tumultueuses.Pasbesoindemonkitdetestpoursavoirquejen’aipasintérêtàm’ydésaltérer.Unpontpermetdetraversermaisseslargesfissuresneluidonnentpasunaspecttrèssûr.Ilvaut

peut-êtremieuxquejecontinueetquejetrouveunautrepassage.Jerangemonrevolveretjegrimpeàunarbresur labergepouressayerdeprendreunedécisionéclairée.Unpeuplus loin, la rivièreformeuncoudeverslenord-estetjenepeuxpasvoirplusloin.Del’autrecôté,jedistingueunpontmaisilnesemblepasenmeilleurétatqueceluiquej’aisouslesyeux.Sanscompterquejerisquedefairedemauvaisesrencontressurlechemin.Jedoismettreleplusdedistancepossibleentremoietlesautrescandidats.Jevaistentermachancesurcepont.Apparemment,d’autressontpassésavantmoietontessayédeleréparer.Sansdoutedescandidats

des sessions précédentes. Des planches et de gros morceaux de béton ont été placés de façon àboucherlestrouslesplusimportants.Maisàmesurequej’avance,desfragmentss’effritentsousmespieds.Arrivée aumilieu, jeme rends compte que l’autre partie est encore en plusmauvais état. Ilmanque de grands pans d’asphalte et mes prédécesseurs ont dû juger impossible d’améliorer lasituation.Quellessontmesoptions?Fairedemi-touretessayerl’autrepontoucontinuerenespérantquetout

sepassebien?Cequiestsûrc’estquerestersansbougertroplongtempsmemetendanger.Jesuisbeaucouptropexposée.Lapeurdel’arbalétriermepousseàavancer.Laportionsurlaquellejem’engageestàpeineplus

largequemonpied.Lesflots sombres rugissent endessousdemoicommes’ils attendaientque jetombeafindem’engloutir.Jesuisàmoinsdecinqcentsmètresdemonbutquandlebruittantcraintd’unecordequivibrenemelaissepasd’autrechoixquedememettreàcourir.Lecarreausiffleàmesoreillesavantdetomberàl’eau.Plusquetroiscentsmètres,maislepontestdevenuquasimentinexistant.Peuimporte,jesaute.Monpiedglisseetjemerattrapedejustesse.Jemeretrouvependue

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au-dessusducourant.Lepoidsdemonsacm’empêchedemehisser.Mesdoigtss’accrochentàunefissuredanslemacadam.Je rassemble mes forces mais je sens que ma chute est inéluctable. Je me prépare en espérant

réussirànagerjusqu’àlaberge.Enespérantnepasavalerd’eau.C’estalorsquejesensqu’onmeprendlamainetqu’onl’obligeàlâcherprise.Jehurle.

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CHAPITRE11

–Cia,c’estmoi.Toutvabien.Il faut quelques secondes à mon cerveau pour reconnaître la voix. On me tire et je me débats

jusqu’àcequejemeretrouvesurlaterreferme.Ensécurité.Jeparviensàpeineàrespirer.J’articulenéanmoinsun«merci»haletant.Tomasmeregardeavecinquiétudemaisillanced’untonquiseveutléger:–QuandonreviendraàTosu,ilvavraimentfalloirquetut’entraînesausautenlongueur.Ilarriveàmefairesourire.Pendantuninstant,uneseconde,j’oublieoùjesuisetpourquoijesuis

là.Etpuis,jemelèveetjemetourneverslepont,àlarecherchedel’arbalétrier.–Onnedoitpasresterici.Unautrecandidataessayédemetuer.Tomasfroncelessourcilsetsuitmonregard.Jenesuispassûrequ’ilmecroie.Àvraidire,sans

lescauchemarsdemonpère,latrahisondeRomanetlesmisesengardedeMichal,j’auraisdumalàycroiremoi-même.–Ildoitessayerdetrouverunendroitmoinsdangereuxpourfranchirlarivière,estimeTomas.Je

n’arrivepasàcroirequetuaiesréussiàtraversercetteruine.Quandjet’aivuesauter,jemesuisditquetuétaisfolle.Ilme tend lamainetc’est seulementàcemomentque jemerendscompteque lamienneesten

sang.Tomasexaminelacoupure.–Ondevraitnettoyerça,déclare-t-il.Onnepeutpasprendrelerisquequetaplaies’infecte.Mais

allonsd’abordnousmettreàl’abridusoleil.Nousparcouronsunkilomètreavantquej’acceptedefaireunepauseprèsd’untasdebétonetde

poutresmétalliquesderrièrelesquellesnouspouvonsnousdissimuler.Jemerendscomptequejesuisaffamée.Tomass’assoitprèsdemoi.–Jepeuxdéchirermondrapetenfairedesbandagessituasbesoin,mepropose-t-il.–Cen’estpaslapeine,j’aiunetroussedesecours.Jesuiscontentedenepasm’êtretrompée.Commemoi,Tomasaprislesdrapsdulitdanslequel

nous nous sommes réveillés. Pour ne pasmettre du sang partout surmon sac, je lui demande dem’aideràtoutsortir.Jenettoiesoigneusementmesplaiesavecunecompressehumide.Iln’yariendegrave.Seulementdeségratignuressuperficielles.J’appliqueundésinfectantetjeprotègelablessurepourl’empêcherdesesaliravantdeprendreunepomme.J’enoffreuneàTomas.C’estlemoinsquejepuissefaire;ilvientquandmêmedemesauverlavie.Ilsourit.–Bienvulatroussedesecours,mefélicite-t-il.J’aifaillienprendreunemaisjemedoutaisquetu

leferais.

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Ilaprisunrisque.Ilnepouvaitpasêtresûrquenousréussirionsànoustrouver.Maisdesavoirqu’ilnousconsidèredepuisledébutcommeuneéquipemerendincroyablementheureuse.Enmangeant nos pommes et deux roulés à la cannelle offerts parTomas, nous comparons nos

équipements. Il avait également tablé que je prendrais l’eau et le kit de purification mais il nes’attendaitpasàmondernierchoix.Ilétaitcertainquejeprendraisuneboussole.C’estcertainementce dont tous les candidats auront besoin durant leur périple. Il est encore plus étonné quand je luiracontequej’aidéjàeul’occasiond’utilisermonrevolver.–C’étaittoi?Lahontequej’airessentieplustôtrefaitsurface.Jebaisselesyeuxmaisilmeredresselementon

pourm’obligerà le regarder.Et sur sonvisage, je lis de l’attention, de la compréhension et de lafierté.–Tuasbienfait,m’assure-t-il.Ilfautducouragepoursedéfendre.Jesuiscontentquetul’aiesfait.

Jenesaispascequejeseraisdevenus’ilt’étaitarrivéquelquechose.Sanstransition,ilajoute:–Jetemontrecequej’ai?Il expose fièrement une petite boîte à outils dans laquelle se trouvent des allumettes, un vieux

recueil de cartes détaillées des cinquante États des anciens États-Unis datant du XXI siècle et unénormecouteauqu’ilportedansunétuiàsaceinture.Jenemerappellepasl’avoirvudanslaréservemaisildevaitforcémentyêtre.Ilestsigrosqu’onpeutfacilementprendrelemancheàdeuxmains.La lame, quimesure bien soixante-dix centimètres, est crantée à la basemais parfaitement lisse etaiguiséesurplusdelamoitiédesalongueur.–Jemesuisditqueçapourraitêtreutilepours’ouvrirunchemindanslavégétation,m’explique-t-

il.C’estunexcellentchoix.Avant de remballermes affaires, jemontre à Tomas le transcommunicateur demon frère et le

couteauquej’aiapportédechezmoi.Jepensequ’ànousdeux,nousavonsungrosavantagesurlesautres candidats et lorsque nous reprenons la route,mon pas est plus léger.D’après Tomas, nousdevonscontinuerunmomentversl’ouestpuisbifurquerverslesud.Jesuissurprise.–Tunevoulaispasqu’onsuivelaclôture?–Pourquoi?–Pourretrouverlesautres.Tuasbiendonnérendez-vousàZandrietWill?–Non,seulementàtoi.–Mais…Jerefermelabouche.Biensûr.Nefaireconfianceàpersonne.JeconnaisTomasdepuisl’enfance

maislesautres…jenepeuxnéanmoinsm’empêcherdeluidemander:–Etsionlescroise?Les laisserons-nous sedébrouiller seuls ?Abandonnerons-nousceuxquenousavonsconsidérés

commedesamiscesdernièressemaines?Tomasréfléchitunlongmomentavantderépondre:–Jenesaispasencore.Nouspoursuivonsnotreroutesanséchangerplusdequelquesmots.Lepaysagedevientdeplusen

plusnu.Enhistoire,nousavonsapprisque lesgrandesvillesseprolongeaientpardesbanlieuesetdes villes plus petites. Que des centaines, des milliers de gens vivaient et travaillaient dans lesalentours.Iln’enresteplusrienquequelquesruinessuruneterreasséchée.Lesoleilacommencéàdescendreàl’horizonquandnousrepéronsunepetitestructurenichéeau

milieud’herbeshautes.Ellesemble intacte.A-t-elle survécuà laguerreoua-t-elleétébâtieparunrescapé?Tomasetmoinousconsultonsduregardetnousenapprochons.Nouspourrionsmarcher

e

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encoreunpeumaisnousignoronsquandnousretrouveronsunabripotentiel.Laconstructionestpetiteetcarrée–àpeinetroismètressurtrois.Lesolestenbéton.Silesmurs

sontencoredebout,laplusgrandepartiedutoits’estenvolée.Heureusement,ilnepleutpasetlecielest dégagé.Une tache noire dans un coin suggère que quelqu’un, probablement un candidat d’uneannéeprécédente,aalluméunfeuàcetendroit.J’aimeraisenfaireautantmaisniTomasnimoinevoulonsprendrelerisque.Nouspartageonsdes

fruitssecsetdupainetquandnousterminonsnotrerepas,l’obscuritéesttotale.Leclairdelunemepermetàpeinededistinguerl’encadrementdelaporte.Jen’aipaspeurdunoirchezmoimais ici,c’est différent. La nuit renferme desmenaces pires que lesmonstres que j’imaginais sousmon litquandj’étaispetite.Aumoinsundescandidatsenveutànotrepeau.LamaindeTomastrouvelamienneetsoncontactmefaitdubien.–Tudevraisdormir,Cia,murmure-t-il.Jevaisprendrelepremiertourdegarde.Je suis épuiséemais je sais quemes cauchemars attendentpatiemmentque je ferme lesyeux. Je

préfèrediscuter.–TucroisquenousallonsmettrecombiendetempsàrejoindreTosu?J’aicomparélescoordonnéesdenotreabridefortuneàcellesdemonpointdedépart.Nousavons

marché toute la journée sans parcourir plus d’une trentaine de kilomètres. Notre but me paraîtinaccessible.–Jediraisdeuxou troissemaines,estimeTomas.Plusnousnouséloigneronsde laville,moins

nousauronsdedifficultésànousdéplacer.Etnous trouveronspeut-êtreunmoyende transport.Cequetudoisgarderentête,Cia,c’estquesitonpèrearéussi,nouslepouvonsaussi.Je m’accroche à cette idée et je parviens à repousser mes inquiétudes concernant l’eau, la

nourriture,lesbêtessauvagesetlesautrescandidats.JecloslespaupièresenpensantàmonpèreetàlamaindeTomastoujoursdanslamienne.Jesombredanslesommeilsansm’enapercevoir.Je me réveille en sursaut. Au-dessus de ma tête, le ciel est mauve et rose. Il me faut quelques

instantspourmerappeleroùjesuis.Tomasestallongéprèsdemoi,latêtesursonsac.Sarespirationestrégulière.Iln’apasdûserendrecomptequ’ils’endormait.Un craquement de brindillesm’alerte.C’est sans doute ce quim’a réveillée. Le cœur battant, je

secouedoucementTomasetdèsqu’ilouvrelesyeux,jeposeundoigtsursabouche.Ilécarquillelesyeuxetjeluimontrelaporteenarticulantsilencieusement:–J’aientenduquelquechose.Un nouveau craquement et un bruissement de feuilles. Je prends mon revolver dans mon sac.

Tomas a déjà dégainé son couteau.Nous attendons. Si c’est un candidat, il remarquera forcémentnotreabri.Peut-êtrevoudra-t-ilvérifier s’ilpeuty trouverquoiquece soit d’utile.C’est ceque jeferaisàsaplace.Jeresserremonétreintesurlacrossedemonarme.Maispersonnen’apparaîtdansl’encadrementdelaporte.Nous attendons encore. C’est presque comme la veille quand j’étais prise au piège dans le

container,saufquecettefois,jenesuispasseule.Jene saispas combiende tempsnous restons ainsi sansbouger.Quinzeminutespeut-être,mais

aussi longues que l’éternité. Nous n’entendons aucun autre bruit. Tomas se lève et se déplacelentementverslaporte.Jel’imite.Siquelqu’unaprévudenoustendreunpiège,iln’aaucunmoyendesavoirquenoussommesdeux.Lemanchede son couteau serré dans sonpoing,Tomaspenche la tête à l’extérieur.Rien.Nous

faisonsletourdenotreminusculerepaire.Nousnetrouvonsquenosproprestracesetcelleslaisséespardespetitsanimaux.J’étudielesempreintes.Jediraisqu’ils’agissaitd’unrenardetpeut-êtred’unlapin.C’estunebonnenouvelle : àunmomentouàunautre, nous allons avoirbesoindemanger

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autre chose que nos provisions. Je notementalement de chercher du fil de fer pour fabriquer descollets.Tomasetmoirécupéronsnosaffaires.Ilestlargementl’heuredereprendrelaroute.Notre petit déjeuner consiste en roulés à la cannelle, raisins secs et une gorgée dema gourde.

Maintenant que nous sommes deux sur ma réserve, l’eau risque de ne pas durer très longtemps.Surtoutparcettechaleur.Hier, j’étaisobsédéepar l’idéedem’éloigner le pluspossiblede lavillemaisaujourd’hui, jenepensequ’àtrouvercedontnousavonsbesoinpourcontinuernotrepériple.Unpointd’eau,c’estévident.Pastroppolluéepourquemonkitsuffiseàladécontamination.NousétudionslescartesdeTomas.Mêmesilaguerreetletempsonteffacéleshabitations,nousespéronsquecertainslacsetcoursd’eauexistenttoujours.Nouscherchonslescoordonnéesd’unerivièrepastrop éloignée.D’après le transcommunicateur, nous devonsmarcher vingt-cinq kilomètres vers lesud-ouest.Sousnospieds,laterreestpulvérulente.Laconséquencedel’utilisationd’armeschimiques.Nous

buvonsrégulièrementpournepasnousdéshydratercarnoustranspironsbeaucoup.Nousdiscutonsdetoutetderien,denosjeuxd’enfantspréférés,deschansonsapprisesàl’école,denosplatsfavoris.J’apprends que Tomas raffole des carottes glacées au miel. Moi, je me damnerais pour desframboisesfraîches.NousnouspromettonsdemangerdesdeuxpourfêternotreretouràTosu.Aprèsplusieursheuresdemarche,noustrouvonsunbosquetsouslequelnousreposer.Alorsque

Tomasposesonsac, jepousseuncride joie.Prèsdes racinesdesarbrespoussentdesdizainesdepetitesfleursblanches.Dutrèfle.Monpèrem’atoujoursracontéquecetteplanteparvientàvivredansn’importequelsol.Quandnousmanquionsdenourriture,mamèreenfaisaitdessalades.Tomasetmoiencueillonsenprenantgardedelaisserlesracinesetnouslesdégustonsavecnotre

pain.Lesfeuillessontfraîchesetlespétalessucrés.Lesrayonsdusoleildégagentunechaleurpresqueinsupportable.Lapoussièreadhèreànotrepeau

collante de sueur.Nous avons terminé la première gourde, nous entamons la seconde. D’après letranscommunicateur,nousnesommesplusqu’àtroiskilomètresdelarivière.Nousatteignonsnotredestinationenfind’après-midi.Maislelitesttotalementsec.Nousrevérifionsdeuxfoissurlacartepournousassurerquenousnenoussommespastrompés.Il

n’yapasdedoute.Quelquechose,un tremblementde terrepeut-être,a totalementmodifié lazone.Même si ce n’est pas très surprenant, je suis amèrement déçue. Et j’ai peur aussi. Mais le plusimportantestdetrouverunesolution.N’est-cepaslebutduTest?Déterminerlescandidatscapablesde prendre des décisions sous la pression ?Nous allons trouver de l’eau. Il nous suffit seulementd’êtrepatientsetdenousservirdenoscerveaux.Jeremarqueunepetitedénivellation.JelamontreàTomas.–L’eaudecetterivièreabiendûallerquelquepart.Onverramieuxdelà-haut.–D’accord.Lacollineestplusloinetplushautequejenelecroyais.Quandnousarrivonsausommet,lesoleil

commencedéjààdécroître.Lepaysagequenousdécouvronsmedonneenviedepleurer.Delaterrebruneetcraqueléeàpertedevue.Desarbres tordusetmaladifs.Pas lamoindrepetite…sauf… jeplisselespaupières.Oui,là,jedistingueuncarrédeverdure.Ets’ilyadesplantes,ilyaforcémentdel’eau.Tomasmeprendlamainetnousdévalonslacolline.Nouscouronspresque.Pourtant,jenepeux

m’empêcherdepenserquenousvenonsdenousmettreendanger.Nousétionsbeaucouptropvisibleslà-haut. Je partagemon inquiétude avecTomasmais de toute façon, nous ne pouvons plus y fairegrand-chose.Iln’yanullepartoùsecacherdanscedésert.J’essaiederesterconcentréesurl’idéedel’eau.Nousallonsbientôtpouvoirnousdésaltéreretremplirlesgourdes.Pourtant,àmesurequenousapprochons,jemesensdeplusenplusmalàl’aise.C’estunpeutrop

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facile.Cettezonen’apeut-êtrepasétérevitaliséemaisçaneveutpasdirequelecomitédeTestn’estpasvenuyfairequelquesaménagements.Çanemesurprendraitpasqu’ilsaientsemédesembûchessurnotrechemin.D’ailleurs, l’aspectdel’oasisconfirmemessoupçons.L’ovaledelapelouseest tropparfait.Une

petitemarelimpidescintilleaumilieu.Lesdeuxarbresquil’entourentsemblentenparfaitesanté.Tomasaallongélepasmaiss’arrêteens’apercevantquejenesuisplusàsescôtés.–Unproblème?medemande-t-ilenseretournant.Jeluifaispartdemessoupçons.Ilfroncelessourcilsetobservelamare.–Ilssaventquenousavonsbesoind’eau,finit-ilparlâcher.Çameparaîtlogiquequ’ilsaientajouté

dessourcesafinquenousayonsunechancederesterenvie.Sinon,aucund’entrenousneréussiraitcefichuTest!Oui,c’estpossible. Ilapeut-être raison.Maiscontrairementàmoi, iln’apasentendu ledocteur

BarnesluiexpliquerquelamortdeRymeavaitunsens.Iln’apasnonplusvuMalachimourir.Aprèstoutça,jen’arrivepasàcroirequelesofficielssoientprêtsànousaider.Jepropose:–Faisonsletouretouvronsl’œil.Justepourêtresûrs.Tomas crispe les mâchoires, prêt à insister. Il faisait la même tête quand un autre élève ou le

professeursetrompaitenclasse.Maisjeneluilaissepasletempsd’ouvrirlabouche.Jem’accroupisprès de l’herbe et j’observe les fleurs qui poussent au bord de la mare et dégagent une odeurextraordinaire. Les arbres aux larges ramures et au feuillage fourni les protègent des attaques dusoleil.C’estunendroitparfaitaumilieud’unezoneravagée.Est-ilsiétrangequejem’enméfie?Tomass’estpostéfaceàmoi,del’autrecôtédupetitparadis.–Jenevoisriendebizarre,grogne-t-il.–Encoreuneseconde,s’ilteplaît.Mestripesmecrientdepartird’iciauplusvitemaisjedoisconvaincreTomas.C’est lepremier

pointd’eaupotablequenouscroisonsdepuishieretjecomprendsqu’ilsoittenté.Siseulementj’entrouvaisunautre.Jemeredresseetjeretourneverslacollineencriantpardessusmonépaule:–Jerevienstoutdesuite.Malgrélafatigue,jegrimpevite.J’arriveessouffléemaisilnemefautpasplusd’uneminutepour

repérerunruisseauàseulementquelquesmètres. Iln’estentouréd’aucuneplanteet l’eauserasansdoutecontaminée,maisgrâceàmonkit,çanedevraitpasêtreunproblème.Soulagée,jem’apprêteàappelerTomasquandjesuissouffléeparuneexplosion.

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CHAPITRE12

Jetombeviolemmentsurlesoletjeroulesanspouvoirm’accrocheràquoiquecesoit.Arrivéeaubas de la colline, jeme redresse, étourdie, un sifflement aigu dans les oreilles. L’oasis n’est plusqu’untroubéant.Àquelquespas,Tomasestétendu,totalementimmobile.Jeravaleunsanglotetjemeprécipiteverslui.Jeneveuxpas.Jeneveuxpasencoreunefoistenir

lamaind’undemesamisentraindemourir.Maissapoitrinesesoulève,ilestenvie.Parbonheur,Tomasn’étaitpasprèsdelamareaumomentdel’explosion.Sinon,commelesarbresetlesfleurs,ilseraitàprésentréduitenmiettes.Jetombeàgenoux.Ilestinconscientetcen’estpasbonsigne.Jel’examine,àlarecherched’uneplaieàlatête.Rien.

Enrevanche,jedécouvrequ’unebrancheluiaperforél’abdomen,au-dessusdelahanche.Ilsaigne.Meslarmescoulent,jelesessuie.Pleurerneluiserad’aucuneutilité.Jedoisarrêterl’hémorragie.Jele tourne avec précaution. Puis, je prends une profonde inspiration et d’un coup sec, je tire sur lemorceaudebois.Maislesaspéritésdel’écorces’accrochentàsachair.Ilgémitetgrimacequand jeremuelabranchedanslaplaiepourl’enlever.Lesaignementaugmentemaisaumoins,jeparviensàlelibérer.Jedéchiremondrapet,d’unemain,jepresselepandetissusurlablessurependantquedel’autre jecherche la troussedesecours. J’aibesoindudésinfectantainsiquedu fil etde l’aiguille.Mêmesijenesuispassûred’avoirlecouragedelesutiliser.Tomaspousseunnouveaugémissementquandjelemetssurledos.Ilouvrelesyeux.–Qu’est-ce…qu’est-cequis’estpassé?Entendresavoixm’arracheenmêmetempsunsourireetunsanglot.–L’oasisaexploséettuasétéempaléparunebranche.J’airéussiàl’enlevermaislaplaien’estpas

belle.Net’inquiètepas.Jefaisdemonmieuxpourêtrerassurante.Cen’estsansdoutepasbrillant.–Jevaisterecoudreenunriendetemps.Ilfautjusteque…–Justequequoi?Jerougis.–Ilfautjustequetuenlèvestonpantalon.Lesourireégrillardqu’ilmelancenetardepasàsetransformerengrimacequandilcommenceà

sedéshabiller.Jevérifiesousmacompressedefortune.Ilsaignetoujoursmaismoinsabondamment.Sablessure faitbien troiscentimètresdediamètreet cinqou sixdeprofondeur.Lesbordsen sontaffreusementdéchirés.Ildoitbeaucoupsouffrir.J’aivuledocteurFlintrecoudremesfrèresàplusieursreprisesaucoursdesdernièresannéesmais

ils’agissaitdeplaiespluspropresetplusfines.Là,c’estuntrouetjenesaispasdutoutcommentm’y

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prendre.Jedoisquandmêmeessayer.JefaisavaleràTomasplusieurscachetsantidouleur,puisjenettoiesablessuredemonmieuxavec

de l’eau propre. Débarrassée du sang et de la boue, elle a un aspect encore plus terrifiant. C’estdécidément impossibleàrecoudre. Ilnemerestequ’unesolutionetellemedonneenviedehurler,mais je n’ai pas le choix. Tomas saigne encore et si ça ne s’arrête pas très vite, il ne pourra pascontinuer.Etmoinonplus,parcequejamaisjenelelaisserailà,ensachantqu’ilatoutesleschancesdemourir.Jeramassequelquesbrinsd’herbeetdesmorceauxdeboisquej’empile.J’ymetslefeuavecles

allumettesdeTomasetjesorsmoncouteau.Parmilesoutilsdontilestmuni,ilyauntournevis,unelime à ongles, une petite scie, un crochet et deux ou trois autres gadgets dont je n’avais jamaiscomprisl’utilitéjusqu’àprésent.Celuiquejesélectionnedoitfairequatrecentimètresdelongetundelarge.L’extrémitéestplate

avecuntrouaumilieu.Monpèrem’aexpliquéquequandilétaitpetit,ils’enservaitpourouvrirdesbouteilles.Maisnousn’avonspascegenredebouteillesàCinqLacsetjenel’aijamaisvul’utiliser.De toute façon, tout ce qui m’intéresse est la partie plate. Il faut juste que je trouve le couraged’exécutermonplan.Comme j’ai déjà vu le docteur Flint faire quand il est sur le point d’appliquer un traitement

particulièrementdouloureuxàunpatient, jedonneàTomasunmorceaudedrappourqu’ilmordededans.Puis,jepassemonustensileàlaflammejusqu’àcequelemétaldeviennerouge.JedemandeensuiteàTomasdetournerlatête.Jememordslalèvreetj’appliquelemétalbrûlantsursaplaie.Il hurle dans le drap et se tord de douleur.Mes yeux se remplissent de larmes,mais je ne dois

surtout pasm’arrêter.D’unemain, je remets l’ouvre-bouteille dans le feu et de l’autre, j’essuie lesangquicoule.Jerecommencel’opération.L’odeurdeviandegrilléemedonneenviedevomir.Je n’essaie même plus de m’empêcher de pleurer. Je suis si oppressée que j’arrive à peine à

respirer.LescrisétouffésdeTomasmedéchirentlecœur.Maisjecontinue,encoreetencore.Jusqu’àcequelesaignementstoppe.Mamaintremblealorsque

jenettoiedenouveaulaplaieavecnotreeausiprécieuse.J’appliquedudésinfectantet jecouvrelablessure d’un bandage propre avant d’aider Tomas à remettre son pantalon. J’espère de toutmoncœurqu’ilneressaigneraplus,carjenecroispasêtrecapablederecommencer.Tomasaleregardvitreuxetsonfrontestemperlédesueur,maisilparvientàm’adresserunfaible

sourire.–Jen’aipresqueriensenti,ment-il.Jemepenchepourl’embrassersurlajouemaisiltournelatêteetmeslèvreseffleurentlecoinde

sabouche.Nousnousregardons.Puis,trèslentement,Tomasposesamainsurmanuqueetm’attireàluipourm’embrasser.C’estunbaiserpluslégerqu’uneplumemaisjelesensjusqu’aucreuxdemonventre.Sicen’estpasmonpremierbaiser,aucunnem’avaitjamaisfaitceteffet.Lapeuretl’adrénaliney

sontpeut-êtrepourquelquechose.ÀmoinsquecenesoitparcequejenesaispaspourquoiTomasm’embrasse.Pargratitude?Ouparcequelelienquenousavonsconstruitpetitàpetitcesdernièressemainesdevientdeplusenplussolide?Ouencoreparcequ’ilenavaitenviedepuisquenousavionsdanséensembleàlacérémoniedesdiplômesl’andernier?Perturbéepardesémotionsquejerefused’analyser,jeluitourneledospourrangerlatroussede

secours.Jemarmonne:–Ilvabientôtfairenuit.Duhautdelacolline,j’airepéréunruisseau.Iln’estpastrèsloin.Tucrois

quetupeuxmarcherjusque-làoutupréfèresquenouscampionsici?Danscecas,j’irairemplirnos

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gourdesleplusvitepossible.Tomassecouelatêteets’agenouillepéniblement.–Sitoncopainàl’arbalèteaentendul’explosion,ilyadeschancesqu’ilrappliqueparici.Onne

devraitpasrester.Avectoutcequivientdesepasser,j’avaispresqueoubliélesautrescandidats.Tomasaraison.On

doitdégagerauplusvite.Jel’aideàseleveretilpassesonbrassurmonépaule.Ilfaitplusd’unetêtedeplusquemoi,mais

nousarrivonsàmarcher.Nousgravissonsleflancdelacollineàpaslentsetarrivésausommet,noussommesàboutdesouffle.Heureusement, lescachetsantidouleurcommencentàfaireeffetetTomaspeutallongerlepasen

descendant.Au bord du ruisseau, je repère un gros buisson aux feuilles grisâtres. J’emprunte soncoupe-coupeàTomas,jemeglissesouslesbranchagesetjetaillededanspournousfaireuneespècedenidaucentreduquelj’étendsunecouverture.Jel’aideàsecoucheretils’endortavantmêmequej’aieeuletempsdeleprévenirquej’allaisremplirnosgourdes.Testerdel’eaun’estpastrèscompliqué,maisçanécessiteunpeudetempsetdelumière.Saufqu’il

faitdéjà trèssombre.Jedoisnéanmoinsessayer.Si lablessuredeTomas s’infectependant lanuit,j’auraibesoindenettoyerlaplaie.Jeremplisunpetitrécipientetj’ajouteundesrévélateurschimiquesquej’aiàmadisposition.Je

mélangeunpeu.Sil’eaudevientrouge,c’estqu’ellecontientducyanuredepotassium.CepoisonaététrèsutilisélorsdesbombardementsdelaQuatrièmeÉpoque.Aprèsquelques instants, le liquiden’a pas bougé et je passe au révélateur suivant. Les trois premiers tests ne donnent rien, mais lequatrièmeestpositif.Lateintevioletteindiquelaprésenced’unetoxinecrééeparl’AllianceAsiatique.Elleapoureffetdebloquer lesystèmecardio-vasculaire. Je jettemonéchantillonet je remplis lesgourdes eny ajoutant l’antidoteprévu. Il lui faudra aumoinsuneheure avantd’agir efficacement.Demainmatin, je referai un test. Je rejoins Tomas sous le buisson et je me restaure de quelquesmorceauxdepommeséchéeavantdemeblottircontrelui.Jenetardepasàsombrerdanslesommeil.Je suis réveillée par le chant d’un oiseau. Enveloppée dans la couverture, je me crois pendant

quelquessecondesà lamaison.Quand j’ouvre lespaupières, jedécouvreTomasquim’observeensouriant.–Bonjour,mesalue-t-ilàvoixbasse.–Jen’étaispascenséem’endormir,jemaugrée.Jeme rends comptequ’il aurait punous arrivern’importequoi.Nouspourrions aussi bien être

morts.J’aiétéstupideetjem’enveux.SiçanesemblepastropperturberTomas,ilprendquandmêmesoindenepaséleverlavoix.–On est plutôt bien cachés. Jeme suis levé tout à l’heure et je suis allé faire un tour dans les

environs.Iln’yapasdetracesd’autrescandidats.Jefroncelessourcils.–Tunetrouvespasçabizarrequ’onn’enaitcroiséaucun,enfin,sionexceptelefouàl’arbalète?– Je ne sais pas, répond Tomas en haussant les épaules. La zone du Test est plutôt étendue.Du

moinsaudébut.Ilprendsonlivredecartesdanssonsacetl’ouvreauxpagesduKansas.–Sijenemetrompepas,poursuit-il,elleserétrécitverslafin.Àpartirdelà.IlposeledoigtsurunevillenomméeWichita.–Jepensequelesofficielsontprévuderéunirtousceuxquiresterontprécisémentlà.–EncoreuntestdansleTest,jecommente,commehier.–Oui,acquiesceTomas.Etregardecommentças’estterminé.Sesyeuxgrisétincellentdecolère.C’estuneémotionquejenel’avaisjamaisvuéprouver.Ilest

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toujourssicalmeetrationnel.– J’ai bien failli y rester, gronde-t-il, lamâchoire crispée. Tout ça parce que je ne t’ai pas fait

confiance.Cetendroitm’adonnédel’espoir,pourlapremièrefoisdepuisledébutdecefichuTest,etsonbutétaitdemeréduireenmiettes!Jenevoulaispasquetuaiesraison!JerefusaisdecroirequelesOfficielspouvaientvouloirnoustuer!Jenecomprendstoujourspaspourquoi!C’estinsensé!Ilserrelespoingsetjevoudraisapporteruneréponseàsesquestions.Maisjen’enaipas.Alorsje

luiprendslamainparcequejemesensaussiperduequelui.NousrestonsainsiplusieursminutesavantqueTomasmesourie.–Entoutcas,tut’estrompéeaumoinssurunechose,Cia.Jenesuismanifestementpasl’élèvele

plus intelligentde laclasse.Même si c’était trèsmalin demapart de faire équipe avec toi.Quelleautrefilleauraitétécapabledemesoigneraprèsquej’airéussiàmefaireexploser?Jemetournepourprendrelepaquetdefruitsséchésafinqu’ilneremarquepasmesjouesécarlates.–Tu plaisantes, toutes les filles àmarier deCinqLacs se seraient battues pour être àmaplace.

