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Couverture:©Alis
HachetteLivre,2016,pourlaprésenteédition.
HachetteLivre,58,rueJean-Bleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-397649-7
Chapitre1
Répudié
Lachaleurétaitpresque insoutenable.Non.En réalité, elleétait insoutenable.Pourtant, il était déjàplus de19heures, et le soleil finissait sa doucedescente vers l’horizon.Mesvalises àmespieds, jefixais,au-delàdesgrilles,lamaisonqu’ellesprotégeaient.—Vousêtescertainedenepasvouloirquejevousaccompagnejusqu’àlamaison?medemandapour
latroisièmefoislechauffeurdetaxienrefermantlecoffredesavoiture.—Non.C’estgentil.Maisjepréfèremarcher.—Commevousvoudrez.Ilmontadanssontaxietdémarra,melaissantseule.Oui.Jevoulaismarcher,allégermesjambesengourdiesparlestroisheuresdevoldutrajet.Unebriselégèresoulevaquelquesmèchesdemescheveuxblonds.Jeprisuneprofondeinspiration,les
yeuxfermés,attendantunesensation,mêmeminime,defraîcheur.Nada.L’airremuéétaitluiaussihumideetchaud.Mamèrem’avaitpourtantavertie:Miamienpleinmoisd’août,c’estunsaunagrandeurnature.Àcela,elleavaitrajoutélespluiestorrentiellesquis’abattaienttouslesaprès-midisurlavillependantaumoinsdeuxheures,etlesouragansquisurvenaientsansprévenir.Jen’avaisplusqu’àcroiserlesdoigtspournepasencroiseruncar,mêmesijesavaiscourirviteet
bien,jen’étaispascertainedegagnerauchronofaceàundéchaînementdelanature.J’attrapailapoignéedemavaliseàroulettesd’unemainetl’anseduvieuxsacdevoyagedemamère
del’autre.Troismois.C’étaitladuréeminimaledemonséjourici.Non.Demontravailici.J’étais tentée d’appeler ma mère sur-le-champ, autant pour la rassurer et lui dire que j’étais bien
arrivéequepourentendresavoixmerépéterquec’étaitlaseulesolution,dissipantunpeumonangoisse.Jen’avaispaslechoix.J’avaisbesoindecetargent.Unbesoinvital.Je passai le portail en fer forgé pour entamerma longue ascension jusqu’à la villa.Mes sandales
claquaientsurlesdallesenpierresdel’allée.Jenesavaisplusoùdonnerdelatête:àmagauchecommeàmadroite,despelousesd’unvertéclatantbordaientl’alléeetdemagnifiquespalmiersdominaientleshauteurs.Devantmoi, lamaison auxmurs rosés et au toit pointu de tuiles rouges, dépourvue d’étage,s’étalaitsurtoutelalargeurdelapropriété,prolongéed’ungarageàsagauche.Àl’extrémitédroite,jedevinai,àtraversl’immensebaievitrée,unsalonmeublédeplusieurscanapés.J’étaisarrivée,et jedoutaisdéjà.Ma famillememanquait.Et s’il sepassaitquelquechoseenmon
absence?Je tentaidemerassurer.Tout iraitbien.Jedevaisprendresoindupropriétairedes lieux,uncertain
Rick, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce qui neme changerait pas demon quotidien, puisque jem’occupaisdespersonnesâgéesdemonquartier.Lecœurbattant,jelâchailapoignéedemavalise,surlaquellemesdoigtss’étaientcrispésmalgrémoi,etjesonnai.Unedoucemélodieretentitàl’intérieur.Laportes’ouvritsurunegrandeblonded’unecinquantained’années,habilléed’unpantalondetailleur
blancqui tombaità laperfectionsursesescarpinsetd’unchemisierensatinvertsansmanches.Jemesentissoudainminableavecmonshortenjeanetmondébardeurencotonblanc.—OceanaDouglas?demanda-t-elleenmetendantlamain.Jehochailatête,incapabled’alignerdeuxmots,etluiserrailamain.—AmberThomas.Jevousenprie,entrez.Nousavonsdéjàeul’occasiondenousparlerautéléphone.Oui, je me souvenais de mon entretien d’embauche avec elle. Un entretien téléphonique. Celui-ci
s’était limité à fixer le montant de mon salaire et à vérifier mes diplômes. Je n’avais que cinq ansd’expérience,mais je supposais que son fils, le patron demamère, avait appuyémon dossier, car ilconnaissaitmasituation.Sinonpourquoinepasavoircherchéquelqu’unàMiami?Ellesourit.—Jen’aipasletempsdetoutvousexpliquer.Voustrouverezunfasciculedansvotrechambreoùsont
résuméesvostâches.IlcontientaussiledossiermédicaldeRick.Laissezvosbagagesici, jevousfaisvisiterlamaisonetjemesauve.Son ton autoritaire m’intimidait autant que la maison. Le dos bien droit et le menton en l’air,
MmeThomasdonnaitl’impressiondesortirtoutdroitd’unlivresurl’aristocratieanglaise.Jenepouvaism’empêcherdepenseràmamère,quiavaitaffaireàcetypedeclientèledansl’hôteldeluxedanslequelelletravaillait.Etdirequeleprixd’unechambreéquivalaitàsonsalaireannuel!—Monmarietmoi-mêmepartonsàNewYorkréglerunproblèmeàl’hôtel.Nousseronsabsentstoute
lasemainemaisnousrestonsjoignables,voustrouverezmonnumérodetéléphonedanslefascicule.Elletraversalehall.Docile,jelasuivis.—Àdroite,voustrouverezlesalon,lasalleàmangeretlacuisine.Faitescommechezvous,detoute
façonRickn’yvajamais.Àgauche,unautresalon,avectélévision,hi-fi,bibliothèque;jevouslaisserailesoindeledécouvrirparvous-même.Sesfinesetlonguesjambesprirentladirectiond’unlongcouloir.Sestalonsclaquaientsurlecarrelage
enmarbre.Jecomprisqu’enréalitélamaisondevaitressembleràunL,vueduciel.—Ici,deuxchambresd’amis,unesalled’eauàvotredisposition.Aufond,lachambredeRick;jene
vous la faispasvisiter,car ildort. Ilétaitexténué.Aujourd’hui, j’ai réussià l’extirperdeson lit,nonsansmal.Ilapassélajournéedehors,sibienqu’unefoisrentré,ilaàpeinemangé,etjel’aicouché.Ellem’offritunsourire,commesielleétaitfièredel’exploitqu’ellevenaitderelater.Puiselleouvrit
uneportesurladroite,àl’opposédeschambresd’amisetdemafuturesalledebains.—Votrechambre.Ellen’estpastrèsgrande,carc’estl’ancienbureaudeRick.Ladécorationlaisseà
désirer puisquenous venons tout juste de l’aménager.Laporte au fond à gauchevous donneun accèsdirectàsachambreaucasoùilauraitbesoindevouslanuit.Ilaprisunsomnifèrecesoir.Voussereztranquillejusqu’àdemainmatin.«Pastrèsgrande»?Nousnedevionspasavoirlamêmenotiondel’espace.Monappartementétaità
peine plus spacieux que cette pièce ! Mais la décoration était, en effet, sommaire. Un lit king sizerecouvertd’un jetéde litbeigesur lagauche,deux tablesdechevetdepartetd’autre (avecceque jepensaisêtre le fasciculed’instructionsetunboîtiernoirsur l’une)et,sur ladroite,unearmoireetunecommodeenteck.Aucuntableau,aucunbibelot.Amberpointaundoigtversleboîtiernoir.— Vous pouvez aller où bon vous semble, mais ne sortez jamais sans le talkie-walkie. C’est la
premièrerègleàrespecter.Vousdeveztoujoursêtredisponible.Jepréfèrevousprévenir,Rickn’estpas
quelqu’undefacile.Ilamisàlaportetouteslesaidesàdomicilequenousluiavonstrouvé,et…—J’ail’habitudedem’occuperdepersonnesrécalcitrantes,jesauraim’adapter.Cettefois-ci,ellesepermitunbrefsourire,puisfronçalessourcils.—Jevaisêtreclaire,mademoiselleDouglas.—Appelez-moiOceana…—MademoiselleDouglas,poursuivit-ellesanssesoucierdemoninterruption,cen’estpasRickqui
vousemploie,c’estmoi.Parconséquent,mêmes’ilvousditqu’ilneveutpasdevousdanscettemaison,vousnel’écoutezpas.C’estmoietmoiseulequidécide.Vouspouvezleremettreàsaplace,luiparlercommevousvoulez,celam’estégal!Enrevanche,sasantéetsasécuritésontprimordialespourmoi.Sivousdécidezdepartir,jevousdemanderaidemelaisserdeuxjourspourvoustrouveruneremplaçante.Lamainànouveautendue,elleattendaitquejelaluiserrepourscellernotreaccord.Jen’hésitaipas.
À trente-cinq mille dollars le mois, je ne pouvais pas me permettre de réfléchir à ses paroles, quisonnaientpourtantcommeunavertissement!—Bien.Jevouslaisse.Monchauffeurdoitêtrelà.Voustrouvereztouteslesindicationsdontvousavez
besoindanslefascicule.Lisez-le.Etn’hésitezpasàm’appelerencasdeproblème.Muette,jehochailatêteetluiemboîtailepas.Àl’extérieur,unchauffeurattendaitàcôtéd’unevoiture.—Çavabiensepasser,merassura-t-elleenmegratifiantd’unnouveausourire.Avais-jel’airsidésorientée?C’étaitsouventl’impressionquejedonnais.Jelesavais.MmeThomasnemedonnapasletempsderépondre;laportièredelavoitureserefermasurelle,me
laissantseule.Lesilenceretombasur lavastedemeure.Mêmepas le tic-tacd’unehorloge,oulebruitd’unrobinetquicoule.Lesilence.Assourdissantethostile.Sij’avaisétéunetortue,j’auraisbienviterentrétêteetpattesdansmacarapace.Maisjen’étaispas
une tortue. Et exténuée par mon voyage, je n’étais capable ni demanger ni de regarder un film à latélévisionetjegrimaçaisenpensantàlalonguelisted’instructionsquin’attendaientquemoipourêtrelues.Finalement,jerécupéraimesbagagesetrebroussaicheminjusqu’àmanouvellechambre.Lesroulettes
claquèrent dans les rainures du carrelage presque aussi fort que les battements demon cœur dansmapoitrine.Jejetaimonsacsurlelitaprèsavoirlaissélavalisedansuncoin,reportantàplustardledéballagede
mesvêtements,pourenvoyerunmessageàmamère.Bienarrivée.Jet’appelledemain.J’espèrequetoutsepassebien.Jtm,Nana.Lundi7août08:02p.m.Envoyé.Puis jem’approchaide la longuebaievitréeet j’observai le ciel, quioffraitun somptueuxdégradé
allantdel’orangeaubleufoncé.Lesoleilsecouchait.Commejel’avaisdeviné,lamaisonformaitunL.Alors que devantma chambre une piscine rectangulaire dominait le paysage, àma droite, je pouvaisapercevoirlesalon,lasalleàmangeretlacuisineplongésdansl’obscurité,ainsiqu’uneterrasseoùsetrouvaientunetable,deschaisesetunecuisined’extérieur.J’avais une soudaine envie de liberté ; la chambre était peut-être grande,mais j’avais l’impression
d’étouffer.Toutétaitsi impersonnel,parfait, lisse,propre…Jen’étaispaschezmoi…Jemesurprisàsourirebêtementenimaginantlesalonencombrédeslivresetdesjouetsd’Ethan.Troismois…Une boule d’angoisse se forma dansma gorge. J’ouvris la baie vitrée et sortis. L’air
chaudethumideremplaçaleconfortdelaclimatisation.Jefisquelquespasverslapiscine,yplongeailamainpourapprécier la températurede l’eau.Parfaite.Je jetaiunrapidecoupd’œilautourdemoi : lamaison était plongée dans le noir. Il était épuisé, il avait pris un somnifère. Il dormait.MmeThomasl’avaitdit.J’ôtaimessandales,puismondébardeuretmonsoutien-gorge.Monshortetmaculotterejoignirentle
restedemesaffairessurlesdallesbordantlapiscine.Une vague de douceurme gagna dès que j’eus plongé un pied dans l’eau tiédie par le soleil de la
journée.Jem’immergeaiavecdélice.Aprèsavoirnagéunbonmoment,jesortis,trempée,récupéraimesaffaires et retournai dansma chambre. Trempée, je frissonnai, cherchai une serviette dansma valise,m’enroulaidedansetm’étendissurlelit.Troismois…Centcinqmilledollars.Untiersdelasommedontj’avaisunbesoindésespéré!Ma main chercha à tâtons le fascicule de Mme Thomas. Il était plutôt épais. Tant de pages pour
détailler lesbesoinsd’unvieuxmonsieur!Dudossiermédicalà l’entretienetaufonctionnementde lamaison,enpassantparlesnumérosdespersonnesàcontacter,toutyétait.Je feuilletai le fascicule jusqu’à la page Exigences de M. Rick Thomas. Goûts alimentaires,
déroulementdesesjournées,rendez-vousimportantspourlesprochainessemaines,heuresdelever,desiesteetdecoucher,visitesautorisées…Waouh!Ilyavaitmêmeunparagraphe«intimité»!Dans un gloussement, je fis voler les pages jusqu’au dossier médical. Merde. Ce type était un
ressuscité!Jefrissonnaiàl’énumérationdesmultiplesopérationsqu’ilavaitsubies.Ellesdataienttoutesdesixsemainesaumoins.Ilmesemblaitpourtantqu’àpartird’uncertainâge,lesmédecinslimitaientlesanesthésiesgénérales.Quelâgeavait-il,d’ailleurs?Jelus:—Fracturenondéplacéedutrochiterdroit(hautdel’humérus),immobilisationparplâtrepourune
duréedesixsemaines.—Deuxcôtesfissurées.—Fractureducoccyx,immobilisationdubassinpourunmois.—Fracturede ladiaphysedu fémurdroit, traitementpar cerclage, vis et plaques, appui interdit
pendanttroismois.—Doubles factures tibia/péronédroit et gauche, gouttièresplâtrées, appui interdit pendantdeux
mois.—Fracturedelamalléoleexternedroite,traitementparvis,appuiinterditpendantunmoisetdemi.Unressuscité!Unhommeridéparl’âge,plâtrédelatêteauxpieds!Unpeuplusmarrant:ildevait
fairesonnertouslesportiquesdesécuritésursonpassage.Jecontinuaimalecture:—Perforationdesintestins,traitéeparchirurgie.Àcejour,aucuneséquelle.—Rupturedelarate,traitéeparchirurgie,retraitdel’organe.Àcejour,aucuneséquelle.— Traumatisme crânien. Après trois jours de coma, M. Thomas a récupéré toutes ses facultés
motricesetcérébrales.Persisteencoreaujourd’huiunelégèreamnésiepost-traumatique.Cevieillardn’étaitpasunressuscité,c’étaitunrépudiéduparadisetdel’enfer!NiDieuniLucifer
n’enavaitvoulu!
Chapitre2
Douchefroide
Jenesavaismêmepasqu’unecuisined’unetelletaillepouvaitexister.Enréalité,jelesavais,maisjen’enavaisjamaisvudepareille!Etilnes’agissaitpasseulementd’unecuisine.Lapièce,rectangulaire,étaitgigantesque.Descanapésencuirdisposésl’unenfacedel’autreaubout,
unetablepourdixpersonnesentouréedechaisesaumilieu,etlacuisinesurmadroite.Côtéjardin,uneverrièreremplaçaitlemursurtoutelalongueur.Toutétaitblancounoir,vitréoulaqué.J’avaispeurdeposerundoigtquelquepartetd’ylaissermes
empreintes.L’îlotcentralétaitaussigrandquelatabledelasalleàmanger:jem’imaginaisdéjàconfectionnerdes
tonnesdeplatsetdegâteaux!J’aimaisfairelacuisine.Ettoutlemondeappréciaitmacuisine.SurtoutEthan.Magorgeseserra.Je
repoussailavaguedenostalgiequim’envahissaitetpensaiaumessageréconfortantdemamère:Toutvabienici.Noust’aimonstouslesdeuxtrèsforts.Maman.Bon.Au travail.Petitdéjeunerà8heuresprécises ! Je fouillai lesplacards,cherchant farine,œufs,
lait,beurre,poêle…J’eusbiendumalàfairefonctionnerlamachineàcaféultrasophistiquéeetlaplaqueà induction pour préparer les pancakes de M. Thomas. J’étais bien loin de ma ridicule cafetière àl’italienneetdemapetitegazinière!Finalementaprèsunbonquartd’heure, jevinsàboutdematâche.J’avaissuivilesinstructionsàla
lettre.Assiettedesixpancakes,siropd’érable,mugdecafésanssucremaisavecunelichettedelait,letoutdisposésurunplateau,jepouvaisenfinservirM.RickThomas–aliasWolverine!J’avaissoignémonapparence,nevoulantpas,unefoisdeplus,passerpourunesouillonetavaisenfilé
unecombinaisonnoire, large,ceinturéeà la tailled’un lacetencuir.Unequeue-de-chevalpournepasêtregênéeparmescheveuxpendantlessoinsetjusteunepointederimmelsurlescils.Pasdefonddeteintnidefardàjoue,l’airhumideetchaud,au-dehors,nelepermettaitpas!Monplateaudanslesmains,jefrappaiàlaportedeRicket,aprèsavoirentenduun«entrez»secet
autoritaire,jem’exécutai.Les rayonsdusoleilpénétraientdans lachambreà travers lagrandebaievitrée. Jedevinai l’entrée
d’unesalledebainsfaceàmoi.Unegrandependeriesoutenaitlatêtedulitdanslequeljevislesdeuxjambes et le bras droit, plâtrés, deRickThomas.Au fondde la chambre, je vis un fauteuil roulant etd’autres appareils médicaux. Face au lit, un meuble hi-fi et un écran plat colossal diffusaient lesinformationslocales.J’avançaijusqu’aulit.—Bonjour,M.Tho…Oh!Merde!Monmaladen’étaitpasunvieillardàlapeauflétrieparl’âge,maisunputaindejeune
homme !Mon cœur avait littéralement sauté dema poitrine ; j’en aurais fait tomber le plateau si jen’avaispasétéadroiteetsurtoutsimesmusclesnes’étaientpasfigés.Laboucheouverte,lesyeuxexorbités,jenesavaisplusquoifaire:sortiretrentrerunefoiscalmée?
Poser le plateau et revenir dans une heure ? Mon pouls s’affolait alors que deux yeux bleus medétaillaientavechostilité.Enfin,uneréactiondemoncorps:mesjouessemirentàrougirdevantl’hommeallongédanssonlit
médicalisé.—Quoi?hurla-t-il.Jefaispitiéàcepoint?Commesij’avaisreçuunélectrochoc,maboucheserefermaetmesmusclesserelâchèrent(enfin).La
têtedulitserelevapourluipermettred’êtreenpositiondemi-assise.Ilgrimaçalégèrement.Jemeretinsde lui demander s’il avaitmal. Je le détaillai : cheveux en bataille châtain clair, des yeux d’un bleumoucheté demarron surmontés d’épais sourcils, unnez trapumais court, unemâchoire saillante dotéed’uneombredebarbe,uneboucheauxlèvrescharnues.Parpitié,non!Pasça!Unplâtreimmobilisaitsonbrasdroitetlemaintenaitpliésursapoitrine.Deuxcicatricesmarquaient
sonflancetsonventreencoremuscléjusteau-dessusdunombril.Jen’osaismêmepasimaginercequ’ilétait avant ça…Mes yeux voulurent descendre plus bas, mais les doigts au bout de son bras valideclaquèrent.Monregardrevintàsonvisage.Sessourcilssefroncèrent.—J’espèrequec’estencorechaud,vuletempsquevousavezmisàpréparermonpetitdéjeuner.Était-iltoujoursdemauvaisehumeurlematin?Sansluirépondre,jecherchaiduregardoùposerleplateau.—Vousavezlaissévotrelanguesurlepasdelaporte?Ilpouvaitdirecequ’ilvoulait,jenerépondraispas.C’étaitunedemesqualitésprofessionnelles:je
savais faire abstraction de ce genre de commentaires. Je paraissais peut-être fragile, voire simplette,avecmescheveuxblonds,mesyeuxgrisetmapeaublanche;jen’enétaispasmoinsunepersonnequelavien’avaitpasépargnée(etqu’ellen’épargnaittoujourspas!).Peut-êtrequec’étaitpourcetteraisonquej’aimaism’occuperdesautres.Peut-êtreaussiqueçamepermettaitderelativiser.Quoi qu’il en soit, je ne ressentais aucune pitié. Rick remarcherait un jour, son état n’était pas
irrémédiable. Et il avait assez d’argent pour se payer des soins de qualité et une auxiliaire de vie àdemeure,cequin’étaitpaslecasdelaplupartdesAméricains!Jetrouvaiunetabletteàroulettes(ouunadaptabledanslelangagehospitalier)àlagauchedesonlitet
ydéposaisonplateau,lesourireauxlèvres.—Bonpetitdéjeuner,monsieurThomas.Avez-vousbesoind’autrechose?—Ellen’apasperdusalangue,commenta-t-ilenfaisantroulerlatablettedevantlui.Jecontinuaiàl’ignorer.Apparemment, iln’avaitbesoinderiend’autre.J’entreprisdevidersonpotdechambre,alorsqu’il
faisaitsemblantdes’intéresserauxinformationsdiffuséessurl’écrantoutenmangeantsespancakesausiropd’érable.La spacieuse salle de bains était carrelée du sol au plafond deminuscules carreaux de faïences de
différentesnuancesdegris:ilyavaitunedoucheàl’italiennedanslefond,unebaignoireaumilieu,deuxlavabosintégrésdansdesmeubleslaquésenfaceetdestoilettes.Jerinçailepot,lemisàsécheretrejoignismonpatient.Ilavaitrepoussél’adaptablesurlecôtédulit,
certainementpourmesignifierqu’ilenavait terminé.Jepinçai les lèvresencomptantquatrepancakesdansl’assiette.Quelgâchis!— Je neme raserai pas aujourd’hui. J’ai rendez-vous avec le chirurgien demain, annonça-t-il sans
mêmemeregarder.Leshommesetleurspoils!Raséstroptôt,çalesbrûle,raséstroptard,çalesgratte!Je ramassai le plateau et le rapportai jusqu’à la cuisine avec une soudaine envie de respirer autre
chosequel’airsaturédetestostéronedesachambre.Justetroismois…Jeprislecheminduretour.Iln’avaitpasbougé.Bienentenduqu’iln’avaitpasbougé!Ilnepouvait
rienfairesansmoi.Saufpeut-êtreagitersa languedevipèrepourme lancerdes remarquesacerbesettapoterduboutdesdoigtslazappettedelatélévision.—Vousn’avezqu’àme laisserunebassined’eauet lenécessairede toilettesur la tablette, jevous
appelleraiquandj’auraifini.Son tonavait légèrementchangé. Ilévitaitdeme regarderetavaitmêmedélaissé la télévisionpour
fixerleplafond.Encoreunefois,jem’exécutai,puisjelelaissaiàsamauvaisehumeuretm’aventuraidanslejardin.L’airétaitchaud,maisrespirable.Jenepourraispasendireautantlorsquelesoleilseraitauzénith!Je
m’assissurlereborddelafenêtre,ledosappuyécontrelemur,lesyeuxfermésetlesoreillestenduestantôtversleclapotementdel’eaudelapiscine,tantôtverslepostedetélévisiondeRickquidiffusaitlesprévisionsmétéode lasemaine.Laspeakerineannonçait les températuresdes joursàvenir,quinedescendraientpasendessousde30°C,etlesrisquesdeprécipitations.—Fini,lâchamonpatientgrognon.Jemelevaietlerejoignis.L’odeurdesonsavon,àlafoissucréeetbrute,avaitparfumélachambre.
Voyantsesyeuxtoujoursfixésauplafond,jemeretinsderireenmedemandants’ilavaitfaitsatoilettecommeça.J’enfilaiungantdetoilettesurmamaindroiteet,alorsquejem’apprêtaisàletremperdanslabassine,
Rickmesaisitlepoignet.—Qu’est-cequevousfaites?Comment ça,qu’est-ceque je fais? Jemouille legant, je le savonneet je te lave lespartiesdu
corpsquetunepeuxpastoucher…Merde.Toucher.Soudain, j’avaisde l’empathiepour lui.M’imaginantàsaplace,prisonnièredecesplâtresetdece
corpsbriséetsurtoutdépendantedesautresaupointdedevoiraccepterquequelqu’und’autredusexeopposémefassematoilette.Latoilette.Unmotsimplequidésignequelquechosedesiintime.Est-cequej’auraisaccepté,moi?—Quelâgeavaitlaprécédenteauxiliairedevie?luidemandai-je.—Enquoiçavousregarde?OK. Je m’imaginai en pleine séance de yoga. Inspirer. Expirer. Bien entendu, je n’en laissai rien
paraître.—Nousallonsrepartiràzéro.Jem’appelleOceana.Jesuisvotrenouvelleaideàdomicile.Je…— Je sais tout ça, me coupa-t-il sans pour autant lâcher mon poignet, qui commençait à être
douloureux.Jen’avaispaslamoindreenviedem’énerver.Çanem’arrivaitquetrèsrarementmais,quandj’étais
partie,jemettaisbeaucoupdetempsàmecalmeretjamaissanspasserparlaphase«torrentdelarmes».—Vousmefaitesmal.Ilregardasamainetdesserrasesdoigts,sanspourautantlâchermonpoignet.Jerepris:—Bon.Vuquevousn’êtespasenclinàfairedesefforts,jevaisvousexpliquermonpointdevue.Je
mefousroyalementdumembrequisetrouveentrevosjambes,jemefouségalementdesatailleetdesagrosseur, et encore plus de ce que vous faites avec, d’après le paragraphe « intimité » de la listed’instructions!Jeveuxseulementvousaideràfinircequevousavezcommencé.Àsavoirvousfrotterledosetnettoyervosjambes!Alorsquesesyeuxlançaientdeséclairs,àcemot,sonregardvacilla.—Paslesjambes.—Vousn’aurezqu’àgarderledrapsurvous…—Non,mecoupa-t-il.Jevousenprie.Tout.Maispaslesjambes.Surprise,jeplissailesyeux.Iln’étaitplusquestiondefiertémaisdeterreur.Jemedoutaisqu’ildevait
souffrir,aprèstoutescesopérations.—OK.Unautrejour.Samainmelâchaenfin.Ilcapitulait.S’aidantdelapotencesuspendueau-dessusdesatête,ilsepenchaenavant,m’autorisantl’accèsàson
dos,alorsquemamainreplongeaitlegantdanslabassined’eau,quasifroideàprésent.Il guettait chacun demes gestes, comme s’il appréhendait ce que jem’apprêtais à faire. Ses doigts
étaientcrispéssurledrapdulit.Jemerendissoudaincomptequejemeretenaismêmederespirer,depeurdeletraumatiser.Aufond,jepréféraisleRickbougonetméchant.—Ditesquelquechosequipourraitm’agacer,ordonnai-je.Sansmêmeréfléchir,illança:—IlsnevendentpasdemaillotsdebainàNewYork?Mon sang rejoignit mes sandales. Non. En réalité, il rejoignit mes joues. Elles devaient être
cramoisies.Malgrélaclimatisationetlegantmouillésurmamain,j’avaissoudainchaud.Trèschaud.Saremarquenem’avaitpasagacée,ellem’avaitnoyéedanslapiscineoùjem’étaisbaignéenue,la
veille…Jeprisunegrandeinspirationetposailegantfroidsursapeau.Ilfrissonna.Jecommençaiàlaverson
dosmarquédecicatrices.Jepinçaileslèvrespourmeretenirdeluidemandercequiluiétaitarrivé.Mesmouvementsétaientmécaniques,dépourvusdesensibilité–toutlecontrairedecequejefaisaisavecmespetitsvieuxduquartier.Ilfrémitdenouveaulorsquemamainlibreappuyalégèrementsursonépaulepourm’aideràatteindre
l’autreboutdesondos.—Plusdecinquante,jecrois,murmura-t-il,lavoixenrouée.Jenecomprispastoutd’abordcequ’ildisait.—Ellesavaienttoutesplusdecinquanteans,précisa-t-il.
Elles?Combiendefemmesavait-ilmisesàlaportesansmotif?Jerinçailegant,repassaisurlestracesdesavonpourôterlamousseetm’endébarrassaienlejetant
dans la bassine. Je lui jetai sa serviette sur les épaules, l’essuyai rapidement et récupérai tout sonnécessairedetoilette.Devantlaporte,jedemandai:—Je supposequevousnevoulezpasvous lever ? J’aurai le talkie-walkie si vous avezbesoinde
quelquechose.Ilneréponditpas.Tantmieux!Pourl’instant,jenevoulaisplusl’entendre!Cethommeétaitquelqu’un
d’abjectetdeméprisant.Est-cequej’auraislecouragederesterlàtroismois?Ethan… ma seule réponse. Oui. Même s’il m’en coûtait de faire preuve d’indifférence envers un
malade,pourlapremièrefoisdemavie.Jene le revispas avant le repasdumidi. Il nem’appelapasune seule foisde la journée. Jene le
regrettaipas.J’avaisbesoindemefaireàl’idéeque,demain,j’allaisdevoirunenouvellefoisletoucher,etpasseulementsondos.Jedevaisaussiveillerà la rééducationdeses jambeset, tôtou tard,desonbras.Ce soir-là, avant deme coucher,ma conscienceprofessionnellem’incita à passer voir si tout allait
bien.L’écrandetélévisionéclairaitsonlitetsonvisage.Crispé.Lefrontplissé,lamâchoireserrée,ilnem’entenditmêmepasentrer,bientropconcentréàfairefaceàquelquechosequejeconnaissaisbien.Sadouleur.Jem’appuyaicontrelemur,hésitantàluivenirenaide.Jemehaïssais.Là.Toutdesuite.Pourhésiter.
Qu’importequiilétait,moijesavaiscequej’étais.Etçanemeressemblaitpasderesterlààrienfaire.—Vousavezmal?Iltournalatêtesivitequejecrusentendreunedesesvertèbrescervicalescraquer.—Qu’est-cequevousprenezd’habitude?—D’aborddutramadol,dit-ilentresesdents.—OK.Jetrouvailescomprimésdansl’armoireàpharmaciedesasalledebainsetluientendisun.Illegoba
rapidement.—Merci,dit-ilenfinsansmequitterdesyeux.Merci.J’avaisservisesrepas,nettoyésondos,vidésapissedanslestoilettessansqu’ilmeremercie.
Etlà,alorsquejen’attendaisrien,ilfaisaitpreuved’humanité.Peut-êtren’était-ilpassimauvais,aufond?Avantdequitterlapièce,jel’avertis:—Demain,nousferonsleschosesàmamanière.Oh,etpendantquej’ypense,fermezvosstores:je
compteprendreunbaincesoir.
Chapitre3
Papillons
Cettenuit-là, jeneprispasplusdebaindeminuitqueRicknefermasesstores.Enrevanche, jefissouventlanavetteentresachambreetlamiennepourvérifierqu’iln’avaitplusmal.Chaquefois,c’étaitpareil : jepassaislatêtedansl’embrasuredenotreportecommune,ilplongeait
sesyeux,presquesansvie,danslesmienspendantquejescrutaissonvisageetsoncorpsàlarecherchedessignesdeladouleur.Puis,unefoiscertainequetoutallaitbien,jeretournaisdansmonlit.Finalement,àdeuxheuresdumatin,ils’endormit.J’éteignissatélévision,vidailepotdechambreetje
mecouchaiàmontour,mécontentedemoi.Jen’étaispasquelqu’undeméchant.Qu’importecequ’ilavaitfaitoucequ’ilferaitàl’avenir,jene
devaispasentenircompte.Lematin,alorsquejepréparaissonpetitdéjeuner,letalkie-walkiegrésillapourlapremièrefois.—Justeuncafé,Oceana,s’ilvousplaît.Jenesavaispassijedevaisbloquersurmonprénomousursonsoudainélandepolitesse!Justeuncafé.Je savais pourquoi il n’avait pas d’appétit. Son rendez-vous avec le chirurgien. Il redoutait une
mauvaisenouvelle.Quandonadéjàpassésixsemainesentravédansunlit,onn’apasenviedevoirlenombredejoursquirestentavantd’ensortiraugmenter.Rickavalasonmugdecaféavecdifficulté,leregarddanslevide.Iln’attenditmêmepasquejesorte
delachambreouquejeluitourneledospourcommencersatoilette.Jemeretiraidiscrètementdanssondressing. Sa garde-robe allait du simple short de bain au costard à mille dollars. Il avait plus devêtementsquetousleshabitantsdemonquartierréunis!—Oceana?Jeluimontrailatenuequej’avaischoisie.Ilhaussafranchementsonépaulesaineetsepenchaenavant
pourmelaisseraccèsàsondos.Sansmefaireprier,jeposaisesaffairesetattrapaisongantdetoilette.Cettefois,c’étaitdifférent.Il
nemeguettaitpas,ilsecontentaitdefermerlesyeux,latêtebaissée.—Pourquoivousnemeditespasqueçavabiensepasser?murmura-t-il.Sa question me prit au dépourvu. Je reposai le gant dans la bassine, résignée. Il avait besoin de
réconfort.S’ilavaitétéunenfant,jel’auraisserrédansmesbras.S’ilavaitétéunepersonneâgée,jeluiauraiscaressélefront.Maisc’étaitlui.Unjeunehommedemonâge.—Jen’aipasàdireça.Jenesaispas.Laseulechosequejepeuxvousdire,c’estquejeserailà,avec
vous.Sansm’enrendrecompte,j’avaissavonnémamainnue.Jefronçailessourcilsenpensantqu’iln’allait
pasapprécierquejeletouche.Maiss’ilétaitcommemoi?S’ilavaitbesoindefixersonattentionsurautrechosepouroubliersonprincipalsouci?
Lesdoigtstremblantsetlabouchecrispéeparl’appréhension,jeposaimamainsursanuque.Cefutinstantané.Satêteseredressa,sespaupièress’ouvrirentetilfrissonna.—Sivousénoncezneserait-cequ’unsynonymedumotpiscine, jevousenfoncemesonglesdansla
peau,l’avertis-je.Jesentisqu’ilretenaitunrire.Sapeaubrûlanteglissaitsousmesdoigts.Mespassagesétaientnidoux
ni brutaux. Je ne l’effleurais pas. Je ne lemassais pas. Je le lavais. Simplement.Mes doigts avaientenvie, pourtant, de faire plus.Maisma conscience professionnelle les retenait. J’obligeaimes yeux àregarder le travaildemesmains,passonvisage,ni sesdoigtssur ledrap. Je regrettaipresqueque latélévisionsoitéteinte.—Merci,dit-ilunefoisquej’eusterminé.Jesouristoutenrejoignantlasalledebainsaveclesaccessoiresdetoilette.J’avaisréussi.J’eusàpeineletempsderevenirqu’ilétaitdéjàentrainderetirerlesgouttièresplâtréesdesesdeux
jambes, labouche torduepar ladouleur.Àmonapproche, il fronça lessourcilsetprécipitasesgestespourenfinir.Les muscles de ses jambes étaient amaigris par leur immobilisation forcée. Une cicatrice violette
marquaitsacuissedroitesurtoutelalongueur,deuxpetitessestibiasetdeuxautressamalléoledroite.Chaquecicatriceportaitlesmarquesdesagrafesôtéesdanslespremièressemainesquiavaientsuivilesopérations.Ellesétaientparfaites.Niboursoufléesniinflammatoires.Cen’étaitpas elles, leproblème.Leproblème, c’était lesmultiplesopérations sur sesmembres, le
découpageetleslésionsdesesmusclesetdesesnerfs.—Sivousnevoulezpasquejetouchevosjambes,vousmeguiderezetjemecontenteraideremonter
leshortpendantquevousvoushissezaveclapotence,luidis-je.Ilhochalatêteetpassaseulsesjambesdanslesouverturesdushort.Jerestaislà,malàl’aise,parce
quejenepouvaispasl’aider.Non.Parcequ’ilnevoulaitpasquejel’aide.C’étaitça,monproblème.Ilnem’acceptaitpas.Ilneme
faisaitpasconfiance.Il agita son bassin d’un côté puis de l’autre pour enfiler, avec l’aide de son bras valide, son short
jusqu’àmi-cuisse.Mesdoigtsnouésdansmondos,jemeretenaisd’intervenir.—C’estàvousmaintenant,dit-ilenfind’untonlas.Latêtetournéeversladroite,haletant,Rickévitaitdemeregarder.Jevoulaisluidirequej’étaistout
aussigênéequelui.Etsagênenourrissaitlamienne.—Finissons-en,cracha-t-ilenécartantbrutalementledrap.Ma vue n’eut pas le temps d’anticiper son geste – et je dirais même qu’elle se précipita sur son
membre.Waouh!Sij’étaisunhommepourvudumême…atout,jen’auraisaucunehonteàlemontrer!Jemesecouai,glissaimesdoigtsentrel’élastiquedesonshortetlehautdesescuisses.Ilsehissaàla
forcedesonseulbraspoursouleversonbassin.Mesyeuxsortirentpresquedeleursorbitesàlavuedesespectorauxparfaitementdessinés.Jedéglutisunenouvellefois.Alorsquemesmainsremontaientsonshortenhautdeseshanches,mesyeuxrencontrèrentlessiens.
Sonregardétaitinquiet.Ilétaitsiprès.
Siprèsquejepouvaispresquesentirsachaleur.Toutétait tropprès.Mapoitrinedesonbuste.Mesyeuxàlahauteurdesabouche.Jeperdaispied.Moncœurfaisaitdesbonds.Monventresetordait.Mesjouesmebrûlaient.Monregardvacillait.Enfin,sonbrassedétenditlentementpourreposersonbassinsurlelit.Jelâchaiprise,meredressai
précipitammentettournailatêteàlarecherchedesondébardeur.Non.Enréalité,jemecachais.—Vousêtessûredevousfoutreroyalementdecequisetrouveentremesjambes?railla-t-il.Royalementquenon!—Jel’aiprislepluslargepossiblepourfairepasservotrebrasplâtré,annonçai-je.—Pourquoivousnemeditespascequevouspensezvraiment?Cequejepensaisdequoi?Jeluitendissondébardeur.Ilcroisalesbras.—Uneréponsepouruneréponse,ledéfiai-je.—OK.—Pourquoivousnemelaissezpasvousapprocher?—Jenecroispasque«approcher»soitlebonterme.D’autantquevousvenezdem’approchersans
quejevousenempêche.Jerougis.—Voussaveztrèsbiencequejevoulaisdire.—Siçapeutvousrassurer,dit-ilenfin,vousm’avezplusapprochéet touchéenvingt-quatreheures
quetoutesmesanciennesaidesàdomicileréunies.Alors,qu’est-cequevouspensez?—Laréponsenevapasvousplaire.—Jepensepouvoirsurvivre.—Vousêtesunhomme,jesuisunefemmeetjesuisloind’êtrelesbienne.Alorsjenesaispassi je
seraicapabledem’occuperdevous.Laseulechosequimeretientici,c’estlesalaireetpeut-êtreaussi,maintenant,cequevousvenezdemedire.Ilmedévisageaavecunetellehargnequej’eusl’impressionqu’ilmegiflait.Jel’avaisprévenu.Maiscommeill’avaitdit,ilsurvivrait.Plusunmot,plusunseulregardnemefutaccordé.Jen’eusdroitqu’àsonsilence.Dansl’ambulance.
Àlaradiologie.Àlacafétériadel’hôpital.Danslasalled’attenteduchirurgien.Ànotreretour.Ilrestafigéetcrispé,animéparuneragequejenecomprenaispas.Etmêmelorsquelechirurgienluiannonçalabonnenouvelle,ilsecontentadehocherlatête.Labonnenouvelle?Leplâtredesonbrasluiavaitétéôté.Sontrochiterétaitconsolidé.Rééducation
douce.Pasdecharge,nidetractionpendantquinzejours.Cesoir-là,commelaveille,jevisqu’ilsouffrait.Sansqu’ilnemedemandequoiquecesoit,jeposai
sonprécieuxtramadoletunebouteilled’eausursatabletteetfilaidansmachambre.J’avaisbesoinderéconfort.Jenevoulaisqu’uneseulechose.Entendrelavoixd’Ethanetdemamère.
Alorssansregarderl’heure,égoïstement,jem’emparaidemontéléphonepourlesappeler.Auboutde la troisième sonnerie, alorsque je faisais les centpasdansmachambre, j’entendisune
voix.Enrouéeetpresqueendormie.
—Allô?—Oh,maman,situsavaiscommejesuisheureusedet’entendre.Je…CommentvaEthan?Nous nous étions promis certaines choses à ne pas dire ni évoquer, avant de partir. Que je lui
manquais.Qu’ilmeréclamait.Leseffortsqu’ilfaisait.Lesmauvaisespasses–siellesnemettaientpassasantéendanger.—Ilvabien,machérie.Netefaispasdesoucipourlui.Cematin,noussommesallésauparcet,cet
après-midi,nousavonsfaitdesgâteaux.J’essayaisd’imaginerlabouched’Ethanpleinedechocolat.—Ildort?—Oh,machérie.Ilest23heurespassées.Ethandortdéjàdepuisplusdedeuxheures.Je…tuveux
quejeleréveille?Moncœurseserra.J’avaisl’impressiondelequitterunesecondefois.—Nonmaman.Laisse-ledormir.Sajournéeadûl’épuiser.—Jesuisdésolée,machérie.Sesparolesmecaressaient,commesijepouvaismeblottiraucreuxdesesbras.—Jetelaisse,maman.J’essaiederappelerplustôtdemain.Enréalité,jenevoulaispasqu’ellecomprennequej’avaisbesoindepleurer.—Tuneveuxpasmeracontercommentçasepasse?Jementis:—Toutsepassebienmaman.Jetelaisse.Jet’aime.Etjeraccrochai,lesyeuxpleinsdelarmes.Cettenuit-là,jeneprispaslapeinedevérifiersitoutallaitbienpourRick.Jen’avaispaslaforcede
l’affronter. Je n’avais pas la force de me lever et encore moins de le voir m’ignorer. Et surtout, jecraignaisdeluihurlerqu’iln’étaitqu’unimbécile,qu’unjourilremarcheraitetqu’àcemoment-là,ilserendrait comptequ’il avait choisi de renoncer à vivre au lieudeprofiter du sursis queDieu lui avaitdonné.J’avais peur, aussi, car cematin, j’avais eu ces petits papillons dans le ventre. Ceux-làmême qui
pousseraientn’importequiàfaireuneconnerie.Ceux-làmêmequiavaientdisparu,cinqansplustôt.Etjenem’étaispasdonnéletempsdeleslaissers’épanouirpourquelqu’un.Lesjoursquisuivirentfurentmonotones–etaphones.Legantavaitretrouvésaplacesurmamain.Etlatélévisionmefaisaitlaconversation.Jemelevaisplustôtpourcourir.Jepassaisdesheuresdanslacuisineàpréparerdebonspetitsplats,
desheuresdevantlatélévisiondudeuxièmesalon,desheuresàregarderleplafond,desheuresànerienfaire!Levendredisoir,j’eusledéclic.JusteaprèsavoireuEthanautéléphone,quim’avaitcriédesmilliers
defoisqu’ilm’aimaitjusqu’àlalune.Justeaprèssonrireetsesconfidences:ilavaitcachéduchocolatsoussoncousin,ilétaitamoureuxdeMaelle,lapetitevoisine,jedevaisgarderlesecret.C’étaitmoiquiavaisri.Tellementquelorsquej’avaisraccroché,mesjambesm’avaientmenéejusqu’à
lachambredeRick.Mon sourire s’effaça de ma bouche à l’instant où mes yeux croisèrent les siens. Ils n’étaient pas
rageurs.Ilsn’étaientpasfroids.Ilsm’imploraient.
—Vousavezmal?—Ondiraitqueletramadolnefaitpaseffetcesoir.—Qu’est-cequevousprenezquandçanesuffitpas?—Jeneveuxpasprendreplusfort.Jedormiraipendantdeuxjours,etladouleurseradeuxfoisplus
intenseaprès.—OK.J’allaistournerlestalonsquandilmerappela:—Oceana?Vousavezditqu’onferaitàvotremanière.C’étaitquoi?—Ladernièrefoisquejevousaiditcequejepensais,masincéritém’avalutroisjoursdesilence,
ironisai-je.Ilgrimaça.—Uneréponsepouruneréponse?—Pourquoivousavezréagicommeça?—Parcequejenesuispasplusattiréparlesmecsquevousparlesfemmes.Etquej’avaisbesoinde
réfléchir,desavoircequejevoulaisvraiment…—Etquelleconclusionenavez-voustiré?—Sijeréponds,çamedonneradroitàdeuxquestions.Ilsouritet,avantqu’iln’ouvrelabouche,jeposaiundoigtsurseslèvres.Jel’ôtaiaussisec.—Alorstaisez-vous.Ilsouritdeplusbelle.Jerougissais,j’enétaissûre.—C’estquoi,votremanière?—Çanevaencorepasvousplaire.—Jusqu’àprésent,messensnesesontjamaisplaintsdecequevousavezditoufait.Cramoisieetdéconfite!Ilauraitpudire«piscine»,c’eûtétélamêmechose!—Où?Oùavez-vousmal?—Mesjambes.Rienquedeledirelefaisaitsouffrir,etlapeurselisaitdenouveausursonvisage.Moiaussi,j’avais
peur.J’appréhendaiscequejem’apprêtaisàfaire.Finalement,jeprisladirectiondemachambre.—Enlevezvosgouttières,jereviens,soufflai-jesansmeretourner.Lespapillonsétaientencorelà,àl’affût.
Chapitre4
Cetruc
—Ilvafalloirquevousmefassiezconfiance.Elle se tenait là, devantmes jambesmonstrueuses.Faibles.Douloureuses.Elle était là, à seulement
quelquescentimètresdemoi,lesmainsdansledos,avecsonmerveilleuxpyjama.Avait-elleconsciencedecequ’elleportait?J’auraisfeintd’avoirmaltouslessoirspourlavoirmarcherprèsdemonlit,poursentirsonodeurdevanille,pourappréciersoncorpsdanssonpetitshortensatinbleunuit.Etquediredesondébardeurdontlesbretellessifinestombaientsansarrêtdesesépaules?Illaissaitdevinerlaformerondedesesseinsmaisnecouvraitpaslehautdesonbuste.J’avaisenviedeluidirequeçan’étaitpasenellequejen’avaispasconfiance,maisenmoncorps.
Elle.Elle, je lui avais fait confiancedès l’instantoù elle avait posé sesyeux surmoi. J’y avais lu lacompassionetlachaleur.Aucunecrainte.Aucundégoût.Jesuisloind’êtrelesbienne.Qu’est-cequeçavoulaitdire?Quejel’attiraismalgrémesblessureset
monimpotence?Impossible.Quivoudraitdemoi,telquej’étaismaintenant?Mêmecellequej’avaiscruêtre l’amourdemaviem’avait rejeté.Celleque j’avaispassépresqueuneannéeentièreàcouvrirdebaisersautantquedecadeaux.Cellequim’avaitdemandédequittermesrêvespour lessiens.Poursedétournerdemoiàlasecondeoùj’avaiscesséd’êtrel’hommequ’elledésirait.Etpourcouronnerletout,ilyavaiteulaphrasedetropdemonpère:«C’esttafautesitueneslàaujourd’hui.Lesfemmesontbesoind’unhommestableetpasd’ungaminàlarecherchedesensationsfortes.»—Rick?Vousmefaitesconfiance?insista-t-elledesavoixdouce,ensorcelante.—Jenesuisplusàçaprèsmaintenant,murmurai-je.Quelcon!Biensûrquejeluifaisconfiance.J’espérais chaquematinqu’ellequitterait le gantde toilettepourme toucher. J’espéraisunnouveau
rendez-vous avec le chirurgien pourme noyer encore une fois dans ses yeux. J’attendais le soir pourl’entendrerireautéléphoneetpourvoirsatêteblondepasserdiscrètementdansl’embrasuredelaporte.Et maintenant, je voulais qu’elle touche une nouvelle fois mes lèvres de son doigt… J’en sentais
encorelachaleuretleparfum.Maréponsenel’avaitpasrassurée.Ladouleurdemesjambesdevenaitinsupportable.Çanes’arrêtaitjamais.C’étaitlancinant.Laseule
chose qui pouvait la calmer un peu, c’était de contractermesmuscles, sauf qu’avec les gouttières, latâcheserévélaitimpossible.—Fermezlesyeux,ordonna-t-elle.—Horsdequestion.Jenevoulaispaslavexer.—Jesuisdéjàclouédansunlit.—Alorsregardezailleurs,insista-t-elleenagitantsapetitemaindevantelle.
J’avaisvraimentmal.Mesjambesmebrûlaient,etmesdoigtsnesupportaientplusd’êtrecrispéssurledrap.Maisjevoulaislavoirrougir.—Vousavezpeurdemoi?essayai-je.Loupé. Elle s’agita, disparut derrière la penderie. La lumière s’éteignit. Il ne restait plus que la
luminositédel’écrandematélévision.Jerécupérailatélécommandesurlatabletteetlafourraisousmonoreiller.Ellenem’auraitpas.Elle réapparutpar lagaucheet jetauncoupd’œilsur la tablette,à l’endroitoù la télécommandese
trouvaituninstantauparavant.Jenepusretenirunsourirevictorieux.Qu’elleviennelarécupérersiellelaveutvraiment!—Vousêtespeut-êtrebienéquipé(Dequoiparlait-elle?),maisjenecroispasquevotretélémarcheà
l’énergiesolaire.Elledisparutderrièrelelit,àmespieds,sibienquejedusmeredressersurmonbrasvalidepourla
voir.Elletâtonnaitsurlesol,àquatrepattes.Jevoyaislesillondesesreins,lanaissancedesesfesses.Elleneserendaitvraimentpascomptedecequ’ellefaisait!Latélévisions’éteignit,plongeantmachambredanslenoir.Moncœursemitàcourirunmarathon.Ma
respirationdevintplusdifficileettousmesmusclessecrispèrentàl’unisson.Sasilhouetteréapparutdevantmoi,uneombreparfaitementdessinée.—Latélévisionm’aideàpenseràautrechose,avouai-je.— Celle qui vous fait le plus souffrir : la droite ou la gauche ? murmura-t-elle en s’approchant
dangereusementdulit.Jesentisledrapremontersurmesjambes.Lentement.Jusqu’àmonbassin.—Droite.Jenevaispasyarriver,continuai-je.Jenesaispascequevouscomptezfaire…—Jevaismasservosjambes.Moncœurmanquaunbattement.Sontonétaitrésignéetamer.Commes’il luiencoûtaitdelefaire.Ellepritsontubedecrèmeet le
pressadansunedesespaumes.Jedéglutis.—Pourquoivousfaitesça?—Jenevaispasvouslaissersouffrir.Ellesedéfaussait.Encoreettoujours!Jevissesmainssefrotterl’uneàl’autre,laissantéchappersonodeur,quim’étaitdevenuesifamilière.
Etquejecommençaisàaimer.—Non.Pourquoivousnemedonnezpassimplementmamorphinepourpouvoirallervouscoucher?—C’estcequevousvoulez?Alorsqu’elleprononçaitcesmots,sesmainsseposèrentsurlehautdemacuissedroite.Simplement
posées,sidouces,maisdéjàsipossessives.Jedusm’agripperdeuxfoisplusfortaudrappournepasrâler.—Jecontinue?demanda-t-elle.
Si je lâchais leouique jepensais si fort, comprendrait-ellequ’ilne s’agissaitpasqued’unsimplesoulagement?Oui,jevoulaisqu’ellecontinuejustepourapprécierlecontactdesesmainssurmapeau.Oui,jevoulaism’imaginerqu’ilyavaitlàplusqu’unbanalmassagethérapeutique!Maisilnes’agissaitpasdemondos.Ils’agissaitdemesjambesrepoussantesetlaides.Jedécidaidegarderlesilence.Sesmains humectées de crème glissèrent surma peau, diffusant leur chaleur. Elles circulaient d’un
bout à l’autre de ma cuisse, ébranlaient ma chair de la plus délectable des façons. Ma respirationdevenaitanarchique.Moncerveaum’envoyaitdesimagesinsenséesdesesdoigtssurmapeau.Jeperdaispied.—Ilfautvousdétendre.Tendu.Ohoui,j’étaistendudehautenbas.Etc’étaitpeut-êtrepourçaquej’étaistendu.Parcequeje
redoutaisqu’elledevinelabossequinaissaitsousledrap.Parcequejeredoutaisqu’ellenelafrôledesonbras.—Unaveupourunaveu?demanda-t-elle,brisantlesilenceNouveaujeu.—OK.C’était tout ce que j’étais capable d’articuler. Ses mains descendaient lentement sur mon genou –
toujourslemêmemouvement,toujoursaussibienfaisantetdangereux.Ladouleurcommençaitàs’estomper.Pourtant,j’étaistoujoursaussitendu.—Vousaviezraison,j’aipeurdevous,soufflé-t-elle.Peurdemoi?Jenevoulaispasqu’elleaitpeur.Non.Onne touchepasquelqu’undecettemanière
quandonapeurdelui!—Avectoutelavolontédumonde,jenepourraisrienvousfairedanscelit,lâchai-jefinalement.—Ça…Je…Laisseztomber.Jerêvaisouellebégayait?!Si j’avaisapprisquelquechosesurOceana,encinqjours,c’étaitbien
qu’elleneselaissaitjamaisdéstabiliser.Seulessesjoueslatrahissaient,maisellenes’énervaitpas.Ellenecriaitpas.Ellenepleuraitpas.Entouscas,pasdevantmoi.Bonsang.Avantmêmederéfléchir,mamainatteignitlalampedechevet.Lalumièreéclairasesjoues
écarlates,sesyeuxgrismefoudroyèrent.Elle ôta brusquement ses mains de mon tibia et les leva. La fraîcheur de l’air les remplaça
douloureusement.—Vousnevousrendezmêmepascomptedecequevousavezdit,dit-ellecalmement.Elleavaitretrouvétoussesmoyens.—Etvous,vousm’avezditquevousaviezpeurdemoi!Jenevousveuxaucunmal!Bonsang,non.Quedubien!—Jemesuismalexprimée.Laisseztomber.Ellemefitunsignedumentonendirectiondelalampedechevet,pourquejel’éteigne.—Unaveupourunaveu,vousavezdit.(Ellehochalatête.)Jeveuxvousvoirfaire.Elletressaillit.Blêmit.Maisdequoiavait-ellepeur,bonsang?
—Prenezçapourdel’éducation.Sivousmemontrez,jesaurailerefaire.Mêmesijen’avaisaucuneenvied’apprendre!Jenevoulaisquesesmainsenvoûtantessurmapeau.
Seulementlessiennes.Ellerelevaunemècheblondeévadéedesaqueue-de-cheval,puislâchaun«OK»résigné.Non.Jenevoulaispasqu’elleserésigneàmescaprices.Tantpissijenelavoyaispas.J’éteignislalumière.Aussitôt sesmains reprirent leur travail.Délicatement.C’étaitcommeunecaresse.Cette fois, jeme
détendis. J’avais bien trop peur qu’elle me lâche une nouvelle fois. Je ressentais chacune de sesondulations.Chaque appui de ses doigts.Chaque frictionde sa paume.C’était puissant et enivrant. Jelaissaismêmelesfrissonsmesecouer.—Dequoiauriez-vousenvie?demanda-t-ellesoudain.Jemetendisinstantanément.—Vousvousrendezcomptecequevousmedemandez?—Oui.Jevousdemandecequivousferaitplaisir?Ellerecommençait.Quevoulait-ellequejeréponde!Quej’aimeraisramenermoi-mêmesamèchede
cheveuxderrièresonoreille?Quej’aimeraisfaire tomber labretelledesondébardeur le longdesonépaule?Quej’aimeraisqu’ellerougisseencorequandjeparleraidepiscine?—Oceana.Jesuisseul.Toutnusousundrap.Avecvousquimetouchez.Etvousmedemandezcequi
meferaitenvie?Jesuiscertainquevousnevoulezpasréellementlesavoir!Ellemelâchaaussitôt.Quelcon!—Allumezlalumière,ordonna-t-elle,tranchante.Jem’exécutai.Elleagitaundoigtentreelleetmoi.—Çan’estpaspossible,dit-elle.Jenepeuxpastravaillerpourvous.Jen’arrivepasàignorercetruc.
Moncorpsneveutpasignorercetruc.Jen’étaispasseul.Elleaussi,elleétaitattirée.Parmoi.—Demain,j’appelleraivotremèreetjeluidemanderaidevouschercherquelqu’und’autre.Savoixérailléemefitcomprendrequ’elleseretenaitdepleurer.Jemeredressaietattrapaiundeses
finspoignets.Ellesursautaetplongeasesyeuxgrisembuésdelarmesdanslesmiens.—Combienvouspaie-t-elle?—35000dollarsparmois,récita-t-ellecommesiellesel’étaitditdesmilliersdefois.—Jevousdonnerailedoublesivousrestez.Sonregardvacilla.Elleétaitsiprès.Monavant-brasfrôlaitlesien.—Jesauraitenirmalangue.Jenevousdiraiplusrien.Je…jeprendraidelamorphinetouslessoirs
s’illefaut.Mais,jevousensupplie,nepartezpas.J’auraisvoulupouvoirmemettreàgenouxdevantelle.—Cenesontpasvosparolesquimedérangent.Çan’estpasvous,leproblème.C’estmoi.Jelâchaisonpoignet,parpeurdelablesser.—Alorsjesuisunproblèmepourmoiaussi.—C’estmalsain,lâcha-t-elle.
—Pourquoi?Vousavezunpetitami?Sessourcilsserelevèrent.Non,ellen’avaitpasdepetitami.Biensûrquenon.—Làencore,c’estmalsain!C’estcommesivousmeproposiezd’êtreplusquevotreauxiliairede
vie!—Vousêtesdéjàplusetvouslesavez,chuchotai-je.Son doigt se posa sur mes lèvres. Comme la première fois, son arôme de vanille chatouilla mes
narines. En revanche, cette fois, elle ne l’ôta pas. Je me retenais presque de respirer, dans l’espoirqu’ellenel’enlèveraitpastoutdesuite.Etiln’yavaitpasquecedoigt.Toutsonavant-brasétaitencontactavecmontorse.Ilsuivaitlerythme
demesinspirations.Mesinspirationstropbruyantes.—Taisez-vous,murmura-t-elle.Vousnesavezpascequevousdites. Ici.Danscettechambre.C’est
commesinousétions lesdernierssurvivantsde l’espècehumaine.Noussommescoupésde tout.Noussommes seuls. Tout serait différent si nous étions dehors. Vous ne me remarqueriez pas. Je seraissimplementvotreauxiliairedevie.—Impossible,réussis-jeàarticuler.Sondoigtseretira.—Jepensequevousn’avezplusmal.Dormez,maintenant.Jeresterai.Elle resterait !Jem’écrasaidansmescoussinspourmeretenirdesourirealorsqu’elle regagnaitsa
chambresansmeregarder,sesfessesàl’abridanssonpetitshorty.Jemeprécipitaisurletalkie-walkie.—Oceana?—Laporteestouverte,Rick.Vousn’avezpasbesoindecetruc.Malgrésaremarque,jecontinuai:—J’aienvied’unedouche.Elle réapparut dans l’encadrement de la porte, un sourire aux lèvres. Je laissai tombermon talkie-
walkiesurmonventrepourl’admirer.SoittousleshommesàNewYorkétaientaveugles,soitelleneleslaissaitpass’approcher!—Demain.Enattendant,dormez!Dormir?Bonsang!Siellehabitaitmesrêvescommeelleavaitcaressémesjambes,ilétaitcertainje
n’allais pas pouvoir dormir ! Ou je risquais de me réveiller dans la nuit, frustré, avec, pour uniqueconsolation,leseulplaisirquejepouvaism’accorder:mebranler!
Chapitre5
Nouvellesrègles
Devantlapoêleàpancakes,jebâillaisàm’enfissurerlamâchoire.J’étaisépuisée.J’avaisàpeineeuletempsdeprendremadouche.J’étaistellementpâlequej’auraispuêtrefigurantesurletournagedeTheWalkingDead,avecmesyeuxcernés.Etquediredematenuevestimentaire…leggingnoiretdébardeurblanc.Jefaisaispeineàvoir!Etpourcause : j’avaiseuautantdemalàm’endormirqu’àmeréveiller.Manuitavaitétéplusque
perturbée, au point de penser qu’un rouleau compresseurm’était passé dessus.Chaque fois, c’était lamêmechose.Lemêmerêveérotique (et là, ilnes’agissaitplusdu rouleau,maisdeRick !).Lamêmeimpressionqu’iltenaittoujoursmonpoignet.Sibienquej’étaisalléejusqu’àtoucherl’endroitmêmeoùsamainm’avaitbrûlée.Desdizainesdefois!Ilnem’avaitpasfaitmal.Pascommelapremièrefois.Là,c’étaitaussipossessifquetendre.Etj’avais
aimé.J’aimais toujours.Àcausedece rêve. J’avais tant fantasmésur songeste, toute lanuit,quema tête
s’était persuadée que tout avait été bien réel. Ses lèvres dansmon cou. Samain libre surma nuque.L’autremaintenantmonpoignetau-dessusdematêteenfoncéedanssonoreiller.Sonbassinpressant lemien.L’odeurdebrûlédudernierpancake.Merde…Ça,çanefaisaitpaspartiedurêve.Jem’agitaisoudain.Lepancakerejoignitlapoubelle.Si
quelqu’unm’avait surprise à cet instant, la boucheouverte, les yeux fermés, la tête rejetée en arrière,accaparéeparmonfantasme,j’auraisétécommecepancake…GRILLÉE!Tantpis.Pasletempsdeprépareruneautrepâte.Iln’enauraquecinqcematin.Déjà9h30,soituneheureetdemiederetard…Leplateau.Siropd’érable.Caféavecunelarmedelait.Je fis la moue devant sonmug. Perchée dans mes pensées (sacrément bonnes pensées), j’en avais
oubliédedéjeuner.Troisgorgées.Justetroispetitesgorgées…Jeme tapotaidoucement les jouespourme réveilleret surtoutparaîtremoinsblafarde, et jepris le
plateau.Devantlaportedesachambre,jemarquaiunepause.Réfléchissantàcequejedevaisfaireaprèsla
discussionvraimenttrèsintimedelaveilleausoir.Devais-jecontinueràignorercetrucquimefaisaitorgasmiquementbienrêver?Oulelaisserm’offrirduplaisir?Justes’amuser?Simplementvivretroismoisdifférentsdemaroutinenew-yorkaise?Etaprès?Toutoublieretrepartircommesiderienn’était?Bizarrement,nosjeuxderéponsesetd’aveuxmeplaisaient,commed’excitantspréliminaires.Alors,nousallionsjouer.Sansfrapper, jepénétraidanscequicommençaitàdevenirmonringdeboxepréféré.Lalumièredu
soleilm’éblouit,jeplissailesyeux.Paslongtemps.Ilss’écarquillèrentàlavuedesonsexedressé.—Bonjour,articula-t-ild’unevoixpâteuse.Jenevousaipasentenduefrapper.Ils’étiralentementenbâillant.Mesmainsnesavaientquefaireduplateau.Matêtes’évertuaitàtrouverunesolutionpourmesmains.
Mespiedsgigotaientauboutdemesjambespouraidermatête.Mabouchesemanifestaenfin.—Bonsang,Rick,couvrez-vous!Ils’exécutatoutenbafouillant:—Oh.Désolé,c’est…Jenelecontrôlepas.C’estcommeçatousles…—Taisez-vous!Jesaiscequec’estqu’uneérectionmatinale!Jecontournailelitetposaileplateausurlatablette.Ilnousfallaitvraimentdesrègles!Ilnepouvaitpasfaireçadèsledébutdelajournée!—Pendantquevousdéjeunez,jevaispréparervosvêtements.—J’aiunevisite?s’inquiéta-t-il.Jedécelaiunecertaineamertumedanssavoixmaism’abstinsdeposerlamoindrequestion.Çaneme
regardaitpas!—Non.Jenecroispas.Maislevépourlevé,vouspourrieztesterlecanapédusalonpourregarderla
télévision.J’enprofiteraipourchangerlesdrapsdevotrelit.Ilsempestentlavanille!Unsouriresedessinasurseslèvresalorsquesessourcilsserelevaient.—J’aimebienlavanille.Çanonplus,ilnepouvaitpaslefaire!Ilmefallaitvraimentréfléchiràdesrègles!—Vouspourrieztoutaussibienlefairependantquejemelave.—Pasdedouche,alors.—Sic’estun jeu,vousallezperdre. (Il fit rouler sa tablette jusqu’à lui.)OKpour lecanapé,mais
vousvenezavecmoi!—J’ailerepasàpréparer…—Jepourraisvousaider…aprèslecanapé…—C’estquoivotreplan,là?Jen’arrivaismêmepasàcroirequej’avaisditça.Aller sur le canapé ? Avec lui ?Manger des pop-corn et me blottir dans ses bras devant un film
d’horreur?Ilrécupérasonmugetjetauncoupd’œildedans.—Ilyaeuunsouciaveclamachineàcafécematin?s’inquiéta-t-il.GRILLÉE,commelepancake!—Passeulement;j’étaismalréveillée,j’ailoupélespancakesaussi,mentis-je.—Vousrougissez.Bonsang!Pourquoifallait-iltoutletempsquemesjouesmetrahissent!—J’aibutroisgorgées,jen’aipaseuletempsdedéjeuner.Réfléchissantàmonaveu,ilplissalesyeux.
—Oùavez-vousposévoslèvres?demanda-t-ilenfin.—Jevaisvouschercherunautremug,sil’idéequemaboucheaitputouchercelui-làvousrévulse!D’abordétouffépuisplusfranc,sonrireemplitlachambre.C’étaitlapremièrefoisquejel’entendais.
Ilétaitdouxetmélodieux.Deuxpetitspliss’étaientformésaucoindesesyeux.J’étaisfrustréedenepascomprendre.Ilsefoutaitdemoi!Jememordisleslèvres.—Jesuisdésolé.Je…Ilétouffaunnouveaurire,seraclalagorgeetreprit:—Jevoulaissimplementposermabouchesurlavôtre.Jenepusm’empêcherdeleverlesyeuxaucielavantdem’enfuir.—Jevousavaisditquevousperdriezàcejeu,entendis-je.Ilvoulaitjouer?J’allaisjouer.Avecluietsesnerfs.Jerebroussaicheminetm’assisauborddulit.D’ungestevif,jeluidérobaisatasseetlaportaiàma
bouche le plus lentement possible. Après quelques gorgées, je la retirai, les yeux fermés, ma languelangoureusementappuyéesurmalèvresupérieure.—Délicieux,dis-jeenfinenrouvrantlesyeuxsursaboucheentrouverte.Gagné!Sonregardchargédedésirmerenvoyatoutdroitdansmonrêve,medonnantl’impressionqu’ilallait
faire valser la tablette et les pancakes grillés à travers la chambrepourme sauter dessus.Bientôt, ceseraitmoisonpetitdéjeuner,jemeservaissurunplateau!Unechaleurnaquitdansmonventre.Jenepusmeretenirdejeteruncoupd’œilàsabouche,roséeet
attirante,quiserefermaaussitôt.J’avaisétépriseenflagrantdélit!—Mangezmaintenant.Mercipourlecafé,dis-jeavecuncalmeforcé.Jemelevai,toujoursprisonnièredubleudesesyeux.—Douched’abord.Nousdéjeuneronsensembleaprès,grogna-t-il.Jemeretinsderépliqueretpréférailâcher:—Commevousvoulez.Ilétait sous ladouchedepuisaumoinsunedemi-heure : j’avaiseu le tempsd’aérer lachambre,de
changer ses draps, de remplir une machine à laver et de lancer le programme, et j’attendais, le dosappuyécontrelaparoidudressing,unsignedeviedesapart.Depuisquesondeuxièmebrasétait libre, iln’avaitpresqueplusbesoindemoipourmanipuler son
fauteuil.Grâceàlatailledelapièce,sesjambesmaintenuesenl’airparlescale-piedsnelimitaientpassesdéplacements.Dorénavant,iliraitàladouchetouslesjoursUnenouvellerègleàimposer!—Faischier!entendis-jesoudainmalgrélebruitdel’eauquicoulait.Jemeredressai.—Oceana?J’aifaittomberlasavonnette!Jen’arrivepasàl’atteindre!—Démerde-toi,chuchotai-jepourmoi-même.—Oceana!
Zut!Demainj’attacheraislesavonàuneficellereliéeàsonfauteuil!—Jevousaientendu,dis-jeenentrantdanslasalledebains.Lachaleurdelapiècem’enrobainstantanémentalorsqueleparfumdecemauditsavonm’étourdissait.—Coupezl’eauetcachez-vous,soufflai-jedansl’amasdevapeur.J’avançailentementverslavastedoucheàl’italienne,oùilavaitfaitentrersonfauteuil.Ilétaitdosà
moi.Enentendantleclapotisdemessandalesdansl’eaustagnanteducarrelage,iltournalatête.—Elleestdanslecoin,là-bas,m’indiqua-t-il.Bienentendu,ellenepouvaitpasêtrevers l’extérieurde ladouche,mais forcémentà l’autrebout !
Mauditesavonnette!Moncœurmartelaitmapoitrine.Tousmessensétaientenalerte,envoyantdessignauxàmoncerveau.
C’étaitunguet-apens!Lavapeurcommençaitàsedissiper.Jevoyaislasavonnettecontrelemur,devantRick.Jecontournai
lefauteuiletjelaramassai.PuisjelatendisàRickenévitantdeleregarder.—C’estladernièrefois,l’avertis-je.Sonregardfroidetperçantmefitfrissonner.—Vouspensezque je l’ai fait exprès !Vousnecroyezpasquec’est assezdifficilepourmoi ?De
savoirquejenepeuxrienfairesansvous?Jefislamoue.Ilvenaitdeselavertoutseuletilprétendaitqu’ilnepouvaitrienfairesansmoi!Je
levailesyeuxaucieletfitvolte-face.C’estalorsquelasemelleencuirdemasandaledroiteglissasurlecarrelagetrempé.Lagauchesuivit
alors quemesmains s’évertuaient à trouver une prise.D’un côté, lemur embué se déroba sous l’uned’elletandisquel’autretrouvait,troptard,sonbonheursurlemitigeur.Troptard,j’aidit!LebrasvalidedeRickm’avaitretenue,ramenéeverslui.J’étaisassisesursescuisses.J’étaisaussitrempée!Enm’accrochantaumitigeur,jel’avaissoulevé.L’eaucoulaitàflots,sefracassantdansunbruitsourdsurlecarrelagetraître.Àtraversletissutrempédemondébardeur,jepouvaissentirlachaleurdeRicksurmapeau.J’étais
captivedesonemprise–etdemesenvies.Saboucheétaitàquelquescentimètresdelamienne.Cettebouchequeseulmondoigts’étaitautoriséà
toucherjusqu’àmaintenantetquemesyeuxfixaientintensément,commes’ilspouvaientlacaresser.Sonsouffle,aussianarchiqueetprofondquelemien,nefaisaitqu’accroîtremondésirdel’aspirer.Tout devenait délicieusement machiavélique. De l’atmosphère confinée au creux de ses bras, aux
battementsdemoncœurdansmaculotte.Oui.Jenedésiraisqu’uneseulechose,qu’ilmepossèdeunpeuplus de sa chaleur, qu’il me domine un peu plus de ses muscles, et que sa bouche m’arrache desgémissementsdeplaisir.Sonbrasdroitmequitta,pourquesamainpuisseécarterunemèchedemescheveuxcolléeàmajoue.
Unecascadedefrissonsdévalalelongdemoncou,m’arrachantunsoupir.Cegeste…Cen’étaitpasungestedesauvegarde,niuneffleurementinvolontaire,commelorsquejel’avaisaidéà
s’habiller.Non.Ilavaitposésamainsurmajoueparcequ’illedésirait.—Malsain,vousavezdit?murmura-t-il.
Sonpoucecaressamalèvreinférieure.Oui.Délicieusementmalsain.—Commentfaites-vouspourrésisteràcetruc?continua-t-il.Jem’imposaisdesrègles…—Sivousrestezsurmoiuneminutedeplus,jenepourrai…Mondoigtlebâillonna.— Taisez-vous, murmurai-je, haletante, alors que mon sexe tentait de se rebeller. Une semaine.
Donnez-moiunesemaine.Unesemaineavecmesrègles.Si,àl’issuedecettesemaine,ilyatoujourscetruc… jevous laisseraidictervospropres règles. (Il hocha la tête sousmondoigt toujours collé à sabouche.)Lapremière : caleçon,ou slip,oucequevousvoulez,maisvousnedormezplus toutnu. (Ilsourit.)Ladeuxième:douchetouslesmatinsetensuitepetitdéjeunerdanslasalleàmanger,unlitçasertà dormir. (Je repoussai mon désir d’y faire autre chose alors que ses sourcils se relevaient.) Latroisième:vousnemeregardezpluscommevouslefaites,ouentouscasvousvousmontrezplusdiscret.Laquatrième : plus aucun sous-entendu.Aucun.La cinquième : la savonnette reste dansvosmainsouattachéeparuneficelleàvotrefauteuil.(Ilsourit.)Lasixième:vousfaitesvosexercicesderééducationtouslesjours,sansrechigneretseul,jeneserailàquepourvousguider.(Là,ilgrimaça.)Laseptième:sortie obligatoire tous les deux jours à l’extérieur, je vous laisse le choix du lieu et de l’heure.Vouspréférezmesmainsouvotretramadol?(Ilappuyasabouchesurmondoigt,mefaisantcomprendreainsiqu’ilrejetaitlesmédicaments.)OK.Huitièmeetdernièrerègle:jeviendraitouslessoirsvousmasser,enrevanche,sivousmanquezàuneseuledesrèglesprécédemmentcitées,iln’yaurarien…nimains…nitramadol.Sestraitssedurcirent.Ilpritmamainetôtaavecdouceurmondoigtdesabouche.L’eauchaudecoulaittoujoursabondammentsurnous.Latensiondesesmuscles,contremoncorps,me
faisaientvibrerdel’intérieur.J’étaisauborddumalaise.—Ellesprennenteffetàpartirdequand,vosrègles?Savoixrauquemefitfrémird’avantage.Jedéglutisentredeuxbattementsdecils,enproieàlapanique.Sesdoigtss’ancrèrentsurmamainà
présentposéesursontorseimposantetmusclé.Justeau-dessusd’unedesescicatrices,àl’endroitmêmeoùsoncœursemblaitvouloirs’extirperdesacagethoracique.Commelemien.Acharnéetfracassant.—Maintenant,réussis-jeàdire.—OK.Mais j’ajouteunedernière règle.Laprochaine foisquevous touchezmaboucheavecvotre
doigt,jevousembrasse.Jen’euxpas le tempsde lui répondre, ses lèvresétaientdéjàcolléesauxmiennes.Toute la tension
accumulée dans mon ventre sembla se précipiter dans mon entrejambe, faisant pulser mon sexe quis’embrasait.Unbaiserfougueuxethâtif.Instinctivement,j’yrépondis.M’aidantdemamainsursanuque.Appuyant
de toutesmes forcesmes lèvres sur les siennes, alorsque sa langue s’immisçait dansmabouche à larecherchede lamienne.Si longueet sidure…Jen’osaismêmepas imaginercequ’ellepourrait faireplus bas sur mon corps. Un gémissement s’échappa de sa bouche. À la limite entre la plainte et lesoulagement.Seslèvresdélaissèrentlesmiennesetdescendirentsurmonmenton,moncou,dégustantmapeau.Mon cœur martelait ma poitrine. Je suffoquais sous son assaut. Ses baisers se faisaient plus
passionnés,incontrôlables.Unpeucommemespenséesrationnelles,écartéesenblocparmespulsions.Dansunrâle,sabouchequittalehautdemonbuste,remplacéeparsonfront.Pantelante,jesentisses
musclessetendre,commes’ilsoulevaitunechargehorsducommun.—Nous…commença-t-il,laissantsaphraseensuspens.Jeconnaissaislasuite.Nousallionsfaireuneconnerie!Bienquebelleetdélectable,çaresteraitune
connerie!Iln’yauraitplusdelimites.Iln’yauraitplusderègles.Commelahuitièmeetdernière.Leseulplaisir
quejem’accorderais.Pouvoirletoucher.Enunbaiser,ilvenaitdelesbalayer.Jesouris,haletante,danssescheveux,alorsquesonsouffleembrassaitmapoitrine.—Puni…soufflaije.Pasdemassagecesoir.Ilseredressa,leslèvresencoregonfléesparnosbaisersetlesyeuxpétillants,etmurmura:—Çaenvalaitlapeine.Etilavaitraison.Lesrèglesétaientfaitespourêtretransgressées,aprèstout…
Chapitre6
Mantereligieuse
Cen’étaitpaspossible,ellelefaisaitexprès!Vêtued’unmaillotdebaindeuxpiècesrouge,Oceanalisaitunlivre, lespiedsdansl’eau.Jedevais
presqueplisserlesyeuxpourlaregarder,tantlesrayonsdusoleilsereflétaientsursapeausiblanche.D’ailleurs,elleneresteraitpasblanchelongtemps,siellerestaitlà.—Tum’écoutes,Rick?MesyeuxquittèrentOceanapourmamère,assiseenfacedemoidanslesofaencuirdugrandsalon,
dosàlapiscine.Assisdansmonfauteuilroulant,jen’avaisqu’àfaireglissermonregardpourobserverlabaigneuse.Discrètement.Mamèreétaitarrivéelematinmême.Jenem’étaispasrenducomptequenousétionsdéjàmardi,jour
devisite.Etlatêted’Oceanalorsqu’elleavaitentendulaported’entrées’ouvrirm’avaitapprisquejen’avaispasétéleseul.—Bienentendu,maman.TuparlaisdeGeorges,répondis-jeenfin.En réalité, j’avais juste perçu quelques bribes de phrases concernant l’hôtel géré par mon frère
Georges àNewYork. Jeme foutais royalement des hôtels de la famille.Ça avait toujours été le cas,d’ailleurs.Jen’avaisfaitminedem’yintéresserquepourfaireplaisiràKristen,quivoulait,commemonpère,quejereprennelagérancedeceluideMiami.Mamâchoiresecrispa.J’avaistoutfaitpourelle.Vendumonclubdesportaquatiqueetpromisàmonpèrededevenirledirecteurdesonprestigieuxhôtel.Et maintenant ? J’en étais là. Dans cette maison, sans elle, sans mon affaire et sans aucun revenu,dépendantdemonpèreetdesonhôtelderiches!Oceanaavaitposésonbouquinetnageaitdanslapiscine.Unevraiesirène!Lescheveuxramenésen
unchignonbienhaut,lunettesdesoleilsurlenez.Jenevoyaisplusquesesbrasetsatête.—JedoisvoirlamèredeKristendanslasemaine,annonçamamèreavecdésinvolture.Jeluilançaiunregardquiendisaitlong.Ellel’avaitfaitexprès!—Jeneveuxriensavoir,lâchai-jed’untonacerbe.—Kristenreviendra.Tulesaistrèsbien…—Nedispasça,maman.Jenesuismêmepassûrdevouloirlarécupérer.Non,jen’enétaisplussûr.—Tuesunidiot,monfils.Tucroisavoirétéleseulblessédanscettehistoire?Kristenaeulapeurde
savie…Çarecommençait.Jelevailesyeuxauciel.— Elle m’a quitté parce qu’elle pensait que je n’allais jamais m’en sortir, et tu continues de la
défendre.Sic’estpourmeparlerd’ellequetuesvenue,tupeuxrepartir.Troisjoursaprèsmasortieducoma,monmeilleurpote,Carl,étaitvenum’annoncerqu’elleavaitplié
bagage…Leslèvresdemamèresepincèrent.—Non.Jevaisdemanderàtonassistantedeviedenouspréparerquelquechoseàmanger.—C’estdéjàprêt,sifflai-je.Maisjevoudraisqu’elleaillemechercherquelquestrucsenville.—Dequoias-tubesoin?Jepeuxdemanderàmonchauffeur…—Non.LaisseOceana (Elle tiquaà l’énoncéduprénom.)yaller,ça lui feradubiendequittercet
endroitquelquesheures.Jefistournermesrouespourm’avancerjusqu’aupetitmeubleplacédansl’entrée.J’ouvrisuntiroiret
ensortislesclésdemaJeep,macartedecrédit,unblocetunstylo.Jegriffonnaissurunefeuillecedontj’avaisbesoin–ouplutôtcedontelleauraitbesoin :de lacrèmehydratantepour ses futurscoupsdesoleil,unerobebleueàsatailleet…unedernièrechosepourlefun.Jepliaidélicatementlepapierenquatreetrepartisverslesalon.Oceanan’étaitdéjàplusdansle jardin.Jeregrettaid’avoirratésasortiedelapiscine,quim’aurait
rappelésonpremiersoiràlamaison.Mamèrem’observait,deboutdanslacuisine.Sonregardsévèreendisaitlongsurlaconversationqui
m’attendait.Manifestement,elledésapprouvaitmarelationtropamicaleavecOceana.Parfois,jemedemandaissijefaisaisvraimentpartiedecettefamille.Pourelleetmonpère,richesse
etgentillessenes’employaientjamaisdanslamêmephrase.Aucuneaffectionpourlepersonnel,toutjusteune politesse glaciale. Par personnel, j’entendais les employés des hôtels et ceux de leur immensedemeure,enpassantparleurchauffeur,dontj’étaiscertainqu’ilsneconnaissaientmêmepasleprénom,jusqu’auchefcuisinier,quitravaillaitpoureuxdepuissilongtempsquejenem’ensouvenaismêmepas.Alorsm’entendreappelermonaideàdomicileparsonprénom,alorsquejen’avaisjamaisacceptéles
précédentes…Mamèrem’avaitvudanslesalon,raséethabillé,certainementunpeuplussouriantqued’habitude;ellem’avaitmêmesurprisentraindefairemarééducation.Elleavaitdûentirercertainesconclusions.Qu’est-ce que j’allais dire à ma mère ? Même moi, je ne savais pas quoi penser. Cette fille me
perturbait.Etquediredecebaiser.Bonsang.C’était……toutaussidélicieuxquemauvais.Passonbaiser,non.Loindelà.Ellemel’avaitsibienrendu.Nos
lèvress’étaientassociéesàlaperfection,commesilessiennesavaientétécrééespours’imbriquerauxmiennes.J’auraispresquepuavoirunorgasmeàlasensationdesabouchesurlamienne.Etquediredesesfrémissementsauxpassagesdemalanguesursapeau…J’auraispubanderrienqu’à
ypenser.Etc’étaitencelaquec’étaitmauvais.Oceanaavaitraison,c’étaitmalsain.Pasparcequejepourrais
avoirunrapportsexuelavecelle,monaideàdomicile,non.Nousétionsdesadultes.Maisparcequejerefusaisd’enavoirunsanspouvoirfairecequejevoulaisavecmoncorps.Alors,enquelquesorte,jesupposaisquesesrèglesm’arrangeaient.Lepremierjour,jelesavaisquasimenttoutestransgressées.Jen’avaisrienàperdre,puisquej’étais
déjàpuni.Surlecanapédusalon,jel’avaisépiéeouvertement,alorsqu’elleessayaitdésespérémentdetrouver
un film susceptible de me plaire. Finalement, elle avait choisi, volontairement, une de ces chaînes
soporifiques sur lesanimaux.La reproductiondesmantes religieuses !Et là, la situationétaitdevenuecocasse. Je m’en étais donné à cœur joie… sur ce truc entre nous… comparant la période dereproductiondesmantes religieusesà saprésencechezmoi, lamêmedurée, lamêmesaison,d’août àoctobre.Puisellem’avaitfaitfrémirenrépétantavecsarcasme,laphrasedelaspeakerine:Parfois, ilarrive que la mante dévore le mâle pendant ou après l’accouplement. Elle commence par la têtependantquelecorpsdumâlecontinueàcopuler.Stop.C’étaittroppourmoi!Elleavaitgagné.En revanche, j’avais énoncé le mot « truc » des centaines de fois. J’avais refusé de faire ma
rééducation,prétextantquelesoir,j’allaiscertainementavoirtrèsmaletqu’ellem’avaitdéjàavertiquejen’auraisniantalgiquesnimassages.Malgrétout,j’avaiseuhorriblementmal…toutelanuit…etelleavaittenu.Jel’avaisdéfiéetoutela
journée,ellem’avaitlaissésouffrir.Le dimanche, je m’étais, du coup, montré froid et distant. Pas un regard. Pas un sourire. Pas une
politesse.Jeluienavaisvouludem’avoirlaisséavecmadouleuretjel’avaispresquedétestéepourça.J’avaispenséque,blesséeouvexée,ellefiniraitparexploser.Saufqu’ellen’enavaitrienfait.Ellenes’était montrée que pour mes repas et pour mon coucher ; le reste de la journée, elle l’avait passéeenferméedanssachambre,àfairejenesaisquoi.Cesoir-là, j’avaisentendu lesgrésillementsde sonémetteur.Elle s’était contentéedemedemander
d’unevoixlaconique:«Avez-vousmal?»,alorsqu’ellesetrouvaitdanssachambrevoisine.Oceana n’utilisait jamais le talkie-walkie. Jamais. Là, j’avais compris que je n’avais été pour rien
danssoncomportementpassif.J’avaisaussicomprisquesielleavaitutiliséletalkie-walkiec’étaitparcequ’elle ne voulait pas semontrer.Alors j’avaismenti. Je lui avais répondu que non,même s’ilm’encoûtaitdesouffrirunenuitdeplus.Etj’avaisculpabilisé.Pouravoirétésiconavecelle,toutelajournée,alorsqu’ellen’étaitpasbienet
quej’auraispuessayerdelafairesourireourougir!Etjem’enétaisvouluparcequejenepouvaispaslarejoindredanssachambrepourmerattraper,laconsoleroufairejenesavaisquoid’autre!Justeêtrelà!À cause de ces foutues jambes qui n’étaient pas encore assez solides pour supportermonpoids.À
causedecefauteuilrangétroploindulit.Àcausedemoi,parcequejen’avaispasfaitunseulexercicederééducationpendantseptsemaines.Lelundiavaitsignémonnouveaudépartavecelle.Ellevoulaitquej’obéisseàsesrègles.Jelesavais
toutesrespectées.Saufune.Nepaslaregarder.Ça,çam’étaitimpossible!Jenepouvaispasm’empêcherdesourirelorsqu’elle
rougissaitoudefixersabouche.Non.Règlerejetéeenblocparmatête,mesyeux,moncorps.Elleneserendaitmêmepascomptedecequ’elleétaitpourmoi.Etmoinonplus,àvraidire.Ceque jesavais,c’étaitjustequ’elleétaitcetrucenplus.Commejem’yattendais,elleavaitsurmontésadéprimedelaveille.Melaissantmêmepenserqu’elle
n’avaitexistéquedansmatête!Elleavaitretrouvécepetitairnaïfetcandidequej’appréciaistant,ellesouriaitfacilementetavaitacceptédepasserlajournéeentièreavecmoi.Nousavionspassélamatinéedanslesalon,moiallongédanslecanapé,elleassiseparterre,satête
appuyée contre mon flanc, à regarder une partie de la première saison de Grey’s Anatomy. C’étaittoujoursmieuxquel’accouplementsordidedesmantesreligieuses.Bienentenduj’avaisétéobligédemerongertouslesonglesdesmainspournepaslatoucher!Puis,l’après-midi,j’avaisfaitmarééducationpendantqu’elleenchaînait lesexercicesdegymnastique.Bonsang, ses fessesdanssoncollantnoirdedanseuse!Heureusementqu’elleétaitdedos,sinonj’auraisétépuniunenouvellefois!
—Voilà,jesuisprête.Àquelleheuredésirez-vousquejerentre?Lavoix timided’Oceanam’arrachaà la contemplationmornede labaievitrée. Je ladétaillai.Bon
sang ! J’aurais aimé sortir avecelle. J’étais incroyablement jalouxde tousceshommesqui allaient laregarder.Sonshortenjeanétaittellementcourtquesontopblanclecouvraitpresque!Elleavaitmêmedétachéseslongscheveuxblonds,quidévoilaientàtraversleursmèchesuneépauledénudée.Elleplissalesyeuxetsegrattalagorge.Jel’avaistropregardée!Jepriaipourqu’ellenemepunisse
paslesoir.—Jeseraispartieà15heures,l’informamamèred’untonagacé.Elleluisouritpolimentetrépondit:—Trèsbien.Jevaisappeleruntaxi…—Pas la peine.Tenez (Je lui tendis les clefs dema Jeep.), faites-y attention, je comptebienm’en
resservirunjour.Etvoilàcequ’ilmefaut.Ellerécupéramesclésetmacartedecrédit,lesfourradanssonsacàmainetpritmonpapierqu’elle
déplia.Ellerougitinstantanément.C’étaitexactementlaréactionquej’attendais.Jevoulaislavoirrougiravantqu’ellenemequitteetmelaisseavecmondragondemère.Sansunmot,ellefitvolte-faceets’éloigna.Bonsang!Sesfesses…Soudain,elleseretourna.Sesyeuxgrisaffrontèrentlesmiens.—Vousavezunepréférencedeparfumspourleschewing-gums?demanda-t-elleavecmalice.Etlà,jelesavais,j’allaisêtrepunipourmaréponse…—Àlavanille!Mêmesijemedoutaisqu’ellen’entrouveraitnullepartpuisqu’ilnes’agissaitpasdechewing-gums
maisdepréservatifs!—J’espèreêtrerentréepour15heures,alors!Elleoffritunnouveausourireàmamèreetsortitdelapièce.Laported’entréeclaqua.Levisageferméetcrispé,mamèremetoisaitcommesiletypeenfauteuilroulant,devantelle,n’était
passonfils.Pourtant, c’était bienmoi.Celui qu’elle aimait à sa façon.Bien entendu, elle nem’avait pas rejeté
commemonpère,bientroporgueilleuxpouraccepterlefaitquesonfilsneluiseraitplusutileavantunbonmoment, l’avait fait,mais elle aurait aimé que je sois différent. Plus commeGeorges,mon frère,autoritaireetréaliste–àleurimage.—Bon,tuvaspeut-êtrepouvoirm’éclairersurcesoudainchangementdecomportement,commença-t-
elle.S’il ne s’agissait que de ça ! J’étais certain de pouvoir lui répondre,même s’ilm’en coûtait de ne
raconterqu’unepartiedelavérité.—Tul’asdittoi-même,Kristenreviendraunjour.Etcejour-là,jeveuxpouvoirêtrecapabledetenir
surmesdeuxjambes.Bientôt17heures,etellen’étaittoujourspaslà.Jefaisaislescentpasdevantlaported’entrée.Façon
deparler.Lesmainscramponnéesàmesroues,jepassaisdusalonàlaporte,espérantlavoirs’ouvrir.
La première demi-heure, je m’étais dit qu’elle n’avait pas vu le temps passer mais, durant lessuivantes,j’étaispassépartouteslesémotionsnégatives.Latristesseetlechagrin:jem’étaisditqu’elleétait partie et qu’elle ne reviendrait jamais – j’avais même pensé à appeler le service GPS pourgéolocalisermavoiture.Puislaterreuretlapeur:illuiétaitarrivéquelquechose.Siellen’étaitpaslàà18heures,j’appelleraistousleshôpitauxetcliniquesdeMiamipoursavoirs’ilsavaientreçuunejeunefilleblondeauxyeuxgrisdanslajournée.Lebruitdumoteurde laJeepmefitmeredresser instantanémentsurmonfauteuil,commesi j’avais
reçuuncoup.Jemeplaçaifaceàlaporte,lespoingsferméssurmesjambes,douloureusesd’êtrerestéessurlescale-piedstoutelajournée.J’entendissespasprécipités,et,enfin,laportes’ouvritsurelle.Premièreidée,fugace.Elleétaitsaineetsauve.Deuxièmeidée,écrasante.Oùétait-ellependantquejem’inquiétais?Sansserendrecomptedel’étatdanslequelj’étais,ellerefermalaporte,essouffléemaissouriante.—Jesuisdésolée,lança-t-elleprécipitamment.Ellesedébarrassadesespaquetsetdesonsacàmainetdaignaenfinmeregarder.Ellefrémit,recula
d’unpas;sonsourires’effaça.Dire que jem’étais fait un sang d’encre pour elle ! Elle qui débarquait deux heures après l’heure
convenue,avecsajoieetsabonnehumeur!—Oùétiez-vous?J’avaiscriécesmots.—J’aieuunsouciavecvotrevoiture.Nevousénervezpas,s’ilvousplaît.Elleagitasesmainsdevantellecommepoursedéfendre.Ellesétaientnoircies.Sontopblancetses
cuissesmontraientqu’elleavaitessayédelesessuyer,envain.—Qu’est-cequevousavezfaitàmavoiture?Jevissesyeuxgrisseplisser.—Ellen’arien.Nevousfaitespasdesouci!répliqua-t-elle,exaspérée.Surprisqu’elles’énerveaussirapidement,jereprisd’untonplusmodéré:—Ques’est-ilpassé?—Jevaisprendreunedouche.Onenparleraquandvousserezcalmé.Ellemedépassapourrejoindrelecouloir.Mesmainss’agitèrentsurlesrouespourlasuivre.—Oh.Maisjesuisparfaitementcalme!J’allaisaussivitequ’elledansmonfauteuil.Elleatteignitsasalledebainsenmêmetempsquemoi.Je
bloquailaporteavecunedemesjambes,meretenantdegrimacersousladouleur.Elleseretourna,unemainsurlapoignée.—Non.Vousnel’êtespas.J’aieuunaprès-mididemerdeetjen’aipasenviedem’énerver!Pourtant,c’étaitexactementcequ’ellefaisait.Etmoiaussi.—Dites-moiaumoinscequ’ils’estpassé!—Jepue.Jesuissaleetj’aimalpartout.Etjevouslerépète,votrevoituren’arien.Mavoiture?Maisellenecomprenaitvraimentrien!—Maisjemefouspasmaldemavoiture!C’estpourvousquejemefaisaisdusouci!
Nouvelleinspiration.—J’aicrevéauretour.J’aimisplusd’uneheureàchangerl’énormerouedelaJeep.Jepeuxprendre
madouche,maintenant?—Jevousenprie,raillai-jesanspourautantquitterlepasdelaporte.—Vousnecomptezpasresterici?—Pourquoipas?Cen’estpascommesijenevousavaisjamaisvuenue.Ellerougitenpensantcommemoiàl’épisodedelapiscine.—Est-cequec’estunsous-entendu?—Vosrèglessontcaduquesaujourd’hui,Oceana.Jeviensdepasserdeuxheuresà fairedesallers-
retoursdanscefauteuil.Ceseraitplutôtàmoidevouspunir,vousnecroyezpas?—Çanemarchepascommeça.Comment ça, ça ne marche pas comme ça ? Alors, celui qui avait toutes ses capacités physiques
décidaitdetout?—Vousnevousrendezmêmepascomptedecequevousdites.Vous.Vouspouvezmetoucher.Vous.
Vouspouvezmeregarder.Vous.Vouspouvezmevoirdansdessituationsplusqu’intimes…—Stop.Jenesuispasvotrepatiente.—C’estcommeçaquevousmevoyez,alors?Seulementcommeça?Elleneréponditpas,maisjenevoulaispasentendresaréponse.Jefisreculermonfauteuiletprisla
directiondemachambre.Jecroisquesonsilenceétaitpirequesielleavaitditquelquechose,finalement.Ildevenaitsynonyme
depitié.Etjen’enavaispasbesoin.Celledemonpèremesuffisaitamplement!—Vousavezmal?Mal?Oui,etellelesavait,alorspourquoimeledemander?Je préférai l’ignorer et continuai de regarder une émission sur la restauration de vieilles voitures
américaines.Jeneluienvoulaisplus.Pourl’instant.Jen’avaismêmepasmangé,laveilleausoir.Unefoisaulit,jem’étaisendormi,épuisé.Jen’avaispas
rêvé;c’étaitOceanaquim’avaitréveilléavecsonrire,cerirequ’elleréservaitàsoninterlocuteurdusoir,autéléphone.Différentded’habitude,moinsfranc,moinsspontané,sonrireavaitatteintmachambreàtraverslesmurssifinsdelasienne.Sanstenircomptedemonsilence,elles’approchademonlit,ydéposasacrèmeàlavanilleetenleva
mesattellesplâtrées.Avecdouceur.Puiselleécartaledraptoutaussiposément.Pourlapremièrefois,ellemelaissait lavoir.Sescheveuxattachésenunchignonlâcheprenaientla
couleurdesimagesdelatélévision.Finalement, jeneluienvoulaisplusdutout.Enlavoyantsiattentive,sidouce,siconcentréesursa
tâche,jenepouvaisplusluienvouloir.Lesyeuxfixéssursonvisage,jeressentaisletoucherlégerdesesdoigtssurmapeau.C’étaitencoreunefoisdifférent.C’étaitdifférentchaquefois.Sesmainsremontaient.Lentement.Lavoirfaire,lesjouesrosiesparl’effort,mefaisaitpresqueperdre
latête.Jefrissonnaidetoutmonêtrelorsqu’ellesarrivèrentàmescuisses.Gagnéparlatendressedesesmainssurmoncorps,jelaissaileplaisirm’envelopper,brûlantetsensuel.Jemefoutaisdesavoirqu’ellepouvaitvoirmaqueuesedresser.Iln’yavaitquesescaressesdansma
tête.
Etpuis,sesdoigtsglissèrentdemapeau.C’étaitdéjàfini.Lefroidavaitremplacésachaleur.Haletanteettremblante,ellerestaitlà,àcôtédemoi,lesyeuxfermés,levisagebouleversé.Mes doigts se hasardèrent à remonter, sur son épaule, la bretelle de sonmerveilleux pyjama. Elle
tressaillitetsecrispa.Jeretiraimamainaussitôt.—Jenelereferaiplus,lâchai-je,amer.Elleplongeasesyeuxdanslesmiens.Samainrepritlamienneetlareposasursonépaule.—Coupdesoleil,grimaça-t-elle.Ondiraitquec’estàvous,cesoir,demesoulager…
Chapitre7
Chocolatfondu
J’étaisterrifiée.J’avaispeurque,commesousladouche,moncorpssemetteàn’enfairequ’àsatête.J’avaispeurquelecontactdesesmainssoitsibonqu’ilmefasseoublierlesbrûluresdemapeau.Est-ceque je levoyais seulementcommemonpatient?m’avait-ildemandé. Ilneserait jamaismon
patient.Ilétaitcetruc…Cetrucquimehantait.Aveclui,danssonregard,sanslui,dansmatêteet, lanuit,dansmesrêves.Maisc’étaitsanscomptersurEthanetmamère,quinecessaientdemerappelercequej’étaisàNew
York. Ma mère croyait toujours que je m’occupais d’un vieillard ; je ne lui racontais rien de mesjournées,sachanttropbiencequ’elleenpenserait.Elleenpenseraitque…c’étaitmalsainetdéraisonnable.Commeje lepensaisavant.Avantqu’ilne
touchemajouesousladouche.Avantqu’ilneposeseslèvressurlesmiennes.Avantqu’ilnegoûtemapeaudesalangue.Avantqu’ilnepassesontempsàessayerdemefairerireetrougir.Avantqu’ilnemefassecomprendrequejecomptaispluspourluiquesonimposantevoiture.Avantqu’ilnemedemandes’ilétaitréellementmonpatient,etriendeplus.Alorsj’étaisterrifiée.Etexcitée.Samainbrûlaitmonépauleautantquemoncoupdesoleil.Ilmeregardait,indécis.—S’ilvousplaît,Rick,l’implorai-je,mesyeuxrivésauxsiens.C’estmoiquiaibesoindevous,ce
soir.Ilrestaitsilencieux,immobile.—Voussaviezquej’enauraisbesoin,repris-je.Sinonvousnem’auriezjamaisfaitachetercettecrème
hydratante.J’yétaispresque.Jepercevaissonsoulagement.Ilvoulaitseulementquej’endiseplus.—J’aivraimentpasséunejournéehorrible.Aprèsavoirtrouvélacrèmeetlarobebleue,j’aiarpenté
lesruesdeMiamiàlarecherched’unsex-shopquivendraitvossatanéschewing-gumsàlavanille(Sesyeux s’écarquillèrent une fractionde seconde.), puis j’ai crevé sur le chemindu retour.Et vous savezquoi?Finalement,çan’étaitpaslepire.Lepireavaitétédenepasavoirpassémajournéeaveclui.Parcequ’aveclui,aumoins,jenepensais
niàEthanniàmamère.—OK.Allezchercherlacrème,dit-ilenfinavecunsemblantdesourire.Jem’exécutai.Quand je revins, unpeumoinsdéterminée, je le découvris assis les jambes écartées
danssonlit.Ilavaitallumésalampedechevetetéteintlatélévision.Danssonlit…Jem’étaisditqu’onferaitçaauborddesonlit,àcôtédesonlit,endehorsdesonlit,
maispasdanssonlit!
Jem’affolai.—Montez,medit-ilentapotantl’espaceentresesjambes.Jedéglutis,autantpourm’aideràrespirerquepourincitermoncœuràcesserdetambouriner.Comme
s’ils’échauffaitavantdecourirunmarathon.Etquelmarathon!—Vousavezrespectélarèglenuméroun?tentai-jeenmontrantledrap.Ilhochalatêteavecunsourireplusfranccettefois.Ilsouriait!Presquedouzeheuresquejenel’avaispasvusourire!Jegrimpaidanssonlitetm’installaisoussonregardamusé.Jeluitendisletubedecrèmeetfermailes
yeuxquelquessecondespourmeforceràpenseràautrechosequ’àlui–lui,derrièremoi.Peineperdue!Assiseentresesjambessursonlit,alorsqu’ilnem’avaitpasencoretouchée,j’avaisl’impressionde
sentirlatensiondesontorsesurmondos.Etpasseulement.Jesentaiscetrucentrenous,indescriptibleetimpalpable,quimefaisaitvibrer.—Jedoislapassersurvotredosousurvotredébardeur?semoqua-t-il.Surtoutmoncorps!hurlamaconsciencedévergondée.J’ôtaimonhautdepyjamasanspouvoirretenirunegrimaceaufrottementdutissusurmapeauàvif.Je
l’entendissegratterlagorge.—C’estsigravequeça?m’affolai-je.—Euh…Non…J’aidéjàvupire.Jediraismêmequejem’attendaisàpire.Deuxmains se posèrent symétriquement surmes omoplates.Appliquées et agiles, elles semirent à
frictionneravecdouceurmondosardent.D’abordsurmesépaules,puislelongdemacolonnevertébraleetenfinsurmesflancs,ellesglissèrentlentementaurythmedemesrespirations,frôlantquelquefoislanaissancedemapoitrine.—Quelleheureest-il?demanda-t-ilenfinensedétachantdemoi.C’étaitterminé.Moncœurmanquaunbattement.—Unpeuplusde23heures,jesuppose,murmurai-je,encorealanguie.—Donc…jeneseraipaspunidemainpuisquenousnesommespasencoredemain?Puni.J’aimaissafaçondedirecemot.Ilprenaituntoutautresensdanssabouche.Ilnes’agissaitplus
d’unesimplesanction,maispresqued’unjeucharnel.—Pourquoivoulez-vousêtrepunialorsquec’estmoiquivousaidemandédemepasserdelacrème?—Parcequejeneveuxpasseulementvouspasserdelacrème…chuchota-t-ilprèsdemonoreille.Moncorpssetenditinstantanément,etsontorseseposasurmondos.Unetraînéedefrissonsparcourut
monéchine.Marespirationsebloqua.Ilsoufflaitsurmondos,tendrement.Commeunelégèrebrisesousunsoleilcuisantenpleinété.—Jeveuxaussivousfaireça…Seslèvresfraîchesseposèrentàl’extrémitédemonépauledroite.Commeélectrocutée, jefrémiset
laissaiéchapperunrâle.Soyeuses,elleseffleuraientmapeaubrûlanteethumidedecrème,lasurvolaient,lentementetdélicatement.Passantd’uneépauleàl’autresansnégligermanuque,commelatraînéed’uneétoilefilante.Jefrissonnaisencoreetencoresoussesbaisersetmelaissaisalleràgémirdansunsouffle,
tandisquemonventreseremplissaitdepapillons.Le dos de samain s’aventura à effleurermon bras gauche alors que sa bouche repartait déjà dans
l’autresens.Majoueseplaquaàlasienne,emprisonnantsonbaiseràjamais.Moncœurpulsadansmaculotte.Sansdifficulté,illibérasatêteetrepritsontravailsurlehautdemanuque.J’avaisenviedegoûtersa
bouche.Maisjenebougeaipas.Jenevoulaispasinterromprecemoment.J’étaissaouledesescaressesetdeseslèvres.—J’aienviedebienplusencore,maisjesuiseffrayé.Vousmefaitespeur,Oceana.Avais-jeledroitdeluidireque,moiaussi,ilmeterrifiaitaupointdeneplussavoirquefairedemes
membres ? Au point de ne plus savoir comment m’y prendre avec lui ? Au point de ne plus savoirrespirersanshaleter?Aupointdenepaspouvoirleregardersansm’imaginercontrelui?Leboutdesdoigtsdesamainfrôlaitmaintenantmaclavicule.—Maisj’aiaussitrèsenviedevouspunir…Aprèstout,c’estmoiquidictelesrèglescesoir…J’osaisàpeineycroire.Ilallaitmesanctionnerenmettantfinàsonétreinte.Néanmoins,saboucherestacolléeàmonépaule,commes’ilavaitdumalàlaquitter.Amère,maistoujoursinondéedepapillons,jedéclarai:—C’étaitmerveilleux,Rick.Merci.Jenevousauraispaslaisséallerplusloin,detoutefaçon.Jemeredressai.Commejesavaisbienmentir!Ilmesemblalevoirtiquerunefractiondeseconde.—Tournez-vous,ordonna-t-il.—Jecroyaisquej’étaispunie,raillai-je(àmoitié!).—Vousl’êtestoujours.Jeveuxsimplementdiscuteretvousvoir.Jeme tournai, les bras croisés,mesmains cachantmes seins. Il se laissa tomber en arrière sur ses
coudespourmieuxmecontempler.J’avais l’impression qu’il dévorait chaque partie demon corps qu’il touchait de son regard ardent.
Mesjouess’empourprèrent,metrahissantunenouvellefois.—J’aiditquejevoulaisvousvoir.—Vousavezdit:discuteretmevoir.D’abord,nousallonsparler.—Vousjouezsurlesmots.—Etvousavecmeshormones.Jesuistrempée.Est-cequej’avaisvraimentditça?!Sesyeuxsemblaients’imprégnerdusouvenirdemoncorps,éclairéparsalampedechevet.—Àquoivouspensez?demandai-jeentredeuxrespirationsanarchiques.—Est-cequeleshommessonttousaveuglesàNewYork?Je ne pusme retenir de glousser. Ça devait faire cinq ans qu’un homme, à l’exception d’Ethan, ne
m’avaitpasvuedanscettetenue!—Sansrire,Oceana.Pourquoiêtes-vouscélibataire?Je n’avais aucune envie de lui répondre. Qu’est-ce que j’allais lui dire ? Que le seul homme que
j’avais cru aimerm’avait abandonnéparce qu’il avait été trop lâche pour affronter lamaladie de sonfils?Quejen’étaispasseulementcélibataire,maisaussimèrecélibataire?Quejepassaismontempsàtravaillerparcequelaviedemonfilsendépendait?Quejen’étaisiciquepourluietpersonned’autre?
Quejen’étaispasseulementunejeunefemmedetrenteans,maisaussilamamand’unmerveilleuxpetitgarçondecinqans?Non.Jevoulaisrester,àsesyeux, lafemmequ’ilavaitvucourirnueensortantde lapiscine.Cellequ’il
faisait rougir et frémir. Celle qu’il avait embrassée sous la douche. Celle qui comptait plus qu’unevoiture.Cellequileterrifiaitcommeunemantereligieuse.Etsurtout…Jenevoulaispasquecetrucnouséchappe.JevoulaissimplementqueMiamiresteMiamietqueNew
YorkresteNewYork.—Etvous?Lesfemmessont-ellestoutesfolles,ici,pournepasvoussauterdessus?Lui aussi parut déstabilisé par ma question. Je crus même voir ses yeux bleus lancer des éclairs.
Commes’ilétaitaniméd’unerageincontrôlable.Quin’étaitpasdirigéecontremoi.—Nouvellerègle,dis-jealors.Jenevousquestionnepassurvotrepasséetvousfaitesdemêmepour
lemien.Lepassérestelepassé.—Jesuisd’accord.Sauvée!Jerepris:—Dequoivouliez-vousparler?—Decettejournéeparticulièrementdéprimante,répondit-ilenfaisantlamoue.—Çanes’estpasbienpasséavecvotremère?—J’auraispréférélapartageravecvous.(Jefondislittéralementcommeunmorceaudechocolatau
soleil.) Ma mère ne sait pas parler d’autre chose que de son argent. Je crois qu’aujourd’hui il étaitquestiond’investirdansunenouvellepropriété.—J’ail’impressionquevousnepartagezpaslesmêmesidées.—Exact.Enrevanche,jeveuxbienqu’onévitedeparlerdemamèrelorsquevousêtesàmoitiénue
devantmoi.Jerougisinstantanémentetchangeaidesujet.—Elleestpourqui,larobebleue?—Pourvous.Demainmidi,nousallonsaurestaurant.Horsdequestionqu’ilm’offrequoiquecesoit !pensai-jeenpremier lieu.Maisenmêmetemps, il
faisaitl’effortdesortird’icipourmoi…Est-cequejepouvaisfondreunenouvellefois?—Jevousrembourserailarobe.—Nesoyezpasbête…Il esquissa un sourire satisfait en voyant mon doigt s’approcher de sa bouche. Je me ravisai
précipitammentetreplaçaimamainsurmapoitrine.Sadéceptionétaitvisible.Loupé!—VousavezvraimentchangélarouedemaJeep?demanda-t-ilfinalement.—Oh,biensûrquenon.J’aiproposéàunroutierdelefaireetjel’aipayéennature.—Quoi!Vousrigolez,là?!s’étrangla-t-il.Jegloussai.—Jenesuismêmepascapabledemeteniràmoitiénuedevantvous,etvousvoudriezquejem’envoie
unparfaitinconnu?—Jenesuispasuninconnuetjesuiscertainquejenesuispasnonplusunsimplepatientpourvous.
Jesuisquoi,aujuste?Comme s’ilm’avait tirée par un fil jusqu’à sa bouche,mes lèvres s’approchèrent des siennes.Mes
mainsdélaissèrentmesseinspoursanuque.—Vousêtescetruc…Etjel’embrassai,certainequ’ilseraitaussiaffamédemoiquejel’étaisdelui.Commelapremièrefois,monascensionémotionnellem’emmenaloindanslafolie.Mefaisantoublier
manudité,mestétonsdurciscontresontorse,mesrèglesstupides,etj’enoubliais!Je n’étais plus du chocolat fondu au soleil, j’étais une Fraise Tagada noyée dans une fontaine à
chocolat!Jesubsistaissoussescoupsdelangueetondulaisdanssesinspirations.—Oceana…Je continuais, jouant avec sa lèvre inférieure et avalant ses gémissements. Il frissonnait sous mes
doigts.Alorsquemoncœurnourrissaitlespapillonsdansmonventre.—Vousrestezavecmoicettenuit?râla-t-il,haletant.Jem’écartaiunpeudelui.Sesyeuxmesuppliaientd’accepter.—Seulementtroisrèglespournousdeuxcettenuit,répondis-je.Short…Jeposaimamainsursaqueuedurcie.—…caresses…Mamainlissalatraînéedepoilsjusqu’àsonnombril.—…etbaisers.Je posaimon doigt bien à plat sur sa bouche, sans redouter la sentence quim’attendait. Ilm’avait
prévenue…Sijerecommençais,ilm’embrasserait…
Chapitre8
AveupourAveu
CommeRicknepouvaitpasmonterdanssaJeep,untaxiétaitvenunousrécupérerunpeuavantmidipournousdéposeraurestaurant.Vêtuedelarobebleueélectriquequej’avaischoisielaveille,jemetenaisbiendroiteàcôtédelui
dans l’entréedu restaurant, souriantcommeune imbécile. J’étaisexcitée, angoissée.Être ici, avec lui,loindesavillaetsurtoutdesonlit,provoquaitchezmoiunsentimentétrange.Uneimpressionquecetrucévoluaitsansquenilui,nimoi,nimesstupidesrèglesnepuissentyfairequelquechose.Soudaininquiète,jel’observaiducoindel’œil.Sescheveuxmi-longsparfaitementcoiffésenarrière,
unT-shirtportéprèsducorps,encotonblancaucolenV,unpantalonnoir,ilétaitparfait.Commesortitoutdroitd’unrêve.D’undemesrêves…Pasceluidecettenuit.Jen’avaispaseuletempsderêver;enfait,ilnem’enavaitpaslaisséletemps.
Collée contre lui, dans sesbras, j’avais tantôt été taquinéepar sesdoigts le longdemon flanc, tantôtbercéeparlesmurmuresdesarespirationdansmonoreille.Maisça,c’étaitaprèsl’assautdesabouchedansmoncou,quis’étaitfrayéuncheminversmesseins,jouantaupassagedesesdentssurmestétons,pours’arrêterjusteàtempssurmonventre.J’enportaisencorelesmarques,dissimuléessousladentelledemarobe.Rienqued’yrepenser,j’auraispuavoirunorgasme.Leréveilavaitétédifficile.Rickavaitpassésamatinéeàbroyerdunoir.Renfrognéetombrageux,il
avaittoutjustemangésespancakesaupetitdéjeuner.Jeluiavaismêmeproposéd’annulerleresto.Jenesavaispascequ’ilavait,ouplutôtj’essayaistantbienquemaldemepersuaderqueçan’avaitrienàvoiravecmanuitpasséeàsescôtés.Maisnousétionslà.L’unàcôtédel’autre,àattendrequelemaîtred’hôtelviennenouschercherpour
nousconduireànotretable.Entouréedecouleurschatoyantes,j’avaisl’impressiond’êtredansunmuséed’art contemporain. Les œuvres exposées représentaient des visages, des corps, des structures, desanimaux.Maisl’éclairageétaitdiscret,intime.—Madame,monsieur,noussalualejeunemaîtred’hôtelennousdétaillant.—J’airéservéaunomdeThomas,annonçaRicksansentrain.Lejeunehommesouritetsemitàpianotersursatablettetactile.—Oh, dit-il au bout d’unmoment, manifestement gêné. Je suis désolé, mais la personne qui a dû
prendre votre réservation a oublié de préciser que vous étiez en fauteuil roulant. Je vais voir si nouspouvonsvoustrouveruneautretable.Sivousvoulezbienpatienteruninstant…—Jenesavaispasqu’ilfallaitprécisercegenredechosepourmanger!lâchaRick,amer.J’étais tout aussi agacée que lui.Même si je n’étais pas à sa place, dans ce fauteuil, je vivais cet
incidentcommeuneinjustice.Lejeunehommerevenaitversnous.—Jesuisdéso…
—Quelestleproblèmeavecnotretable?lecoupai-je.—Ehbien,ils’agitd’unebanquette…Jeveuxdire,ajouta-t-ilavecnervosité, iln’yapasdeplace
pourunfauteuil.Rienqueça!—Monamiesttoutàfaitcapabledes’asseoirsurlabanquette,etlefauteuilserapliéetrangédansun
coin.Celarésout-ilvotreproblème?—Euh.Jesupposequeoui.Jemeretinsdesourireetgardaiuneexpressionhautaine.—Parfait.Onvoussuit.Alorsquelejeunehommetournaitlestalons,Rickpritmamainetlatira,m’obligeantàmepencher
verslui.—Jesuisvotreami?s’amusa-t-il.Jerougisinstantanément.Avecl’aidedujeunehomme,Rickpritplacesurlabanquetteencuirdisposéeendemi-cercleautour
de la table ronde. J’avais choisi de m’asseoir près de lui, si bien que je n’avais qu’à écarter d’uncentimètremesjambespourqu’ellesentrentencontactaveclessiennes.Unpeumoinstendumaistoujoursaussisilencieux,ilscrutaitlemenud’unairconcentré.—Pourquoisommes-nousici?demandai-jeavecdésinvoltureenl’imitant.—Pourdéjeuner,jecrois.—Nousaurionspunousfairelivrerlesplats,répliquai-je.J’avaisenfincaptésonattention!—Jevoulaissortiravecvous…——Aveupouraveu?avançai-je, incertaine. (Ilhocha la tête.)Jen’aipas l’impression,depuisce
matin,quevousavezenvied’êtreavecmoi.Làouailleurs.—Vousnecomprenezpas,Oceana.C’estlapremièrefoisquejedoisaffronterleregarddesautres.Jerépondis,trophâtivement:—Nefaitespasattentionàeux.—Toutestfaitpourmerappelerquejesuisdansunfauteuilroulant,dit-ilàmi-voix.Jenecomprenaispas.C’étaituneréactionexcessive.Sonétatn’étaitpasdéfinitif!—Vousallezremarcher,ouiounon?— Ce n’est pas la question. J’ai l’impression d’être différent. Aujourd’hui. Ici. Et pas demain ou
ailleurs.—Aveupouraveu? lançai-jeencoreunefois.Je…jepensaisquec’étaitàcausedenous,decette
nuit…quevousétiezaussifroidcematin.Je…jesuisdésoléedenepasavoircompris.Etmoi,jelesaime,vosjambes.Siellesn’étaientpascequ’ellessont,jenepourraispasvoustouchertouslessoirs.J’avaispeineàcroirequej’avaisditça!Ilsourit.Enfin.Mesépaulesserelâchèrent.C’étaitunsourireattendrissantàmefairefondre,commecettenuitdanssonlit.Jeserrai lesjambes
pourempêchermonsexedefrémir.