Surtoutsituleuravaispromisdelesembrasserpourlesremercier.–Cia…Jeleregarde.Ilneritplus.–Siuneautrefillem’avaitsoigné,murmure-t-il,jenel’auraispasembrassée.Sesmotsprovoquentenmoiunesensationdedouceuret…d’évidence.Auboutd’unmoment,ilselèveetmetendlamain.–Allezviens,Tosun’estpaslaporteàcôté.Avantdepartirjeretestel’eau,contented’avoirquelquechoseàfairepournepastroppenseràce

quevientdemedireTomas.Suis-jevraimentspécialeàsesyeuxouvoulait-ilseulementmeflatter?Compte tenudunombrede fillesqui se jetaientà sespiedsàCinqLacs, j’aidumalàcroirequ’ilpenseréellementàmoidecettemanière.Pourtant,quandjemerappellenotredanseettoutescesfoisl’annéepasséeoùjel’aisurprisàmeregarderàladérobée…L’eauestpotable.Nousenprofitonspourenboirenotrecontentetmêmepournousdébarbouiller.

Nousmangeonsquelquesbiscuits,despommesetunpeudetrèflerougequenoustrouvonsprèsdenotrebuisson.Aprèsque j’aivérifié laplaiedeTomasetque j’y ai appliquédudésinfectant, noussommesprêtsàleverlecamp.Il fait moins chaud qu’hier. Je pense qu’une tempête ne va pas tarder. Ce n’est pas une bonne

nouvellemais ça rend lamarchemoins épuisante.Autour denous, le paysagedevient unpeuplusvallonné.Etsilaterreesttoujoursaussicraquelée,lavégétationyestplusfréquente.Lesfeuillesdesarbres sont moins noires et leur tronc moins tordu. Je trouve des carottes sauvages, des rosestrémièresetdes laiteronsquenouspourronsfairebouillirsinousavons le temps.Nosréservesnedurerontpasplusdetroisouquatrejoursetnousnesavonspascequinousattend.Nous apercevons aussi plusd’oiseaux.Tomas repèredes empreintesde renard, de chevreuil, de

lapinetd’autresanimauxquenousnereconnaissonspas.Nousallonsdevoirchasser;laviandenousseraindispensablesinousvoulonsavoirassezd’énergiepourfinirleTest.Maispourlemoment,leplusimportantestd’avancer.Noustraversonsdenouveauunezoneanciennementhabitéeet, lanuitvenant,nouscommençonsàchercherunabri.Nousnousdécidonspourunemaisondontlepremierétageestencoredebout.Peut-êtrepourrons-nousytrouverdufildeferpourdescolletsetunoudeuxobjetsintéressants.L’idéalseraitévidemmentunmoyendelocomotionpourallerplusvite.Une famille d’animaux amanifestement élu résidence à cet endroit. Les traces de griffes et les

déjectionsfraîchesnousdissuadentd’entrer.Lamaisond’àcôtésemblesur lepointdes’effondrermaisjustederrière,uneespècederéservetientencoredebout.Lesderniersrayonsdusoleilpénètrentparlafenêtredontlesvitresontdisparudepuislongtemps.Lapoussièreetl’odeurd’humiditémefontéternuer.Unbancestentraindepourrircontreunmur.Del’autrecôté,gîtlacarcasserouilléedece

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qui devait être un tracteur. Il y manque le moteur et les roues. En déplaçant un tas de bûchesvermoulues,jedécouvreunecarrioleenbois.Elleestinutilisabletellequelle,maislesrouesenmétalparaissent récupérables. Tomas sort sa boîte à outils et entreprend de les démonter. Lourdes,couvertesdegraisseetdetoilesd’araignées,ellespourraientnéanmoinsnousserviràconstruireunmoyendetransportplusrapide.En explorant les autres maisons, nous récupérons une petite casserole et une poêle ainsi que

quelquesvisetécroussurunevieilleportedeplacard.Cen’estpasgrand-chosemaisc’esttoujoursmieux que ce que nous avions au départ. Nous installons notre campement pour la nuit et nousrestauronsdedeuxpommesetdelafindenotrepain.Nousnouscouchonsenespérantdégotterdenouveauxtrésorslelendemain.Effectivement, le jour suivant, à seulement quelques kilomètres, nous tombons sur un

regroupement d’une dizaine d’habitations en brique qui, étonnamment, ont résisté au temps. Noussupposonsquenousnoustrouvonsdansunanciencentre-ville,unpeucommeleparcdesCinqLacs.Nous nous apprêtons à entrer dans un des bâtiments quandTomasmemontre une empreinte de

bottedanslapoussière.Sansdouteunautrecandidat.Jen’aiqu’uneenvie:fuirleplusloinpossible.MaisTomas estime qu’il serait plus prudent d’essayer d’en savoir plus sur les intentions de notreconcurrent.Jereconnaisquec’estassezlogique.Jesorsmonrevolveretjelesuisàl’intérieurdelamaison.

Nouseffrayonsunefamilledeboulesdepoilsquifilentàtouteallureversuntroudanslemur.Parréflexe,jetendslebrasetjetire.Bang.Bang.Deuxdespetitesbêtess’écroulent,lesautresdisparaissentàtoutespattes.Puis je réaliseque jeviensdecommettreunebêtise. J’ai tout simplement alerté les alentoursde

notreprésence.JebafouilledesexcusesmaisTomassecouelatêteenriant.–Net’enfaispas.S’ilyavaitvraimentquelqu’un,iladûprendresesjambesàsoncouenentendant

lescoupsdefeu.Ets’ilavaitvutaperformance,ilcourraitcertainementdeuxfoisplusvite.Ilmedemandede surveiller la ported’entréependantqu’il vérifie les autrespièces.Auboutde

quelques minutes, je l’entends pousser un cri. Je pense d’abord qu’il est tombé nez à nez avecquelqu’unmaisquandilmedemandedelerejoindre,jeperçoisnettementdelagaietédanssavoix.Jeleretrouvetoutsourires.Ilaunesurprise.Etquellesurprise!Danscequidevaitêtreunlocaloù

lesgensrangeaientleursvéhicules,iladécouvertdeuxbicyclettessousunebâcheplastique.Lapièceestsombreetc’estdifficiled’estimerleurétat.L’uned’entreellesaunerouemanquante,l’autren’anichaînenipédale.Maispeuimporte.C’estlaplusbellechosequej’aiejamaisvue.Nous les sortons à la lumière et je vais chercher les deux animauxque j’ai abattus.Ce sont des

opossums.Jesaisd’expériencequeleurchairestcomestible.Tomas propose de s’occuper du dîner et s’éloigne à la recherche d’une source pendant que

j’examinelesbicyclettes.Jelesnettoieavecunmorceaudedrap.Jeréparesansdifficultélachaînedecellequienatoujoursune,puisj’utiliselestroisheuressuivantesàréalignerlesvitesses,décollerlesfreins,enleverleschambresàaircrevées,replacerlachaînesurlespignonsetrembourrerd’herbeles sellesgrignotéespardes rongeurs.Quand le soleil commence àdescendre à l’horizon, je suiscouverte de graisse et de poussière,mais un des deux vélos est utilisable. Peut-être pas pour trèslongtemps,maisceseratoujoursçadepris.Jesuisconvaincuequelesroues,mêmesanschambresàair,peuventencoreparcourirquelqueskilomètres.Tout en travaillant, j’ai réfléchi à unmoyen d’utiliser le deuxièmevélo dont une seule roue est

encorepotable.Parfois,DaileenetmoinousamusionsàroulersuruneseuleàCinqLacs,maisc’estimpossible sur une grande distance. Aumoment où Tomasm’appelle pour manger, j’ai peut-êtretrouvéunesolution.Jem’essuielesmainsdemonmieux.Uneautresurprisem’attend.Tomasafaitunfeu,rôtilesdeuxopossumsetmisàcuiredescarottessauvagesavecdel’écorcedepin.Lemieux

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estsûrementledessert:desframboisessauvagesqu’ilatrouvéesderrièreunedesmaisons.L’espoiretlajoiequej’aiéprouvéstoutelajournéen’ensontquerenforcés.Pendantquenousmangeons,jediscuteavecTomasdemonidéederéparerladeuxièmebicyclette

aveclesrouesdelacarriole.Nousdécidonsdepasser le joursuivantànousenoccuperensemble.Nousperdronsunejournéedemarche,maisnousespéronsquenotrepariserapayant.Aprèsnotrepetitdéjeunercomposéd’opossumfroidetdeframboises,nouspartonstravaillersur

levélo.Le soir, nous avons réussi et, le sourire jusqu’aux oreilles, je fais le tour de la petite place en

pédalant.Satisfaitsdenotre journée,nousnousallongeonset regardons lesétoilesapparaîtredans leciel.

On se croirait presque dans le parc de Cinq Lacs. Je me tourne vers Tomas pour partager cetteimpressionavecluiquandilposedoucementseslèvressurlesmiennes.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent.Dansl’obscurité,jenedistinguepaslestraitsdesonvisagemaisjesaisqu’ilmelaissel’opportunitédereculersij’enaienvie.Jenelefaispas.C’estàmontourdel’embrasser.Jepassemon bras autour de son cou et je le sens sourire contre ma bouche. Je frissonne. Malgré notresituationplusqueprécaire,riennem’ajamaisparuaussiparfait.Jusqu’àcequ’uncriretentissedanslanuit.Unevoixféminine.Nousnousséparonsbrusquementet

nous levons.Tomas sort son couteau, je saisismon revolver.Côte à côte, nous attendonsun autrehurlement.Maisriennevient.Nousnefermonspasl’œildelanuit.

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CHAPITRE13

Nousnouslevonsàl’aubeetchargeonsnossacssurnosbicyclettes.Nousnousdirigeonsverslesud-ouest.Nousavonspassélanuitdanslesbrasl’undel’autre,sansjamaislâchernosarmes.Avantdepartir, j’aivérifié lablessuredeTomas.Elle cicatrise correctementmais il adumal à

trouver uneposition confortable sur le vélo.Le terrain est plein de cahots et nous n’avons pas dechambres à air pour absorber les chocs. À mesure que nous nous éloignons de Chicago, nouscroisonsdeplusenplusd’arbresetdeplantesdetoutessortes.Plusdemaisonsencoredeboutaussi.LacartedeTomasindiqueuneautorouteunpeuplusloinverslesud.Nousdécidonsdetenternotre

chance.Peut-être est-elle encoreenpartie enétat.Nousn’évoquonspas lavéritable raisondecettedécision.C’estde làquevenait lecricettenuit.Sinous trouvonscellequi l’apoussé,nous seronspeut-êtreenmesuredel’aider.Jenepourraispasmeregarderdansunmiroirsinousl’abandonnionssansmêmeessayer.Aubout de plusieurs kilomètres, nous apercevonsunenuéede corbeaux en train de décrire des

cerclesdansleciel.Magorgeseserre.Sansunmot,nouspédalonsàtraversl’herbebrunepourallervoircequilesaattirés.Enarrivant,nousnepouvonsqueconstaterqu’iln’yaplusrienàfaire.Lecorps de la jeune fille étendu sur le sol est déjà à moitié mangé par les oiseaux. Il me semblereconnaître la candidate qui marchait devant Malachi juste avant la première épreuve. Ses longscheveuxblondssontengluésdesangetdeterre.Elleauncarreaud’arbalèteplantédansl’estomac.Sonsacadisparu.Ilsepeutqu’ellel’aitperdumaisilestplusprobablequel’arbalétrierleluiait

volé.Ilestpeut-êtreencoredanslesparages.–Onnedevraitpasresterici,souffleTomas.Nousnedevonsplusêtretrèsloindelaroute.J’acquiesce.Pourtant,nousnebougeonspas.Jen’arrivepasàlaissercettefillesefairepicorerpetitsmorceaux

parpetitsmorceaux.Elle avait sansdouteune famille, des amis ; desgensqui l’aimaient et qui lacroient en sécurité au centre de Test de Tosu en train de démontrer ses capacités enmaths ou ensciences.Ilsnesaurontjamaisriendecequiluiestarrivémaisl’amourqu’ilsluiportaientexigedurespect.C’estcequemesparentsm’ontenseigné.C’estcequepenseraitn’importequelhabitantdeCinqLacs.Tomastrouveunefissuredansunerocheetnousyglissonslecorpsdelajeunefille.Jeparviensà

luidétachersonbraceletd’identification.Son symboleétaitun triangleavecune roueà l’intérieur.Nouslarecouvronsdepierrespourempêcherlesoiseauxdecontinueràladéchiqueter.Jeplaceuncaillou de teinte rouge au-dessus pourmarquer l’emplacement de la tombe. En serrant le braceletcontremapoitrine,jefaislapromessesilencieusequemalgrélapression,jen’abandonneraijamais

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lesvaleursquifontdemoiunêtrehumain.Mêmesiçadoitmefaireéchouer.Jen’oublieraipasnonpluscettejeunefilleauxcheveuxblondsdontjeneconnaispaslenom.Nousavonsperduunebonneheure.Nous remontons sur nos bicyclettes.Nous n’échangeons pas une parole et ne nous arrêtons que

pour purifier de l’eau et ramasser des pissenlits et des carottes sauvages. Mes jambes tremblentd’épuisement,maisl’imagedelajeunefillemorteetdesesorbitesvidesmepousseenavant.Nousn’arrivonsàlaroutequelelendemainmatin.C’estunelonguebanded’asphaltequisedérouleaussiloinqueportenotreregard.Jedevraism’en

réjouirmais le fait qu’il n’y ait aucun nid-de-poule ni aucune fissureme remplit au contraire deterreur.JedemandeàTomas:–Tupensesquec’estencoreunpiège?Ilhochelatête.–Depuislasource,jepensequetoutestpossible…Regarde.Jetournelatêtedansladirectionqu’ilm’indique.Auloin,jedistinguelalignebleuedelaclôture.

Lalimitesudquenousnesommescensésfranchirsousaucunprétexte.– Ilsontdû réparer la routepourpouvoirposer la clôture, reprendTomasen sortant son livre.

D’aprèslacarte,ellevajusqu’àlafrontièresud-ouestdel’ancienÉtatetencroiseuneautrequivadirectementàTosu.Jepariequelesofficielsl’empruntentquandilspréparentleTest.LeraisonnementdeTomasmeparaîtjuste,maisilyaunautreproblème.Sursacarte,ilestévident

quelaroutetraverseplusieursgrandesvilles.Monpèreparlaitdegratte-cieldanssoncauchemar.Silesofficielsnousonttendudespièges,ilsseronttrèsprobablementlà.Jeprendsuneprofondeinspirationavantdeproposer:–Onpeutjeterdescaillouxsurlaroute.Onverrasielleexplose.Tomasritetramassedesmunitions.Nouslançonsunedizainedecaillouxsurlemacadamavantde

nousdécideràyposerlepied.Aprèscequenousvenonsdetraverser,roulersurunrevêtementaussilisseressembleauparadis.Leventsurmonvisageestplutôtagréable.Nousavançonsviteetjesuisheureused’êtretoujours

envie.Maisauboutd’unmoment, jeréalisequesi larouteaaccrunotrevitessededéplacement,ellea

également augmenté notre exposition. Nous sommes visibles pour n’importe quel autre candidatembusquédansunbuisson.J’espèrequel’arbalétriern’apasencoretrouvédemoyendesedéplacerplusvite.Noustraversonsunpontquienjambeunelargerivièreàl’eauopaque.Je suggère à Tomas que nous nous arrêtions pour la nuit. C’est tôt pour camper mais je suis

épuisée et en sueur. Les crampes menacent mes mollets. L’abondance d’eau signifie que je vaispouvoirmelaverpourlapremièrefoisdepuisplusieursjours.C’estaussiunexcellentendroitpourposerdescollets.Tomas accepte. Il est également fatigué. Le transcommunicateur nous apprend que nous avons

parcouru plus de soixante-quinze kilomètres dans la journée. C’est-à-dire, depuis notre départ, unseptièmedenotretrajetjusqu’àTosu.Larivièreestévidemmentcontaminée,maisnousyapercevonsmalgrétoutdespoissonsquiontdû

s’adapteràlapollution.Nousnepouvonspaslesmangercrusmaiss’ilssontcuits,nousnerisquonsrien. Tomas attache un crochet trouvé dans sa boîte à outils à une lanière de drap. Il utilise nosderniersmorceauxd’opossumcommeappât.Quandjereviensdemarécolted’oignonssauvagesetdepontédériebleue,iladéjàpêché,préparéetcuittroispoissons.Ilsressemblentauxpetitsbarsquenousattraponsavecmonpère.Nousfaisonsunvéritablefestin.

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J’aiencoreuneheureoudeuxavantlecoucherdusoleil.J’enprofitepourmelaver.Lekitdetestadéterminéquelacontaminationétaitlégère;ellen’auradoncaucuneffetsurmapeau.Enculotteetsoutien-gorge, je m’immerge dans l’onde glacée. Le courant étant étonnamment fort, je nem’aventurepasloindubord.Aprèsm’êtrefrottée,jeremonteetjerestequelquesinstantsàsécheravantdepassermesvêtements

derechange.En revenant près du campement, j’aperçois Tomas raide comme un piquet, les yeux fixés droit

devantlui,soncouteauàlamain.Jesaisismonrevolveretjelerejoinsenprenantsoind’éviterlescaillouxetlesbrindillespournepasfairedebruit.Tomassursautequandjeluitouchel’épaule,puisiltendlesdoigtsverslaroute.Trois silhouettes sedécoupent.Àcettedistance, impossibledesavoir sicesontdes fillesoudes

garçons,maisàleurpastraînant,ilestévidentqu’ilssontfatigués,affamésetpeut-êtredéshydratés.Mêmeàleurallure,ilsserontlàavantlatombéedelanuit.–Tuveuxqu’ons’enailleavantqu’ilsnousaientvus?medemandeTomas.–Qu’est-cequetuenpenses?Ilfroncelessourcils.–Ilsn’ontpasl’airenétatdenousfairedumal.Nouspourrionspeut-êtrelesaider.Justepource

soir.Detoutefaçon,ilsnes’attendrontpasàvoyageravecnouspuisqu’ilssontàpiedetnousàvélo.Jesuisd’accordaveclui.Certainscandidatssontprêtsàentuerd’autrespourréussirleTest.Jene

veuxpasêtrecommeeux.C’estpourquoijeluipropose:–Pourquoin’irais-tupaspêcherunoudeuxautrespoissons?Tomaslesobserveencoreunmomentavantdes’éloignerverslarivière.Quandletrioarrive,ungrandgarçonrouxauvisageconstellédetachesderousseur,etdeuxfilles

dontunegrande,auteintmatetauxcheveuxcourts,nouslesattendonscachésdansunbuisson.Ilsmesontvaguementfamiliers.Ilstiennentàpeinedeboutetjen’hésitepasàmedécouvrir.–Vousavezfaim?Tomas est toujours dissimulé, son couteau à lamain.Nous avons pensé qu’en voyant que nous

étions deux, ils auraient plus de raisons d’avoir peur et donc de nous agresser. J’espère qu’ilsn’estimerontpasnécessairedes’enprendreàunefillemaigrichonneetseule.Aucundestroisnesemblesurprisparmonapparition.Ilsontdûsentirl’odeurdupoissongrillé.

Mais la terreur s’allumedans leurs yeuxquand ils remarquentmon arme. Jeme sensmal à l’aisemaisjenelaposepas.Jenesuispassinaïve.Jereprends:–Jepeuxpartagermonrepasavecvousetj’aidel’eaudécontaminée.Vouspouvezpasserlanuit

ici,sivousvoulez.Legarçonprendlaparolelepremier.–Pourquoitunousaiderais?Jehausselesépaules.–C’estcommeçaquej’aiétééduquée.Jenesaispass’ilsmecroientousileurfaimesttropgrande,maisilsacceptentdemesuivre.Jeles

informequejenesuispasseule.ÀlavuedeTomasetdesoncouteau,unedesfillesesteffrayéeetlesautresdeviennentplusméfiants.Lepoissonetl’eaufinissentdelesrassurer.Ilss’assoientautourdufeusanslâcherleurssacs.Unedesfillessemetàpleurerquandjeluiproposedeseservir.Entredeuxbouchées,elleparvientàseprésenter.Elles’appelleTracelynetsescompagnonsStacia

etVic.IlsviennenttouslestroisdelacoloniedeTulsa.IlsétaientassiscôteàcôtequandledocteurBarnesamontrélacarteetcommeTomasetmoi,ilssesontmisd’accordsurunpointderencontre:laclôtureausuddupointdedépart.Illeurafalludeuxjourspourseretrouveretdepuis,ilssuiventlaroute.Ilsnes’enéloignentquepourchercheràboireetàmanger.Ilsn’ontpaseubeaucoupdechance

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dececôté-là.Dèsqu’ilsaperçoiventunautrecandidat,ilssecachent.– Nous étions dans une maison abandonnée quand vous êtes passés ce matin, précise Vic en

reprenantdupoisson.Nouspensionsquevousétiezarrivésbeaucoupplusloinetjen’aipaspenséàchercher des traces de roue. J’aurais dû être plus prudentmais l’odeur de nourriturem’a distrait.Vousavezl’airdebienvousensortir,maiscen’estpaslecaspourtoutlemonde.–Onsait,lâcheTomasenregardantVicdroitdanslesyeux.Lesdeuxgarçonssemblentse jauger.Viccontemple lecouteaudeTomaset le revolversurmes

genoux.–J’aientendudescoupsdefeu,ilyadeuxjours,lance-t-il.Jenerépondspas.Àlaplace,jedemande:–Vousn’avezpasétéprispourcibleparunarbalétrier?Tracelynécarquillelesyeux.–Quoi?Undescandidatstiresurlesautresàl’arbalète?Jenecomprendspas.Lesofficielsnous

ontditquetousnoschoixseraientévalués.Ilsrefuserontforcémentceuxquifontcegenredechose!Quelgenrederesponsablesseraient-ils?–Unresponsableaucaractèrefort,intervientStaciasansleverlesyeux.LaQuatrièmeÉpoquedela

guerreauraitétéévitéesileprésidentdesÉtats-Unisavaitattaquél’AllianceAsiatique.Maisaulieudeça,etcontrel’avisdesesconseillers,ilavouluréunirunecommissioninternationale.Ilétaitpacifistealorsquelepaysavaitbesoind’unhommecapabledemontrersadéterminationparlesarmes.Tomassecouelatête.–S’ilavaitattaqué lepremier, l’AllianceAsiatiqueaurait ripostéde toute façon.L’ÉpoqueTrois

avaitdéjàcausédeterriblesdommages.Ilvoulaitévitercequ’ilconsidéraitêtrelepremierpasversladestructiondumonde.–Onpeutpasdirequeçaaitmarché,ricaneStacia.Moi,jecroisqu’ennousabandonnantaumilieu

de ces villes détruites, les officiels essaient de déterminer lesquels d’entre nous ont un instinct detueur!Elleapeut-êtreraison,maisjenepeuxpaslalaisserdireça:–MonpèrearéussileTestetilestpacifiste.Ilcroitàlacréation,pasàladestruction.Staciahausselesépaules.–Peut-êtrequ’ilatoutsimplementmentiàsonretouretprétenduqu’ilavaiteulapeaudecertains

desescamarades.Detoutefaçon,ilsn’ontaucunmoyendesavoircequ’onfaitpendantqu’onestici,pasvrai?Jen’aipasoublié lescamérasdans l’aérojet, lacabane, leschambres,maisTomasacalculéque

l’écartentrelesdeuxclôturesestàpeuprèsdecinquantekilomètres.Ilestimpossiblequelesofficielsaientréussiàeninstallersuffisammentpourcouvrirtoutelasurfacequenousdevonsparcourir.Maisilsontputrouverautrechose.La conversation dévie et nos invités nous parlent de leur colonie. Tulsa comprend 70 000

personnes et le père de Vic travaille dans une ancienne raffinerie toujours active. Les parents deTracelyn sont employés à la centrale électrique – c’est la plus grande de toute la CommunautéUnifiée.Stacia,elle,neditrien.Allongéesurledos,elleregardelesétoiles.Jemedemandeàquoiellepense.Lesgarçonscomparentleursarmes.LesfillesontdescouteauxetVicunrevolvercommelemien.Çame rassure qu’ils se soientmontrés honnêtesmais jeme demande si je vais réussir àdormiràcôtéd’autrescandidatssibienarmés.Nouslaissonslefeualluméetnousnousrépartissonslestoursdegardepardeux.D’abordVicet

Tomas,puisTracelynetmoi.Stacianeseproposepas.Elleserecroquevilledansuncoinets’endortaussitôt.Avantdemecoucher,jeconfiemonrevolveràTomas.Jefermelesyeuxenmedemandantsinousavonseuraisond’accordernotreconfianceàtroisinconnus.

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Sinousnoussommestrompés,nousnenousréveilleronssansdoutepasdemainmatin.Mais la nuit se déroule sans incident. Après avoir dormi plutôt profondément, Tracelyn etmoi

prenonsnotretourdegardeetnousassistonsauleverdusoleil.Nousdiscutonsàvoixbasse.Siellepeutalleràl’université,elleaimeraitdevenirprofesseur.Ellemeparleaussidugarçondontelleestamoureuseetqu’elleauraitaiméépouser.Maisiln’apasétéchoisipourleTestetellenelereverraprobablementjamais.–Tonpetitamiettoiavezdelachanced’avoirétéchoisistouslesdeux,ajoute-t-elle.Jerougis.–Tomasn’estpasmonpetitami.–Ahbon?Pourtant,onpourraitlecroire,lance-t-elleavecunsourireencoin.Jesuissûrequ’ilest

amoureuxdetoi.–Ilmeprotège,c’esttout.Maissoncommentairemeremplitd’unejoieintense.Aufonddemoi,j’espèredetoutcœurqu’elle

araisoncaraufildesjours,jesuisdeplusenplussûrequemoijesuisamoureusedeTomas.Nousparlonsdenosfamilles,desépreuvesetdeladistancequinousresteàparcourir.Tracelyn

sembleauthentiquementgentilleetmêmemoi,jelatrouveunpeutropconfiante,cequiesttoutdire.Jeluiracontecequinousestarrivéàlasource.Jenesaispassiellemecroitmaisjedoisluifaireprendreconsciencedesdangersqu’elleencourt.Nos compagnons se réveillent l’un après l’autre. Pendant le petit déjeuner, Stacia garde ses

distances. Tomas et moi ne nous éternisons pas. Nous rangeons rapidement nos affaires et nousrécupéronsnosvélosdanslebuissonoùnouslesavionscachés.Pendantquenouspédalons,jemedemandesilepetitgroupeaveclequelnousvenonsdepasserla

nuit franchira la ligne d’arrivée. Je n’ai pas vraiment de doute concernant Stacia. Sa froidedéterminationdevraitluipermettred’affrontercequil’attend,maisàmonavis,elleconstitueaussiundangerpourlesdeuxautres.Sesproposmereviennentetcontrairementàelle,jen’arrivepasàcroirequeledocteurBarnesetlesautresofficielssecontenterontdenotreparole.Noussommesforcémentsurveillés.Peut-êtrepastoutletemps,maisrégulièrement.Àlafindelajournée,jepenseavoircompriscommentilss’yprennentetj’aibienl’intentionde

vérifiermathéorie.Nous installons notre campement près d’une ferme abandonnée. Des nuages s’amoncellent à

l’ouestetnousnousréfugionsdansunegrangepouréviterd’êtretrempésparl’aversequis’annonce.Le bâtiment semble en assez bon état pour ne pas s’écrouler pendant la nuit. En y entrant, nouseffrayons quelques poulets sauvages.Quatre coups de feu plus tard, il ne nous reste plus qu’à lesplumeret les rôtir.Dans leurnid,nous trouvonsenpluscinqœufsmagnifiquesquenousgardonspourlepetitdéjeuner.J’essaie de me comporter comme d’habitude, mais je ne dois pas être très convaincante car à

plusieursreprises,Tomasmejettedescoupsd’œilinterrogateurs.Aprèslerepas,jerangemonsacetj’enprofitepourexaminerlebraceletd’identificationdelajeunefillequenousavonsenterrée.Chaquecandidatenaun.Etmêmedeuxencomptantceluiquisetrouvesurnotresac.Onnousa

expressémentdemandédenejamaisl’enlever.Lefermoirn’étaitpasévidentàrepérer,jesupposequelesautress’ensonttenusàcetterègle.J’examine la partiemétallique du bracelet et là, juste au-dessous du symbole, je découvre trois

trousgroscommedespointesd’aiguille.Cettefoisj’ensuiscertaine:depuisledébut,nousportonsdesmicros.

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CHAPITRE14

Une vague de satisfactionme traverse comme quand j’ai réussi un examen.Mais elle disparaîtrapidementpourlaisserplaceàlapeur.Lesofficielsont-ilsenregistrétoutcequenousdisionsdepuisquenousavonscesbraceletsouse

sont-ilsd’abordcontentésdescaméras?J’espèrequeladeuxièmehypothèseestlabonnecarsinon,ils savent pour mon père et ses cauchemars. J’aurais dû me montrer plus prudente. J’ai étécomplètementstupideetj’aipeut-êtremislaviedemonpèreendanger.Parcequ’ilestévidentquedes gouvernants prêts à laisser des jeunes gens ingérer du poison ou se suicider sous leurs yeuxn’hésiterontpasàéliminerunhommequ’ilsconsidèrentcommeunemenace.J’aiégalementimpliquélamagistrateOwens,ledocteurFlintetmonancienneprofesseur.Tousceuxquiontessayéd’éviterl’épreuveduTestauxélèvesdeCinqLacs…–Cia?Çava?Jefaisvolte-face.Tomasm’observeavecinquiétude.Jedoisavoirl’airtotalementbouleversée.Je

meforceàsourireetjelance:–Oui,oui,çava,jem’inquièteseulementpourTracelynetlesautres.J’espèrequ’ilsauronttrouvé

unabripourlanuiteuxaussi.J’ail’impressionquelatempêtevaêtreviolente.Puis, je pose mon index sur mes lèvres et je montre le bracelet au creux de ma main. Très

doucement,jedétachelemienetjeleposesurmonsac.JeprendsensuitelamaindeTomasetjeledébarrassedusien.Jeluifaissignedemesuivreàl’extérieur.Unefoisdehors,Tomasestabasourdi.–Ilsnousespionnent!Jenedevraispasêtresurprismaisjen’yavaismêmepaspensé.Angoissée,jeluidemande:– Depuis combien de temps crois-tu qu’ils nous écoutent ? Le début de cette épreuve ou notre

premierjour?Ilréfléchitunmomentetserappellesoudainnotreconversationsouslesarbres.– Je ne pense pas qu’ils aient commencé si tôt. C’était matériellement compliqué. Nous étions

quandmêmecent quatre-vingt-un.Àmon avis, ils se contentaient de nous observer tous enmêmetempsgrâceauxcaméras.Jenepeuxqu’espérerqu’ilaraison.–Cia,reprend-il,jesaisquec’estdifficilemaistunepeuxpast’inquiéterdecequisepassechez

toi.Ilmecaresselajoue.Jem’accrocheàsamaincommeàunelignedesurvie.–Notremeilleurefaçond’aidernosfamilles,poursuit-il,estdesurvivreauTest.J’ailagorgeserréemaisjeparviensàarticuler:

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–Maismême si nous réussissons, ils vont effacer notremémoire. Nous ne nous souviendronsmêmepasdecetteconversation!–Nouspouvonsessayerdedécouvrircomment ilscomptentnousdébarrasserdenossouvenirs,

suggèreTomas. J’y ai beaucoup réfléchi et j’ai quelques idées.Maintenant que tu as découvert lesmicros,nouspouvonsnousassurerqu’ilsnesaurontpasquenouspréparonsquelquechose.Çanousdonneunsacréavantage.Mais les doutes me submergent. Est-ce qu’on sera assez malins pour déjouer un système qui

contrôlenosviesdepuisdesdizainesd’années?QuicontrôlelaviedescitoyenslesplusbrillantsdelaCommunautédepuislareconstructiondumonde?Pourtant,jemeredresseetjelèvelementon.–Oui,tuasraison,Tomas.Ilsuffitquenousnousservionsintelligemmentdecetavantage.–Exactement!mesourit-il.Nousformonsuneéquipedutonnerre,çanepeutquemarcher!Tune

croispas?Etpuis…Ilhésiteunmomentavantdepoursuivre:–Ilyauneautreraisonpourlaquellejesuiscontentquetuaiesdécouvertcesmicros.–Laquelle?–Parcequejepréfèrequetusoislaseuleàentendrelapremièrefoisoùjetedis«jet’aime».Sesmots,savoix,seslèvressurlesmiennesmefontchavirerlecœur.Jesaisquecen’estvraiment

paslemomentpouruneromance.Noussommestropstressés,tropéprouvéspourfaireconfianceànosémotions,maislaforcequeTomasmedonneestréelle.Jemurmure:–Moiaussi,jecroisquejet’aime.–Tucrois?Tomasritetmeserrecontrelui.–Alorsjevaisdevoirutiliserlestroiscentskilomètresqu’ilnousresteàparcourirpourfinirdete

convaincre!Ilm’embrassesurlehautdelatêteetsoupire:– Nous devrions rentrer avant que notre public se demande si nous sommes morts d’une

indigestiondepoulet.Nousretournonsverslagrange,maindanslamain.–Tucomprendras,sourit-il,quejevaisdevoirterefairemadéclaration.Sinon,lesofficielsvont

sedemanderpourquoijepassemontempsàterépéterquetuesbelle.Jesourisaussietc’estlecœurpluslégerquejeremetsmonbracelet.Maismaintenantquejesais

quenoussommesécoutés, j’aidumalàavoiruncomportementnaturel.Heureusement,Tomasn’apaslemêmeproblème.–Jecroyaisavoirentenduunbruitdehors,annonce-t-il,maisj’aidûmetromper.Iln’yapersonne.

Çadevaitêtredesdébrissoulevésparlevent.Pendant une seconde, je suis confuse,mais je finis par comprendre qu’il donne une explication

pourlesilenceprolongé.Jemeforceàrépondre:–Tantmieux.Jesuisfatiguée.Jeneregrettepasd’avoirinvitélesautreslanuitdernière,maisce

n’étaitpasévidentdesereposerenlessachantàcôté.–C’estvrai,acquiesceTomasens’asseyant.Jen’aipasbeaucoupdormi.–Çanet’apourtantpasempêchéderonfler,entoutcas!Tomasneronflepasmaisnotrepublictrouverapeut-êtreamusantquejeletaquine.Nousparlons

des autres candidats pendant un moment et nous essayons d’imaginer comment nos amis sedébrouillent.Sesont-ilsretrouvésouvoyagent-ilsseuls?Leventsouffledeplusenplusfortetdesgouttesdepluietombentparuneouverturedansletoit.Nousnousenroulonsdansnoscouverturesetnousécoutonsl’aversetomber.Tomaspassesonbras

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autourdemoi.–Tusais,c’estvraiquejen’aipasbeaucoupdormicettenuitetjevoulaistedirequeTracelyna

raison.Jesuisamoureuxdetoi.Même si je sais que cette fois, c’est à l’intention du docteurBarnes, je ne peuxm’empêcher de

frissonner de plaisir. Tomas m’embrasse longuement et je me colle contre lui. Je souris enrépondant:–Jecroisquejet’aimeaussi.Sonéclatderireestunvéritablebonheuretjem’endorssansplusmeposerdequestions.

Nousnesommespasseuls.Jesuis toujoursdans lesbrasdeTomas.Sarespirationestrégulière.Unelumièrepâleéclaire la

grange.Lapluieacessé.J’écoute un moment, puis je referme les yeux dans l’espoir de gagner quelques minutes de

sommeil.Etlà,jel’entendsdenouveau.Deshalètements.Jeme dresse et je scrute la grange. Rien. Je referme les yeux pour isoler le bruit. Ça vient de

derrièremoi.Le cœur battant, je repousse doucement le bras de Tomas et je tourne la tête vers le mur. Les

premiers rayons du soleil passent à travers une longue fissure. Je me penche pour regarder etj’étouffeuncri.C’estunanimal.Immense.Debout, ilestaussigrandquemoi.Unpelagenoiretgrislerecouvre

presque entièrement, laissant par endroits apparaître des morceaux de peau rose. Mais le pluseffrayantcesontsesgriffesetsesdents.Ungenred’oursoudeloup?Entoutcas,ilneressembleàaucuneespècequejeconnaisse.Mon

pèrem’amontrédesphotosprisesdans leszonescontaminées.Onyvoyaitdesanimauxdéformésparlesproduitschimiquesquiontdévastélaterre.Certainsavaientunmembresupplémentaireoulaqueue en moins, d’autres avaient perdu leurs poils ou se voyaient munis d’une peau si épaissequ’aucunearmenepouvaitlapercer.Tous lesanimauxmutants sontdangereux,quellequesoit leur taille.Lespluspetits rongeursau

corpsnun’hésitentpasàattaquerdeshumains.Pournerienarranger,labêteàl’extérieurn’estpasseule.Alorsqu’elletournelatête,j’enaperçois

uneautrejustederrièreelle.Lemuseaudressé,ellerenifle.Nousa-t-ellesentis?Sic’estlecas,nousdevonspartiretvite.Nous gardons toujours nos sacs prêts. Je m’agenouille et le plus silencieusement possible, je

réveilleTomas. Il souritenmevoyantmais il remarque rapidementmon inquiétude. Jemepencheverssonoreilleetjemurmure:–Animauxmutants.Ilfautpartir.Ilacquiesceetselève.Moinsd’unesecondeplustard,noussommesdehors,àenvironcinquante

mètresdelaroute.Nousallonsdevoirfranchirunezonecouvertedecaillouxetdevégétationsanssefairerepérer.Jeprendsuneinspirationetjeserrelacrossedemonrevolver:–OK.allons-y.Jecourslesmainscrispéessurleguidondemonvélo.Jenemeretournepas.Çaneferaitqueme

ralentir.MaisTomas,lui,tournelatête.Jelesaisàsafaçonderespireretaussiparcequ’ilsemetàcrier:

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–Cours,Cia,cours!C’estcequejefais.Leplusvitepossible.Tomasmedouble.Ilmecriedenepasm’arrêter.Jeles

entends.Ilssontsurmestalons.Etilsserapprochent.Lapeurdécuplemesforces.Jemanquedelâchermonvéloquirebonditsurlesnids-de-poule.Les

halètementsdesbêtes se sont transformésengrognements. Ilsme rattrapentet je suisencoreàdixmètresdelaroute.Unedemespédalesseprenddansunetouffed’herbe.Jetombe.Tomasestarrivé.Ilaenfourchésabicycletteetestprêtàpartir.–Dépêche-toi,Cia!Jemeredresse.Jen’aipasd’autrechoixquedemeremettreàcourir.Quandmespiedsseposent

sur l’asphalte, je voudraism’effondrer en sanglots.Mais les bêtes sont toujours là. Il y en a six.Énormes.Lamâchoireouverte,prêtesàmesauterdessus.L’uned’entreellesbonditdevantlesautres.Ses yeux jaunes sont fixés sur moi. Je lève le bras. Je vise. Je tire. L’animal laisse échapper unglapissementmaisnes’arrêtepas.Laballeluiapourtanttouchélapoitrine.–Viensvite!mecrieTomas.Tunelesauraspascommeça!Jemontesurmonvéloetj’appuiesurlespédales.Lesgrognementsdelameuteàmapoursuiteme

donnentl’énergienécessaire.Mabicyclettegrincesousl’effort.J’espèrequemesréparationsnevontpaslâchermaintenant.Tomasaraison.Onnesedébarrasserapasdecescréaturesavecunrevolverouuncouteau.Notreseulechanceestdelesdistancer.Tomasmecriedesencouragements.Laroutesemetàdescendrelégèrementetnousprenonsdela

vitesse. Je continue de pédaler. Si seulement ces bestioles pouvaient se choisir un autre petitdéjeuner…Enfin,lesgrognementsfaiblissent.Jerisqueuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Lesfauvesont

abandonné. Ils ont dû renifler une autre proie car ils s’éloignent vers le nord, dans la directionopposéeàlanôtre.Nousnenousarrêtonspaspourautantaucasoùilsauraientdécidédenousprendreàrevers,mais

ce genre de raisonnement demande une logique et une capacité d’anticipation dont la plupart desanimaux ne sont pas capables. Cependant, on raconte des histoires lors des veillées. Des humainsayantsurvécuauxradiationsauraientsubidetellesmodificationsqu’onpourraitlesprendrepourdesbêtes. Je n’y ai jamais crumais je ne croyais pas non plus le comité de Test capable de tuer descandidats.Nous parcourons encore une bonne vingtaine de kilomètres avant de poser le pied à terre pour

reprendrenotresouffle.Jeposemonvélosur lebas-côtéetmejettedans lesbrasouvertsdeTomas.J’entendssoncœur

battreàtoutrompredanssapoitrineet jesaisquelemienbat toutaussivite.Noussommesenvie.Concentrée sur le danger que représentent l’arbalétrier et les autres candidats, j’en avais presqueoubliélesbêtessauvages.Jenepeuxm’empêcherdemedemandersiellesn’ontpasétéenvoyéeslàexprès. Après tout, les officiels ont dressé des clôtures. Comment ces animaux ont-ils pu lesfranchir?Je m’écarte de Tomas et je bois une gorgée d’eau. Je me sens écœurée et épuisée. Je tends la

gourdeàTomasavantdesortirlesœufsquenousavionsprévuspourlepetitdéjeuner.Parmiracle,ilsnesontpascassés.Nousnousinstallonspourunepausebienméritée.Tomas a l’air épuisé lui aussi, dumoins, c’est ce que je pensais avant de remarquer le sang à

l’arrièredesonpantalon.Àgenouxpourallumerlefeu,ilestextrêmementpâle.L’allumettetrembledanssamain.Je prends la trousse de secours et je lui ordonne de s’allonger. Il m’adresse un sourire qui

ressembleplusàunegrimace.

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–Ilnefautjamaisavoueràunefillequevousl’aimez,aprèsellepensequ’ellepeutvousfairefairetoutcequ’elleveut!Enfin,jevaisobéir,maisc’estjusteparcequetumedemandesdem’allonger!Je ris mais après l’avoir examiné, je n’ai plus le cœur à m’amuser. La cicatrice s’est un peu

rouverte et les bords sont rouges, ce qui indique une infection. Pas encore très sévère, mais ellepourraitledevenir.Jedécidedechangerdeméthode.JefaisavalerplusieurscachetsantidouleuràTomasavantdestériliserl’aiguille.Etjememetsau

travail.Tomasserrelesdentsquandlapointemétalliqueluitraverselachair.Moiaussi.Ladéchirurefaitàpeinetroiscentimètres,maislespointssontsipetitsqu’ilenfautaumoinsdouze.LedocteurFlint m’a dit un jour que c’était plus difficile pour un médecin de soigner ceux qu’il aime. Jecomprendsmieuxaujourd’hui.Quandjetermineenfin,mesdoigtssontpoisseuxdesang.J’applique du désinfectant avant de refaire le pansement. Je neme sens pas très bien et Tomas

semblesurlepointdes’évanouir.Ilesthorsdequestionderepartirmaintenant.Jemelavelesmainset je luiordonnededormirpendantque jeprépare lesœufs.Avantque j’aie le tempsd’attraper lapoêle,iladéjàfermélesyeux.Toutcesangm’acoupé l’appétitet jedécidede remettre lacuisineàplus tard.Le revolverà la

main,jem’éloigneunpeupourvoirsijepeuxtrouverquelquechoseàcuireaveclesœufs.Jetrouvedesoignonssauvageset,pourledessert,unepoignéedeframboisessauvages.JelaisseTomassereposerpendantdeuxheures.Quandjeleréveille,ilabienmeilleuremine.Etil

râled’avoirdormisi longtemps.Pourtant,quandnousavonsfinidemanger, ilestévidentqu’ilnepeutpasremontersursonvélo.Nouscontinuonsdoncàpiedenpoussantnosbicyclettes.Nousnousarrêtonsrégulièrementpournepastroplefatiguer.Àlafindelajournée,desgratte-cielsedécoupentàl’horizon.

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CHAPITRE15

À la vue des édifices, je ne peuxm’empêcher de frissonner. Les rues de cette ville qui sembleimmensepeuventregorgerdetoutessortesdedanger.Peut-êtrepiresquedesanimauxsauvagesoudescandidatsarmés.D’autrepart,jedoutequenoustrouvionsdel’eaudanscecimetièredebétonetd’acier.Aprèsavoirpréparélefeu,jepartagemescraintesavecTomas.– Je suis sûreque lecomitédeTest aprévudesépreuvesdans laville.Laplupartdescandidats

déciderontdelatraverserparcequec’estapparemmentlecheminleplusdirect.Enréalité,jepenseauxcauchemarsdemonpère.Quoiqu’ilsoitarrivéàsesamis,c’étaitdansune

villecommecelle-ci.Tomasacquiesce. Ilm’acomprise àdemi-mot et sait que jenepeuxendireplus. Il réfléchitun

momentavantdedonnersonopinion.–Ilsepeutaussiqu’ilsaienttruffédepiègeslesroutesquicontournentlavillepournousobligerà

emprunter ce chemin. Je pense qu’ils veulent connaître nos réactions lorsque nous sommesconfrontésauxautres.Regarde…Jesuisduregardladirectionqu’indiquesondoigttendu.–Laclôturesudtoucheleslimitesdelaville,jenevoispaslalimitenordmaisjesuisàpeuprès

sûrqu’elleestplusprochequenousnelepensons.Nousnetardonspasànouscoucher,lesarmesàlamain.Lelendemain,nousnouslevonsàl’aube.

Aprèsvérificationdenosréserves,nouspartonsà la recherched’eau.Nous tombonssurunemareboueuse à une centaine de mètres de la route. Il nous faut pas moins de trois produits pour ladécontamineretmêmeaprèsça,jenesuistoujourspastrèssûrequ’ellesoitpotable.J’espèretrouverunautrepointd’eauavantquenousentrionsdanslaville.Sicen’estpaslecas,nousferonsavec.Jen’ai pas envie dem’empoisonner, mais nous ne pouvons pas non plus prendre le risque de nousdéshydrater.Nousnousmettonsenrouteetnetardonspasàarriveràunefourche.Unedesroutescontournela

ville.Elleestensimauvaisétatquenosvélosnetiendraientpasplusdequelquesminutesavantdesedisloquer.L’autrerouteestparfaitementlisse.LecomitédeTestnenouslaissepasvraimentlechoix.Lemalaisemetordl’estomac.Ilnevapasfalloirtraîner.Larouteserétrécitalorsquenousdépassonslespremiersimmeubles.Ilsnefontpasplusdedeux

outroisétagesetsontentrèsmauvaisétat.Pourcertains,ilestmêmeétonnantqu’ilstiennentencoredebout.Nousprenonsgardeàresteraumilieudelarouteaucasoùlesofficielsauraientprévud’enfaireécroulerunsurnotrepassage.D’ailleurs,àmesurequenousavançons,deplusenplussontenruines.Àchaquefois,lesdébrisbloquentlesruesadjacentes.Audébut,jenesuispascertainequecesoit intentionnelmais au bout d’unmoment, ça devient évident : les officiels nous obligent à tous

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emprunterlemêmechemin.J’endiscuteavecTomasetjeluifaispartdemoninquiétudeconcernantcequinousattendaubout

delaroute.–Tuveuxqu’onfassedemi-tourpourcontournerlaville?Àsonvisagecrispé,jesaisqu’iln’enapasenvie.Pourêtrefranche,jenesuispascertainedele

vouloir moi non plus. Cette solution pourrait se révéler encore plus dangereuse. De plus, nousperdrionsbeaucoupdetemps.Jesecouelatête.–Non.Pasvraiment.Jeveuxjustequ’onsoitprudents.Ilm’embrasseetsourit.–Jeprometsdenepasjeterdecaillouxdanslesmaressanstedemanderlapermission,çateva?Malgrémonangoisse,jeluirendssonsourire.–Tuasintérêtàtenircettepromesse.Nouscontinuonsd’avancermaisunpeuplus lentement.Nous scrutons lesalentours, à l’affûtdu

moindredanger.Lesbuildingssontdeplusenplushauts.Nousarrivonsàuneintersection.Aucuntasdegravatsnenousbarrelepassage.Cettefois,lechoixnousappartient.–Àtonavis?medemandeTomas.–Jecroisqu’ilesttempsdejeterdescailloux.Tomasritetramasseunegrossepierrequ’ilenvoieaumilieudelaroutequinousfaitface.Elle

ricochesurlemacadam.Ilrecommencedanslesdeuxautresdirections.Toujoursrien.–Etmaintenant?Jene saispas.Nous examinons lespossibilités.Toutdroit et àgauche, les rues sontbordéesde

bâtiments.Surladroite,unimmeubleretientnotreattention.Ilestplushautquelesautresetsurmontéd’undôme.Lacuriositénouspousseàalleryfaireuntour.Mais c’est impossibled’y entrer.L’intérieur est totalement effondré et toutes lesouvertures sont

bouchées.Est-cequenoussommescenséstrouverunmoyen?Tomasramasseunenouvellepierreetlabalancesurunevoléedemarches.Rien.Jeluidemanded’enjeteruneautre,justepourêtresûre.Ilobtempèreetcettefois,lapierreatterrit

sur un mur en partie écroulé. Silence puis… un cliquetis. Et une explosion. Message reçu. Toutetentativedesedétournerduchemintracéserapénalisée.Nouspoursuivons toutdroit.Saufquenous tombons là aussi surune impasse.Nousneprenons

mêmepas lapeinede jeterdespierres.Demi-tour.Nousprenons àgauche.Comme l’indiquent lesenseignesenpiteuxétat,cetteruedevaitêtrecelled’unquartiercommerçant.Nouspourrionspeut-êtretrouverdestrésorsderrièrecesdevantures,maisnousnenousarrêtonspas.Jusqu’àcequenousnousretrouvionsunenouvellefoisdevanttroispossibilités.Nousallonstoutdroitetsommesstoppéspar les décombres d’une récente explosion. Encore demi-tour. Et soudain, je comprends. Noussommesdansunlabyrinthe.Quandj’étaispetite,monpèrenousdessinaitdeslabyrinthescompliquésetnousdemandaitdeles

résoudre.C’étaitunpeucommeunecourse.Mesfrèresetmoienavionschacununetpapadonnaitledépart.Unefoisquenousavionsprislecrayon,nousn’avionspasledroitdelereposer.Sinousnousretrouvionsbloqués,nousavionsperdu.Ilvoulaitnousapprendreàréfléchiraulieudefoncerdroitdevantnous.Peut-être cela lui venait-il de fragments de souvenirs du Test ?Àmoins que ce n’ait été qu’un

moyendepasserletempsdurantleslonguessoiréesd’hiver.Maispeuimporte.Jepeuxaujourd’huiutilisercequ’ilm’aenseigné.Sinousnesommespasplusprudents,nouspourrionsnousretrouvercoincésdanscelabyrinthejusqu’àcequenosprovisionssoientépuisées.

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Je propose à Tomas de nous arrêter pourmanger. Il n’est pas tard,mais il accepte.Nous nousasseyonsaumilieude la rueet sortons lepoulet froid.C’estcequi risquedes’avarier leplusviteaveccettechaleur.Toutenmangeant,j’examinelacarte.Laroutequisortdelavillesetrouveausud-ouest. C’est la direction que nous devons prendre. Ce n’est pas grand-chosemais ça suffira pourcommencer. Nous remontons sur nos vélos. Encore une intersection. Nous prenons à gauche.Impasse.Demi-touretcette fois,enface.Noussommes trempésdesueuretmêmeavec lecompas,nousavonsdumalànousyretrouver.Lanuittombeetnousobligeàinstallernotrecampement.Nousrestonsaumilieudelaroute,prèsd’uneimpasse.Decettefaçon,nousverronsledangerarriver.Nous finissons le poulet et gardons les légumes et le dernier sachet de fruits secs pour demain

matin.Nousavonssoifetn’avonspasd’autrechoixquedeboirel’eaudelamarepolluée.Ellen’estpasbonnemaisniTomasnimoinedétectonsungoût caractéristiquedepolluantmortel. Il y a aumoinsunpointpositif:lablessuredeTomasnes’estpasrouverte.J’yréappliquedudésinfectant.–Monmédecinestlemeilleurdelarégion,déclareTomasenm’embrassant.Nousnetardonspasànousendormir.Lelendemain,nousnousretrouvonsfaceauxmêmesdifficultésquelaveille.Impasses,demi-tours,

encoreetencore.Plusinquiétantencore,nousdistinguonsdesvoixdanslesruesadjacentes.Nousnesommespasseulsdanslelabyrinthe.Une explosion retentit. Suivie d’unhurlement.Puis d’un autre.Et le silence.Nouspédalonsplus

vite.Impasse,demi-tour.Audébut,quandnousnousretrouvonsbloqués,nousessayonsdeblaguermaisaufuretàmesure

queletempspasse,nousn’enavonspluslecourage.Noussommescouvertsdesueuretdepoussière.Nousmangeonsnosderniersfruitssecs.Tomastrouveunvieuxrouléàlacannelledanslefonddesonsacetlepartageendeux.Heureusement,l’eaunenousapasrendusmalade.C’estdéjàça.Maisleproblème est que nous n’en avons plus beaucoup.Et dans le ciel, pas lemoindre nuage promessed’averse.Lesmusclesdemescuissesprotestentalorsquenousgravissonsunecôteendanseuse.D’enhaut,

nous avons une chance d’avoir une vue d’ensemble de la ville. Lamain en visière, il me sembledistinguerledômedubâtimentquenousavonsvuenarrivant.Ilesttrès,trèsloin.Tomassourit.–Çaveutdirequ’onestbientôtaubout,non?Cette idée nous redonne un peu d’espoir.Quand nous arrivons de nouveau devant une impasse,

Tomasdéclare:–C’estladernièreavantlasortie.Etnousrepartons.Soudainunbruitdebottessurlemacadamnouspétrifie.Quelqu’uncourt.Toutprès.Tomasmefait

signedemeremettreàpédaler.Jelesuis.Impasse,demi-tour.Les pas se rapprochent. Tomas et moi échangeons un regard. Nous descendons de nos vélos,

prenonsnosarmesetnousallongeonsausol.J’aperçois d’abord l’ombre. L’ombre d’une arme dans une main. Mon index se crispe sur la

détente.L’ombrevientversnous.Jedoismetenirprête.Sil’ombrenousveutdumal,jedoistirerlapremière.Sansattendredeconnaîtresesintentions.L’ombredevientunesilhouette.Jedoislefaire.Maisjenepeuxpas.SiTomasmeurt,ceseramafaute.Saufqu’aulieud’uncoupdefeu,j’entends:–Cia,Tomas,c’estvous?Avantd’avoircomprisquejenevaispasmourir,jesuissoulevéeetécraséecontrelapoitrinede

Willquinepeutpass’arrêterderire.Jem’accrocheàluienriantmoiaussi.Ilsentmauvais,lasueur,

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lapoussière, le sang.Maisçam’estégal. Jenedoispas sentir la rosenonplus. Jemedemande siNicoletteetZandrisontaussienvie.–C’estgénialqueTomasettoisoyezensemble.Jenepensaispasvousretrouver!Commentvous

avezfait?Jeréponds:–Tomasesttombésurmoialorsquej’étaisentrèsmauvaiseposture.Ilm’asauvéed’unebaignade

forcéeetpeut-êtremêmedelanoyade.Inutiledeluipréciserquenousavionsprévudefairelarouteensemble.Çamettraitenévidenceque

nousne les avionspas inclusdansnotreplan. Je remarquequeWill a unbandage imbibéde sangséchéàl’épaule.–Qu’est-cequ’ilt’estarrivé?Tuvasbien?Willsecouelatête.–Riendegrave.Unepetitedisputeavecunebranche.J’insiste.–Tuessûrquecen’estpasinfecté?Tuneveuxpasquejeregarde?– Non, je t’assure. Tout va bien. On devrait plutôt essayer de sortir de ce foutu labyrinthe. Je

commenceàarriverauboutdemesréservesd’eauetdenourriture.J’aimeraisconvaincreWilldemelaisserexaminersaplaiemaisTomasprendlaparole.–Willaraison.Ilfautqu’onsorted’ici.Nousrécupéronsnosvélos.Willnousdemandeoùonlesaeus.Tomasn’apasl’aird’avoir très

envie de parler et je raconte donc toute l’histoire àWill. En échange, il nous décrit la trottinetterouilléequ’iladécouvertedansungarage.Aprèsl’avoirretapée, ilestvenujusqu’iciparlamêmeroutequenous.–Maisdepuisquejesuislà,jepassemontempsàmeretrouverbloqué.Çam’atellementénervé

que j’ai moins fait attention. J’ai glissé dans une descente et je me suis cassé la gueule. J’ai dûbalancerma trottinette. Je crois qu’il va falloir que jeme trouve un autremoyen de déplacement,surtoutsijeveuxfairelarouteavecvous.Pendantquenouscontinuonsàcherchernotrechemin,Willnousracontesonpériplequimeparaît

beaucouppluspaisiblequelenôtre.L’eauqu’ilabueledeuxièmejourl’arenduunpeumalademaisjusqu’àprésent,ilaréussiàtrouverlesressourcesnécessaires.Quandilsortdesonsacunrouleaudefildefer,jesuisprêteàl’embrasser.Sinousarrivonsàsortird’ici,nousn’auronsplusdeproblèmepourattraperdespetitsanimauxbonsàmanger.JesuistellementcontenteaveccefildeferqueWillmeproposedelegarder.J’enmeursd’enviemaisjerefuse.–C’esttoiquil’astrouvé.Ilestàtoi.–Prendsçacommeuncadeauderemerciement.Situnem’avaispasempêchéd’alleràl’infirmerie

aprèsladeuxièmeépreuve,jeneseraispluslà.Aucundescandidatsn’enestrevenu.Ilbaisselavoixpourajouter:–Etpuis, jene suispas sûrdevenir avecvous. J’ai l’impressionqueTomasabien enviede te

garderpourluitoutseul.J’aimerais pouvoir le contrediremais il est vrai queTomas n’a pas beaucoup ouvert la bouche

depuisquenousavonsretrouvéWill.Etquandilprendlaparole,sontonn’estpasdesplusaimables.Pourlemoment,ilmarchedevantnous.Assezprèspournousentendremaispasassezpourparticiperàlaconversation.Jesuissûrquecen’estpasunetrivialequestiondejalousie.Tomassaitmieuxquepersonnequecen’estnilelieu,nilemoment.LefaitqueWillsoitàpieddoitletracasser.Sinousfaisons équipe avec lui, nous serons obligés de ralentir notre allure. Cela dit, Tomas ne doit pasoublierqu’ilestblessé. Ilboitedeplusenplus.Nousdevons trouverde l’eau leplusvitepossiblepourquejepuissedenouveaunettoyersablessure.

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Detoutefaçon,c’estinutiledes’inquiéterdetoutçamaintenant.Noussommesdenouveaudevantuneimpasse.Nousretournonssurnospas.Aucarrefoursuivant,nousn’avonsquedeuxpossibilités:droiteougauche.Laboussoleindiquequelasortieestàdroite.Tomas remarque que les buildings sont de moins en moins hauts. C’est sûrement bon signe.

J’aimerais sauter sur mon vélo et foncer voir si nous sommes encore loin. Nous parcourons unkilomètresansintersection.Puisdeux.Nossouriress’élargissent.Lesédificessefontdeplusenplusraresetenfin,ilnerestequelaterrecraquelée,quelquestouffesdeplantesçàetlàetlaroutequisedérouledevantnous.Auboutdequelqueskilomètres,Willnousdemande:–Çavousennuiequejepasselanuitavecvous?Jeneveuxpasêtreunpoidsmaisceseraitcool

d’avoirdelacompagnieunpeupluslongtemps.–Biensûrqueoui,s’empressed’accepterTomas.Onpeutcamperensemble.Jenotequ’ilalimitésaréponseaucampement.Etjesaisqueçanevapasluiplairemaisj’ajoute:–On doit chercher à boire et àmanger demain. Peut-être qu’on te trouvera aussi unmoyen de

locomotion.Commeça,onpourrarestertouslestrois.Willhochelatête.– Ce serait chouette. Mais seulement si je peux aller aussi vite que vous. Je ne veux pas vous

ralentir.Plustôtvousarriverez,mieuxcesera.Tomas semble se détendre un peu. Nous marchons jusqu’à ce que le soleil effleure la ligne

d’horizon. La clôture sud est visible et derrière j’aperçois le scintillement d’un point d’eau. Ellesemblesiclaireetsitentantequejemedemandes’ilnes’agitpasd’untestdestinéàvérifierquenousnebrisonspaslesrègles.Nouschoisissonsdecamperaupiedd’ungrosrocher.PendantqueWilletTomass’occupentdu

feu, jepars enquêtedenourriture.La terre est encore plus sèche ici que dans les zones que nousvenonsdetraverser,maisdel’autrecôtédelaclôture,j’aperçoisdesplantespleinesdevie.Lepointd’eauestunlac.C’estluisansaucundoutequiirriguelavégétation.Malgrémafrustrationdenepaspouvoirl’approcher,jeramassedesfeuillesdepissenlit,desoignonssauvagesetdutrèfleblanc.JefabriqueaussiquelquescolletsaveclefildeferdeWill.Cesontmesfrèresquim’ontapprisetavecunpeudechance,j’attraperaibienquelquechose.Monestomaccriefamine.Willn’aplusrienàboire.Tomasetmoipartageonsavecluicequenousavons.Àlanuittombée,il

ne nous reste que deux ou trois gorgées dans la gourde. Trouver une source sera notre prioritédemainmatin.Tomasinsistepourquenousprenionschacununtourdegardepourlanuit.–Ànoustrois,ceuxquidormentaurontletempsdebiensereposer.Jen’aiaucuneenviederevivre

l’expérienced’avant-hieraveclesbêtesquinousontattaqués.NouslaissonslefeualluméetTomasm’embrasseavantdegrimpersurlerocherpourprendrele

premierquart.J’aiétédésignéepourledernier.