Maislatristessen’avaitpasquittésesyeux.—C’estàcaused’ellesquejeneferairienavecvous,avoua-t-il.Parcequejenesupporteraipasde
nepaspouvoirfairecequejeveux.Parcequejerêvedevousdominerdetouteslesmanières.Jeneveuxpasseulementvousfairerougirousourire.Jeneveuxpasseulementvouscaresserouvousembrasser.Jeveuxtout.Maispourl’instant,mesjambesnecessentdemerappelerquejesuisminableàcôtédevous.Je nem’étaismême pas rendu compte que j’avais cessé de respirer. Son discours – bien qu’assez
machiste–,fitbondirmoncœurdansmapoitrine.Je le voulais dansmon lit, coûte que coûte. Et ilme désirait, lui aussi. Il ne pouvait pas être plus
explicite…Jemefoutaisdecequ’ilpouvaitpenserdesesjambes.Ilremarcheraitunjour…dansmoinsdequatre
semaines,ilpourraits’appuyersurlajambedroite,etàpartirdelundisurlagauche.Doncsonseulennemi,c’étaitlui-même.Etpeut-êtreunpeumoi,aussi…
Voilàcequiarrivaitquandjebuvais.Labarresurlefront, lespaupièreslourdesetdouloureuses,je
subissaislamentablementleseffetsdel’alcool.—Justeunverre!semoquaRick.Ilpouvaitrire.Était-ilpossibled’êtreallergiqueàl’alcool?Moi,jelecroyais…ouplutôtj’enétais
leparfaitexemple!Les doigts sur les tempes, jememassais en effectuant de petits ronds.Nous étions sur la terrasse,
devant la piscine. Le soleil était presque couché, mais le peu de luminosité projetée par ses rayonsorangésdanslecielsuffisaitàmefairemal.—Vousvoulezunibuprofène?proposa-t-ildansungloussement.—Laboîteentière!—Siçapeutvousremettresurpiedpourmonmassagedecesoir…—Vousêtespuni,répondis-jeensecouantlatête.Misère!Pourquoiavais-jesecouélatête?!—Iln’yaplusderègles,Oceana.Yenavait-iljamaiseu?J’entendis lebruitdes rouesde son fauteuil sur lesdalles et leur claquement aupassagede labaie
vitrée.Rick partait à la recherche d’un antalgique.Les yeux fermés, le visage dansmesmains, jemelaissaiglisserenavant,lesbrasposéssurlatableenteck.Cettejournéenes’étaitpastropmalpassée,enfait.J’avaisdivinementbienmangé,lamaindeRick
avaitglisséplusd’unefoissurmacuisse,sabouchesurledosdemamain…Jem’étaisefforcéedenepaspenseràl’imagequenousdevionsdonner.Celled’uncouplenormal.Jen’enrestaispasmoinssonemployée,luimonpatron.Etjepréféraisdeloincetteimage…pluscoquine!Deretouràlamaison,nousavionsfilédroitdanslelit.Lemien.Plusgrandpournousdeux.Enfin,lemien…C’étaitsonlit,avant.Lesavoirn’allaitpasm’aideràcalmermesardeurs.Etnousyavionsdormi.Presquequatreheuresd’affilée!Jepayaisleprixduverrederoséquej’avais
buaucoursdurepas.Jemeconnaissaispourtant,jesavaisàquoim’attendre.Maisj’avaisvoulucroirequeMiamineseraitpasNewYork.—Tenez,meditRick.
Jemeredressai.Jenel’avaismêmepasentendurevenir.Ilmetendituncompriméetunverred’eau.—Vousrestezbelleentoutecirconstance,déclara-t-il.Mêmeaveclesempreintesduboissurlajoue.—Jemevengeraicesoir,lemenaçai-jeengobantl’antalgique.Sesyeuxs’aventurèrentsurmabouchecommes’ils’agissaitdufruitdéfendu.—Ilnefautpasqueçasereproduise,dit-ild’unefoisferme.Quoi?Nepasnousregarder,noustoucher?C’étaitimpossible,etillesavait.J’avaispourtantessayé.
Avecmesfameusesrègles.Pourtant,audébut, jen’avaisqu’uneseulechoseentête,Ethanetmamère.Troismois,c’étaitbienplusdouloureuxquejenem’imaginais.Troismois,c’étaitbeaucoupdedimancheen famille loupés. Des centaines de dodo sans mes histoires pour Ethan. Des journées entières sanscâlins.Et beaucoupdegâteaux au chocolat à rattraper.Troismois !Mais c’était surtout unepartie del’argentdontj’avaisbesoinpoursonopération.Alors,pendanttroismois,jepouvaisbienmepasserdesespetitsbrasautourdemoncou,desabouchebarbouilléedechocolat,desesdimanchesauparcetdesesbisoussoufflésdusoir.Jenesavaispasquandtoutavaitdérapénicommentnousenétionsarrivéslà.Maisj’étaisincapable
de faire comme s’il nem’avait jamais embrassée sous la douche, comme s’il n’avait jamais goûté lapointedemesseins,sanscompterqu’ilm’avaitavouéqu’ilvoulaitplusquetoutça.Non.—Je…Lasonnettedelaported’entréetinta.LeregarddeRicksedurcit.—Restezlà,jevaisvoirquic’est.Tantmieux,j’avaistoujoursmalàlatête!Lamigrainegagnaitmêmeenintensité.Jen’avaisplusqu’à
croiserlesdoigtspourquel’antalgiquefasseeffetrapidement.—Maisc’estqu’ilestdebout!entendis-jeunevoixmasculines’exclamer.—Bonsang,Carl,tupouvaispasappeleravantdepasser?Çamefaitplaisirdetevoir,quandmême,
répliquaRick.—Appeler?Pourquoifaire?Jeseraistombésurtavieilleaide-ménagère!Vieille?J’étaistout,saufvieille!Mêmeaveclapeauridéeparlatable!—Tuesrentréquand?interrogeaRick.—Avant-hier.J’aiapportédesbières.Tumefaisentrerouons’installesurlepasdelaporte?Oùest-
elle,aufait?Lesvoixserapprochaient.Jemeredressai.—Quiça?—Tonaide-mé…Laphraserestaensuspens,et le jeunehommequivenaitdefaire irruptionsur la terrasse,àcôtéde
Rick,medétailladehautenbas,laboucheouverte.Jeluisouris.Ilsegrattalagorgeetreprit,taquin:—Ah !Tuauraisdûmedireque tun’étaispas seul ! (Il assenaune tapedans ledosdeRick.) Je
comprendsmieuxtatêtequandtum’asvudébarquer.Heureusementqueçan’étaitpasKristen.Kristen?!Pasdequestionssurnotrepassé:jenoyaiKristendanslamerMorted’uncoindematête.Rick,lui,réagitàcenom.Mal.Sespoingssefermèrentsursescuisses.
—Oceana, me présentai-je, souriante, comme si mes oreilles n’avaient jamais entendu le nom deKri…(DanslamerMorte!)—MademoiselleDouglasestmonaideàdomicile,rajoutaRick,sèchement.MademoiselleDouglas?J’avaisl’impressiond’avoirreçuuncoupenpleinepoitrine.Iln’avaitpasditça?Decettemanière-
là?Lapeaumate,lesyeuxmarronsetlescheveuxnoirsmi-longs,ledénomméCarldevaitêtreaussigrand
queRick.—Oh.Aideàdomicile.Je…CarlAllen,balbutia-t-il,surpris.Sansdouteavait-ilcruquej’étaisuneamiedeRick.Non,j’étaissonemployée,Rickvenaitdemele
rappeler.Sonaideàdomicile,MlleDouglas.Finalement,ladouleurquis’insinuaitdansmapoitrineétaitplusfortequemamigraine.—Carlestmonmeilleurami,expliquaRick,levisagefermé.Jemelevai.—Jevaisvouslaisser,alors.—Vouspouvezrester,ilyaassezdebièrepournoustrois,annonçaCarlendéposantlepacksurla
table.—Biensûr,marmonnaRickenhaussantlesépaules,leregarddétourné.—Non.J’aimalaucrâne.Jevaismecoucher.Carl,raviedevousavoirrencontré.JeluiservismonplusbeausourireetmetournaiversRick.—MonsieurThomas,jelaisseraivosantalgiquessurvotretablette.Bonnesoirée.Ilblêmit.Qu’importe.Jem’enfoutais.Jem’éloignaid’unpasque j’espéraisassuré. Jem’écrouleraisdansmachambre,maispas ici, sous
leursyeux.Ilm’avaitouvertementdédaignéedevantsonami.Jeluienvoulais.—Oceana…LavoixdeRick. J’ouvris lespaupières. Il faisait toujoursnuit. Jepassaiunemain surmon front et
constataiquejen’avaisplusmal.Combiendetempsavais-jedormi?—Oceana…—Quoi?lâchai-je,acerbe.Jevousécoute.—Nevousénervezpas,s’ilvousplaît…Ilbredouillait.—Quelleheureest-il?—3heures…Jecrois.Ilempestaitl’alcool.Ilétaitbourré.Auwhisky,àl’odeur.—Carlrestedormirdansunedeschambresd’amiscettenuit.Neprenezpasdebaindeminuit.—Ilest3heuresdumatin,rétorquai-jeenrefermantlesyeux.—Vousm’aveztrèsbiencompris.—OK.
—Bonnenuit,Oceana.Jememordislalèvreinférieureleplusfortpossiblepournepasluirépondre.Jeluienvoulaisencore
plus.Iln’étaitpasvenupours’excuser…
Chapitre9
Boutdunez
Encorebaignéedesendorphinessécrétéesparmoncorpsaprèsunedemi-heuredefootingetunebonnedouchechaude, jepréparais lepetitdéjeunerdeRickavecbonnehumeur. J’avais laissémadéceptionsousmesdrapsetmarancunesurlebitumedeMiami.—Est-cequec’estpossible…Jesursautaietlâchail’assiettepleinedepancakes.Elles’écrasasurlesolalorsquejemeretournais
pourm’agripperinstinctivementauplandetravail.—Jenevoulaispasvousfairepeur, jesuisdésolé,s’exclamaCarlenseprécipitantsurmabêtise,
éclatéesurlesol.Lesoufflecoupé,jeleregardairamasserlesdébris.S’ilavaitétébourré,luiaussi,iln’enlaissaitrien
paraître.Ilaffichaitunemineradieuse,etsonhaleinesentaitlamenthedudentifrice.—Laissez.Jevaislefaire,réussis-jeenfinàarticuler.—Jepeuxvousaider,voussavez.Pourquoipas?Aprèstout,c’étaitaussisafaute.Lespancakesétaientcouvertsdemorceauxdeporcelaine.Poubelle!Jefistairemondémonintérieur
quimesuggéraitdelesserviràRicktelsquels.Unpeucroquants…Etmevoilàpartiepourpréparerunenouvellepâte…—Vousvouliezquelquechose?—Jevoulaisseulementsavoirsijepouvaisavoirunpetitdéjeuner.—Biensûr.Maisjusteuneprécision.Jenesuispasl’aide-ménagère,maisl’assistantedeviedeRick.Jesouriais,maisjevoulaisquelemessagesoitclair.Gêné,ilsegrattalatête.— Je comprendsmaintenant pourquoi je le retrouve dans son fauteuil et pas dans son lit, dit-il en
faisantlamoue.Jefronçailessourcils.—Jeveuxsimplementdirequemoiaussijepréféreraisvousvoirdemonfauteuilplutôtquedemon
lit,çameseraitdifficiledetenir.JerougisinstantanémentenreliantRick,sonfauteuiletladouchedansmatête.—Laisseztomber,ajouta-t-il,confus.Ilfourrasesmainsdanslespochesdesonshort.—Jepeuxfairequelquechose?—Asseyez-vous.Vouslevoulezcomment,votrecafé?Jerécupéraiunepoêleproprealorsqu’ilprenaitplacesurl’undestabouretsautourdel’îlotcentral.—Jeneboispasdecafé.EtjesupposequeRickn’apasdejusd’orange,doncjevaismecontenter
d’unpancake.La pâte des deux premiers pancakes s’étala dans la poêle chaude. L’odeur de beurre envahit mes
narines.—Unseul?—Justepourreprendrelaroute.J’avaisespéréqu’ilresterait.Jen’avaispasenviedemeretrouverseuleavecRick.—Vousnerestezpaspourdéjeuner?demandai-jeenfin.—Non.Jenesuisrevenuqu’ilyadeuxjoursetjenesuistoujourspasallévoirmamère.Ellevame
tuer.Jepensaiàlamienne.SijedevaisrentreràNewYork,elleseraitlapremièrepersonnequejeverrais!
Bon,nousvivionssouslemêmetoit…maisc’étaitaussimameilleureamie.—Oùétiez-vous?—AuxMaldives.Jesuissurfeurprofessionnel.—Oh.Jelevailesyeuxverslui,histoiredel’inspecteràlalumièredujour.SonT-shirtlaissaitdevinerses
bicepsproéminentsetlatailleimposantedesespectoraux.Jedéglutismalgrémoi.Ilrelevaunsourciletmesourit,l’airdedirequ’ilétaitfierdeconstaterquesonimagemeplaisait.Priseenflagrantdélitdevoyeurisme,jemeconcentraisurmespancakes.—Rickauraitpuledeveniraussi,dit-ilenfin.Ilétaitbienmeilleurquemoiavant.C’étaitsapassion.—Avantsonaccident?—Non.Avantquesonpèrene l’obligeà faireautrechosedans lavie.Depuis, iln’estplus jamais
remontésuruneplanche.—Oh.Jesupposequ’ilavaitsesraisons.—Uneseule:cettesalopedeKristen.JelaissaitomberlepancakedeCarldanssonassiette.Non,jenevoulaisriensavoirdecetteKristen,
quiavaitdepuispeuapprisànagerdanslamerMortedematête.—JevaisréveillerRick,balbutiai-je.Jerécupéraimonplateau.Uncoupd’œilpar-dessusmonépaule:illorgnaitmesfesses!—Ilyadujusd’orangedansleFrigidaire!Moi,j’enbois!Ilsursautaetseraclalagorge.Jenepusretenirmongloussementquejusqu’aucouloir.Entredeuxrires, j’entraidanslachambredeRick.Sesyeuxcernésetsonteintblafardn’étaientpas
beaux à voir. Il devait être 9 heures, et jeme rappelais l’avoir vu se coucher vers 3 heures. Soit sixheuresdesommeilneluisuffisaientpas,soitilavaitlagueuledebois.—Qu’est-cequivousfaitrire?aboyaRick.Ignorantsaquestion,jeposaileplateausurlatablette.—Pourquoivousêtesenretardcematin?Nouvellequestion,nouvelleattaque?Enrevanche,laréponserestaitlamême:Carl.—Pourquoivousnemerépondezpas?—Parcequejeneveuxpasmedisputeravecvous.
—Pourquoivoulez-vousqu’onsedispute?—Vousêtesdemauvaisehumeur,suggérai-je.—J’aijustepasséunemauvaisenuit.Vousavezoubliédemelaissermontramadol.Oups.—Je…jesuisdésolée,balbutiai-je.Vousauriezdûmeréveiller.Ilavalaunegorgéedecafé.—Vousn’avezpasbudansmatasseaujourd’hui?—Non.J’aieuletempsdedéjeuner.—Qu’est-cequivousamisenretard,alors?—Carlm’afaitpeur,j’ailâchévotreassiette,etelles’estéclatéeparterreavecvotrepetitdéjeuner.Ils’étouffaavecunmorceaudepancake.—Nevousinquiétezpas,j’enairefait.—EtCarl?Qu’est-cequ’ilvousaraconté?Cette salope de Kristen. Son choix entre sa passion et son père. OK. Son humeur s’améliorait, et
j’allaisdevoirpasserlajournéeseuleaveclui.Etj’étaisloind’êtrestupide.—Qu’àvotreplace,ilauraitdumalàseretrouverprèsdemoidanssonlit.Sesyeuxbleussebraquèrentsurmoi.—Qu’est-cequevousluiavezrépondu?J’avaispresquel’impressiondemeretrouvercoincéavecunagentdelaCIA.—Quevouliez-vousquejeréponde!—Vousavezrougi,c’estça?Ilreposasonpancake,àmoitiébroyéparsonpoing.J’avaispresquel’impressionqu’ilseréservaitle
privilègedemefairerougir!J’attrapaisatasseetlaportaiàmeslèvrespourcachermonsourire.—Vousavezrougi,j’ensuiscertain!s’exclama-t-il.—Vousêtesjaloux?letaquinai-je.—Unpeu.Ilmerepritlatasse–poursecacheràsontour.—N’importequoi!Çanesecontrôlepas!Jelevailesyeuxauciel.—Pourquoirigoliez-vous?—Vousêtescertaindevouloirlesavoir?Parcequelaréponseestpirequelaprécédente.—Nemefaitespaslanguir,murmura-t-il.—J’aisurprisvotreamientraindereluquermesfesses.—Etenquoiétait-cedrôle?—Jevousavaisditqueçanevousplairaitpas.—Jenevoisvraimentpasenquoiçapeutvousfairerire,grogna-t-il.—C’estlatêtequ’ilafaitquandils’estaperçuquejelevoyaisquim’afaitrire!
Jerecommençaiàglousser.—Oceana…Rienàfaire.Jenepouvaispasm’arrêter.—Oceana!Samain seposa surma joue, douce–une caresse. Je cessai de rire.Laboucheouverte, le souffle
court,jesentaislemalaisemonter.Pourquoifallait-ilqu’ilaitceteffet-làsurmoi?—Dites-moicequevousavezsurlecœur,Oceana.Enquinze jours,Ricksemblaitavoirapprisbeaucoupdechoses surmoi.Rienneservaitdenier. Il
étaitplustêtuqu’unemule.—Pourquoivousm’avezappelémademoiselleDouglashiersoir?Samainquittamajoue,sonregards’assombrit.—Je…Cen’estpasvotrenom?J’étaisravied’apprendrequesiunjourjedevenaissénile,silamaladied’Alzheimermefrappait,je
pourraistoujourscomptersurRickpourmerappelercommentjem’appelais!Il fit lamoue, sachant très bien que sa réponse neme contenterait pas. Je fis tairema déception et
commençaicalmement:—Donc,jesuisOceanasousladouche.Oceanadansvotrelit.Oceanaaurestaurant.Oceanalorsque
nous sommes seuls.Mais lorsqu’il s’agit deme présenter à votremeilleur ami, je suismademoiselleDouglas,votreaideàdomicile?(Jen’attendaisaucuneréponse.)Jecroyaispourtantquecetitre,assezméprisant,étaitréservéàlabouchedevotremère?Sesyeuxs’attardèrentunpeutroplongtempssurmeslèvres,commes’ilnem’avaitjamaiscrucapable
deprononcercegenredediscours.—Je…Jenesaispasquoivousdire.— Il n’y a rien à dire. Si je suis pour vousmademoiselleDouglas, vous serez pourmoimonsieur
Thomas,monpatient.Maintenant,finissezvotrepetitdéjeunersivousvoulezvoirvotreamiCarlavantsondépart.Seslèvrestremblaient.Jeluioffrisuntoutpetitsourirepourlerassurer.—Venezsousladoucheavecmoi,lâcha-t-ilavecprécipitation.—Etsivotreaminoussurprend?—JemefousdecequepeutpenserCarl!Ilmeprésentaitcommesonaideàdomicile–etrienquecela–,maisquesonamipuissenoustrouver
touslesdeuxnussousladoucheluiétaitindifférent!?—Non.Jeneviendraipassousladoucheavecvous.—C’estmapunitionparcequevousêtesfâchéecontremoi?Jen’étaisplusfâchéecontrelui.D’avoirvidémonsacm’avaitlibérée.Encorecemot,punition…c’étaitplutôtlamienne!—Non.C’estseulementparcequejenedésirepasseulementdevousdesbaisersoudescaresses.—Lesujetadéjàétéabordé.Jenepeuxpasvousdonnerplus,dit-il,attristé.—C’estvousquiledites.Jesuiscertainedepouvoirvousprouverlecontraire.Enréalité,jen’ensavaisrien.J’avaisréellementenviedelui.Seulesmescinqannéesd’abstinenceme
retenaient.Est-cequejesauraistoujoursm’yprendre?Lebulletinmétéotombaenfindematinée,peuaprèsledépartdeCarl.ToutelacôteestdelaFloride
était menacée par un ouragan. J’en avais perdu tous mes moyens. J’avais balbutié des chosesirrationnellesàproposdudernierjourdemaviesousleregardamusédeRick.Finalement,j’avaisréussiàtrouverduréconfort,aprèsledéjeuner,danslestâchesménagères:changementdesdrapsdetousleslitsdelamaison,aspirateur,machineàlaveretsèche-linge;j’avaismêmenettoyélesvitresdescabinesdedouches.Bref.Sil’ouraganarrivaitjusqu’ànous,jeseraistellementfatiguéequejedécéderaisdansmonsommeilsansm’enrendrecompte.—J’aifaitdespop-cornetj’aipré-installélafindelapremièresaisondeGrey’sAnatomy,venezvous
asseoir,maintenant!m’ordonnaRickparl’intermédiairedutalkie-walkie.J’inspectaileciel,noiretorageux.—Oceana!grésillaunenouvellefoislerécepteuraccrochéàlaceinturedemonshort.Jelejetaisurmonlitpourrejoindremonabominablepatient.Jeletrouvaiassissurlecanapédusalon,
latélécommandeàlamain.DeuxcanettesdeCocaetunboldepop-cornm’attendaient.—Vousavezfinidemefuir?Jenelefuyaispas,j’occupaismatête!—Venezlà,murmura-t-ilenouvrantsonbras.Jemeblottiscontrelui,àmoitiéallongéesurlemorceaudecanapéqu’ilm’avaitréservé.Jemelaissai
allerquelquessecondes,lesyeuxfermés.J’essayaidepenseràautrechose.Àtoutetàrien.Plusàtoutqu’àrien…Sonbraslelongdemonflancetsamainsurmacuissenuenem’aidaientpas.Sesdoigtsmerappelaientlanuitoùilsavaientfaitvibrerunepartiedemoncorps.Jefrissonnaimalgrémoi.—Vousavezfroid?s’inquiéta-t-il.—Non.Je…mesuistropagitée,préférai-jerépondre.Sucréousalé,lepop-corn?—Sucré.Vouspréférezlesalé?—Jen’aipasdepréférence.Cequejepréférais,c’étaitlegâteauauchocolat!Auboutdedeuxépisodes, lesorageset lapluiereprirent ledessussurmespensées.Jememordais
l’intérieurdelaboucheàm’enfairesaignerpourmeretenirdehurlerquejepaniquais!—Cen’estqu’unouragan,annonçaRick,rassurant.Jetournailatêteverslui.—Vousditesçacommesivousenvivieztouslesjours!—Non.Mais j’en ai vu plus d’un.Nous sommes sur les hauteurs deMiami, loin des plages et de
l’océan.Nevousinquiétezpas.Enplusdel’oragequigrondait,leventcommençaitàfairedessiennes.Pasunpetitventàsouleverune
jupe,non.Unventànousdéshabiller!Unventàtordreunparapluie.Unventàs’accrocheràunarbresanspluspenseràlafoudre.Iln’étaitpasplusde18heures,maisilfaisaitdéjàpresquenuittantlesnuagesétaientnoirsetépais.Nepasm’inquiéter?!J’étaisauborddelapanique!—Commentnepasêtrecraindreleschosesqu’onneconnaîtpas?J’aivécudestempêtesdeneige,le
vent, lapluieet lesoragesàNewYork,maispasdesouragans !Bien sûr, je saiscequec’est,merci
Googleoulesinformations.Maislà,c’estdifférent!Noussommescoincés,ici,danscettevilla.Il éteignit la télévision.MeredithGrey ne pouvait plus rien faire pourmoi, de toute façon ! Jeme
redressaipourmeloverdanssesbras.— Si ça peut vous rassurer, la seule chose que nous avons à craindre, ce sont les coupures de
téléphoneetd’électricité.Aupire,nousmangeronsdelasaladeverteéclairésàlabougie.—Quelromantisme!ironisai-je.—Jevousprometsunvraidînerauxchandelles…Ilfrottamonnezdusien.—Nefaitespasça,soufflai-je,tropprèsdesabouche.—Fairequoi?Ilrecommençasontrucavecsonnezetlemien.—Me faire croirequenous sommesun couple àpeuprèsnormal, qui aurait fait vœud’abstinence
jusqu’aumariage!Jedisçasurletondelaplaisanterie,maisjen’enpensaispasmoins.Nousn’étionspasuncouple.Il
n’avaitpasàm’offrirderobe,niàmepayerunresto,niàmepromettreundînerauxchandelles.Je savais pourtant que çame ferait du bien d’y croire. Que de le laisser prendre soin demoime
soulagerait.Maisj’étaisàMiami.NewYork,c’étaitçamavraievie.Celleoùjedépendaisd’Ethanetdesonétatdesanté.Celleoùjedevaisprendresoindesautresbienplusquedemoi.Celleoùjepassaismontempsàm’oublier.—Jenevousfaisriencroiredutout.Sijelepouvais,jevousferaisvoiruncoucherdesoleilàMiami
Beach,jevousferaisdécouvrirlesEverglades,jevousferaisnageraveclesdauphinsdansl’océan…Jeposaimonindexsurseslèvresrebellespourleréduireausilence,etsurtoutpourm’empêcherde
penseravecamertumeàtoutesceschosesquejenepourraisjamaisfaireaveclui.Enfin,jemurmurai:—Sivousenétiezcapable,jeneseraispaslà,etjesuiscertainequesivousmecroisiezdanslarue,
vousnevousretourneriezmêmepas.—Pourquoiavez-voussipeud’estimepourvous?—Passé.Lemotétait sorti tout seul.Premièreetnouvelle règledenotrenuitàpréliminairesavortés.Nepas
questionnerl’autresursonpassé.—Quoi,passé?—C’estcommesijevousdemandaisquiestKristen.Sonregardchangea.Jeperçussonmalaise.—OK,finit-ilparlâcher.Kristenestmadernièrepetiteamie.Ilavaitbalayélarègledupassé!—Unhommem’abrisélecœurilyacinqans,répliquai-je.Cequin’était,biensûr,qu’unepartiedelavérité.—Unabruti,trancha-t-ilenhaussantlesépaules.Maisjecroisquevousavezposévotredoigtsurma
bouche.S’ilm’embrassaitmaintenant,j’étaisfichue.
Jevoulaisl’être!Uncoupdetonnerreretentitàcetinstant,etlalumières’éteignit.Jemeserraiinstinctivementcontrelui
enpoussantuncri.Paniquée, je haletais, tandis que mes oreilles devaient surmonter le crissement du vent mêlé au
martèlementdemonsangdansmestempes.Inspirer,expirer.ContreRick,jeretrouvaipeuàpeularaison.Sesbrascalmèrentmestremblements.Seslèvressurma
têteapaisèrentmespensées.Ilétaitlà.—Saladeverteauxbougies,railla-t-ildansmescheveux.Jegloussai.—Iln’yaplusdepop-corn?—Ilyenaplusdepuislongtemps.Pourquoi?—Jenebougepas.Pasd’uncentimètre.Vousallezjeûner,cesoir.Ilsemitàrire.—Vousaimezlegâteauauchocolat?—Quin’aimepaslechocolat?s’exclama-t-ilenfrottantunenouvellefoissonnezcontrelemien.Silavapeurdechocolatexistait,jeressembleraisàça.Jereprisaussitôtdupoildelabête.—J’aitrèsenvied’ungâteauauchocolat!m’exclamai-je.—C’estbien,maisjedoisvousrappelerqu’iln’yapasd’électricité…Jeluidonnaiunpetitcoupsurl’épaule.—Rabat-joie!Ilmefixaavecmalice.—Alors,jevousprometsungâteauauchocolatauxchandellesdèsquel’électricitéreviendra.—Voussavez faireungâteauauchocolat?pouffai-jealorsque l’imagedeRickavecun tablierde
cuisinefaisaitintrusiondansmatête.—Pasdutout.Jevouslaisseraifaire.Jelècheraileplatet…Mondoigtatterritunenouvellefoissursabouche.—Jevousendoisdeux,précisa-t-ilenrelevantunsourcil.—Jesais.S’illefaut,jeleferaidesmilliersdefois,pourquevousm’endevieztoutelanuit!
Chapitre10
Encorecetruc
Allongésurlecanapé,jelaregardaipréparerlerepasdusoir.Vêtued’unelargerobeencotonblanctransparent,sesfessesapparaissaientetdisparaissentderrièreletissuàchaquemouvementdesesjambesdénudées.Jemedisaisquej’aimeraisendécouvrirlemoindrecentimètreavecmalangue.Sescheveux,habituellementblonds,prenaientuneteintedifférentesouslesrayonsdusoleilcouchant,
ilsluisaientdenuancesorangées.Tordusenchignonsurlehautdesatête,ilsdécouvraientsanuque,oùjevoyaisencorelestracesdesoncoupdesoleil.Unevivedouleurdansmestibiasmefitcomprendrecequejem’apprêtaisàfaire.Jem’étaislevépour
larejoindre,avecundésirfoudel’enlaceretd’embrassersoncou!Jemerassisaussitôtetchassaicetteidéedematête.La fatigue m’étreignit instantanément. Comme si un sac de sable s’appuyait sur mes épaules, je
plongeaimonvisageentremesmains.J’étaisépuisé.J’avaisencorepasséunenuit–danssonlit,carmonlitmédicaliséétaitrestébloquéenpositionassise
pendant la panne d’électricité – à me triturer l’esprit. Partagé entre l’envie de lui donner ce qu’ellevoulait (et ce que je voulais !) et ma fierté personnelle, je n’avais pu que difficilement trouver lesommeil.L’ouragann’étaitpaspasséprèsdescôtesdeMiamimaisdansmatête!Oceanas’étaitassoupiecontremoi,ignorantlegrondementdutonnerre,lesifflementstridentduvent
danslespalmiersetlevacarmedelapluiecontrelesbaiesvitrées.Dessinantdepetitscerclessursesépaules,mamainavaitsuivi,lentement,lechemindesacolonnevertébralepuisescaladél’undesmontsdesesfesses.À ce rythme-là, je ne tiendrais pas longtemps. Elle aurait ce qu’elle voulait ! J’avais envie de
l’embrasseràlongueurdejournée,delagoûterchaquefoisquejelasentaisetdeluifairel’amourdèsqu’ellemetouchait.Et je me réveillais tous les matins avec la trique ! Parce qu’elle hantait aussi mes rêves ! Alors
j’évitaisdem’endormirparpeurdelavoirmefairedeschosesquin’existeraientquedansmatête!L’électricité était revenue dans la nuit. Le vent et l’orage s’étaient éloignés. C’était fini. Nous
découvririonslesdégâtslelendemain,etjem’étaisenfinendormi,moiaussi,aprèsavoirnichémonnezdanssescheveuxcommepourparfumermesrêvesdevanille.Cematin,enmeréveillant,jel’avaissurpriseentraindesuivredudoigtlescicatricesdemonventre.
Sansmetoucher,elleretraçaitlescoupsdescalpelduchirurgien.J’avaissourimalgrémoienapercevantsesyeuxgrisentourésdesonmaquillagede laveilleet sescheveuxblondséclairéspar les rayonsdusoleilmatinal.Bienentendu,serendantcomptequejelavoyaisfaire,elleavaitrougiets’étaitprécipitéehorsdela
chambre,prétextantuneenviepressante.Pourunefois,j’avaisdéjeunéavecellesurlaterrasse,aprèsqu’elleeutramasséetnettoyélatableet
unechaised’extérieursalisparleventetlapluie.L’ouraganétaitpasséloindescôtes,etiln’yavaitpas
eutantdedégâtsqueça.Seulementquelquesplantesarrachées,despalmiersbranlants,desboutsdeboisquiflottaientdanslapiscineetdesflaquesd’eauboueusesunpeupartoutsurlecarrelageetl’herbedujardin.Mamère avait appelé pour prévenir qu’une société de nettoyage allait venir en début d’après-midi
pourremettredel’ordre,et,pourunefois,Carlavaitprévenuqu’ilviendraitpasserlasoiréeavecnous–«nous»,c’estcequ’ilavaitdit.Premiercoupdurdelajournée.Carlseraitlàcesoir.C’étaitmonmeilleurami,ilconnaissaittoutema
vieet,surtout,lechapitreconcernantKristenetnosfiançailles.Jeregrettaisd’avoircachéunepartiedelavéritéàOceana.Quisavaitcommentelle réagirait?Elleétait imprévisibleetelleneparvenaitquetropbienàcachercequ’ellepensait.Deuxièmecoupdur : jesavaisqu’ilvenaitpourOceana.Carlétaitunséducteur. Ilaimait toutes les
fillesetn’avaitaucunepréférence.C’étaitpourça,etuniquementpourça,quej’avaisvoulumettredeladistanceentreeuxlaveille.Oceanayavaitvuduméprisoudelahonte.Maisnon.Jepensaisseulementàmondon juandepote,àsamanieàhapper toutcequiportaitunepairedeseinsetde fesses,etàsesconnaissancessurmavieprivéequ’ilnesegêneraitpaspourétaler!J’auraisdûleluidirelorsqu’elles’étaitbraquéecontremoi,cematin-là.J’auraisdûluiavouerqueje
mefoutaisdecequetout lemondepouvaitpenserdenous.Jen’auraispasdûla laissermefaire taireavecsonminusculedoigtsurmeslèvres.J’auraisdûluiconfesserquej’étais terroriséparcequejenesavaispasoùnousallionstouslesdeux,maisquejenepourraisjamaislalaisserpartiràl’issuedecestroismois,avecundernierbaiseretunchèquedesalaireentrelesmains.Qu’est-cequ’elleenpensait?Qu’est-cequenousallionsdevenir,elleàNewYorketmoiàMiami?Etsielleavaitraison?Sicetrucn’existaitqueparcequenousétionsisolésdanscettevilla?—Vousavezunproblème,Rick?interrogeaOceana.Sesseinspointaientàtraversletissublancdesarobe.Jemesouvenaisdemalangueetdemesdents
jouantdélicatementavecsestétons,alorsqu’ellegémissaitcommeuneadolescentequidécouvraitpourlapremièrefoissoncorps.—Justefatigué.Jen’aipasbiendormi.Ellerougitinstantanément.Àcausedemonregard,quis’étaitattardétroplongtempssursapoitrine?—Désolée,s’excusa-t-elle.Jenevousaipaslâché.Perdu. Elle rougissait simplement parce qu’elle pensait être la cause de monmanque de sommeil.
Indirectement,ellel’était,maisjepréféraisdeloindormiravecsapetitetêtenichéeaucreuxdemonbrasqued’êtreseuldansmesdrapsgelésparl’airclimatisé.— Ils n’ont pas prévu d’ouragan pour ce soir, et votre lit est accessiblemaintenant.Vous dormirez
mieux…—J’auraissurtoutdûrepousserlerepasavecCarlàdemain.Lasonneriedelaported’entréeretentit.Ilm’étaitimpossiblededécommandermaintenant.—Jevaisouvriretjefilepasseruncoupdetéléphone,m’avertit-elleensedirigeantverslaporte.—Oceana?(Elleseretourna.)Mettezunsoutien-gorge,s’ilvousplaît.Elleregardasapoitrineets’empourpraànouveau.Alorsquejemeréinstallaisdansmonfauteuilroulant,monfidèlecompagnon,j’entendisl’échangede
politessesentremonamietelle,puissespasprécipitéssurlecarrelage,jusqu’aucouloirdeschambres.
—Jesuislà!criai-jeàCarlquitardaitàvenir.Il fît son apparition dans le salon. Il avait délaissé le short de bain et le débardeur du surfeur
professionnelpourunechemiseblancheetunpantalonnoir.Ilmefaisaitquoi,là,raséàlaperfection,lescheveuxparfaitementcoiffés?Undéfilédemode?Enmevoyant,ilsiffla.—Deuxjoursd’affiléehorsde ton lit !Jesuisgâté!Maisdis-moi,comment tufaispour te laisser
toucherparcettefillesanspenseràautrechose?chuchota-t-il.Ellen’avaitmalheureusementpasbesoindemetoucherpourça!—Tun’esqu’unobsédé!Sers-nousunebièreaulieudediredesconneries…J’avançaiavecluijusqu’àlacuisine.L’odeurdesépicesdurisottod’Oceanachatouillamesnarines;
onétaitbienloindelasaladeverteauxchandellescesoir!Elleavaitbiendûpasseruneheureencuisinependantquejefaisaismaséancederééducationsurlecanapé.—Ellearappelé?Unebouteilledebièreàlamain,Carlmedévisageait.—Pasquejesache.Non.Ellen’avaitpas rappelé.Ellen’avait jamaisappelé.Pasuneseule fois,poursavoirsi j’allais
bien,sij’avaisbesoindequelquechose,sijevoulaisparler.Pasuneseulefois!C’étaitmoiquil’avaisappelée.Poursavoirquandellereviendrait.Pourluicrierquejel’aimaisetquej’étaisdésoléd’avoirtoutbousillé.Lesoirdemasortiedel’hôpital.Lesoiroùj’avaisdécouvertqu’aucunsouvenird’ellenesubsistait dans cettemaison.Notremaison !Elle était partie. Il n’y avait riend’autre à dire.L’aide àdomicileengagéeparmamèren’avaitpastenuplusdequarante-huitheures.Lessuivantesn’avaientfaitguèremieux.Toutesavaient subimes sautesd’humeuretmes impulsions rageuses.Ellesn’osaientpasm’affronter, allaientmême jusqu’àpleurer.En réalité, je leur avais infligé tout ceque jevoulais fairesubiràKristen.Jusqu’àOceana.—Ellevarevenir,Rick,m’avertitCarlenmepoussantjusqu’àlaterrasse.—Tunevaspast’ymettre,toiaussi?grognai-jetandisqu’ilm’installaitdevantlatable.Jefisdescendredeuxgorgéesdeblondedansmagorge. Ilpritunechaisepours’asseoirenfacede
moi.—Cequejeveuxdire,c’estqu’ellereviendraàlachargequandtuserasremissurpied.Qu’est-ceque
tuferasàcemoment-là?—J’ensaisrien,lâchai-je.—Elleneméritemêmepasque tudoutes !Bonsang,Rick,c’estellequidevrait fairecequecette
Oceanafaitpourtoi!Elleestpartie!Ellet’alaissépourmortdansunlitd’hôpital!Ellet’aditqu’elletequittaitalorsquetuavaisunputaindetuyaudanslabouchepourt’aideràrespirer!Moi,àtaplace,jen’hésiteraispas.Est-cequej’hésitais?Àvraidire,j’étaistellementpersuadéqu’ellenereviendraitjamaisquejene
posaismêmepluslaquestiondesavoirsij’accepteraissonretourounon!Audébut,j’espéraisqu’elleseraviserait.Maismaintenant,jen’ypensaismêmeplus.Jenepensaisplusàelle!—Tun’espasàmaplace,dis-jeenportantlegoulotdemabouteilleàmabouche.—Putain,non!Moi,jenel’auraismêmepasmisedansmonlit!—Fais-moirire!Cen’estpascequetudisaislapremièrefoisquetul’asvue.
—Jen’aimepascettefille.—Tunel’aimespasparcequ’ellen’ajamaisvouludetoi!—C’estunegarce.Cettediscussionnemenaitàrien.Nousl’avionsdéjàeuelejouroùj’avaisvendumonclubdesport
nautique.Etaujourd’hui,aveclerecul,jemerendaiscomptequ’ilavaitraison.J’auraidûgarderleclub,pourresterindépendant.Maisjevoulaistoutchanger,pourKristen.Pauvrecon!—Changedesujet,tuveux?Tureparsquand?demandai-je.Jebusunenouvellegorgéedebièrepourparaîtreplusdétendu.—Onenadéjàparlél’autresoir.—Tuparlesdusoiroùj’étaistropbourrépourmecouchertoutseul?—Oui. J’espère qu’Oceana sera apte à te déshabiller ce soir car je ne recommencerai pas ! J’ai
encoredumalàchassercertainesimagesdematête!—Faispastonmacho,cen’étaitqu’unshort!—Sansrire.Commenttufaispour…Nemefaispascroirequ’elleestmolledepuisKristen!Ilparlaitdemaqueue.OK.Non.Ellen’étaitpasmolle,niinapteàselivreràunquelconquesportde
détente!—Oceanadortdansmonbureauetlaporteresteouverte,commentveux-tuquejem’yprennedansces
conditions?—Tuyaspensé!J’enétaissûr!Maisquelobsédé!—L’eaudeladouchemesertàcouvrirlesbruits…—Elleaquelqu’un?chuchota-t-ilensepenchantversmoi.Jejouailanaïveté.—Dequituparles?—D’Oceana.J’étaispresquecertain,maintenant,qu’iln’étaitlàquepourelle.—Jenecroispas.Onneparlepasdenotrepassé.L’airperplexe,ilmedévisagea.—C’estquoi,cetteconnerie?—Jeneluiposepasdequestions,ellenonplus.—Nemefaispascroireça…Vousfaitesquoidevosjournées?—Tuveuxmonplanningoulesien?aboyai-jeunpeutropvite.Jen’allaistoutdemêmepasluidirequ’onpassaitnotretempsàsefrôler,secaresser,s’embrasser,se
regarder…Jerepris,plusposément:—Lematin,elles’affairedanslamaison,moijetiremaflemme;l’après-midi,jefaismarééducation,
etelledelagym.Ças’arrêtelà.Ilsecoualatête.
—Tumecachesquelquechose.Yauntruc.Ah,lavoilà.Pas besoin qu’ilme le dise pour savoir qu’elle était là. Son parfum de vanille avait déjà sollicité
chacundemessens.Monsangsemitàbouillir.Jel’accueillisd’unsourireparfaitementniais.—Désolée,dit-elleens’installantàl’autreboutdelatable.Elleavaitlesyeuxrouges.Elleavaitpleuré!—Vousvoulezboirequelquechose?Unebière?demandaCarl.—Merci,jeneboispasd’alcool,répondit-ellepoliment.—Jesais!lança-t-il,manifestementfierdelui.Unjusd’orange.Commentsavait-ilqu’elleaimaitlejusd’orange?Ellehochalatête,etCarlpartitaupasdecourseverslacuisine.Jetentaid’oubliermonsubitaccèsde
jalousieetplongeaimesyeuxdanslessiens.—Pasmaintenant,articula-t-elle,comprenantmonintention.Jelesavais.Ils’étaitpasséquelquechose.J’avaisenviedemettreCarlàlaporteetdeluidiredene
plusreveniravantdixsemaines!Le repas se déroula dans le calme. Oceana fit semblant de s’intéresser à nos conversations sur le
prochain championnat de surf de mon ami. Poliment, elle esquissait un sourire lorsque celui-ci laregardait,maisjesavaisqu’ellen’avaitpasécoutélemoindremot.Sonrisottoétaitextra!Cettefilleétaitunvéritablecordon-bleu!Jel’avaissudèslepremierpancake
qu’ellem’avaitpréparé.Jebâillaiostensiblement.Carlcontinuaitàdéblatéreretnesemblaitpasvouloirpartir.Oceanaavaiteu
le tempsdedébarrasser la tableetdefaire lavaisselle,alorsquejepossédaisunlave-vaisselle,et lesoleils’étaitcouchédepuislongtemps.Au moment où je pensais qu’il allait enfin lever le camp, il passa à l’attaque. Oceana était allée
chercher dans sa chambre un large gilet en laine et s’était si bien emmitouflée dedans, jambesrecroquevilléescontresapoitrinesurlachaise,qu’onnevoyaitdépasserquesespetitsorteils.Jen’avaisqu’uneenvie,laprendredansmesbraspourlaréchauffer.—Vousavezquelqu’unàNewYork?tentaCarl.Évitantsoigneusementdemeregarder,ellefinitpardire:—Jen’aipasletempspourunpetitami.—Voustravaillezdansunhôpital?—Non.Jepréfèrelessoinsàdomicile.Jem’occupedespersonnesâgéesdemonquartier.—Cequiestsûr,c’estqueçadoitêtredifférentd’ici!Commentarrivez-vousàlesupporter?Ilmemontradudoigt.Jelavisrougiràlalueurdulampadaire.Àquoipensait-elle?—Rickn’estpasdifficileàvivre,répondit-elleenhaussantlesépaules.—Sijamaisvousvousennuyezousivousenavezmarredevoirsasaletronche,jepeuxvousfaire
visiterMiami.Vousvousêtesdéjàbaignéedansl’océan?Oui,j’étaisjaloux.Ilpouvaitfaireavecelletoutcequ’ilvoulait,toutcequejenepouvaispasfaire.—Pasdepuislongtemps.
—Oceanapréfèrelapiscine,ajoutai-jemaladroitement.Ses yeux devinrent de glace. En une phrase, je l’avais exaspérée. Elle se redressa sur sa chaise ;
l’expressionenjouéequiapparutsursonvisagenemedisaitrienquivaille.—Jen’aijamaisfaitdesurf.Jesupposequeçanedoitpasêtrecompliqué.—Jepeuxvousmontrer,sivousvoulez,proposaCarlsurexcité.—Jesuismeilleurquelui,jevousapprendraidèsquejeserairemissurpied,mehâtai-jededire.Monami tourna la têteversmoi. Jesavaiscequ’ilpensait. Jen’étaisplus remontésuruneplanche
depuisqueKristenavaitacceptémademandeenmariage.C’étaitsacondition.Quej’arrêtedememettreendanger.J’avaisaccepté.Avecregretetamertume.JedéfiaiCarlduregard;ilplissalesyeux,surpris.— Je nemanquerai pas dem’en souvenir,Carl, ditOceana, interrompant notre échange silencieux.
Pourl’instant,jevaisallermecoucher,jesuisépuisée!Lajournéeaétélongue.—J’allaispartir,detoutefaçon,annonçaCarl.—Vousnerestezpasdormirici?Mon cœur se serra ; mais son visage neutre me fit comprendre qu’il ne s’agissait qu’une simple
politesse.—Jepeuxencoreconduireetjedoisrejoindredesamisàunesoirée.Etpuisjevousavoueraiqueje
n’aipastrèsenvied’avoiràcoucheretdéshabillerRickcesoir!Jesuiscertainquevousfaitesçamieuxquemoi!—Je…euh…commença-t-elleàbalbutier.—Cen’estpascequej’aivouludire…Jeveuxdire,c’estvotretravail…repritCarl,gêné.—Oceananemedéshabillepas,Carl,jelefaistrèsbientoutseuletjen’aibuquedeuxbières!Merci
detesoucierdemoietdemonbien-être.—Voilà!s’exclama-t-ilensegrattantlatête.Tumeraccompagnes?Jehochailatête.Oceanasoufflaunrapidebonsoiravantdes’éclipser.Jemeretinsunenouvellefois
deluifoutremonpoingdanslagueuleenlevoyantreluquersesfesses.Devantlaported’entrée,ilseretournaetannonça:—Ilyauntruc.Tunemel’ôteraspasdel’idée,ilyauntruc.Oui,ilyavaituntruc.Cefameuxtrucd’Oceana.Cetruc…Jesouris,secouailatêtecommepourlecontredireetouvrislaportepourl’inciteràpartir.—Faisattentionàtoi,dis-jesimplement.Ilsoupiraetpassal’entréetoutencriant:—T’inquiète,jesorstoujoursprotégé!Jesourisànouveau,malgrémoi,enpensantauxpréservatifsàlavanille.Dans le couloir, jem’arrêtai devant la chambre d’Oceana.Aucune lumière ne filtrait sous la porte.
Était-elledéjàcouchée?Jefrappai.—Oceana,vousallezbien?—Jesuisdansvotrechambre,entendis-jeàl’autreboutducouloir.Mainssurlesroues,jerepartisdanslecouloir.
Bordel!Assiseentailleuraumilieudemonlit,toujoursblottiedanssongilet,ellem’attendait.Malampede
chevet éclairait assez ses yeux pourme laisser voir qu’elle avait encore pleuré. Je n’étaismême pascertainqu’ellenepleuraitpasencore.—Taisez-vous,murmura-t-elle.Éteignezlalumièreetrejoignez-moi.Cesoir,j’aibesoindevous.Je
n’aipasdecoupdesoleil.Jen’aimalnullepart.J’ai justebesoindevous.Jeveuxjustequevousmefassiez oublier que je ne suis pasmoi. Quema vie n’est pas à NewYork, ni ici. Je veux juste êtreailleurs.Est-cequevousenêtescapable?—Ques’est-ilpassé?Ellesecoualatête.Ellenemediraitrien.Voirunelarmes’échapperdesesyeuxmedémolit.Oceana
nepleuraitjamais,Oceanasouriait,Oceanarougissait,maisellenepleuraitjamais!Je m’avançai jusqu’à elle. D’une main, elle défit son chignon et, tandis que ses cheveux blonds
déferlaientencascade,ellefitglissersongiletd’unmouvementd’épaule.Elleétaitnue.Labouchesècheetlecœurbattantlachamade,Jenepouvaismelasserdelaregarder,siparfaiteetsi
belle.Sarespirationétaitprécipitée;elleavaitpeur.Peurdequoi?Quejerefusecequ’ellemedemandait
ouquejelatouche?—C’estvraimentcequevousvoulez?Ellehochalatête.—Jeveuxvousl’entendredire,Oceana.
Chapitre11
Partir
Jetremblaiscommeunefeuillemortesur le litdeRick,persuadéequec’était laseulemanièrepourmoid’oublierl’étatd’Ethan.Toutelasoirée,madiscussionavecmamèrem’avaittorturéeaupointdenepasavoirécoutéuntraître
motdesdiscussionsdesgarçons,aupointd’avoirfixémonassiettepleinesanspourautantygoûter,aupointd’avoirsouripourfaireoubliermamélancolieàRicketàCarl.PlusàCarlqu’àRick,d’ailleurs,carluiavaitcomprisqu’ils’étaitpasséquelquechosedèsl’instantoùj’avaismisunpiedsurlaterrasse.CequejeredoutaistantenvenantàMiamis’étaitproduit.Ethanavaitétéhospitalisé.Sonétatn’était
pas suffisamment grave pour nécessiter une opération d’urgence, mais assez pour le garder soussurveillancependantunejournée.Jen’avaispasétélàlorsquelapuéricultricel’avaitperfusé.Jen’avaispasétélàpourluifaireoublier
qu’ildevaitresterdansunlitsanstropbouger.Jen’avaispasétélàpourleprendredansmesbrasetluifairecroirequec’étaitcommeàlamaison.Jen’avaispasétélà.Nipourluifairedesbisousmagiques.NipourluidessinerdeslutinsdupèreNoëlsurlespansements
desprisesdesang.Nipourluiapporterdugâteauauchocolat.J’étaislà.ÀMiami.Mamèreavaitvoulumerassurer.Ilallaitbienmaintenant,avait-elledit.Aprèsquemoncœuravaitété
arrachésanspréavisdemapoitrine.Ilallaitmieux,maisjen’avaispasétéaveclui.Monbébéétaitmalade,etjen’étaispaslàpourlui.Il
avaitreçuunefortedosedediurétiquepourréduirelachargedetravaildesventriculesdesonpetitcœur,avaitétémissousoxygèneetsesapportseneauréduits.Çadevenaitdeplusenplusdifficile…Ilvoyaitsescopainscouriretcrapahuterpartoutsansjamaiss’essouffleralorsquelui,auboutdecinq
minutes,étaitobligédes’asseoirpourreprendresonsouffle.Ilnemeledisaitpas,maisjesavaisqu’iltrouvaitçainjusteetqu’ilétaittristededevoirsecontenterdelesregarderjoueraulieudelessuivre.C’étaitçaleplusdur…Leplusdur,c’étaitdenepasleregarderavecmélancolie,devoirlemeilleur,
deluifairetoucherleplusbeau.Biensûr,ilsavaitcequ’ilavaitledroitdefaireounepasfaire,ouplutôtcequesoncœurl’autorisait
à faire !Mais, quelquefois, il était tenté d’aller au-delà de ses capacités. Et il était difficile aussi leblâmer,parcequelanormalité,àsonâge,c’étaitcourirets’amuser.Lorsquejefermaislesyeux,jepouvaisvoirsonpetitvisaged’angeentourédesesbouclesblondes,je
pouvaisentendreseséclatsderiresetsapetitevoixm’appelantmamanetjepouvaissentirsapeaudouceetfinesousmesdoigts.Miamime rendait faibleet impuissante.Miamimemontrait àquelpointmavieàNewYorkn’était
qu’une course folle pour la vie. Miami me faisait lâcher prise, me faisait rêver et oublier, presque,qu’Ethanexistait.Jeculpabilisaistellementdedireetdepenserça.Quellemèreétais-jepourmesentirheureusesanslui,heureuseavecRick?Pour lapremière foisencinqans, je flanchais.Jebaissais lesbras.J’envenaispresqueàsouhaiter
qu’ilsoitopéréenurgence.Jen’auraisplusbesoindecetargent,toutseraitprisenchargeparl’hôpital.MaisàquelprixpourEthan?Auprixdesavie.Carilneseraitopéré,danscesconditions,quelejouroùsonpronosticvitalseraitengagé.Jesavaisquecejourapprochait.Ethanavaitdéjàcinqans.Etc’étaitpourcetteraisonqu’ilmefallait
cet argent. Pour qu’il soit opéré dans de meilleures conditions, que son petit cœur soit réparé sansséquelles, qu’il se remette plus vite et qu’il puisse sourire parce qu’il courait – et pas seulement enregardantsescopainslefaire.Alors,letempsd’unesoirée,jevoulaism’oublier.Outoutsimplementappréciercertaineschosesdela
vieauxquellesjen’avaispluspensédepuistropd’années.JevoulaisRicketsonemprisesurmoncorps.Je voulais sa peau sur lamienne et son souffle dansmabouche. Je voulais qu’ilmemontre commentrespireretcommentfairecourirmoncœurpourlui,etuniquementpourlui.—C’estvraimentcequevousvoulez?J’étaisterroriséeparsaquestion.J’avaisétéexplicite,iln’étaitpasstupide,jevoulaisqu’ilmefasse
l’amour;ilm’encoûtaitdéjàd’êtredévêtuedevantlui,alorsledire!—Jeveuxvousl’entendredire.Jefermailesyeux.Prenantmoncourageàdeuxmains,j’articulai:—Jeveuxquevousmefassiezl’amour.Lesyeuxtoujoursfermés,torturéedansl’attentedesaréponsecommeunaccuséattendantsasentence,
jemeretenaismêmederespirer.—Alorslaréponseestnon.Ilrefusait.—C’estnon.Pasparceque jenevousdésirepas.Vousnepouvezmêmepasvous imagineràquel
pointilm’estdifficiledevousdirenon,carjerêve,mêmeéveillé,devousfairel’amourdanstouteslespiècesdecettemaison.—Alorspourquoivousnevoulezpas?—Parcequevousmeledemandezpourdemauvaisesraisons.Désespérée,jetentaiundernierargument:—J’aieuenviedevousbienavantcecoupdetéléphone.—Etpourtant,vousn’avezpasessayéchaquenuitquenousavonspasséensemble.—Je…—Jenevous feraipas l’amour,maisçaneveutpasdireque jeneveuxpasêtre làpourvous,me
coupa-t-il.Approchez.—Qu’est-cequevouscomptezfaire?—Vousfaireoublier.Maisàmamanière.Mavisionsetroubla.Etmatêtemerappelaundemesrêves,oùlasienneseperdaitentremesjambes.—Je…—Soyezpasstupide,Oceana.J’aienviedevousgoûter.
Sonaudacemefitfrissonner,autantquesesyeuxdétaillantmoncorps.Moncorps.Quiportaitlacicatricedemacésarienne,bienqu’estompéeàprésent,etdeuxvergetures
souslenombril.—Éteignezlalumière,lesuppliai-je.—Non.Jeveuxvousvoirrougir.—Jerougisdéjàchaquefoisquevousmeparlez.—Jenevaispasmeservirdemalanguepourvousparler…Jem’empourprai.Ilm’excitait.Samaindroitesetenditversmoi,paumeverslehaut.Jel’attrapaiet
melaissaiglisserjusqu’àlui,souslesdraps.—Oceana.N’ayezpashontedevotrecorps.Je sentis sa bouche seposer à l’intérieur dema cuissedroite tandis que sesmains agrippaientmes
fesses.Jetressaillis.Saboucheseposasurl’autrecuisse.Puisplushaut.Etencoreplushaut,siprèsdemeslèvresouvertes
etaccueillantes.—Oceana.C’estvraimentcequevousvoulez?Jehochaifrénétiquementlatête,lespaupièrestoujourscloses.—Regardez-moi,Oceana.Savoixétaitdouceetcalme,maissonregardenflamméetintense.Sesmainsm’attirèrentunpeuplus
vers lui. Je me laissai aller, m’allongeant sur le lit. Instinctivement mes jambes se placèrent sur sesépaulestandisquemesdoigtss’accrochaientauborddumatelas.Saboucherepritdélicatementsacourseversmonentrejambe.Malgrélesbattementsassourdissantsde
moncœur,jel’entendismurmurerentresesbaisersqu’ilenavaitenviedepuislongtemps,quejesentaisbonetque,promis,ilmeferaitl’amourunjour…Jemedétendais.Acceptaislesmartèlementspuissantsdemoncœur.Dansunrâlesortidesagorge,salanguedurcies’accaparamonclitoris.Jegémis.—Encoremeilleurquelavanille,chuchota-t-ilentremescuisses.Sa langue s’agitait, s’appliquait. Frénétiquement et sans relâche. Comme s’il dégustait lameilleure
glaceauchocolatqu’ileûtjamaismangé.Etmoi…JeremettaismoncorpsàRick.Jelelaissaismeguider.Remplirmonventredecetteexquisetension.
Intenseetchaleureuse.—Jemelanguisdéjàdevousfairel’amour,Oceana.Jemecambraietrejetaimatêteenarrièrepouraccueillircefeud’artificedebien-êtredansmonsexe.—Regardez-moi,Oceana,murmura-t-ilàl’instantoùl’undesesdoigtsmepénétrait.Jenepusretenirungrognementdeplaisirtoutenm’empalantplusprofondémentsurlui.Undeuxième
doigtrejoignitlepremier.Mespiedspressèrentplusfortsondos.—Oceana.Jeveuxquevousmeregardiezvousdonnerduplaisir.J’obéisetleregardai.Latêteentremesjambes.Sesyeuxplongésdanslesmiens.Tandisquesabouche
etsalanguejouaient,accompagnésdesesdoigtsallantetvenantdansmonsexe.Jemecambraiunenouvellefois.Saisisledrapavecfureur.
Jenelequittaispasdesyeux.Etlevoirsuffisaitàmerendrefolle.Àm’enivrer.Àmefaireexplosersursesdoigts.Nuedanssesyeux.Trempéesursabouche.Tenduedanssonautremain.Monorgasmemefitcrieràmedemandersicesonsortaitbiendemagorge.Enfin,jedevinsaussimollequeduchocolatfondu.Lefeuauxjoues,dansmoncou,surmapoitrine,
entremesjambes,jebrûlais.Sabouchehumideme sourit.Avant de se poser surmonpubis. Puis sousmonnombril. Il repoussa
doucementmesjambesetsemitdeboutpourcontinuerplushaut,surmonsternum.Jesoufflai:—Vousn’avezpasledroitdevousappuyersurvos…—Chut.Ilétaitdéjàcouchéàcôtédemoi,appuyésuruncoude.Monsexefrémitunedernièrefois.Ledosdesa
maincaressamajoue.—Jeveuxvoircerougequej’adore…Jesouris.—Queljoursommes-nous?demanda-t-ilavecmalice.—Ilestplusdeminuit.Samedi,jecrois.—Nouvellesrègles,dit-ilendéposantunchastebaisersurmeslèvres.Commepouremprisonnerl’empreintedesabouchesurlamienne,jemeléchaimeslèvres.Jereconnus
legoûtsaléetamerdemacyprine.—Etquellessont-elles?Ilfitcourirsesdoigtssurmonventre.—Iln’yenaqu’uneseule.Dansmonlit,c’estmoiquidécide.Sesyeuxbleusmefixaientavecintensité.—Siçasepassecommeçachaquefois,jenebougeplusd’ici.Jen’arrivaispasàcroirequej’avaisditça!—Dois-jeenconclurequeçavousaplu?—Jecroisquevousm’avezoffertunorgasme…—Vouscroyez?répéta-t-ilenlevantlessourcilscommesiceverbeneluiplaisaitpas.Jemordisl’intérieurdemajoue.—Vousêtesdansmonlit,Oceana…—Vousêtesmonpremierorgasme.Sesdoigtscessèrentleurdansesurmapeau.—Çan’estpascequevouscroyez,mehâtai-jededireenvoyantl’expressiondesonregard.J’aidéjà
connudeshommes,maisjesupposequ’ilspréféraientpenseràleurpropreplaisir.Ses yeuxme sondèrent. Je disais la vérité.Aucun ne s’était soucié demoi, demon plaisir. C’était
plaisant…maiscen’étaitpascequeRickm’avaitoffert!—JesoutiensquetousleshommesàNewYorksontaveugleset,certainementaussi,fous!dit-ilenfin.
Vousrestezdormiravecmoi?Jehochailatêtetoutenretenantunsourire,soulagée.