Willmesecouepourmeréveilleravantdesecoucheretderapidementsombrerdanslesommeil.Dans la faible lumièredufeu, jevois lesépaulesdeTomasse relaxeralorsqueWillcommenceàronfler.Est-il restééveillépendant toute lagardedeWill?Jepensequeoui.Jesuisdéchiréeentremonagacementquem’inspirelemanquedeconfiancedeTomasetlaculpabilitéd’êtrepeut-êtretropcrédule.Maisquoiqu’ilensoit,lemalaisedeTomasm’obligeàreconsidérermonenviedevoyageravecWill.Le chant des oiseaux annonce l’arrivée de l’aube. J’ai promis à Tomas de le réveiller dès les

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premièreslueursmaisjedécidedelelaisserdormirencoreunpeuetd’allerrelevermespièges.Unlapinmaigrichonmaistoutàfaitmangeables’estlaisséprendre.Jesuisfièredemoi.Jereviensverslecampementenlongeantlaclôturedansl’espoirdetrouverautrechoseàmanger.

Unepoignéede carottes sauvages et de trèfle finit dansmon sac. Jem’apprête à rejoindreWill etTomasquand le craquement d’unebrindilleme fait sursauter. Jeme retourne, prête à affronter unanimal,mais,là,del’autrecôtédelaclôture,ilyaunhommeauxcheveuxgrisquimesourit.

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CHAPITRE16

Avantquej’aieletempsd’ouvrirlabouche,l’hommejetteunsacpar-dessuslaclôtureetpartencourant.Je fixe lesacàmespiedsenmedemandants’il s’agitd’unnouveau test.Dois-je regarderdedansaurisquequ’ilm’exploseauvisageouvaut-ilmieuxlelaisserlàoùilest?C’estd’ailleursplusuneboursequ’unsac.Entoilerêcheetbrune.Rienàvoiravecletissufabriqué

par lesmanufacturesde laCommunautéUnifiée.Lesvêtementsde l’hommeétaientusésmaisbienreprisés.Sonvisageétaitburinéparlesoleiletlevent,soncorpsmusclécommeceluidequelqu’unhabituéàtravaillerdur.Unpeucommemonpère.Rienàvoiraveclesofficielsquej’airencontrés.Quiétait-il?UndesrebellesévoquésparMichalchezlamagistrateOwens?Nousavonsapprisen

histoirequedifférentesoptionsseprésentaientauxsurvivantsaprèslaSeptièmeÉpoquedelaguerrepourrevitaliser la terre : regrouper tout lemondeetcréerungouvernementcentraliséoulaisseràchacun le choix d’avancer comme il le pouvait. Ceux qui ont refusé la CommunautéUnifiée sontdevenusdesrebelles.Maispourquoi,danscecas,l’hommea-t-illancésonsacsurunterritoiredelaCommunauté?Aprèsplusieursminutesd’hésitation,macuriositél’emporte.Jeramasselesacenespéranttrouver

des réponses à mes questions à l’intérieur. Mais je ne découvre qu’un petit morceau de pain, dufromage,unsachetderaisinssecsetunebouteilled’eau.Jel’ouvreetjelarenifle.Ellesemblepure.Uneoudeuxgouttesdemesrévélateurschimiquesleconfirment.Jecontemplecesaliments.L’eauestunebénédiction.Ainsiquelerested’ailleurs.Maisjenepeux

paslespartageravecmescompagnons.S’iln’yavaiteuqueTomas,jeluiauraisfaitsigned’enleversonbracelet,maisWillnesaitriendumicroqu’ilportesurlui.Etjeneleconnaispasdepuisassezlongtempspour être sûrede sa réaction si je le lui révèle. Il pourrait très biennous trahir sans levouloir et ruiner le seul avantage que nous avons sur le comité de Test. Il est également hors dequestionque lesofficiels apprennentque jeviensde recevoirde l’aidede l’extérieur. Jen’osepasimaginerquelleestlapénalitépourunetelleinfractionaurèglement.Nesachantpasvraimentquoifaire,jeverselecontenudelabouteilledansmagourdeenattendant

detrouverunbonprétextepourenfaireprofiterWilletTomas.Deretouraucampement,jeranimelefeuetdépècelelapinpendantquedescentainesdequestions

metournentdanslatête.J’ai appris en écoutant les autres candidats au centre de Test que les Cinq Lacs est une colonie

plutôtbienpourvue.Nousmangeonsànotrefaimetcen’estapparemmentpaslecaspartout.Alorspourquoicethommeoffrirait-ilsaprécieusenourritureàuneinconnue?Sait-ilpourquoijesuislà?Sait-ilquenoussommesplusieurs?L’odeurdulapingrilléréveillemescompagnons.Etmoi,jen’aitoujourspasderéponsesàmesquestions.Àlavuedelaviande,Willexécuteunepetitedansedejoie.IlmefaitpenseràmonfrèreHaminles

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soirsdeNoël.C’estpeut-êtreparcequ’ilressembleàmonfrèrequej’aienviedeluifaireconfiance.NiTomasniWillneposentdequestionssurlaquantitéd’eaudanslagourde.Nous levons le camp, l’estomac plein, prêts à reprendre la route. Je marche derrière mes

camarades,lesyeuxfixésverslaclôture.Nousparcouronsquinzekilomètressanscroiserdepointd’eau.Enrevanche,unpommiersauvage

fait notre bonheur et nous remplissons nos sacs de petits fruits durs. Dix kilomètres plus loin, jecommenceàmedirequ’enrestantsurlaroutenousn’avonsaucunechancedetombersurunesourceouunemare.LesmembresducomitédeTestn’aurontcertainementpasvoulunousfaciliterlatâche.Jem’arrêtepourproposerunplanauxautres:–Ilfaudraitquel’und’entrenousparcourelesenvironsàvélo.Ilpourraitcouvrirplusdedistance

etauraitplusdechancesdetrouverdel’eau.–Jeveuxbienyaller,accepteWill.MaisTomasprotesteaussitôt:–Sansvouloirtevexer,Will,quinousditqu’unefoisquetuauraslevélo,tun’enprofiteraspas

pournouslaisserenplanetfoncerverslaligned’arrivée?Willhochelatête.–C’estvrai,jepourraisfaireça.Savoixestcalme,maissesyeuxscintillentdecolère.– Je pourrais te donner ma parole, mais je comprends que ça ne te suffise pas dans ces

circonstances.Mêmes’ilmesemblequetapetitecopinesauraits’encontenter.Mais jepariequetun’accepteraspasnonplusquejeresteseulavecellependantquetuparsenéclaireur?–Tuasraison,acquiescefroidementTomas.Jene laisseraisCiaseuleavecpersonne.Pasmême

avectoi.Sespoingssontserrés.CeuxdeWillaussi.–Etalors,onfaitquoimaintenant,hein?siffle-t-il.J’interviensavantqueTomasaitletempsd’envenimerlasituation:–Cequ’onfait?Ehbien,vousdeux,vousrestezàtranspirerpendantquejevaischercherdel’eau

pournoustous!Je n’ai pas essayé d’adopter un ton aimable. Ils sont prêts à se battre et même si je suis

reconnaissante à Tomas de vouloir assurer ma protection, leur petit numéro de machos m’agaceprofondément.Commesionn’avaitpasautrechoseàpenser.JelanceàTomaslagourdepresquevide.–Jevaisenprofiterpourposerdescollets.Jevouslaisseraidesmarquespourvousindiqueroùils

sontaucasoùvousyarriviezavantquej’yrepasse.Etessayezdevouscomporterenadultespendantquejemedonnedumalpournousgardertousenvie.Sivousn’enêtespascapables,vousmériteztouslesdeuxd’échoueràcetteépreuve!J’enfourcherageusementmonvéloetjem’éloignesansunregard.Tomasmecried’attendre,mais

je l’ignore.Cesdeuxidiotsvontdevoir résoudre leurdifférend toutseuls.L’idéequ’ilssontarmésm’inquiète unmoment,mais je décide de ne pasme tracasser.Ma colère s’éteint àmesure que jem’éloigned’eux.C’estvraiqu’ilsontdépasséleslimitesmaismaréactionétaitégalementexagérée.J’aimoiaussibesoindegrandir.Aprèsm’êtreassuréegrâceautranscommunicateurquej’aiparcouruquinzekilomètres,j’attache

unmorceaudedrapàunbuisson, j’installedes collets et je commencemonexploration,directionnord-ouest.Lesoleilesthautdansleciel.Ilfaitchaud.Lourdenfait.Avecunpeudechance,nousauronsdela

pluie.Jesuiscontentedem’êtregardéunpeud’eaudanslabouteillesecrèteaufonddemonsacetjesuisencoresuffisammenténervéeparlesgarçonspourmangerlemorceaudefromagesanstropde

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culpabilité.Jepoussemonvéloenobservantlesolàlarecherched’éventuellestracesd’animaux.S’ilyaun

pointd’eau,ellespourraientm’yconduire.Jedécouvredesempreintesderaton-laveuretjelessuis.J’ai parcouru cinq kilomètres et je suis sur le point d’abandonner quand je distingue au nord unelégèredépressiondeterrain.Toutautour,lavégétationestunpeumoinsmaladive.Jem’approche.Ils’agitenfaitdelaberged’unpetitruisseau.Jesorsmonkitpourpurifierl’eauet

remplirmagourdeavantderepartir,trèscontentedemoi.Sicontentequej’entendslebruittroptard.Avantque j’aie le tempsdesortirmon revolver,mabicycletteest renverséeet je roule sur le côtépouréviterdejustesseunanimalquibonditsurmoi.Iln’attendpasquejereprennemesespritsavantdelancerunedeuxièmeattaque.Jehurle.Sesgriffesmedéchirentlebrasgauche.Mêmesij’arrivaisàrécupérermonvélo,jen’aiaucunechancedeledistancer.Jerampepourluiéchapperetparviensàmeredresser.Jesorsmonrevolverdemonsacetjevise.L’animalestplutôthautsurpattes,sespoilssontrouxetemmêlés,sondosbossu,sesbabinesretrousséessurdesdentsnoircies.Jetire.Lesyeuxdel’animals’écarquillent.J’ylisdelapeuretdelacolère.Sapoitrineseteintede

rouge.Etils’écroule.Sondernierglapissementressembleàunappelàl’aide.C’enétaitpeut-êtreun,carmaintenantqu’il nebougeplus, jepeuxplongermon regarddans les yeuxbleu foncédemonassaillant.Cenesontpasceuxd’unebête.Ilssonttropintelligents.Ilsressemblentbeaucouptropauxmiensquand jeme regardedans le réflecteur.Etmalgré le corpsdéformé, je n’ai aucundoute, jeviensdetuerunêtrehumain.Jen’aipas le tempsdemelaisseralleràmesémotions.Jeramassemabicycletteetalorsque je

m’apprêteàpartir,troisautressauvagesapparaissent.Quandilsremarquentlecorpsquigîtausol,ilspoussentuncri emplidedouleurquime faitmonter les larmesauxyeux.Puis legémissement estremplacéparungrognement.Ilsselancentàmapoursuite.Ilssontbeaucoupplusrapidesquemoi.Lapollutionquiamodifiéleurcorpsl’aégalementpourvu

d’une incroyabledétente. Ilscourentens’aidantde leursmains. Ils sont terrifiants. Ilyaunepetitecolline. Je lagravisàperdrehaleine. Ilsgrognent etprononcentdesmots incompréhensiblespourmoi,maisjesaisqu’ilscommuniquententreeux,échangentsurlameilleurefaçondem’attraper.Mablessuresaigne.Lachaleuretl’épuisementmedonnentletournis.Sijeralentis,jesuismorte.

Je pédale endanseuse, j’atteins le sommet de la colline, je saute demon vélo et tends les bras, lerevolvercrispédanslesdeuxmains.Ilssonttoutprès.Àmoinsdedixmètres.Jeviseleplusàgauche.Maisjenetirepas.Jeneveuxpas

les tuer. Ce sont des humains. Des humains très différents de moi mais nous avons les mêmesancêtres.Toutcequel’onm’aenseignédansmonenfancemepousseàvouloirleurparler.Àvouloirlesaider.Pourtant,jepresseladétente.Lepremiers’étreintlajambeettombeenglapissant.Celuidumilieusetourneverslui.Jetirede

nouveau.Auniveaudelapoitrine.Etiltombe.Ledernier,leslèvresretroussées,sejettesurmoi.Maballeluiexploselecrâne.Ilestmort.Lesdeuxautressontsuffisammentblesséspourêtreincapablesdeserelever.Unepart

demoiveutenterrerceluiquiestdécédé,maisdetoutefaçon,jen’enaipasletemps.Jedoispartiravantqued’autresarrivent.Jeremonteàvélo.Jecontinueàperdredusangmaisjenem’arrêtepasavantd’êtrearrivéeàlaroute.Jem’assoissur

l’asphaltebrûlantetjeprendsmatroussedesecours.Les cinqgriffuresparallèlesdequinzecentimètresde long sontvilainesmaispeuprofondes. Je

peuxbougerlebras,cequiprouvequenilesmusclesnilestendonsn’ontététouchés.Jenettoielesplaies et y applique du désinfectant avant de les protéger d’un bandage. Je pleure sans pouvoirm’arrêter.Enenfilantune tuniquepropre, j’accrochemonbraceletdans le tissu. Jemedemande si

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ceux qui m’écoutent ont apprécié ce qu’ils viennent d’entendre. Est-ce que les coups de feu lesexcitent?Pensent-ilsque j’ai tuéuncandidat?Est-cequeça leurdonneuneplushauteopiniondemoi?Comprennent-ilsquejesuisblessée?Enont-ilsquelquechoseàfaire?Jevoudraispouvoir rester là,sansbouger,mais jemeforceàme lever.Le transcommunicateur

m’apprendquej’aiparcourucinquantekilomètresaujourd’hui.WilletTomassontquelquepartsurlarouteetilsontbesoind’eau.Àvraidire,uneautreraisonmepousseàlesretrouver:j’aipeurd’êtreseule.Peurd’affronterla

nuitsanseux.Peurd’affrontermaconscienceaussi.Jeviensdetuerdesêtreshumains.Maismesjambesrefusentdem’obéiretlesoleildéclineàl’horizon.Jemangelepainquimereste

etquelquesraisinssecs.J’ignorecombiendetempsilmefautpourrejoindreWilletTomas.S’ilssesonteuxaussiarrêtéspourchercherdel’eau,ilssontpeut-êtrebeaucouptroploinpourquej’aielamoindrechancedelesretrouveravantlecoucherdusoleil.Jecherchedesyeuxunendroitoùcamper.Unendroitoùjeneseraispastropexposéemaisd’oùj’auraisunebonnevuesurlaroute.Aprèstroiskilomètres, jemedécidepourunbosquetaubordde laclôture.JenoueunmorceaudedrapàunebranchepourprévenirWilletTomasquejesuislà,aucasoùilsdécideraientdecontinuerd’avancerdurantlanuit.Jedormiraissûrementplusconfortablementparterre,mais,aprèsavoircachémonvéloaumilieu

deshautesherbes,jedécidedegrimperàunarbrepourmesentirplusensécurité.Cen’estpasfacileavecmon bras blessé. Jememords les lèvres pour ne pas crier de douleurmais je ne laisse pastomber.Jeserrelesdentsetfinisparparveniràmehisser.Caléeentreplusieursgrossesbranches, je suis sûredenepas tomber si jem’endors.La lunese

lève.J’aimeraisquemamèremecaresselescheveuxcommeellelefaisaitquandj’étaismalade.Jevoudraisêtrechezmoi.Je garde les yeux fixés sur la routemais sansm’en rendre compte, je ferme les paupières et je

m’endors.Des mains me saisissent. Des griffes pénètrent ma chair. L’homme sauvage ne grogne plus

d’inintelligibles syllabes mais crie mon nom. Des larmes roulent sur ses joues. Ses yeux siintelligentsmesupplientdel’épargner.Maisjetire,encoreetencoreetencore.Jemeréveilleensursaut.Jenesuisplussurlacolline.Jesuisseule.Lanuit est déjàplusgrisequenoire.Mon fanionde fortune est toujours enplace auboutde sa

branche.TomasetWillnesontpaslà.Je descends de mon arbre. Mon bras me fait mal. Beaucoup plus qu’hier. J’avale des cachets

antidouleuravantdenettoyerlaplaie.Ellenesemblepasinfectée,cequimerassure.Unbruitsourdmefaitsursauter.Jefaisvolte-face,lerevolveràlamain.Aupieddel’arbre,jedécouvreunsacbruncommeceluiquel’hommeauxcheveuxgrism’adonnéhier.Cettefois,jen’hésitepasàleramasser.Del’eau,deuxpommes,unetranchedepain,dufromageetcequiressembleàunmorceaudepouletfroid.Pasdemot.Monbienfaiteurn’estnullepartenvue.Jemesensmieuxaprèsm’êtrerestauréed’unepommeetdepoulet.Lescachetsfontdel’effet.Je

récupèremonmorceaudetissuetj’enfourchemabicyclette.Jeretrouvemescompagnonsquelqueskilomètresplusloin.Épuisésmaisvivants.DèsqueTomas

mevoit,sonvisages’éclaire.Lecœurgonflé,j’accélère,jesautedemonvéloetjemejettedanssesbras.Nousnousembrassonsetpendantquelquesinstants,j’oublielaprésencedeWill.QuandTomasetmoinousséparons,jeluidéposeunbaisersurlajoueetluitendslagourdepleined’eau.–Tuvois,lanceWillàTomas.Jet’avaisditqu’elleallaitbienetqu’elleavaittrouvédel’eau.Ilavaledeuxgrandesgouléesavantd’ajouteràmonintention:

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–Et tes collets ont trèsbien fonctionné.Ona eudeux écureuils et une espècede renardmutant.Dommagequeçan’attrapepaslesvélossauvages,hein?Jehochelatête.–J’aipenséàtonproblème,Willet…–Qu’est-cequit’estarrivé?m’interromptTomasenremarquantmonpansement.Çava?–Oui,çava.Jen’étaispaslaseuleintéresséeparl’eaudeceruisseau.Jeleurracontesanstropdedétailscequim’estarrivé.Tomasmeposedesquestionsauxquellesje

réponds aussi brièvement que possible.À aucunmoment, je ne précise quemes assaillants étaienthumains.Et jenefaispasmentiondes troisquim’ontpoursuivie.C’estensuiteàmon tourde leurdemandercomments’estpasséleurtrajet.Àleurexpression,jedevinequ’ilyaeuunproblème.TomasdétourneleregardpendantqueWillsoupire:–Aprèstondépart,nousavonsbeaucoupcriéetilsepourraitqu’onsesoitaussiunpeubattus.Et

puis,onadécidéd’arrêterdesecomportercommedescrétinsetdecontinueràavancer.Versmidi,ons’estretrouvéàcourtd’eau.Etonarencontréunautrecandidat.–Qui?Quelqu’unquel’onconnaît?Willsecouelatête.–UntypedelacoloniedeColoradoSprings.Iln’étaitpassuperravidenouscroisermais…ila

étéplutôtcool,pasvraiTomas?Ilaacceptédenousdonneràboire.Tomashausselesépaulessansunmot.Jefroncelessourcils.–Etilestoùmaintenant?JenesuispasétonnéequeTomasneveuillepass’adjoindreunautrecompagnonde route,mais

maintenant,nousavonsquelqu’underrièrenousquisaitoùnoussommes.Etl’idéenemerassurepasdutout.Willreprendunegorgéed’eauavantdepoursuivre:–J’aiessayédeconvaincreTomasdelaissercetypeveniravecnousmaisilarefusé.Onl’alaissé

ilyaunevingtainedekilomètres.Ilétaitplutôtmalenpoint.Jepensequ’ilvoulaitsereposerunpeu.Iln’estpasprèsdenousrattraper.Tomas m’adresse un sourire forcé et évite mon regard.Will ne me dit pas tout. Il s’est passé

quelquechosedegrave.Ilsrépondentàpeineàmesinterrogationssuivantesetjen’apprendsriendeplussurlesecretqu’ilspartagent.Nousrepartons.Willnousassurequ’ilcomprendrasinousvoulonsutilisernosvélosmaisj’insiste

pourquenous restionsencoreensemble.Laprésencedesdeuxgarçonsme rassure.Plus tarddansl’après-midi,nousrepéronsdesbâtimentsàl’horizon.Sansdoutelesrestesd’unepetiteville.–Bon,j’aipeut-êtreunechancedetrouverquelquechose,lanceWill.Jeparsenexploration.Sije

dégottecequ’ilmefaut,jevousretrouvedemain,sinon…rendez-vousàlaligned’arrivée.Tomas lui recommanded’êtreprudentmais son sourirene laisse aucundoute : il est contentde

voirWillpartir.Ilnouslaisseunepartiedelavianded’écureuiletderenardetmeserrecontrelui.–Faisattentionàtoi,Cia,memurmure-t-ilàl’oreille.Tonpetitcopainn’estpasletypecoolqu’il

essaiedeparaître.Jevousretrouvedemainsoir.Jusque-là,surveilletesarrières.Jeveuxluidemanderdesprécisions,l’obligeràmeracontercequiaobscurcileurregardàtous

lesdeux,maisjenepeuxpas.Wills’éloigne.Jedevraiéclaircircemystèreseule.Tomasn’estpasd’humeuràdiscuter. Ilmarchevite, sûrementpouressayerdemettre leplusde

distancepossibleentreWilletnous.Oubienentreluietcequis’estpassépendantmonabsence.Jedoisallongerlepaspourlesuivre.J’aimalaubrasetmoncorpsréclamedureposmaisjecontinuejusqu’àcequeleciels’assombrisse.Nousnousasseyonssurlarouteetalorsquejesorslaviandedemonsac,Tomasmedemande:

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–Laluneestclairecesoir,tutesenscapabled’avancerencoreunpeuaprèsmanger?– Pourquoi ? Enfin, moi aussi je veux finir ce Test le plus vite possible, mais on dirait qu’un

démontepoursuit.Raconte-moicequis’estpassépendantquetuétaisavecWill!Tomashausselesépaules.–Rien,c’estjustequ’onaperdubeaucoupdetempsdanslelabyrintheetonnesaitpascequeles

officiels nous ont préparé pour nous ralentir. Je pensais qu’on pourrait essayer de prendre del’avance.Ses arguments sont logiques mais pourquoi crispe-t-il la mâchoire ? Et pourquoi serre-t-il le

poing?C’estseulementàcemomentquejeremarquelalamedesoncouteau.Elleesttachéedesang.Jepenseévidemmentaugarçonqu’ilsontrencontré.Non,iln’apasfaitça.Pourtant,sonmalaiseetlesavertissementsdeWill…Non.JeconnaisTomasdepuisdesannées.C’estungarçondoux,serviableetattentionnéquetoutle

mondeapprécie.Ilest incapabled’un telgeste.Cesangvientsansdoutede l’écureuiloudurenardqu’iladécoupé.Etmêmesicen’estpaslecas,ilnes’enseraitpasprisàunautrecandidatsansunebonneraison.Ilsuffitquejeleluidemande.Pourtant,jen’arrivepasàformerlesmots.Jemange,jeboisetjeremontesurmonvélo.Quandnousnousarrêtonsenfinpourdormir,Tomasinsistepourquel’undenousdeuxmontela

garde.Aprèsmarencontredelaveille,jen’aipasd’objection.Ilprendlepremierquartdeboutprèsd’unarbre.Àlalumièredelalune,jelevoisessuyerdeslarmes.J’aienviedelerejoindremaisilmecroitendormie.Cechagrin luiappartient. Jesuismalheureusequ’ilneveuillepas lepartageravecmoi,maisaprèstout,j’aidessecretsmoiaussi.Dessecretsquim’empêchentdetrouverlesommeiletquandenfin,jeparviensàm’endormir,ilsmepoursuiventdansmesrêves.Tomasmeréveilleaumilieud’uncauchemarpleindecoupsdefeuetde lamesensanglantées. Il

m’embrasseetmedemandesijevaisbien.Non,maisjesourisetprétendsquecen’étaitrien.Encoredessecrets.Puisquejenedorsplus,jevaisprendremontourpourqu’ilpuissesereposer.Jem’assoissouslemêmearbrequeluimaisaulieudesurveillerlaroute,jegardelesyeuxfixéssurlaclôture.Personnenevient.Lejourselève.Nousremontonssurnosvélos.Tomasalestraitstirés.Iléludetoutesmestentativesdeconversationetquandilouvrelabouche,

c’estpours’inquiéterdumanqued’eauetdenourriture.Jefaisdemonmieuxpourresteroptimistemaisunpontsedessineauloinetsouscepont,uneville.Lapeurm’étreint.D’autresépreuvesnousattendentencore.Lepontmesureplusieurskilomètresdelongetenjambeunerivière.D’enhaut,ellesembleclaire

mais elle esthorsdeportée.Pour l’atteindre, nous serionsobligés de faire undétour deplusieurskilomètres.Ça fait peut-être partie duTest.Vaut-ilmieuxperdre du tempsouprendre le risquedechercherunpointd’eauailleurs?Uncandidatdésespéréneseposeraitpas laquestion.Nousne lesommespas.Nousensommesrécompensésquelqueskilomètresplusloin.Lamarequenouscroisonsn’estpas

d’une limpidité fantastique mais mes tests indiquent que nous pouvons remplir nos gourdes sansrisque.Lavillen’estplusqu’àcinqousixkilomètresetnosréservessonttrèsbasses.Mêmeavecmarationsecrète,nousnepourrionspassurvivreplusdequelquesjours.Aprèscequis’estpassédanslelabyrinthe,nousdevonsprendre le tempsde réfléchir.Tomasabeauavoir envied’avancer leplusvite possible, c’est lui qui proposequenous nous arrêtions avant d’entrer enville. Jem’empressed’accepter. Pendant queTomas s’occupe du feu, je vais poser des collets et ramasser des légumessauvages.Jesuisen traindedéterrerdescarottesquandunbruitde l’autrecôtéde laclôtureattire

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monattention.L’hommeauxcheveuxgrissortdederrièreunbuisson.Ilmefaitsigne.Sanshésiter,jeretiremonbraceletd’identificationet je leposesur ledessusdemonsacavantdem’approcherdugrillage.

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CHAPITRE17

Jen’aimêmepasprismonarme.Sicethommeavaitvoulumetuer,ilenauraiteul’occasionlorsdenotrepremière rencontre.J’aid’abordcruqu’ilétaitvieuxàcausedesescheveuxgrismaisdeplusprès,jem’aperçoisqu’iln’apasderides.Ilporteunechemisesansmanchesetunpantalonlarge.Ilesttrèsmusclé.Iltientàlamainunsaccommeceuxqu’ilm’adéjàdonnés.Jeleregardedroitdanslesyeux.–Mercipourlanourriture.Ilsourit.–Derien.J’attendsqu’ilpoursuivemaisilrestesilencieux.–Quiêtes-vous?–Justeunamiquiveutquetusurvives,répond-il.Monnomn’apasd’importance.Saréticenceàmedirecommentils’appellemerendméfiante.–Bon,merciencore.Jetournelestalonsmaisilmerappelle.–Situasunpeudetemps,jepeuxt’expliquerpourquoijet’aideetpourquoijenepeuxpastedire

monnom.Jem’immobilise.–Monnomn’auraaucunesignificationpourtoimaisilenauraunepourceuxquit’évaluerontàla

findeceTest.Sijesuissûrquetuneleurlivreraspasdetonpleingré,tupourraisnepasavoirlechoix.Jesuisrevenueprèsdelaclôtureetjel’observeattentivement.–Quevoulez-vousdire?–Ilst’ontparlédel’entretienquisuitleTest?Ilattendquej’acquiesceavantdecontinuer.– Juste avant, ils te feront avaler un produit qui t’obligera à répondre honnêtement à leurs

questions.Tunepourraspast’empêcherdetoutraconter.Mêmecequetuaimeraisgardersecret.Jelecroismaisjenevoispascequijustifiedetellesextrémités.Riendecequej’aivécudurant

cetteépreuvenepourraitm’attirerdevéritablesproblèmes.Biensûr,j’aicompriscommentenlevermonbraceletetcepourraitêtreunesourced’inquiétudepourlecomité,maisriendeplus.Mêmelefait que cet hommem’ait donné àmanger n’est pas spécifiquement interdit par le règlement. Lesépaulesenarrière,lementondressé,j’affirme:–Jen’airienàcacher.–Tuenesvraimentsûre,Cia?Il connaît mon nom. J’avais supposé que notre rencontre était due au hasard mais ce n’est

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manifestementpaslecas.–Commentsavez-vousquijesuis?Êtes-vousunmembreducomitédeTest?Ilrit.–Non, loinde là. Je suis au contrairequelqu’unquipenseque ceTest est une foutaise. Jeveux

t’aider.Passeulementaujourd’hui,maisaussilorsquetudevrasfairefaceauxdangersdel’université.Jusqu’à présent,mon but était de sortir vivante de cette épreuve.Que l’université représente un

autredéfiàrelevermeglacelesang.Maiscen’estpaslemomentdem’eninquiéter,desquestionsplusurgentesmetrottentdanslatête.–SivousêtescontreleTest,pourquoim’aidez-vousàleréussir?Pourquoinepastoutsimplement

mepermettredem’échapper?–CommeledocteurBarnesvousl’asansdouteexpliqué,vousn’êtespasautorisésàquitterlazone

detest,expliquel’hommed’unevoixdouce.Laclôturen’estinoffensivequesivousn’essayezpasdelafranchir.Ilsortdesapocheunbraceletd’identificationdontlesymbolereprésenteuntriangleavecunœilà

l’intérieur.Aprèslatroisièmeépreuve,Tomasm’avaitdésignéungarçondesongroupe.Grand,avecdescheveuxrouxenbataille,ilavaitl’airgentil.–Ilaessayéd’escalader legrillage, reprendmoninterlocuteur. Ilestmortavantd’avoirposé le

pieddel’autrecôté.Jel’aienterrécommetoncamaradeettoil’avezfaitaveclajeunefillequevousaveztrouvée.Tousmesmusclesseraidissent.–Seulunmembreducomitépeutsavoirça!–C’estvrai.Maistouslesmembresnesontpasd’accordaveclesprocédures.L’und’entreeuxa

mêmesabotéplusieursaérojetspourempêcherdesofficielsd’atteindrelescoloniesavantledébutduTest.Malheureusement, ils ont été réparés plus rapidement que nous ne l’avions prévu. Sinon, tesamisettoiserieztoujoursauxCinqLacsetjediscuteraisencemomentavecunautrecandidat.S’agirait-ildeMichal?Michalaurait-ilparlédemoiàcethomme?Je supposequemêmesi je

poselaquestion, jen’obtiendraipasderéponse.Etpuis, ilest tempsd’enveniraubut.Çafaitdéjàtrop longtempsque j’aiposémonbracelet.Mon silencepourrait amener ceuxquim’écoutent à seméfier.–Quevoulez-vousdemoi?Pourlapremièrefois,ilsourit.–Noussavonsquetafamilleadessecretsquelecomiténedoitapprendresousaucunprétexte,Cia.Ilmejettelesacqu’ilavaitàlamain.–Tutrouverasdedansunepetitefiole.Ellecontientunliquidequi,nousl’espérons,empêcherale

sérumdevéritéd’agir.Situveuxquetafamilleresteensécurité,prends-leavantl’entretien.Lamenaceàpeinevoilée contremesparents etmes frèresme terrifie.Mais lapeurneme sera

d’aucuneaide.Jememordslalèvre.–Commentpuis-jeêtresûrequ’ilnes’agitpasd’unautretest?Sic’estlecas,cettedroguemetueratrèsprobablement.Lesmauvaisesréponsesserontpénalisées.–Tunepeuxpas,soupirel’hommed’unevoixtriste.Tudoistecontenterdemaparole.Ilreculed’unpas.– Cache la fiole dans tes vêtements de rechange. Un de mes amis au comité fera en sorte que

personnenelatrouve.Bonnechance,Malencia.J’espèrequ’onsereverra.Jeleregardes’éloignerjusqu’àcequ’ilaitcomplètementdisparuavantderécupérermonbracelet.

Lesoleilcommenceàsecoucher.JedoisretournerauprèsdeTomas,maisj’aibesoind’unmomentpourréfléchir.J’examinelafiole.Jel’ouvreetenreniflelecontenu.Çasentunpeularose.Dans le sac, il y a aussi de l’eau et à la place du pain et du fromage, une boîte remplie de

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framboises fraîches, une petite botte de carottes sauvages et de fruits jaunes que je pense être despoires.Aprèsavoircherchéunequinzainedeminutesdanslesenvirons,jedécouvreunframboisieret un poirier ainsi que des carottes. Cette nourriture n’est pas seulement pourmoi. Si je peux enexpliquerlaprovenanceàTomas,jepeuxaussilapartageraveclui.L’hommeauxcheveuxgrisdoitsavoirquejen’aipasparlédeluiàTomas.Ilal’airdesavoirbeaucoupdechoses.Il a évoquédes secretsde famille.Faisait-il allusionauxcauchemarsdemonpère ?Au fait que

Zeenest beaucoupplus intelligentquene le croient les officiels ?Que certainsdirigeants deCinqLacsontconspirépouréviterleTestauxjeunesdiplômésdelacolonie?Jesaismaintenantqu’onmeposeradesquestionssurcessujetslorsdemonentretien.Ou alors, je me trompe complètement. Et dans ce cas, je tomberai raide morte après avoir

ingurgitésonpoison.J’auraiunchoixàfairelemomentvenu.Maispasmaintenant.Tomasestravidemarécolte.Unefoisquej’aitoutdéposéparterre,ilmeprenddanssesbraset

mefaitdanseraveclui.Lesombresdesdeuxjoursprécédentss’évanouissent.Jesuisheureuse.Nous terminons la viande et nous régalons des framboises et des poires juteuses. Nous en

ramasseronsd’autresdemainavantderepartir.JevérifielaplaiedeTomasquicicatriseplutôtbien.Lamienneesttrèsdouloureuseetparaîtinfectée.Jelanettoieetreprendsdescachetsantidouleur.Jeréappliquedudésinfectantensachantaufonddemoiqueçanechangerapasgrand-chose.Maisilfautbienessayer.Tomasm’aideàrefairelepansement.Ilsemoquedemeslèvrestachéesdefruitavantdelesembrasser.Ilestredevenului-mêmeetjesuistentéedepartagermessecretsaveclui.Maisjenepeuxpas.Pasavantdeconnaîtrelessiens.–Dis-moicequis’estpasséavecWill.–Willt’adéjàtoutraconté.–Iln’apastoutraconté,jelesais.Tomasseraidit.–Tumetraitesdementeur?–Non,maisj’ail’impressionque…Tomas s’écarte demoi et se lève. Il s’éloignemême de quelques pas.Çame donnerait presque

enviedepleurer.Jemeredresseàmontouretjem’approchedelui.–J’aiconfianceenWill.– Tu ne devrais pas, me rembarre Tomas. Ton père t’a pourtant dit de n’avoir confiance en

personne.Sesmotsme pétrifient. Il sait que nous sommes écoutés et que s’il ne fait pas attention, il peut

mettretoutemafamilleendanger.Malgrélaboulequim’obstruelagorge,jeparviensàarticuler:–Jetefaisbienconfianceàtoi!Etsimonpèrem’aprévenuequelacompétitionpouvaitinciter

certainsàmalagir,jenepensepasqueWillsoitdeceux-là!–Etcommentpeux-tuenêtreaussi sûre?Parcequ’il estdrôle?Parcequ’ilétaitbouleverséen

apprenantquesonfrèreavaitéchouéàlapremièreépreuve?Tunesaispasdequoiilestcapable!Quandnousavonstrouvétescollets,ilaouvertsonsacetdedans,ilavaitunkitdepurification,unetroussedesecours,unepairedejumellesetunlivredecartescommelemien!–Etalors?–Nousn’avionsledroitdechoisirquetroisobjets,jeterappelle.Troisquenouspouvionsajouter

àdeuxobjetspersonnels.Ilavaitégalementunrevolveretuncouteau.Faislecompte!–Peut-êtrequ’ilatrouvélesjumellesoulecouteau…–AveclelogoduTest?Maisoui,biensûr!Non,ilacroiséaumoinsunautrecandidat!L’imagedelajeunefillemortem’apparaît,maisjelarepousse.

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–Peut-êtrequ’undescandidatsaperdusonsacoupeut-êtremêmequ’il l’avoléàquelqu’unquidormait.Cene seraitpas terribled’unpointdevuemoral,mais jepourrais le comprendre. Jepousseun

profondsoupir.–ÉcouteTomas, lesgenspeuventagirbizarrementquandilssontsouspression.Tunepeuxpas

êtresûrqu’ilatuéquelqu’un!Vousavezcroiséunautrecandidatpendantmonabsenceetilneluiestrienarrivé!Tomasbaisselesyeux.–Ouais,marmonne-t-il.Tuasraison.Detoutmoncœur,j’aienviedelecroire.Maisc’estpresqueimpossible.Tomas,quejen’aijamais

vuautrementquecalmeetserein,boutdecolèreetdedésespoir.–Tomas, je tedemandeseulementdeconsidérer l’éventualitéd’uneautreexplication.Lecomité

cherchedesleadersetmêmelesleadersdoiventapprendreàavoirconfiance,parfois.Si mes mots échouent à convaincre Tomas, mon ton semble au moins l’apaiser. Nous nous

allongeonsetilmereprenddanssesbras,maisjedoisencoreluiposerunequestion.Unedernière.–Comments’appelaitlecandidatquevousavezcroisé?JesenslesbattementsducœurdeTomass’accélérer.Aprèsunpetitmoment,ilmurmure:–Jenesaispas.S’ilnousl’adit,j’aioublié.Ilment. S’ils ont réellement croisé quelqu’un, il lui a forcément demandé son nom après s’être

présenté.Neserait-cequeparhabitudeoupolitesse.C’estcommeçaquenousavonsétééduquésauxCinqLacs.Ladéceptionmeserrelagorgeetjemeforceàresterdanssesbrasmalgrémonenviedem’éloignerdelui.Cettenuit,nousfaisonstouslesdeuxsemblantdedormir.Mes collets fonctionnent bien. J’ai attrapé deux lapins et un opossum. Pendant que Tomas les

prépare,jevaisramasserdesfruitsetdeslégumes.Suffisammentpourtenirdurantlatraverséedelaville.Nousnenousembrassonspascematin.Tomasneprononcepasunmotetjesuisperduedansmespensées.Le ciel est couvert. Je jette des coups d’œil réguliers de l’autre côté de la clôture, mais je

n’aperçois aucun signe de mon mystérieux bienfaiteur. Ça ne me surprend pas. Pourtant, je suispresquesûrequ’ilnousobserve.Luiouundessiens.Sont-ilsdesrebelles?IlaaffirménepasfairepartieducomitédeTestetnepasêtred’accordaveclesméthodesdesélection.Pourtant,ilveutquejeréussisse.Siluietsesamisontlapossibilitédesaboterdesaérojets,ilsdoiventaussiavoirlemoyendefairefranchirlaclôturesansrisqueàuncandidat.Biensûr,commeill’aditlui-même,sileurplanavaitmarché,jeneseraispaslà.Maisquandmême.Jesuiscertaineques’ilsvoulaientseulementnouspermettredefuir,ilsleferaient.Denombreuxcandidats,affamés,effrayés,seraientsûrementravisdeprendreleursjambesàleurcou.Ou peut-être pas. Nous avons tous des familles, des parents, des frères, des sœurs. Le

gouvernement leur verse une pension quand nous sommes sélectionnés pour le Test, mais que sepasserait-ilsilecandidatnerespectaitpaslesrègles?Nouspassonssousuneimmensearchemétalliqueetentronsdanslaville.Lesbuildingssontplus

hautsqueceuxdelavilleprécédentemaisilssemblentenbienplusmauvaisétat.Ilestbientôtévidentqu’ilsontétébombardés.D’après la cartedeTomas,nous sommesàSaint-Louis.Ni luinimoinenous rappelonsceque

nous avons appris sur cet endroit en histoire. Aucune idée du genre de bombes utilisées. C’estdommagecarcertaines,cellesquel’onappelaitlesbombessales,contenaientdespolluantsdestinésàcontaminerl’eauetlaterredurantdenombreusesannées.Nousdécidonsdoncd’emprunterla routequilacontourne.Nousavonssuffisammentdenourritureetd’eaupournouspermettredeperdreun

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peudetemps.Les jours suivants passent sans histoire. Nous marchons, mangeons, dormons. Nous croisons

quelquescoursd’eauquinouspermettentdenouslaver.Nousneressentonspaslafaim,maisnouscommençonsàflotterdansnosvêtements.Jesuisobligéedemefaireuneceintureavecunlambeaudedrappourempêchermonpantalondetomber.Tomasfaitdemême.Nousn’abordonsentrenousquelessujetslesplussuperficiels.Uneoudeuxfois,jelesurprendsàmeregardercommes’ilétaitprêtàmeparler.Maisilnepassepasàl’acte.Chaque bruit me fait sursauter. Pourtant, nous n’apercevons aucun animal. Seulement, par deux

fois,d’autrescandidats,auloin.Nouspédalonsvite,du leveraucoucherdusoleil.Nousvoulonsàtoutprixéviteruneconfrontation.L’hommeauxcheveuxgrisneréapparaîtpas.LescernesdeTomassecreusent.Mêmequandilsourit,salassitudeestpalpable.Mescauchemarsempirent,maisj’aiapprisàretenirmescris.Jemeréveilleet,pourmerassurer,

je touche la fioleque j’ai glisséedansmon sac.Lesgriffuresdemonbras refusentdeguérir.Lescontoursendeviennentverdâtresetellesexsudentunépaisliquidejaune.Jesupposequelesonglesdemes assaillants étaient empoisonnés par les mêmes produits chimiques qui les ont fait muter. Jeprendsdescachetsetjeboisbeaucoupd’eau.J’espèrearriveràlafindecetteépreuvesansdommagesphysiquespermanents.Auboutd’unesemaine,nousarrivonsenvued’uneautreville.Laclôturesudet laclôturenord

sont toutes les deux visibles. Nous entrons dans un entonnoir. Si d’autres candidats sont arrivésjusque-là,noussommespresquesûrsdelescroiser.D’ailleurs,nousne tardonspasà trouverdesempreintes. Ils sont aumoinsdeux.Peut-être trois.

Nousavonspourtantétérapides,maisilsl’ontétéplusquenous.Ilspeuventêtren’importeoù,ànousguetter.Nousdécidonsdelestrouveravantqu’ilsnoustrouvent.La ville est dans un état de décomposition avancée mais certains édifices tiennent encore bon.

Jusqu’aumomentoùaudétourd’unerue,nousdébouchonsdevantunimmensecratèrequis’étendsurplusieurskilomètres.Lesdoigtscrispéssurlesguidonsdenosvélos,nousfixonscevidequiétaitauparavantunendroit

oùdesgensvivaientet travaillaient.Nous sommes face àunpaysagedévasté.Pendant notre trajet,nousavonstraversédesterresravagées,maisdesplantesavaientréussiàpousserçàetlà.Às’adaptertant bien quemal. Ici, il n’y a rien, absolument rien.Comment un chef de gouvernement a-t-il pudonnerunordredontlaconséquenceaétéunetelledestruction?Laterreestrésiliente,certes,maisilest difficile d’imaginer un jour où ce lieu sera autre chose qu’un douloureux souvenir de ce dontl’hommeestcapable.Nousdevonscontournerlecratère.Nouschoisissonsauhasarddeprendreàdroite.Nouspoussons

nosvélosaulieudepédaler.J’aimalpartout,aubrasenparticulier.Lescachetsfonteffetuntemps,maisladouleurfinittoujoursparrevenir.Alorsquenousnousenfonçonsdansdesrues,jedemandeàTomas:–Tupensesque lesgensquiontbombardécettevilleavaientconsciencedesconséquences?Tu

croisqu’ilsontréaliséqu’ilsallaienttouttuerautourd’eux?qu’ilssedétruisaienteux-mêmes?Tomashausselesépaules.–Mêmesic’étaitlecas,est-cequeçachangeraitquelquechose?–Peut-être,oui.J’y ai beaucoup réfléchi ces derniers jours. Sans doute parce que si nous franchissons la ligne

d’arrivée, nous deviendrons l’élite de la Communauté ; certains d’entre nous en deviendront lesdirigeants.AucoursdeceTest,beaucoupdescandidatsontdémontréquepoureux,lafinjustifielesmoyens.Jen’arrivepasàêtred’accordavecça.Enrevanche,j’aicomprisunechoseimportante:on

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nepeutpaschangerlepassé.Cequiestfaitnepeutêtredéfait.J’ailetempsderéfléchirdurantmesnuitsd’insomniequandmescauchemarsnemelaissentpasenpaix.Riendanscetestn’estlaisséauhasard.Jesuiscertainequelesofficielsavaientassezd’éléments,avantcettequatrièmeépreuve,pourdeviner à coup sûr lesquels d’entre nous utiliseraient les armes pour manger ou se défendre etlesquelss’enserviraientpourtuerleurscamarades.CeTestn’estpasseulementdestinéàévaluernoschoixmaisnotrecapacitéàvivreavecleschoixquenousavonsfaits.Pouvons-nousapprendredenoserreursetlestransformerenatoutsouleslaisserons-nousnousentraînerdansladépression?Quandj’observeTomasàladérobée,jesaisunechose:ilestentraindeselaisserentraîner.Rymes’estpendue.Elles’estnoyéedanslapeuretlesdoutes.J’ignorequelsouvenirhanteTomas

maisilestévidentqu’ilestentraindeperdrelecombat.Quoiqu’ilaitfait,ilneméritepasd’êtreunenouvellevictimeduTest.Jeprendsuneprofondeinspirationetjemelance:– Je crois que le but de ce Test est de nous obliger à regarder en face les conséquences

monstrueusesdesactesdupasséafinquenousapprenionsdesfautesdeceuxquinousontprécédés.Lesmeilleursgouvernantscommettentdeserreursmaisjamaisdeuxfoislesmêmes.Laseulefaçond’apprendreestdecomprendrecequinousapousséàagir.Tomas,lesyeuxfixéssurlecratèresombre,réfléchitunlongmoment.Quandiltournelatêtevers

moi,jelesensunpeumoinstendu.–Jepensequeleschefsdegouvernementquiontordonnécebombardementsavaientqu’ilsallaient

détruiredesvies,maisjenecroispasqu’ilsavaientconscienced’anéantir lemondedanslequelilsvivaient.Àunmoment,ilsontdûserendrecomptequ’ilscommettaientuneerreurmaisilsn’ontpassus’arrêter.J’acquiesce.–Peut-êtrequec’est lamarqued’unvéritabledirigeant : savoir reconnaîtrequ’il s’est trompéet

êtrecapabledechangerdecapquoiqu’illuiencoûte.Soudain,unfrissonmeparcourt.Jeporte lamainàmonfrontmais jen’aipasdefièvre.Quand

j’étais petite, mes frères s’amusaient à me faire faire des bêtises – comme voler du pain dans laréserveoutransformerundrapencostumedepirate.Jesavaistoujoursquej’allaismefaireprendrequandjememettaisàtressaillir.Cettefois,c’estlamêmechose:jesuiscertainequenoussommesobservés.Fenêtresbéantes,portesfracassées,fissuresdanslesmurs,ilouellepeutêtren’importeoù.Jesors

monrevolver.Leventselève,lecielvireaugris.Unetempêteapproche.Peut-êtrequec’estcequim’aalertée.Unerafalelibèreunemèchedecheveuxquimetombesurlefront.C’estenlarepoussantquejele

vois.Unvisagesousunporche.Degrandsyeuxdansunvisageridé,destouffesdecheveuxbrunssurlecrâne.Uneépaule,unemainetdesonglescommedesgriffes.Leventsouffleetportedesvoix.Desmurmures.Ilssontplusieurs.Jeplisselespaupièresetjeles

distingue dans l’ombre. Cinq. Dix. Deux autres au deuxième étage d’un immeuble. S’ils décidentd’attaquer,nousn’avonsaucunechance.Maisilssontparfaitementimmobiles.Tomasn’aencorerienremarqué.Sesyeuxsontfixésdroitdevant lui.Jeretiensmonsouffle.La

pluie commence à tomber. Tomas pousse un juron et suggère que nous remontions sur nos vélospourallerplusvite.Maisjen’osepas.Pourlemoment,leshabitantsdecettevillefantômen’ontfaitquenousregarder.Nousnereprésentonspeut-êtrepasunemenace,maisj’étaisàvéloquandj’aiétéattaquée.Sic’étaituneoffenseàleursyeux?Jeneveuxpasprendrelerisque.–Cia,tum’asentendu?J’acquiesceenmurmurant:–Regardeauxfenêtres.

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Ils’arrêteetlèvelatête.Ilfrémit.Jemepencheverslui:–Ilyenadesdizaines.–Ondiraitpresquedeshumains,souffleTomasenposantlamainsursoncouteau.Jesecouelatête.–Ilssonthumains.–Commentpeux-tuenêtreaussisûre?Lapluietombedeplusenplusdruetnousbrouillelavue.Nosvêtementsnouscollentàlapeau.

Unedescréaturess’avanceversnous.Tomasdégainesoncouteau.L’hommes’arrêteàunedizainedepas. Il semble attendrenotre réaction.Nousnous remettons àmarcher, doucement.Mapoitrine estprisedansunétau.Letonnerregronde.Lesgriffuressurmonbrasmebrûlentplusquejamais.Deuxautrescréaturesrejoignentlapremière.Ellessemettentànoussuivre.Des éclairs zèbrent le ciel et se reflètent dans les pupilles des mutants. Ils sont maintenant une

dizaineetd’autresnecessentd’arriver.Lorsquenousatteignonsleboutdelarue,ilss’arrêtent.Nousaccélérons,ilsnebougentpas.Ilnesepasserarien.Peut-êtreque lesmembresducomitéd’évaluationvoulaientvoir sinotrepeurnouspousseraità

attaquersansavoirétéprovoqués.J’aperçoisune autre créature àune fenêtre.Ellenousobservede cet étrange regardqui ne cille

jamais.Etsoudain,unedétonationetsonvisageexplose.

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CHAPITRE18

Tomasmejetteausolets’allongesurmoipourmeprotéger.D’autrescoupsdefeuretentissent.Lecorpsdumutantesttombésurl’asphaltedansunbruitmat.Uncridedouleurs’élèvederrièrenous,suivid’uneclameur.Bienque leur langagemesoit incompréhensible, lessentimentsqu’ilvéhiculesontparfaitementclairs.Indignation,colère,soifdevengeance.Legroupequinoussuivait franchitleslimitesdelarueetseprécipiteversnousenhurlant.Tomasselèveetmetendlamain.Unautrecoupdefeuetunsauvage,touché,tombeàgenoux.Une

fusilladeréduitdesmembresenbouillie,fracassedescrânes,pulvérisedescôtes,crééunimmondechaos de chair et de sang.Lesmutants hurlent. Je lève la tête.Au troisième étage d’un immeuble,j’aperçoisunesilhouetteetl’éclatmétalliqued’unemitrailleuse.Tomasmecriedebouger.Maisjenepeuxpas.J’aireconnuletireur.C’estBrick.Jelèvelesbraspourattirersonattention:–Arrête!Arrêtedetirer!Des glapissements angoissés se mêlent à mes cris. Des dizaines et des dizaines de mutants

continuentd’arriver. Jedevraisêtre terrifiéemais je n’arrive à penser qu’àune chose :Brickdoitcesser lefeuetregarder lecarnagequ’ilaprovoqué.L’odeurdusangmesoulèvel’estomac.Jenesuispaslaseule.Àcôtédemoi,Tomasvomit.Lapluierougieparlesangcoulesurlachaussée.Écarlate.Entreleshurlementsetlescoupsdetonnerre,ilmefautquelquessecondespourcomprendreque

Bricknousappelle.–Cia,jevouscouvre!Venez,viteavantqu’ilsattaquent!–Arrête,arrête.Jesanglote.Touscescorpsdéchiquetés.Tousceshommesetcesfemmesmorts,tuésparungarçon

dontj’aicontribuéàsauverlavie.–Ilsnenousvoulaientpasdemal.Cesontdesgens.Desgens.Mais Brick n’écoute pas. Il a rouvert le feu sur des mutants qui ne nous menaçaient pas, qui

voulaientseulementrécupérerleursmortsetleursblessés.Tomasmesaisitlebras.Jelâchemonvéloquitombedansunbruitdeferraille.–Onnepeutrienfaire,Cia.Onnepeutpaslesaider.Ilfautpartir.J’aidumalà resterdebout,ànepasm’effondrer. JevoudraisqueBrickarrêtemais ilcontinue,

encoreetencore.Jeluiaisauvélavieetenretour,ilcroitsauverlamienne.Le massacre auquel je viens d’assister me submerge de honte, de tristesse, de peur. Tomas,

patiemment,me répètequenousdevonspartir. Je voudraisme recroqueviller sur le sol et ne plusjamaisouvrirlesyeux.

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Maisjeremontesurmonvéloetjepédale.Nousnouséloignons.Alors que nous arrivons en bordure de la ville, Tomas repère un petit immeuble qui semble

suffisammentsolidepourquenouspuissionsypasserlanuit.Ilnepleutplusmaisnosvêtementsetnos chaussures sont trempés. Tomas trouve assez de bois pour faire un feu près d’une fenêtre etm’exhorteàmechanger.J’obéismachinalement.Monautrechemiseesttachéedusangdesmutantsquej’aituésprèsduruisseau.Jesuisincapabled’avalerquoiquecesoit.Lesjambesramenéescontrelapoitrine,jefixelefeuen

essayantd’imaginermesparentsetmesfrèresdevantlacheminéeàlamaison.Tomasm’obligeàluimontrermon bras. Ilme soigne etme donne des cachets. Peut-être qu’ilsm’aideront à arrêter detrembler.Puisilmeprenddanssesbrasetmerépètecombienilm’aimependantquejepleure.Levisagebaignédelarmes,jefinisparm’endormir.Jerêvedecoupsdefeuetderivièresdesang.Quandjemeréveille,jemerappellequetoutétait

réeletlanauséemerevient.Jesaisquejedevraismangermaismonestomacserecroquevilleàlavued’unmorceaudeviande.Jemeforceàboireetàavalerunepoire,parminusculesbouchées.Nousremettonsnoschaussuresmouillées.Dehorsleciel,lavéparlapluie,estd’unbleumagnifique.Lesoleilétincelle.Labriseestagréable.

Icietlà,desfleursontpoussédanslescassuresdel’asphalte.Unejournéeparfaitequisembleraillerl’horreurdelaveille.Parhabitude, nous consultons la carte.D’après le transcommunicateur, il nenous resteplusque

troiscentskilomètresàparcourir.Nouspédalonsvite.Nouséloignerdecetendroit.Delamort.Lesclôturesnordetsudserapprochentl’unedel’autre.Oui,lesmembresducomitéveulentque

lescandidatss’affrontent.Jemedemandes’ilsaurontunchoixàfaireous’ilsaccepteronttousceuxquifranchissentlaligned’arrivée.Jeseraisétonnéequenoussoyonsplusd’unevingtaine.Nousnousarrêtonslemoinspossible.Mablessureaempiré.Jetranspireetjenesenspresqueplus

les doigts demamain gauche.Mais je continue. Pas de rencontre dans la journée et le soir nousvérifions ledécomptedeskilomètres.Plusquedeux cent quarante.Tomasmegarde dans ses brastoute lanuit. Ilmerépètedoucementquesinousconservonscetteallure, ilnenous resteque troisjours.Troisjours.Jepeuxyarriver.Jeveuxycroire.Lelendemainmatin,nouslevonslecampsousuncielcouvert.Mesjambestremblent,monbrasme

lance.Jereprendsdescachets.Aspergemablessurededésinfectant.Pourront-ilsmesoigneràTosu?Tomasaffirmequeoui,maisilestprêtàtoutpourm’empêcherd’abandonner.Enréalité,jen’enaiaucuneenvie.Abandonnersignifieraitqueriendetoutçan’avaitdesens.Ceseraitinsupportable.Uneidée me tourmente de plus en plus : je ne veux pas qu’on efface mes souvenirs. J’essaie de merappelertoutcequejesaissurlefonctionnementducerveauhumain.Aprèslapause,jeprétendsquej’aibesoind’unesiestemaisaulieudem’allonger,jeretiremon

braceletetm’éloigned’unecinquantainedemètres.Tomasm’imiteetmerejoint.–Qu’est-cequ’ilya?C’esttonbras?Onpeutralentirsituveux.Jesecouelatêteetjemurmure:–Noussommespresquearrivés.Ilsourit.Sesfossettesmedonnentenviedepleurer.–Oui.Encoreunjouroudeuxetceseraterminé.Ilposelamainsurmonfrontetm’annoncecequejesaisdéjà.Jesuisbrûlante.–Ilsvonttesoigner,tuverras,ilsteremettrontsurpied.Oui,c’estpossible,maiscen’estpascequimetracassepourlemoment.– D’après mon père, ils ont une méthode pour effacer tous nos souvenirs. Nous ne nous

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rappelleronsriendecequinousestarrivéici.Tomassemordl’intérieurdelalèvre.–Peut-êtrequecen’estpasunesimauvaisechose,finalement.Peut-êtrelefont-ilspournousaider

à survivre à ces épreuves.Tu veux réellement te rappeler toute ta vie lamanière dontMalachi estmort?OuBricketsamitrailleuse?–Non.Ma réponse est honnête.Une vie de cauchemars neme tente évidemment pas plus que ça.Mais

l’idée d’être reprogrammée me déplaît encore plus. Et surtout, je ne veux pas oublier pourquoiMalachiestmort.–Jeveuxgardermessouvenirs,Tomas,lesbonsetlesmauvais.L’oublinechangepaslepassé.Et

puis,lescauchemarsdemonpèreprouventquelatechniqueducomitén’estpasefficaceàcentpourcent.Desimagesluireviennent,mais,étantincapabledelesexpliquer,ilenestprisonnier.Est-cequeçaneteparaîtpasencorepire?Tomasdonneuncoupdepieddansunetouffed’herbe.Mesargumentsletouchent.–Sescauchemars et ceuxdudocteurFlintme font supposerqu’ilsn’ontpas subid’intervention

chirurgicale.Jesuisd’accord.J’aiapprisquelesiègedelamémoireàcourtetmoyentermedanslecerveauest

facile à trouver mais que chaque personne est différente. Procéder à une opération qui permetted’effacer précisément trois ou quatre semaines de la vie d’une personne me paraît risqué etcompliqué.Çal’estforcémentencorepluspourplusieurscandidats.Jeréfléchis.–Ilsutilisentpeut-êtredeladrogue,uneondemagnétiqueoul’hypnose?–Jepariepourladrogue,grimaceTomas.Moiaussi.Etmadiscussionavec l’hommeauxcheveuxgris tendrait à leconfirmer. Jepourrais

profiter de cemoment sans nos bracelets pour parler de lui à Tomas. En me taisant, j’ai un peul’impressiondeletrahir.Maisj’aipeurqu’ilmereprochedenepasluienavoirparléplustôt.J’avaisdebonnesraisons,maisTomaspourraitnepaslescomprendre.Ladernièrechosedontnousavonsbesoinencemomentestbiendenousdisputeroudeprononcerdesmotsblessants.Jedevraitrouverunautremomentpourpartagercesecretaveclui.Enattendant,jeluidemande:–Commentcontrerunedroguedontnousnesavonsrien?–Jenesaispas.Nousdevronsyréfléchirunefoislà-bas,quandnousensauronsplussurlafaçon

dont ils comptent nous l’administrer. S’ils la mettent dans un verre d’eau, nous pourrons fairesemblantdeboireetleurdonnerl’impressionden’avoiraucunsouvenir.Mêmes’ilyabeaucoupdechosesquejepréféreraisoublier,jeveuxgarderenmémoirenotrepremierbaiser.Ilm’embrasseavecpassionetjemelaisseallerdanssesbras.Seslèvresseposentsurmesjoues,

mesyeux,moncou.Jefrissonne.Lafièvre?Non,jenecroispas.Jel’enlaceetjel’embrasseàmontourcommesi j’étaisaffaméedesonamour.Nousnouscollons l’unà l’autrepourne fairequ’unmaiscen’estpasencoreassezetquandTomass’écartelégèrement,noussommeshorsd’haleineetàpeinerassasiés.Mais nous devons récupérer nos bracelets. Notre silence va finir par alerter les membres du

comité. Tomas m’embrasse, doucement cette fois, sur les lèvres et nous retournons vers notrecampement,lamaindanslamain.Jefaissemblantdemeréveilleretjeluidemandecequ’ilafaitpendantmasieste.Jel’écouteen

souriant broder à propos d’un écureuil qu’il a essayé d’attraper. Je ne sais pas si ceux qui nousécoutentsontamusés,maismoioui.Nousmangeonsetremontonsàvélo,encomptantparcourirunecinquantainedekilomètresavant

lanuit.Jenesuispassûred’yarriver.Ladouleurdansmonbrasestinsupportable.Jeralentismalgrémoi.Tomasm’encouragemaisjen’yarriveplus.Jeparvienstoutjusteàgarderl’équilibre.