—Installez-vous,jereviens,annonça-t-ilavantderetournerdanssonfauteuil.L’airfraisdelaclimatisationsurmondosnumeréveilla.Peut-êtreaussileclapotisdesgouttesd’eau.
Lentement, j’ouvris les yeux. Il faisait nuit. Rick n’était pas près de moi. Je me redressai tout enm’enveloppantdudrap.Unevivebrûluredansmonentrejambemerappelacequenousavionsfait.Cequ’ilm’avaitfait…Jechassaidematêtelapetitevoixsournoisequimesuggéraitquecen’étaitpasbien.Cen’étaitpas
simplementbien,c’étaitaussiaffreusementbon,divinementsucculent,addictif!Lebruitde l’eau s’intensifia. Jeme levai etmedirigeaivers la salledebains, enveloppéedemon
drap.Sansfairedebruit,j’ouvrislaporte.Ilétaitdeboutsursesdeuxjambes,devantsonfauteuil,lebrasgaucheenappuisurlemurenfacedelui;sonbrasdroits’agitaitdevantlui.Levoirsemasturbermefitbouillir.Baignéparl’eauquis’écoulaitdeladouchefixéeau-dessusde
lui,ilgémissait.Sondos,sesfessesetsescuissessecontractaient,dessinantsamusculatureparfaite.Jem’approchaidoucement.Jevoulaislevoirdeplusprès.Jevoulaislevoirjouir,commeilm’avait
vue.Maisledraps’accrochaàlaporteetlafitgrincer.Jemepétrifiai.Rickseretourna.Confuse,jevissonsexetendu,qu’ilvenaitdelâcher.Ilnemeregardaitpas.Ilrestaitlà,figésousle
jetd’eau.—Jesuisdésolé,murmura-t-ilenfin.Maisvousvoirnuedansmonlit,après…Sa phrase resta en suspens. Il s’excusait, alors que c’étaitmoi qui l’avais surpris dans unmoment
d’intimité!Je laissai le drap là où il était, coincé dans la porte, et entrai dans la douche. L’eau était presque
brûlante.Jem’inséraientreluietlemur.C’étaitlapremièrefoisquejelevoyaisdeboutdevantmoi.Ilmedominaitdedeuxtêtes,etjemesentaisminusculeetfragile.—Vousnedevriezpasêtredebout,tentai-je.—Jenesuispasàquelquesjoursprèspourlagauche,etc’estplusfaciledebout.—Jenevoulaispasvousdéranger,mais…—Mais?—Pourquoivousnem’avezpasréveillée?LessourcilsdeRicksefroncèrent.—Ce n’est pas parce que je vous ai fait du bien que vous devezm’en faire aussi, lâcha-t-il avec
amertume.—C’estcequevouscroyez?Vouspensezréellementquejemesensobligéedevousrendreceque
vousm’avezdonné?Jeleferaiseulementparcequej’enaienvie.—Non!—Nousnesommespasdansvotrelit,Rick.Iln’yapasderèglesici,l’avertis-jed’untonsec.—Jelametsenplacedèsàprésent.Jenelecomprenaispas.C’étaitcequ’ilvoulait,jelesavais,sonsexemelefaisaitsentirenfrôlant
monbassin.Sesyeuxmelecriaient.—Demandez-moide le faire. Je suis certaineque c’est cequevousvoulez.Vousvoulezdiriger et
dominer,alorsfaites-le.Jenevousblâmeraipas,jenesuispasdanscefauteuil,dépendantedesautres,toutelajournée.
Jemefoutaisdesavoirs’ilm’envoulaitdeluiavoirdittoutça.Cen’étaitquelavérité.Iln’avaitqu’às’arrangeravecsonego,aprèstout.Jetentailetoutpourletout.Jeposaiundoigtsurl’unedescicatricesdesontorseetlefitglisser,à
traversl’eauruisselante,d’unboutàl’autre.Jerecommençaiaveclasuivante.Sursonabdomen.Aveclamêmedélicatesse.Lesyeuxfermés,laboucheouverte,iltressaillit.—Jesuisterrifiée,Rick.Jesuisterrifiéeparcequejedésirefaireavecvousdeschosesquejen’ai
jamaisfaites.Jesuisterrifiéeparcequejenesaispassicequenousfaisonsestbienoumal.Etjesuisterrifiéeparceque jene saispasm’yprendreetque j’aipeurdenepas réussir àvous fairedubien.Alors,dites-moicequejedoisfaire.Mon cœur semblait vouloir exploser dans ma poitrine. J’avais dit tout haut ce qui me torturait à
longueurdejournée.Sesyeuxs’ouvrirentenfin.—Mettez-vousàgenoux.Jem’exécutai.Tremblante.Apeurée.Tendudevantmesyeux,sonsexesursauta.—Audébut,laissez-moifaire.Accrochez-vousàmeshanches.Siçanevapas,vousmepincez.OK?Lesyeuxtoujoursfixéssursonsexe,jehochairapidementlatête,merefusantàpenserqueçapourrait
nepasaller!Samainguida songlanddécouvert jusqu’àmabouche. Il s’y frottadélicieusement.Sapeau lisseet
soyeuseglissaitsurmeslèvresentrouvertes.Ilgémitunenouvellefois,faisantnaîtreenmoiunsentimentdepuissance.Dansunélandecourage,je
melançai.Jeleléchai.Nouveaugémissement,puissantetplusprofond.Jefaisaisglisserleboutdemalangue le long de sa verge. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais, mais l’entendre geindre mesuffisait.Jeleprisdansmabouche,l’inséraiauplusprofond,jusqu’àmagorge.Jerecommençai.Encoreetencore.Enivré,ilposaunemaindansmescheveuxtrempés,mepressantcontrelui.—Oceana,sivoussaviezcommej’enairêvé…L’entendrelediremedonnaautantdeplaisirques’ilmetouchait.Jemedélectaidesaqueuedansma
bouche,desonregardfoudedésiretdesesgémissementstoujoursplusforts.—Oceana…Jevaisjouir.Levez-vous.Mesdoigts s’agrippèrent fermement à ses fesses, lui signifiant que je ne comptais pasm’arrêter là.
J’accélérailacadence.Toujoursplusvite.Toujoursplusprofond.Sanspitiépourmagorgeetjouantdemalanguesursongland.Sesgémissementsdevinrentrauques.Jesentissongout,satexturesurmalangue.J’avalaisansmeposerdequestion.Etjerecommençaiàalleretvenirsursonsexequisetendaitetsedétendaitpourenexpulserunpeuplus.Undernierrâlesortitdesagorge.Jemeretirai,etilm’aidaàmelever;mesjambestremblaient.—Jecroisquec’estlameilleurepipequ’onm’aitjamaisfaite,avoua-t-il,haletant,lesyeuxfixéssur
mabouche.Jenepusretenirunsourire.—Jecrois?relevai-je.—Deloinlameilleure.Lameilleure…
Sesdoigtsrepoussèrentquelquesmèchestrempéesdemonvisagealorsquesesyeuxmedévisageaientavecunetendressequejeneluiconnaissaispas.—Etjelerépète,leshommessonttousfous,àNewYork.
Chapitre12
Comment?
Comment se comporter après une nuit comme la nôtre ? Il n’était plus question de caresses ou debaiserséchangéssousundrap,ilétaitquestiondebeaucoupplusqu’unsimpleéchangedesalive.Rickavaitdécouvertmonintimité,j’avaisdécouvertlasienne.Ilm’avaitoffertunorgasme,etj’enavaisfaitdemêmepourlui.Ilm’avaittouchéecommepersonneavantluinel’avaitjamaisfait,etjem’étaislaisséesurprendreparmonaudaceen le touchantaussi.Alors,commentdevions-nousnouscomporteraupetitmatin?Avant ce samedi, il y avait mes règles, qui m’aidaient à croire que j’étais seulement son aide à
domicile–uneaidequi avait commiscertaines incartades.Quim’aidaient à croirequece trucn’étaitqu’une simple attirance exacerbéepar l’isolement. Illusion, puisquema tête,mon corps et surtoutmesjouessemblaientréagiruniquementàRick,etcelamêmeenprésenced’autrespersonnes.Cetrucn’étaitpasqu’unesimpleattirance.En avoir conscience, c’était bien, mais cela ne m’aidait pas à savoir… comment je devais me
comporteravecluicematin.Jen’avaisjamaiseuàaffrontercegenredeproblèmeaveclepèred’Ethan,Ben.Nousn’habitionspas
ensembleet,lesraresfoisoùnousdormionsdanslemêmelit,nousnouslevionsàdesheuresdifférentes.Luiendernièreannéedemédecineetmoi,jeuneinfirmièredanslemêmehôpital,vivionscomplètementdécalés.Nousnouscroisions.Je ne me rendais compte que maintenant que notre relation avait tout été sauf normale. Jamais de
restaurant,aucunesoiréeentreamis,pasdesaladesvertesauxchandellesnidedouchespartagées.Rien.Onnesevoyaitpaspoursevoir,maisseulementpourbaiser.Rapidement.Ças’arrêtaitlà.Etçanemedérangeaitpas.Pourquoi?Parcequej’aitoujourspréférélebonheurdemonentourageau
mien.Etcertainementaussiparcequejeneconnaissaispasautrechose.Jen’avaisjamaiseucetrucaveclui…nousn’avionspasletemps,ounousneleprenionspas.C’étaitsimpleetsansprisedetête.Jenemeposaispasdequestions,luinonplus.Jusqu’àEthan…Bienplusqu’unequestionpourlui,magrossesseavaitétéunproblème.Unproblème
poursafuturecarrièredechirurgienplastique.Unproblèmepoursonfuturplanning.Unproblèmepoursonportefeuille.Unproblèmepournosrelationssexuelles.Unproblème!Moi,j’avaisacceptél’idéed’avoirunenfant.Avecousanslui.Etleseulproblèmequiavaitsuivila
naissance n’avait pas été, pourmoi, sa lâcheté, mais le fait de savoir quemon enfant ne vivrait pasnormalement.Lui,enrevanche,avaittrouvélasolution.Prendrelafuite.—Jesaisquetunedorsplus,meditRickavantd’embrasserlesommetdemoncrâne.Depuisaumoinsuneheure.J’avaispuobserverleleverdusoleil,unvold’oiseauprèsdelapiscineet
apprécierchaquebattementdesoncœurdansmonoreille.J’avaisdéjàunepartiedemaréponse.Ilmetutoyait.Ilm’embrassait.Avectendresse.Commentsavoirsicequenousavionsfaitétaitbienoumal?Etqu’allions-nousfaireaprès?J’étais
terrifiéeàl’idéedepartir,terrifiéeàl’idéederester.—Qu’est-cequenousavonsfait?murmurai-je.—Jesupposequenousavonstestécemachinquetuappellestruc,répondit-il.Jemeretournaisurleventre,plaçaimesmainssursontorseetmonmentondessus,pourl’observer.—Soitlaréponseneteconvientpas,soittumecachesquelquechose…—Jen’aimepasquetu…quevous…metutoyiez!dis-jeaprèsavoirfaitunsignededénégation.Sesyeuxseplissèrent.—Tumens.Tun’hésitesjamaissurtesréponses.Dois-jeterappelerquetuesdansmonlit,etque,de
cefait,tudoism’obéir?Undesesdoigtstapotadoucementleboutdemonnezenguised’avertissement.—Tun’aspaspréciséquelleseraitlapunition.Donc,j’aibienenviededésobéir,lenarguai-je.—C’estbienlapremièrefoisqu’unefemmemedemandedelapunir…—Jen’airiendemandé.J’aijusteditquejen’avaispasenviedefairecequetumedemandais.—Alorsjevaisréfléchiràmesconditions.Jehaussailesépaulesetmelevai.—Tut’envas?s’inquiéta-t-il.—J’aiuncoupdetéléphoneàpasser.Jesavaisqu’Ethanallaitbien,qu’ilétaitrentréàlamaison,maisjeneluiavaispasparlédepuistrois
jours.—D’habitude,tutéléphoneslesoir.—D’habitude,jenefaispascegenredechosesavecmespatients.Jelaissaimonregarddescendrelentementsursontorse.—S’ilteplaît,enlève-moidelatêtel’imagedetoiavecunvieux!gémit-ilensecachantlesyeux.Jegloussaietcourusversmachambre,nuecommeunver.—Vaàladouche,onserejointàlacuisinepourdéjeuner!—Douche?Voilàcequ’ilmefallait!répliqua-t-il.Deloinlameilleureimagedetoi!Jemeretournai…etmefigeaisurlavisionqu’ilm’offrait.Deboutàcôtédulit,touslesmusclesde
sondos,desesbrasetdesesfessesétaienttendus.Jerougisetchassail’idéederetournersousladoucheaveclui.—Ilfautquetuarrêtesdetemettredebout.Àtropforcer,tuvasavoirmal,ettonfémurneconsolidera
pas.— J’ai déjà mal, de toute façon, répondit-il. Mais la sensation d’être sur mes deux pieds vaut
largementladouleur!Etpuistuespartiesansplacermonfauteuilàcôtédulit.Je m’empressai de le rejoindre, récupérant son moyen de transport au passage et l’aidant à s’y
installer.—Tuveuxmarcher?—Semettredeboutestunechose.Marcherenestuneautre.Jenecroispasêtrecapabledemettreun
pied devant l’autre sans flancher. Et puis, comme tu l’as dit, je n’ai pas encore l’autorisation dem’appuyersurmajambedroite.
Jelepoussaiversledressing.—Cen’étaitpasmaquestion.Jet’aidemandésituvoulaismarcher?Jeluimontraiunshortdebainetundébardeur.Ilapprouvadelatête.—Tuconnaislaréponse,Oceana.Biensûrquejeveuxmarcher!Jeluilançaiseshabits,presséequ’ilcachesoncorpstropparfait.—OK.Laisse-moijusteletempsdetrouverunesolution.—Iln’yenapas.Iljetasesaffairesàcôtédulavabo.—J’auraitrouvéunesolutiond’icicesoir…murmurai-jeàsonoreille.Ilattrapamonpoignetetm’incitaàm’installersursesjambes.Mollecommeduchocolatfondu,jeme
laissaiallercontrelui.Jenichaimatêtedanssoncou.—Pourquoipasmaintenant?demanda-t-ilenhumantmescheveux.—Parcequej’aiuncoupdefilàpasser.Sesdoigtsremontèrentsurmacuisse.Jefrissonnai.—Tudoisvraimenttéléphonermaintenant?J’aimeraisretournersousladoucheavectoi.Jesoupirai,lesyeuxfermés,leneztoujoursdanssoncou.—Non!Enfin,oui!Jedoisvraimenttéléphoner.Est-cequejevenaisréellementderefuserdeprendreunedoucheaveccesdoigtsquigrimpaient,cette
bouchequim’attiraitetcesyeuxbleusquim’électrisaient?—OK.Onseretrouvetoutàl’heurealors.Iltapotamacuissepourquejemelève.Est-cequejel’avaisvexé?Jecollaimabouchesursajoue
jusqu’àsentirunlégersouriredétendresesmaxillaires.—Netemetsplusdebout,d’accord?—Ettoi,laprochainefois,visemabouche!Etpourl’amourdeDieu,metsunputaindesoutien-gorge
soustarobeaujourd’hui!Ethanallait trèsbien.Aumeilleurdesaforme.Lesenfantsontbienplusdeforceetdecourageque
nous. Ils sourient à la vie,même lorsque celle-ci ne les épargne pas.Leur capacité à se remettre desépreuvesm’atoujoursépatée.Il m’avait raconté son séjour à l’hôpital dans les moindres détails, avec ses mots à lui, et son
enthousiasme.Riendanssavoixnem’avaitlaissépenserqu’ilm’envoulaitdenepasavoirétélà.Mamèreavaitjouémonrôleàlaperfection.Jel’enremercieraisplustard.Elletravaillaitcommegouvernantedansl’hôteldelafamilleThomasdepuisdesannées.Ledirecteur
connaissaitnotresituationetluiavaitpermisd’aménagerseshorairesenfonctiondesmiensetdeceuxd’Ethan. De ce fait, elle partait très tôt le matin afin d’être rentrée en début d’après-midi pour lerécupéreràl’école.Seuleslesvacancesscolairesposaientproblème.NousavionsdûfaireappelàEmy,unenourrice.Emyétaitladeuxièmeamoureused’Ethan!Commentnepasl’aimer,d’ailleurs?C’étaitlaperfectiondelagentillesse!Jenecroyaismêmepasl’avoirentenduehausserletonuneseulefois.Parler avecmon filsm’avait donné envie demanger un gâteau au chocolat.Malheureusement,Rick
étaitàcourtdechocolat!Sansprendrelesoindel’enavertir,j’avaisdonccommandéuntaxipournousemmenerfairequelquescoursesdansl’après-midi.
Habituellement, Rick se faisait livrer à domicile après avoir passé commande sur internet,mais jepréférais cuisiner des produits frais là où il se contentait de plats tout prêts. Il me fallait aussi deslégumesetdelaviande.—Horsdequestion,Oceana!Tunemetraîneraspasdansunegrandesurface…Ilavait toutessayé, suggérantdedemanderune livraisonexpress,d’allersonnerchez lesvoisins,et
mêmedenégocierlesrèglesdelasemaine.—Nousn’enavonspaspourlongtemps.Dansuneheure,auplustard,nousseronsrentrés,argumentai-
je.Ilfitunnouveausignededénégationfarouche.Jehaussailesépaulesavecdésinvoltureetlançai:—Commetuveux,àtoutàl’heure,alors.—Çava,jeviens,lâcha-t-il,renfrogné.Uneheure,Oceana.Uneheure!Victorieuse,jenepusretenirunsouriredevictoire.Aprèspresqueunedemi-heured’embouteillages,nousarrivâmesenfinaucentrecommercial. Ilétait
bondé.Rickmesuivitdanslesrayons,leregarddur.Monenviedefaireungâteauauchocolatcommençaàsedissiper,tandisquemonsourires’effaçaitpeuàpeu.Jecommençaisàpenserquejen’auraisjamaisdûinsisterpourqu’ilm’accompagne.—Jenesuispasdanscetétatàcausedetoi, lâcha-t-ilunefoisarrivéà lacaissepourpersonnesà
mobilitéréduite.Je me retrouvais dans la même situation qu’au restaurant. Son état était tem-po-raire ! Je ne lui
reprochais pas d’être triste, mais de ne pas essayer de voir les choses autrement. Finalement, jerépondis:—S’ilestquestionduregarddesautressurtoi,jepeuxtecertifierquelaseulequiaitàsefairedu
souciici,c’estmoi.Touteslesfillesseretournentpourtemater!—Serais-tujalouse?insinua-t-il.Jalouse?Jenesavaismêmepascequecemotsignifiait!Néanmoins,ilm’avaitfaitrougir.—Jeleseraissitul’avaisremarqué!répliquai-je.—J’étaisbientropoccupéàregardertesfessessortiràtourderôledetonshortquandtupoussaisle
caddie,chuchota-t-il.Je virai au cramoisi. Ilmemontra la caissière dumenton,m’indiquant que c’était notre tour, etme
dépassa.Moi,j’étaispartagée:allais-jemefaufilerjusqu’aurayonfemmepouracheterunpantalonoufoncertoutdroitverslescosmétiquesetopterpourdufonddeteint?—Bonjour!chantonnalacaissière.Sonton,unpeutropjovialàmongoût,etsesyeuxflamboyantsmefirentl’effetd’uncoupdepiedaux
fesses.Rickluioffritunmerveilleuxsourire.Moncœurseserra.C’étaitça,lajalousie?Pourpenseràautrechose,jemeremuaietrécupéraidessacsenpapiersousleregardmoqueurdeRick.—Çanevapas,Oceana?demanda-t-il,faussementinquiet.Jedardaisurluiunregardlourddesens.—Tuespresqueaussirougequelorsquetuasattrapéuncoupdesoleil!
Jecontinuaiàremplir lessacs,caressant l’idéede lenoyerdans lapiscineenrentrant.Je levoyais
déjàpatauger…
—J’aitrouvé!m’exclamai-jesoudain,surexcitée.Perplexe,ilfronçalessourcils.—J’aitrouvécommenttefairemarchersansappui!Maisilvafalloirquetumefassesconfiance.—Jet’écoute,dit-il.—Lelève-malade,grimaçai-je.Jesavaisqu’ilavaithorreurdecetappareil.Maislejeuenvalaitlachandelle.—75dollarset25cents,nouscoupalacaissièred’unevoixfluette.—Oceana?m’appela-t-il.Excusezmapetiteamie,ellenevousapeut-êtrepasentendue.Ilavaitdit«petiteamie»?Jerestaisansvoix.—C’esttoiquiaslacartedecrédit.Jet’attendsdehors,dit-il,lesdentsserrées.Qu’est-cequej’avaisfait?Rien.Ilavaitditquej’étaissapetiteamie,etjen’avaispasréagi.J’avais
étéchoquée.Larguée.Frappée.Renversée.Ils’agissaitpeut-êtred’unsimplejeupourrendrelacaissièrejalouseoupourmefairerougir.Loupé.Enfait,dansmatête,iln’yavaitpasdefuturpournousdeux.Peut-êtreétait-celaquestionquej’aurais
dûmeposercematin.Passijedevaisl’embrasserenmelevant,passicequenousfaisionsétébienoumal,nisijedevaisprendremadouchetouslesjoursaveclui!Maisseulement…Etaprès?Aprèscesdixsemainespasséesàjouerauchatetàlasouris,auxadolescentsenproieàundéferlementd’hormonesouauxtesteursdetrucsentoutgenre,qu’est-cequenousferions?Jeleretrouvaisurleparkingducentrecommercial,lesyeuxfermés,latêterenverséeverslesoleil,
commes’ilétaitunpanneausolaireenquêted’énergie.—Jesuisdésolée,m’excusai-je.—C’estàmoidel’être.—Oùçavanousmener?Ilouvritlesyeuxetsetournaversmoi.Jelâchailespaquets,surpriseparlatendressedesonregard.—Jen’ensaisrien.Maisest-cequetucroisqueçanevautpaslecoupd’essayer?Essayer quoi ? Je voulais lui dire qui j’étais réellement. Unemaman. Lamaman d’Ethan.Mais je
paniquai:—Nousnesommespasdumêmemonde,Rick.Jesuisqu’unesimpleinfirmièrequivitàNewYork,
alorsquetuesl’undesfilsdeM.Thomas,directeuretpropriétairedel’undesplusprestigieuxhôtelsdeMiami.Etjeneparlepasdesautres.—Jenevoispasoùestleproblème,répliqua-t-il.Lesfamillesdanslesquellesnoussommesnésne
déterminentpasquinoussommes.—C’estcequetudirasàtamèremardi?Quejesuistapetiteamie?Ellemevirerasur-le-champ!Son silencemepesa tout autantque s’ilm’avait réponduque, lemardi, je redeviendrais sonaideà
domicileetluimonpatient.Finalement,ilpritmamainetlaportaàseslèvres.Jefrémisàsoncontactbrûlant.—Alors,qu’est-cequenoussommes,Oceana?—Je…jen’ensaisrien…—Laissonsletempsfaireleschoses,tuveuxbien?
Ilsoupira,sanspourautantlâchermamain.—C’étaitquoitonidéeaveclelève-malade?Jerougisrienqu’enprononçantlemotdansmatête,mepenchaiàsonoreilleetmurmuraid’unevoix
langoureuse:—Pis-ci-ne!
Chapitre13
Premierspas
Pendantmesétudes,avecmesamis,nousavionsexpérimentétoutuntasdetrucsquenousfaisionsauxpatients.Nousvoulionsnousmettreàleurplace,ressentirleurdouleuretleurspeurs,afindemieuxlessoignerplustard.Çapouvaitallerdelasimplemanipulationdansunlitàlaposed’uncathéter!Etfinalement,nousétionstousarrivésàlamêmeconclusion:laseulechoseessentielleàlarelation
entreunpatientetunsoignant,c’étaitlaconfiance.Eneffet,iln’étaitpastrèsdifficiled’apprendreàretournerunpatientdanssonlit,àluifaireuneprise
desangouuneinjection,àletransférerdansunfauteuil…maislaconfianceensoietenl’autre,çanes’apprendpas.Çasemetenplace–etsurtout,ças’entretient.EnvoyantRick,lestraitstirésetl’airanxieux,pendantquejepassaislessanglesdulève-maladeentre
son dos et le lit, je comprenais que la confiance manquait à l’appel. Pas la peine de retourner ausupermarché;iln’existaitaucunrayonoùlatrouver.Çan’étaitpasenmoiqu’iln’avaitpasconfiance,maisen l’engin. Je levoyaisà lamanièredont il
l’examinait, des roulettes qui me permettraient à le transporter jusqu’à la piscine au levier qui mepermettraitdelesoulever.—Combienpèses-tu?luidemandai-je.—Sansdouteunpeumoinsdequatre-vingtskilosmaintenant.J’accrochailessanglesauxcrochetsdefixationau-dessusdesatête,m’emparaidelatélécommandeet
grimpaisurlelitpourmefaufilerentrelabarredepréhensionetsoncorps.—Qu’est-cequetufais,Oceana?Sontorseréchauffamondosàtraversletissudemondébardeur.Jem’appuyaicontrelui.—150kilosmaximum,c’estcequiestécrit.(Jemontrail’étiquette.)Nousn’avonsplusqu’àcroiser
lesdoigtspourquelefabricantn’aitpasgrossileschiffrespouraméliorersesventes.J’affectaislasérénitémais,enréalité,j’avaishâtequecettestupideexpériencesoitfinie.—Tiens,ajoutai-jeenluitendantlatélécommande.Vas-y.—OK…Lepoucesuspenduau-dessusdelaflècheHAUT,ilmejetauncoupd’œilindécis.—Attends!m’affolai-je.Tut’enesdéjàservi?Ilsecoualatête.—Jamais.Jeneteretournepaslaquestion:qu’est-cequetuviendraisfairelà-dedans?—C’estjustementça,leproblème.Jesuisdéjàmontéedansundecestrucs.C’est…particulier.Pouvait-ilsentirlesbattementsfrénétiquesdemoncœur?Ilsemitàrire:—Tuaspeur?
—Jenepeuxpasappelerçadelapeur.C’estplutôtunesensationdésagréable…Commesitoncorpsnetenaitqueparcetasdeferraille.Tuvoles,maistuesficelédanslehamac.Etlepire,c’estladescente.Parcequetunevoispaslemomentoùtesfessestouchentlematelasou…autrechose.—Pourquoimontes-tuavecmoi,alors?Pourqu’ilaitconfiance!—Siturigolesencoreunefois,jedesc…Ah!Avecunsourirenarquois,ilavaitappuyésurlaflècheHAUT.Mesmainss’agrippèrentàlabarreet
moncœureutunsoubresaut,tandisqueRickgloussait.Aumoins,j’avaisréussiunechose:iln’avaitpluspeurdulève-malade!—Cen’estpassiterrible.Onfaitcommentpourallerjusqu’àlapiscinemaintenant?Suspenduedanslevide,j’essayaisdenepasentendrelabarredelevagequicrissait.J’enfouislatête
danslecoudeRicketannonçai:—Ilfautquejeredescende.Turesterasficelétoutseul,maintenant.Redescends-nous…doucement…
s’ilteplaît.—J’aibienenviederesterperchélà-haut.—Rick,jet’assurequeçan’estpasdrôle,jenesuispasfriandedecegenredesensations.—Siunjourjeremarche,jeteprometsdetefairetesterlewakeboard.Partagéeentreledésirdeluirépéterqu’ilremarcheraitbientôtetl’obligationdel’informerquejene
seraispeut-êtrepluslàpourlevoiraffronterlesvaguesdeMiami,jepréféraigarderlesilence.Àpeinemestalonsavaient-ilstouchélelitquejemerelevaisansménagerRick,quiétouffaunléger
cridedouleur.—Désolée…Denouveausurlaterreferme,jeluisubtilisailatélécommandeetlerelevai.Pousser le lève-malade jusqu’à la piscineme demanda pasmal d’efforts, d’autant que les roulettes
avaienttendanceàmecontrarierensecoinçantdanslesjointsdesdallesdelaterrasse.Prèsdesmarchesde lapiscine, je le fisdescendreavecdélicatesse.Une foisau sol, accroupieà sescôtés, jedéfis lessanglesduharnais.—Enquoilapiscinevamepermettredemarcher?demanda-t-ilencontemplantl’eauavecenvie.—Tonpoidsneserapaslemêmeunefoisimmergé.Dansunpremiertemps,tiens-toiauborddela
piscine et effectue quelques pas chassés. Si tu sens que ça tire, on arrête là. Si tu penses pouvoircontinuer,lâche-toi.—Tunevienspasavecmoi?J’étais toujours endébardeur blanc et short en jean.Et je voulais que ça soit sonmoment à lui. Sa
victoireetsesprogrès.Jevoulaisluiprouverqu’iln’avaitbesoindepersonne.—Non.J’airécupéréunmancheàbalaietj’aitrouvéuneplanchedesurfdanstongarage.Tupourras
t’app…—Non,mecoupa-t-ilavecunregardglacial.Jefrémisetrestaisilencieuse.—Elleestoù?Laplanche?Jelaluiindiquaidumenton.Derrièrelui,àplatsurlesol,laplancheenboispolibeigereflétaitles
derniersrayonsdesoleil.
Ilseretournaetjevissesmâchoiressecrisper.Monventreseserra.JemesouvenaisdesconfidencesdesonamiCarl,àproposdesonpèreetduchoixqu’ilavaitfait.Leslèvrestremblantes,j’avouai:—Carlm’aracontéquetun’étaisplus…—Jen’aipasbesoinquetumerappellescequej’aifaitounondansmavie.Ramène-moiàl’intérieur,
jenetoucheraipasàcetteplanche.Malgrécetonsansappel,jerécupérailaplancheetlajetaidansl’eau.—Qu’est-cequetufais?Jeprisunegrandeinspirationpourmeretenirdeluidirequ’ilétaitstupide,etdescendislespremières
marchesdelapiscine.Lesoleildelajournéeavaitsuffiàréchaufferl’eau.—Jeviensavectoi,luirépondis-je,àmoitiéimmergée.—Jenetoucheraipasàcetteplanche,dit-ilentresesdents.—Jen’aipasbesoinquetumerappellescequetuasdéjàdit.Etpuis,jenesaispasnager.—Menteuse.Dois-jeterappelerquejet’aidéjàvue?Jegrimpaiàcalifourchonsur laplanche,refoulant lesouvenirdemapremièrenuità lavilla.Enfin,
stabilisée, je posai lesmains bien à plat devantmoi et tournaimon regard versRick, qui n’avait pasbougé.—Tun’aspasmisdesoutien-gorge,mesermonna-t-il.—Tun’estoujourspasdansl’eau.Jenet’attendraipasindéfiniment.—Pourquoitunerougispas?Ilavaitraison.Évoquantdeuxsouvenirsembarrassants,moncorpsnem’avaitpastrahieuneseulefois.—Parcequetonbutn’estpasdemefairerougirmaisdemefairerenoncer.Etjeveuxquetuviennes
dansl’eauavecmoi.—Tun’yespasvraiment!—C’esttonmoment,Rick.Apprécietonmoment.—Etsijeneveuxpas?Jesentissatristesse.Etsiassociersessouvenirsetsespremierspasn’étaitpasunebonneidée?Hésitante,jetentaiunedernièrefois:—Dequoituaspeur?Jetel’aidit,situasmal,onarrêtera.—Jen’aipaspeur.Etjeveuxfaireçaavectoi,pasavecunmancheàbalaisoumavieilleplanchede
surf.Jeveuxlefaireavectoi.Pasparcequejeveuxquetum’aidesouquetumerassures,maisparcequejeveuxlevivreavectoi.Quandonveutvivrequelquechoseavecquelqu’un,ondésirequ’ilfassepartiedenotreavenir–non?Commeausupermarché,jerestaisansvoix,troublée,angoissée.Néanmoins,j’avaisretenulaleçon.—Depuisquandtunel’aspastouchée?m’empressai-jededemander.—Plusd’unan.—Situlefais,jedescendsetjemarcheraiàtescôtés.—Est-cequetuterendscomptesdecequetumedemandes?Sonregardmesuppliaitd’arrêter.Dedescendremaintenant.D’oubliersaplancheetlesrévélationsde
sonami.—Pastellement,soufflai-je.Ilsoupira,nonpasparagacement,maispoursedonnerducourage.—Cetteplanche,c’étaitlesymboledemesrêvesetdemescauchemars.Aujourd’hui,monseulrêve
c’estdepouvoirremarcheretmonseulcauchemar,denepasyarriver.—Fais-toiglisserjusqu’àl’eauetrejoins-moi.—Tuentendscequejetedis,Oceana?Toujourscesyeuxbleusquim’imploraient…j’allaisflancher.Pourquoi?Jeneflanchaisjamais.Jene
me laissais jamais atteindre. Je trouvais toujoursune solution ! Jenecédaisqu’àEthan, jamais àmespatients.SaufqueRick,detouteévidence,n’étaitplusmonpatient…—Tuasparléaupassé,dis-jeenfin.Turemarcherasbientôt.Ettupourrasdenouveaumonterdessus.
Çanedépendquededeuxchoses,detavolontéetdetespeurs.Viensjusqu’àmoimaintenant,oujecoursmettreunsoutien-gorge!Il leva les yeux au ciel et commença à glisser sur le sol en s’aidant de ses mains. Lentement, il
descenditlesmarchessursesfesses.—Jenelefaispaspourlesoutien-gorge.Maissijedoistouchercetteplanchepourqueturestesavec
moi,alorsjeleferai…Descends,maintenant,ordonna-t-il.Jevoulaisluidirequej’étaisdésolée.Quejen’avaispasvoululetorturer.Quej’avaisvouluretrouver
cesourirequipétillaitàlaperspectivederemarcher.Je vinsme placer debout à côté de lui, bras noués surma poitrine.De l’eau jusqu’aux hanches, je
balayaiduregardlapiscine,puisrevinsàRick,toujoursassissurladernièremarche.Ici, iln’yauraitpasassezdeprofondeurpourlui.—Ilfautallerplusloinavantdetelever,l’avertis-je.Ilclignaet,brusquement,satêteplongeadansl’eauetilsemitànageràlaseuleforcedesesbras.Ses
gestesétaientsifluidesetsiamplesqu’ilsdonnaientpresquel’impressiond’êtresurnaturels.Enréalité,cetteimagenem’auraitpasaffectéesiunautrequeRickavaitnagéainsidevantmoi.Maisc’étaitRick,l’hommedépendantdesesjambespoursemouvoir,restreintdanssescapacités,incapabledesedéplacersanssonfauteuil.Alorsquelà,dansl’eau,ilsemblaitenfinlibéré,enfinlui-même.Unautrehomme.Émue, jenesentismêmepasquej’avaiscesséderespirer jusqu’àcequesa têteémergeàquelques
mètresdemoi.Debout,de l’eau jusqu’aucou,pasmêmeessoufflé, ilme regardait, le front ruisselant,commes’ilseretenaitdecriersajoieaumondeentier.—Jet’attends,Oceana,murmura-t-il.Jeplongeai àmon tourpour le rejoindre, effectuaiquelquesbrasses etm’arrêtaidevant lui, sans le
toucher.—Jen’aipaspied,luisignifiai-jeenreprenantmonsouffle.Mesbras etmes jambes s’agitaient pourmemaintenir la tête hors de l’eau, alors quemes cheveux
flottaientàlasurface.Sonregardseportaverslefonddelapiscine,puisrevintàmoi,craintif.Ilallaitlefaire.Jemeretinsdenouveauderespirer.Unpasavecsajambedroite.Laplusamochée.Laplusdouloureuse.Ill’avaitfait.
Sansvaciller.Sansgrimacer.Avecfierté.Puislagaucherejoignitlapremière.Jereprismonsouffle.Il me sourit timidement, les yeux brillants d’excitation, puis se tourna sur le côté pour continuer
jusqu’auborddelapiscine.Jecomptaisixpas,etilrevintversmoi.Sansprécipitation.Aveclamêmeapplication.Lesyeux fermés, commes’il appréciait chaqueenjambée.La tensionde sesmuscles, leurextension.Commes’ildégustaitquelquechosequ’onluiavaitinterditpendantdesannées.Sespaupièress’ouvrirent.Pasbesoinde luidemandercequ’ilavait ressenti, la réponsese trouvait
devantmesyeux.Ilsouriait.—Accroche-toi,medit-ilenmetendantunemain.Silencieuseetindécise,jereculaiimperceptiblement.Commesousladouche,j’avaisPresquepeurdu
Rickdeboutetdressédevantmoi.—Jenecroispasqueçasoitunebonneidée.Tuaurasmonpoidsenplusàporter.Samaingaucheattrapamonpoignetdroitetposamonbrassursonépaule ; il répéta lemêmegeste
avecl’autrebras.Jem’accrochaiàsanuque.Ilplaçaensuitemesjambesautourdeseshanchesetagrippamesfessesavecfermeté.—Jet’aiditquejevoulaislefaireavectoi…—Pourquoi?—Parcequejetiensàtoi,souffla-t-iltoutcontremabouche.Iltenaitàmoi.M’éloignantd’unmillimètredesapoitrine, j’essayai tantbienquemaldereprendre
contenance.Peineperdue.J’étaisperdue.Perduedansletourmentdemonsang.Perduedansdesidéesfolles.Perduedanssesbras.Perduedanslebleudesesyeux.—Turéagiscommeausupermarché,Oceana.Pourquoi?Etnemeparlepasdenosdeuxmondesetde
nosfamilles.Jesuiscertainqueçadépasselargementtoutça.Qu’est-cequetumecaches?Jeme cachais,moi. La réalité me sautait aux yeux. Je me cachais parce que je ne voulais pas le
perdre!Quivoudraitdemoi?J’étaiscommeunlotàlafêteforaine.Ethanetmoi.Lepoissonrougeetsonbocal.—Cettefemmeàquitudistenirn’existequ’ici,àMiami,pourtoi.Ellen’existepasàNewYork.Sije
tedisquijesuis,tunemeregarderasplusdelamêmemanière.Ilseraitpeut-êtreplussimplepourmoidetedirequi jesuis réellement,ainsi lesdeuxAn’existeraientplus,mais jesupposeque,d’unecertainemanière,moiaussijetiensàtoipuisquejeneveuxpasperdretoutça.—Tuasquelqu’un,c’estça?Savoixs’étaitbriséesurlederniermot.—Non.Jen’aipersonne.Jenet’aipasmenti.Laseulebouchequim’aitembrasséeencinqans,c’est
la tienne.Lesseulesmainsquim’aient touchéesontcellesquisontpostéessousmes fesses.Lesseulsyeuxquim’aientregardéesontbleuazurbordésdenoisette.—Situnemedispasquitues,qu’est-cequenousdeviendronsaprès?Rien.Lepensermerévulsait.Nousn’avionspasd’avenir.Lui,avec l’hôteldesonpère, ici,etmoi,
avecmonfils,là-bas.Quiquitteraitsaviepourmoi,quiaccepteraitdeprendrelemauvaislotdelafêteforaine?—Laissonsletempsfaireleschoses,tul’asdittoi-même.
Ilouvritsaboucheaumoinsdeuxfoissansprononcerunseulmot.Puisfinalement,commesijel’avaisconvaincu,ilmedemanda:—C’estquoi,lesdeuxA?—C’estlenouveausurnomdutrucentrenous…d’abordilyaAttirance,puisAffection.Ilsouritethochalatêtecommepourapprouvermonraisonnement.—Tuasfroid?demanda-t-il.Jesecouailatête.—Pourquoitutrembles,alors?—Peut-êtrequej’aipeurdetoi,telquetueslà.Parcequejesaisquetupourraisfairecequetuveux
demoi.—Est-ceque…commença-t-ilavantquemondoigtnel’arrête.—J’aiditquej’avaispeur.Jen’aipasditquejen’aimaispasça.Finalement,c’étaitçaquim’effrayait.Lefaitd’appréciercettepeur.Etsoudain,jesuscequ’ilmerestaitàfaire.Pourqu’ilmedésiretantqu’ilnepuisseplusseretenirde
meposséder.Ilaimaitmefairepeur.Ilaimaitsavoirqu’ilmedominait.J’attendraislemomentpropicepourleluiproposer…unsoir.
Chapitre14
Égoïsme
Cesoir, jedoutais.J’étaispartagéeentre l’enviede toutdévoilersurmoietsurEthan,aurisquedevoirRickmerepousser,ouarrêtertoutsimplementd’entretenirlesdeuxA.Direstop.Neletoucherquepourlesoigner.Nel’approcherquepourl’aider.Arrêtercettemascarade.Lamienne.Paslasienne.J’étaisrongéeparlaculpabilité.Jenefaisaisquepenseràsesyeuxbleusenivrantsquinevoyaientpas
cequej’étaisréellement…Unemaman.Jeneservaisquemespropres intérêtsdanscettehistoire.J’étaiségoïste,unevraieprofiteuse.Mais
monnaturel,sincèreetentier,merattrapait.Jenepouvaispaslelaisserpenserquej’étaiscettefille-là.CelledeMiami.C’étaitcommesi jenous laissaisespérerunavenir.UnavenirsansEthan.Unavenir,deboutpourlui,etdanssesbraspourmoi.J’aimaissabouchesurlamienne.J’aimaissesmainssurmapeau.J’aimaislasensationdesoncorpssurlemien.J’aimaistoutdelui.Ilétaitlà,letroisièmeA.Amour…Y en aurait-il un quatrième, nommé Aveu, qui nous emporterait vers un cinquième, scellant notre
Achèvement?Jedéraillais!L’idéem’étaitvenuependantlanuit.Danslelit,àcôtédeRickquidormaitàpoingsfermés,exténué
parsaséancederééducationaquatique, jem’étaisredresséepour leregarder. Ilavait l’airheureux, levisagepaisible,serein.Audébut,jem’étaisditqu’ildevaitrêverqu’ilmarchait.Sentirlasensationdusolsoussespieds.Qu’ilrevivaitl’expériencedelapiscine.Jusqu’àcemot…Oceana.Monprénom.Ilavaitprononcémonprénomdanssonsommeil,dansunsourire.Là, j’avaiscompris.
J’étais la raisonde cebonheurvisible. J’avais luttépournepas l’embrasser, pournepas toucher seslèvressipleinesetsibrûlantes.Puislaculpabilitém’avaitgagnée.IlsouriaitàlaOceanadeMiami.Ilavaitdel’affectionpourelle.Paspourmoi.Etaprès?Et quand il en serait au troisième A ? Sourirait-il toujours autant dans ses rêves lorsqu’un petit
bonhommeprénomméEthanviendraittaperàlaportepourluidirequ’ilexistait?C’était comme si je lui promettais la plus grosse part de gâteau au chocolat pour finalement ne lui
laisserquedesmiettes.Alors j’avais quitté son lit pour retrouver le mien, en me promettant que j’allais lui parler le
lendemain.Plusfacileàdirequ’àfaire:àpeinem’avait-iltouchéelelendemainmatinquej’avaisreplongétêtela
premièredansmonidylle!Cemecm’avaitensorcelée!Jen’étaismêmeplusmaîtressedemoncorps!C’étaitcommesijedevenaisspectatricedemonproprefilm…Jel’avaisretrouvéassisauborddesonlit,inspectantchaquerecoindesachambreafin,jesupposais,
detrouverunesolutionpourrécupérersonfauteuilroulantrangétroploindelui.J’avaismasquéunsouriremoqueurquin’étaitpaspasséinaperçu,etRickm’avaitcapturéealorsque
je le dépassais pour aller chercher l’objet convoité. Prisonnière de ses jambes croisées autour desmiennes,poignetsliésparl’unedesesmainsdansmondos,j’avaisétéprised’assautparunetraînéedefrissons.Délectables frissons qui causèrent la perte dema raison. Je voulais qu’ilme touche partout.Prêteàrevivrel’orgasmequ’ilm’avaitoffertl’avant-veille.Prêteàluioffrir,moi,toutcequ’ilvoulait.Je croismême que j’avais gémis.Où étais-tu ?, m’avait-il demandé d’une voix rauque alors que saboucheembrassaitmoncouetmamâchoire.Auxtoilettes,avais-je lâchementmenti, fébrile.J’ai faim,avait-ilajoutésansprêterattentionàmonmensonge.Ilavaitfaim!Lecoupdegrâce!Jem’étaisretenuedeluidemanders’ils’agissaitdepancakesoude
sexe.Sonsexe…quisedressaitconstammententrenous.Celui-là,ilmefaisaitrêvertouteslesnuitsqu’ilmecomblaitdetoutesalongueur!Jedéliraistoutelajournée.Sursonsexe.Sursabouche.Sursalangue.Sursesmains.Alorsquedansmatêtesebattaientenduelculpabilitéetpassion,raisonetsensualité,Rick,lui,jouait!
Ilpassaitsontempsàmetoucher,àm’embrasser,effaçantculpabilitéetraison.Le dimanche soir, j’avais fini par rejoindre mon lit. Dans ma chambre. L’estomac noué par les
remords.Lecœurblessédenepaspouvoirs’exprimer.Jen’avaispasdormiplusquelanuitprécédente.Et,commelematinprécédent,Ricknes’étaitpasrenducomptequejen’étaispasrestéeaveclui.Lajournéedulundinesedéroulapaspourautantdelamêmemanière.Ilsemblaittourmenté.Ailleurs.
Iln’avaitpasessayéuneseulefoisdemefairerougir.Nem’avaitpassuppliéedelerejoindresousladouche.N’avaitpasessayédemevolerunbaiser.Nem’avaitpasdituneseule foisqu’ilavait faim!Morose,silencieux,ilavaitpassésamatinéedansunedeschambresd’amis,devantsonancienbureau,sur sonordinateur.Puis sonaprès-mididevant la télévision. Il avait refusédem’accompagnerdans lapiscineet,surtout…ilnem’avaitquasimentpastouchéedelajournée.Cesoir-là,devantmoietsonassiettedepâtesàlacarbonara,ilrestaitmuetetprostré.Etmoi je dépérissais.Comme si chaqueminute passée sans un frôlement de sa peau sur lamienne
m’ôtaituneannéedevie.J’avaisbeauretournerleproblèmedansmatête,jenesavaispascequ’ilavait.Jen’avaisrienfaitd’inhabituel.Ilnesavaitpaspourmesnuitssolitaires.J’avaissoudainenvied’êtreégoïste.Denerienluidire.Denepasparlerd’Ethan.Nidemondésirde
toutarrêter.J’espéraisseulementunsourire,unecaressesurmajoue.Bruyamment,jereposaimafourchettedansmonassiette.Àlalumièredulampadairedelaterrasse,ses
yeuxquittèrentsespâtespourlesmiennes.—Ilfautquejetedisequelquechose,Oceana.Ets’ilmequittait?S’ildécidait,lui,detoutarrêter?—Neme regarde pas comme ça, sinon je… (Il secoua la tête et se pinça l’arête du nez, les yeux
fermés.)Laissetomber.Bon.Unequestionmetravailledepuiscematin.Enfait,plusieurs.Maisiln’yenaqu’uneàlaquellejedoisabsolumenttrouveruneréponseavantdemain.—Demain,répétai-je,labouchesèche.—Demain,noussommesmardi.C’estlejourdevisitedemamèreetje…—Faisonscommes’ilnes’étaitjamaisrienpasséentrenous!Ilblêmit.—Non.Je…cen’estpasmaquestion,Oceana.C’estcequetuveux?
Meslèvrestremblèrent.Deuxjoursquejemedemandaiscommentluiannoncerquejenevoulaispascontinuertoutça.Deuxnuitsàmetorturersanstrouverdesolution.Etlà,ilmetendaitlaperche.Est-cequec’étaitcequejevoulais?—Qu’ilnesesoitjamaisrienpasséentrenous?Laréponseestoui.(Jefermaislesyeuxpournepas
levoir.)Çaseraitplussimplepournousdeux.Pourmoi.Parceque j’aimeraisnepasressentir toutçapour toi. Parce que jeme rends compte combien c’est difficile de passer une journée sans que tumetouches. (Ma voix tremblait.)Alors oui, ça serait sans doute plus facile. Je n’aurais pas à espérer lasensationdetabouchesurlamienne…—Oceana…Sonmurmurenem’arrêtapas.—…JeneprieraispastouslessoirsjenesaisquelDieudusexepourquetumefassesl’amourune
bonnefoispourtoutes…—Oceana…—Jeneseraispaslàdevanttoiàpleurerparcequejepaniqueàl’idéequetuveuillesenfiniravec
toutça!—Oceana!Jeviensdepasserlajournéeàessayerdechercherdessolutionspournotreavenir…ettu
medisquetuvoudraisqueriendetoutçanesoitarrivé!Ilsemblaitfouderage.C’étaitpirequ’unejournéeentièresansqu’ilmetouche.Ilespéraitunavenir…—Tuvois, c’estdanscesmoments-làquemes jambesmemanquent, reprit-il calmementmaisavec
hargne.Parcequej’auraisputelaisserici,surcetteterrasse,pourallerpassermesnerfsailleurs!Sonassiettevaldinguasur la tablepouratterrirsur lesolavecfracas.Jen’avaisqu’uneenvie,moi,
c’étaitqu’ilmegiflepourm’infligersasouffrance.Qu’ilbrisemesjambespourquejesoissonégale.—Jesuisdésolée…—Pasautantquemoi.Jesentismoncœurdéfaillir.Làencore,jefaisaispreuved’égoïsme.J’avaisdétruitenquelquesmots
lechâteaudecartesqu’ilavaitbâtienunejournée.Jepréférais,unefoisdeplus,m’accrocheràl’idéequetoutseraitbienpires’ilconnaissaitlavérité.Qu’est-cequ’ilpenseraitdemoi?Commentarrivait-il,enunregard,àmefairepasserdudésiràlasouffrance?Commentenétions-nous
arrivéslà?Pourunequestion.Unequestionquejen’avaispasécoutée.Jeprismoncourageàdeuxmains.—Quelleétaittaquestion?demandai-je.Ilfronçalessourcilsetsoupira.—J’aiassezd’argentpourtepayerledoubledetonsalaire.Maisjen’enaipasassezpourteverser
celuiquemamèreestcenséededonner.Siellesaitcequetuesdevenuepourmoi,ellenetepaierapas.Elletelicenciera,maistuneseraspastenuedepartirpuisquejet’emploieraiimmédiatement.J’aimêmedéjàéditéuncontrat.Sonexplicationavaitdessinélesmotsdesaquestion.Toutefois,jevoulaisl’entendre.—Quelleesttaquestion,Rick?—Es-tuprêteàcourirlerisquedeperdrelesalairedemamère?—Non.J’avaisrépondusansmêmeréfléchir.Jen’étaisvenuequepourceseulsalaire.J’auraispourtantpume
contenter de ce que Rick voulait me donner. Mais les deux salaires cumulés couvriraient le coût del’opérationd’EthanàmonretouràNewYork.—Pourquoias-tubesoindecetargent?Jenepouvaispasluimentirsurça.Jenevoulaispasqu’ilmecroievénale.Alorsmoncœursemitàparleràmaplace.—Pourpayerl’opérationd’unêtrecheràmesyeux.Troiscentmilledollarsexactement,situveuxtout
savoir.Alors,non.Jeneveuxpasquetamèresachepournousdeux.Nidemain.Niunautremardi.Niàl’issue des semaines qu’il nous reste.Ne cherche aucune solution à des problèmes quime concernentseule.—Jenecomprendspastrèsbiencequetuesentraindemedire.Jemeredressai–avecpeine.—Jeviensdetedirequecetargentm’estvital.Ças’arrêtelà.C’estàcelaquetudoismaprésence
ici.—Donc,si jecomprendsbien,si jetedonnaisdemainlasommedonttuasbesoin,tupartiraissans
hésiter.DessemainesdesouffrancesenmoinspourEthan…Uneopérationdansdemeilleuresconditions…
Uneconvalescenceplusrapide…Unpetitgarçonquipourraitcouriravecsesamis.—Oui,soufflai-je,commesijepouvaisdéjàapercevoirleboutdutunnel.Maisjeseraisrevenue.J’avaisfaitlapromessederesterjusqu’àlafin.Jen’étaispourtantpascapable
deleluidire.S’ilpouvaitmedétester,jen’auraispasàcourirlerisquedeluidirelavérité.Lentement,commesimoncerveauvoulaitmemarqueràvieparl’imagedeRickdevantmoi,jevisses
mainsagripper les rouesdeson fauteuil.D’une telle forceque jevis sesphalangesblanchir. Jevis lebleudesesyeuxs’assombrir.Jevissonfrontserider.—Trèsbien,lâcha-t-ilentresesdents.Jen’aipeut-êtrepasdejambespourpartirencourant,maismes
roulettesferonttrèsbienl’affairecesoir.Jeretinsmessanglotsletempsqu’ilsoitassezloinpournepasm’entendre,jeretinsmabouchedelui
crierquejel’aimaisd’unamourinsensé.J’aibiendûresterdeuxheuresassiselà,devantmonassiettedepâtesàlacarbonara.Sanspenser.Sans
bouger.Justelà.Lesyeuxfermés.Lesbrasrecroquevilléssurmonventre,commepourm’empêcherderespirer.Leslarmesavaientséchésurmesjoues,lefroiddelanuitsaisichaqueparcelledemoncorps,quinefrissonnaitmêmeplus.J’étaisjustelà.Le frottementdeses roues sur lecarrelagede lamaisonme ramenaà la réalité.Puis leclaquement
d’uneporte.Laported’entrée.Affolée,jemeruaidanslehalletouvrislaporte,pourdécouvrirCarlquiaidaitRickàentrerdansson
4×4.Leursdeuxtêtesseretournèrentversmoiaumêmemoment.J’ignorailesouriretimidedeCarl.LevisagedeRickétaitdénuéd’expression.Plusdecraintes,plusdecolère.Impassibleetimpénétrable.Ilpartait.—Jeparsquelquesjours,dit-ild’unevoixbrève,indifférente.J’aiprévenumamère.Elleneviendra
pasdemain.Ilpartait.Combiendetemps?Oùallait-il?Commentferait-ilsansmoi?Etmoi,qu’est-cequej’allais
devenirsanslui?Laportièredelavoitureclaqua.Finalement,cequej’avaisfaitétaitpirequedeluidirelavérité.
Chapitre15
Raisonnementdéraisonnable
J’avaispleurétoutelanuit,latêteenfouiedanssataied’oreiller,danssonlit,commesij’avaisespéré,qu’ilreviendrait.Iln’étaitpasrevenu.Je tournais en rond. Le silence commençait à me peser. Son absence devenait insupportable. Je
réalisaisqu’ilmefaudraitplusd’uneviepourmedéfairedelui.Pourunefois,jem’autorisaisàpenserquequelqu’un,quelquepartsurcetteterre,s’acharnaitsurmoi.D’abordEthan.EtmaintenantRick.Mais tout était ma faute. J’avais voulu être égoïste. J’avais voulu croire qu’il me serait moins
douloureuxdelerejeter.Maisilétaitparti.Jepassaichaqueminutedela journéeàsonder lecalmedelamaison,dansl’attented’unbruitd’un
moteur,d’unfrottementderouesur lecarrelage,d’unraclementdegorgeoud’unclaquementdeporte.Maisrien.Quandbienmêmeilseraitrentré,jenesavaismêmepascequej’auraispuluidire.Quejel’aimais?
Non.Que je regrettais ?Ce serait luimentir encore une fois.Qu’ilm’avaitmanqué ?Que je voulaissimplement entendre sa boucheprononcer lemot « punir » ou lemot « piscine» ?Quemes joues selanguissaientderougiretqu’ellesnesupportaientplusl’humiditédemeslarmes?J’étaisseuledanssamaison.Àdeskilomètresdelamienne.Loindemamèreetdemonfils.Mamère…Ce fut comme une révélation, une bouffée d’oxygène, la première de cette interminable journée. Je
courusjusqu’àmachambre,attrapaimontéléphoneetcomposailenumérodelamaison.Mamaison.—Allô.J’entendislepetitrired’Ethan.Moncœurseserra.—Allô?répétamamère.Jemeraclailagorgeetrepoussaidetoutesmesforcesmonenviedepleurerunenouvellefois.—C’estmoi,maman.—Nana?(Matristessen’étaitpaspasséeinaperçue.)Qu’est-ceque…—Nemedemanderien,lacoupai-je.S’ilteplaît.Jefermailesyeuxetmelaissaiglissersurlesolaupieddulit.Jepriaipourqu’elleréagissecommetouslessoirsoùjerestaismuette,avided’écouterleurjournée,
deconnaîtrelesmoindresdétailsdessouriresetdesriresd’Ethan.—Aujourd’hui,noussommesallésàlabibliothèque.(Mespoumonsserelâchèrentpourlaisserentrer
unpeuplusd’oxygène.)Ethana…Saphraserestaensuspens.Puisellerepritd’untonautoritaire:
—Non. Je ne peux pas, Oceana. Je ne peux pas faire comme si tout allait bien. Qu’est-ce qui sepasse?Jeneteraconterairiendelajournéed’Ethansitunem’expliquespascequetuas.—Vousmemanquez,soufflai-je.—Deuxminutes,Oceana.J’entendisquelquechosesefroisserdansletéléphoneetmamèredire«jereviens»àEthan.J’imaginaimonpetitgarçonseprécipitantsur leplacardàgâteauxsitôtquesagrand-mèreseserait
éclipsée. Je souris une fraction de seconde. Une porte claqua, me faisant comprendre qu’elle s’étaitisolée.—Toiaussi,tunousmanques.J’aifaituncalendrieravecEthan.Çal’aideàcompterlesdodosrestant
sanstoi.Maisencore?Tunepleuresjamaisautéléphone.Jesaisquetuattendsderaccrocherpourlefaire.Mamèreavaittoujourseuledonpourcomprendreleschoses.Jepouvaisraccrochermaintenant.Attendrequematristessepasse.QueRickrentrepourlarappeler.
Fairecommesiriennes’étaitpassé.Commes’iln’étaitjamaisparti.Maisj’avaisdésespérémentbesoind’entendreplusquesavoix.Jevoulaisduréconfort.Jevoulaismesentirchezmoi.J’auraisvouluêtredanssesbras.—M.Thomasn’estpasunvieilhommegrabataire,récitai-jed’untrait.—Jenecomprendspas.—C’estlejeunefrèredetonpatron.—Je…—Nemecoupepasmaman, sinon jecroisque jen’auraipasassezde force…(Jeprisunegrande
respiration,melevaietcommençaiàfairelescentpasdansmachambre.)Jenesaismêmepasparoùcommencer.Jenesaispascequejefais.Jenesaisplusquoipenser.—Nana.—Jenesaismêmepassijedoisencoreêtrelà.—Nana,répéta-t-elleunpeuplusfort.—Rick,monpatient,n’estplusmonpatient.Enfin,jenesaismêmepascequ’ilestenréalité.—Nana!Commenceparledébut,jenecomprendsrienàcequetumeracontes.Ledébut?Ilm’avaitvuetoutenuedanssapiscine.—On s’est embrassés. Ilm’a embrassée.Ou peut-être que c’estmoi, je ne sais plus.Ou peut-être
qu’enréalité,çaacommencélejouroùjeluiailavéledos,oulesoiroùilaeumalauxjambes.Maman,je…C’estallétroploinentrenous.Ilavaitposésabouchesurmonintimité!Jeluiavaisoffertunepipesousladouche!—Ilt’afaitdumal?s’inquiéta-t-elle.Dumal?Desfrissons,delachaleur,duplaisir,desfousriresetunorgasme.Jenepouvaispasappeler
çadumal…—Non.Rickestgentil.Il…ilnemeferaitjamaisdemal.Enfin,pasphysiquement.—Ilt’obligeàfairedeschosesquetuneveuxpasfaire,alors?Ellen’yétaitpasdutout.Commentluiexpliquerquelquechosequejenecomprenaispasmoi-même!?