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Soudain, Tomas s’arrête et tend le bras vers la clôture nord. Une silhouette court. Je plisse lespaupières.Sansdouteunautrecandidat.Àsonallure,jedevinequec’estungarçon.Tomasdésigneune autre ombre derrière nous. Chancelante. Amie ou ennemie ? Nous reprenons notre route enespérantnepasavoiràrépondreàlaquestion.Encore cinq kilomètres et je suis obligée de descendre de vélo. J’ai la tête qui tourne, la gorge

sèche.Laplaiedemonbrasestàvif.Jen’arriveplusàmeconcentrersurquoiquecesoitd’autrequeladouleur.J’ôtemonbandage.J’aibienfaitdem’attendreaupire.Lapeauestgonfléeetchaude.Quandj’étais

petite,jesuistombéeetjemesuisérafléetoutlelongdutibia.LedocteurFlintn’étaitpasauxCinqLacsetc’estmamanquim’asoignée.J’aidûrestercouchée,maisquelquesjoursplustard,majambeavaitdoublédevolume.Heureusement,àsonretour,ledocteurFlintasuquoifaire.Aprèsm’avoirlégèrementanesthésiée, ilm’aouvert lachairpourlaisserlepuss’échapper.Avecestvenuunpetitmorceaudemétalcontaminéquiavaitprovoquél’infection.Jesuiscertainequelepoisonestlàaussienfermédansmaplaie.Jeneveuxpasmourir.Tomasprépareunfeu.Ilfaitbouillirdel’eauetyplongelaserviettequej’aipriseaucentredeTest

avantnotredépart.Nousavonsdéjàutilisétouslespansementsdelatroussedesecours.J’avaleunepoignéedecachetsetjedemandesoncouteauàTomas.Ilmejetteunregardinterrogateurethésitemais finit parme le donner. Avant qu’il ait le temps deme demander ce que je compte en faire,j’entaillelaboursouflured’ungestesec.Sanslescachets,jemeseraispeut-êtreévanouiesouslecoupdeladouleur.Unenauséemetraverse,mesyeuxseremplissentdelarmes.Jepincelapeauetlachairpourfairesortirlepusmêléàunsangépais.L’odeurmefaitvomir.Jepleure.Maisjen’arrêtepasdepresser. Le liquide jaune et vert me coule sur le bras. Tomas passe la compresse que je viensd’enlever dans l’eau et m’essuie doucement. Ma vision vacille. Je suis pliée en deux. Et je serreencore,deplusenplusfort.LavoixdeTomasmeparvientcommes’ilétaitloin.Jenedistinguepassesmots.Etpuis,lesangremplacelepusetjesaisquejepeuxrelâcherlapressiondemesdoigts.JelaisseTomasnettoyermaplaieavecl’eauqu’ilafaitbouillir.Ilappliquelesdernièresgouttesde

désinfectantetmerefaitunbandagepropreetstérileaveclaserviette.Puisilmeprenddanssesbrasetmeberceenmemurmurantdedormir,qu’ilveillerasurmoi.Mes rêves sont peuplés, dans une égale proportion, de visions joyeuses et horribles. Malachi

m’aideàenterrerlajeunefilledontlesyeuxontétédévorésparlescorbeaux,Zeenmepardonnedeluiavoirprissontranscommunicateuretmedemandedereveniràlamaisondèsquejelepourrai,Romanm’abandonne en souriant à une horde demutants qui me déchirent de leurs griffes avantd’explosersousmesyeux.Monpèremeserrecontreluietmechantedeschansonsàmi-voixcommequand j’étaispetite.Puis ilpenche la tête sur lecôtéetmedemandedemeréveiller.Quelqu’unestarrivé.J’ouvrelesyeux.Tomas respire doucement près de moi. Je m’assois et remue les doigts de la main gauche. Ils

bougentmieuxqu’hier.Monbras etmon épaule paraissentmoins gonflés et j’aimoinsmal.C’estalorsquejeperçoisunmouvementsurmadroite.Jeretiensmarespiration.C’étaitgrand.Sansdouteun humain. Un mutant ou un candidat ? À sa façon de se déplacer, je pencherais plutôt pour uncandidat.Notrefeuestéteintetnoussommesdansuntrou,cachésparunbuisson.Ilnenousapeut-êtrepas

repérés.Maisl’aubenevapastarderetilnesemblepasprêtàpartir.Ilsedirigeversnous.Jetendslebraspourattrapermonsacàtâtons.Maisjeneletrouvepas.Tomasadûleposerunpeu

plusloinpendantquejedormais.Monrevolverestdedans.J’essaiedeleretrouverdanslapénombre,envain.N’ayantaucuneidéedesintentionsdenotreinvitésurprise,jen’osepasfaireunmouvement.

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Jemurmureàl’oreilledeTomas:–Nousnesommespasseuls.Ils’éveilleaussitôtetm’adresseunimperceptiblesignedetête.Desbranchescraquent.L’intruss’estapproché. Je regardeà travers lebuisson.Personne.Tomas

mefaitsignequ’ilnevoitriennonplus.LecandidatnefaisaitsansdoutequepassersursoncheminpourTosu.–Jecroisquec’estbon,chuchoteTomas.Ils’assoit,faisantbruisserdesfeuillesséchées.J’entendslesifflementducouteauavantdelevoir.Çamesauvelavie.Jemejetteàplatventre.La

lame se plante juste à coté demoi.Notre assaillant pousse un juron.Dans les premiers rayons dusoleil, jerepèremonsac,prèsdemabicycletteàmoinsdecinqmètres.Tomasjaillithorsdenotrecachetteetseprécipiteenavant.Aubruitmétallique,jecomprendsquenotreadversaireauneautrearmeetqueTomasetluisontentraindesebattreaucorpsàcorps.Tomaspousseunhurlement.Ilestblessé.C’est à cemomentque je reconnaisnotre agresseur,malgré sonvisageamaigri.Roman. Ils’apprêtedenouveauàembrocherTomas.Jeplongelamaindansmonsac.Tomasparelecoup.Unnouveaucri.LavoixdeRomancettefois.Touchéaubras,ilnereculepaspourautant.Aucontraire.Tête baissée, il fonce sur Tomas et le renverse. Les deux garçons roulent au sol. J’étouffe unhurlement.RomanaratélagorgedeTomasdequelquescentimètres.Jesuispétrifiée.Chacunessaied’avoir le dessus sur l’autre. Coups de poing, de pied et Roman se retrouve à califourchon surTomas.Ilbranditsoncouteau,prêtàl’abattre.J’aienfinmonrevolveràlamain.Jevise.Unedétonation.LesangjaillitsurlatempedeRoman.Sonvisages’affaisse,sesyeuxs’écarquillent.Surprise,puis

néant.Illâchelecouteauets’effondre.Mort.Lamainserréesurlecôté,Tomassedégagedesouslecadavre.Soulagéd’êtreencoreenvie.Que

noussoyonsensécurité.Saufquenousnelesommespas.Cen’estpasmoiquiaitiré.

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CHAPITRE19

–Couche-toi!Ilyaquelqu’und’autre!Lapeurvibredansmavoix.Mesmainstoujourscrispéessurlerevolvertremblent.–C’estmoi.Jefaisvolte-face,lesbrastendus,l’indexsurladétente.Maiscetonenmêmetempsnonchalantet

insolentm’estfamilier.Will.Jebaissemonarme.Ilavanceversnousenfaisanttournerunpistoletautourdesondoigt.Etmême

sijesaisqueTomasneveutpasquejeluifasseconfiance,jemejettedanssesbras.–Jesuistellementcontentedetevoir.Jenesaispassij’auraisétécapabledetirer.Merci.À vrai dire, je ne sais pas si je le remercie d’avoir sauvé Tomas ou de m’avoir épargné

l’obligationdetuerRoman.Probablementlesdeux.Willglisselepistoletdanssapoche.– Je suis sûrque tu te seraisparfaitementdébrouillée sansmoi, affirme-t-il.Etpuis, finalement,

c’estplutôtbienquecesalaudvousaitattaqués.Jenevousauraisjamaisretrouvéssanstoutceraffut.Jevous cherchedepuisdes jours et je commençais àmedirequevous aviezdéjà franchi la ligned’arrivée.–Non,malheureusement,lâcheTomas,lamainpresséecontresataille.–Ouais,ricaneWillenhaussantlessourcils.Jemedoutequetuespéraism’avoirsemé.Mais,on

diraitbienquejeviensdeteprouverquetupeuxmefaireconfiance,non?Lesdeuxgarçonssetoisent.Tomasestlepremieràbaisserlesyeux.–Ouais,ondirait,souffle-t-il.–Bien,ritWill.AlorspourquoionnelaisseraitpasCiajeteruncoupd’œilàtablessureavantque

tuperdestouttonsang?Situmeurs,tunepourraspasm’êtreéternellementreconnaissantdet’avoirsauvé,pasvrai?Çaseraitdommage!Jem’approchedeTomasenfaisantdemonmieuxpourignorer lecorpsdeRomanquigîtàses

pieds.Lacoupureestlonguemaispeuprofonde.Iln’aurapasbesoindepointsdesuture.Tantmieuxparce que je ne suis pas certaine quemes doigts engourdis soient capables dumoindre travail deprécision.Willmepropose lecontenudesa troussedesecourset jenettoie rapidement la plaie deTomasavantdeluifaireunpansement.EnrendantsesaffairesàWill,jeluilance:–Situnousasrattrapés,çaveutdirequetut’estrouvédesroues?Willsourittriomphalement.–Pasdesroues,enfait.Bienmieuxqueça.Venezvoir.Ilnousemmènejusqu’àlarouteoùestposéunminusculeaérojetquiressembleplusàunscooter

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volantavecunecabine.Monpèreenatroiscommeçapourletravail.C’esttrèspratiquepourcouvrirdecourtesdistances.Enrevanche,pourleslongstrajets,lesmoteursonttendanceàchauffer.Deplus,ilsnepeuventpasporterplusde70kilos,cequilimiteleurutilité.MaisWillestminceetnedoitpaspeserbienlourd.–Tul’astrouvéoù?J’entendslaméfiancedanslavoixdeTomas,maissoitWillnel’apasremarquée,soitildécidede

nepass’enoffusquer.– Deux jours après vous avoir quittés, je suis tombé sur un grand bâtiment avec une porte

métallique.Ilm’afalluunmomentpourl’ouvrirmaisçavalaitlecoup.Ilyenavaitquatrecommeçaàl’intérieur.Aucunnemarchait,évidemment,maisjelesaitousdémontéspourenfaireunvalable.Jepensequ’ilsontétémislàexprès.J’aiaperçud’autrescandidatsquienavaienttrouvéaussi.J’enaimême rencontré qui avaient dégotté des armes automatiques dans une cabane, juste avant d’entrerdans la dernière ville qu’on a traversée. Je dirais que si la première partie du Test portait sur lasurvie,ladeuxièmeévalueplutôtnotrecapacitéànousdébarrasserdenosconcurrents.–Ettucomptesentuercombien?chuchoteTomasd’unevoixàpeineaudible.MaisWillaentenduetiln’essaiepasd’éluderlaquestion.Ilyrépond,levisagesérieux.–Jenecomptem’occuperquedeceuxquiconstituerontunemenacedirecte.Commecelui-ciquia

bienfaillit’égorger,jeterappelle.Àmoinsquetupensesqu’ilméritaitdevivre…Ilyadudéfidanssesyeux.Apparemment,Tomasabeauluidevoirlavie,ilnesembletoujours

pasdisposéàluiaccordersaconfiance.Jefaisunpasenavantpourmeplacerentreeux.–D’après le transcommunicateur, il nous reste cent quarante kilomètres à parcourir.Au lieu de

nousenprendrelesunsauxautres,onferaitmieuxdemangerunmorceauetdereprendrelaroute.–Tuasraison,Cia,approuveWill.Jesuisd’accordpourmettrenosdifférendsdecôtésiTomas

l’estaussi.Tomasacquiesceensilenceetjepousseunsoupirdesoulagement.Jenesuispasasseznaïvepour

medirequ’ilsnesaisirontpaslamoindreoccasiondes’enprendrel’unàl’autre,maisj’espèrequ’ilssaurontsetenir.Pendant que je prépare le petit déjeuner, Will fouille dans le sac de Roman. Il y trouve des

vêtements,deuxbouteillesd’eau,uneboussole,dumatérieldepêche,quelquesoutilsainsiqu’unarcetdesflèches.Romanavaitforcémentvoléunepartiedesonéquipementàunautrecandidat.Nouspartageonsdespoiresetdulapinavantdenousrépartirlesaffaires.Jegardelecouteau,l’arc

etlesflèches.Jeneveuxpasquemescompagnonsderouteaienttropd’armesàleurdispositionsileursdisputess’enveniment.PendantqueTomasetWillontledostourné,j’ôtelebraceletd’identificationdeRoman.Ilrejoint

dansmonsacceluidelafillequeTomasetmoiavonsenterrée.Roman n’était pas digne de confiance. Prêt à tout pour réussir le Test, il n’a pas hésité à s’en

prendreauxautres.IlneméritaitpasdedevenirundirigeantdelaCommunautéUnifiée,maismêmesi je suis en profond désaccord avec ses choix, ceux des membres du comité me dégoûtent plusencore.Ilapayédesavie.Nousnedevonspasl’oublier.Tomas etmoi fixonsnos sacs sur le porte-bagagesdenosvélos.Will rejoint son aérojet.Deux

silhouettes apparaissent derrière nous sur la route. D’autres candidats ? Si Will a dit vrai, ilspourraientêtreenpossessiondevéhiculesleurpermettantdenousdépasserrapidement.Nousdevonsnousdépêcher.L’aérojetsolairedeWillestplusrapidequenosbicyclettesmaisilfaitensortederesterprèsde

nous.Jenepeuxpasm’empêcherdemedemanderpourquoi.Ilpourraitsansdouteatteindrelaligned’arrivéeenquelquesheures.S’ilsesentaitredevableenversmoipourl’aidequeje luiaiapportéeaprès la deuxième épreuve, il a largement payé sa dette en sauvantTomas.Quelles que soient ses

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raisons,jesuisheureusequ’uneautrepaired’yeuxscrutel’horizonavecnous.D’ailleurs, il est le premier à repérer le scintillement d’un câble tiré en travers de la route.Un

piègequelesrouesdenosvélosauraientdéclenché.Nousmettonspiedàterrepourfaireletour,pendantqueWilllesurvole.Nousreprenonslaroute

unpeupluslentement.Laprudenceélémentairel’exige.CeretarddéplaîtàTomas.Àmoiaussi,maisnousn’avonspaslechoix.Lavégétationautourdenousestdeplusenplusverdoyante.Lestroncsd’arbresontmoinstordus,

l’herbeetl’eaumoinsrares.Cesontlessignesdelarevitalisation.J’aimalaubras,maisàmesurequenousapprochonsdenotrebut,ladouleuretlafatiguesefontmoinsintenses.Uneexplosionderrièrenoussecouelesarbres.Descoupsdefeuetdesvoixretentissentaunord-

ouest.Nousnesommespasseulsetledangeresttoujoursaussiprésent.Nousprenonsdestoursdegardependant lanuit etnous levons tôtenespérantquec’estnotredernier jourdeTest. Jevérifiefréquemment le transcommunicateur pour mesurer notre progression. Soixante-dix kilomètres.Cinquante-cinq.Quarante.Nousbuvonssansnousarrêteretnousignoronsnotrefaim.Nousauronstoutcequenousvoulonsàmangerquandnousseronsarrivés.Encorevingt-cinqkilomètresetdéjàlesoleildescendàl’horizon.Lecielsestriedemauveetde

rose.Nouspoursuivonsnotreroute,plusquejamaisenalerte.Quinzekilomètres.C’estuniquementparchancequej’aperçoisunéclatmétalliqueprèsdutroncd’ungroschêne.Je

pousse un hurlement pour prévenir Tomas et Will. Une détonation retentit. Une lueur illuminebrièvement l’obscurité. Je tourne mon guidon mais le brusque changement de direction est tropviolentpourmonvélodéjàenpiteuxétat.Laroueavantsedétacheetjetombesurl’asphalte.Jemefaishorriblementmalaubrasgauche.Tomascriemonnom.Denouveauxcoupsdefeurésonnent.Jenepeuxplusbouger,àpeinerespirer.Mais jeneveuxpasmourir.TomasetWillcrientencore. Je roulesurmoi-mêmeen ignorant la

douleur. J’attrape mon sac et je me saisis de mon arme. Le canon d’un fusil apparaît maintenantclairementderrièreletroncdel’arbre.Jetireetlecriquisuitm’annoncequej’aiviséjuste.C’étaitunevoixféminine.Lebrastendu,j’attendsquemonagresseurréapparaisse.–Elles’enva!nousprévientWill.Je cligne des yeux sans comprendre. Puis j’entends le bruit d’un aérojet qui décolle. Quand je

l’aperçois,jetiremaisilesttroprapide.Àmoinsqu’unautrecandidats’enprenneàelleavant,ellevaatteindrel’arrivéedansmoinsd’une

demi-heure.Cette fille qui s’est cachée dans le seul but de nous tuer va gagner le droit d’entrer àl’université.Ellereprésenteral’élitedelaCommunautéUnifiée.J’étouffeunhurlementdefrustration.Maintenant,laseulechosesusceptibledel’empêcherderéussirestquenoussoyonsplusdevingtàl’arrivée. Il faut alors espérer que le comité exclura automatiquement ceux qui n’auront pas eurecoursàlastratégied’éliminationdesconcurrents.Nousdevonscontinuer.Jemeredresse.J’avaisoubliéquemonvéloétaithorsd’usage.Jen’aipasbesoindel’examinerde

trèsprèspourêtresûrequelesdégâtssontirréparables.Jemetourneverslesgarçons.–Jevaisfiniràpied.J’essaiedecachermondécouragement.Ilmerestedixkilomètres.Cen’estrienencomparaisonde

cequej’aidéjàfait.Tomass’approchedemoietmeprendlamain.–Jeresteavectoi.–Tun’espasobligé.Mais je suis contente qu’il l’ait proposé. L’idée demarcher seule dans le noir sans savoir quel

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dangermeguetteestterrifiante.Ildéposeunbaisersurmeslèvresavantderépondre.–Jesais,maisc’estcequejeveux.IlsetourneversWill.–Jesupposequenosroutesseséparentunenouvellefois.Ciaetmoinevoulonspasteretarder.Willsourit.–C’estdrôle,maisc’estexactementcequej’allaisdire.C’estsonsourirequim’alerte.Froid,calculateur.JepousseTomassurlecôté,justeaumomentoù

Willsortsonarmeetluitiredessus.Maisjenesuispasassezrapide.Laballepénètredansl’abdomendeTomas.Sesyeuxs’écarquillentsouslecoupdelasurprise,ilseplieendeuxettombeàgenouxavantdes’effondrer.Jebrandismonrevolver.–Qu’est-cequetufais,Will?–Àtonavis?Jemedébarrassedemesconcurrents,commetoutlemonde.Jen’aipasperdumon

frère et subi toute cette merde pour qu’on me dise que je ne suis pas assez bon pour entrer àl’université.Jen’aimalheureusementpasréussiàtetuermaisj’aieulachancedecroiserquelquesautrescandidatsavantd’arriverauboutdemescarreaux.Gilletmoiétionschampionsdetiràl’arc.Chicago.L’arbalétrier.LablessuredeWillà l’épaule.C’estmoiqui l’ai touchéenmedéfendant.

Toutprendsensavecunemonstrueuseclarté.–Ettucroisquejevaistelaissermetuermaintenant?Malgrélaragequimesubmerge,mavoixestétrangementcalmeetferme.Jedoispuiserdanscette

ragelaforcedetuerungarçonquejepensaismonami.–Jenemelaisseraipasfaire,Will.Sonsourires’élargit.Sesdentsblanchesbrillentdanslasemi-obscurité.–Tuesintelligente,Cia,maistuesincapabledetuerquelqu’un.Sijepartaismaintenant,tuneme

tireraispasdessus.–Tuveuxprendrelepari?Le tremblement demamain dément l’aplomb demon ton. Pendant un instant, jeme dis qu’il a

raison.Jesuisincapabledetuerunêtrehumain.Jevaisdoncmouririci.–Cia.C’est cemurmuredugarçonque j’aimequi change tout.Tomasn’estpasmort.Will pointe son

armesurmoi.Mesdoigtssecrispentet lecouppart.UnesecondeavantqueWill tire.Maballe luientredansleventre,lasiennesiffleàmonoreille.Willpousseuncrirauque,maisilnetombepas.Ilcourtverssonaérojet.Jetireunenouvellefois.Ilvacille.Sonpistolettombeparterre.Jetireencoreetencore.Ilatteintsonvéhiculeetdécolle.Deuxnouveauxcoupsdefeuquimanquentleurcible.Etildisparaît.Il fait nuit à présent. Jem’agenouille près de Tomas. L’adrénaline qui courait dansmes veines

laisseplaceàlapeuretl’épuisement.–Ilestparti?demandeTomasd’unevoixfaible.Jerépondsenfeignantplusd’assurancequejen’enressensréellement.– Avec un peu de chance, il perdra connaissance avant la ligne d’arrivée. Où est-ce que tu es

touché?Maquestionest inutile car jevoisbienqueTomasa lesmainscrispées sur soncôtédroit. Je le

retournedoucementpourdécouvriruneplaiesanglantedanssondos.Laballel’atraversé.C’estunebonnenouvelle.JeprendslaservietteducentredeTestdansmonsacetjeladéchireenlargesbandesquej’appliquesursablessure.Unefoislesangépongé,j’essaiedemerappelertoutcequeledocteurFlintm’aapprisenanatomie.Jeposel’oreillesurlapoitrinedeTomas.Sesbattementsdecœursont

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rapidesmaisréguliers.Sarespirationestunpeuhaletantemaisaucungargouillementn’indiquequesespoumonsseraientremplisdesang.JedoismaintenanttrouverunmoyendelerameneràTosu.Nous risquons de tomber sur d’autres candidats.Nous n’avons aucunmoyen d’avancer en nous

cachant.Nousdevonsdoncfranchirlaligned’arrivéeleplusvitepossible.Jefabriquedescompressesaveccequimerestedudrapetjelesmaintiensenluienroulantsontee-

shirtautourdelataille.Puisjeluidonneàboire.J’hésiteunpeuavantdeluiposerlaquestion:–Est-cequetupeuxmarcher?–Jepeuxessayer.Maisaprèsquelquespas,ilestévidentquenousn’ironsnullepartdecettefaçon.Tomasselaisse

tombersurlebas-côtéetsecouelatête.–Jenevaisjamaisyarriver.–Tuasseulementbesoindetereposerunpeu.Mais jesaisquec’est faux.Le tempsestnotreennemi.Àchaqueseconde, ilperdunpeuplusde

sang. Ilya aussi le risqued’infection et ledangerque représentent les autres candidats.Plusnousattendons,plusnousavonsdechancesd’yrester.Ilmeprendlamain.–Jesaisque tuneveuxpasentendreçamais tuvasdevoirmelaisser ici.Aprèsavoirdormiun

peu,jeseraipeut-êtrecapabledemeleveretde…–Horsdequestionquejet’abandonne!J’essaiedereprendremamain,maisTomasrésiste.–Ohquesi,reprend-il.TuvasfinircefoutuTestpournousdeux.Jeveuxquetut’enailles.S’ilte

plaît.Avantqu’unautrecandidatn’arrive.Mesyeuxseremplissentdelarmesquejenelaissepascouler.–Toutestmafaute.Jet’aidemandédefaireconfianceàWill.C’estàmoideréparermeserreurs.Je l’embrasse fermement sur les lèvres pour l’empêcher de me contredire et je lui donne les

dernierscachetscontreladouleurpourqu’ilpuissesereposerpendantquejeréfléchis.Ilfermelesyeuxetjecommenceàfairelescentpas.Tomasnepeutpasmarcher.S’iln’arrivepasàlaligned’arrivée,ilmourra.Monvéloestcassémaislesrouessontencoreenétat.EnutilisantceluideTomas,jepeuxbricoler

unmoyendetransportquiluipermettrades’asseoirderrièremoi.Allumerun feu augmentera le risquedeme faire repérer par un autre candidat,mais la nuit est

froide.Tomasabesoindechaleuretmoidelumièrepourfabriquercequej’aientête.Tomass’estendormi.Enprenantlesallumettes,jesensunobjetmétalliquedanslefonddesonsac.Unbraceletd’identification.Peut-êtreceluiquiétaitsurlesacdelafillequenousavonsenterrée.Ilestpossibleque,commemoi,ilaitvoulugarderunobjetluiappartenantafindenepasl’oublier.Jeleglissedansmapoche. Jeprépare le feuensuivant lesconseilsdemes frèresquim’ontapprisà faireensortequ’ildégageunminimumdelumière.Monrevolveràportéedemain,jecommenceàdémonterlesvélos.Jesursauteàchaquecraquementetsaisismonarmeaumoindresouffledevent.Maisfinalement,

riennevientperturbermabesogne.UnecarrioleoùTomaspourraits’installerseraitl’idéal,maisjen’aipasassezd’outilsàmadisposition.Jemanqueégalementdetemps.Lameilleuresolutionestdemodifiernosvélosdefaçonàcequenouspuissionsymonteràdeux.Quandj’aiterminé,mesdoigtssontcouvertsdegraisse.Laluneadisparu.L’aubeestproche.J’ai

enveloppélaselledeTomasdanssonpantalonderechangepourlarendreunpeuplusconfortable.J’ai ajouté les deux roues de mon vélo au sien pour que le cadre puisse supporter le poidssupplémentaire.Ondiraitunpeuletricyclesurlequelj’aiapprisàpédaler.C’estd’ailleurscequim’a

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inspirée.Ilmefautdesheurespourréussiràtoutassembler.Ironie:j’utiliselefildeferquem’avaitdonnéWill.J’essayemonœuvreetjelaconsolideàplusieursreprisesavantdedéciderqu’elleferal’affaire.Maisjesaisqu’ellenetiendrapeut-êtrepasjusqu’aubout.LefrontdeTomasestchaudetmoitemaispasbrûlant.Jeleréveilleetjel’obligeàavalerdespetits

morceauxdepoireetdelaviandeenluiexpliquantcequej’aiprévu.–Tuasjusteàt’accrocheràmataille.Jefaislereste.Jene lui laissepas l’occasiondeprotester et je videnos sacspournegarderque l’essentiel. Je

laissedecôtélacasserole,lapoêle,l’arcetlesflèches,plusieursbouteillesvides,lelivredecartes,laboursedel’hommeauxcheveuxgrisetlatroussedesecoursvide.J’yajouteàcontrecœurlapetiteboîte à outils de Tomas mais j’ai mon couteau et de toute façon, si mon vélo casse, je seraiprobablementincapabledeleréparer.Maseulechanceestquetoutsepassebien.Pourfinir,jeglisselafiolecontenantladrogueinconnuedansmachaussette.Jenesaispascequi

nousattendàlafindelaroute.Quoiquecesoit,mieuxvautyêtrepréparé.Quandtoutestprêt, jehisseTomassurlevéloquelesdeuxrouessupplémentairesempêchentde

basculerpendantlamanœuvre.Jeneprendspaslapeined’éteindrelefeu.Jem’installedevantetunefoisqu’ilapassésesbrasautourdemataille,jenousattachel’unàl’autreavecdesbandesdedrapquej’aitransforméesencorde.Sinoustombons,noustomberonstouslesdeux.Lecadregrince sousnotrepoids. Jepousse sur lespédales.Notre allure est celled’unescargot

maisjeneperdspascourage.Nousavançonsetensoi,c’estdéjàunevictoire.Pieddroit,piedgauche.J’appuiedetoutesmesforces.Auboutd’unpetitmoment,nousavonsatteintunealluredecroisière.Laroutedescendlégèrementetnousgagnonsdelavitesse.J’aifixéletranscommunicateurdeZeensurmonguidon.Dixkilomètres.Neuf.Huit.Lesoleilestdéjàhautdansleciel.Jetranspire.L’étreintedeTomassedesserre.Sesbrasglissent.Jem’arrêtepourvérifiersonétat.Ilfrissonne;

safièvreaaugmenté.Jeluifaisboirelamoitiédenotreréserved’eauetnousrepartons.Quelquepartderrièrenous,descoupsdefeuretentissent.Lapeurm’aideàaccélérer.Septkilomètres.Lesdeuxclôturesnesontplusdistantesqued’unepetitedizainedemètres.Jen’aperçoisnullepart

Willousonaérojet.Iladûarrivermalgrésablessure.Àmoinsque…est-ilpossiblequ’ilnousguettedansl’idéedefinircequ’ilacommencé?Sixkilomètres.JedemandeàTomass’ilpeutseredresserunpeuetmoinspesersurmoi.Ilveutbienessayer.Je

détachelescordes.C’estplusconfortablepourmoi.Jepeuxpédalerplusvite.Cinqkilomètres.Tomasvacilleetmenacedetomber.Jenousréattachel’unàl’autre.Troiskilomètres.J’aperçois des taches rouges et violettes au loin. Des officiels nous attendent. Je suis presque

arrivée.Derrièreeux,lesimmeublesdeTosuscintillent.LatêtedeTomasbringuebalesurmondos.Unenouvellefois,ilmanquedetomber.Macordedefortuneleretientàpeine,maisjenepeuxpasm’arrêter.Sijelefais,jen’arriveraipeut-êtrejamaisàleremettresurlevéloetsijedoisletraîner,ilnesurvivraprobablementpas.D’unemain,jecaledumieuxquejepeuxlecorpsinconscientdeTomas.Del’autre,jemaintiensle

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guidon.Tousmesmuscleshurlentdedouleur.Maiscen’estpaslemomentd’écoutermadouleurouma fatigue. Je pédale. La silhouette des officiels est de moins en moins floue. Je distingue dessouriresetaussidesminesinquiètes.Toussetiennentderrièreunbandeaublanc.Laligned’arrivée.J’ignorelesofficielspourmeconcentrersurlebandeau.Ilapproche.Nousnesommesplusqu’à

quelquesmètres quand je sens Tomas basculer. Il m’entraîne avec lui. J’entends des cris étouffés.Devant,ledocteurBarnesm’observeavecintérêt.Personnenenousvientenaide.Nousnesommesplusqu’àcinquantemètresdelaligne.Lesofficielssecontententdenousregarder.Jesuis fatiguée, j’aipeuret j’aimalmaisàcet instantc’est la ragequiprend lepas.Lespoings

serrés,jescrutechaquevisageetjesouhaitedetoutmoncœurlesfairepayerpourlamortdeRyme,de Malachi et des autres. Pour cette fille dont j’ignore le nom et dont le corps repose sous descailloux.Pourleshumainsmutantsmassacrés.EtpourTomasetcesfoutuscinquantemètresrestants,tellement importants que les officiels sont prêts à le voirmourir sous leurs yeux plutôt que de lesauveraprèstoutcequ’ilatraversé.Jedétachelacordeetjemerelève.Jeprendslessacssurleporte-bagagesetlesbalancesurmon

épaule.Lesjambestremblantes,j’aideTomasàseredresser.Jeneregardepaslesofficiels.Pasunefois.Tomasestvivant.Jepassesonbrassurmonépauleetjemeplieendeuxpourfairelevier.Unpasaprèsl’autre,lesyeuxfixéssurl’asphalte,j’avance.Deuxfois,jesuisobligéedeleposerpourreprendremonsouffle. Jemeretourneet j’aperçoisunautrecandidatunpeuplus loin. Jedoismedépêcher.Etj’ysuis.UnderniereffortetTomasetmoifranchissonsensemblelaligneblanche.Jem’écrouleauxpiedsdudocteurBarnesquim’annonced’unevoixdouce:–Félicitations,MalenciaVale!TomasEndressetvousvenezderéussirlaquatrièmeépreuve.

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CHAPITRE20

Centhuit candidatsont été sélectionnéspour leTest.Centhuit candidatsdont le seul espoir étaitd’entreràl’université.Aujourd’hui, nous sommesvingt-neufdans le réfectoire. Il paraît qu’unoudeuxdoivent encore

arriver.Lesofficielsm’ontapprisqueneufjourssesontécoulésdepuisquej’aifranchilaligned’arrivée.

J’ai été inconsciente pendant presque tout ce temps. Le poison dansmon bras était beaucoup plusdangereuxque jene l’aicru.Si jen’enavaispaspresséunebonnepartiehorsdemonsystème, jeseraismorte.Ilafalluplusieursheuresauxmédecinspourdéterminerquelmédicamentpermettraitd’éliminercequirestait.Ilsdisposentd’unmoyenpermettantdefairedisparaîtrelescicatrices,maisilsn’ontpul’utilisersurmoi.Jesuismarquéeàvie.Finalement, Tomas s’en est plutôt mieux sorti. Sa peau est parfaitement lisse, sans le moindre

stigmate.Dumoins,visible.VulafaçondontWilletluiseregardent,jesuiscontentequetouteslesarmesaientétéconfisquéesauxcandidatsàleurarrivée.Will.Ilestlàdansleréfectoire,nonloindemoi.Nosregardssecroisentetilm’adresseunsourireetun

clind’œil.Ilestassisavecd’autrescandidatsàquijen’aijamaisadressélaparole.Saufun.Brick.Iln’estpasencorevenumeparleretc’esttantmieuxparcequejenesaispassijeseraiscapabledelesupporter.Jemedemandes’ilacomprisqu’ilavaitmassacrédesêtreshumainsetsileursvisagesencharpieviennentlehanterquandildort.Del’autrecôté,Stacia,levisageaussiimpénétrablequelorsquenousl’avonsrencontrée,estseule.