J’appuyaimonfrontcontrelabaievitrée,désespérée,etfermailesyeuxdevantlesderniersrayonsdesoleil.—Non.Ilyacetrucentrenous.Audébut,jepensaisqu’ils’agissaitseulementd’uneattiranceparce
quenoussommesjeunes,isolésdanscettevilla,qu’ilestcharmantetqu’iln’acertainementpastouchéune femme depuis longtemps. J’ai essayé de prendre mes distances. J’ai essayé de lui imposer deslimites.Maisçan’arienchangé.Hier,ilm’aparléd’aveniretjel’airepoussé…Jenel’aipasrattrapé.Jeneluiaipasditquejel’aimais.Jenel’aipasretenu.Ilétaitpartiavec
uneseuleidéeentête,quejenevoulaisriend’autredeluiquesonargent.—Quelestleproblème,Oceana?Sontonétaitaussicalmequecompatissant.—Tun’espasencolère?—Jenesuispasd’accordaveccequevousfaites.Maiscen’estpasuneraisonpourêtreencolère.Tu
esassezgrandepourfairetespropreschoix.Oui,j’avaischoisi.J’avaischoisilafacilité.L’égoïsmeetlemensonge.—Ilnesaitpas,pourEthan.Ilnesaitpasqu’ilexiste.IlcroitquejesuiscetteOceanacélibataireet
librequipeutquitterNewYorkpourlui.Sonsouffledanslecombinémefîtcomprendrequejel’avaisdéçue.—Tuaspeur?Peurqu’ilterepousse?Danslemille!«Peur»étaitunmotbienfaiblecomparéàlaréalitédecequipulsaitdansmesveines.—Machérie,reprit-elle.NepasluidirerevientàtepersuaderquetavieseraitmieuxsansEthan.(Et
jel’avaispensé!)Etjesaisquetunelepensespas.(Jel’avaispensé!)SiceRicktientàtoi,s’ilpensevraimentàunaveniravectoi,ilaccepteraEthan.Nefaispaslesmêmeserreursquemoi.Net’éloignepasdeshommespourtonenfant.Tuasautantdroitaubonheurquetonfilsabesoindesoncœur.Commenceparluidirelavérité.Tesréponsesviendrontaprès.—J’aiessayé…Jen’yarrivepas,maman.—Nana,ilnes’agitpasd’essayermaisdelefaire.—Ets’ilmerepousse?Jeveuxdires’ilmerejette?—Alorstusaurasàquoit’entenir.Dis-lui.Fallait-ilencorequ’ilrentre…Maisquand?—Tuasraison,maman.Jen’aipaslecouragedeparleràEthancesoir.Je…jerappelleraidemain.—Ilcomprendra.Jenesavaispastropsielleparlaitd’Ethanousielleessayaitdesepersuaderqueceseraitlecasde
Rick.—Merci,maman.
Jemeréveillaiensursaut.Jel’avaisentendu.Cebruittantattendu.Leclaquementsidélicieuxd’une
portequel’onvenaitdefermerdanslesilencedelanuit.Sansprendreletempsderegarderl’heuresurmonportablequejetenaistoujoursfermementdansma
main,jemeprécipitaihorsdulitdeRick.Jecourusàtouteallure.
Ilétaitlà,dansl’entrée.Jesautaidanssesbras.Assisesurlui,jel’enlaçaiàl’étouffer.Qu’importes’ilmerepoussait,là,maintenant.Jem’enfoutais.Ilétaitrentré.Enfin,samainseposasurmonépauledénudée.Jegémis.Ilnemerepoussaitpas.Ilnem’étreignait
pas.Samainétaitjustelà.Poséesurmoi.Maiscesimplecontactprovoquaunseuletuniquebattementd’ailesdemespapillons.Pasassezpourlesfaires’envoler,maissuffisantpourmefaireoublier,presque,cesdernièresvingt-quatreheures.Ilétaitrentré…—Jecommençaisàdésespérerqu’ilvoustouche,ditunevoixmasculinedansmondos.JereconnussanspeinelavoixdeCarl,maisjenebougeaipas.Jemefoutaisdetout.Ilétaitrentré!Je
restaiscontrelui,profitantdesachaleurcommes’ilétaitleseulfeudecheminéeenpleinetempêtedeneige.—Moi,siunefillesejetaitdansmesbrasdanscettetenue…—Tagueule,Carl,grondaRickenessayantdecouvrirmesjambesdesonautrebras.J’imaginaisoudainlavisionqueluioffraitmoncorpsàpeinecouvert.Soudain,c’étaitmoi,lefeude
cheminée.LesyeuxdeRicktrouvèrentlesmiens.Pleinsdereproches.Jevoulusm’écarter,maisunepressionde
sesdeuxmainsmefitcomprendrequ’ilnevoulaitpasquejeluiéchappe.Ilétaitrentréetilnemerepoussaitpas…pourl’instant.—C’est une tête de con. Je vous le laisse,Oceana,mais je vous préviens, il est de trèsmauvaise
humeur!ironisaCarl.Jepasseraijeudisoir.Sanssedétacherdemesyeux,Rickréponditsimplement:—Àjeudi.Ducoindel’œil,jevisCarlnousdépasseretsortir,nouslaissantseulsdanslesilencedelavilla.J’osaisàpeinebouger,àpeinerespirer.Ilétaittoujoursencolère.Jelevoyaisàl’expressiondesonvisage.Jelesentaisauboutdemesseins,
àsarespirationprécipitée.Jenepouvaism’attendreàriend’autre.Jel’avaislaissépartirsansriendire.Jedevaistoutluirévéler.
Maintenantoujamais.—Je…—Tais-toi.Jenesuispasd’humeuràentendredesexcuses.—Je…—J’aiditquejen’étaispasd’humeur,Oceana.Bravantmapeur,jeposaiunemainsursabouche.—Tuvasmelaisserparler,àlafin!JeveuxseulementteracontermavieàNewYork.Ilsedégagea.—Jen’aipaslatêteàçanonplus.Lesrévélationsattendrontdemain.Jesuistrèsénervé.—J’espéraijustequ’enteracontantpourquoij’avaisréagidecettefaçon,tuleseraisunpeumoins.Oudumoinsqu’ilneleseraitpluspourlesmêmesraisons.—Jenesuispasénervécontretoi.Jenepus retenirun sourireavantdeme ruer sur sabouchepour l’embrasser. Inertes, ses lèvresne
répondirentpasàmapassion.Monsourires’évanouit.J’avaisagisansréfléchir.Jel’avaisembrasséautantparcequ’ilm’avaitmanquéqueparcequ’iln’était
pasencolèrecontremoi.—Tunepeuxpasfaireçaquandtudisaishiervouloirqu’ilnesesoitjamaisrienpasséentrenous,
Oceana.—J’enaieuenvie.C’esttout,murmurai-je,mortifiée.Commepourêtresûrequ’ilétaitbienlà,avecmoi.Uneenviedegoûterencoreunefoisseslèvres–peut-êtreladernière.C’étaitlapremièrefoisqueje
l’embrassais.Quejeprenaisl’initiative.—Recommence,ordonna-t-ilenseléchantleslèvres.Moncœurs’affola.Jememisàchevalsursesgenouxetnemefispasprier.Mesdoigtss’attaquèrentà
sescheveux.Malanguepressalaportedeseslèvrespourytrouverlasienne.Ilrâladansmabouche.Sesmainsseglissèrentsousmesfesses,m’arrachantungémissementdeplaisir.Ça allait tropvite.Tout allait tropvite. Sa langue chaude et taquine.Sesmains infiltrées sousmon
débardeur.Puissousmonshort,àlanaissancedemesfesses.Mêmemoncœursemblaitvouloirallertropvite.—Carlaraison,c’estplutôtdifficiledeconcevoirquetusoissurmoidanscettetenue.Sontonsuavemefitfrémiralorsquesonbassinsepressaitsurlemien.MesmainsglissèrentsoussonT-shirtpourluienlever.Ilselaissafaire.—Neparsplusjamais,soufflai-je.Je ne savais plus où donner de la tête. Mes lèvres me brûlaient de l’assaut des siennes, qui les
torturaient.Monsexefrétillait,trempé,excitéparlaproximitédusien,durettendusoussonjeans.—C’esttoiquimequitterasbientôt.—Pasmaintenant.Pasdemain.Nilesjoursquisuivront.Tais-toi,luirépondis-jeentredeuxbaisers.Jenevoulaisplus lequitter. Jenevoulaispasnonplusqu’ilmequitte.Mamère avait raison.S’il
tenaitàmoi,ilcomprendrait,pourEthan.J’étaislamêmeicietlà-bas.Laseulechosequiavaitchangé,c’étaitquemoncœuravaitgonfléd’amour.Sesmainsdescendirentlelongdemesflancsetremontèrentenemportantsurleurpassagelesatinde
mondébardeur.Sabouchesedécolladelamiennepourlelaisserpasser,melaissantnuel’espaced’uneseconde,avantquesesmainsmeplaquentànouveausursontorsebrûlant.Mestétonssedressèrent.—J’aienviedetoi,Oceana.Maintenant.Demainettouslesjoursquisuivront.Moiaussi…encoreettoujoursplus,chaquejour.Sabouchegagnamoncou,empresséeetdévorante.Jerejetailatêteenarrièreettiraisursescheveux,
prisonnière,fragileetheureusedel’être.—Conçois-lealors,murmurai-je.Quejesoissurtoidanscettetenue.Commepour leconstater, ils’éloignademoietsesyeuxbrillantsd’excitationdescendirentsurmon
visage,moncou,mesépaules,surchacundemesseinsdurcis,lelongdemonventre…—Jeveuxteposséder,passeulementtefairel’amour.Etiln’estpasquestionquedemonimpotence,
Oceana.Ilvoulaitmedominer.Maisnesavait-ilpasquec’étaitdéjàlecas?J’étaisàluidepuislejouroùil
m’avaitfaitrougir.
—Jesais.Fais-moiconfiance.Allonsdanstachambre.J’avaisuneidée.Uneseule.JepriaijustesonDieudusexepourqu’elleluiplaise…
Chapitre16
Jeuderôle
J’avaislaisséOceanadansledressing.Devantmonlit,commeunpauvrecon,toujoursaccrochéàmonfidèle compagnon le fauteuil, j’attendais qu’elle revienne avec la désagréable sensation d’être encoredépendantd’elle.Jen’avaisaucuneidéedecequ’elleavaitentête,maisjeluifaisaisconfiance…Ellem’avaittoujourssurpris!Le tempsd’unenuit, jevoulaismettrema rancunecontremonpèredecôté. Jevoulaisoubliercette
interminablejournée.Cesdeuxjournées.Lapremière,jel’avaispasséeàchercherunesolutionpourunaveniravecOceana–qu’elleavaitrejetéenblochiersoir,etaujourd’hui,j’avaiscouruaprèstroiscentmilledollars.Pourquoi ? Jen’en savais rien.Peut-être justeparceque je savaisquec’était importantpourelle.Peut-êtreaussiparcequejepensaisqueçal’inciteraitàrester.Etilavaitsûrementautrechosedansmatêtequecetrucqu’elleavaitsurnommélesdeuxA.Dans la pénombre, je devinais les draps froissés demon lit : elle avait dormi là enmon absence.
Comment pouvait-elle dire qu’elle aurait aimé qu’il n’y ait jamais rien eu entre nous et m’offrir cesretrouvailles?C’étaitinsensé.Mais,bordel,tellementjouissif!Et cette attente interminable… Qu’est-ce qu’elle manigançait ! Je ne savais pas quoi faire. Me
déshabilleretm’allongersurmonlit,pourêtreprêtlorsqu’ellepointeraitleboutdesonnez?Ouresterlà,laqueuedouloureusementemprisonnéedansmonjean?J’avaisl’impressiond’êtreunadolescentsepréparantàsapremièrefois.Lafougueetlapassionsauvagequim’avaientempoignécommençaientàsedissiperpourlaisserplaceaudouteetàl’affliction.Maisj’avaistellementenvied’elle.—Oceana?tentai-je,lagorgenouée.—J’arrive.Laisse-moideuxsecondes.—Oceana,tun’espasoblig…Merde.Mondésirpourellebonditàl’instantmêmeoùelleapparutdevantmoi.Elleavaitrelevésescheveuxenqueuedecheval,laissantsonvisagedégagé.Sesjouesétaientencore
rougies,etellefuyaitnaïvementmonregardcommesielleavaithontedel’imagequ’elledonnait.Ellen’auraitpasdû…elleétaitbandante!Elleportait l’unedemeschemisesblanches,sigrandepourellequ’elle recouvrait lamoitié de ses cuisses.Avait-elle toujours son short dessous ?Simes jambesmel’avaient permis, je me serais précipité sur elle pour faire sauter chaque bouton de la chemise etembrassersesseins.Jem’accrochaiauxaccoudoirsdemonfauteuil.— Je me suis toujours demandé pourquoi les hommes se plaisaient à voir une femme dans leurs
vêtements…Jenemeposeplusdequestions,enréalitéçanes’expliquepas.Elleneréagitpasàmaremarqueetseraclalagorgeavantdemurmurer,lesyeuxtoujoursbaissés:—Monsieur,vousm’avezdemandée?
Quoi?Surpris,jefronçailessourcils.Droitecommeunpiquet,ellenebougeaitpas.Elleétaitjustelàdel’autrecôtédulit.Attendantmaréponse.Est-cequ’ellevoulaitjouer?—Monsieur?répéta-t-ellesurlemêmeton.Cettefois,sesyeuxtrouvèrentlesmiens.Ilsétaientsuppliants.—Viensici,Oceana,dis-jeenfin.Ellesecoualatête,commepourmeréprimander.—Mademoiselle?tentai-je.—Oui,monsieur?Ellevoulaitjouer,c’étaitcertain.Maisqu’est-cequej’étaiscenséêtre?Sonmaître?—Approchez,dis-jefermement.Ellesouritfurtivement,raviedurôlequej’avaisendossé,contournalelitetseplaçadevantmoi.—Montrez-moivosmains.Jelavisprendreunegrandeinspiration.Unecravatesedérouladevantmesyeux.—Tu…(Ellem’assenaunregardnoir.)…vousvoulezquejevousattache?—Sic’estcequevousvoulez,monsieur…Est-cequec’étaitcequejevoulais?L’attacheretfaired’ellecequebonmesemblait?L’excitation
revintaugalop.Encore une fois, Oceana me surprenait. Audacieuse et intelligente. Si elle avait vécu au Japon
autrefois,elleauraitfaituneparfaitegeisha.Jeluisubtilisailacravateetladéposaisurlesdraps.—Plustard.Ilsembleraitquequelqu’unaitdormidansmonlit.—Jesuisdésolée,monsieur,jemesuisennuyéependantvotreabsence,etj’aidûm’assoupir.—Queçanesereproduiseplus,tranchai-je.Refaites-le.Elle s’exécuta. Bon sang. Elle n’avait plus son short. Ma queue devint encore plus dure. Était-ce
possible?Malgrélapénombre,jepouvaisvoirsesfessessecontracterdevantmesyeux.Jenepusmeretenirdelestoucher.Ellesursautaaucontactdemesmains,maiscontinuasontravail.Jeremontailachemisesursondosetmepenchaipourgoûtersapeau.Vanille…Jedéposaiunbaiser
surchacunedesesfesses.Ellefrémit,puiss’immobilisa.—Voilà,monsieur.Jedéposaidenouveauxbaisersunpeuplusbas.Jecruspercevoirunrâle.—Toutcomptefait,jepréfèrequ’ilsoitprêtpourmoncoucher.Ellesepenchaunpeupluspourtirerledrapqu’elles’étaitappliquéeàborder.Jepouvais faired’elleceque jevoulais.C’étaitcequ’ellem’offrait. J’empoignaiseshancheset la
retournai.—Voustravailleztroplentement,lagrondai-je.—C’estparcequevous…m’impressionnez,répondit-elle.Devais-jecomprendrequejel’excitais?—Montrez-moi.Elle tressaillit àmademande.Plusdecomédie : lacrainteque je lisais sur sonvisagevenaitde la
vraieOceana.Cellequin’avaitpaseud’hommedanssaviedepuis longtempsetquirougissaitaumot«sexe».Jepris soudainconsciencedeseffortsque luicoûtaitce jeu.Elle faisaitçapourmoi.Parcequ’elle
savaitcedontj’avaisbesoin.Mesentirmoi.Homme.Viriletentier.Alorsquej’allaisluidiredetoutarrêter,quejen’avaispasbesoindeça,quej’avaisseulementenvie
de me perdre en elle, je vis une de ses mains se glisser entre ses cuisses. Elle gémit, la boucheentrouverte.Lavoirsetouchermerenditfou.Jevoulaiscontinueràlaregarderhaletersouslepassagedesesdoigts–maisjevoulaisaussilefairemoi-même.—Jeveuxgoûter,exigeai-jeenluisaisissantlepoignet.Je fourrai sesdeuxdoigtshumideset luisantsde ses sécrétionsdansmabouche.Salé et légèrement
amer,songoûtsucculentmepoussaàsuceret joueravecmalanguesursesdoigtsfins,pournepasenlaisserunegoutte.Ellegémit.J’envoulaisplus.—Encore,soufflai-jeenlibérantsonpoignet.Moinshésitante,samaindisparutunenouvellefoissoussachemise.Jem’empressaidedéfairechaque
boutonpourlavoirfaire.Sesmouvementsetsarespirationdevinrentplussaccadés.Elleallaitjouir.Jel’empoignaiànouveau.
Unrâlededésespoirsortitdesagorge.Passansmoi,Oceana.Passansmoi…—Montezdanslelit.D’unmouvementd’épaule,ellesedébarrassadelachemisequiglissalelongdesesbraspours’étaler
ausol.J’ôtaiprestementmeschaussures,puisjemehissaisurmesjambes,déboutonnaimonjeanetlelaissaitomberàmespiedsavecmoncaleçon.Monsexesortitdroitetvictorieux,meremerciantpresquedelesoulagerenlelibérant.Sanstropm’appuyersurmajambedroite,jem’assisauborddulit.Fragileetapeurée,Oceanarestaitimmobile,surledos,attendantmonprochainordre.Enréalité,j’étaiscertainquecejeul’aidait,elleaussi.Commesisesannéesd’abstinenceluiavaient
faitcroirequ’elleneconnaissaitplusrienausexe,qu’elleétaitinexpérimentéeetquej’allaislaguiderenluidictantsaconduite.Jem’approchaid’elle.Maqueues’appuyasurunedesescuisses.Ellesursautaetfermalesyeux.—Regarde-moi,Oceana,dis-jeenattrapantsonmenton.Onnejoueplusmaintenant.Ellen’ouvritpaspourautantlesyeux,maishochalatêtepéniblement.—S’ilteplaît,Oceana,regarde-moi.Elleouvritlesyeux.Jeluisouris.—Jevaist’attacher,parcequej’enaiterriblementenvie.Maisunmotdetapart,etonarrêtetout.Tu
ascompris?Jeneveuxpasquetufassesçaseulementpourmoi.Jeveuxquetulefassesparcequetuenasenvieaussi.Ellehochalatêteunenouvellefois.—Embrasse-moi,Oceana.Aveclamêmepassionquetoutàl’heure.Ellepritmamainetportalapaumeàsabouche.Sesyeuxrivésauxmiens,elleydéposaunbaiser,puis
lafitglisserlelongdesoncorps,entresesseins,sursonnombril,jusqu’àsonsexe,oùellelalaissa.Audacieuse,avais-jedit?Surprenante!Ellevoulaitreprendrelàoùjel’avaisarrêtée.Elle lécha ses lèvres et me griffa la nuque, ma forçant à rejoindre sa bouche. Ses lèvres douces
m’effleurèrent langoureusement. Puis sa langue se noua à lamienne. Son baiser n’était pas passionné,maisenflammé.Sonbassinpoussait surmamain toujours immobile.Sabouche suçaitma langueàmefairecroirequ’ils’agissaitd’unetoutautrepartiedemonanatomie:j’envoulaisencoreplus.Commeelle.Mamains’agita.Rejoignitl’entréedesonvagin.Doucement,jeglissaiundoigtenelle.Puisdeux.Elle
était si serrée ! J’embrassai ses seins, mordis ses tétons. Je la léchai de ses seins à son cou, pourrejoindresabouche.Sesgémissementsmontaient;elleallaitavoirunorgasme.Jemefigeai.—Passansmoi,Oceana…dis-je,touthautcettefoisci.J’ôtaimesdoigts, lessuçaiouvertementdevantsonregardréprobateuret récupérai lacravatesur le
côtédulit.—Unseulmot,etonarrête;tuterappelles?Ellemetenditsesmainsjointes.Ellenedoutaitpas,elle.Jenouailacravateautourdesespoignets.—Plusfort,murmura-t-elled’unevoixéraillée.—Tuveuxquejetefassemal?—Non,affirma-t-elle.Jeveuxsavoirquejesuisavectoi.Jeneveuxpasoublier.Jeresserrailesliensetplaçaisesbrasau-dessusdesatête,avantdemeglisserentresesjambes.Jeretinsunemouededouleurenm’appuyantdetoutmonpoidssurmescuisses.—Non, lâcha-t-elle.Pascommeça.Je teprometsquec’estbientoiquimeferas l’amour,maispas
commeça.C’était ça que je redoutais. Je redoutais de la voir me chevaucher. Je voulais lui faire l’amour,
l’enroberdemesbras.L’embrasserpendantqu’ellegémissait.—Jesuisattachée.Jenepourraisrienfairesanstaforceàtoi,souffla-t-elle,pressentantmonmalaise.
Guide-moi,Rick.Jet’ensupplie,nemelaissepastomber.Sesyeuxgrismetranspercèrent.Jemesecouaietrécupéraiunpréservatif(àlavanille!)dansmatable
dechevet.Jeledéroulaisurmonsexe,soussonregard.Jedevinaissespensées.Elleétaitsiserrée.Ellesavaitqu’elleallaitavoirmal.—Accroche-toiàlapotence.Ellelevalesyeuxets’exécuta,tremblante.J’écartaisesjambespourmeglisserdessousetplaçaimes
mainssoussesfesses.—Metstesjambesautourdemoi.Jetetiens.Elle lesenroulaautourdemes flancs. Jevoulais la respirer.Frôler sapeaubrûlantedemes lèvres.
Assis, je l’embrassai entre les seins.Me délectai une nouvelle fois de chacun de ses tétons. Puis jerelâchaimonemprisepourlafaireglisserlelongdemoncorps.Danscetteposition,j’allaispouvoirtoutluifaire.Commejelevoulais.Je relâchai unede ses fessespourm’emparerdemon sexe, douloureusement avidede seperdre en
elle,etleguidaijusqu’àsonentrejambe.Mesyeuxdanslessiens,j’attendaisunsignedesapartquimediraitdetoutarrêter.Maissonregard
n’exprimaitqueledésir.Jereplaçaimamainsoussafesseet,lentement,lafisdescendresurmonpénis.Ellerâla,resserrantinstinctivementsesjambesautourdemoi.
J’attendais pour la relever. J’appréciais sa profondeur et sa chaleur. Son souffle chaud dans mescheveux.Sonparfumdevanilledanslesnarines.—Çava?demandai-jecontresajoue.—Jenesuispasensucre,Rick.Fais-moivivre.Vivre?Quelverbephilosophiquepourqualifiercequenousfaisions!Aidédesestalonsplantésdanslematelasetdesesbrasaccrochésàlapotence,jelasoulevaietlafis
redescendre aussitôt.Une nouvelle grimace, une nouvelle plainte. Je recommençai.Encore.Et encore.Embrassant,léchant,mordantsesseins,soncou,lelobedesesoreilles,seslèvres.Jelasentaisondulersurmoi,enivrée,ravagéeparleplaisir.—Vis,maintenant,murmurai-jeenôtantmesmainsdesesfesses.Je lui laissai le contrôle.M’emparai d’un de ses seins. Caressai son dos, sa nuque et ses cuisses,
tandis qu’elle coulissait frénétiquement sur ma queue. Elle gémissait. Glissait, m’engouffrant dans sachaleur.Medévorantenentier.Toujoursplusviteetplusloin.Jeperdaispied.Elleaussi.Jelasentisjouir.Secontracterautourdemoi.Crierdansmonoreille.Jenetardaipasàlarejoindre.
Cefûtl’explosiondansmonventre.Ladéflagrationtenditmonsexeàsonmaximum.Mesecouantdetoutmonêtre.Lapénétrantleplusloinpossible,jemurmuraiaumoinsdixfoissonprénomengémissant.Au-delàdu faitqueçadevait fairepresque troismoisque jen’avaispas fait l’amour, je réalisaisà
quelpointOceananemelaissaitpasindifférent,tantmonorgasmeavaitétépuissant.—Jepensequevotreancienpatrons’esttrompéencequiconcernevosqualifications…haletai-je.—Jevousavaisprévenu.Cinqans.Jemeredressaipourlaregarder.Lespaupièresfermées,levisagedétendu,elleessayaitdereprendre
sonsoufflé.Sesbrasaccrochésàlapotencetremblaient.—Vousvousméprenez,mademoiselle.Votretravailestirréprochable.Je défis ses doigts crispés, un à un, alors qu’un sourire se formait sur ses lèvres.Ensuite, j’ôtai la
cravatedesespoignets.—Ilmefaudraitunmouchoir,mademoiselle.Sonsourires’effaçaetsespaupièress’ouvrirent,dévoilantdesyeuxlarmoyants.—Qu’est-cequisepassé,Oceana?Tuasencoremal?m’inquiétai-je.—Ilfautquejetedisequelquechose.IlfautquejeteparledeNewYork.—Pourquoij’ail’impressionqueçanevapasmeplaire?Ellemeregardaitmassersespoignets.—Tunevaspassauterdejoie,c’estcertain.—Alors,demain.J’aivraimentpasséunetrèsmauvaisejournée.Maisjeseraisprêtàlarevivredes
milliersdefoissielledevaitseterminerdelamêmefaçon.Alorss’ilteplait,pasmaintenant.Je repoussai l’image de mon père, droit sur ses jambes dans le bureau de son hôtel, qui m’avait
regardéavecdédain.Jen’étaisplusàunjourprès.Sonsecretpouvaitattendre.Etpuisjen’avaispasétéfrancavecelleau
sujetdeKristen,etmoiaussij’avaisàluiavouercertaineschoses.Etcen’étaitpasnonpluslemomentpourluienparler.
—Réveille-toi,Rick.Ilyaquelqu’undanslamaison.—Quelleheureest-il?demandai-jelabouchepâteuse.Oceanaavaitdéjàquittélelit.—Plusdedixheures,répondit-elle.—Rick!entendis-je.Tueslà?Bonsang.Ilmanquaitplusquelui.Oceanameregarda,indécise.—C’estmonfrère.Ellepâlit.—Oceana,çanevapas?—Je…balbutia-t-elle.Jenesuispashabillée.—Rick?Tueslà?hurlaGeorgederrièrelaportedemachambre.—Oui.Laisse-moideuxminutes,letempsd’enfilerunshort.Attends-moidanslesalon,j’arrive!Oceanadisparutaussitôtdanssachambre.Qu’est-cequ’ilfoutaitlà?Jen’avaisaucuneenviedelevoir.Dedixansmonaîné,Georgeétaitmon
opposé en tout point.Appliqué, consciencieux et irréprochable, une vraie perfection aux yeux demonpère.Jenelejalousaispas,jeneleméprisaispas,jen’avaisjusteaucuneestimepourlui.Nousn’avionsaucuncentred’intérêtencommun.N’avionsjamaispartagéd’activité.Monpèrel’avaitprissoussonailepourleformeràladirectiondel’hôteldeNewYork,aussigrandet
aussi prestigieux que celui deMiami. Ils avaient passé tellement de temps là-bas que les années oùj’auraiseubesoind’unpèreoud’ungrandfrèreavaientdéfilésansqu’aucundesdeuxnesepréoccupedemonexistence.Maisc’étaitsanscompterl’hôteldeMiami.Augrandregretdemonpère,j’étaisnettementmoinsintéresséparmonhéritagequeparmaplanchedesurf.Etcertainementmoinsdocilequemonaîné.En sortant dema chambre, j’eus le temps d’apercevoir la jambe d’Oceana, qui se réfugiait dans la
salledebainscommune.Danslecouloir,monT-shirtetledébardeurensatind’Oceanaétaientrestéssurlesol.Merde.Jelesramassaietlesposaisurmesgenoux.Leregardfixésurlejardin,Georgesetenaitdeboutdevantlabaievitrée,lesbrascroisés.—Jenesavaispasquetudevaisvenir,luidis-jeenpénétrantdanslesalon.—Bonjour,Rick,répondit-ilenseretournant.OùestMlleDouglas?—Sousladouche.Ses yeux fixèrent les vêtements posés sur mes jambes, et il sourit avec malice. Je me foutais
complètementdecequ’ilpouvaitpenser.—Jesupposequejepeuxattendrepourunthé,alors.—Outupeuxaussifairemarcherlemicro-ondestoutseul.Oceanan’estpaslabonne.Seslèvressepincèrent.—Papam’aditquetuétaissortid’icihier.Coupbas.—Jesuisaussialléfairedescourses,jemesuisbaignédansunepiscineetj’aimangédansunresto,
précisai-jepourluifairecomprendrequemonfauteuilnem’empêchaitpasdevivre.—Waouh!railla-t-il.MlleDouglasfaitdesmiracles…
Jeserraimesdoigtssurlabarredemesrouespourm’éviterdeluiencollerune.Qu’ilaillesefairefoutre.Jen’avaisqu’uneseuleidéeentête:qu’ildégagedechezmoi.—Etsitum’expliquaislaraisondetavisite?—Je…(Sonregardseperditderrièremoi,aumomentoùunparfumdevanilles’insinuaitdansmes
narines.) Bonjour, mademoiselle Douglas. Je suis ravi de faire enfin votre connaissance : GeorgeThomas.—Enchantée,réponditOceanaquivenaitd’entrer.—Vousavezlesmêmesyeuxquevotremère.Enréalité, j’aivraimentl’impressiondelavoir,mais
avecvingtansdemoinsetnettementpluscharmante,sansvouloiroffenservotremère.Là,c’étaittrop.Jepriaipourqu’ellenerougissepas.Paspourlui!—Je…Vousdésirezboirequelquechose?proposa-t-ellefinalementavecunsemblantdesourire.—Entoutcas,vousavezbonnemine.Jenepensaispasquevoustiendriezplusdedeuxjourssansvoir
votrefils!Sonsourires’effaça.Elleblêmit.Georgeavait-ildit«votrefils»?Non.Ellenepouvaitpasm’avoircachécegenredechose.Unfils!
?J’avaisl’impressiond’avoirprisunuppercutenpleinvisage.Naïvement,jepriaipourqu’Oceanale
contredise.—Jen’aipastellementlechoix,répondit-elleàvoixbasse.Cettephrasem’acheva.Oceanaavaitunenfant!
Chapitre17
Lâcheté
Voilà.J’enétaislà.Àhaïrlepatrondemamèrepouravoirditleschosesàmaplace.J’étaissûrequ’ill’avaitfaitexprès.J’avaistellementespéréqu’ilsetaise.—Jen’aipastellementlechoix,répondis-jed’untonneutre.IlfallaitquejeregardeRick.Quejesachequelleétaitsaréactionàcetterévélation.Jen’avaisqu’à
tournerlatête.Jen’enfisrien.Lesyeuxbraquéssursonfrère,jeledétaillai.Lesdeuxfrèresseressemblaientbeaucoup,maisGeorgeparaissaitpluspetitetplusmenu.Ilsavaient
lesmêmesyeuxbleusmouchetésdenoisetteetlamêmecouleurdecheveux;ceuxdeGeorgeseteintaientdepoivreetselauxtempes.Enrevanche,pasbesoind’être intimeaveccethommepourencerner lecaractère.Unephraseetun
souriredesapartmesuffisaientpoursavoirqu’ilétaithautainetarrogant,commesamère.Soncostumetroispiècesetseschaussureshorsdeprixcomplétaientlepersonnage.—Est-cequejepeuxvousservirquelquechoseàboire?demandai-je.—Monfrèreaétéclair,vousn’êtespaslabonne.Jesuisjustepassépourm’entreteniraveclui.Etaussifoutrelamerde!—Danscecas,jevaisvouslaisser.—SalonTV,lâchaRick.Georgemedépassa,unsourireorgueilleuxauxlèvres.Ill’avaitfaitexprès.Maispourquoi?Qu’est-ce
queçaluirapportait?J’entendis les roulettesdu fauteuil deRick sur le carrelage.Encoreune fois, j’avais été trop faible
pourl’affronter.Jen’avaismêmepaseulecouragederencontrersesyeux,parpeurd’ylirelerejetoularépulsion.Jesortisdelamaison,espérantqu’unpeud’airm’aideraitàmeressaisir.Foutaises.Jem’étaismisetouteseuledanscettesituation.Sijeluiavaisditleschosesavant.Avantcetruc.Avant
lespapillonsdansleventre.Avantsonpremierbaiser.Avantceséchangesderegard.Sijenel’avaispasécouté,hiersoir.Sij’avaisdit,simplement,«jesuisunemaman».Lesmotsauraientétélà.Jel’auraisregardé.Nousaurionspuenparler.Jenemeseraispascachée.Comment j’aurais réagi, moi ? S’il m’avait dit qu’il avait un enfant quelque part ? Je n’en savais
strictementrien!Etc’étaitbiença,leproblème.Est-cequejepouvaisluienvouloirs’ilmerejetaitalorsquej’auraispufairedemêmesilasituation
avaitétéinversée?
Souslesoleilbrûlant,jerelevailatêteverslecieletinspiraipuisexpirai,lesyeuxfermés.Inspirer,expirer.Jevoulaiscourir.Medéchaîner.Fairesouffrirmoncorpsjusqu’àneplussentirmonestomacsetordre,
jusqu’àfairetairemespensées.Jerejoignismachambrepourenfilermonleggingetmesbaskets.
Uneheureplustard,lachaleurétouffantedeMiamieutraisondemoncorps.Aprèsm’êtreassisedes
milliersdefoissurletrottoirsurlecheminduretour,j’étaisenfinrentrée.Visagerougiparlesoleil,lesdoigtstremblantsd’uneprobablehypoglycémieetlescuissesbrûlantesdemesefforts,jefilaidroitsurlefrigidaireàlarecherchedelabouteilledejusd’orange.Lesilencerégnaitdanslavilla.LavoituredeGeorgen’étaitpluslà.RickavaitdésertélesalonTV.J’essuyailasueurdemonfrontetportailabouteilleàmeslèvres.Aprèsquelquesgorgées,lanauséemeprit.Jeposailabouteillesurleplandetravailetm’appuyaide
toutmonpoidsdessus,brastendus,mainsàplat.Moncorpssouffrait,maispasautantquemonego.Honteuse.Dégonflée.Froussarde.Méprisable.—Unfils?Jemeredressaisanspourautantmeretourner.Sansfairefaceàlaragequ’ilavaitexpriméenunmot.
Unfils.Monfils.—Dis-moiquemonfrèreamenti,reprit-il.Quej’aimalcompris.Quetun’aspasd’enfant.Ethann’étaitpasqu’unenfant!—Ils’appelleEthan.Ilauracinqansàlafindel’année.Jemeretournai,enfin.Assisdanssonfauteuilàquelquespasdemoi,Rickparaissaitfoudecolère.—Jesuisbienlamamand’unpetitgarçon,dis-jed’unevoixclaire.— NON ! (Il abattit son poing sur la table.) Tu m’as menti. Tu t’es foutue de moi pendant trois
semaines!Voilà.Laréactionquej’avaistantredoutée.—Jenet’aijamaismenti.Nousavionsdit«pasdepassé».—Cen’estpastonpassé!Bordel!Lesparolesdemamèremerevinrentenmémoire.«Tusaurasàquoit’entenir.»Ilétaitlà,leconstat.
Ilnem’aimaitpas.Iln’aimaitpascequej’étaisréellement.Unemaman.—Non.Tuasraison.Ethanestmonprésentetmonfutur.Sestraitssedurcirentdavantage.—Pourquoitun’asriendit?cracha-t-il.—J’aivoulu.Destonnesdefois.Ethierencore,etcettenuit…maistum’enasempêché.—Non.Non.Non.Tuauraisdûm’enparlerbienavant.Avanttoutça!Quoi?Sacolèredevintlamienne.Monfilsnedevaitpasêtrelacausedesamauvaisefoi.Monfils
n’étaitpasuneexcuse.Ilnepouvaitpasprétendrevouloirunaveniravecmoietreniercettevolontésousprétextequ’ilyavaitEthan.MonEthan.Lesouriredemavie.
—Avantquoi,Rick?Avantquejenetombesurtoisousladouche?Avantquejetedisequetuétaisunhommeetquejen’étaispaslesbienne?Pourquoi?Parcequejet’auraistellementdégoûtéentantquemère,quetun’auraisjamaisosémeregardercommeunefemme?Parcequejenet’auraisjamaisattiré?Parcequetunem’auraisjamaisdésirée?—Jen’ensaisrien.Je…Il laissa sa phrase en suspens. Je connaissais la suite. Il était désolé. Désolé de ne pas pouvoir
m’aimer.Denepasavoirassezdeforcepourassumer.Finalement,c’étaitluilelâche.—Nemeregardepascommeça.Nemeregardepascommesituavaispitiédemoi.Monfilsn’estpas
unfardeau.Tunesaisriendemavie.Etjeleplantailà.Seuldanssonfauteuil.Sonfidèlecompagnon.Silencieuxetinfirmedesastupidité.Mon cœurmartelaitmapoitrine. J’avais aimé cet homme.Est-ce que je pourrais vivre encore neuf
semainesaveclui?Jefonçai,sansprendrelapeinedemedéshabiller,sousladouche.Jen’avaisqu’uneenvie.Oublier.Oublierquej’avaisespéréquelquechosequin’avaitexistéquedansmatête.Oublierquej’étaisici,à
Miami.Oublierqu’ilavaitpumefaireressentirtellementdechoses.Oublierqu’ilyavaitcetruc.JepensaisàEthan.Àsespetitsbrasquim’enlaçaient.Àsaminusculemainsurmajoue.Àsonpremier
sourire.À lapremière foisoù il avait prononcé lemot«maman».À sespremierspas.Et àd’autressouvenirs,plusmerveilleuxlesunsquelesautres.Maisaussiàsespeines.Sesséjoursàl’hôpital.Sesvisiteschezlecardiologue.Etsonrêve.Lemien.Celuidemamère.Sonopération.Ilétaitlà,moncourage.Elleétaitlà,maforce.Jeresterais,pourlui.
Unjour.Unjourdesilence.Unjourànepenserqu’àuneseulechose.L’opérationd’Ethan.Aprèsunenuitagitée,toutétaitclairdansmatête.J’avaisdresséunelistedechosesàfaire;j’avais
aussiérigéunmurentreRicketmoi.Jemecontenteraisdeluidonnersontramadollesoir,neluiposeraisaucunequestion, le laisseraisseuldéciderdes tenuesqu’ilvoulaitporter, luiapporteraisses repas,nel’obligeraisniàprendreunedouche,niàseraser,niàfairesarééducation.Quantàmoi,jeneresteraispasplusd’uneminutedanslamêmepiècequeluietmeferaisviolencepoursortirdulittouslesmatins.Difficile?Pasplusqueça.Ilavaitfuiavantdemelaisserdigérerlapremièrejournée.Rasé,coiffé,parfuméàm’enfairechavirer,vêtud’unechemisebleueélectriqueetd’unjean,ilavait
prislapoudred’escampette.Jen’avaispaspumeretenirdecourirprèsdelafenêtrepourvoiravecquiildécampait.Untaxi.Encoreunefois,commeunlâche,ilavaitprislafuite.Dumoins,c’étaitcequejem’étaisévertuéeà
penserpourrepousserlavaguedejalousiequipulsaitdansmesveines.J’étaisjalouseparcequ’ils’étaitfaitbeaupourquelqu’un.Jalousequedesfemmespuissentessayerde
leposséder.Jalouseparcequeluipouvaitfairecequ’ilvoulait,alleroùbonluisemblait.Alorsquemoi,jedevaisresterlà,commeunepauvreconne,àl’attendre.Attendrequeletalkie-walkiegrésille.Attendrechaquemomentdelajournéeoùj’avaisquelquechose
àfairepourlui.Attendredepouvoirmecoucherpourpasseràunenouvellejournéesilencieuseetpleined’hostilité.
Après avoir rangé toute lamaison,mis un peu d’ordre dansmes affaires, fait quelques courses ausupermarchéducoinetprisunebonnedouche, jecommençaiàm’inquiéter.Lesoleil secouchaitet iln’étaitpasrentré.Assiseàmêmelesol,encorebrûlantdelachaleurdelajournée,delaterrasse,jemedonnaiuneheure
avantde luienvoyerunmessage.Sonnumérodeportabledevaitbienêtrenotéquelquepartdanscettemaison?Chezmoi,lemienfiguraitsurunpost-itcollésurleFrigo.Maismoi,j’avaisunfils!J’étaislapersonneàprévenirs’ilarrivaitlamoindrechoseàEthan!Ethan,monpetitgarçontropprécieuxàmesyeux,ettrop«monfils»àceuxdeRick.Moncœurétaitblesséetrévolté,autantparsoncomportementqueparsonsilencefaceàunevéritéque
j’avaisexpriméeàsaplace.C’étaitaussimaforce.J’avaisétéheureuseavantlui,sanslui.Restait ladéception.DesbrasdouilletsdeGroschéri, l’oursonroseauxdeuxcœurssurleventredu
mondedesBisounours,jem’étaisécraséetelunmoustiquesurlepare-brised’unavion,pourfinalementm’étaler sur le bitume brûlant de Miami. J’y avais laissé ma raison, ma gentillesse et mes bonnesmanières.Ilnemerestaitplusquemonamertumeetuneviolentecolèrecontremoi-même:j’avaisétésinaïvedecroirequ’unjourjepourraiscomptersurl’épauled’unhommepourmereposer!Nedisait-onpasquelagrandeurd’unhommesemesuraitàsesactesetnonàsesparoles?Finalement,jemelaissaideuxheures.Qu’allais-jeluienvoyer?T’esoù,minablelâche?—Rick?Jesursautaietpoussaiunlégercridedétresse.Jeplaquaiaussitôtmesdeuxmainssurmabouche.Mon
cœurfaisaitdesbondsdansmapoitrine.JemeretournaivivementverslavoixdeCarl.Est-cequ’ilm’avaitentendue?Carl.Jeudi.—Rick?entendis-jeunenouvellefois,unpeuplusprès.J’auraisaimépouvoirneformerqu’unaveclecarrelagedelaterrasse.—Oceana?Rickn’estpaslà?—Ilsembleraitquevotreamiaitunsérieuxproblèmeaveclesdisputes.Ilauneprédilectionpourla
fuiteetlesilence,répondis-je.—Qu’est-cequ’ils’estpassécettefois?—Sonfrère…estpasséhiermatin.—Etilvousatrouvédansunepositioncocasse?—Illuiaditquej’avaisunfils.—Oh.—Quoi,«Oh»?«Oh»merde?«Oh»lecon?Ou«Oh»elleaunfils?—Unpeutoutça.CommentRicka-t-ilréagi?—J’auraispréféréqu’ildise«Oh».Samainfouilladanssapocheetensortitsonportable.—Ilrestedesbières?medemanda-t-iltoutenpianotantsursonécran.Non,nebougezpas,jepeuxme
servirtoutseul.IlsedirigeaversleFrigidaireetensortitunebouteille.
—T’esoù,mec?TuQUOI?Ilposaviolemmentsabièresurleplandetravail,mefaisantsursauter.—Tucomptesrentreràquelleheure?reprit-ilpluscalmement.Moncœurmartelaitmapoitrine,attendantuneréponsequejenepouvaispasentendre.—OK.QuelquechosemedisaitquelaréponsedonnéeparRickneluiavaitpasplu.Meplairait-elle,àmoi?
Ilrangealabière,qu’iln’avaitpastouchée,etseretourna.—Vousavez…quelquechosed’unpeuplus…habillé?demanda-t-il.Comme si je ne savais pas ce que je portais, je baissai les yeux surmon short en jean etmon top
blanc…sanssoutien-gorge.Jecroisaimesbrassurmapoitrineetledévisageai.—Onsort,sivousvouleztoutsavoir!Oui.Non.Super.Horsdequestion!—Soyezpasaussitêtedeconquelui.Vousn’allezpasrestericiàl’attendre?!—Avecquiilest?—Jevouslediraisivousacceptezdesortir.Ilcroisalesbras,souriantetsûrdelui.—Pasbesoindemefaireduchantage.Jenesaismêmepaspourquoijevousaidemandéça.Parcequej’avaisterriblementenviedelesavoir!—Kristen.Hiroshima.Moncerveauressemblaitàunmonticulededébris.Moncœuravaitlittéralementexplosé.Kristen…C’étaitmoi,aufonddelamerMorte,maintenant.—Donnez-moicinqminutes,répliquai-je,dépitée.
Chapitre18
Soiréedouteuse
J’avaisrépondusansréfléchir.Jenesavaispourtantriend’elle,nidel’amourqueRickluiportait.Jen’avaispasàjugerleurhistoire.
S’ilvoulaitlavoir,etbienqu’illefasse!Mais,malgrétouslesargumentsquemaraisontentaitdemesoumettre,jenepouvaispasm’empêcher
demesentiramèreetrévoltée.Depuisquej’étaisàlavilla,jen’avaisjamaisvuleboutdesonnez,nientendulesondesavoixau
téléphone. SiCarl nem’en avait pas parlé, je n’aurais sans doute jamais connu son existence. J’étaisjalouseparcequ’ellen’avaitjamaisétélàpourRick,nes’étaitjamaisdémenéepourl’aider,nel’avaitjamaisvusouffrir…etqu’ellelerécupéreraitbientôtsursesdeuxjambes,commesisonaccidentn’avaitjamaiseulieu.J’avaisété làauxmomentsdifficiles.J’avaisvusonsouriredansunepiscine lorsqu’ilavait faitses
premierspas.Jesoulageaissadouleur.Jevidaissapisseetpréparaissonpetitdéjeunertouslesmatins.Maisest-cequeçamedonnaitledroitdesortiravecCarl,sonmeilleurami?Commepourrépondreàmaquestion,mesmainss’empressèrentdefermerlesbouclesdemessandales
àtalonsnoirs.Face au miroir, j’observai le résultat. Mes cheveux blonds descendaient en cascade sur ma
combinaisonnoiresansmanches,tellementdécolletéequej’avaislaissé(unefoisdeplus)monsoutien-gorgedansletiroirdelacommode.Unepochettebeigedansunemain,unevestedetailleurdelamêmecouleurdansl’autre,unpeudefardàjoue,durimmeletdurougesurleslèvres.Çaferaitl’affaire!JerejoignisCarldansl’entrée.Téléphonecolléàl’oreille,ilserecoiffaitens’épiantdanslemiroir
accrochéau-dessusduguéridonetdéboutonnalecoldesachemisenoirepourparaîtredécontracté.—N’importequoi!Tu.Fais.N’importequoi,martelait-il.Ilsouritaumiroir,sûrementpourvérifierqu’iln’avaitrienentrelesdents.—Jenesaispasàquelleheurejerentre,ajouta-t-il.Jemeraclailagorgepourluisignalermaprésence.Prisenflagrantdélit,ilgrimaça.—Bon,jetelaisse.Onsevoitplustard,dit-ilavantderaccrocher.Ilmedétailladehautenbas.Sentantsesyeuxsedélecterd’undeuxièmepassagesurmondécolleté,je
fronçailessourcils,retenantuneremarqueacerbe.Confus,ilsourit.—Vousaviezautrechosedeprévu?demandai-je.Ilhaussalesépaules.—Pasvraiment.
—Pourtantvousaviezl’aird’êtreattendu.—C’étaitRick.Etsoitditenpassant,iln’estpastrèspolid’écouterlesconventionsdesautres.Ilmeservitunclind’œil.PourquoiRicks’inquiétait-ildesavoiràquelleheurenousallionsrentrer!?—Vousn’étiezpastrèsdiscret,lànonplus!—D’habitude,lesfemmesaimentquandonlesregarde.—Vousn’êtespasobligédemesortir.J’aitouteunesaisondeGrey’sAnatomyàvoir!—N’importequoi!(Ilregardasamontre.)Ilestpresque22heures,allons-y.Ilrejoignitlaporteetl’ouvritavecunerévérence.Cettefois,jen’étaispasinquiètepourRick,j’étaisencolère.J’étaiscertainequenosretrouvaillesne
setermineraientpasdelamêmemanière.Pasdanssesbras.Nisursesjambes.Encoremoinsempaléesursonmembre!Assisedans l’imposant4×4deCarl, je regardais lepaysagedéfiler. J’étais irritéeetagacée.Tout
m’étaitdésagréable,dubruitdumoteuràl’odeuriodéedel’océandansl’habitacle.SiCarlmetouchait,j’exploserais!Qu’est-cequenousfaisionsaujuste?C’étaitunrencard?Ouunesimplesortieentreamis?Je reconnus sans peine lesmurs colorés et tagués du quartier deWynwood, que j’avais traversé la
semaineprécédenteavecRick.Unelameaiguiséetraversamapoitrinequandlavoiturepassadevantlerestaurantdanslequelnousavionsmangécejour-là.Finalement,auboutd’unebonnedemi-heure,Carlgarason4×4.Jelesuivissansentraindansceque
jesupposaisêtreunetaverne,toujoursaccrochéeàlamêmequestion:qu’est-cequejefoutaislà?!Il y avait de l’ambiance à l’intérieur. Beaucoup de jeunes, certains debout autour du bar central,
d’autres attablés, discutaient tout en buvant et mangeant dans le vacarme d’une musique cubaine. Àl’imageduquartier,lataverneressemblaitàunpatchworkdetableauxdePicassoetdegraffitisderue.Descentainesdepetitesampoulesdetouteslescouleursdescendaientdesplafondsentôle,lemobilierétaitenaluminiumetenacier,etunevieilleCadillacavaitétédésosséepourêtreaménagéeencuisineambulante,typefoodtruck.J’essayaidemesouvenirdeladernièresoiréequej’avaispasséedansunlieucommecelui-là.Rienne
mevint. Jen’avais jamais étédu style à suivremes amiesdansunbarouunclub, et jeme rappelaisencoremoinsdemadernièresoiréeétudiante.L’effervescencedulieumefitpresqueoubliermonagitation.Jeregardaislesfillestrèsjeunesetqui
semblaient, pour la plupart, avoir déjà bu un coup de trop et les garçons qui leur tournaient autour,sûrementdansl’intentionderepartiravecl’uned’ellescesoir.Est-cequejedevaisregretterdenepasavoirvécucegenredechoses?—Venez!hurlaCarl.Ilfitunsignedelamainaubarman,quiluiindiquanotretable.Bienqueplacésà l’écart, lebrouhahadesconversationset lamusiquemepermettaientdegarder le
silence.Maisqu’est-cequejefoutaislà?!Carlfitunsigneàuneserveuse,quiluisouritenluimontrantsonindexpourluidemanderdepatienter.—Vousallezbien,Oceana?s’inquiéta-t-ilalors.—J’auraispuresterenshortetendébardeur,luirépondis-je.Matenueesttrophabillée.—Peut-êtrepourici,maispaspourallerdanser.
—Vousrigolez?—Pasdutout.Çavavousfairedubien.Unpeutropsûrdelui,ilmesourit.Non.Non.Non.Çan’allaitpasmefairedubien!—D’abordjen’aimepasdanser…etjenemevoispasdutoutsurunepistededanse!—Pourquoi?Vousdevriezvousamuserunpeu.—Parcequevouspensezquec’estlegenredechosequimerendraitheureuse?Jen’aijamaisaimé
ça.Mêmeavantmonfils!—Cen’estpascequejevoulaisdire.Lajeuneserveusearrivaàpointnommé.—Salut,Carl!Deuxsoirsd’affilée,onadelachance…Unbandanarougeattachésursatêtebrune,unechemisebleuenouéeau-dessusdunombriletunshort
enjean,ellemerappelaitlespin-updesannées60.—Salut,Bess,répondit-il.Jesais,turêveraisquejesoislàtoutletemps…Ellemefitunclind’œil.—Lamêmechosequed’habitude?—Vousmangezdetout?medemandaCarl.(Jehochailatête.)Alorsoui,Bess,s’ilteplaît.Merci.—Attentionàvous,c’estunvraiprédateur!m’avertitBessavantdetournerlestalons.Illaregardas’éloigneretsepenchaversmoi.—Repartonsàzéro,sivousvoulezbien.—Pasdeclub,tranchai-je.—Onverra.—Qu’est-cequ’onfoutlà,Carl?Pourquoivousfaitesça?Jeposaimapochetteàcôtédemoi.—J’avouelâchementqu’avantqueRickmeparledevous,j’espérais…enfin…vouscomprenez…—Pastellement,non,mentis-je.— Je ne suis pas le style de mec qui promet la lune à une fille. Je ne suis pas casanier, je suis
constammentsurlaroute,doncjenecherchepasàm’attacher.J’adorelesfilles,maiscequej’aimepar-dessustout,c’estlesexe.—Est-cequevousêtesentraindemedirequevousvouliezcoucheravecmoi?—Oui.Avant.Enfin,j’enaitoujoursenvie…maisilyaRick.Devais-jeenconclurequeRickluiavaittoutraconté?Commeuneétincelle,sonaveurallumalaragequim’avaitsaisiedanslavoiture.—Nonpasquejeveuillefairequoiquecesoitavecvous,maisjen’appartienspasàvotremeilleur
pote,quiasutrouverduréconfortauprèsd’unecertaineKristen,cesoir,lançai-je.—C’estuncon.Je compris qu’il n’aimait pas Kristen. Je ne voulais en aucun cas connaître les raisons de cette
antipathie.
Enréalité,si.Jelevoulais.—Jeveuxbienqu’onparled’autrechose,réclamai-jenéanmoinsavecunegrimace.—Comments’appellevotrefils?Finalement,jepréféraispresqueparlerdeRicketdesaKristen…Bessrevintavecunplateauchargédedeuxpintesetdedeuxassiettescopieusementgarnies.—Bonappétit!lança-t-elleavantdenousquitter.Banderillasdepouletetdebœufaccompagnésd’unesaladeassaisonnéedevinaigreetd’huiled’olive.—Çavousva?s’inquiétaCarl.Pourtouteréponse,jem’emparaidemescouvertsetpiquaiunmorceaudeviande.—Alors?Ilm’imita.—C’esttrèsbon.—Non.Votrefils.Jem’étouffaiavecunefeuilledesalade.Ilpoussalapinteversmoi.—Je…rhmmm…jene…rhmmm…boispasd’alcool,articulai-jedifficilement.Sessourcilsserelevèrent.Jen’osaimêmepasluidemandercequ’ilpensaitdemoi.Jenedansaispas.
Jenesortaispas.Jenebuvaispas.Waouh!Ilnemanquaitplusquelechat.Aprèsm’êtredébattueavecmonmorceaudesalade,jedécidaifinalementdegoûterlaboisson.Sous
sonregardamusé,jebusunegorgéedelabièrequiserévélafraîcheetfruitée.Sonsourires’effaçaàlavuedemalanguepassantsurmeslèvrescouvertesdemousse.Ildéglutit.—Ethan,dis-jefinalementpourluirappelerquej’avaisunfils.Ilclignadesyeuxplusieursfois,commepoursedétacherdemabouche.—Quelâgea-t-il?—Jen’aipasl’habitudedeparlerd’Ethan.Etjesaisquevousn’êtespasréellementintéressé.Ilfronçalessourcils;jel’avaisblessé.—Désolée.HormisRick,jen’aipasdînéavecunhommedepuistrèslongtemps.—Sivouslesaccueilleztousdecettefaçon-là,vousavezbeauêtrebelleetirrésistiblementattirante,
ilestcertainquevousleurcoupezl’envied’allervoirplusloin.—Égalité,constatai-je,vexée.—Jenesuispasnonplustrèsfortpourracontermavie.Jesuisnédansunefamillepauvre,jen’aipas
faitd’étudesetjesuissurfeurprofessionnel,dit-ild’unetraite.Àcroirequec’étaitlaphrasebateauqu’ilsortaitàtoussesrencards.—Maisencore?demandai-je,labouchepleine.—Mamèretravailledansuneusinedetextileetmonpèreestunsalecond’alcoolo.Jenepusm’empêcherdeglousser.Avantqu’ilneseméprenne,jem’essuyailaboucheetm’expliquai:—Çanousfaitundeuxièmepointcommun.
Ilmedévisagea,puisannonça:—Quandj’avaisvingtans,jel’aijetédehorsàcoupdepoingsetdepiedsalorsqu’ilprenaitunmalin
plaisiràtabassermamère.Depuis,jenel’aiplusrevu,etjen’aiaucuneidéedecequ’ilestdevenu.Jen’avaisplus trèsfaim,d’uncoup.Jerepoussai l’assietteàmoitiévide.Jen’avaisaucunepeineà
imaginersonenfance.Sesyeuxcontinuaientàm’épier,commes’ilsappréhendaientmaréaction.Quelquechosemedisaitquecettepartiedesavienedevaitpasfairepartiedesonbaratinhabituel.Jemelâchaiàmontour:—Jen’ai jamaisconnu lemien, ilestpartiquandmamèreasuqu’elleétaitenceintedemoi.Et il
semblerait que je sois victime de lamêmemalédiction puisque le père d’Ethan ne veut pas entendreparlerdesonfils.Jenesouhaitaisqu’unechose,c’étaitqu’ilnemeposeaucunequestiondustyle:pourquoinepasavoir
avorté?Pourquoinepasavoiressayéderefairetavie?—C’estunlâche.Jereprismarespiration.—Quiça,Rick?—Non.(Sonsourirefrancmefitsourireàmontour.)Lepèred’Ethan.—Jenel’aimaispas,detoutefaçon,dis-jeenhaussantlesépaules.—Quiça,Rick?railla-t-ilàsontour.—Non.Lepèred’Ethan.Enfin…jenedispasnonplusquej’aimeRick…Oh…Vousaveztrèsbien
compris!m’exaspérai-je.—Çameferaitchier,enréalité.Parcequejen’airienpromisàRickpourcesoir.Ledrame!Qu’est-cequejefoutaislà?!Je bénis lesmille couleurs des lumières suspendues au plafond, quimasquaient la rougeur demes
joues,etjebusenhâteunegorgéedebière.Une,deux,trois…tantdegorgéesquejeredoutaisdéjàlamigraineinévitable.Peut-êtreserait-ellemonticketgagnantpourrentreràlamaison?
FinalementCarlavaitgagné,etmatêtenes’étaitpasrévoltéecontre laprésenced’alcooldansmon
sang.Deuxpintesdebière.DeboutcontrelebardelaboîtelaplussélectedeMiami–d’aprèscequej’avaispucomprendre–,jeregardaistantôtCarl,tantôtlapistededanseenvahiedeclients.Matenuedesoiréeétaitencoremalchoisie. Ici, lesfillesportaient toutesdesrobesoudes jupessi
courtesqu’ilmesuffisaitdebaisserlatêted’uncentimètrepourapercevoirleursdessous.Quandellesenportaient.—Vousn’allezpasdanser?demandai-jeàCarlpresqueenhurlantpourqu’ilm’entende.Ilserapprochademoietsepenchaversmonoreille:—Seulementsivousyallez.Jemeretinsderespirersonparfumviril.—Nevousprivezpaspourmoi.—Jesaiscequ’ilvasepassersijerejoinscettepistededanseavectoutessesfillesautourdemoi…
m’informa-t-ilenplissantlesyeux.