Soncompagnondevoyage,Vic,estassisloind’elle.Tracelyn,quirêvaitd’êtreprofesseuretvoulaitrevoirsonpetitami,n’estnullepartenvue.LeregardvidedeVicet lepetitsourire triomphantdeStacianelaissentpasbeaucoupdedoutessurcequiluiestarrivé.Tomasetmoirestonsentrenous.Nousprenonsnosrepasensembleetquandonnousyautorise,

nous allonsmarcher dans le parc.Nous parlons de chez nous.Une fois, à voix basse, Tomasmeglissequ’il apeut-être trouvé lemoyenpourquenotremémoirene soitpas effacée.Pendantqu’ilétait à l’hôpital, il a entendu un médecin discuter avec un officiel. Ce dernier était inquiet car letraitementadministréàTomasestconnupour interféreravec laprocédureprévue. Ila insistépourquelemédecins’assurequetoutetracemédicamenteusesoitéliminéeavantlessélectionsfinales.– Ils pensaient que je dormais. Plus tard, quand l’infirmière m’a apporté mon cachet, j’ai fait

semblantdeleprendre.Jevaisessayerd’enrécupérerunautrelorsdelaprochainevisitemédicale.Certainesinfirmièressontplusdistraitesqued’autres.Avecunpeudechance,jepeuxyarriver.JenesuispassurprisequelesyeuxgrisetlesfossettesdeTomasaientlacapacitédedistraireles

infirmières.Quandilm’embrasse,jenepenseàriend’autre.

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Aucoursdesdeux jours suivants,Tomas ajouteun cachet à celui qu’il avait déjà et deuxautrescandidatsfranchissentlaligned’arrivée.J’espèrequeZandriestparmieuxmaiscen’estpaslecas.Le soir même, les haut-parleurs nous annoncent que la dernière partie du Test commencera lelendemain.Jenelareverraijamais.Cettenuit-là,ellerejointlesfantômesquipeuplentmescauchemars.Sachevelureblondeestétalée

surlaterredesséchée.Saboucheestgrandeouverteetdescorbeauxluipicorentlesyeux.Jemeréveilleensursautetétouffeuncri.Ilmefautplusieursminutespourmerappelerquejesuis

aucentredeTest.Jen’aiplusrienàcraindre.Sauf que si. Les entretiens commencent aujourd’hui. Le danger est toujours là. Peut-être plus

présentquejamais.Monsacdanslesbras,jefixeleplafondjusqu’àl’aube.Personnenepartagemachambreetjen’ai

pas besoin de dormir avecmon sac, mais les habitudes ont la vie dure. Aux premières lueurs del’aube,jemelèvepourprendreunedouche.Danslapochedupantalonquejeportaishier,jetrouvelafiole. Comme l’homme en grisme l’avait promis, elle était toujours là quand onm’a rendumesaffaires.Assiseparterre,jefaisroulerleflaconentremesdoigts.Juste avant l’entretien, ils vous feront avaler un produit qui vous encouragera à répondre

honnêtementàleursquestions.Vousnepourrezpasvousempêcherdetoutraconter.Mêmecequevousaimeriezgardersecret.C’estcequel’hommem’adit.Jeluiairéponduquejen’avaisrienàcachermaisjemetrompais.

MesréponsespourraientmettreendangermonpèreouZeen.Ounotreancienneprofesseur.Sicettefiolepeutmepermettredenepaslesincriminer,jedoislaprendre.Maislamêmequestionrevient.Ets’ils’agissaitd’unautretestdudocteurBarnes?Danscecas,jerisquelamort.Ilsontprouvémaintesfoisqu’ilsn’accordaientaucuneimportanceàlaviedescandidats.Jedoisfaireunchoix.Quandlehaut-parleurannoncelepetitdéjeuner,jen’aipasencoreprismadécision.Jenepeuxpas

attendrepluslongtemps.Ilsvontbientôtsedemanderpourquoijenesorspasdelasalledebains.Jedébouchelafioleetenavalelecontenu.Lasécuritédemafamilleestlapriorité.Jenevaispas

tarderàsavoirsij’aieutortouraison.Pourlemeilleuroupourlepire,leTestsetermineaujourd’hui.Auréfectoire,l’ambianceestauchahut.Laplupartdescandidatsontprisplaceaumilieudelasalle

comme pour prouver qu’ils n’ont rien à craindre de l’évaluation finale. Will est au centre d’ungroupe.Ilplaisantebruyamment.Ilmeregardem’asseoir.Je grignote un morceau de pain en attendant Tomas et les éventuels effets de la drogue. Je ne

remarquepasqueWills’estapprochéavantd’entendrelecrissementdelachaiseàcôtédemoi.Ilselaissetomberdessusetmorddanssapommeenmeregardant.–Jemesuisditqueçateferaitplaisirdesavoirquej’aifaillimourir.Tonderniercoupdefeua

faitexplosermonappendice.Heureusementqu’onn’enapasvraimentbesoinpourvivre,sinon,jeneseraispaslà.Jerestesilencieuseetsonsourires’évanouit.–OK,jesaisqueçavateparaîtreidiot,maisjesuiscontentdenepast’avoirtuéecommejel’avais

prévu.–Tuasraison,çameparaîtidiot.Jenepeuxpasm’empêcherd’ajouter:–Jetefaisaisconfiance.–Oui,c’esttontalond’Achille.Undirigeantestcenséinspirerlaconfiance,pasl’accorderaussi

facilement.

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–TuavaisconfianceenGill.Une expression de douleur traverse brièvement son regard, presque aussitôt remplacée par un

souriremauvais.–Montalond’Achilleàmoi.Aprèssondépart,j’aieudumalàmeconcentrerpourladeuxième

épreuvemaisjemesuisrattrapéàlatroisièmeetlaquatrième.Jecroisquej’aidémontréaucomitémacapacitéàmeconsacrerentièrementàlaréalisationdel’objectifquejemefixe.–Zandrin’arienremarquédespécialdanstoncomportementlorsdelatroisièmeépreuve.–C’estparcequ’elleestpasséelapremière.Cen’estquequandtuasracontécequeRomanavait

faitqu’elleacommencéàcomprendre.Noussommeslesdeuxseulsdenotregroupeàêtrerevenus.Jesecouelatête.Jen’arrivepasàycroire.Will,commeRoman,achoisidetrahirsescamarades

afindeleséliminerdelacompétition.J’auraisdûm’endoutermaisj’étaistropabsorbéeparleretourdeBrick.Sij’avaisfaitplusattention,Tomasneseseraitpaspriscetteballedansleventre.MaisilestvraiaussiquesansWill,Tomasetmoin’aurionspeut-êtrepassurvécuànotrerencontreavecRoman.–Jet’aiprispourquelqu’undebien,Will.–Jesuisquelqu’undebien,rit-il.–Lesgensbiennetuentpaslesautres.–Cen’estpourtantpascequiaétéleplusdifficile.Chezmoi,j’allaissouventàlachasseauxloups.

C’étaitunpeupareil.Ilsuffitdeviser,tireretleproblèmeestrésolu.–C’estaussisimplequeçapourtoi?Unebileamèreemplitmagorge.–Lajeunefilleblondequetuasabattued’uncarreaud’arbalèten’étaitpasunanimal.Elleavaitune

famille,desamis.ElleessayaitdesurvivreàceTest.Commetoi.Jem’attendsàcequ’ilsedéfende,essaiedemeconvaincrequec’étaitunmalnécessaire,laseule

façonpourluid’entreràl’université.Maisaulieudeça,ilbaisselavoixetmechuchote:–Elle s’appelaitNina.Ellevenait de la coloniePierre.Unedes fillesqui est revenueest allée à

l’écoleavecelle.Nina. Je pense au bracelet dans mon sac et je suis heureuse d’avoir cette information. C’est

importantàmesyeux.Willhochelatête.–Ettuasraison,Cia,cen’estpassifacile.L’acteenlui-mêmeestsimple,maisvivreavecl’idéede

l’avoirfait…Ilsoupire.–Peut-êtrequec’est à çaqueceTest sert, finalement.Undirigeant éclairé estparfoisobligéde

tuer,ildoitensuiteapprendreàvivreaveclesdécisionsqu’ilaprises.C’estcequejevaisfaire.–Tucrois réellementquec’était lebutdecettequatrièmeépreuve?Apprendreà tueretàvivre

avec?Ilhausselesépaules.–Onvabientôtlesavoir,detoutefaçon.JemerappellelesmotsdeStacia,quifontéchoàceuxdeWill.JerepenseaudocteurBarnesquia

froidementregardélecorpsdeRymesebalancerauboutdesacorde.Croyait-il réellementquesamortétaitunmalpourunbien?Enréalité,j’aipeurqueWillaitraison.Moiaussi,j’aiôtéunevie.Sic’estlecritère,j’aitoutesmeschances.Enrevanche,jenesuisplussi

certainedevouloirdevenirunedirigeantedelaCommunautéUnifiée.Pass’ils’avèrequelemeurtreestunevaleurplusestiméequelacompassion.Unmouvementàl’entréeduréfectoireattiremonattention.Jesourispourlapremièrefoisdela

journée.Tomas.IlserrelamâchoireenapercevantWill,etaulieudemerejoindre,ilprendletempsderemplirsonassiette.SiWillestunpeumalin,ilserapartiavantqueTomasarrive.Ilasuivimon

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regardetgrogneàmi-voix:–J’auraisdûmedouterquetutrouveraisunmoyendelesauvercommetum’assauvé,moi.Etsije

suiscontentdenepast’avoirtuée,jeregrettedel’avoirraté.Ilselèveetsepencheversmoi.–Navréde te ledire,Cia,mais ilneméritepasplus taconfiancequemoi.Etencoremoins ton

amour!Surcesmots,ilm’adresseundeseséternelsclinsd’œilets’éloigneàgrandspas.Tomass’assoitprèsdemoi.–Qu’est-cequ’ilvoulait?Bonnequestion.Jenesuispassûredeconnaîtrelaréponse.–Ilestvenumedirequ’ilétaitcontentquejesoisenvie.Etqu’ilregrettaitquetulesoisaussi.Tomasesquisseunsourire.–Dommagepourlui,parcequej’ail’intentionderesterdanslesparages.–Jesuiscontentedelesavoir.–C’estcequej’espérais.Ilregardeautourdeluietmedemande:–Tutesensprêtepourl’entretien?LeriredeWillrésonnedansleréfectoireetjemedemandeunenouvellefoiss’ilaraisonsurle

butfinaldeceTest.JeprendsunegrandeinspirationavantderépondreàTomas:–Cenesontquequelquesquestions.Aprèscequ’onavécu,çavaêtredugâteau.

–Bonjouràtous.Surl’estradedel’amphithéâtre,ledocteurBarnesnoussourit.– Félicitations. Votre intelligence, votre ingéniosité et votre implication nous ont beaucoup

impressionnés.Cettequatrièmeépreuvevousadonnél’occasiondedécouvrirlesterresdévitaliséesetdevousrendrecompteparvous-mêmesdel’ampleurdelatâcheàlaquelleestconfrontéel’élitedelaCommunautéUnifiée.Vousavezvécudesmomentsdifficilesetbeaucoupd’entrevousontéchoué.Maislesdécisionsquedoiventprendrenosdirigeantssontencorepluscomplexesetlesconséquencespotentiellementplusgraves.Nous sommes conscients de cequenous avons exigédevous et noussommesheureuxquevoussoyezplusnombreuxqueprévuàavoirréussi.Notregroupedesurvivantsmeparaîtminuscule.Jemedemandecombienilenrestait lesannées

passéespourqueledocteurBarnessoitainsisatisfait.–Biensûr,vousvousposezdesquestionssurlesentretiensquivousattendentaujourd’hui.Jesuis

heureuxdevousapprendrequ’ilsserontcourtsetquelesquestionsserontsimples.Vousavezdéjàfaitlapreuvedevosaptitudesintellectuellesdanstouslesdomaines,devotrecapacitéàsurvivredansdesconditionsextrêmesetàrésoudredesproblèmespresquesansressources.Noussavonsquevousêtesbrillants;àprésent,nousaimerionsensavoirplussurvotrepersonnalitéetcequilaconstitue.Nousallonsvous interrogersurvotrefamilleetvotrecolonie,ainsiquesur lesdécisionsquevousavezprises durant le Test. Soyez honnêtes et ouverts. Restez tout simplement vous-mêmes. La seulemauvaiseréponsepossibleestlemensongecarundirigeantsedoitd’êtredroitethonnête.Pendantquejemedemandecommentilscomptentfaireappliquercetterègleetquellepunitionils

ontprévupourceuxquil’enfreindraient,ledocteurBarnespoursuitsesinstructions.–Chacund’entrevousserainterrogéparcinqofficielsetlesentretiensn’excéderontpasquarante-

cinq minutes. Vous êtes priés de ne rien lire jusqu’à ce que vous soyez appelés. Quand ce seraterminé,vousserezescortésjusqu’àvotrechambreoùvousattendrezlesrésultats.Jevouspréviens

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qu’ilnousfaudrasansdoutebeaucoupdetempspourprendrelesdécisionsdéfinitives.Vousdevrezfairepreuvedepatiencependantquenousdétermineronslesquelsd’entrevoussontlesplusaptesàentreràl’université.Certainsmembresducomitésonttêtus.Ilnousadresseunderniersourirechaleureuxavantdeconclure:– Je vous souhaite bonne chance à tous. J’ai hâte de travailler avec tous ceux d’entre vous qui

entrerontàl’universitél’anprochain.Nousallonsfaireensembleunexcellenttravail.LedocteurBarnessortdel’amphithéâtreetunefemmeauxcheveuxgrisvêtued’unetuniquerouge

montesurl’estradeàsaplace.–Quandvousentendezvotrenom,vousêtespriésderejoindrelecouloir.Unofficielvousyattend

etvousescorterajusqu’àlasalled’évaluation.–VictorJosslim.Vic,lerouquinauregardperdu,selève.Ilsort,têtebaissée.Ilestpâlecomparéaugarçonquej’ai

rencontrésurlaroute.Ilachangé.Nousavonstouschangé.Alorsqued’autresnomssontappelés,jem’accrocheàlamaindeTomasetjemedemandesicen’estpaslaraisonpourlaquellelesmembresducomitéeffacentnotremémoire.Afinquenouspuissionsabandonnernotrefardeau.Afinquenousredevenionslesjeunesgensinsouciantsetoptimistesquenousétionsenarrivant.Ceuxquipensaientqu’ilspouvaientchangerlemonde.Tomasseraidit.C’estsontour.J’effleuresajouedemeslèvrespourluisouhaiterbonnechance.Et

c’est seulement à cet instant que jeme rappelle : c’est lui qui a les cachets.Notre seule chance degarder notre mémoire intacte. J’espère que nous nous recroiserons avant que les officiels nousdonnentleurdrogue.Sicen’estpaslecas,Tomasdevrasesouvenirpournousdeux.Peu à peu, l’amphithéâtre se vide. J’essaie en vain de ne pas m’agiter sur mon siège en me

demandantquelgenredequestionsilscomptentmeposersurmafamille.LedocteurBarnesabeauaffirmer que seul le mensonge constitue une mauvaise réponse, je sais que c’est faux. Quatorzecandidatsdoiventencoreêtreéliminés.Lecomitécherchecertainementune informationspécifique.Maisj’ignorelaquelle.–MalenciaVale.Jemelèveentremblantunpeu.Moncœurcognedansmapoitrine.Jerépètelesmotsdudocteur

Barnesdansmatête,«soyezvous-mêmes».Unofficielmeconduitdevantuneporteetmedemanded’attendre.Ilentreetj’entendsmurmurer.Jemerongel’ongledupouceenmeretenantdefairelescentpas.Laportenes’ouvrequ’auboutdeplusieurslonguesminutes.–Entrez,lanceunevoix.«Soyezvous-mêmes.»Aulieudemecalmer,cesmotsnefontqu’augmentermonangoisse.Parcequejenesuispassûre

decequeçaveutdire.Nimêmed’enêtrecapable.JenesuispluscellequiaquittélesCinqLacs,cellequicroyaitqu’undiplômepouvaitfaired’unenfantunadulte.Jen’étaisencorequ’unepetitefilleetmaintenant…Aprèstoutcequej’aivuettoutcequej’aifait,jenesaisplusquijesuis.Ilfautnéanmoinsqueje

leurmontrequelquechose.C’estcequ’ilsattendentdemoi.

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CHAPITRE21

Lesmursdelapetitepiècesontd’unblancéclatant.Iln’yapasdefenêtre.Cinqofficielssontassisderrièreunelonguetablenoire.Deuxenrouge,deuxenvioletetledocteurBarnesquimefaitsigned’approcher.Au milieu, une petite table et une chaise semblent m’attendre. Ainsi qu’un verre contenant un

liquideaussiclairquedel’eau.–Jet’enprie,bois.Cen’estpasunesuggestionmaisunordre.LedocteurBarneshochelatêteenmevoyantprendrele

verre.Un arrière-goûtmétallique et amerme reste dans la bouche. Presque immédiatement, tousmes

musclessedétendent.Aprèsêtrerestéesurmesgardessilongtemps,lasensationestextraordinaire.Je sourismalgrémoi.Ceque jeviensd’avalern’est pasun simpledécontractantmusculaire, c’estégalementuneuphorisant.Jemesensincroyablementbien.–Sérumdevérité.Lesmotssontsortisdemabouchesansquejepuissemecontrôler.LedocteurBarnesacquiesce.–Vousêteslapremièrecandidateàledeviner.–Lesautresavaientpeut-êtresimplementtroppeurpourvousledire.Unenouvellefois,j’aiexprimémapenséesansprendreletempsdelasoupeser.LedocteurBarnes

éclatederire.–Oui,c’estpossible,m’accorde-t-il.C’estbienpourçaquenousvousdonnonscettedrogue.Nous

savons que cet entretien est extrêmement stressant et votre anxiété risque d’altérer votrecomportementetdoncnotrejugementsurvotrevéritablepersonnalité.Monesprits’estunpeuéclaircietcettefois,jeprendsletempsderéfléchiravantdereconnaître:–Jenesuisplustrèssûredesavoirquijesuisvraiment.–C’estcequenousallonsessayerdedécouvrirensemble.Parlez-nousdevotrefamille,Cia.Ma famille. Je prends une longue inspiration pour me donner un peu de temps. Que j’en sois

capableindiquesansdoutequelecontenuduflacondonnéparl’hommeauxcheveuxgrisfonctionne.Maintenant,jedoisleurdonnerlaréponsequ’ilsattendent.Maisqueveulent-ilsentendre?Je décide de m’en tenir à l’essentiel. J’énumère le nom de mes parents et de mes frères. Les

officiels me posent quelques questions sur les Cinq Lacs et j’y réponds de mon mieux. Leursinterrogationstournentpresquetoutesautourdemonpère.Cequ’ilm’aappris,cequ’ilm’aracontésurleTest.J’expliquequ’iln’apresquepasdesouvenirs.–Maisilm’aprévenuequecertainscandidatsseraientsansdouteprêtsàtout.L’interrogatoire sepoursuit.Même si je suis trèsdétendue,monesprit reste suffisamment alerte

pourm’éviterdemettrema familleendanger.Quand ledocteurBarnesmentionnequ’il a entendu

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dire que mon frère avait dirigé plusieurs projets ambitieux pour mon père, je n’hésite pas uneseconde.Jemens.–Monpèreessaie toujoursdefaire retomber leméritedesessuccèssur lesgensqui travaillent

pourlui,qu’ilsleméritentoupas.J’aimebeaucoupZeenmaissontravailestsouventbrouillonetlaplupartdutempsinachevé.J’ai à peine le temps deme réjouir d’avoir évité cet écueil qu’un autre se dresse devantmoi. Il

s’agitcettefoisdemonpère.Veut-ilquesesenfantsmarchentsursestraces?Était-ilheureuxquejesoissélectionnée?Jedonnedesréponsessimples,sansfioritures.Jen’évoquenilescauchemarsdemonpère,nisacrainteenapprenantquej’avaisétéchoisiepourleTest.Rienquileurpermettedesedouterdequoiquecesoit.OnabordeensuitelesujetduTestlui-même.Pourquoiai-jeprévenuBrickquandj’aicomprislatrahisondeRoman?Sij’avaisgardécetteinformationpourmoi,jemeseraisrévéléunebienpiètrecoéquipière.Pourquoiai-jeenterrélacandidateinconnue?Mesparentsm’ontapprisàrespectermessemblables.Ai-jeétéapprochéepardespersonnesdel’autrecôtédesclôtures?Non.Commentai-jevéculatrahisondeWill?FaireconfianceàWillétaituneerreur.Uneerreurquejenecomptepasreproduireàl’avenir.LedocteurBarnesm’examine,mescrute,m’étudie,pèsechacundemesmots.–Parlez-nousdevotrerelationavecTomasEndress.Cettequestionmeprendparsurprise.J’hésiteavantderépondre.–Noussommesamis. Ilditqu’ilm’aimemais jepensequec’estparceque je lui rappellenotre

colonie.–Vousressentezcertainementplusquedel’amitiépourM.Endress.Pourquoi,sinon,auriez-vous

risquévotreviepoursauverlasienne?Jememordslalèvreavantderépondre:–Mafamillem’aapprisquenousdevionsnousentraider,que la loyautéet lasolidaritésontdes

valeursessentielles.C’estainsiquefonctionnenttouslescitoyensdesCinqLacs.LedocteurBarnessepencheenavant:–Estimez-vousqueprendreletempsdemodifiervotrevélopourl’aiderétaitunedécisionsage?–Çaamarché.Noussommestouslesdeuxenvie.–C’estvrai,sourit-il,maisjecrainsquevousnesoyezémotionnellementtropattachéeaucandidat

Endress.Le ton légerdissimulemal lamenace.Même lesautresofficiels se trémoussentdans leur siège,

malàl’aise.Lesilences’étire.JesuissansdoutecenséedirequelquechosemaisledocteurBarnesnem’apasvraimentposédequestion.Jeneveuxpasm’avancertropàdécouvertetquelquechosemeditquemaréactionestcapitale.Auboutd’unmoment,jefinisparreconnaître:–Jenecomprendspas.– L’attachement émotionnel est à proscrire dans certaines situations, consent à m’expliquer le

docteurBarnes.Parexemple,quesepassera-t-ilsivousêtesacceptéeetqu’ilnel’estpas?–Jeseraiheureusepourmoietdéçuepourluiquelecomitén’aitpasreconnusonpotentiel.Ilest

intelligentetpleinderessources.Ilatoutàfaitsaplaceàl’université.–Votredéceptionpourrait-elleavoirunimpactsurvosperformancespersonnelles?Je réfléchis à toute vitesse. Je ne veux surtout pas desservir Tomas. Affirmer que je suis

indifférenteseraituntropgrosmensonge.Ilsdevineraientquelesérumn’apasfonctionnésurmoi.Aprèstout,commel’afaitremarquerledocteurBarnes,jeluiaisauvélavieaurisquedelamienne.

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Jerésisteàl’enviedem’essuyerlespaumessurmonpantalon.–Touslesdirigeantsdoiventparfoisfairefaceàdesdéceptions.Si jedoisapprendrecetteleçon

maintenant,ceserasansplaisir,maisjeferaidemonmieuxpourqueçan’affecteenrienmontravail.Lesofficielsseregardentpendantquej’attendsqueledocteurBarnesrevienneàlacharge.Ilme

fixeenfaisantroulersoncrayonsurlatabledevantlui.Jeresteparfaitementimmobileetjenebaissepaslesyeux.Undesofficielstousse.Unautres’éclaircitlagorge.Lesminutespassent.Enfin,ledocteurBarnesprendlaparole:– Je pense que nous avons toutes les informations dont nous avions besoin. Àmoins que mes

collèguesveuillentajouterquelquechose?Les quatre officiels secouent la tête. L’entretien a duré à peine vingt minutes. On ne m’a posé

aucunequestionsurmesperformanceslorsdestroispremièresépreuvesetfinalementtrèspeusurlaquatrième.Leurdésintérêtsignifie-t-ilquej’aiéchoué?Lesofficielss’adossentàleurchaise.C’estterminé.Jevoudraisleurdemanderd’attendre, leurexposercequejepense, lesconvaincreque lescandidatsquionttrahilesautres,abusédeleurconfiance,nedevraientpasavoirlamoindrechancededevenirdesdirigeants.LeurrépéterquesijenesuispluslajeunefillequiestarrivéeàTosupleined’idéauxetd’espoir,jeméritequandmêmemaplaceàl’université.Pasparcequejeveuxparticiperàcesystème.Non,jen’enaiplusenvie.Maisseulementparcequejeneveuxpasmourir.Avantquej’aieletempsd’ouvrirlabouche,ledocteurBarnesmedemande:–Avez-vousdesquestionsànousposer?C’estl’occasiondebriller,delesimpressionner,deleurdémontrerlaprofondeurdemescapacités

d’observationetd’analyse.Maisriendecegenrenemevientàl’esprit.Ilyaunechoseetuneseulequej’aienviedesavoiràcet instantprécis.Peut-êtreparcequejeviensd’évoquerlesCinqLacsetnotrepetitecommunautéunie.OuparcequeWillapris le tempsdese renseignersur la jeunefillequ’ilatuée.Mêmesileschancessontminces,ilsepeutqu’unjourjerentreàlamaison.SilescachetsqueTomas a chapardés à l’hôpitalmepermettentdegardermes souvenirs intacts, jepourrai allervoirlafamilledeMalachi.Luiracontercommentilestmort.EtjeferaidemêmepourlafamilledeZandri.–Qu’est-ilarrivéàZandriHickspendantleTest?Commentest-ellemorte?LedocteurBarnesesquisseunsourire.–Moiquipensaisquevousl’aviezcompris.Maislaréponsevousviendraprobablementàlafinde

cetentretien.Aprèstout,vousavezsonbraceletdansvotresac.Puisiljetteuncoupd’œilàsamontreetsoupire:–Nousarrivonsautermedecetteévaluation.Jevousféliciteencored’êtrearrivéeaussiloin,Cia.

C’étaitunréelplaisirdevousvoiràl’œuvre.Unofficielm’escortejusqu’àlaporte.Mesgenouxvacillentetmenacentdesedérober.Sansdoute

un effet secondaire de ce qu’ils m’ont fait avaler, ou tout simplement du stress, car l’officiel mesoutientsanscommentairejusqu’àmachambre.Àprésent,jesuisseule.Seuleavecmonangoissed’avoirtoutratéetlesderniersmotsdudocteur

Barnes.Zandri.PourquoiledocteurBarnesa-t-ilcruquejesavaiscequiluiétaitarrivé?Jenel’aijamaiscroisée

durantleTest.Qu’a-t-ilvouludireaveccettehistoiredebracelet?Jerenverselecontenudemonsacsurmonlit.Mesvêtements,letranscommunicateur,moncouteau.Unpetitmorceaudedrapdéchiré.Toutleresteadisparu.Sauflestroisbraceletsd’identificationdanslapochetteavant.Jepassel’indexsur le premier. Un triangle avec une roue. Il appartenait à la jeune fille que Tomas etmoi avonsenterrée. Nina. Qui venait de la colonie Pierre pour passer un examen et a fini assassinée par laCommunautéUnifiée.Carsic’estbienWillqui l’a transpercéed’uncarreaud’arbalète,cesont les

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officiels du comitédeTest qui sont lesvrais responsables.Combien d’autres candidats sontmortsainsiaucoursdesannées?Etcombiendecandidatsonttuédesjeunesgensdeleurâge?Unenouvellefois,lacolèremenacedemesubmerger.Ilmefautunmomentpourmecalmeretme

penchersurlesdeuxautresbracelets.D’aprèsledocteurBarnes,l’und’entreeuxestlaréponseàmaquestion.Lepremier est celui deRoman,unXdansun cercle.Sur ledeuxième, le symbolegravéreprésenteunefleurstyliséedansuntriangle.DesimagesdenotrevoyagedeCinqLacsàTosumereviennent.ZandriflirteavecTomasentripotantsonbracelet.Aveccemêmesymbole.Maispourquoiest-ilenmapossession?JemerepassetouslesévénementsquisesontdérouléspendantleTest.Unparun.Macoursedans

lesruinesdeChicago.L’oasispiégée.LesorbitesvidesdeNina.Lafuitedevantlesloupsmutants.LarencontreavecStacia,VicetTracelyn.Lavilleaulabyrinthe.Will.LemassacredeBrick.L’attaquedeRoman. Les coups de feu alors que nous étions si près du but. Will et Tomas qui se battent. LamodificationduvélopourramenerTomasjusqu’àTosu.Etsoudain,undétailmerevient. Insignifiant.Willvenaitdenous trahir,Tomasperdaitsonsang.

J’avaisbesoind’allumettes.J’aifouillédanslesacdeTomas.C’estlàquej’aitrouvélebracelet.J’aialorscruquec’étaitledeuxièmebraceletdeNina.Maisjemetrompais.C’étaitceluideZandri.Quefaisait-ildanslesacdeTomas?Durant les trois semaines et demie du Test, Tomas etmoi avons toujours été ensemble, sauf la

premièrejournée.Avait-il trouvécebraceletàChicagoavantquenousnousretrouvions?Danscecas,pourquoinepasmel’avoirdit?Parcequ’iln’avaitpaslecœuràm’annoncerqueZandriavaitéchouéalorsquenousvenionsàpeinedecommencer?C’estpossible.JeneseraispasétonnéequeTomasaitvoulumeprotéger.Maisest-cebiencequi

s’estpassé?Tomasetmoiavonsétéséparésuneseuleautrefois.Lavéritémeclaqueauvisagecommeunegifle.LesangsurlecouteaudeTomas.Sonregardhanté.L’avertissementdeWillaffirmantqueTomasn’estpasceluiquejecrois.Lecandidatqu’ilsontrencontrépendantmonabsencen’étaitpasuninconnusansnomoriginaire

delacoloniedeColoradoSprings.C’étaitZandri.Lesélémentssemettentenplacedansmatêteavecuneforcequimecoupelesouffle.Jenepeuxplusbouger,plusrespirer.Jeneparviensqu’àserrerdansmonpoinglebraceletdecettemagnifiquejeunefilledontletalentétaitadmirédetousàCinqLacs,quiessayaitd’attirerl’attentiondeTomas.QueTomasatrèsprobablementtuée.Non.Jenepeuxpaslecroire.Tomasestincapabled’untelacte.Saufs’iln’avaitpaslechoix.Je

l’ailaisséavecWill.C’estsûrementluiquis’enestprisàZandri.Ilssesontpeut-êtredisputéset…Lesdifférentsscénariospossiblesdéfilentdansmatête.Lesproduitschimiquesquej’aiingurgités

aujourd’huim’empêchentd’avoirlesidéesclaires.Lebraceletàlamain,jeparcoursmachambredelong en large comme si ça allaitm’aider à découvrir la vérité. J’ai beau refuser de croireTomascapabled’avoirtuéZandri,jesuistroubléeparsonrefusdemeracontercequis’estpassécejour-là.Colère, sentiment de trahison, peur, douleur, tous ces sentiments me frappent avec violence. Je

tombeàgenoux.Maisjenepleurepas.Jerefuse.Jen’aipasoubliélacaméradansleplafondetilesthorsdequestionquejedonneaudocteurBarnesetauxautresofficielslasatisfactiondemeslarmes.Ce sont eux les véritablesmeurtriers de Zandri. Ce sont eux qui ont inventé ce jeu cruel en nousdemandantd’ysurvivreà toutprix.Quoiqu’ait faitTomas, je suiscertainequecen’étaitpaspourobteniruneplaceàl’universitémaisparcequ’ilapenséquesavieétaitendanger.

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Uncoupàlaportemefaitsursauter.J’ouvresurunofficielquimetendunplateauetm’annoncequelecomitéesttoujoursentraindedélibérer.Leverroudelaserrureclaque.Ilnemerestequ’àattendre.Lemenuestextravagant.Unénormesteakgrillé,roseetjuteuxàl’intérieur,despommesdeterreà

la vapeur – la variété créée parZeen –, des crevettes avec un quartier de citron et du beurre, unesalade de légumes frais et de noix, un verre glacé rempli d’un liquide transparent et gazeux, unebouteilled’eauetungâteau.Unrepaspourcélébrerdignementnotresuccès–nousnesommespasencoremorts,çasefête!