—Jesuisunegrandefille,jepourraisrentrerentaxi.—Non,Oceana.Jesuispeut-êtreunprédateurquiaimelesexe,maisjesaismereteniretjenesors
pasavecdeuxfillesàlafois.Cesoir,jesuisici.Avecvous.—Nousnesortonspasréellementensemble— Je vais vous faire un aveu, continua-t-il en se collant presque àmoi. Je ne crois pas du tout à
l’amitiéentreunhommeetunefemme.Doncjeparsduprincipeque,cesoir,jesuisavecvous.Sa bouche était si près de la mienne que j’en louchais. Affolée à l’idée qu’il puisse s’approcher
d’avantage,jeposaimamainsurseslèvresetreculai.—Stop!Ramenez-moichezRick,haletai-je.Je le sentis sourire sousmes doigts alors que ses yeux sombres caressaientmon visage. Je n’osais
mêmeplusbouger.Ilneferaitdemoiqu’unebouchée.J’avaissurtoutpeurd’êtretropfaible,tropjalousedeRick,tropencolère,pourl’arrêters’iltentaitquoiquecesoit!Samainattrapamonpoignetavecdouceuretfitlentementglissermesdoigtsdesabouche.Ilmurmura:—Unedanseetjevousprometsdevousramener.Jenel’avaisjamaisvuaussisérieux.Sonpoucecaressaitledosdemamain.Jem’empressaidelalui
arracherpourfairetairelesbattementsfrénétiquesdemoncœur.—Voussaureztenirvosmains?Ilhochalatêted’ungesteentenduetarronditlebraspourm’inciteràl’accompagnersurlapiste.Effrayée,jemefaufilaientrelesclubbeursdéjàtrempésdesueur.Sanstropsavoircomment,mespieds
etmesbrasrépondirentaurythmedelamusique.L’adrénalinesemblaitpeuàpeurepousserlacolèreetla peur dans un coin dema tête, et le peu d’alcool que j’avais ingurgité suffit àme libérer. Je ne fispresqueplusattentionàcequim’entouraitjusqu’àcequeCarl,quijusqu’alorssetenaitàunedistanceplusquecorrectederrièremoi,immiscesatêteentremonbrasetmajoue.Surprise,jemeraidis.— Je croyais que vous ne saviez pas danser,murmura-t-il si près demon oreille que j’aurais juré
sentirseslèvresmimerunbaisersurmonlobe.Jemeretournai,feignantd’êtreagacée.—Mesmainsn’ontpasbougédederrièremondos,sejustifia-t-il.Jereprismadanseendardantsurluiunregardnoir.S’ilbougeaitd’unmillimètre,jefonçaisprendre
untaxi!Sij’enavaislaforce…Aprèstout,Carlétaitloind’êtremoche.—Jen’aipasditquejenesavaispasdanser,j’aiditquejen’aimaispasdanser,précisai-jesousses
souriresentrecoupésparlalumièredesstroboscopes.Soudain,toutseprécipita.Jesentisunemassesefrottersurmesfessesetmondos.JevisCarlfroncer
lessourcilsetvireraurougeenmevoyantmedécomposeretmeraidir.Etsesmainsempoignèrentmonbassinpourleplaquerviolemmentcontrelesien.—Dégage !cria-t-il. Irrésistiblementattirante, jevous l’aidit,chuchota-t-il l’instantd’aprèsàmon
oreille.J’avaisl’impressiond’êtredétachéedetoutcequisepassait.Profitantdelasituation,Carlfitglisser
lesdoigtsd’unedesesmainslelongdemonflanc,puislesremontasurmondos.Jefrissonnai.Puisileffleura ma mâchoire jusqu’à mon menton, pour le relever. Ses lèvres étaient près des miennes, je
pouvaissentirsonsouffleleseffleurer,commeunecaresse.—Vosmains,réussis-jeàdire.—Quoi?—Vosmains!hurlai-je.Ladéceptionsepeignitsursonvisage,etsoncorpss’éloignadumien.—Allez,jevousramène,dit-il,amer.Ilmepritparlamainetm’entraîna.Sitôtdehors,lafraîcheurdelanuitmeremitlesidéesenplace.
J’étais désolée, oui, mais pas pour lui, pour moi. Parce que je ne savais pas si je désirais qu’ilm’embrassepourmefaireoublierRickoutoutsimplementparcequejevoulaisréellementqu’illefasse.Àquelquespasdelavoiture,jem’immobilisai.Ilseretourna.—Quoi?—Arrêtez.Arrêtezdevouscomportercommeunenfantgâtéàquil’onarefuséunbonbon!—Jen’aipasl’habituded’êtrerepoussé.—Alorsquoi?VousallezmeramenerchezRick,etmebouderjusqu’àcequejereparteàNewYork?—Jenesaispas.Jesupposequenon.Ilfautjustequejedécante.Gêné,ilfeignitderegarderailleurs.Jelibéraimamaindelasienneetavançaid’unpas.—Réessayez,jenevousrepousseraipas.—Qu’est-cequevousavezdit?—Embrassez-moi.Etnemefaitespasrépéter.Jen’euspas le tempsd’apercevoir sonsourire : ses lèvresavaientdéjàheurté lesmiennes.Violent
commeuncoupdepoing,maispasmoinsdélicieuxetardent,sonbaiserpassionném’électrisa.Jeglissaimesdoigtsdanssescheveuxpouryrépondre.Sanstropsavoircommentnipourquoi,jemeretrouvaipriseaupiègeentreluietlemurcolorédela
ruelle.Sonbassin s’appuyait si fort contre lemienque je pouvais sentir sonmembredurci contremacuisse.Salanguesefrayauncheminjusqu’àlamienne,semitàjoueravectandisquesesmainsglissaientsur
mesfessesetmesoulevaientavecfacilitélelongdumur,m’incitantàl’encerclerdemesjambes.Stop!Laquestionquejem’étaisposéetoutelasoiréerevintavecvéhémence:qu’est-cequejefoutais
là?!Laréponse,elle,vintdansunflash:pourmevengerdeRicketdesalâcheté.Carln’étaitpasRick.Iln’avaitpassongoût.Iln’avaitpassonodeur.Iln’yavaitpasd’envoldepapillons.Mesdoigtsrelâchèrentleurprisedanssescheveuxet,commesiCarlavaitcomprismonmalaise,ilme
lâcha.Jesentisànouveaulaterrefermesousmespieds.—Jepersiste,dit-ilàboutdesouffle.Rickestuncon.—Ilnefautpasqu’illesache…Ils’écartaethaussalesépaulesaprèsm’avoirdévisagée.—Allez,rentrons.Lavilla,ànotreretour,étaitplongéedansl’obscurité.MoncœurseserraenpensantqueRickallait
passerlanuitavecelle.Enfinlanuit…pourcequ’ilenrestait.L’horlogedelavoitureindiquaitunpeuplusde4heuresdumatin.—Tuveuxquejeresteavectoi?demandaCarlsanssous-entendualorsquenouspassionslepasdela
porte.—Jenecroispasquecesoitunebonneidée.—Ah,c’estcertainquesijememetsàrêverquetum’embrassescommedanslaruelle,je…—Dites-moiquejerêve!?Rick.Nousavait-ilentendus?Jemepétrifiai.—Bordel!Vousattendezquoipourvenir!cria-t-il.Avantmême que Carl réagisse, je courus aussi vite que je pus jusqu’à la cuisine, comprenant que
quelquechoseclochait.Ausol,jeheurtaiunemassequihurladedouleuretmeretinsinextremisauplandetravail.—Merde,Rick!m’affolai-je,comprenantenfin.La lumière s’alluma, le dévoilant assis sur le sol, dos appuyé contreunmeuble.Endécouvrant son
visagecrispéettendu,j’hésitaientreladouleuretlacolère.Sesdeuxmainsmaintenaientfermementsacuissedroite.—Jevoulaissimplementuncafé,dit-il. J’aidûoublierdemettre les freinset le fauteuila rouléau
momentjemesuisrassisdessus.Ileutunmouvementdereculalorsquemamains’approchaitdesacuisse.Jedusblêmir.—Mal.Quelquepart?réussis-jeàdire,ravalantmonenviedepleurer.Ilm’ignoraettournalatêteversCarl,quiobservaitlascèneappuyécontrelemur,brascroiséssurson
torse.—Aide-moi,luilança-t-il.Ilnevoulaitpasquejeletouche…J’avaisl’impressionquemonmondes’écroulait.J’étaisdévastée.
Jefermailesyeuxpourmeressaisir,jetremblaisdetoutmonêtrefaceàsarépulsion.Soncridedouleurétouffaundemessanglots.—J’appelleuneambulance,décrétai-jeenmelevant.Ilmesemblal’entendreprotester.Jem’enfoutais.Sijenepouvaispasletouchernimêmel’approcher
sansqu’ilnemeregardeavechargneourancœur,ildevaitaumoinsvoirunmédecin.C’étaitsansdoutemonseulélandeluciditédelasoirée.
Chapitre19
Retouràlacasedépart
—T’esqu’uncon,Rick.Carl,assissurunechaiseenfacedemoi,mepointaitdudoigtpourappuyersoninsulte.Celadevaitmaintenantfaireplusd’uneheurequej’étaisallongédanscelitàattendrelesrésultatsde
laradiodemajambe.Lesantalgiquesavaientsoulagéladouleur.—Oceananeméritepasquetutecomportescommeçaavecelle!reprit-ilpourlaénièmefois.Depuisquandfaisait-ilpreuved’empathiepourlesfilles?—Enattendant,ellen’apasattendulongtempspourtesauterdessus…—Ellenem’apassautédessus,JE l’aiembrasséeaprèsqu’ellem’ait repousséàdeuxreprises.Et
ellen’apasréponduàmonbaiser,elles’estjustelaisséeembrasser!J’essayaitantbienquemalderepousserl’imaged’Oceanadanssesbras.Çamerendaitfou!Est-ce
qu’elleavaitpréféréseslèvresauxmiennes?Qu’avait-elleressenti?Avait-elleaimé?Est-cequ’ellevoulaitrecommencer?JejetaiunregardnoiràCarl.—Alors quoi ? Je devrais simplement te diremerci dem’avoir rendu jaloux au point de ne plus
pouvoirlaregardersanspenserquetul’astouchée?merévoltai-jefinalement.—C’estmoiquil’aiembrassée,OK?!Pourquoitunet’enprendspasàmoi?Ilavaitraison.J’envoulaissurtoutàOceana.Pourquoi?—Tuveuxvraimentquejetedisecequejepensedetoi?Là,maintenant?—Siçapeutt’aider!Jeluiavaisdéjàditlamêmechosedesmilliersdefois,lorsqu’ilrentraittouslessoirsavecunefille
différente.—Jepensequetuasunputaind’egosurdimensionné,quetuasunbesoinconstantdeplaireàtoutes
les filles qui passent à ta portée, et je pense que tu es un putain de traître, que tu essaies de te taperOceanaalorsquetutedoutestrèsbiendecequ’ellereprésentepourmoi!—Àlabonneheure!(Illevalesbrasaucielpuislesreposasurlesaccoudoirsdufauteuil.)Monego
t’emmerdeRick,etmonbesoindeplaireaussi(petitclind’œil).QuantàmetaperOceana,jecroisquelesujetadéjàétéabordélesoiroùtuascréchéchezmoi.—Jecroyaisquenousétionsd’accordsurcepoint!Quetunetenteraisrienavecelle?—Non.Cen’estpascequejet’aidit!Jet’aiditquejenecoucheraispasavecelle,point.C’était
justeunbisou!Unputaindebisou!Etjesuiscertaindet’avoirrenduservice,quelquepart.Jefeignislasurprise.—Ahbon?
—Ellem’are-pous-sé!T’enconnaisbeaucoupdesfillesquimerepoussent?!ÀpartKristen,aucune.Cemecétaitirrécupérable.J’envenaismêmeàmedemanders’ilnetenaitpasuntableaudechasse.
Commentfaisait-ilpourembobinertoutescesfilles?J’étaismêmecertainqu’ilétaitcapabledesefairepayer,telungigolo!—Ellenet’apasrepoussé,conclus-jefinalementpourdéfiersonassurance.—Ellenes’estpaslaissétransporter,situpréfères.(Ilportaunemainsursonvisage,commes’ilétait
désespéré.)Etelle,danstoutça!cria-t-il.Tuypenses?Mets-toiàsaplace!Aumomentoùtuapprendsqu’elleaunfils,tutebarresretrouvertonex.Commentvoulais-tuqu’elleréagisse?Àquoivoulais-tuqu’ellepenselorsquetuespartirejoindreKristen?Autrementqu’ensejetantdanstesbras,c’étaitcertain!—Ellen’étaitpascenséelesavoir,argumentai-jeenessayantderetrouvermoncalme.Si,encoreune
fois,tuavaissutenirtalangue,onn’enseraitpaslà!—Tumesaoules!Jem’envais!Ilseleva.—JenesuispaspartirejoindreKristen.Jevoulaissimplementcomprendrecertaineschoses,avouai-
je.Ilseretournaetdemanda,intrigué:—Vousvousêtesvus,ouiounon?—Oui,maispaspourlesraisonsquetucrois,dis-jeaveclassitude.—Alorsquoi?Explique-toi!M’expliquer ?Comment pouvais-je expliquer quelque chose que je ne comprenais pasmoi-même !
Mes trois joursdecomam’avaient laisséune seule séquelle,uneamnésiepartielle. J’avaisoublié lesévénementsquiavaientprécédémonaccident.Maislanuitdernière,j’avaisrêvédechosescomplètementinsenséesquej’étaispersuadéavoirvécu.EtseuleKristenauraitpumeleconfirmer–ounon.Alors,j’avaislaissédecôtémarancœuretj’avaiscampé,dansmonfauteuil,devantsonappartement
pendantaumoinsquatreheures.Jusqu’àsonretour.J’avaisbesoinderéponses.Siellemeconfirmaitquecequej’avaisrêvéétaitréel,jenepourraisque
luidonnerraisondem’avoirlarguécommeunemerde!Dire qu’elle m’avait laissé indifférent serait mentir. Kristen était belle et raffinée, et là où Carl
percevaitduméprisetdel’arrogance,jevoyaisunmasque,conséquenced’uneadolescencedifficiledansune famille complètement déjantée. Il n’avait jamais rien su de son passé et ne cherchait pas à leconnaître.Ellenem’avaitpasrepoussé,commejeleredoutais,maisellenem’avaitpasnonplusaccueilliàbras
ouverts.Elleavaitjustepâlilorsquejeluiavaisposélafameusequestion:ques’était-ilréellementpassécejour-là?Elleavaitcomprisalorsquejemesouvenaisdecertainsdétailsdecettejournée.Maiselleétaitrestéemuettecommeunecarpe.Deuxheuresplustard,j’étaisrepartibredouilleetdéprimé.Etj’avaisretrouvélavillavide,etembauméedevanille.Vanille…seulementl’arôme.Lafleurétaitparties’épanouirailleurs.—Jen’aipastellementenvied’enparler,d’autantquejen’aipaseumesréponses,dis-jefinalement.—Commentpeux-tuencoreavoirdessentimentspourcettefille!?
Est-ceque j’avais toujoursdessentimentspourKristen?Ceque je ressentais ressemblaitplusàdel’affection,finalement.Nousavionsvécuunanensemble.—Ilnes’agissaitpasdecegenredequestions,préférai-jerépondre.Je tournai la tête vers la vitre donnant sur le couloir de l’hôpital. À travers les stores ouverts, je
pouvaisapercevoirOceana,assise,lesjambesrepliées,lementonposésursesgenoux.Est-cequejepouvaislalaissercommeça?JeréalisaisàquelpointOceanaavaitbalayéKristendemoncœur.Àquelpointellem’étaitchère.Et
surtoutàquelpointj’avaisagicommeuncon!—T’attendsquoipourluidire?demandacalmementCarl,quilaregardait,luiaussi.—Luidirequoi?—Quetutefousdesavoirqu’elleaungamin.Est-cequejem’enfoutaisréellement?Non.Pourtant,jen’avaiscesséderetournerlasituationdansmatête.Mesparentsnel’accepteraientjamais.
Maismonchoixétantfait,qu’ilsaillentaudiable.Maisqu’est-cequej’allaisfairedemavie?Lesseuleschosesquejesavaisfairem’étaientdésormaisinterdites.Plusdesportsnautiques,cequi
incluait interdiction d’entraîner ou d’initier des gens à ces activités. J’avais toujoursmon doctorat enmarketing, qui me permettrait d’exercer en tant que professeur dans une université, ou bien commeconsultantouchercheurdansuneentreprisedecommunication.Maiscen’étaitpascequej’aimais,etjecommençaisàconnaîtreassezOceanapour savoirqu’ellene souhaiteraitpasmevoirdépérirdansunbureau.—Lesemmerdesarrivent,annonçai-jeàCarlenvoyantmamères’approcherd’Oceana.Celle-ciselevaetouvritlabouche,maismamèrelafaittaired’ungestedelamain.Leregardchargé
deméchanceté,elleprononçaquelquesmots.JemeredressaidanslelitenvoyantOceanabaisserlatête.Sasoumissionetsatristesseétaienttellesquej’enoubliailabrûluredansmajambe.Puiselletournalatête vers moi et, à l’instant où ses yeux rencontrèrent les miens, son visage devint sévère, presqueaccusateur.Merde.Qu’est-cequemamèreluiavaitdit?—Interviens,jelesensmal,ordonnai-jeàCarl.Craintif, je reportai mon regard sur Oceana. Ses lèvres articulèrent silencieusement un mot. Ne
comprenantpas,jefronçailessourcilsafinqu’ellerecommence.«Au-re-voir.»—Quoi,«aurevoir»?murmurai-je.«NewYork.».Aurevoir.NewYork.Jeblêmis.Ellepartait.EllerentraitàNewYork.—NON ! hurlai-je si fort que je la vis tressaillir sans pour autant cesser deme considérer avec
amertume.Carl!Jefisvolerledrap.Monami,quivenaitd’échangerquelquesmotspeuamènes,manifestement,avec
mamère,rentraprécipitammentdanslachambre.Ellelesuivit.Oceanarestaimmobileetimpassibledel’autrecôtédelavitre.
—T’attendsquoi?Aide-moi!JeposaimespiedsnussurlesoletsentislesbrasdeCarlmeretenir.—Qu’est-cequetuluiasdit?vociférai-je.—RickThomas…commençamamère.—Iln’yapasdeRickThomas!Qu’est-cequetuasditàOceana!—C’estallébeaucouptroploinentrevous.Tonfrèrem’arapportécertainsfaitsquinem’ontpasplu
dutout!Jeluidédiaiunregardnoir.—Mavieprivéeneteregardepas.Cessedefourrertonnezdansmesaffaires!Jerépète:qu’est-ce
quetuluiasdit?—Ellen’apastenusesengagements.Elleestrenvoyée.—Nel’écoutepas,Oceana!criai-je.Tuesmonemployée,maintenant.Onenadéjàparlé.Je…Tu
n’espasobligéedepartir.Carlrelâchadoucementsaprise,sentantmesmusclesserelâcher.—Etavecquelargentcomptes-tu lapayer,Rick?fitmamère,sarcastique.Dois-je te rappelerque
l’argentdelaventedetoncommercenet’appartientpasréellement?Nous y étions ! Je savais que ce jour arriverait. Ils m’avaient prêté l’argent, et elle comptait être
rembourséemaintenant.J’avaishontedemafamille.—Combien?murmuraCarl.Jeme retournai vers lui. Il étudiaitOceana avec un sérieux quime surprit. Il n’y avait pas que sa
question,soudain,quejen’étaispascertaindecomprendre.—J’aiditcombien,Rick?Jecompris.Je compris qu’il ne la défendait pas simplement pour mon bien. Qu’il ne l’avait pas seulement
embrasséepourmerendrejaloux.Ilyavaitautrechose.Quelquechosequejen’avaisjamaisperçuchezlui.Oceana,levisagecrispéetfatigué,restaitlààneriendire,attendantquel’und’entrenousdécidede
sonsort.Etc’étaitmadécision.Est-cequej’étaisprêtàlavoirtomberdanslesbrasdeCarl?Ouest-cequeje
devaisunenouvellefoisfairepreuvedelâchetéetlalaisserpartirsansunsou?Elleavaittantbesoindecetargent.Etjenevoulaisplusparaîtrelâcheàsesyeux.Jepréféraisdeloin
lasavoiravecCarlquedesavoirqu’elleavaitunebonneraisondemedétester.—Troiscentmilledollars,murmurai-je.Je lavisfermerlespaupières.Ellenem’avaitpasentendu,maiselleavait lusadélivrancesurmes
lèvres.—OK.C’estmoiquitepaieraisesservices,alors,grognaCarlàcôtédemoi.Aumomentoùj’allaisluidirequejelerembourseraisjusqu’auderniercentimedèsquejelepourrais,
mamèretonna:—MonsieurAllen,jenevoispasenquoitoutcecivousregarde.
—Jecroissurtoutquecen’estplusvotreproblème,madameThomas,rétorqua-t-il.Pourlapremièrefoisdemavie,jevismamèreblêmir.Ungarsdesquartierspourrisallaitoffrirtrois
centmilledollarsàuneinfirmière.Moninfirmière.Mafleurdevanille.—Hum.Toutesnostêtessetournèrentversl’hommeenblouseblanchequivenaitdepénétrerdanslachambre.—Excusez-moi,reprit-ilensouriant.JesuisledocteurMark.Désolépourl’attente.Laradion’arien
révélédepréoccupant,toutestparfaitementenplace.Vousaurezsûrementunhématomedanslesjoursàvenir,maisriendebienméchant.Jevaisvousprescriredesanti-inflammatoires,etvouspourrezrentrerchezvous.Faitesplusattentionlaprochainefois;cettenuit,vousavezeubeaucoupdechance.D’autrepart, j’ai discuté avec votre infirmière à votre arrivée et jeme suis permis de jeter unœil sur votredossier, et, au vu des radios et des scanners précédents, je vous accorde l’appui progressif sur votrejambe gauche. J’ai dit progressif, monsieur Thomas. Continuez vos exercices en piscine et, dans unesemaine,vouspourreztenterdevousdéplaceravecdesbéquilles.Maisattention,seulementlagauche.Appuiinterditsurladroite.Vousavezcompris?Jehochailatête.Jemefoutaisdemajambe.J’allaispouvoirrentrerchezmoi.AvecOceana!Jene
voulaisqu’uneseulechose,meretrouverseulavecelle–etsurtoutluiprésentermesexcuses.MamèretournalestalonsetmarquaunepausedevantOceana.Celle-ciluidédiaunsourirenarquoiset
nousrejoignit.SansunregardnipourCarlnipourmoi,elleseruasurlefauteuilroulantetleplaçaàcôtédemoi.Jenepouvaispasattendrelamaison.Jedevaisluidiremaintenant.—Je…commençai-je.—Jeneveuxpast’entendreprononcerunseulmot,mecoupa-t-elle.Jeneveuxpast’entendregémir,
nimêmesouffler.J’aimalàlatête.Jesuisexténuée.J’aimalauxpieds.Jerêvedemonlitetd’êtreloind’ici!Ilestpresque7heuresdumatin.Alors…tais-toi!Ets’ilteplaît,Carl,pasdesarcasmes.Pasdecombatsdetestostérone.Onrentre.Onsecouche.Etnousreparleronsdetoutçademain.Est-cequec’estclair?C’étaitclair.Demain.Demain,jeluiparlerais.
Chapitre20
Laforce
L’eauchaudedeladouchecoulaitsurmapeaudepuisunebonnedemi-heure.J’étaislà,debout,inerte,lesyeuxfermésetlatêterejetéeenarrière.Commesil’eauallaitemportermalassitudeetmeredonnerl’énergienécessairepouraffronterRicketCarl.Le premier dormait toujours – enfin, il dormait lorsque j’avais rejoint sa salle de bains à pas de
velours–alorsqueledeuxième,réveillé,m’avaitsubtilisélamienne.J’avaiseubeaucoupdemalàmelever.J’avaismêmedûmefaireviolencepoursortirdulit.Entrela
vaguemigrainequis’attardaitdansmoncrâne,lafatiguecuisantequin’épargnaitaucundemesmusclesetl’agitationdémesuréedemesneuronesenpleineréflexion,jenesavaisplusoùdonnerdelatête.Souslamaréed’eauchaude,j’espéraispuiserassezdeforcespourlesaffrontertouslesdeux,trouver
desmotspourleurparler,sansm’énerveroumemettreàpleurer.Parceque j’enétais là.Auboutdurouleau,aufonddusiphonde ladouchedeRick,noyéedansun
océande sablemouvant.Bref, j’étais épuisée et la seule et unique chosequime tenait encore envie,c’étaitcettesommedetroiscentmilledollars.—Oceana?EntendreRickm’appelernemefitmêmepasouvrirlesyeux.Jevoulaissimplementprendreunedouche,déprimerunpeu,voirebeaucoup,m’habiller,direàCarl
que je le remerciais,àRickque je ledétestaiset regarder tous lesépisodesdeStarWars jusqu’àmepersuader quemaîtreYoda était le nouveauMessie, dont la bonne parole serait « La force en toi, tusentiras.»—Oceana,est-cequeçava?Ilétaitlà.Toutprès.Est-cequeçaallait?Non.Jeluienvoulaisd’avoirtoutfaitfoirer.Jemedétestaisdelehaïrautantque
del’aimer.Etd’êtreobligéedemesentirredevableenversCarltoutemavie.—Oceana,disquelquechose!Lesmotsnesortaientpas.Pourtant,unsimple«J’aifini.»auraitsuffiàlefairetaire.Maismeslèvres
restaientclosessurmessouvenirsdanscettedouche.Notrepremierbaiser.Lapremièrefoisoùjel’avaissurprisdebout.Monaudacesursonsexe.Jenevoulaispasmedisputeraveclui.Pasici.Pasdanslabuéedeladoucheaucarrelagegris.Sentirsesdoigtsseposersurmonavant-brasmefitréagir.Jecessaiderespireetouvrislesyeux.Debout,nu,devantmoi,levisagecrispéparl’inquiétude,ilmescrutaitintensémentdesesyeuxbleus
mouchetésdenoisette.—Oceana,jesuisdésolé,d’accord?D’accord?Non,jen’étaispasd’accord!
—Tun’aspasledroitd’êtreenappuisurtesjambes,murmurai-jed’unevoixmonocorde.—Jemefouspasmaldecequej’ailedroitdefaireounon.Macolèrerefîtsurfaceàsesmots,etjesentismesyeuxmebrûler.—C’estçaleproblème,Rick.C’estquetutefousdetoutconstamment.Tunesaispasécouter.Tune
saispasobéir.Tunesaispastecontrôler.Tuneréfléchispas.Tuagiscommeungosse.Tun’évaluespaslaportéedetesactes,nidetesparoles…—Arrête,Oceana.Jecroisailesbrasautourdemapoitrineetenfonçaimesonglesdanslapeaudemesbiceps.—Tuesparti,hoquetai-je.Deuxfois!—Je…jevoulaissimplementréglercertaineschoses.J’auraisvoulumeperdredanssesyeuxbleus.Glisserunemaindanssescheveuxpourlesdiscipliner
sousletorrentliquide.Jen’enfisrien.—Comme quoi ? Tu voulaismontrer àKristen que bientôt tu serais à nouveau frais et dispos ? !
Qu’elleallaitavoirlachancedeterécupérercommesiriennes’étaitpassé?—Non.Biensûrquenon.Ilnes’agissaitpasdeça!Ilserapprocha.Jesentissontorses’animercontremesbras,chaud,douxetpuissant.Saproximitéme
désarma.Jedusrepousserdetoutesmesforcesl’enviedemeperdrecontrelui.—Etcommentvoulais-tuquejelesache?Tunemeparlespas.Tunemedisrien.Sitôtquequelque
chosetecontrarie,tufaisl’autrucheettufuis!Lesmotsétaientsortis,chargésdereproches,mefaisanttremblersousl’eauchaude.Sesyeuxlancèrent
deséclairs.Maisjemefoutaisdesavoirquesavirilitépouvaitenprendreuncoup!—Jemesuismisàdostoutemafamillepourtoi!Était-ceunreproche?Devais-jecomprendrequejedevaisluipardonnersafuite,parcequ’ilpensait
queserebellercontresafamilleétaitlameilleurepreuved’amourqu’ilpuissem’accorder!?—Non.Neme rendspas responsable. Jenesais riende tes rapportsaveceux.Nousnoussommes
embrassés,nousavons fait l’amouret,pourtant, j’enaiplusappris surCarlenundînerquesur toientroissemaines!—Qu’est-cequetuveuxsavoir?interrogea-t-ilens’écartantdemoi.—Çanemarchepascommeça!—Alorsquoi?TupréfèresCarl,c’estça?Ilnecomprenaitpas.Ilnevoyaitpasplusloinquelui-même.Ilneremarquaitpasl’étatdanslequelil
memettait.Ilneserendaitpascomptequej’étaisnuedanscettedoucheaveclui.Etpasavecsonami.—JemefousdeCarletjen’attendsplusriendetoi!Tum’asrepoussée,Rick.Magorgeseserra.Jemerappelaisongestesurlesoldelacuisine,ledégoûtquej’avaispuliredans
sesyeux.—Jet’aiditquej’étaisdésolé.Jesuisdevenudinguequandj’aisuquevousvousétiezembrassés…—Tun’asencoreriencompris,lecoupai-jedésespérée.Tum’asrepousséedèsquetuasapprisque
j’avaisunenfant.Tum’asregardédifféremmentalorsquejen’aijamaiscesséd’êtrelamême.—Etcommentvoulais-tuquejeréagisse!Quejesautedejoie?Quejetedisequeçanechangerait
rien?Quecetenfantseraitcommelemien?Qu’ilpourraitcomptersurmoi,commes’ilavaitdésormaisdeuxpapas!— Ethan n’a pas de papa, Rick. Il est parti bien avant sa naissance… Je n’attends plus rien des
hommes.Engénéral.Laboucheouverte,ilessayaitd’assimilercequejevenaisdeluidire.—Nousnesommespastouspareils.Je…jeneseraispasparti,finit-ilpardire.Ilétaitlàdevantmoi,aussinuquemoi,aussitrempéquemoi,lespoingsserrés,lamâchoirecrispée,à
attendrequejedisequelquechosequipourraitlerassurer.Maisjenepouvaispas…—Peut-être.Oupeut-êtrepas,dis-je.J’étaisfatiguéedediscuter.Fatiguéederessassercettehistoire.—Je…Nemelaissepas.Sa voix s’érailla sur le dernier mot. Traversée par mille émotions contradictoires, j’essayai de
remettredel’ordredansmatêteetdedominermescraintes.—Jet’ensupplie,Oceana,nemelaissepas.J’étaiscertaineque,s’ill’avaitpu,ilseseraitmisàgenoux.—Jenetelaissepas.Jeresteici.—Maispaspourmoi.—Non.Paspourtoi,mentis-je.Seulementpour…—L’argentqueCarlvatedonner,mecoupa-t-ilavechargne.— Pour l’argent qui va sauver Ethan. C’est ce que je vois. Seulement ça. Un rêve qui va devenir
réalité.—Je…Çam’estd’autantplusdifficiledelaisserCarltedonnercetargentmaintenantquejesaisque
c’estpourtonfils.Ildétournalatête.Moi,jemefoutaisdesavoird’oùprovenaitl’argentquiallaitsauvermonfils.—C’esttoiquilepermets.Tuauraispurefuseretmelaisserpartir,maistun’enasrienfait.Tun’as
rienàluienvier.Jeprissonvisagedansmesmainspourl’obligeràmeregarder.—Ahbon?Lui,ilvarendretonrêveréalisable…Jemehissaisurlapointedespiedsetcollaimonfrontausien.Ilrâlaenfermantlesyeux.Moiaussi.
Commesiçafaisaitdesjoursquejen’avaispasrespiré.Desmoisquejen’avaispasmangé.—Tais-toi,Rick.J’attrapaisamainpourlacollersurmapoitrine,làoùmoncœurpercutaitmacagethoracique.Pour
lui,etseulementpourlui.—Tusensça?demandai-je.(Ilhochalatête.)Ça,c’estl’effetquetumefaisenpermanence.Sonautremainseglissasousmescheveuxtrempés.Plaquamatêtecontrelasienne.Sabouchesaisitla
mienneavecpassion,puissuçamalèvreinférieureavecavidité.Ladéflagrationdudésirétaittellequemoncœurcessadebattreuninstant.Lesentait-ilaucreuxdesamain?Moijesentaislesiensurledosdelamienne,appuyéecontreson
torse.Soncœurbattaitaveclemêmeacharnementetlamêmeintensité.
Salanguebrûlanteetempresséemepénétra.Jegémisdanssabouche,soussonsoufflesaccadé.J’étaissaouledesonodeuretdesongoût.Jetremblaisaupassagedesabouchesurmamâchoire.Jevivaissoussalanguequimeléchait.Jeneluiavaispasdit,maisjel’aimais.Est-cequej’étaiscapabledeluilaisserunechance?Delui
faireconfiance?Cariln’étaitpasquestionquedemoi!Samainglissalelongdemondos.Sesyeuxs’ouvrirentsurmoi,avecappréhension.—Etpourtant,tuneveuxpasdemoi,déplora-t-il.—Tuesparti.Turecommenceras.—Alors,ilmerestehuitsemainespourteprouverquetuastort,soupira-t-il.Il n’abandonnait pas, il se donnait, et me donnait, du temps. Comme s’il avait compris que mon
entêtementetmarancunenedureraientpas.Sijerestaisuneminutedeplusaveclui,contrelui,j’allailuicéder.S’ilm’embrassaitencoreunefois
aveccettefougue,jepériraisdanssesbras.Jelecontournaietm’empressaiderécupéreruneserviette,m’assurantaupassagequelesfreinsdeson
fauteuilétaientmis.Etjelelaissai,nu,prostrésousl’eauquidéferlaitsursondosimposantetruisselaitàlanaissancedesesfessestenduesavantdecrépitersurlecarrelage.Cefut,deloin,lachoselaplusdifficilequej’eusàfairedetoutemavie.
—C’estquandqueturentres,maman?Jedevaisfairefaceaussiàlaplaintedemonfils,quim’attendaitetselanguissaitdemoi.—Encorebeaucoupdedodos,mon trésor,dis-je finalement, lesyeuxperdusdans lecielorangédu
soleildéclinant.—Jedorsavecmamie,maisellefaitdesbruitsbizarreslanuit.Penseràmamèrequironflaitmefitsourire.Ilnem’envoulaitpasdenepasêtrelà,etjenepouvais
pasluireprocherdechercherduréconfort,lanuit,danslesbrasdemamère.—Jesuiscertainequesitusiffles,elles’arrêtera,luiconseillai-je.J’entendaislesvoixdeRicketdeCarldanslesalon.Laconversationn’avaitriendecordial.—Jevaisessayercesoir,mepromitEthan.— Je te laisse mon trésor, mon patient a besoin de moi, mentis-je, affolée par les jurons que
j’entendais.—Jet’aime,maman.—Moiaussi,montrésor,plusfortquetout.Monpetitgarçon,sesbouclesblondes,sonparfumsucré…—Maman?—Oui,trésor…—Tudevraisluifairedesgâteauxauchocolat,jesuissûrqueçaleguérirait,tonpatient,etpeut-être
quetupourraisrevenirplusvite.Danslesalon,lesdeuxgarçonsseturentenm’apercevant.Carl,assissurlecanapé,croisasesjambes
etmitsesmainsdanssespoches.Rickétaitblancderage.
Jelesignorai.— Je vais essayer, trésor, promis-je àEthan.Va te couchermaintenant, demain tu vas au zoo avec
mamie,etiltefaudrabeaucoupdeforcepouraffronterleslions.L’entendrerireet rugiravantderaccrochermecombladebonheur.Sonrireavaitchassé toutesmes
peines.JedévisageaitouràtourRicketCarl.—Iln’yaplusdebière,c’estça?memoquai-jeouvertement.—Dis-lui,ordonnaRickàCarl.Il avait renoncé à me payer les trois cent mille dollars. C’était forcément ça. Ne pas céder à la
panique.Nepascéderàlapanique!—Medirequoi?—Jeposeuneconditionauxtroiscentmilledollars,ditCarl.Jeveuxquetumeréservesunesoirée
parsemaine.Tousmesmusclesserelâchèrent.Cen’étaitqueça!—OK,répondis-jeenhaussantlesépaulesavecdésinvolture.Lasurvied’Ethan.C’étaitlaseuleetuniquechosequej’avaisentête.Carlsourit.Jejetaiuncoupd’œilversRick.Lespaupièrescloses,lamâchoirecrispée,ilsecontenait.
Jepriaipourqu’iln’explosepas,alorsqu’unequestionmebrûlait les lèvres :pourquoiCarl faisait-iltoutça?QuelquechosemedisaitqueRicklaluiavaitdéjàposéeetquelaréponseétaitlacausedetoutecetteagitation.—Jepasseteprendredemainà21heures,repritCarlenselevant.—Non.J’avaisdevancéRickd’uneseconde.Surpris,Carlfronçalessourcils.—Ilme sembleque je suisdéjà sortie avec toi cette semaine, repris-jeplus calmement.Et jevais
sûrementmettredeux joursàmeremettredenotreescapade.Choisisunautre jour.Pasdemain.S’il teplait,Carl.Ilsoupiraetlevalesyeuxauciel.—Çamarche.Lundi.(IlsetournaversRick.)Jet’appellesijepassedimanchesoiravecunpackde
bière.Rickluioffritunhochementdetêteenguisederéponse.Laported’entréeclaqua.Jerecommençaià
respirer.—Jenevoispascettehistoired’unbonœil.—Jesais.—Jeneluifaispasconfiance.Jenecomprendspaspourquoiilfaitça.—Moinonplus.Rickfit roulersonfauteuil jusqu’auFrigoetensortitunebriquede jusd’orangeetunebouteillede
bière,lesplaçantavechabiletéentresesjambes.Puisilfittournersonfauteuiletavançajusqu’auplandetravailsurlequelillesdéposa.Ilmitlesfreinsetsehissasursesjambespourprendreunverredansleplacardsurmontantl’évier.Deuxvéritésmesautèrentauxyeux.
Lapremière,c’étaitquej’avaisdumalàconcevoirqu’ilaitpuoublierdemettrelesfreinslaveille.Carmêmemaintenant,alorsqu’ilétaitencolère,sesgestesétaientmachinauxetappliqués.Laseconde,c’étaitqu’iln’avaitpresqueplusbesoindemoi.Est-cequ’ilmedemandaitderesterpour
monfils,ouparcequ’ils’accrochaitàl’idéequepeut-êtreilyauraitunaprès?—JelelaissefaireseulementpourEthan,lâcha-t-ilentresesdents.Iln’avaitpasdittonfils.Outonenfant.IlavaitditEthan.Ilnes’étaitpasemporté.PourEthan.Jepouvais laisser lapremièrevéritédecôté.L’oublier, le tempsd’unesoirée.J’avaisunesoudaine
enviedetendresse.Jevoulaismeblottircontreluietoublierqu’ilétaitpartideuxfois.Jecontournaisonfauteuiletvinsmeplacerderrièrelui.Surpris,iltressaillitàmoncontact.Jeglissai
mesbrassoussonT-shirtetenlaçai son torsechaudpourposerma têtecontresondos.Sa respirationdevintbruyante.J’entendaisaussilesbattementspuissantsdesoncœur.Jefermailesyeuxetresserraimonétreinte.—Merci,soufflai-je.
Chapitre21
Gâteauauchocolat
—Waouh!Jeme retins de sourire face à l’émerveillement deRick. J’avais juste défaitmon chignon et laissé
libresmesbouclesblondes,enfiléunerobeblanchedécolletéedevantetderrière,accentuélemaquillagesurmesyeuxetenfilédesescarpins.Assisderrièresonordinateurdansunedeschambresd’ami,ilsereculapourmieuxmecontempler.Aussitôt,mesjouess’empourprèrent.Jesentaissesyeuxsuivrechacunedemescourbesaurythmede
marespiration,dessinermapoitrinesousletissu,frôlermeshanchesets’échappersurmescuissesnues.—Nousnesommespaslundi,dit-ilfinalement,caustique.—Eneffet,noussommesdimanche.(Suspicieux,ilplissalesyeux.)Toiaussi,tudoistechanger.Nous
sortons.—Nousavonsdéjàmangé,Oceana.Tunecomptespasmetraînerenboîte?Jemeretinsderireenl’imaginantsedéhanchersursonfauteuil.—Net’inquiètepas.Tumedoisjusteungâteauauchocolatauxchandelles.—Pourquoitufaisça?Faire quoi ?Vouloir passer unmoment avec lui ? Ilm’avait évitée tout leweek-end.Ou peut-être,
simplement,m’avait-illaisséerespirer.Maislefaitétaitlà.Lelendemainsoir,jedevaissortiravecCarl,jesavaisdoncquelajournéeallaitêtredéplorableetquel’humeurdeRickneseraitpasaubeaufixe.Alorsjevoulaispasserunesoiréeaveclui.Pasdevantlatélévisionseulesurlecanapé,nidansmonlitàfixerleplafond.Justepartagerunmomentaveclui.Parler.Discuter.Rêvasser.Aveclui.—Jeveuxpenseràautrechose,répondis-jefinalement.Ilplissalesyeuxetlâcha:—Menteuse.Démasquée,jegrimaçai.—Jeveuxsimplementêtreavectoicesoir.Ilessayadedissimulerunsourireensegrattantlementon.—Ilestoù,leplat?s’enquit-ilenlevantlessourcilsavecavidité.—Leplat?—Jet’avaisditquejevoulaislécherleplatquandtuferaiscefameuxgâteau!—JesupposequesituarrivesàmettreautrechosequeceshorthawaïenetceT-shirtpendantqueje
cherchedesbougies,tupourraslerécupérersurleplandetravaildelacuisine,essayai-je.Ilsortitentrombedederrièresonbureau.J’avaisgagné!
Toutenallumant lesbougiesdansdepetitsverressur la tableen teckde la terrasse, jepensaisauxdeux jours qui venaient de s’écouler. J’avais l’impressiond’être en colocation avecRick. Il se levaitavantmoilematin,seul,sansaucuneaide.Partaitprendresadoucheetmeretrouvaisdanslacuisinepourdéjeuner.Ilnemeproposaitplusdelerejoindredanslapiscine,faisaitsesexercicesderééducationdelui-même, puis partait s’enfermer dans son bureau improvisé. Il n’était pas bougon, ni renfrogné, pasmêmeailleurs:ilmelaissaitjustedel’espace.Saufque,sanslui,j’étouffais.Sanslui,l’airdevenaitirrespirable!J’avaisl’impressiond’errersans
butdanscetteimmensevilla,n’attendantqu’unechose:qu’ilmerejoigneaumomentdesrepas,pourmenourrirdesaprésence.Ces repas se passaient certes dans le silence,mais ils n’étaient pas hostiles. Et, àmidi, ilm’avait
attrapéeaupassagealorsquejem’apprêtaisàdébarrasserlatable;ilm’avaitforcéeàm’asseoirsurlui(non,enréalité,jem’étaislaisséefaire,tellementenmanquedelui!),etm’avaitenferméedanssesbras,pourhumermoncou.«Lavanillememanque»,avait-ildit.Jem’étais liquéfiée. Jen’avaisplus étéune fleurouunegousse,maisunehuile essentielle. J’avais
glissésoussesmots.—Cropcropbon,ditRick,lacuillèreenboisdanslabouche,enpénétrantsurlaterrasse.Jeluisouristouteninspectantsatenue.Unjeanetunechemisenoire.—Jevaischercherlegâteau,l’informai-je,satisfaite.Jeprisdeuxassiettes,deuxcuillèresetnotredessertbiendissimulédansunplacard,avantd’éteindre
lalumièredelacuisineetdelerejoindre.Ilavaitlaisséleplatetlacuillèreenboissurlatable,àcôtédesbougies.Jetournailatêteentoussens
àsarecherche.Personne.—Jesuislà,entendis-jeauloindanslejardin.Jeplissailesyeuxetl’aperçusfinalementsurlachaiselonguedel’autrecôtédelapiscine.Jeservis
unepartdegâteaudanschacunedesassiettesetlerejoignis.—Çan’estplusungâteauauchocolatauxchandelles,soupirai-je.—Désolé.Maisc’estlaseulepartiedujardinoùnouspouvonsobserverça,medit-ilenmemontrant
lecieldudoigt.Ici,lecielétaitdégagé,piquetéd’étoiles.—Çafaisaitlongtemps,avoua-t-il,leregardperdudanslesconstellations.Jeledevinaistourmentéparsonpassé.Jevoulaistellementqu’ilmeparle.Ensavoirplussurlui.Je
connaissaisseshabitudes,sesbizarreries,sesmaladressesmaisriendesonvécu,desafamille.Etilenétaitdemêmepourmoi.—ÀNewYork,tunepourraispasfaireça.Lavilleesttellementéclairéequelecielressembleàune
gigantesquetachenoire,dis-jebêtement.—Viensici,ordonna-t-ild’unevoixrauqueentapotantleboisdelachaiselongueentresesjambes.J’avaistoujourslechoixdem’asseoirdansl’autretransat.Maisest-cequec’étaitcequejevoulais?—Dequoias-tupeur,Oceana?—Ethanm’aditquesijetefaisaismangerassezdegâteauauchocolat,tuguériraisplusrapidement,
révélai-jecommes’ils’agissaitd’unesimplebanalité.
—S’ildisaitvrai,tupourraisrentrerplustôt.J’eus un pincement au cœur en pensant à mon départ. Être à des centaines de kilomètres de lui…
Allais-jesurvivre?—Tun’asdéjàplusvraimentbesoindemoi.Magorgeseserra.—Peut-être,maistoituasbesoindecetargent.Jebaissailesyeux.C’étaitdoncça.Ilmepermettaitderesteraveclui.Oui,jevoulaiscetargent.Non,
jen’avaispasbesoinquedeça.—Continueàmeparlerdetoi,mepressaRick,quiavaitdûpercevoirmonmalaise.Jeposaiunedesdeuxassiettessursonfauteuiletenjambaiunedesescuissespourmeplaceràgenoux
entresesjambes.Ilpritappuisursesbraspourserapprocherdemoi.Monpoulsmerappelaàl’ordreenaccélérant.—C’estsondessertpréféré.Legâteauauchocolat.Ouvrelabouche!(Dansunsourire,ils’exécuta
alors que je plongeais une cuillère dans l’assiette.) Ethan aime tout ce qui est sucré, comme tous lesenfants, je suppose… (Lentement, je fis glisser la cuillère dans sa bouche. Ses lèvres se refermèrentdessus.)J’aimêmeétéobligédemettreuncadenasauplacardàfriandises.—Encore,souffla-t-ilaprèsavoiravalé.Jem’exécutaitoutenreprenantmonrécit.—Jeneparlejamaisd’Ethan.Jecroismêmequec’estlapremièrefoisquejelefais.Jen’aipashonte
delui.Jeneregretteriendemavie.C’estjustequejenelaissepersonnem’approcherd’assezprèspouravoir l’occasiond’enparler.(Nouvellebouchée.)Maméfianceenversleshommesn’estpasseulementdueaupèred’Ethan.Déjàaveclui,jenemelivraispas.Etjesupposequec’estaussipourcetteraisonquenousétionsensemble.Jeneposaispasdequestions.Jenemerebellaispas.Nousavionschacunnosactivitésetnedérangionsjamaisl’autresansexcusevalable.Cetterelationluiconvenait.Àmoiaussi.Dumoins…—Jusqu’àEthan.Jehochailatête.—Ben – le géniteur d’Ethan, parce que dire « père » seraitmanquer de respect àmon fils –, est
maintenant chirurgienplastique. Il apréféré sa carrière à savieprivée. Jene lui enveuxpas.Ou,dumoins,jeneluienveuxplus.—Menteuse,dit-il,labouchepleine.Jeluisouris.— Tu as raison. Je le hais parce qu’aujourd’hui il gagne tellement d’argent qu’il pourrait payer
l’opérationd’Ethanenquelquesmois.Je lehaisparcequ’ilsaitcequ’aEthanetqu’il feintdeneriensavoir.Etjemedétestetoutautantd’avoirpupenseruneseulesecondeavoireudessentimentspourcethomme.Ilavalarapidementunautremorceaudegâteau.—Siunjourjelecroise,jeteprometsdeledéfigureraupointqu’ildevrapayerundesesconfrères
pourluireconstituerlevisage.Jeretinsungloussement.—DequoisouffreEthan?
Ilbuvaitmesparolesaussivitequ’ilmangeaitsondessert.—Souffrir?Ilsouffred’avoirbientôtcinqansetdenepaspouvoircourircommelesautresenfantsde
sonâge.Ilsouffredenepaspouvoirnagersanss’essouffler.Souffrirn’estpaslebonmot.Ethanaunemalformationcardiaque.Unevalvulopathiecongénitale.Engros,unedesvalvesdesoncœurnes’ouvrepascomplètementetlimitelaquantitédesangpompéverslerestedesoncorps.Ilpourraitvivredecettefaçon-là,avecuntraitementetunehygiènedevieirréprochable,pendantdesannées.Maisquelquefois,ils’autoriseàallerplusloinqu’ilnedevrait,etlà,lesmédicamentsnesuffisentplus.Ilfautl’hospitaliser.Mais ça n’est jamais assez grave pour qu’il soit opéré et pris en charge par l’hôpital. Le soir où tum’as… (Embarrassée par le souvenir de sa bouche entre mes jambes, je détournai la tête.) Bref, ladernièrefois,jen’étaispaslà,j’étaisici,avectoi.Ilavaitbesoindemoi,etjen’étaispaslà.Et pas seulement. Il y avait tant à dire sur sa pathologie, qu’elle était le fruit d’une défaillance
génétique,quejepouvaisêtrel’uniquecoupabledesamaladieetquelemotresponsabilitéavaitungoûtamerdansmabouche.Ilnes’agissaitpasseulementd’éleverEthanetdefaireattentionàlui,maisaussidevivredans laculpabilité. Jeprisunegrande inspirationpour repousser lavagued’angoissequimesubmergeait,sousleregardintimidantdeRick.—Jesuisdésolé,murmura-t-il.Savoixsevoulaitdouceetrassurante.—Nelesoispas.J’airegrettédenepasavoirétéaveclui,maispasd’avoirétédanstesbrascesoir-
là.Ethanavaitmamèrepourl’accompagneretçan’aduréqu’uneseulenuit.(Jesoupirai.)Monpèreestpartidelamêmefaçonqueceluid’Ethan.Jenesaispascequ’ilestdevenuetjenepourraismêmepaslereconnaîtredanslaruesijedevaislecroiser.Mamèreaeuquelquesaventuresmaisn’ajamaislaisséunseulhommeentrerréellementdanssavie.Parfois,jeculpabiliseenmedisantquec’estparcequej’étaislà,etd’autresfoisjemedisquec’estparcequeleshommessonttous…Jemetussubitement.—Nousnesommespastouspareils,Oceana.Jevoulaistellementlecroire.Nonseulementl’espérer,maislecroire.—Ettoi?Commentsefait-ilquetusoissidifférentdetafamille?Sesyeuxglissèrentsurmabouchepourse fixersur l’assietteque je tenais.Vide. Il fitunemouede
déceptionetjetauncoupd’œiltentéàmapart.—Après…Résigné,ilpritunairdemartyre.Jegloussai.—Monpèreestunputaindepsychorigide,maniaqueetsansscrupules.Ilfautquetucomprennesque
l’hôteldeMiami,c’estuneaffairedefamille:ilsetransmetdegénérationengénération.Monpères’estvite retrouvé propulsé à la tête de cet empire. Il n’avait que vingt-deux ans lorsque ses parents sontdécédés. Je crois que c’est aussi cette année-là qu’il a rencontrémamère. Je ne saurais te dire s’ilss’aimentencoreous’ilssesontaimésaudébut,carcen’estpaslegenredesujetsquenousabordonsaucoursdesrepasfamiliaux.Jenecroismêmepaslesavoirvusuneseulefoiss’embrasseroufairepreuved’affectionl’unenversl’autre.Monfrèreestarrivétrèsviteet,pourleplusgrandbonheurdemonpère,c’étaitungarçon!Dequoipérenniserlatradition.Georgeluisuccéderait.Moi,j’aiétéledérapage,celuiquiestarrivéparhasard.Heureusementpourmoi,j’étaisaussiungarçon!—Pourmoiaussi,soufflai-je.Ilmesouritetsemblasedétendre.—Pendantdixans,Georgeaétél’enfantunique,l’enfantroi;avoirunfrèren’apasétésonplusbeau
cadeau.Ilatoujoursétépersuadéquej’allaistoutluivoler,inquietquejesoismeilleurquelui,jaloux,anxieux quemon père puisseme préférer. Il n’a jamais été gentil ni affectueux. Il n’a jamais étémonconfident.Ilfaisaitmêmetoutpourquejesoisdétesté,mefaisantaccuseràtortdechosesquejen’avaispasfaites.Monpèren’étaitpasaveugleet,pourfairecessercetteguerrepuérile,ilaeul’idéed’ouvrirunnouvelhôtel,plusgrand,plusluxueux,maisquineconcurrenceraitpasceluideMiami.—NewYork.Ilhochalatête.—Exact.CrééspécialementpourGeorgeThomas,déclama-t-ilcommes’ilprésidaitunecérémonie.
Ils sont partis peu après l’obtention de son diplômede commerce.L’hôtel venait d’être terminé, il nerestaitplusqu’àfairel’ouverture.Jedevaisavoirtoutauplusquatorzeans,etleurdépartasignélejourdema libération.Pour legrandmalheurdemonpère. Il s’attendait à ceque je fasse toutpour être lemeilleur,poursurpassermonfrère.Çan’apasétélecas.J’aitoujourseudesfacilitésàl’école,doncjesupposequemesrésultatsmasquaientmesactivités,d’autantquemamèrepassaittoutsontempsàl’hôtel.Entrelescours,jefonçaisprendremaplanchedesurfetj’allaisflirteraveclesvagues.(Savoixenjouéemefitfrissonner,merappelantsespremierspasdanslapiscine.)C’étaitledébutdetousmesrêves,etc’estaussiàcettepériodequej’aiconnuCarl.Il…iln’étaitpascommeaujourd’hui.JemeretinsdefaireuneremarquesurlepèredeCarl.—Pourquoias-tuabandonnétesrêves?préférai-jedemander.Attristé,ilfronçalessourcils.Sujetsensible…—Jen’aipasenviedeparlerdeKristen.Horsdequestionqu’ilsedéfausse:jeprismonassiette,etengloutisunebouchéedemapart.Sesyeux
fixèrentlacuillère,dansmabouche,avecavidité.—Oceana,gronda-t-il.—Donc,tuasrenoncéàtesrêvespourelle?—Non,paspourelle.(Ilsoupira.)Jemesuisremisdansledroitchemin.—À t’entendre, faire du surf est illégal !Ça n’est pas comme si tu fumais un joint au bord d’une
plage!—Non,c’estbienmeilleurqu’unjoint!Ilsubtilisaunmorceaudegâteaudansmonassiette.—KristennevoulaitpasquejemènelamêmeviequeCarl,reprit-il.—Tun’espascommelui!—J’aieumapériode.Descoupsd’unsoir,précisa-t-il.D’ailleursc’estgrâceà l’und’eux,quiest
devenuplusparlasuite,quej’aiprislameilleuredécisiondemavie.Ouvrirunclubdesportaquatique.Puis j’ai rencontré Kristen. Je continuais à gérer l’hôtel avec mon père, j’enchaînais les heures, jem’épuisais, tout lemondey trouvait son compte.SaufKristen. Je rentrais tard le soir et partais tôt lematin.Ellem’ademandédefaireunchoix.Unchoixlogiqueetraisonné.Çaaétélapiredécisiondemavie.J’aivendumonclub.J’airangémaplancheetmismonjetaugarage.Jen’yavaisplustouchéjusqu’àmonaccident.Jesaisque,cejour-là,jemesuisdisputéavecmonpèreetquej’aieubesoindemesentirlibreunenouvellefois.J’airécupérémonjetet…Illaissasaphraseensuspens.—Quoi?—Tuaslumondossiermédical?(Jehochailatête.)Jenemerappelaispluspourquoielleétaitlà.
Kristen.Jecroisqu’ellem’arejoint.Jenesaispascequ’ellem’adit,nicequejeluiairépondu,maiselles’estmiseencolèreetadémarrétropvitesonjet.Jecroisquej’aivoulularattraper…l’accidentaeulieu.Jusqu’àmaintenant,jevoulaismesouvenir.Aujourd’hui,jen’ensuisplustrèssûr.Jerevoissonvisagedéforméparl’angoisse,samainsurleguidondujet.Etc’esttout.Commes’ilvivaitlascèneunedeuxièmefoissonvisagesecrispa.Jecomprisalors.Iln’étaitpasallé
lavoirpourluirevenir,maispouravoirdesréponses.—Je…Jesuisdésolée,balbutiai-je.—Dequoi?—J’aiembrasséCarlparcequej’espéraisquetuauraisaussimalquemoiquandj’aisuquetuétais
retournélavoir.Rickfermalesyeuxquelquessecondes.—Est-cequetuasaimécebaiser?demanda-t-ilenfin.—Pasautantquelestiens.—Maistuasaimé.—Rick, le sermonnai-je. Jene ferai jamaisdegâteauauchocolatpourCarl. Jeneprendraipasde
doucheaveclui.Jenedormiraipasdanssonlitetjenevoudraijamaisdesabouchecommejedésirelatienne.Voilà!C’étaitdit!Ilm’enlaçaetmecollacontrelui.L’oreillecontresontorse,j’écoutaisletintamarredesoncœur.Je
humaissonparfum,àmerendresaouledelui.—Comment tu fais? reprit-il.Pour relativiser,pourprendre leschosescommeellesviennent,pour
avoirautantdeforce.—Jefaisdeschoix,Rick.Onfaittousdeschoix.Ilsnesontpastoujoursbons,maiscesontlesmiens.
Etpuis…pourEthan,jen’aipasledroitdemanquerdeforce.—Iln’estpasici.Ilcaressamonépauleduboutdesesdoigtschauds.Soncontactfitnaîtresurmapeauunetraînéede
frissons.Non.Ethann’étaitpaslà.Ethanétaitloindemoi.Maplusbelleréussite.Lesouriredemavie.Lachairdemachair.N’étaitpaslà.Jen’étaispasaveclui.—Maistoi,oui,haletai-je.Son autremain remonta le long dema cuisse. Je sentis l’air frais de la nuit glisser surmes fesses
dénudées.Moncœurs’emballa.—Et?—Etsijeflanche,j’aipeurquetoutdérape.Encore.Commelasemainedernièreetlaprécédente.—Etsij’aienviequetuflanches?Rienqu’unesoirée.Jeveuxjustepouvoirmedireque,moiaussi,
jet’aiaidée.Jeneluttaisplus.Jelaissaiss’envolermespensées.Jem’apaisaisaurythmedesesrespirations.Sa main quitta la naissance de mes fesses pour soulever mon menton. Son regard intense me fit
trembler.Ilmedétaillalentement,sansriendire.Glissaunemèchedemescheveuxderrièremonoreille.Dessinalaformedemaboucheduboutdesonpouce.Mesourit.—Lavanillememanquait…
Chapitre22
Rouge…
Lundi.LejouroùjedevaissortiravecCarl.J’étaisnerveuse,Rickaussi.Lanuitavaitjusteétéparfaite–danssesbras,àlabelleétoile–mais,aumatin,j’avaisretrouvémon
colocatairedescavernes ! Il s’était enfermédans sonbureau.L’après-midi, en revancheavait étéplussurprenant,ilavaiteuunecourseàfaire,seul,etilm’avaitproposédemedéposeraucentrecommercialaucasoùjevoudraisacheterquelquesvêtementspourlesoir.Iln’avaitpastort:àpartdeuxrobesetunecombinaison,mamaigregarde-robeserésumaitàdesshorts,desT-shirts,destuniquesetdesleggings.Pastrèsglamour…Sontaxim’avaitdéposée,et,àlafindel’après-midi,jem’étaisdélestéedeplusde200dollarsetje
disposaisdecinqtenuessupplémentaires.QuandCarlavaitdébarquéavecuneboîtedepizzas,jem’étaiscruesauvée.Ilavaitabandonnécette
idéesaugrenuedesortiravecmoichaquesemaine.Nousallionsmangerunmorceautouslestroissurlaterrasse,etchacunretrouveraitsonlit(etsamaison),plustarddanslasoirée.Carl raconta ses sorties, ses parties de jambes en l’air qui avaient duré toute la nuit, ses réveils
difficilesauprèsde jeunesfillesqu’ilsurnommaitsesaphroditesetdont ilneconnaissaitmêmepas leprénom.TandisqueRickprenaitunmalinplaisiràlequestionneretàlecharrier,j’hésitaisencoreentreledégoûtetlajalousie.Jem’étaispeut-êtrefaiteàl’idéequ’ilnem’offraitpastroiscentmilledollarsparsimplegénérosité
ouparamitiépourRick!Finalement,aprèsavoirmangédeuxpartsdepizza,observélanuitgrignoter le jardinetécoutésans
entrainlesconversationsmachistesdesdeuxhommes,jebâillai,lementonposédansmesmains,coudesappuyéssurlatable.—Oceanas’endort,signalaRick,railleur.—Tunemelaferaspasdeuxfois,Oceana,protestaCarl.—Jepensaisquetuavaisabandonnél’idéedemesortir,répondis-jeenhaussantlesépaules.Ilsepenchalégèrementversmoietmurmura:—Oceana,jen’abandonnejamais.Lesmots glissèrent sur ses lèvres d’unemanière si sensuelle qu’un soupir involontairem’échappa.