Jamaisdemaviejen’aieumoinsenviedemeréjouirdequelquechose.Mais la caméram’observe et je coupema viande. Elle est sans doute délicieusemais j’arrive à

peineàavalerchaquebouchéesansvomir. Jegoûteau liquidegazeuxet le repose immédiatement.C’estdel’alcool.C’estlamêmeboissonqueZeenm’avaitapportéepourmeconsoler lesoirde laremisedesdiplômes.Elleavaitcesoir-làlegoûtdeladéception.Aujourd’hui,ellealegoûtdechezmoi.Jevidelabouteilled’eaud’unetraiteetboisdeminusculesgorgéesd’alcool;çamedonneunpeu

l’impressionqueZeenest avecmoi. J’arrive àmanger la salade et je laisse le gâteaude côté.Lesderniersrayonsdusoleildisparaissentàl’horizonetjemedemandesilecomitéauraprissadécisionavantl’aube.Unofficielvientrécupérerleplateau.Unefoislaporterefermée,j’entendsdenouveauleverrou

tourner. La lune me tient compagnie pendant que les minutes et les heures s’écoulent. Je pense àZandri etMalachi, j’analyse chaque instant demon entretien pour essayer de déterminer si j’ai lamoindrechance.Jefinisparm’endormir,recroquevilléesurmonsac.Aumatin,onm’apporteunnouveauplateau.Ladélibérationn’esttoujourspasterminée.L’officiel

medemanded’êtrepatienteets’enva.Desplateauxarrivent,desplateauxrepartent.Toujourspasdenouvelles.Je cherche quelles raisons auraient pu pousser Tomas à s’en prendre à Zandri et n’en trouve

aucune. Zandri était certes une forte tête qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, mais je nel’imaginepasuninstantattaquerTomas.Jesaisqu’ellel’appréciait.Peut-êtreétait-ellemêmeunpeuamoureusedelui.Etmaintenant,elleestmorte.J’essaiededormirpourempêchermespenséesdemetorturer,maisledocteurBarnesetd’autres

officielsm’attendentdansmonsommeil.Ilsévaluentunparunlescandidatsmorts.Ryme,Nina,Malachi;Boyd,Gill,Annalise,Nicolette,Roman,Zandri.Descorpss’empilentdans

uncoindelasalle.Lesofficielsmefixent,ledocteurBarnessecouelatêteetdéclarequej’étaisunecandidateprometteusemaisquemalheureusement,j’aisuivilesmauvaisespersonnes.Undirigeantnepeutpassepermettrelamoindreerreur.J’aiéchoué.Unofficielsortunearbalètedesouslatable,meviseettire.Lecarreaumepénètredansleventreetjehurle.Jemeréveilleparterre.Resterenferméedanscettechambresansaucunautrecontacthumainquel’officielquim’apporteà

manger menace de me rendre folle. Je fais les cent pas puis je m’assois et je reste sans bougerpendant des heures. J’attends encore et encore, mais rien ne vient. Cette attente fait-elle partie duTest?LedocteurBarnesetsesamissont-ilsassisderrièreleursécransàobservernosréactions?Lesautres candidats sont-ils aussi nerveux et impatients que moi ? Mes cauchemars jouent-ils en madéfaveurouunsommeilininterrompuserait-ilinterprétécommeuneindifférenceindésirable?Jefixelacaméra.Jemefichequelesmembresducomitécomprennentquejesuisaucourantde

son existence.Peut-êtremêmeque j’ai envie qu’ils le sachent.Pour leur prouver que je suis assezintelligentepouravoircomprisqu’ilyenavaitune.Alorsquejem’endors,jepenseunenouvellefoisauxcandidatsmortsetquiserontbientôteffacésdenotremémoiresiTomasetmoinetrouvonspas

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unmoyendel’empêcher.Lescandidatsayantéchouéàlapremièreépreuveont-ilsétééliminésoulecomité s’est-il contenté d’effacer leur mémoire ? Ces cent dernières années, la population de lacommunautéa-t-elleaugmentésuffisammentpourquelegouvernementpuissesepermettrederayerdelacartedesdizainesdesescitoyenslesplusprometteurs?Etsicescandidatssonttoujoursenvie,oùsont-ils?Après le plateau du matin, je commence à ne plus supporter les yeux qui me regardent et les

oreilles quim’écoutent hurler dansmon sommeil. Face à la caméra, je détachemonbracelet et ledéposeàcôtédeceluideZandrietNina.J’ôteégalementlebraceletdemonsacquejeprendsavecmoiavantdem’enfermerdanslasalledebains.L’illusion d’être seule – vraiment seule – me permet de décompresser un peu. Je prends une

douche,puis jem’assoispar terre et sorsmes affairesdemon sac.Mesvêtementsquemamère acousus, le couteau que mon père a touché, le transcommunicateur avec lequel mon frère Zeen atravaillé. Ces objets ont un lien avec celle que j’étais. Débarrassée du poids de la caméra, jem’autorise à pleurer en portant chacun de ces objets à mon visage. Cette fille des Cinq Lacs memanque.Sonoptimismeetsonespoirmemanquent.Sa foi en l’avenir.Si lescachetsdeTomasnefonctionnentpas,l’oublilaramènera-t-il?Effacermessouvenirseffacera-t-ilégalementlesombresquimehantent?Peut-être,etpendantquelquesinstants,j’aienviedecetteignorancebénie.Jeveuxdenouveaurêver

sansavoirpeur.Jesursauteenentendantunevoixmasculine.Jecherched’oùellevientavantdecomprendreque

c’estdutranscommunicateurserrédansmamain.«Lesoldusecteur4montredessignesencourageants.Letauxderadiationestpresqueinexistant.

Lanouvelleformulesembleefficace.»Zeen. Sa belle voix grave si familière. J’ai mal de l’entendre. J’ai dû, sans m’en apercevoir,

appuyer sur un bouton qui a déclenché la lecture d’un enregistrement. J’ignorais que letranscommunicateuravaitégalementcettefonction.«Prévenirpapaquedesanimauxsontmaladesdans lesecteur7.Peut-êtreàcausedesnouvelles

baiesquenouscultivonslà-bas.Nousdevrionsentamerunprotocoledetests.»JemerappelleavoirentendumonpèreetZeenendiscuter lorsd’undînerunesemaineoudeux

avant la remise des diplômes. Ils avaient débattu de ce problème jusqu’à une heure avancée,m’autorisant même à participer et à proposer une ou deux théories. J’avais été fière qu’ils meconsidèrentcommeuneadulte.Çamesemblesipuérilaujourd’hui.Pendantunmoment,j’écoutelavoixdeZeenquidécritleszonesàl’extérieurdesCinqLacsque

monpèreetsonéquipetententderevitaliser.Ilditungrosmotetçamefaitrire.Etpuispleurer.Cen’estqueplustardquejemedemandecommentfonctionnel’enregistreur.Jefinispartrouverle

bouton.Manifestement, cette partie a été ajoutée, sans doute par Zeen. Avec le tournevis de moncouteau,j’ôtelaplaquedeprotection.Unepetiteboîtenoireaétécaléeentrelescircuits.Jen’aipasbesoind’observer très longtemps le travail soigneuxdemonfrèrepourcomprendrecomment il autilisé l’émetteur et le récepteur afin de les transformer en micro et en haut-parleur. C’estpratiquementindécelable.Un coup à la porteme fait lever la tête. Je range prudemmentmes affaires dansmon sac avant

d’allerouvrir.Danslecouloir,uneofficielle,unplateauàlamain,mescrutel’airinquiet.–Toutvabien?medemande-t-elle.Jesupposequemadisparitiondanslasalledebainsaétéremarquée.Jem’empressedelarassurer.–Çava.Maisaubruitquej’entendsdanslecouloir,jedevinequecen’estpaslecasdetoutlemonde.Un

autre candidat se serait-il suicidé ? Je m’inquiète malgré moi pour Tomas. Même si le Test l’a

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changé,ilseratoujoursàmesyeuxlegarçondeCinqLacsquej’aiconnu.Jeneveuxpasqu’ilmeure.Lafemmemetendleplateauetm’annonce,commeàchaquefois,quelesdélibérationssuiventleur

cours. Elle referme la porte à clé derrière elle. Étrangement, la solitude ne m’angoisse plus. Jedégustelepouletàlasaucetomate.Délicieux.Puisjeretournem’enfermerdanslasalledebains.Lavoixdemonfrèremeréconforteunmoment,maisl’idéequ’unautrecandidatestpeut-êtremort

raviveunecolèremêléedepanique.Undemoins,unechancesupplémentairepourmoi.Voilàcequejedevraismedire,maisjen’yarrivepas.Encoreunélèveprometteurvouéàl’oubliéternel.L’oubli.Siseulementquelqu’unpouvaitsesouvenir.Jetienstoujoursletranscommunicateuràlamain.Il me faut quelques minutes avant de comprendre comment je peux m’enregistrer et alors, je

commenceàparler.D’unevoixcalme,j’évoqueMalachi.Sonsourire,satimidité,savoixchantante.Etsamort.Ryme,sesbiscuitsaumaïs,sonarrogance.Jeracontecommentjel’aitrouvéependueauplafonddenotre chambre. Je racontemon réveil dans laboîte audébutduquatrièmeexamen.LesruesdeChicago,l’arbalétrier,materreur,lereculdurevolverdansmamain.Mais l’appareil n’apasune contenance infinie et jedois faireun choix.Quels souvenirsdois-je

préserverenpriorité?Lecœurbrisé,j’effacemapremièreversion.Ilsméritenttousdenepasêtreoubliésmaiscertains leseront.Àplusieursreprises,mes larmesm’empêchentdecontinuer.Quandj’ai terminé,mespoumonssemblentsurlepointd’exploseretmagorgeestdouloureuse.Mais j’airéussi.Renverront-ilsmesaffairesàmesparentssi jenesuispaschoisiepourl’université?J’endoute.

Maispeut-êtrequejepeuxdemanderàMichaldes’encharger.Aveclalamedemoncouteau,jegraveunsymboleaudosdutranscommunicateur.Puis,jelerangedansmonsac.J’yenfourneensuitemesvêtements et le reste de mes affaires et je me nettoie le visage à l’eau claire. Quand l’officiellem’apporteleplateaudusoir,ellemedemandeunenouvellefoiscommentjevais.Unenouvellefois,jeluiprometsquejemeportecommeuncharme.Avantdefermerlaporte,ellelance:–Lesdélibérationssontterminées.Lesrésultatsserontannoncésaprèslepetitdéjeuner.Demain,toutprendrafin.

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CHAPITRE22

Pour la première fois depuis des semaines, j’ai dormi d’un sommeil de plomb sans qu’aucuncauchemarnevienneinterrompremanuit.J’airêvédechezmoi.Àl’idéequetoutestbientôtterminé,je suis habitée d’un sentiment depaix et de soulagement. Je suis réveillée par un coup frappé à laporte.Unplateauaccompagnéd’une requête. Jedoism’habilleretavoirpréparémes affaires dansuneheure.Onviendramechercher.Jedéjeunedeframboisesfraîches,d’unporridgeépaisadoucideraisinssecsetdenoisettes.Lejus

d’orangeestagréablementacide,lesroulésàlacannellecouvertsd’unglaçageausucre.J’essaiedeprofiterdechaquebouchéemêmesiunebouledansl’estomacm’empêchedemangerautantquejelevoudrais.Jerattachelesbraceletsàmonpoignetetàmonsac.Jepenseàmonpèreetàcequ’iladûressentir

enattendantleverdictfinal.Jemedemandeaussisij’aiunechancedecroiserTomasavantquelesofficiels n’effacent nos souvenirs. Trouvera-t-il le moyen de me passer un cachet ? Lira-t-il messoupçonsàsonégarddansmesyeux?Quandonvientmechercher,jesuisprête.Lesacsurl’épaule,jesuislafemmeauxcheveuxnoirs

danslecouloir.Monpetitdéjeunerrouledansmonestomac.Nousprenonsl’ascenseur.Levisagedelafemmeest impassible.Ellenesouritpasmaisnefroncepasnonplus lessourcils. Impossiblededevinerquelsortm’attend.Auboutd’unautrecouloir,uneporteestouverte.L’officiellemefaitentrerdansunegrandepièce

trèséclairée.Lesmainsdans lespochespour lesempêcherde trembler, jemeretrouvefaceàplusd’unedizained’officielsderrièreunegrandetable.LedocteurBarnesestaucentre.Devantlui,unepetiteenveloppeblanche.Évidemment,sonexpressionestindéchiffrable.Jevaism’asseoir.LedocteurBarnesmesouritavecchaleur.–Noussommesdésolésdevousavoirfaitattendresilongtemps,maisladécisionn’étaitpasaisée.Trèslentement,ilprendl’enveloppe,selèveetfaitletourdelatable.Ils’arrêtedevantmoi.Mon

cœurvaexploser.–Jesuiscertainquevousavezhâtedeconnaîtrelesrésultatsetjenevousferaidoncpaspatienter

pluslongtemps.Ilouvrel’enveloppeetensortunefeuille.Ilmefixeunmomentcommes’ilhésitaitavantdemela

tendre. Jemaîtrise à peinemamain et quand je prends la feuille,ma vision est si floue que je neparvienspasàlirecequiyestécrit.Puis,jediscerne:ReçueJ’airéussi.Unsourires’étalesurmonvisage.Autourdemoi,j’entendsdesfélicitations.LedocteurBarnesme

serrelamainenaffirmantqu’ilestfierdemoi.Puis,jeressensunepiqûreauniveauducouettout

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devientnoir.J’aiéchoué.

Devantlemiroir,jepasselesdoigtssurlescinqlignesgravéessurmonépauledroite.Jesuisdansmonappartement,àl’université.J’aitroispiècespourmoitouteseule:unechambre,unsalon-cuisineetunesalledebains.J’airéussileTest.Etjenemerappelleabsolumentrien.Jesuissûred’avoiressayédetrouverunmoyendegardermessouvenirs.Etj’aiéchoué.Laseule

imagequimerevienneestcelledenotretrajetdesCinqLacsàTosu.Ahsi,jemerappelleaussiungarçonébourifféàl’airsournoisentraindefaireuncroche-piedàMalachi,etlafillequipartageaitmachambre.Elleavaitdesbiscuitsaumaïs.Etpuis,jemesuisretrouvéedansunamphithéâtreavecd’autres candidats. J’ai cherché des yeux un visage familier pendant qu’un homme barbu, vêtu deviolet,montaitsurl’estrade.Ilnousaadresséunsourirechaleureuxetnousafélicités.–Bravoàtous.Vousavezétéchoisispourentreràl’université.Surprise, joie, confusion aussi. Et puis la prise de conscience que le Test était terminé. J’avais

réussi.LedocteurBarnesnousaannoncéqu’onnousemmèneraitdansnotrenouveauchez-nousdèsquecetteréunionseraitterminée.Unepetitefêteétaitprévueafinquenousfassionstousconnaissance.Maisentretemps,j’avaistrouvéquelqu’unquejen’avaispasoublié.Lecœurgonflédebonheuretdesoulagement,j’aireconnulesyeuxgrisdeTomas.Jemesuisjetéedanssesbras.J’étaissiheureusedenepasêtreseuledansl’inconnu.C’était il y a trois semaines.Depuis,Tomas etmoi passons toutes nos journées ensemble.Nous

arpentons Tosu et apprenons à connaître les autres étudiants. La seule idée de le retrouver tout àl’heuremerendpresquefébrile.Onfrappeàmaporte.Jebaissemamanchepourdissimulerlescicatricessurmonbras.J’ouvreàStacia.Ellerâleenvoyantquejeportematuniqueblancheetmonpantalonbrun.–Tun’espasprête!Tunepeuxpasalleràlafêtehabilléecommeça!Qu’est-cequelesautresvont

penser?Jehausselesépaulesenriant.–Cen’estquedansuneheureetnet’inquiètepas,jevaisfaireuneffortvestimentaire.–T’asintérêt.Ellefroncelessourcilsmaisjedevinesonsourirederrièresaminefâchée.Elleaunvisagedurqui

maintientpresque tous lesautrescandidatsàdistance,ycomprisTomas.Maispourune raisonquej’ignore,jesuisalléeverselleetnousnousentendonsplutôtbien.NousnoussommesprobablementrencontréespendantleTest.Peut-êtremêmequenoussommesdevenuesamies.JerefermelaportederrièreStaciaetdécidedesuivresonconseil.Ilesttempsquejecommenceà

mepréparer.Aprèstout,cettefêteestenmonhonneur.Entrelesréunionsaveclesprofesseurs,lesvisitesdesbâtimentsetl’emménagement,aucund’entre

nousn’aeuletempsd’allers’acheterdesvêtements.Desétudiantsdel’annéesupérieurenousenontdonné quelques-uns et le docteurBarnes nous a promis que nous pourrions bientôt aller faire lesmagasins. Je choisis donc un pantalon propre et une tunique bleue dont lesmanches couvrentmacicatrice.Jen’attachepasmescheveuxparcequeTomasm’aditl’autrejourqu’illespréféraitlibres.Ilestnaturelquenoussoyonsattirés l’unpar l’autre.Noussommes lesdeuxseulsdesCinqLacsàavoir réussi le Test.Mais il y a aussi autre chose.Un sentiment plus riche, plus complexe et plusexcitantque l’amitié.C’estpeut-être idiotdemapart,mais jemedemande si nousne sommespasamoureux.MaintenantqueleTestestterminé,riennem’empêchedem’enassurer.QuandStacia revient, je finis justed’attachermonbraceletd’identificationgravéd’uneétoile, le

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symbole des première année. Dehors dans le parc, des murmures nous accueillent et je ne peuxretenirunsourireenvoyantlagrandebannièreaccrochéeentredeuxarbres.Bonanniversaire,Cia.Surunetable,ungâteaucouvertdebougiesetautour,desgensauvisagejoyeux.Tomas,ledocteur

Barnes.Touslesélèvesdemaclasseetquelquesofficielssontvenuspourfêtermonanniversaire.Certains semettent à chanter. J’ignore si toutes les colonies ont lamême chanson traditionnelle

pourcélébrer lesanniversairesou si c’estTomasqui leur a appris lesparoles,mais jememets àpleurer.Lachansonterminée,Tomass’approchedemoietm’essuiedoucementlajoue.–Jenevoulaispastefairedepeine.Cettechansonétaitunemauvaiseidée.Jesecouelatête.–Non,c’étaitparfait!Merci.–C’estvrai?Ilsepencheversmoietnoslèvressefrôlent.Jesouris.–Oui,c’estvrai.Promis.–Eh,t’espasleseulàvouloirembrasserlareinedelafête!Tomasréprimeunegrimace.Wills’approcheetm’embrassesurlajoueenpassantsonbrasautour

demesépaules.Ilanouésescheveuxenqueue-de-chevaletsesyeuxpétillentdemaliceetdebonnehumeur.Jel’appréciebeaucoup.LejouroùnousavonsapprisquenousavionsréussileTest,ilalevélamainpourdemanderoù

étaitGill,sonfrèrejumeau.QuandledocteurBarnesluiaexpliquéquesonfrèreavaitéchouéetquecommetouslescandidatsdanssoncas,ilavaitétéassignéàuneautrecolonie,Willestdevenufou.Ila fallu quatre officiels pour le sortir de l’amphithéâtre. Il ne nous a rejoints à l’université queplusieursjoursaprès.Unerumeuracouru:lesofficielspensaientfairerevenirundescandidatsquiavaitéchouépourprendresaplaceetl’envoyerdanslamêmecoloniequesonfrère.MaisWillafiniparnousrejoindre.Etj’ensuisheureuse.Willm’embrassesurl’autrejoueetsemoquedesprotestationsdeTomas.– Ton petit ami est jaloux, on dirait. Il a peur qu’on nous demande de faire équipe pour

l’orientation.Perso,jediraisquedetoutefaçon,tuestropbienpournousdeux,Cia!Ses mots résonnent familièrement à mon oreille. Ce n’est pas la première fois que j’ai cette

impression de déjà-vu et j’essaie en vain d’identifier le souvenir qui flotte à la surface de mamémoire.Tomasproteste.Iln’estpasjaloux.Ilsaitqu’ilestmonpréféré,affirme-t-il.D’autresétudiantsse

joignentànotrepetitgroupe.UngrandgarçondunomdeBrickmetendunbouquetdefleurs.Puislaconversation dévie sur notre orientation. Avant le début des cours, chaque étudiant passe quatresemaines à rencontrer des officiels deTosu et des représentants de chaque colonie.Nous devronsaussiapprendreàmieuxconnaîtrecettevilledanslaquellenousvivronsdurantlesprochainesannées.Lesétudiantssontnommésparpaires,etcommeledisaitWilltoutàl’heure,TomasapeurqueWillsoitdésignépourêtremoncoéquipier.Maiscen’estpasparcequ’ilestjaloux.SiTomass’entendàpeuprèsbienavectoutlemonde,ilneparvientpasàs’accorderavecWill.J’espèrequ’ilsréussirontàrésoudreleursdifférendsaucoursdel’année.Quelqu’un allume une radio solaire et nous nous mettons à danser. Même le docteur Barnes

entraîneuneofficiellesurlapiste.Justeavantdepartir,ilnouslaprésentecommesafemme.Aucoucherdusoleil,j’ailespiedsencompoteetj’aimangétropdegâteau.J’aienviederentrer.

Maisj’aperçoisunesilhouettefamilièreappuyéecontreunarbre.JechuchoteàTomasquejerevienstoutdesuiteetmedirigeversMichalGallen,l’officielquiestvenunouschercheràCinqLacs.–Bonanniversaire.

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–Merci.Vousêteslàdepuisledébut?Ilsecouelatête.–Non,j’aipréféréattendrequecertainsdetesinvitéssoientpartis.Pouravoirunpeuletempsde

discuteravectoi.Félicitationsd’avoirréussileTest.Jen’aipasétésurprisenl’apprenant.Tuestrèsintelligenteetforteaussi.Jesavaisquetuyarriverais.Une nouvelle fois, cette impression d’avoir déjà vécu cemoment,mais commed’habitude,mes

souvenirss’effilochentàmesurequej’essaiedemeconcentrer.–Çanevapas,Cia?s’inquièteMichal.–Si,çava.C’estjustequej’auraispujurervousavoirdéjàentenduprononcercesmots.Ilsouritsansmecontredire.– Je t’ai apporté quelque chose, annonce-t-il brusquement enme tendant un paquet qu’il cachait

danssondos.Jecommenceàenleverlepapiercadeaumaisilm’enempêche.–Non, tu l’ouvriras plus tard.Quand tu seras seule. Sinon, on risque tous les deux d’avoir des

ennuis.La règle veut que les étudiants aient leminimumde contacts avec leur famille,mais je nevoyaispaslemalqu’ilyavaitàt’apporterça.Mafamille.Jeretournelepaquetdansmesmains.–Commentest-cepossible?Vousavezvumafamille?–Jedevaisallerm’occuperdequelqu’unàlacoloniedeMadisonlasemainedernière.J’aisuque

tonpèreydonnaituneconférenceetj’enaiprofitépourpasserlevoir.Ilm’adonnéçapourtoi.Une personne serviable fait quelque chose de gentil pour une fille loin de chez elle, rien

d’extraordinaireapriori.Maisjesensqu’ilyaplusqueça.Nosregardssecroisent.Jecherchedansses yeux les réponses à certaines questions quand j’entends qu’on m’appelle. Tomas et quelquesautresmefontsigne.Je leurprometsquej’arrivedansuneminutemaisquand jemeretourneversMichal,iladisparu.Quelquesétudiantsmetaquinentparcequ’unofficielm’aapportéuncadeau.J’expliquequ’ilnous

aaccompagnés jusqu’àTosu, cequine faitqu’accentuer l’hilaritédes filles.MêmeTomas lèveunsourcil,mais je lui faiscomprendreensilenceque je luiexpliquerai toutplus tard.Jeneraconteàpersonnequececadeauvientdemafamille.Michalaenfreintlerèglementpourmel’apporteretjeneveuxsurtoutpasluicauserdeproblèmes.Lanuitcommenceàtomberetlafêtesetermine.Tomasm’accompagneàlaportedechezmoiet

m’embrassetendrementavantdememurmurerqu’ilm’aime.Je luirépondsquejecroismoiaussiêtre amoureuse de lui, et ilme scrute comme s’il voulait s’assurer que je nemens pas.Après undernierbaiser,nousnousséparons.Jesuisenfinseuleavecmoncadeau.Mafamillen’apasoubliémonanniversaire.J’ouvre la boîte et y trouve deux cartes et un bouquet de roses séchées dans un petit pot de fer

étamé.Desfleurscrééesparmonpèreetmesfrèresetlepotquemamèretientdesapropremère.Jenepouvaisrienrêverdemieux.J’installe le bouquet sur ma table de chevet et je m’assois sur mon lit pour lire les cartes. La

premièreestdeDaileen.Jeluimanqueetellemeprometdemeretrouveràl’universitél’anprochain.L’autrevientdemafamille.Troisdemesfrèresontgriffonnéunelignedecirconstance;Zeenaprisunpeuplus deplacepourme féliciter etmedire qu’il regrette son comportement le soir demondépart.Ildemandeaussiquejeluirendesontranscommunicateur.Je ris et je sors l’appareil demon sac. Je suis certaine quemon père a déjà fourni un nouveau

transcommunicateur àmon frère,mais oui, je vais le lui renvoyer. Sansme priver de le taquiner.C’estàçaqueserventlespetitessœurs,non?Jerangel’appareildansmonsacquejeglissesousmonlit.Enallantàmonplacardprendremon

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pyjama,j’entendsuncliquetis.J’aidûallumerletranscommunicateursanslefaireexprès.J’aidéjàessayédem’enservirpourcontactermafamille,maisjesuisévidemmenttroploin.Qui

sait, après un an à l’université, je réussirai peut-être à trouver le moyen de renforcer le signal.J’adoreraispouvoirparleràmonpère,àmamèreetàmesfrèresdèsquej’enauraisenvie.Jereprendsletranscommunicateurpourl’éteindre.Jem’apprêteàlerangerdenouveauquandune

égratignureaudosdel’appareilattiremonattention.Jesuispresquesûrequ’ellen’yétaitpasquandj’ai quitté la maison. La marque mesure à peine plus d’un centimètre mais elle me fait penser àquelquechose.Oui,àl’éclair,lesymbolegravésurmonbraceletdecandidate.Enpassantledoigtsurle boîtier, je sens un minuscule interrupteur. Il est bien caché mais il n’y a pas de doute. Ça nem’étonnepasqueZeenveuillelerécupérer.Ill’amanifestementmodifié.J’aidûm’enrendrecomptependantleTestetlaisserunemarquepourmelerappeler.Toutsourires,jemelaissetombersurmonlitetj’appuiesurlebouton.Ilvapeut-êtresepasserun

trucincroyable.AvecZeen,ilfauts’attendreàtout.Eteffectivement,c’estincroyable.Unevoixs’élève.Mavoix.Elleraconteunehistoirequejenepeuxpascroire.

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Àsuivre…

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Danslamêmecollection

ENTRECHIENSETLOUPS

deMalorieBlackman

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EntrechiensetloupsdeMalorieBlackman

Traduitdel’anglaisparAmélieSarn

Imaginezunmonde.Unmondeoùtoutestnoiroublanc.Oùcequiestnoirestriche,puissantetdominant. Où ce qui est blanc est pauvre, opprimé et méprisé. Un monde où les communautéss’affrontentàcoupsdeloisracistesetdebombes.C’est unmonde oùCallum et Sephy n’ont pas le droit de s’aimer. Car elle est noire et fille de

ministre.Etluiblancetfilsd’unrebelleclandestin…Ets’ilschangeaientcemonde?

Extrait:Callumm’aregardée. Jene savaispas,avantcela,àquelpointun regardpouvait êtrephysique.

Callumm’acaressélesjoues,puissamainatouchémeslèvresetmonnezetmonfront.J’aifermélesyeuxetjel’aisentieffleurermespaupières.Puisseslèvresontprislerelaisetontàleurtourexplorémon visage.Nous allions faire durer cemoment. Le faire durer une éternité.Callum avait raison :nous étions ici etmaintenant. C’était tout ce qui comptait. Jeme suis laissée aller, prête à suivreCallumpartoutoùilvoudraitm’emmener.Auparadis.Ouenenfer.

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LacouleurdelahainedeMalorieBlackman

Traduitdel’anglaisparAmélieSarn

Imaginezunmonde.Unmondeoùtoutestnoiroublanc.Oùcequiestnoirestriche,puissantetdominant.Oùcequiestblancestpauvre,oppriméetméprisé.NoirsetBlancsnesemélangentpas.Jamais.Pourtant,CallieRoseestnée.Enfantdel’amourpour

SephyetCallum,sesparents.Enfantdelahontepourlemondeentier.Chacundoitalorschoisirsoncampetsacouleur.Maispourcertains,cettecouleurprenduneteintedangereuse…celledelahaine.

Extrait:J’aicomprisquejenesavaisriendelamanièredontjedevaism’occuperdetoi,Callie.Tun’étais

plusunechosesansnom,sansréalité.Tun’étaisplusunidéalromantiqueouunesimplemanièredepunirmonpère.Tuétaisunevraiepersonne.Ettuavaisbesoindemoipoursurvivre.CallieRose.Machairetmonsang.ÀmoitiéCallum,àmoitiémoi,etcentpourcent toi.Pasune

poupée,pasunsymbole,niuneidée,maisunevraiepersonneavecunevietouteneuvequis’ouvraitàelle.Etsousmonentièreresponsabilité.

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Lechoixd’aimerdeMalorieBlackman

Traduitdel’anglaisparAmélieSarn

Imaginezunmonde.Unmondeoùtoutestnoiroublanc.Oùcequiestnoirestriche,puissantetdominant.Oùcequiestblancestpauvre,oppriméetméprisé.Danscemonde,uneenfantmétisseestpourtantnée,CallieRose.Unevieentreleblancetlenoir.

Entrel’amouretlahaine.Entredesadultesprisonniersdeleurspropresvies,deleurspropresdestins.Viendraalorssontourdefaireunchoix.Lechoixd’aimer,malgrétous,malgrétout…

Extrait:Voilàleschosesdemaviedontjesuissûre:Jem’appelleCallieRose.Jen’aipasdenomdefamille.J’aiseizeansaujourd’hui.Bonanniversaire,CallieRose.Mamères’appellePerséphoneHadley,filledeKamalHadley.KamalHadleyestlechefdel’opposition–etc’estunsalaudintégral.MamèreestunePrima–elle

faitdoncpartiedelasoi-disantélitedirigeante.Monpères’appelaitCallumMcGrégor.MonpèreétaitunNihil.Monpèreétaitunmeurtrier.Mon

pèreétaitunvioleur.Monpèreétaitunterroriste.Monpèrebrûleenenfer.

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Leretourdel’aubedeMalorieBlackman

Traduitdel’anglaisparAmélieSarn

TobeyestamoureuxdeCallie.Fouamoureux.Poursonanniversaire,ilveutluioffriruncadeaudigned’elle,uncadeaudevaleur.Alorsilvaaccepterlepire:effectuerunelivraisonpourlegangdeMcAuley.Enéchanged’unpeud’argent.Unpeud’argentquileconduiradirectementenenfer…

Extrait:

Del’intérieurdelavoiture,McAuleyatiré.Sonarmeétaitpointéesurnous.L’armeasautédanslamaindeMcAuley.Ilatiréencore.Etencore.Jen’avaispasletempsdeprévenirTobeyoudelepousser.Jemesuisplacéedevantlui.Letempss’estsoudainaccéléré.Ilestpasséàtoutevitesse.Enm’oubliantderrièrelui.

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