J’énuméraimentalementleschosesàfaireenpriorité:Respirer.Sourire.Selever.Etm’habiller.Jeprisdoncladirectiondelasalledebains.J’auraispuêtreenchantéedecettesoirée–lapremière
n’avait pas été si catastrophique –,mais c’était sans compter sur l’humeur jalouse deRick qui, je lesavaisd’avance,meferaitpayerlamoindrerougeurdemesjouespoursonamiCarl.Aprèsunedoucherapide,jemeplantaidevantmonarmoire.Quedevais-jeporter?Ilfallaitd’abord
quejesacheoùnousallions.Emmitoufléedansmonpeignoirdebain,jeprisladirectiondelaterrasse.
Unmurmuremeparvint.Rick.Jemeglissaiderrièrelepilierdelacuisine,tendantl’oreille.—Non.C’estterminé,Carl,chuchotaitRick.J’aibienréfléchicesderniersjours.Jenepourraispas
fairesemblant.Ilyacetruc.Pourquoiparleraussidoucement?Saufs’ilavaitdeschosesàcacher…Àmecacher.Parcequ’ilétaitquestiondemoi…—Tuenesbiencertain?demandaCarld’untoncompatissant.Mesjambessupportaientàpeinelepoidsdemoncorps,ellesnetenaientquepourmelaisserentendre
laréponse.Uneréponserassurante,jel’espérais.—Jeneressensplusquedelapitiépourelle.Jeportaiunemainàmabouchepourretenirlecriquimontaitdemonventre.—Delapitié?s’étonnaCarl.Mesoreillesbourdonnaient,moncorpsme suppliaitd’attendreunenouvelle réponse.De luidonner
uneautrechance.—Oui.Tunepeuxpascomprendre.Tunesaispastoutd’elle,lâchaRickavecunepointed’amertume.Jevacillai,lesoufflecoupé.—Est-cequ’ellesaittoutça?s’enquitCarl.—Non.Jeleluiaifaitcomprendre,répondit-ilsanséquivoque.J’enavaisassezentendu.Toutétaitclairdansmatête.Commeill’avaitsibiendit,ilmel’avaitfait
comprendre.Quatrejourssansunbaiser.Quatrejoursàjouerl’hommedescavernes.Quatrejours…Enréalité,ilnem’avaitpaslaisséerespirer,ilavaitprissesdistances.Maisquediredecettenuitdanssesbras,desonnezenfouidansmescheveux?Desesconfessionssur
safamille?DesonintérêtpourEthan?Pitié,avait-ildit.Était-ceseulementdel’affection?J’étouffais.Jesuffoquais.Etpourtant, jen’avaispasplusenviedesortiravecCarlquederester ici
avecRick.J’avaissimplementenviedem’enfuir.D’enfilermonsurvêtement,dechaussermesbasketsetdecourirpendantdesheures,pourmefaireoublierquej’avaissimaldanslapoitrine–jusqu’àmefairevomircettepizzacoincéedansmagorge.Unenouvellefois,ilm’avaitdéçue.Aumomentoùjecommençaisàm’habitueràl’idéequejepourrais
luifaireconfiance,quejepourraispeut-êtremereposersurluilorsquelafaiblessemeprendrait,qu’ilallait fairepartiedemavie et que je le laisserais entrerdans celled’Ethan, il détruisait tout endeuxphrases.J’étaissecouéeetécœuréeparcequ’ilavaitpudire.Commesiunepartiedemoim’avaitétéarrachée
brutalement.Mais je ne devais pas flancher.Même si mon cœur avait littéralement explosé dansmapoitrine. Je laissai sur le sol les bons souvenirs, ses doux baisers, ses caresses, mes papillons, sessouriresetsesregardsintenses,pourmeconcentrersurceuxquimedonneraientlecouragedel’affronter,sescoupsdefolies,safuite,sarépulsion,sondégoût.Revenue dansma chambre, j’attrapai la première tenue quime tomba sous lamain dans l’armoire,
l’enfilai,chaussaimesescarpinsetretournaicamouflermondésarroidanslasalledebainsavecunpeudemaquillagesupplémentaire.Nepasflancher.Jedéfismonchignonetappliquaiunbaumeàlèvresaussirougequemarobe.Cetterobe,jenel’avais
pasachetéepourCarl,maispourlui.Uneroberougecourte,cintréeàlataille,décolletéedansledos.S’iléprouvaitdelapitiéenmeregardant,jelaporteraispourquelqu’und’autre.J’avaisconsciencede l’imageque j’allais leuroffrircesoir.Ce rouge, symbolede lapassionmais
aussidespulsionssexuellesetdupouvoirdeséduction,allaitréveillerl’intérêtdeCarl.EtRick?Jem’enfoutais.Jerefoulaiunedernièrelarme,m’éclaircislavoix,redressaimesépaulesetfranchis
leseuildemachambred’unpasdécidé.Jeneflancheraispas.Pascesoir.—J’espèrequejen’aipasététroplongue,lançai-jeenpénétrantsurlaterrasse.Leurs deux têtes pivotèrent. Dans un premier temps, la même expression, au spectacle que je leur
offrais,enflammaleurregard.PuisCarlsouritavecsatisfaction;Rick,lui,devintlivide.—Bon,jecroisquenousallonspartir,annonçaCarlenserelevant.LesyeuxdeRickn’étaientplusquedeuxbillesnoires,chargéesdefureur.C’estcequejevoulais.—Onyva?medemandaCarl.Je l’ignorai, le tempsd’offrir un sourireméprisant àRick.Puis jeme retournaiversCarl. Il neme
faisaitpaspeur.Jen’avaispasnonplusdepitié.Et,leplusimportantpourmoi…jeneflanchaispas.—Tuesmagnifique,mecomplimentamoncavalierdanslecouloir.Jel’ignorai,àl’affûtdumoindrebruit.Rickallait-iltenterdenousrattraper?Rien.Silence.Seulsmes
talonsclaquaientsurlecarrelage.J’avançai,ledosbiendroit,laissantdecôtémapeineetmesblessures.J’auraisletemps,plustard,pourypenser.Sijem’autorisaisàsubirleshuitsemainesquimerestaientaveclui.Dans la voiture, je restai les yeux fixés sur la route. Il n’avaitmêmepas essayé de comprendre. Il
n’avaitpascherchéàmerattraper.Ils’étaitcontentédemelaisserpartir.J’avaiscruenlui.Naïvement.—Jeneveuxpasteforceràsortir,Oceana,meditCarl.Sansleregarder,jedemandai:—Onvaoù?—Euh…Jepensaist’emmenerauclub.Commelasemainedernière.—Trèsbien,répondis-jeavecaplomb.—Tuessûrequeçava?Ilparaissaitanxieux.—Pourquoifais-tutoutça?l’interrogeai-jenetournantlatêteverslui.Mal à l’aise, il bougea sesmains sur levolant et se redressa.Quelquechosemedisaitque j’allais
devoirfairefaceàunenouvellecomplication.Maisriennepouvaitêtrepirequecequej’avaisentendudelabouchedeRick,toutàl’heure.—Quandtuauraslaréponse,dit-il, tupourraspeut-êtremeledire,parcequelaseulechosequeje
sais,c’estquej’aiaimépasserdutempsavectoil’autresoir.
Chapitre23
EffetKissCool
—UnCosmopolitanetunjusd’oran…—DeuxCosmopolitan.Carlmedévisagea,surpris,tandisqueleserveurnotaitlacommande.—Situmedemandesencoreuneseulefoissiçava,jeteprometsderentreravecquelqu’und’autrece
soir,ledéfiai-je.—Tuneleferaispas,semoqua-t-ilavecunbrind’inquiétude.Ildéfitleboutonduhautdesachemiseensoienoire.—Tuveuxtenter?Sesyeuxagrippèrentmeslèvresavecférocité.Troplongtemps.Jevenaisdedécuplersonenviedeme
mettredanssonlit.Cen’étaitqu’unjeupourmoi.Jenedeviendraisjamaisuneaphrodite.Jamais.Illesavait,non?Sitôtnosboissonsservies,jesaisislepiedfinduverre,ôtailarondelledecitronvertetversaiune
gorgéeduliquiderougedansmabouche.Jen’avaisaucuneidéedugoûtdececocktail.Lesyeuxfermés,jereconnuslavodkaetlecitron;un
autreparfum,plusâpre,persistaitsurmalangue.—Vas-ydoucement,meconseillaCarl.Pourtouteréponse,jeréitérail’opération.Cettefois,jetoussai,etCarlretintunrire.—Aupire,tudevrasmeporterpourmeramener…—Aumieux,tuveuxdire?mefit-iléchod’unevoixrauque.Jemeretournaietm’accoudaiaubarpourrefoulerl’excitationquimontaitenmoi,etsurtoutignorer
sesyeuxquim’étudiaientavecardeur.En quelques gorgées, j’en avais terminé avec le Cosmopolitan. J’avais l’impression d’être sur une
autre planète. Non. En réalité, j’étais consciente d’être toujours sur Terre, mais rien n’avait plusd’importance,commesitoutcequejevoyaisetressentaissemblaitsimpleetamusant.J’étaissaoule.Euphorique.—Tuveuxunjusd’orangemaintenant?JemeretournaivivementversCarl,luiprislamainetletiraiverslapiste.Même ça, c’était bizarre. J’avais envie de danser alors que je détestais ça ! Je laissai de côté la
question qui mûrissait dans ma tête, à savoir pourquoi je n’aimais pas ça, et me concentrai sur larecherched’unendroitoùlesmainsbaladeusesnepourraientm’atteindre.J’étaispeut-êtresaoule,maispasinconscienteaupointdelaissern’importequis’approcherdemoi.Je trouvai refuge près d’un pilier bordé de néons de différentes couleurs qui s’allumaient et
s’éteignaientaurythmedelamusique.JelâchailamaindeCarletmeretournaiverslui.Ilnebougeait
pas.Nedansaitpas.Secontentaitdemeregardermedéhancher,lesyeuxbrillants.Habituellement, j’aurai rougisous l’intensitédeson regard.Mais là,non.Aucontraire. J’aimaisça.
J’aimais savoir qu’il me suffirait de l’approcher de quelques centimètres pour l’enflammer. J’étaispresque…heureuse.Qu’est-cequejefaisais?Est-cequejem’amusais,ouest-cequejedraguaisvolontairementCarlpour
mefairedumal,etpeut-êtreaussiàRick?Toutlemondedansait.Hormisdeuxbrunesquinousépiaienttoutendiscutant,lesbrascroisés.—Oceana,ditCarl.Nefaispasça.Je…Rickestmon…Là,jem’emportai:— Je veux simplement danser pour penser à autre chose. Soit tu fais de même, soit tu retournes
t’asseoiraubar;jesuiscertainequ’unedecesfillesseraravied’êtretonaphroditecesoir.Jeluimontrailesdeuxbrunes.—Merde!cria-t-ilenabaissantmonbrasd’uncoupsec.—Quoi?Ellesontdéjàfaitpartiedetescoupsd’unsoir?Sesyeuxmefusillèrent.—Pirequeça.Ellem’avu,c’estsûr.Putain.Ilnemanquaitplusqueça.Ilpaniquait.LegrandCarlpaniquait!Jejetaiunrapidecoupd’œilderrièrelui.—Jecroisquel’uned’elles’approche,l’avertis-je.Jecrusvoirperlerunegouttedesueursursonfrontàlalumièredesnéons.—Danseavecmoi,suggérai-je.Ellerebrousserapeut-êtrechemin.Ilnebougeapas.Jeneluilaissaipaslechoix.J’ignorailefrissonquil’avaitgagnéetmerapprochaideluijusqu’àle
frôler.Mesdoigtsglissèrentdanssescheveuxbruns.—Danse,luisoufflai-je.Samainseposaaucreuxdemesreins.Ilsemit,enfin,àremueraumêmerythmequemoi.Jenouaimes
mainsautourdesoncou.—J’enveuxplus,murmura-t-ildansmonoreille.Sonaveuserépercutajusqu’àmaculotte.Seslèvresfrôlèrentmajoueavecdélicatesse.Jecontinuaià
danserdanssesbras,accrochéeàsoncou,telleunemarionnette.Samarionnette.—Jet’enprie,Oceana,retiens-moi.J’étais incapablede lui répondre. J’avais chaudet, pourtant, je frémissais au rapprochementdenos
deuxcorps.Soncorpssitendu,dontj’auraispudessinerchaquemusclesoussachemisesoyeuse.—Situnedisrien,c’estquetunedispasnon.Sabouchetrouvamoncou.Jegémissouslechocdesalanguequimegoûtaitetquiremontaitjusqu’au
lobedemonoreille,qu’ilsuçaavecferveur.Lemurdupilieraccueillitmondosalorsquesonautremainglissaitsurmacuisse.Jesentissonmembredurcicontremonventre.J’étaiseneffervescence.Salangueremonta avec ferveur jusqu’àma bouche pour y déposer un baiser fugace. Ilme regarda, guettantmaréactionpuis,pénétrantmaboucheavecagilité,trouvamalangue.Ils’enflammait–autantquemoi.—Salut,Carl!nouscoupaunevoixfémininedontletonétaittoutsaufamical.J’ouvrislesyeux.Moncœurbattaitàtoutrompre.
—Tunepeuxpast’enempêcher,hein?réponditCarlavecfroideurensedétachantdemoi.—Jemefousdetesplanscul,Carl.—Oceanan’estpasunplancul,répliqua-t-ilavecférocité.Labruneéclataderire.—Oceana?Tiensdonc?s’étonna-t-elle.L’infirmièredeRick?Grande,mince,lesyeuxclairs,leslèvresfines,ellemesouritavecdédain.—Jenevoispasenquoic’esttonproblème,Kristen,rageaCarl.Kristen.Inspirer.Devant.Expirer.Moi.Inspirer.—Enchantéedevousconnaître,medit-elleenmetendantlamain.Kristen,lafiancéedeRick.—Ex-fiancée,corrigeafroidementCarlenrepoussantsamain.Kristen.Fiancée.Monestomacsetordit.Jemeprécipitaiverslebar.C’étaittrop!Commentavais-jepumelaisserembarquerdanstoutça?!—UnCosmopolitan!commandai-jeaubarman.Jevoulaisretrouvercettesensationd’euphoriequim’avaitinondéeplustôtdanslasoirée.Jevoulais
unenouvellefoisflottersurtoutescesconneries!CommeavantquejenedanseavecCarl.Avantqu’ilnem’embrasse.AvantqueKristennedébarque.Sitôtservie,jejetailarondellesurlecomptoiretbusd’untraitlecocktail.Labrûluredansmagorge
merappelaquej’existais.Douloureuse,maisvivifiante.—Jesuisdésolé,ditCarl,quim’avaitsuivie.Ilétaitdésolé!—Aucunproblème,mentis-jefroidementsans leregarder. (Je levaiunbrasen l’airà l’intentiondu
serveur.)Unautre,s’ilvousplaît.—Arrête,Oceana.—C’estledernier,ensuiteons’enva.Je m’emparai du verre et bus une nouvelle fois, cul sec. Cette fois, ma gorge anesthésiée par le
précédent chauffa sans que la sensation soit désagréable. Les yeux fermés, j’accueillis une vague deplénitudequisubmergeatoutmoncorps.AucontactdesdoigtsdeCarlsurmesreins,j’ouvrislesyeuxetlefoudroyaiduregard.—Tupenchaisdangereusementenarrière,m’expliqua-t-il.Jemeressaisisetluiemboîtailepas.Jevoulaisdel’airfrais.Exacerbercettesensationdeliberté.Je
meseraismêmelaisséealleràunbaindeminuitdansl’océansij’avaisétéseule.Pasunseulbrind’airfraisàl’extérieur.Àcroirequelesnuits,àMiami,ressemblaientauxjournées.
Chaudesethumides.—J’auraidûtedirequielleétait,jesuisdésolé,ditCarl.Iln’abandonnaitdoncjamais!Jemeretournaivivementverslui.—Non,tun’espasdésolé!Tuasprofitédelasituation!
Jepouvaisencoresentirsalanguesurmoncou.—Je t’aiditdem’arrêter,sedéfaussa-t-il.Et jen’ai jamaisprétenduqu’elleétaitundemescoups
d’unsoir!—Parlons-endetescoupsd’unsoir!Jesuiscenséeêtrequoi,moi?—Tun’espasuncoupd’unsoir,c’estcertain.Ilavaitenviedemoi,jel’avaissenti.Jelesentaisencore,duretlong.—Pourquoi jen’en seraispasun?Parceque tunecouches jamaisdeux fois avec lamême fille ?
Laissetomber,jenesaismêmepaspourquoij’aicettediscussionabsurdeavectoi!Jecroisquel’alcoolmefaitdivaguer!Unsouriresedessinasursabouche,oùlalumièredesréverbèreslaissaitdevinerdestracesdemon
rougeàlèvres.Cette…bouche…—Est-cequetuasaimé?demanda-t-il.Jedétournailatête.Letrottoirétaitroséets’étendaitlelongd’ungazonoùpoussaientdespalmiers.Je
m’enfoutais.Jevoulaissimplementignorersaquestion.—Jeveuxjustesavoirsituasaimé,Oceana.Ilétaitsiprèsquesonsoufflesedéposaittelleunecaressesurmesjoues.Jenevoulaispasrépondresanssavoircequ’ilpensait,lui.—Qu’est-cequejesuispourtoi?Ilsouritetselança:—TueslavanilledeRick,c’estcommeçaqu’ilt’appelle.Etjecomprendspourquoi,maintenant.—NemeparlepasdeRick.Jerépète:qu’est-cequejesuiscenséeêtrepourtoi?!Aupointquetu
veuillesoffrirgénéreusementtroiscentmilledollarspourquejeresteàMiamietquetuinsistespourmevoirunefoisparsemaine?—Jetel’aidit,jen’ensaisrien!J’aijusteenviedelefaire!C’esttout!—Commetuaseuenviedemeprendresurlapistededanse?Est-cequej’avaisvraimentditça?L’alcoolnemeréussissaitpasdutout!—Je…Tueslefruitdéfendu,alors!Vois-lecommeça.—Chassegardée?—Vois-lecommeça,vanilledeRick,articula-t-il.Quoi ? Chasse gardée sur une femme dont Rick ne voulait pas ! Je sentis une vague de colèreme
secouer.—Non,maisjerêve!Ilmerepousse,tumerepousses…—Àt’entendre,ondiraitpresquequetuvoudraisquejerecommence…—Oui.Non…cen’estpasça.Tu t’es fait jene saiscombiende fillesceweek-end, j’ai arrêtéde
compteràtrois.Ettupensestoutdemêmeàçaavecmoi.Tuesinsatiable!—Jenemesuisfaitpersonneceweek-end,avoua-t-iltimidement.J’aiditçapourrassurerRicksur
mesintentionsenverstoi.—Etquellessont-elles?
Ilreplaçaunenouvellefoisunemècheindisciplinéederrièremonoreille.—Jecroisquetulesaisdéjà.Non.Jenelesavaispas.Oujenevoulaispaslesavoir.Qu’importe!Aphroditeoupas,ilmerendait
dingueavecsesdevinettes.—Ramène-moichezRick,suppliai-je.—Est-cequetuasaimé,Oceana?s’obstina-t-il.J’avaisadoré.Mêmesiçan’étaitpasaussipuissantetjouissifqu’avecRick.J’avaisaimé.Apprécié.
Appelezçacommevousvoulez!—Horriblement.Maistulesaisdéjà,non?murmurai-je.—Jevoulaisseulementtel’entendredire.Ilm’offritunclind’œiletunsourireradieuxavantdetournerlestalons.—Nousavonsdépassélavoiture,expliqua-t-il.Jelerejoignisaupasdecourse,nonsansmal.Vodkan’étaitpasmameilleureamie.Jem’accrochaisà
sonbras,hésitantmêmeàôtermesescarpins.Jenel’écoutaisplus.Jevoulaisseulementmettreunpieddevantl’autre.Jemesemblaisqu’ilmefaisaitlamoraleàproposdel’alcool.Àpeineinstalléedanslesiègepassager,jefermailesyeuxpourmeconcentrer,cettefois-ci,surmon
estomac.Deuxièmeeffetkisscool.Pastrèscoolensoi.J’avaislanausée.Jerespiraislentement.Troplentement.Jetentaidemesouvenirdupremier,quim’avaitapportéunmerveilleuxélandelibertésurlapistededanse,encorebienloindeRick,deCarletsurtoutdeKristen,lafiancée.—Oceana.Noussommesarrivés.LavoixdoucedeCarlessayaitenvaindemesortirdemonsommeil.Malgrétoutemabonnevolonté,
mespaupièresétaienttroplourdespours’ouvrir.—Porte…(Iln’yavaitpasquemespaupières.Maboucheaussiétaitsècheetmolle,j’avaisdumalà
articuler.)…porte-moi,réussis-jeàdireavecpeine.JeneréagismêmepaslorsquelesmainsdeCarlagrippèrentavecfermetélanaissancedemesfesses
sousmarobe.Jenichaimatête,instinctivement,contresoncou.—Rickvametuer,chuchota-t-iltoutenavançant.Jem’enfoutais!Jenepensaisqu’àunechose:monlit!—Qu’est-cequis’estpassé?entendis-jeRickdemanderavecfureur.Carls’étaitimmobilisé.—Elleabu,répondit-ilsimplement.Etnousnoussommesembrassés!C’étaithorriblementbon!—Oceananeboitjamais,répliquaRick,suspicieux.—Elleabu,jetedis.Tucroisquejel’auraisdroguée?—Lit…réussis-jeàdire.—Bonnenuit,vanilledeRick,chuchota-t-ildansmescheveuxavantque jenesente lemoelleuxdu
matelascontremondos.Ilm’ôtamesescarpinsetramenamesjambessurlelit.Instinctivement,jememisenpositionfœtale.
Lafraîcheurdesdrapsmefitcomprendrequequelqu’unm’avaitrecouverte.Jesouris,incapabledediremerci.Laportesereferma.
Monœsophagemebrûlaitdangereusement,moncœurbattaitlachamadeetmabouches’emplissaitdesalive.Monestomacétaitenébullition.Jesautaidulit,medébattantavecledrap,etsortisdelachambreencourant,unemainplaquéesurla
bouche.Carlétaitsurmonchemin;jelepoussaietfranchislasalledebainsavantdeplongerlatêtelapremièredanslestoilettesetdememettreàvomir.Quand jeme relevai, les jambes tremblotantes et les genouxmarquéspar les rainuresdu carrelage,
CarletRickmeregardaientavecinquiétude.Jemerinçailabouche.—Jet’avaisprévenue,ditCarl.—Çava?demandaRick.Jefaillisfondre.Était-cedelapitié,çaaussi?J’étaisépuisée.Demebattreavecmatêteetavecmon
cœur.Jevoulaisjustemecoucher.
Chapitre24
Punition
Carlavaitdûpartir;jemesouvenaisjusteavoirentenduun«C’estbon,jem’enoccupe»deRick.Jenesavaispasnonplusquelleheure ilétaitcarchaquefoisque j’essayaisderegarder l’heuresurmontéléphone, les chiffres devenaient flous. Je m’étais résignée à me fier à la noirceur du ciel, quim’indiquaitquel’aubeétaitencoreloin.Depuis que nous étions rentrés, je vomissais. J’étais épuisée. Comme si un camion de dix tonnes
m’avait roulédessusauralenti.Rick, impuissant, tapidans l’ombreducouloir,m’observait.Je tirai lachasseetm’apprêtaiàenlevermarobepourallerprendreunedouche.—Viensici,jevaist’aider,medit-ilavecdouceur.Quellebelleimagejedevaisluidonner!Jen’avaisplusriendesexy.Marobefroissée,monvisage
livide…sanscompterl’odeur.—Tuneseraspascapabledetedéshabillertouteseule,etencoremoinsdetelaver.Viensici.Je l’ignoraiet tentaide trouver leboutonfermantmarobe,enfouisousmatignasse.Mesbras,aussi
lourdsquedeuxéléphants,purentàpeineparcourirlamoitiéduchemin.Jeleslaissairetomber.—Nem’obligepasàvenirtechercher,Oceana.Ilnepouvaitpasentrerdansmasalledebains,de toutefaçon : l’encadrementde laporteétait trop
étroitpoursonfauteuil.—S’ilteplaît.Saplaintem’empoignalecœur.Jesentisqu’ilsouffraitdemonsilence.—Jesuisfatiguée,dis-jed’unevoixéraillée.J’étaisincapabledeluirépondreautrechose.—Alors,laisse-moit’aider.Encoreunefois,jem’étonnaisdupouvoirqu’ilavaitsurmoi.Delamanièredontmoncorpsréagissait
à lui.Et ce,malgré cequ’il avait dit demoi quelquesheures plus tôt.Que je lui faisais pitié, et riend’autre.—Pourquoies-tucommeçaavecmoi?—Tunecomprendspas.Jesuisfatiguéedetoutçaetjesuisincapabled’enparler.Pas.Maintenant.—Commetuveux.Jesuispeut-êtreincapabledeteporter,commeCarll’afait.Maissitunevienspas
icitoutdesuite,jesuisprêtàmecasserlajambeunedeuxièmefoispourvenirtechercher.Il tendit samain devant lui. Je l’attrapai. Hors de question que je passe une nouvellematinée aux
urgences,etsurtoutqu’ilsefassemalàcausedemeserreurs.Sesdoigtsbrûlantsmefirentprendreconsciencedemoncorps.J’étaisgelée.Jemeblottiscontrelui;
j’avaisenviedesachaleur.—Jesenslevomi,murmurai-jedansunegrimace.
—Non.TupuesCarl,lâcha-t-il.Carl avait dit que j’étais lavanilledeRick. Il voulait seulementdirequ’il neme toucherait jamais
parcequeRickleluiavaitdemandé.Nosdeuxbaisersn’avaientétéquedesloupés,desfolies,desécartsdeconduite.—Ilnesentpassimauvais,répondis-jefinalement.Jehumaisoncou.—Maisilnesentpasaussibonquetoi,ajoutai-je.J’enauraispresqueoubliémonétattantjemesentaisbiencontrelui.Lesyeuxfermés,lesbrasserrés
autourdesontorse,jerefoulaimarancœuretacceptaisoninfluencesurmoi.Lesoubresautdesonfauteuilmefitcomprendrequenotrevoyageétaitterminé.J’entendislebruitd’un
robinetqu’onouvrait.Puislecrépitementpuretdouxdel’eausurlaporcelaine.Nousn’étionsplusdansmasalledebains,maisdanslasienne.—Oceana,jenepeuxpastedéshabillersiturestescontremoi.Jeviensavectoi,detoutefaçon.Je
suislà.Il était là.Oui.Mais il nem’avait pas retenue lorsque j’étais partie.Nem’avait pas empêchée de
recommenceràmelaisserbercerparleslèvresdesonami.Et…Ettoutétaitmafaute.J’étaispartie.J’avaisvoululeprovoquer.J’avaisdansépourCarl.J’avaisbu.Et
surtout,j’avaisfuiensurprenantuneconversationquejen’étaispascenséeentendre.Sansréfléchir,sansdiscuteraveclui.J’avaistirédesconclusionstrophâtives.Honteuse, je me redressai et détournai la tête pour dissimuler mes yeux brillants de larmes. Nous
étionsdanssasalledebains,devantlabaignoire.Sesdoigtsglissèrentsousmescheveuxjusqu’auboutondemarobe.Jefrissonnai.Puislapressionde
samainsurmesbrasm’aidaàmemettredebout.Mes jambes tremblèrent sous lepoidsdemoncorpsalorsquemespiedsaccueillaientletissurouge,froisséetsali.—Jen’aimepascetterobe.Sesdoigtsse faufilèrentsous ladentelledemaculotteet la firentdescendre le longdemescuisses
avecdélicatesse.Savoirsesyeuxposéssurmesfessesfitpalpitermonsexe.J’étaisébréchée,puanteetimpure,etmalgrétoutilétaitlà.—Jel’avaisachetéepourtoi,murmurai-je,lagorgenouée.Sonsoufflechaudsurmescuissesréponditàsaplace.Jel’avaisportéepourCarl.J’enjambaileborddelabaignoireetentraidansl’eauchaude.Desremousmefirentcomprendreque
Rickm’avait rejointe. Il était là.Nu,derrièremoi.Ses jambes s’étendirent le longdemes flancs, sontorses’appuyasurmondosetsonsexeduretlongcontremesreins.Ilétaitlà.Avec.Moi.Ilattrapaladouchetteetmouillamatête.Immobile,jemelaissaialler.Délicatementetavecsoin,ilme
fitunshampooing,massantmoncrânealorsque jememordais la lèvreenessayantd’oublierqu’ilmetouchait.Ilmetouchait.C’étaitsibon.Moncœurbattaitàtoutrompredansmapoitrine.Mestétonsdurcirentquandsesmains
descendirent demanuque àmondos.Puis vint le tour demes épaules et demesbras. J’observais lapuissancedesesmainssurmoncorps,ressentaislatensiondesesmuscles.Jemerappelaislapremièrefoisoù je l’avaisautoriséàme toucher,sonsoufflesurmesépaulesbrûléespar lesoleil, ledésirque
j’avaisperçudanssavoixrauque.—Nemefaisplusjamaisça,Oceana,tuentends.Sesmainss’insinuèrententremesseins,glissèrentversmonventre.S’ilcontinuaitjusqu’àmeslèvres,
il trouveraitmonclitoris gonflédedésir.Ungémissementm’échappa alorsque sesdoigts remontaientdélicatementjusqu’àmoncou.Iln’iraitpasplusbas.L’eau dégoulina une nouvelle fois sur mes cheveux, emportant avec elle le shampooing, mais pas
l’incandescencequ’ilavaitfaitnaître.—Tunesenspaslavanille,maisaumoins…—JenesensplusCarl.—Oui.Commentpouvait-ilréagiravectantdehargnequandunhommem’approchaitaprèscequ’ilavaitdit
cesoir?C’étaitincohérent!—Efface-le.Fais-moioublier,l’implorai-jehaletante.Jevoulaissentirseslèvressurmoi,sabouchesurmapeau,sesbraspuissantsautourdemoncorps,
sonmembredurcientremescuisses,monsexepalpitersoussesdoigts.—Non.—Pourquoi?demandai-jedansuneplainte.L’eaudelabaignoireclapota.Ilselevait.Ilpartait.—Parcequetun’acceptespasquejefassepartiedetavieetqu’ilm’estinsupportabledesavoirque
jet’aiaujourd’huietquejenet’auraipasdemain.Jemeretournai,paniquée.—Je…—Nousparleronsdetoutçademain.Tantquetunem’auraspasdonnéuneexplicationconvaincante,
jenetedirairiendeplus.Etilneferaitriendeplus.
Allongéedans le fauteuildusalon, jesomnolaidevant les informations locales. Ilétaitdéjàplusde
19heuresetRickétaitpartitôtcematin,alorsque,terréeaufonddemonlit,jetentaisdemaîtriseruneinsupportablegueuledebois.Depuis, j’avais reprisunedouche, etmonestomacavait réussi àgarderdeuxfeuillesdesaladeetunyaourt.J’avaisaussiessayéderemettredel’ordredansmatête.MarévoltecontreRick,lesbrasdeCarlet…
Kristen.Lafiancée.Commentpeut-onpromettreàquelqu’unqu’onpasserasavieavecluietlelaisserpourmortdansunlit
d’hôpital?Contretouteattente,maconsciencemesoufflaitqueçanemeregardaitpas.Commentpeut-ondirequ’onn’éprouveplusquedelapitiépourquelqu’unetprétendre,quelquesheuresplustard,qu’onespèreunlendemain?J’entendissoudainuncliquetisdeserrureetmeredressai.—Laissez-ledansl’entrée,ditRick.Merci.
Jesourismalgrémoienledécouvrantdebout,béquillesàboutdebras.Ilrefermalaporte.Sonfauteuilrepliéavaitétéposécontrelemur.Ilnem’avaitpasvue,etjeprisletempsdel’observer.Sescheveuxchâtainclair.SonT-shirtmoulant
sesimpressionnantesépaulesetlesmusclesdesondos.Sapoignesurlesbéquilles.Monventresenouaenpensantque jepouvaisavoir toutça.Que j’auraispu,peut-être. J’étais forcée,une foisdeplus,deconstaterqu’iln’avaitplusbesoindemoi.—Tuasmangé?demandai-jeenfind’unepetitevoix.Ilavançarapidementjusqu’aucouloir,letraversaendeuxfouléesàl’aidedesesbéquillesetpénétra
danssachambre.—Oceana!cria-t-il.Figée,incapablederaisonner,jeregardailaporteentrebâilléedesachambre.—Oceana!VIENSICI!Mesjambesflageolantesmeportèrentjusqu’àlui.Deboutdevantson lit,entièrementnu, ilmefixait, immobileet tendu.Soudain ilenvoyavalserd’un
coupdepoingsalampedechevetquis’éteignitinstantanément.Jefermailesyeux,effrayée,alorsqueleséclatsdeporcelainesurlecarrelagevolaiententoussens.Ilseprécipitasurmoisiviteque,dansmonaffolement,jemecollaiaumurderrièremoi.Sonpoingleheurtaetsonautremainagrippamonvisage.J’avais terriblementmal.Mal,parcequ’ilm’envoulait.Malparceque je l’avaismisdanscet état.
Mal,parcequejenepouvaisquesupposerdequoiils’agissait,mêmesijerefusaisdemel’avoueret,surtout,deluidemanderdemepardonner.J’avaisembrasséCarl,encoreunefois.—Tu.As.Tout.Fait.Foirer,articula-t-il,acerbe.Sonpoucedessinaitlecontourdemalèvreinférieure.Délicatement.Lentement.Tropcalmement.Trop
paisiblement.Alorsquesonregardreflétaitsarage–etaussisondésir.Sonautremainsaisitmescheveuxetsabouchepercutalamienne.Violemment.Sansretenue.Sesdents
accrochèrentmeslèvres.Lesmordirent.Puissabouchelessuça.Encoreetencore.Jelessentaisgonfleret rougiralorsque,gémissante, jecherchaismonsouffle.Puissa languepénétramabouche.Descenditjusqu’à ma mâchoire. La lécha. La mordit et la suça. Puis vint le tour de mon cou. Meurtrie, jem’enflammais pourtant sous son assaut. Puis il dessina une nouvelle fois le contour de mes lèvresbouffies.—Jeveuxquetutesouviennesdemabouche.Jevaist’embrasserencoreetencorejusqu’àeffacerla
sienne. Je vais temarquer de lamienne, pour que tu ne penses qu’à elle lorsque tu le regarderas.Lamienne.Tum’entends?Jevaistebaisersifortquetuneterappellerasquedemoncorpssurletien.Cesoir.Demain.Ettouslesjoursquisuivront.Tant de jours à espérer que sa boucheme touche encore une fois. Tant de jours à se languir de sa
chaleur.Tantdejoursàrêverqu’ilm’ébranlerait.Alorsqu’importelamanière…J’acceptaissapunition.—Efface-le,soufflai-jesursacolère.Undesessourcilssereleva.Ilnes’attendaitpasàcequeçapuissemeplaire.Moinonplus,àvrai
dire.Satêteplongeadansmoncou.Jemelaissaiallerdansunelongueexpirationaucontactdouxetbrûlant
deseslèvres,commesiellesm’insufflaientànouveaulavie.Sesdentsmemordillaientavecardeur.—Mavanille,revendiqua-t-ild’unevoixrauque.Sesmainss’insinuèrentsousmarobeàbretelles.Lentement,troplentementàmongoût,écorchantmes
flancsduboutde leursongles. Jeme trémoussaisdans sesmainscommepour le supplierd’allerplusvite,demeprendre.—Cesoir,cesontmesrègles,Oceana.Commes’ilnese languissaitqued’uneseulechose…que je lesuppliedemefaire jouir.Sacuisse
appuyaitdélicieusementsurmonsexe,trempéetgonflé.Ilfitenfinglissermarobeets’emparad’undemes seins. Il lécha mon téton durci et ses yeux cherchèrent les miens. Alors que j’allais fermer lespaupières,intimidéeparl’imagedesalanguejouantavecmonmamelon,unemorsurebrèvemedéchira.Jecriai.—Tuasmal?demanda-t-il,faussementcompatissant.J’avaisenviedeluirépondrequeoui.Maislasucciondesaboucheeffaçalesouvenirdeladouleur.
Jeplongeaimesmainsdanssescheveuxcommepourluiintimerl’ordredenepass’arrêter.Denepluss’arrêter.Lesupplicereprit.Ilpassaitd’unseinàl’autre, lesléchant, lesmordant, lessuçant.Monbas-ventre
étaitenfeu.J’allaisexploser.J’allaisjouir,là,toutdesuite.Maisils’arrêtanet.—Mesrègles,souffla-t-ilsurmonsein.—Tavanille,râlai-je.Mavoixérailléenelelaissapasindifférent.Commesij’avaisdéclenchéuneétincelle,sesdoigtsse
crispèrentsurladentelledemaculotte,qu’ilnetardapasàfaireglisserlelongdemesjambes,alorsquesaboucheagrippaitànouveaumeslèvres.Jemefrottaicontrelui.Jevoulaissentirsaqueuecontremapeaunue.—Patience,Oceana…Sesrègles.Toutmebrûlait.Mondosécorchécontrelemur.Messeinsetmoncouravagésdesesmorsures.Mes
lèvresassiégéesparsabouche.Etmonsexe.Samain se posa surmon ventre. Sa bouche s’immobilisa à quelques centimètres de lamienne. Je
devinaislasuite,toujoursplusexcitéeparsalenteur.Savait-ilàquelpointjeledésirais?Sijen’avaispaseutroppeurquetouts’arrête,jeleluiauraiscrié.Deux doigts s’appliquèrent entre mes grandes lèvres, frôlant mon clitoris. Ses yeux fixés sur ma
bouche,Rick savoura l’effetde leur lenteascensiondansmonvagin.Unsonguttural s’échappademagorge.Animalet irréelà la fois. Je frémissursesdoigtsà leur retrait.Mefitplus lourdesursamainlorsqu’ilsrevinrent,pourlesfaireallerplusprofondémentenmoi.Jevoulaisqu’ilsache.Quetoutétaitàlui.Delavanilleaugoûtamerdemacyprine.—Tuestrempée.Pour toi… uniquement pour toi. Tandis que son pouce appuyait délicieusement sur mon clitoris,
dessinant de petits cercles, ses doigts continuaient de récolter le fruit de mon plaisir. Je suffoquais.C’étaitsibon.Tellementbon.Lesyeuxrivéssurmonvisage,ilsedélectaitdemesgémissements,attendantlemomentopportunpour
mefrustrerunenouvellefois.Jenemispaslongtempsàl’atteindre.Lachaleurenvahitunenouvellefoismonbas-ventre,l’enflamma…—Pas.Maintenant.Vanille.Sesdoigtstrempésglissèrentsurmacuisse.Sesmainspuissantesemprisonnèrentmesfesses.Lesolse
dérobasousmespieds,mondosglissacontrelemur.
—Tajambe,réussis-jeàdire,comprenantqu’ilmeportait.Sonregardsedurcit.—Tudevraistefaireplusdusoucipourmonétatmental,Oceana.Pasletempsd’analyserlesensdesaphrase.—Monte,ordonna-t-ilenmedéposantsurlematelasetenmedésignantlatêtedelit.Le cœur battant la chamade, jem’exécutai, jetant au passage un coup d’œil rapide surma poitrine
couvertedetraînéesrougesetdemarquesdemorsures.Undélicatbaiseràl’intérieurdemacuisse…puissalangueglissajusqu’àmonentrejambeetenroba
monclitoris.Ilmetenaittoujoursauxhanches,etjen’avaispasenviedeluiéchapper.Ilaimaitmongoût.Monsexepulsait,fort.Toujourscettebrûlureaucreuxdemonventre.Ettoujourscettefrustration.Quandilrelevalatête,laboucheluisantedemonplaisir,ilmesouritavecfierté.Toutétaitpourlui.Ilsehaussaetembrassamaboucheavecdouceur,insinuantsalanguejusqu’àlamiennepourquejeme
goûte.Mélangeameretsucréàlafois.J’entendislebruitd’untiroir,puislefroissementmétalliquedel’emballaged’unpréservatif.Ilprenait
sontemps.Encore.Sa bouche revint sur mon ventre, léchant ma peau. Puis une de sesmains guida son pénis jusqu’à
l’entréedemonvagin.Jesavaisqu’ilallaitmeprendreavecrage.Jesavaisaussiquej’étaisauborddel’orgasme.—Nemeregardepascommeça,Oceana.Jenereviendraipassurcequej’aidit.Jevaistefairemal–
passeulementpourlui,maisaussipourcequetuasperdu.Sonmembre glissa dansmonvagin.Comblée, je gémis.Une de sesmains se glissa sousmes reins
alorsquel’autreagrippaitfermementmanuque.Sansbouger,ilm’embrassaavecpassion,commesic’étaitladernièrefoisqu’illefaisait.Puis il se retirademoi.Resserra l’emprisedesesmainssurmoncorpset,enuncoupdereins,me
pénétrasiviolemmentquejecrusquemonbas-ventresedéchirait.Jehurlailatêterejetée.Quandilseretirapourlasecondefois,jesentisunebrûlurecuisanteaufonddemonvagin,commesiunepartiedeluiyétaittoujours.C’étaitcequ’ilvoulait.Ilvoulaitmemarquer.—Encore,implorai-je,lagorgeserrée.Enréalité,jenevoulaispas.Jenevoulaispasdeça.Ilmepénétraaveclamêmeforce,jemedéchiraiaveclamêmeintensité.Encoreetencore.Alternant
violenceetdouceur.Saboucheaspiraitetatténuaitchacundemesrâles,chacundemesgémissements.Jelesuppliaid’enfinir.Contretouteattente,ladouleurs’atténuaetjemesentisexploser.Ladéflagrationfutsidéconcertante
que je ne savais plus où il me touchait, ce qu’il me faisait ; j’en oubliais sa brutalité. Je le savaisseulementenmoi.Surmoi.Brûlantetardent.Jecriai.Ah.Oui.Jejouis,cambrée.Danssabouche.Sursonpénis.Agrippéeàsanuquetendue,àsestrapèzesbandés.—Maputaindevanille.
Seslèvrestremblèrentsurlesmiennes,sesgémissementsdevinrentplusrauques.Ilmepénétraitavecbrutalité–avecanimosité.Cette baise brutale aurait pu me plaire s’il avait été question d’autre chose que d’une affaire de
territoire.J’étaisdéjààlui.Je le sentis frémir entremesdoigts.S’agripperplus fort àmes fesses.Grommelerdansmabouche.
Oceana.Ma.Vanille.Jouirenmoi.Avantdes’effondreraucreuxdemoncou.Soncorpssurmoisefitpluslourd.Trèslourd.Maiscen’étaitrienencomparaisondupoidsquigrandissaitdansmapoitrine.Ilm’avaitblessée.Physiquementetmoralement.Detoutesmesforces,jeretinsmeslarmes.Sonretraitm’incendia.Jememordisl’intérieurdelabouchepourmeretenirdecrier,etm’empressai
demedégagerlorsqu’ilsemitàgenoux.—J’aibienenviederecommencer,medit-ilennouantlepréservatifremplidesonfoutre.Non.Horsdequestionqu’ilmetouche.Plusjamais.J’avaisenviedeluicrierquejeledétestaisautantquejel’aimais.Chancelante,j’ignorailesbrûlurescuisantesentremescuissesetmeruaijusqu’àlasalledebains.Là,jedécouvrislesdégâtscausésparsabrutalitédanslemiroir.Lalumièredesnéonsfaisaitluirema
peauetrévélaitsesmorsuresetsessuçons,demamâchoireàmapoitrine.Lesempreintesparfaitesdeses dentsmettraient des jours à disparaître. Je passai un doigt sur l’une d’elles, surma clavicule, etgrimaçaidedouleur.—Jesuisdésolé.Debout,appuyésursesbéquilles,dansl’encadrementdelaporte,ilmeregardait,lesyeuxagrandis.—Oceana,j’étaisencolère.Jesuisdésolé.Ehbien,moi,pas.Jemefoutaisdecesmarquessurmoncorps.Etdel’empreintedesonsexedansle
mien.Ilavaitvoulumefairedumal.C’étaittoutcequejevoyais.Jerécupéraiuneserviettepropredanslemeuble,lamouillaietlaportaiàmonentrejambe,espérant
quel’eauapaiseraitmesbrûlures.—Parle-moi,Oceana.—Tavanilleneveutpasteparler,tranchai-je.Nicesoir.Nidemain.Niunautrejour.Tuasvoulume
faire souffrir. Tu as voulume déchirer pour un simple baiser échangé avec ton ami.Est-ce que ça envalaitvraimentlapeine?Ilchancela.—Jen’avaisjamaisétébrutalavecunefemme,s’excusa-t-il.—Çanejouepasentafaveur,Rick.Tais-toi!Jejetailaserviettedanslacorbeilleàlinge.Etpassaidevantlui,retenantunegrimacededouleur.Il
mesuivitjusqu’àmachambre.—J’avaisréussiàconvaincremamèredemelaissercetargent.Çasignifiaitquetuauraispurentrer
demainetquetuauraispuorganiserl’opérationdetonfils!Bordel,Oceana!Ellemefaisaitconfiance!Medonnercetargent,c’étaitcommesiellereconnaissaitquetucomptaispourmoi!—Jenecomprendspasenquoi…—Kristenl’aappeléecetaprès-midietluiaracontéqu’ellet’avaitvuavecCarl.Carl!Je…mamère
connaîtCarl,sesdangereuxpenchantspourlesexe,etellen’apascherchéàcomprendre.Tuasperdusa
confiance.Elleestrevenuesursadécision.—Est-cequeçaenvalaitvraimentlapeine?répétai-je.—Jenevoulaispastefairesimal,Oceana.Sesyeuxosèrents’aventurersurmapoitrine.Jem’empressaid’enfilerunT-shirtpourmecacher.Le
tissuincendiachaqueblessure.—Maistul’asfait.Etpasseulementpourtamère.Tul’asfaitpourCarl.EssentiellementpourCarl.—Jel’avoue,lâcha-t-ilenbaissantlatête.—Saufqu’iltesuffisaitdemefairel’amouravectendresse.Commeaucunhommenel’avaitjamaisfait.AvecAmour.—Tuasaimécettebaise,Oceana,jel’aisenti…Unevaguedechaleurs’emparademonventre.—Non.Moncorpsaaimé,pasmatêteetencoremoinsmoncœur.Jemefousdecesmarques,jeme
fousdeladouleur,laseulechosequim’importec’estquepourunbaiseravecCarltuasvoulumefairesouffrir.Alors,jelerépète:est-cequeçaenvalaitlapeine?Jet’aientendu,l’autresoir,parlerdemoiaveclui.Etjeneveuxpasdetapitié.Ilseressaisit.Retrouvaquelquechosedesafureur.—C’étaitdoncça…Oceana,aujourd’huij’aijustepitiédevoirquetun’esmêmepascapabledete
remettreenquestion.Tuasvoulumefairesouffrircesoir-là,commejeviensdelefaireavectoi.Commetul’assibiendit,est-cequeçaenvalaitlapeine?
Chapitre25
Lepari
Rickn’avaitjamaisétéaussicollantquedepuisnotredispute.Ilneparlaitpas.Nemeregardaitpas.Nemetouchaitpas.Ilsecontentaitjusted’êtredanslamême
piècequemoi.Derespirerlemêmeairquemoi.Etmêmedesepavanertorsenudanslamaisonpourmefairebaver.Parcequ’ilétaitlà,leproblème.Jenepouvaispasm’empêcherdelaissermesyeuxs’égarersurlui.
Lepire?C’étaitlorsqu’ilquittaitunepièceappuyésursesbéquilles.Non…c’étaitbienpirelorsqu’ilsortaitdelapiscineouaprèsuneséancedegym.Jevoulaisêtreunedecesgouttesd’eauoudesueurquiperlaitsursondos,quiledévalaitsurtoutesalongueur,jusqu’aucreuxdesesreins.Jemeretenaisderespirer,lesdentsserrées,jusqu’àqu’ilnesoitplusdansmonchampdevision.Pathétique!Voilàcequej’étais,pa-thé-tique!Et l’arrivéedemes règles, le lendemaindenotredispute,n’avait rienarrangé.J’étaisd’unehumeur
exécrableetmeshormonesmedonnaientchaud.Certainesdemescicatrices,auboutdetroisjours,s’estompaient;d’autrespersistaient,àcroireque
j’allais les garder. Le flux de mes menstruations enfin tari, j’avais pu faire un bon footing. J’étaisreboostéeetdisposéeàinverserlesrôles.Aujourd’hui, il deviendraitma proie. J’enfilai le top le plus décolleté que je possédais afin de lui
rappelernotrevoyageauseptièmeciel,ouauxenfers,demardisoir.Unshortenjeanetmessandales,etjegagnailacuisinepourluipréparerseséternelspancakesetsoncafé.Ilm’attendait,assissurundestabouretsdel’îlotcentral.Ostensiblement,ilregardasamontre.OK.Il
voulaitjouer.JesortislesingrédientsduplacardetduFrigidaire,prisdeuxbolsetlesustensilesdontj’avaisbesoin
etcommençaiàénumérerd’unevoixmonotone:—Sixcuillèresàsoupedefarine,sixcuillèresàsoupedesucre,sixcuil…—Oh,maiselleaunelangue…Imperturbable,jerepris,plusfort:—Sixcuillèresàsoupedelait.Monterdeuxblancsenneigeetlesincorporerauxautresingrédients…—Tumefaisquoi,là?Uncoursdecuisine?—Puisajoutezlesdeuxjaunesd’œufaumélangeobtenu.Jeluisourisetplongeaimondoigtdanslamixturebeigeavantdeleporteràmeslèvres.—Mmm…jet’auraisbienfaitgoûter,maisjetienstropàmondoigt,ironisai-je.Sesyeuxseplissèrent.Ilsoupiraetrécupérasesbéquillespourrejoindrelaterrasse.Unevaguedegaieté, inattendue,m’envahit.Et cen’était que ledébut ! Jedevais justepenser àma
prochaineattaque.
Aprèsavoircuitlespancakesetsoncafé,jelerejoignisavecsonplateau.—Tudevraismettredelacrème,lesoleiltapefortaujourd’hui,m’avertit-il,grognon.Sansluirépondre,jedéposaisonplateaudevantluietrentraidanslamaison,àl’abridusoleil.Jebus
lentementmoncafé,lesyeuxrivéssurlui,analysantchacundesesgestes.Ilvoulaitparaîtreserein,maisjevoyaissatêtesetournerdetempsàautre,commepours’assurerquej’étaistoujourslà.Àpeineeut-il finique je récupérai sonplateau, rangeai lavaisselle et rejoignis le canapédu salon
pourregarderl’épisodeenreplaydeTheVoicedelaveille.Commejem’yattendais,ilnetardapasàmerejoindre.Aubruitdesesbéquillessurlecarrelage,je
m’allongeaidetoutmonlongsurlecanapé.Ilmarquaunarrêt,puiss’approchaencore.Iln’allaittoutdemêmepasessayerdes’asseoirdanslesdixcentimètresquiséparaientmespiedsde
l’accoudoir?Si?Lentement,ildéposasesbéquillessurlatablebasseetseretournaversmoi.Ilallaitlefaire!Ilattrapa
meschevillesavecfermeté,soulevamesjambes,puiss’assitenposantmespiedssursescuisses.Lesyeuxrivéssurlesmainsimmensesposéessurmestibias,j’hésitaisàbattreenretraite.Sesdoigts
surmapeau…Jeleremerciaiintérieurementdefeindredes’intéresseràlacandidatequiinterprétaitunechansond’Adele,MakeYouFeelmyLove.Çanepouvaitpastombermieux.
Iknowyouhaven’tmadeyourmindupyetButIwouldneverdoyouwrong*.
(*Jesaisquetun’aspasencorepristadécision.Maisjeneteferaijamaisdemal)Sespoucestracèrentdepetitscerclessurmeschevilles,puissesautresdoigtssepromenèrentlelong
demestibias.Jenepusmeretenirdetressaillir,tantlasensationfutdélicieuse.Jeperdaislamentablementmesmoyens.—Jepeuxteposerunequestion?demandai-jepourmeressaisir.Sansquitterl’écrandesyeux,ilémitunmurmurequipouvaitpasserpouruneapprobation.Ouundéfi.—Est-cequetucomptesaussimesuivredanslestoilettes?Jetedemandeçaparceque,sic’estton
intention, autant que j’utilise les tiennes, qui sont nettement plus spacieuses. Je dois juste penser àrécupérermaboîtedetamponsaupassage…Jesuisindisposée.Sesdoigtsglissèrentsurmesjambesenmêmetempsqu’unrâledanssagorge.Soussonhâle,jecrus
devinerunelégèreteinterosée.Jem’assis et appliquaimes doigts sur ses joues, comme je l’aurais fait pour unEthan fiévreux. Je
refrénaiunrireetexprimaiàvoixhautemoninquiétudesupposée:—Jecroisquetuestroprestéausoleilcematin;tuesrougepivoine,Rick.Tuessûrqueçava?Ilrestaimmobileuninstant,puisunsouriresedessinasurseslèvres–seslèvresdontlavueneme
laissaitpasindifférente,loindelà…—Jevoisquetuesd’humeurtaquineaujourd’hui.J’aibienenviedejoueravectoi,moiaussi,Vanille.Ilposaundoigtsurmalèvreinférieure.—Jeparie,reprit-ilensepenchantversmoi,quecetteboucheremplaceratamainsurmajoueavant
demainsoir.Jediraismêmeavant22heures.Jecroisailesbrassurmapoitrine,peut-êtrepourmeretenirdeletoucherencore.—Etqu’est-cequej’aiàygagner?lançai-je.
—Ce que tu veux. Tu pourras me demander ce que tu veux. Hormis les trois cent mille dollars,puisque,partafaute,jenelesaipas.Jegrimaçai.—Coupbas.—Quoi?Lepari?C’estpourtantsimple,non?Sonassuranceenétaitpresquedéconcertante.Là,jen’avaispasaffaireauRickpassionnéetrêveur,je
découvraisl’hommed’affaires,lefuturdirecteurd’undesplusgrandshôtelsdeMiami.—Non,jeparlaisdel’argent.—Tuesdoncdisposéeàenparler?Sesdoigtslongèrentmestibiasjusqu’àmesorteils.Ilnem’auraitpas.Iln’yavaitrienàraconter.Ilétaittoutaussifautifquemoi.S’iln’étaitpaspartisans
explicationslasemaineprécédente,jen’auraissansdoutejamaisététentéedetestermonattirancepourCarl.Etilpouvaitendireautantdemoipourmasortiedelundisoir.—Est-cequetuasfaitexprèsdeteretrouverparterrelepremiersoiroùjesuissortieavecCarl?Sesdoigtss’immobilisèrentsurmesjambesunesecondedetrop.—Tujouesoutunejouespas,Oceana?—J’enétaissûre!m’exclamai-je.—Onenparleraaprès.Turelèvesmondéfi?Biensûrque je le relevais.Mais il fallaitd’abordque je trouvequelquechosequi l’inciteraitàme
laissergagner.—Toutcequejeveux?(Ilhochalatête.)OK.J’accepte.Sijegagne,jeveuxquetumebaisesavecla
mêmeintensitéquel’autresoir.Motsdangereux,quiallumèrentaussitôtunemèchedansmonventre.—C’estplutôt tentant,mais…Tunem’auraspas,Oceana.Ceque tuasàgagnerestbeaucoupplus
alléchant.Jetelepromets.—Jet’écoute.Ilattrapaundemespiedsetleportaàseslèvres.—Tulesaurasdemainsoir,souffla-t-il.Jerepliaimesjambes,pourmetenirleplusloindeluietdeseslèvresaphrodisiaques.Sanslaisserle
choix àmon cerveau, jeme concentrai sur les candidats etmemis à fredonner tant bien quemal lesparolesdeschansons.—Jeneseraipaslàcetaprès-midi,m’annonça-t-ilalorsqueleprogrammeseterminait.Çanemeplaisaitpas.Alorsquej’avaischerchélasolitudependantdeuxjours,maintenantjeprenais
goûtànotrejeuduchatetdelasouris.Savoirqu’ilneseraitpaslàpendantdesheuresprovoquaitdéjàenmoiunprofondsentimentd’ennui.—OK,dis-jeenmelevantpouralleréteindrelatélévision.Ilm’agrippalamainetmefittombersursesgenoux.Jeluilançaiunregardnoir.Là,ilnes’agissait
pasd’unjeu.—Oceana,jedoisvoirKristen.Nepascéderàlapanique!
—Pasdesouci,répondis-jeavecunedésinvolturebienjouée.—Çaneteposeaucunproblème?—Àmoi,non.Enrevanche,çaréduitconsidérablementteschancesderecevoirunbaisersurlajoue.Sesyeuxs’attardèrentsurmabouche.—J’yvaisseulementparcequejeveuxdesréponses,Oceana.Il savait que l’idée de le savoir avec elleme rendait verte de jalousie.Mais se doutait-il que j’en
venaisàmedemandersicesréponsesneluiferaientpasoublierque,pendantdeuxmois,ellen’avaitpasétéprésenteuneseulefoispourlui?
Chapitre26
Latrêve
Les yeux perdus dans le jardin, derrière la baie vitrée de ma chambre, j’attendais, le téléphone àl’oreille,quequelqu’undécroche.Lesoleilnes’étaitpasencorecouché,etquelquesnuagesdel’oragequotidienflottaientencoredansle
ciel.—Ethanàl’appareil!—Ça,c’estlavoixd’unpetitgarçonquiraffoledesucreries!—Maman!s’extasia-t-il.—Qu’as-tufaitdebeauaujourd’hui,trésor?L’entendremeréchauffaitlecœur.Enfermantlesyeux,jepouvaisl’imaginerdevantmoi;jelevoyais
sautiller dans tous les sens, venir se blottir contre moi essoufflé de bonheur et déverser son flot deparolescontrel’unedemesjoues.—Jesuisalléfairelesmagasins.—Toutseul?fis-jesemblantdem’indigner.Iléclataderire.—Mamiem’aachetéunnouveaucartable.CeluidesAvengers!Jesouris.—Jesuiscertainequetuserasparfaitpourtonpremierjourd’école,montrésor.Jerepoussaitantbienquemallavagued’angoissequim’envahissait.Lundi,Ethanferaitsapremière
vraierentréescolaire.Etj’allaisraterça.J’allaisraterlespremierspasversl’écoledemonfils.—Tuneseraspaslà,conclut-ild’unetoutepetitevoix.Le coup de grâce.Mon cœur cessa de battre.Ma vision devint trouble. Je reculai jusqu’àmon lit,
sonnée.Jepouvaisgérermessentimentsmais,àdescentainesdekilomètresdelui,jenepouvaispasgérerles
siens.Jepouvaisluicriertouslesmotsd’amourquejevoulais,çanechangeraitrien,jeneseraispaslà,etillesavait.—Passe-moimamie,Ethan,luidemandai-jeenm’asseyant.J’essayais de garder une voix claire mais, en réalité, ma gorge était prise dans un étau. Je me
recroquevillaisurlelit.Jenevoulaispasqu’Ethanm’entendepleurer.J’entendisrésonnerlestalonsdemamèresurlesol.—Quesepasse-t-il?—Rien,répondis-jedansunsanglot.—Nana,Ethanpleure.Qu’est-cequetuluiasdit?
Ilpleuraitetjen’étaispaslà.Commelejouroùilavaitétéhospitalisé.Commentexpliqueràunenfantde cinq ans que, parfois, cela vaut la peine de souffrir ?Que ses efforts et lesmiens ne seraient pasvains?Poursonpetitcœur…—Ohnon…Maman,valechercher,s’ilteplaît.Ellesoupira.—Ethan!Ethan!cria-t-elle.Lessecondespassèrent.Jemeretenaisderespirer.Mêmemeslarmesavaientcessédecouler.—Écoute,Nana, repritmamère chaleureusement, ne t’inquiète pas. Rappelle demain soir. Je vais
essayerdelecalmeretjet’envoieunmessagedanslasoiréepourterassurer.Ilnevoulaitpasmeparler.Enunmois,c’étaitlapremièrefoisqueEthanmerepoussait.Ilavaitraison
dem’envouloir.JeneleverraispasdanssonuniformebleumarineavecsonsacAvengerssurledosetsonsourirepleindefierté.Jeraccrochai.Jepouvaishurler,pleurercommeunehystérique,personnenem’entendrait.Rickn’était
toujourspasrentréet,pourlapremièrefoisdepuisqu’ilétaitparti,j’étaissoulagéequ’ilnesoitpaslà.J’avaisl’impressiondem’enfoncerdansungouffresansfin.Magorgemefaisaitsimalquedéglutir
devintuneépreuve.J’avaislesjouesenfeuetlatêtedouloureuse.Quandàmoncorps,ilseconvulsaitdenepaspouvoirconsolersaproprechair.—Oceana?entendis-jederrièrelaportedemachambre.Ricktoquadeuxfois.Jem’empressaid’allerfermerleverrou.—C’étaitseulementpourtedirequej’étaisrentré.Jeposaimonfrontsurlaporteetfermailesyeux.—Jesuisdésolé,j’auraisdûappeler,continua-t-il.—Jem’enfous,Rick!criai-jed’unevoixrauque.—Ouvrecetteporte,Oceana!mesupplia-t-il.Jeresterailàletempsqu’ilfaudra.J’imaginaismamèreavecEthan.Ilneresteraitpaslongtempsprostréderrièrelaportedesachambre.
Ill’ouvriraitetmamèresemettraitàgenouxdevantluipouraccueillirsapetitetêteblondeaucreuxdesapoitrine.Levisageboursoufléparlespleurs,ilessuieraitseslarmesdureversdesamancheetrenifleraitjusqu’àcequemamèretrouveunmouchoirenpapier.Elleluiexpliqueraitquedansdeuxmois,jeseraisderetouretqu’ilpourraitavoirunnouveaucœur.Puiselle luiprépareraitungâteauauchocolat.Mongâteauauchocolat.Deuxmois…Jereniflai.—Laisse-moijuste…uneseconde.J’essayaisdecontrôlermarespiration.Detarirmeslarmes,denepasmelaisserallersurlesolfroid
ethostile.—Oceana,qu’est-cequisepasse?Jemeretournai,surprise.Rick,avaitfaitletourparsachambreetsetenaitdeboutsursesbéquilles
dansl’encadrementdenotreportecommune.Je ne voulais pas qu’ilme voie comme ça. Je ne voulais pas de sa pitié. Je ravalaimes derniers
sanglots,lesyeuxbrûlants.Ils’assitsurmonlitetôtaseschaussures,qu’ilenvoyavalseràl’autreboutdelapièce.Sesyeuxse
posèrentsurmontéléphone,restésurlelit,puissurmoi.Pasbesoindeluidirequoiquecesoit,ilavaitcompris.Sonregardgravem’effleura,telleunecaresse.—Queturestes,çaenvautlapeine,dit-il,levisageadouci.Enrevanche,çanevalaitpaslecoupque
jem’effondresurlesoldelacuisinejustepourmeretrouverdanstesbras.ÇanevalaitpaslecoupquetuveuillesmerendrejalouxavecCarl.Nousavonsfoiré.Etj’aicommencéàfoirerbienavantça.J’aifoiréenapprenantl’existenceEthanetj’aimêmefoiréavecKristen!Est-cequejedevaisprendreçapourdesexcuses?Jeprisdesmouchoirsdansmatabledenuitetmemouchai.—Çanemeplaîtpastellementquetusoissurmonlit,luifis-jeobserver,lenezencorebouché.—Qu’est-cequis’estpasséavecEthan?demanda-t-il.—Je…jeneseraispaslàpoursarentréescolaire.Ilmeregarda.Ensouriant.Mevoirdanscetétat,levisageboursouflédelarmes,l’amusait!C’étaitlecomble.J’auraismisésur
lacompassion,voirelapitié,maispassurladérision!Jefronçailessourcils,agacéeparsonmanquedetact.—Ilyenaurad’autres.Çaenvautlapeine,Oceana.Nelâchepasmaintenant.Jeseraismêmeprêtà
parierunsouriredetapartavantdemainsoir.Pourquoiétait-ilsisûrdelui?—Maintenantquetuastaréponse,tupeuxpeut-êtrebougerdemonlit,attaquai-je.—Monlit,tuveuxdire,rétorqua-t-ilsurlemêmeton.J’enaimarredulitmédicalisé.Jen’avaisvraimentpasenviedejouerauchatetàlasouris.J’attrapaimonoreilleretmontéléphone.
J’allaisfeindredevouloirdormirailleurs.Peut-êtreaurait-ilpitiédemoi,alors?—Reste,implora-t-il.Ilestassezgrandpourqu’onselepartage.Non,jenepasseraispaslanuitaveclui.—Tusaistrèsbienquecetrucentrenousnenouslaisserapasdormirchacundenotrecôté.—Tiens?M.Trucestrevenu…Sesyeuxpétillèrentetunsourire ravageurnaquitsurses lèvres.Comment faisait-ilpourmefaire…
ça?Commentosait-ilêtresisexy?—Ilaeuunnouveaubébé,grimaçai-je.UnquatrièmeA,lepauvre.A-ni-mo-si-té!Rickgloussa.Jeluienvoyailecoussinenpleinvisage.Ilfitminedetomberàlarenversesouslechoc,
etjemelaissaialleràsourireàl’abridesonregard.Ilroulasurlecôté,tenditlebras,mesubtilisamontéléphoneetleposasurlatabledechevet.—Vienslà,Oceana,mesupplia-t-il.Faisonslapaix.Justepourcesoir.Paix?Justepourcesoir?—Pourquoi?Tuasvoulul’embrasseretellet’arepoussé?Sonsouriredisparut.—Jenesuisvraimentpasd’humeuràmeprendrelatêteavectoi.J’aimêmeenviededire:surtoutpas
avectoi.Enréalité,cesoir,ilavaitl’airtoutaussiaffectéquemoi.Ils’étaitpasséquelquechoseavecKristen.
Avait-ileusesréponses?
Auplusprofonddemoi,jesavaisquecequ’ilmeproposaitn’étaitpasunesolution.Fairecommerienn’existait,nipasséni futur.Fairecommes’ilétait lederniermâleetmoi ladernière femmesurTerre.Maisuneautrevéritémesautaitauxyeux.Saseuleprésencemetiraitdupuitsnoiretprofonddanslequel,quelquesinstantsauparavant,jemedébattais.Jesoupirai.—Jem’enveuxpourEthanetjemedétestedetecéderaussifacilement.Jem’allongeaiàcôtédelui,lesmainssurmonventre,etfixaileplafondquiseteintaitd’orangésous
lesderniersrayonsdusoleil.—Moijem’enveuxpourKristenetjemedétestedenepaspouvoirfairepluspourtoi.Jemedéteste
aussidet’avoirfaitça,ajouta-t-il.Ileffleuradudoigtunemarquedemorsurejusteau-dessusdemaclaviculegauche.Jetressaillisàson
contact.—Jet’aifaitmal.Jesuisdésolé.Frénétiquement,jesecouailatêteetmordillail’intérieurdemajoue,larespirationcoupée.Moncœur
commençaitàs’affolerdansmapoitrine. J’avaisenviede luidirequesabaisebrutalenem’avaitpasdéplu,quejen’avaisplusmaletquejeluiavaisenpartiepardonné.Sabouchecaressamapeaulésée.Une,deux,troissecondes,peut-êtreplus.—Tu n’as pas le goût de vanille, s’indigna-t-il en se léchant les lèvres comme s’il ne voulait pas
perdreunemietted’undélicieuxrepas.—As-tudéjàmisdelacrèmesuruneplaie?leprovoquai-je.Ilgrimaça,comprenantmarépulsionàmetartinerlecorps!—Jeveuxrecommencer.—Qu’est-cequis’estpasséavecKristen?interrogeai-jepourdétournerlecoursdesespensées.Ildéposaunfugacebaisersurunedesmarquesquipersistaientdansmoncou,puisretirasonpolo,le
lançaàtraverslachambreetselaissatomberàcôtédemoi.—Jen’aipastellementenvied’enparler,siffla-t-il.Jemeredressaisuruncoudeetscrutaisonvisage.—Pasparcequejeneveuxpasteledire,maisparcequej’aidumalàcroirecequ’ellem’araconté,
reprit-ilpluscalmement.Ilsavaitoùlessecretsnousavaientmenés.Pasbesoindeluifaireundessin.—C’est insensé, continua-t-il, lesyeuxdans levague, comme s’il essayait de reconstituer la scène
danssatête.S’iln’yavaitpaseucettehistoiredepari,j’auraisembrassésajouepourdétendresonvisagetorturé.
Jedécidaidoncdemeblottircontrelui.Nousavionsdécidéd’unetrêve,aprèstout…Ilposasonbrassurmonépauletoutenplongeantsonnezdanslescheveux.Sesmusclesserelâchèrent.—Oceana,jeneveuxpasenparlerparcequejeneveuxpasquetumedétestes,toiaussi.—C’estsiaffreuxqueça?—Jetel’aidit,jemedéteste.Jeparcourusl’unedesescicatricesduboutdesongles.Sesabdominauxsecontractèrent.—J’aidumalàcroirequetupuissesêtreaussiignoblequecequ’ellet’alaisséentendre,murmurai-
je.Ilrécupéramamainbaladeuseetlaportaàsabouche.Jesentisseslèvresseretrousser.Ilaimaitque
jetouchesescicatrices.Moiaussi,jelesaimais;sanselles,jenel’auraisjamaisconnu.—Tusaisquelatrêven’estquepourcettenuit,lemenaçai-je.Je repris ledessindesesentailles.Parfaiteset lisses,ellesavaientpris,ausoleil,une légère teinte
rosée.—Et toi,sais-tuquedemainsoir,enplusdem’offrirunsourireetunbaisersur la joue, tuvoudras
enterrerdéfinitivementlahachedeguerre?—Tuasunegosurdimensionné!m’indignai-je.—Non.Ça,c’estCarl,mefit-ilremarqueravecamertume.Aprèsnosdeuxrendez-vous,jen’étaispluscertainequecesoitvrai.J’avaisplusl’impressionqu’il
avaitérigéunénormemurautourdelui,pournepasselaisserapprocher,oupeut-êtrepournepasavoird’attache.—Tusais,jen’aipasvraimentfaitexprèsdetomber,l’autresoir.Jemesuisfaitprendreàmonpropre
piège!J’aivoulum’asseoirparterrepourtelefairecroire,saufquej’avaisréellementoubliédemettrelesfreins.Lefauteuilaglissé,ils’estdérobésousmonpoids,etjemesuisretrouvéparterre.J’eusunhaut-le-cœurenrevoyantl’expressionderépulsionsursonvisagequandjel’avaisapproché.—Tuavaissipeuconfianceenmoi?—Doisjeterappelerquetul’asembrassécesoir-là?—Jevoulaisseulementsavoirsij’étaisattiréeparluiousijevoulaisterendrejaloux.—Et?—Rien.—Tumens.Si je luidisaisque j’avaisaimé, ildeviendraitenragé.Si je luidisaisquec’étaitseulementpour le
rendrejaloux,j’étaiscertainequ’ilrépliqueraitparun«Pourquoias-turecommencé,alors?».Coincée,jemepenchaiverssonoreilleetmurmuraid’unevoixlangoureuse:—Carlembrassedélicieusementbien. Jen’osemêmepas imaginercequ’il saurait faireaveccette
bouche,ailleurs.—Oceana…—Etquediredesalangue…Ah!Rickavaitrenversélasituationdanstouslessensduterme;àprésent,ilm’écrasaitdetoutsonpoids.—Jecroisquejevaistelaissergagnerdemain!memenaça-t-il.Jeressentaischaquetensiondesoncorps,samainagrippéefermementàmonpoignet,sespectoraux
appuyéssurmonbuste,sonbicepstendusurmonbrasfin,lafureurdesonregardplantédanslemien.—Sachequelaseulechosequimeretientdeluicasserlagueule,cesontlestroiscentmilledollars,
alorsnejouepasavecmesnerfs.—Ilm’appellelavanilledeRick.Alorsjepensequetun’asaucunsouciàtefaireaveclui,Dracula.
Mêmesijelesuppliais,ilneferaitriend’autreavecmoi.Ilabientroppeurdetoietiltientbientropàvotreamitié.—Tutetrompes.Ilapeurdetoietiltientàtoi!Ettun’auraispasbesoindelesupplier…
—Tais-toi,Rick,mehâtai-jededireenposantmonindexsursabouche.—Tusaiscequeçaveutdire,chuchota-t-ilavecmalice.Ilallaitm’embrasser!—Jecroyaisquenousdevionsseulementdormir…—Exact.Maiscommetoutepersonnebienélevée,jevaistesouhaiterunebonnenuit.
Chapitre27
Surprise
Rick n’avait toujours pas gagné son pari. Il était un peu plus de 19 heures, je tenais le bon bout.Pourtant,sonsourires’élargissaitàmesurequel’heureapprochait.Cen’étaitpasnormal.Je ne lui avais presque pas adressé la parole de la journée : la trêve était finie. Lui, en revanche,
m’avait cherchée toute la journée.Ouplutôt avait cherchéàm’énerver, àme faire craquer, àme fairerougir,àmefairerire.Il y était presque arrivé au supermarché. Il s’était précipité dans la galerie marchande, prétextant
vouloirrenouvelersagarde-robe.Puisilm’avaitrejointeàlasortiedescaissesavecunvigile.Feignantdenepasmeconnaître,ilavaitfaitcroireàl’énormebarracudaencostardqu’ilm’avaitsurprisedansunrayon,entraindefourrerunsoutien-gorgedansmonsacàmain.J’avaisdûsuivrelevigilejusqu’aupostedesurveillancedelagaleriemarchandepourendéballerlecontenuetprouvermabonnefoi.L’hommes’étaitconfonduenexcuses.Parvengeance,j’avaisenvisagéd’avancermonrendez-vousavecCarlàcesoir.Maisfinalement, je
m’étaisrésignée.Monsilencesemblaitletroubleretl’intriguer.—Commentfais-tu?medemandaRickenenfournantladernièrecuilleréedesasaladedefruitsdans
sabouche.Pourmeretenirdet’étrangler?Pasbiencompliqué.Jefixaissoncoubronzéetjemedisaisquejepréféraisynicherleboutdemon
nezplutôtquedel’entourerdemesmains–detoutemanière,jeneréussiraisjamaisàenfaireletour.—Oceana,jet’ensupplie,parle-moi.Pourt’insulter?Jehaussailesépaules.Non.Jepréféraisafficherunsourireencoinpourlefrustrer.Heureusement, dans quelques heures, le pari prendrait fin. Je n’aimais plus ce jeu du chat et de la
souris.J’avaisenviedelefrôler,demejeterdanssesbrasetdeplongertêtelapremièredanslebleuocéandesesyeux.—C’estridicule.Tum’aspardonnépourcequejet’aifait,jelesais.Ah bon ? Il m’avait fallu porter un foulard en plein été pour camoufler les marques de mon cou,
succomberàlachaleurétouffanteduclimattropical,menoyerdansmatranspirationetprendremonmalenpatiencependantpresquetroisheuresdanslesupermarché.Ah!C’étaitcertain,jeluiavaispardonné!—Tuaseudesnouvellesd’Ethan?Jeme retournai vivement vers lui, la bouche pincée.Mamèrem’avait envoyé unmessage, tard la
veilleausoir,pourmecertifierqu’Ethanallaitbien,quel’orageétaitpasséetqu’ellem’appellerait lelendemain.Illesavaitdéjàpuisqu’ilm’avaitlului-mêmelemessagedansmonlit.—Jevaisprendreunedouche,l’informai-jed’unevoixneutre.—Ah!s’exclama-t-il,lesyeuxpétillants.
—Seule,précisai-je.Curieusement,jenelusaucunedéceptionsursestraits.Jelavairapidementlavaisselle,toutenmeretenantdeluidemanderdemerejoindre,finalement.—Jeseraidansmonbureau,annonça-t-ilenprenantladirectionducouloir.J’étaiscertainequ’ilmanigançaitquelquechose.Je fonçai à la douche, presque pour le fun. Il fallait que je lui fasse perdre sesmoyens, que je le
déstabilise.Etj’avaismapetiteidéesurlamanièredontjedevaism’yprendre.Enpetiteculotte,jemefaufilaijusqu’àsapenderieetenrécupéraideuxaccessoiresindispensables.La
chemise blanche et la cravate. Sa chemise blanche et sa cravate… celle de la soubrette et de notrepremièrefois.Jetendisl’oreille:sonriremeparvint.Curieuse,jeprislecouloiretm’arrêtaidevantlaportedubureau.—Oui.Elleestsortiedeladouche.Avecquiparlait-il?Lasonneriedemontéléphonemefitsursauter.Dansunsprint,jerejoignismachambrepourrépondre.Maman.J’étaispeut-êtrecurieuse,maisj’avaisdesprioritésdanslavie.Ouplutôtj’enavaisuneseule:Ethan.—Allô!répondis-je,essoufflée.—BonjourNana.Çava?Lavoixenjouéedemamèremefitcomprendrequetoutallaitbiendesoncôté.—Oui,maman.CommentvaEthan?—Trèsbien,net’inquiètepas.Ilsaitquetufaistoutçapourlui.Et,commetoi,ilabesoindecraquer.Saufquemoi,j’avaistrouvéunenouvellemanièred’évacuermonstress.Ricketlegrandpouvoirdu
truc.—Jeneluireprocherien,c’estplutôtmoiquiculpabilisedenepasêtrelà.J’évitaisoigneusementdefermerlesyeux,parpeurdevoirapparaîtrel’imaged’Ethanhabilléenpetit
écolier.—J’yserai,meréconforta-t-elle.J’aiposélamatinéeetjeprendraidesphotos.—Qu’est-cequevousavezfaitaujourd’hui?—Jel’aiemmenéàRockawayBeach.Surprise, je fronçai les sourcils. Ethan était peut-être un amoureux de la nature, mais s’il y avait
quelquechosequ’iln’aimaitpastrop,c’étaitlaplageetlesbaignadesdansl’océan.—Ilaaimé?Non.Nemedisrien.Passe-le-moi,jeveuxqu’ilmeraconte…—Nequittepas,dit-elleavecunlégergloussement.—Maman!—Coucou,petitcœur,dis-jetendrement.—Coucou,maman.Çan’étaitpascommed’habitude.Commes’ilétaitoccupéàfaireautrechose,etqu’iln’arrivaitpasà
seconcentrerenmêmetempssurmaconversationetsonactivité.Entempsnormal,ilracontaitsajournéeendétail.Là,ilsetaisait.
—Qu’est-cequetufais?—Ça,c’estunesurprise.Maisqu’est-cequ’ilsavaienttousaveclessurprises!—Ahbon?J’entendisunfroissementdansletéléphone,commes’ilcouvraitlecombinédesamain,puisunevoix
masculineauloin.—Quiestàlamaison,Ethan?questionnai-je.—Mamieetmoi.Saréponsesonnaitcommeuneévidence.J’étaispourtantcertained’avoirentenduunhomme.—Turegardeslatélé?—Non,maman.Jet’aiditquejepréparaisunesurprise.—Ethan,passe-moimamie.—Rickmeditdetedirequ’ilfautquetulerejoignesdanssonbureau.—Rick?Je…Quoi?—Ilfautquetuaillesdanssonbureau,répétaEthan,amusé.Rick.Bureau.Çan’avaitpasdesens.CommentEthanpouvait-ilsavoirquiétaitRick–etsurtoutqu’il
étaitdanssonbureau?!Jemeprécipitaidanslecouloir.—Maman?Tuestoujourslà?Jetournailapoignéeetpénétraidanslebureau.Rickpassalatêtesurlecôtédesonécrand’ordinateuretsonsourires’agranditquandilm’aperçut.
J’avaisl’impressiondelerevoirlorsdesespremierspasdanslapiscine.Levisageilluminéparlajoie.—Elleestlà,dit-ilenfixantl’écran.—Àquiparles-tu?demandai-jedansunmurmure.—Jetelaisselesoindevenirledécouvrirpartoi-même.Ilreculasonfauteuildubureaupourmelaisserlaplacedevantlebureau.—Elleestoù?Jenelavoispas!J’aurais pu reconnaître parmi des milliers d’autres la petite voix qui sortait des enceintes de
l’ordinateur.Ilétaitlà.Mesyeuxseremplirentdelarmessirapidementquemavisiondevinttrouble.Mesjambessemirentà
flageoler.Sanscomprendrenicommentnipourquoi,jemeretrouvaisurlesgenouxdeRick.—Maman!hurlaEthan.Ilétaitlà,lesjouesrougies,unsourireauxlèvresetlesyeuxétincelants.Duboutdudoigt,jetouchail’écranetdessinailecontourdesonvisage.Ilétaitlà.Unmoisquejene
l’avaispasvusourire,crier,sauter,s’animer!Commentétait-cepossible?Oùmamèreavait-elletrouvécetordinateur?—Rick?Qu’est-cequ’ellea,maman?demanda-t-ilenfronçantlessourcils.Rickseraclalagorge.
—Elleestsurprise.Çaamarché,bonhomme.Jefrissonnaisurlebonhomme.—Moi,quandonmefaitunesurprise,jesautecommeunkangourou,répondit-il.Oui.Ilavaitraison.Etilnem’avaitjamaisvueperdremesmoyens.Leventrevibrantdepapillons,le
cœursoudainaussilégerqu’uneplume,j’affirmaid’unevoixéraillée:—Jevaisbien,montrésor.J’aijustedumalàcroirequetusoislà.Unsouriremalicieuxnaquitsurseslèvres.Jefondiscommeneigeausoleil.—Tusaisqueljouronest?Jesecouailatête.JevislamaindeRickpousserunpetitgâteauauchocolatsurlebureau;mamèreapparutalorsavec
unautregâteausurmontéd’unebougie.—Qu’est-ce…Je…balbutiai-je.Merde.Le3septembre.C’étaitmonanniversaire!—Joyeuxanniversaire!crièrentmamèreetEthansifortqu’ilsfirentgrésillerlesenceintes.—Tuescontente,maman?s’enquitEthan.Contente?C’étaitbienmieux!Bienplusquelacaressed’undouxsoleilauprintemps.Bienplusqu’un
baume à lèvres sur une bouche gercée. Bien plus qu’une dose d’antalgiques contre unmal de crâne.C’étaitl’euphorie,lebien-êtreabsolu.—Jecroisquec’estlaplusbellesurprisedetoutemavie!Merci.—Faissemblantdesouffler,maman,jet’aide,s’excitaEthan.—D’abordunvœu,montrésor!Jefermailesyeuxquelquessecondes,feignantdetrouverquelquechoseàsouhaiter.Monchoixétait
vitefait.Soncœur.Jehochailatêtepourl’avertirquej’étaisprêteetm’approchaidel’écran.Aumomentoùjemimaisuneboucheencœur,Ethansoufflamabougie.—Désolé.Jen’avaispasdebougie,murmuraRickdansmondos.Jejetaiuncoupd’œildansl’angledel’écran,làoùunepetitefenêtrereflétaitcequeEthanetmamère
voyaientdenous.Lebureaudissimulaitmoncorpsàpartirdemapoitrine.J’étaispresquesoulagéedesavoirquemamèreneverraitpasmesjambesnues.J’attrapaiunedesmainsdeRicket laposaisurmonventre.Cetécrand’ordinateurvalait toutes les
bougiesd’anniversaire.Ilméritaitamplementsonbisousurlajoue.Aprèscetteconversationvidéo…—Raconte-moiRockawayBeach!m’exclamai-je.—J’aivudessurfeurs!Jevoudraisessayer,moiaussi,commeRick.Commentça,commeRick?—C’étaitcommetum’avaisraconté,dit-ilàRick.Jemedemandecommentilsfontpourtenirsurla
plancheautantdetemps.(Ilregardaverslacuisine.)J’aiessayésousladouchesurundesplateauxdecuisinedemamie,j’aifaillitomber,chuchota-t-il.J’imaginailescheveuxd’Ethanrougisdesang,satêteheurtantlecarrelagedelasalledebains.—Ilnefautpasfaireçasansunegrandepersonne,Ethan,lesermonnaRickendissimulantunrire.Je repoussaimon envie d’en savoir un peu plus sur ce queRick lui avait raconté et surtout à quel
momentill’avaitfait,etluipromis:
—JeterapporteraiunevraieplanchedeMiamietonaviseral’annéeprochaine.Maispromets-moideneplusrecommencersousladouche,Ethan.—D’accord,dit-ilenhaussantlesépaules.Mamèredéposaunepartdegâteaudevantlui.—Est-cequec’estlamême?demanda-t-ilavantdedégustersapremièrebouchée.—Lamême?Ilavalarapidement,etseslèvrescouvertesdechocolats’agitèrent:—L’eau.Est-cequ’elleestpareillequ’àNewYork?—Je…jen’ensaisrien,trésor,jen’aipaseul’occasiond’yaller.JesentislesdoigtsdeRicksecrispersurmonventre.Jemerappelaiscequ’ilavaitdit:s’ilpouvaitle
faire,ilm’emmèneraitvoiruncoucherdesoleilàMiamiBeachounagerdansl’océanaveclesdauphins.Jevoulaismoiaussilefaireaveclui.Jeserraisesdoigtspourlerassurer.—Maisjesupposequeçadoitêtrelamême,repris-je.—Elleestpluschaudeici,complétaRick.Ethansouritavantd’avalerunenouvellebouchée.—Laseulechosequejen’aimepasàlaplage,c’estlesable.Ilcollepartoutsurlacrème!Sagrimacemefitsourire.—Oui,maislacrèmec’estimportant,çaévited’avoirdescoupsdesoleil.N’est-cepas,Oceana?dit
Rick.Ilneperdaitrienpourattendre.—Tuenmets,toi?demandaEthanàRick.—Pastoujours.—Pourquoi?—Jen’ypensepas.—Pourquoi?—Je…euh…balbutiaRick.Ah!Jemeretinsdeglousserenlevoyantperdrecontenancedevantunenfantdecinqans.—Ethan!grondamamère.—Lesadultesnefontpastoujoursleschosescommeillefaut,montrésor,commentai-je,perfide.Aprèsavoirparléunedemi-heuredesalligatorsdeFloride,desouragansetde laguérisondeRick,
vintlemomentdesecoucher.—Vouspourrezvousappelertouslessoirs,lerassuraRick.Jetel’aidit,Ethan,l’ordinateurestàtoi.L’idéenemeplaisaitguère.—Jeteremercie,mais…—J’aidit«àEthan»,Oceana,mecoupaRick.Mamèreseretenaitderire,jelevoyais.Enquoilasituationétait-ellerisible?—Àdemain,trésor.Jet’aime.Faisdebeauxrêves.—Moiaussijet’aime,maman.Àdemain,Rick!
Il m’envoya un bisou soufflé, que je rattrapai en vol pour le coller sur ma bouche et le renvoyeraussitôt.L’écrandevintnoir.Jedusprendreunegrande inspirationpourme retenirdepleurer. J’allais le revoir le lendemain.Et
touslessoirs,jusqu’àmonretouràlamaison.—Joyeuxanniversaire,Vanille,soufflaRickdansmondos.Jem’affaissaicontrelui.Ilm’entouradesesbraspourmeréconforter.Ildevaitsedouterquej’avais
l’impressiond’êtretombéedemonpetitnuage.—Enquelhonneur,cettetenue?demanda-t-ilenfaisantglisserundoigtsurunedemescuisses.—D’abordmesquestions.—Jet’écoute.Jemeretournaipourmeplaceràcalifourchonsurlui.—Comment as-tu fait ? Jeveuxdire, nous sommes tout le temps ensemble.Tunem’aspasquittée
d’unesemelledepuistroisjours.—Pastoutletemps,Oceana.Lundi,jesuissortiseul,tuterappelles?C’estàcemoment-làquej’ai
commandél’ordinateuretquejel’aifaitlivrer.Etmercredisoir,j’aitestélalignependantquetuétaissousladouche.Etjeudiaussi.—Etlegâteau?Ilsoupira,ouvritletiroirdesonbureauetensortitunpaquet.— J’ai demandé à Carl de le livrer pendant que nous étions au centre commercial cet après-midi.
Tiens,ilalaisséçapourtoi.Jegrimaçaienremarquantsessourcilsfroncés.Lepaquetcontenaitunlivrederecettes.Cocktailssans
alcool.Jememordis la jouepourmeretenirderire,maisungloussements’échappanéanmoinsdemagorge.PuisjereposailelivresurlebureauderrièremoietmejetaiaucoudeRickpourembrassersajoue.Sousmeslèvres,jelesentissourire.Ilavaitgagné.—Toncadeauvautbienmieuxqu’unlivresurlescocktails,murmurai-jeàsonoreille.—Maisçan’étaitpasmoncadeau.J’aibienmieux.Enfin,jecrois.Ouplutôt,j’espère.Ilouvritunenouvellefoisletiroirdesonbureauetensortituneenveloppe.—Neteméprendspas,ilnes’agitpasdestroiscentmilledollars.Ilmetenditl’enveloppe.Lecœurbattantlachamade,labouchesèche,jelapris.Qu’est-cequipouvait
êtremieuxquedevoirmonfilslejourdemonanniversaireettouslesautressoirs?Lesdoigtstremblants,jel’ouvris.Desbilletsd’avion.—Çan’estqu’unesemaine,Oceana,maisjemesuisditqu’Ethanavaitbesoindesamamanpoursa
première…Je ne lui laissai pas le temps d’en dire plus etme précipitai sur sa bouche.Mes larmes coulaient.
J’étais tellement excitée que j’aurais voulu hurler aumonde entier que personne ne pouvait être plusheureusequemoi!—Merci.Merci.Merci.Merci,dis-jecontresabouche,enl’embrassant,enleserrantdetoutesmes
forcescontremoi.
J’avaisl’impressionqu’onm’avaitsoulagéed’unpoignardrestétroplongtempsplantédansmoncœur.Commesiçafaisaitdessemainesquejeportaisunlourdfardeau.—Jecroisquej’aigagné,murmura-t-ilsousmesbaisers.Jerevinsàmoietmeredressai.—Hum,dis-jeenhochantlatête.Toutcequetuveux.Ilpritmonvisageentresesmainsetlerapprochadusien.—Je(bisous)pars(bisous)avec(bisous)toi.Jeremisdel’ordredansmatête…Ilpartaitavecmoi.
Chapitre28
Doutes
Je ne voulais pas me laisser envahir par le doute. J’allais assister à la première rentrée scolaired’Ethan,grâceàRick:iln’yavaitrienàdiredeplus.Jedéposaiunrapidebaisersursaboucheetmedégageaidesonétreinte.—Quelestleproblème,Oceana?Ilconnaissaitdéjàlaréponse.Ilallaitêtreleminusculeproblème.—Aucun.JeparsàNewYork,mentis-je.Quand, d’ailleurs ? J’ouvris l’enveloppe tout enmarquant une pause à l’entrée du bureau.Demain.
Demain!Monbonheurbalayamesappréhensions.Jeserrail’enveloppecontremapoitrineetfermailesyeux,apaisée.J’auraispufairelekangourou,commeEthan.—Oceana?Tamèreestaucourant,maispasEthan.Ilnousverraàsonréveil.Nous?Est-cequ’ilcomptaitdormirdansnotreridiculepetitappartementtouslessoirs?Finalementle
problèmedevenaitunpeuplusgros…—Est-cequetues…hum…encolère?Encolère?Pourquoivoulait-ilquejesoisencolère?Ilallaitmepermettred’assisteràlapremière
rentrée scolaire d’Ethan. Je le verrais pendant une semaine. Une semaine entière, où je pourraisl’emmeneretallerlechercheràl’école.Sixsoirsàluichantersaberceuse,àluiliredeshistoiresetàleborder.Sixnuitsoùj’auraisàloisirletempsdel’admirer,dormantetsouriantdanssesrêves.Sixmatinsàmeréveilleravecladoucemélodiedesavoixangélique.Moncœurs’emballa,et jeflottaisurlecarrelage, telleunebulledesavondanslesairs, jusqu’àma
chambre.—Oceana…Ricksemblaittourmenté.Pourquoi?Non,jevoulaislaissertouteslesquestionsensuspens,neplusy
penser.Jevoulaisqu’ilcomprennel’étatdanslequelilmemettait.J’étaisheureuseetjevoulaislerester.Jedéposailesbilletssursatabledechevetetmeretournai.Rickavaitl’airméfiant,incertain.Comme
s’ilpensaitquej’allaisexploserd’uneminuteàl’autre.D’unsourire,jetentaidelerassurer.Jevoulaisluidireàquelpointj’aimaiscequ’ilfaisaitpourmoi,
mais lesmots restaient coincés dansma gorge. J’avais si peur qu’ils se transforment en un simpleJet’aime.—Revienssurmesgenoux,mesupplia-t-il.Jesecouailatête.—Jeveuxjustetesentircontremoi…Moiaussi.Maispassursonfauteuil.Jevoulaisplusquedesimplesbaisersetdesimplescaresses.—Jen’aipasfaittoutçapourm’excuser,Oceana.J’avaistoutpréparébienavant.
Avant cette nuit marquante et tumultueuse. Il aurait pu tout annuler et se contenter de l’écrand’ordinateur,aprèsmasoiréeavecCarl.Maisilm’avaittoutdemêmeoffertunmerveilleuxséjouràNewYork.Etc’étaitseulementpourçaquejenepouvaispasluireprocherdeveniravecmoi.—Jesais.Jenet’enveuxplus.Depuislongtemps,d’ailleurs.Jeveux…Jevoulaismettremesdoutesetlessiensdecôté.Jevoulaisleserrercontremoietluidireàquelpoint
jel’aimais.Etjevoulaisluirappelerqu’ilyavaitEthan.Jevoulaisqu’ilflotteavecmoidanscettebulleetqu’ilpartagemajoie.Ils’approchademoietpritmamain.—Est-cequetuasencoremalàtesjambes?demandai-je.—Pourquoi?—J’aifollementenvied’unbaindeminuit.Avectoi.Mêmes’iln’estpasminuit.Unsourirenaquitsurseslèvres,etsesyeuxdescendirentsurmoncorpsavecindécence.—Jenesuisplusindisposée,Monsieur-qui-rougis-aux-trucs-de-filles.—Iln’étaitpasquestiondeça.Jemedisaisjusteque…(Ilplissalesyeux.)Non.Aveupouraveu.—D’accord.J’ouvrislabaievitréeetmelaissaitransporterjusqu’auborddelapiscine.Lejardinétaitplongédansl’obscurité.Commepourmonpremiersoiràlavilla,seulelalumièrede
machambrefiltraitsurlaterrasse.Jefermailesyeuxl’espaced’uninstantpourmelaisserenroberparlabrisechaudedel’ététropical.J’entendis, derrière moi, un bruit que je connaissais bien. Rick avait délaissé le fauteuil pour les
béquilles.Ils’approchademoietsoufflasurmanuque.—Onaditaveupouraveu…Ilétaitsigrand,sirobuste,siimposant…J’aimaiscettesensation.Mesavoirensécuritéetdominée.
Croirequequelqu’und’autrepouvaitprendrelesdécisionsàmaplace.Pasn’importequi:justelui.—Après,Rick,promis-je.Dosàlui,j’entreprisdedéfairelepremierboutondemachemise,maissamainmeretint.Sabéquille
tombaavecfracasdansl’eau.—Gardemachemise,murmura-t-il.Savoixavaitpriscetteintonationgraveetrauquequimefaisaitvibrer.Sonautrebéquillerejoignitla
première,etsesdoigtssoulevèrentmescheveux.Jedusprendreunelongueinspirationpournepasgémiraufrôlementdeseslèvresdansmoncou.Lespapillonsdansmonventrevolaient.Saboucheetsalanguevoguaientprèsdemonoreille.—Baindeminuit,réussis-jeàdireavantdeluiéchapperetdesauterdanslapiscine.L’eau était encore chaude du soleil de la journée. Je fis quelques brasses et remontai à la surface,
essoufflée.Rickn’avaitpasbougé.Ilsecontentaitdemeregarder.J’attrapaisacravatequej’avaiscoincéedansmaculotteetlaluitendis.—Est-cequejedoisgarderçaaussi?demandai-je,l’airderien.Ses sourcils se relevèrent, puis il retira son T-shirt et s’élança tête la première dans la piscine,
provoquantunpuissantremous.
C’étaitsanouvelletechnique.Iln’avaitplusbesoindulève-maladeetpouvaitsortirdelapiscineens’aidantdesesbéquilles.J’entendis le clapotis de l’eau contre le carrelagede la piscine, je la sentis onduler autourdemoi,
perler sur mon visage, et ma bouche s’assécha de le savoir quelque part, immergé, à l’abri de mesregards.L’excitationnaissaitenmoi.J’étaisuneproieattendantd’êtredévorée.Soudain,sesmainsfirentpressionsurmesflancset,alorsquesatêteémergeaitdel’eau,ilm’attiraà
lui.Instinctivement,j’enroulaimesjambesautourdeseshanchesetmesbrasautourdesoncou,serrantentremesdoigts sacravate.Sesyeuxplongèrentdans lesmienset ravivèrentune intensechaleurdansmonventre.Jem’emparaiavecdélicatessedesabouche,absorbantsonsouffleardentetrapide,commes’ils’agissaitdumeilleurgâteauauchocolatquejepuissedéguster.Jenevoulaisrienenperdre,aucunesaveur,aucunarôme.—Aveupouraveu,dis-jeenfin.Ilhochalatête.—J’aipeurdecequ’ilvasepasseràNewYork.Ilmedévisagea.Oui. Ildevinait.Oùallait-ildormir?Est-ceque j’allaispouvoirmepasserdeses
caresses et de ses baisers alors qu’il se trouverait à quelques mètres de moi ? Et surtout, Ethancomprendrait-ilqu’ilyavaitce trucentrenous?Qu’enpenserait-il?Etsi riennefonctionnait?EtsiRickserendaitcomptedecequesignifiaitréellementavoirunenfant?S’ilpartait?—Moiaussi,avoua-t-il.N’ypensepasdecettefaçon.Sabouche s’empara à son tour de lamienne.Avec autant de douceur.Comme si, pour lui aussi, je
devenaislachoselaplusimportanteàpréserversurTerre.Jesentislecarrelagefroidcontremondos.Lepoidsdesontorsesurmapoitrine.—Àtoi.Àquoipensais-tu,toutàl’heure?Jevoulaisunsursis.Jevoulaismerappeleràlaraison.—Jepensaisquej’avaisenviedetoi.—Avais?fis-jeminedem’offusquer.—Maintenant,c’estplutôtterriblementenviedetoi.Jememordisl’intérieurdelabouchepourm’empêcherdeluidireque…moiaussi.Quejeledésirais
tellementfortqueçaendevenaitpresquedouloureux.—Etjenesuismêmeplussûrdevouloirtevoiraveccettechemise,reprit-il.Sesmainss’évadèrentsousletissu,remontantmesreinsduboutdesesdoigts,avectantd’application
quej’enimaginailetracé.—Etmoi,jecroisquejevaislagarderdanscettepiscine.Jegardetachemiseetmaculotte,ettoiton
shortdebain.J’avaispeut-êtreenviedelui,maisjen’étaispasstupide.—Putaindepréservatifs,lâcha-t-il.Jehochailatête,ilavaitcompris.—C’estnotreseulmoyendecontraception,insistai-je.Jenevoulaispas revivreça. Jenevoulaispasme retrouverunenouvelle foisenceinte,mêmesi la
situationpouvait être différente avec lui. Je ne prendrais pas le risquede le voir partir, ni de le voirresterparobligation.
—Demain,jemerendraidanslapremièrepharmacieouverte,jeleurachèteraiuneboîtedepilulesetj’enmettraiunedanstoncafétouslesmatins.—L’idéemeplaîtbien.Jem’enoccuperaimoi-mêmeenrentrantàNewYork.Qu’est-cequejevenaisdedire?!C’étaitunpeucommesijeluipromettaisdevoirplusloinqueces
quelquessemainesquinousrestaient…—Dequoias-tupeur?—Jesuistellementheureusedetoutcequetuviensdemefairevivrequejeneveuxpastoutgâcheren
parlantdemespeursmaintenant.S’ilteplaît.Iltournalatêteverslachambre.Jedevinail’idéequinaissaitenlui.—N’ypensemêmepas,l’avertis-jed’untonautoritaire.—J’aimeraistantpouvoirteporterjusqu’aulit.—Tufaisdéjàtellementplus,Rick.Etjetepariequetuserasdansmachambreavantmoi.J’aideux
outroistrucsàrécupéreravantdeterejoindre.Jem’agrippaifermementàsoncouetretinsmarespirationpourmelaisserentraînersousl’eauavec
lui.Entredeuxbulles,jeluidonnaiunrapidebaiseretlelâchaipoursortirdelapiscine.Enentrantdanslamaison,dégoulinante,jepriaiintérieurementpourqu’ilneglissepassurlesflaques
quej’avaislaisséessurlecarrelage.Monparin’étaitpasraisonnable.Qu’est-cequil’étaitdanstoutça?Iln’étaitpasraisonnabledecoucheraveclui.Iln’étaitpasraisonnabledepartiràNewYorkaveclui.Iln’étaitpas raisonnablede laisserEthan l’apprécier,nideme torturerenrefoulantmessentimentspourlui.C’était peut-être ça,monproblème. Jevoulais êtredéraisonnée, làoù jem’efforçaishabituellement
d’être lamaman et l’infirmière idéale.Mais àNewYork, je redeviendraismoi-même : je ne voulaisprendreaucunrisquepourEthanet j’avaispeurqueRickbouleversetoutesmesrègles.Unpeucommes’ildevenaitunenouvelleinconnueàmonéquationparfaite.Jemedébarrassaidelachemisetrempéedanslasalledebainsetm’emmitouflaidansmonpeignoir
blanc.J’ensortisunautreetlelaissaisurmonlitpourRick,puisj’allaichercherunepetitecuillèredanslacuisine,récupérailegâteauauchocolatdanslebureauetterminaiparlaboîtedepréservatifsdanssatabledechevet.Ellerejoignitlapetitecuillèredansmapoche.—Jen’aipastrèsenviedegoûteraugâteauauchocolatdeCarl,annonça-t-ilenmevoyantentrerdans
lachambre.Ilavaitabandonnésonshortprèsdesachemisesurlesol.Assis,ledosappuyécontrelatêtedelit,
vêtuluiaussidesonpeignoirdebain,ilavaitretrouvésaplacedelaveille.Lalumièredemalampedechevetsereflétaitsursescheveuxtrempés,dontledésordremedonnaitenviedelesdiscipliner.—C’esttoiquiluiascommandécegâteau?interrogeai-je.—Jesaisquetuaimeslechocolat,soupira-t-ilcommes’ilcomprenaitmonmanège.—Alorsons’enfoutdesavoirsic’estCarlouquelqu’und’autrequil’aapporté.Enfin,ons’enfout
tantquejenem’étouffepasavecunebaguedefiançaillesglisséeàl’intérieur.—N’importequoi!Jem’installai à califourchon sur lui et récupérai la petite cuillère dansmapoche. Il empoignames
fesses pour me rapprocher et laissa ses mains posées sur elles. J’allais devoir une nouvelle fois lenourrir,etl’idéedelefairem’excitait.Je glissai la cuillère dans le carré de chocolat et la portai à ses lèvres.Les yeux plongés dans les
miens,ilgobalemorceaudegâteau.Jedéglutistantl’imagedeseslèvressurlecouvertmefitsaliverd’envie.—Redis-le.—N’importequoi?—Non.Cequetum’asditdanslapiscine.Ilréfléchit.—Putaindepréservatifs?Jesecouailatête,puisprisuneàmontourunebouchéedegâteau.Troischocolats.Ilnes’agissaitpas
degénoise,maisdemousse.Excellentet tellement légerenbouchequejenemecontenteraissûrementpasd’uneseulebouchée!—Avantça,précisai-jeenavançantlacuillèreverssaboche.Ilfeinta:—Moiaussi,j’aipeur.Jem’octroyaid’autoritélabouchéesuivante.—Arrête,defairel’idiot,Rick.Ilôtasesmainsdemesfessesetmesubtilisalacuillèreetlegâteau.—J’avaisterriblementenviedetoi,menargua-t-il.Piquée,jecroisailesbrassurmapoitrine.—Avais?Ilpritunairrêveur,léchagoulûmentlacuillère,puisannonça:—Disonsquecegâteauauchocolatserévèledélicieusementbon…Laphrasedetrop.Jem’emparaidelacuillèreetdel’assietteetlesposaisurlatabledechevet.—Puni.Plusdegâteau.Ilmepritdanssesbrasetbasculasurmoi.Sacuisses’inséraentrelesmiennes.—Etquecomptes-tufairemaintenant,O-ce-a-na?articula-t-il.—Jeseraistentéed’allerdormirdansunedeschambresd’ami,réussis-jeàdire.Etjenemanquerai
pasdefermerlaporteàclefpourt’empêcherdem’yrejoindre!Sesyeuxbleussemirentàmedétailleraveclenteur,commes’ilvoulaitgarderenmémoirecequ’ils
voyaient.—Çavaêtrecompliqué,murmura-t-il.Samaineffleuramahanche.Jenepusm’empêcherdegémir.Saboucheaspiralamienne.Sesdoigts
remontèrentsurmonventre.—Defairecommes’iln’yavaitpascetrucentrenous,reprit-il.SescaressesmefaisaientpresqueoubliersespenséespourNewYork.Presque.Sesdentsagrippèrent
malèvreinférieure.Sansbrutalité.—Defairecommesijen’avaisjamaistouchécettebouche…Sesdoigtsdéfirentlaceinturedemonpeignoir;sesbaisersbrûlantsethumidesparcoururentmoncou
jusqu’àmapoitrine,dontlespointessedurcirent.—Defairecommesijenet’avaisjamaisvuedanscetétat.
Instinctivement, j’appuyai ma cuisse sur son membre. Il tressauta à mon contact. Mes jambess’enroulèrentautourdelui.Mesmainssecrispèrentdanssescheveux.Jetiraidessus.Rickrapprochasonbassindumien.Jepassaimesmainssoussonpeignoiretleluiôtai.Ilseredressasursesgenouxetmecontempla.Monsexe,exposéàsavue,mebrûlait.Jemedébarrassaiàmontourdemonpeignoir.—Defairecommesijen’aimaispastevoircommeça…Je l’attrapai par la nuque pour l’attirer contre moi. Il retomba sur ses bras tendus. Nos lèvres se
mêlèrent, se délectèrent dugoût de chocolat qu’elles trouvaient dans la bouchede l’autre.Unede sesmainss’introduitentremesjambes.Sonpoucetouchamonclitoris.—Defairecommesijenesavaispasàquelpointtupouvaisêtretrempéeici…Sontonrauquem’incendiaalorsqu’undesesdoigtsmepénétraitlentement.Troplentement.Pasassez
loin.Jepoussaisursamainpourleluifairecomprendre.Unva-et-vientplusappliquémefittremblertantil était parfait.Parfait.Son autremain attrapamon sein.Sa langue joua avecmon téton.Ses lèvres lepincèrent.Lachaleurmontaitenmoi.—Defairecommesijenesavaispastedonnerdeplaisir…Jelaissaidecôtémesappréhensions.Seulavaitdel’importancel’instantprésent.Lebruitrauquede
nosrespirations,l’oreillermouilléderrièrematête,seslèvrespassionnéessurmesseins,l’airfraisdelaclimatisationsurmescuisses,sesdoigtspénétrantmonvagin.—Depasseroutrelefaitquej’aimetevoirjouir…Mesonglesseplantèrentdanssoncou.Ilengarderaitdesmarques.Jem’enfoutais.Rienn’étaitplus
importantquelachaleurquiirradiaitdemonvagin.L’explosionm’arrachadesgémissementsinhumains.C’étaitsibon.Sibon.Jejouisintensément.Lecerveauembrumé,lestempesbattantes,j’entendislebruitmétalliquedelapochettedespréservatifs
qui se déchirait. Il se redressa au-dessus demoi et saisit son pénis d’unemain pour l’enfiler. Jemedemandaiencoreunefoiscommentilpouvaitentrerenmoi.Maseulecertitude:jelevoulaisenmoi.D’unemain, il guida sonmembre jusqu’àmon antre. Je frémis en le sentant si près et passai mes
jambesautourdesonbassin.Lentement,délicatement,ilmepénétra.Jemecontractaiautourdelui,restedemonprécédentorgasme,alorsqu’unsongutturalsortaitdesabouche.Sesmainss’accrochèrentfermementàmeshanches,etsonbassins’agita.J’étaiscertainedepouvoir
grimper jusqu’au plafond tant la sensation de son membre en moi était puissante. Alors que je mecambraispourl’accueillirplusloin,ils’immobilisaetfermalesyeuxuninstant.—Doucement,Vanille.Jeveuxyallerdoucement.Çaneserapascommeladernièrefois,OK?Contre toute attente, je fis non de ma tête. Je voulais qu’il soit doux et brutal à la fois. J’aimais
l’animositédesescaressesetladouceurdesesdentssurmapeau.—Çan’estpasunedemande,Vanille.J’aitellementenviedetoiquetumeferaisdéraillerenmoinsde
tempsqu’ilnelefaudrait.Savoirquej’avaisdupouvoirsurluidécuplamondésir.Jelerendaisivreetfoudemoi.Jeluifaisais
perdrelecontrôle.Sesmouvementsvoluptueuxreprirent.Sesmainssefirentpluspressantessurmesseinsetmeshanches.
Saboucheplusavide.Maisjevoulaisplus.Toujoursplus.—Qu’est-cequetuveux,Oceana?Jememordislalèvreinférieure.—Tuveuxquejetemorde?haleta-t-il.
Jehochailatêtelentement.—Jeneveuxpastefairemal…La lumière de la lampe de chevet luisait sur son torse imposant, dessinant chacun de ses muscles
bandés.—Pasmal,maisvivre,susurrai-je.Ses dentsmeurtrirentmon téton. Ravivant une douleur que la succion de ses lèvres effaça presque
immédiatement.Jegémis,entresesbras,soussescoupsdebassin,plusfortsetplusprofonds.Jebrûlais.—Encoreplus,murmurai-jesansbienenavoirconscience.Jevoulaisledévorer,l’engloutir.Jevoulaislesentiretnepasl’oublierpendantunesemaine.Ilpassa
mesjambessursesépaules.J’étaissavanille. Ildéposaunbaisersurmacuissepuismepénétraavechargne.Jem’arc-boutaisouslechoctoutengémissant«encore».Ilanimameshanchesàlarencontredesonbassin.J’étaisenincandescence.J’explosaicontrelui,autourdelui,soussonregardfiévreux.—Bordel,Vanille,je…Saphraserestaensuspensaprèsunderniercoupsipuissantquejedusmemordrelalèvrepourme
retenirdehurler.Ilgémitpourmoi,laboucheouverteetlesdoigtsplantésdansmesfessesàm’enfairedesbleus,avantdes’écrouler surmes jambesde tout sonpoids.Épuiséetessoufflé, il se laissaallercontremoi.Jel’entouraidemesbrasavectendresse,jouaiavecsescheveuxemmêlés.Soncœurbattaitaussivitequelemien,sonsexepulsaitencoredansmonvagin.C’étaitdivin.—Çanevapasêtrecompliqué,dis-jed’unevoixrauque.Çavaêtreterriblementdifficile.Jeneveux
pasqu’Ethansachequoiquecesoit.—Jem’endoutais.Ilseredressaets’assitàcôtédemoi.—Jesuisdésolée,Rick.Jememisàgenouxetmecollaiàsondos.Iltournalatêteetmesouritavecunetelletendressequesi
j’avaisétéunebouledeglace(auchocolat),jeseraisredevenuecrème.—Nelesoispas,Vanille.Jenet’enveuxpas.(Ilretiralepréservatifetlenouaavantdelejetersur
sonshortàl’autreboutdelapièce.)J’aijustepeurquecettesemaineavecEthanchangeleschoses.—Qu’est-cequetuveux,toi?osai-jedemander.Jedégageaiduboutdudoigtunemèchedecheveuxcolléesursonfront.Sesyeuxplongèrentdansles
miens.—Jeteveux,toi.Au-delàdel’envoldepapillonsdansmonventre,l’angoissemeprit.—Malheureusement,noussommesunlot.Ethanetmoi.MoietEthan.Tulesais.Unenfant,çan’estni
reprisniéchangé.C’estpourlavie.Sesdoigtsvoyageaientlelongdemesjambes.—Oui,jelesais.Jenetereprochepasd’avoirEthan.J’aijustepeurdenepassavoirgérer.J’aijuste
peurdenepassavoiretdenepaspouvoir.Pouvoirfairecequejeveuxpourlui,avecluietpourtoi.Avectoi.Pournous.Nous…IlavaitditNous…—Laissonslasemainepasser,Dieudusexe,articulai-jeavecdifficulté.Sonrireemplitlachambre.
— Tu préfères peut-être que je t’appelle Monsieur-qui-rougis-aux-trucs-de-filles ? le taquinai-je,soulagée.
Chapitre29
Atterrissage
Dansunedemi-heure,jeseraischezmoi.Jen’avaispasfermél’œildetoutlevoletj’avaispassémontempsàregarder lesminutesdéfilersur lamontredeRick.Sibienqu’ilavaitfinipar la laissersur latablettedevantmoi.Bienenvue!Nous avions récupéré nos bagages et nous attendions devant l’aéroport qu’un certain Peter, ami de
Rick,viennenouschercher.—Nousaurionstrèsbienpuprendreuntaxi,remarquai-je.Rickm’offritunsourireenguisederéponse.—Carlaplutôtbienprislachosecetaprès-midi,autéléphone,ajoutai-jepourluidélierlalangue.Iln’avaitpasditunmotdepuisnotredépart,saufpourmelaisserentendrequ’iln’aimaitpasprendre
l’avion.Ilétaitàprésentsurlaterreferme,ilpouvaitparler!Àmoinsquemamèreleterroriseautantquel’avion?Ellen’étaitpasundragon.Loindelà!Àconditionqu’elleneremarquepaslesmarquessurmapoitrine…—Jeluidoisdeuxrendez-vouslasemaineprochaine,poursuivis-jeenfeignantderegarderlaroute.—C’estbiencequim’inquiète,murmura-t-il.Carlm’a laisséentendrequ’il t’embarqueraitpendant
deuxjours.Pasqu’ilviendraittechercherdeuxsoirsd’affilée!J’accusailecoup.DeuxjoursavecCarl.—Bizarrement,jenesuisplusleseulàavoirlaissémalangueàMiami,rétorqua-t-il.Bon,ilestlà.Quiça?Carl?Jefusrassuréedeconstaterqu’ils’agissaitseulementdePeter.—VousdevezêtreOceana,medit-ilenmetendantlamain.Ilouvritlecoffredesavoitureetchargealesbagages.Nousyétions.Jerentraischezmoi.Unebrise
fraîcheeffleuraitmonvisage.Nousn’étionsplusàMiami,maisbienàNewYork.Jeprisplaceàl’arrièreduvéhicule.C’étaitunevraievoituredeparents.Deslingettes,uneboîtede
mouchoirs en papier, des emballages de bonbons et desmiettes de biscuits sur la banquette, un siègeauto…—Jesuisdésolé,nousn’avonspaspuveniraprèstonaccident,àcausedelagrossessedeWendy.Tu
asl’airenforme,ditPetertoutenconduisant.PeteretWendy?Etleurfilles’appelaitClochette?—Jen’étaispasnonplusàl’articledelamort,éludaRick.Troisjoursdecoma,lesmembresrestructurésenacierinoxydable,letorseetleventretravailléàla
manièred’OctavePixel(peintrecontemporain),iln’avaitjamaisétéàl’articledelamort.Non.Presquepas.—Wendyvoudraitquevousveniezdîneràlamaisoncettesemaine.
—IlfautvoiravecOceana,c’estsasemaine,sedéfaussaRick.—C’estlapremièresemained’écoled’Ethan…—PourLily,notrefille,aussi.Nousavonsdelaplacepourlefairedormir,etpuis,sivousvenezen
find’après-midi,vousnerentrerezpastard.Wendyseraenchantéedepouvoirenfinserendreutile!—Jesuiscertainqu’elletrouvetoujoursquelquechoseàfaire,semoquaRick.—Ellearefaitladécodetoutelamaisonaumoinsdixfoisdepuisledébutdelagrossesse,cuisine
pourquinzepersonnestouslesjours–jenemonteplussurlabalance,d’ailleurs(Iltapotasonventre.)–,et j’ai peur de consulter le compte bancaire quand elle me dit qu’elle a passé sa journée au centrecommercial.Ricksemitàrire.J’auraispeut-êtredûleurexpliquercequec’étaitqued’êtreenceinte:lesnausées,
leshémorroïdes,lesréveilsincessantslanuit,lesvergetures,lesjambesgonflées,etjeneparlaismêmepasdel’accouchement!—QuelâgeaEthan?medemandaPeter.—Cinqans.—Lilyvasursessixans,ilsdevraientbiens’entendre.Jen’endoutaispas.J’apprisdurant le trajetqueWendyentamait sonderniermoisdegrossesse etque lebébé serait un
garçon.Wendy travaillait comme décoratrice d’intérieur (avant Lily) et Peter comme chargé d’étudesdansuncabinetd’étudesetdesondages.Nousavionsfixélasoiréeaumercredipourledîner,cequimelaisseraitdeuxsoirsauprèsdemamère.Puisnousétionsarrivés.Lecœurbattantàtoutrompre,j’avaisgravi les trois marches qui permettaient d’accéder au porche de mon petit immeuble de cinq étages,suivieparRicksursesbéquillesetparPeter,portantlefauteuilreplié.—Vouspouvezle laisser ici, indiquai-je.J’occupelerez-de-chausséeetEthannesaitpasquenous
rentrons.Jenevoudraispasleréveiller.Jevoulaissurtoutnepasavoiràcraquerdevantuninconnu.—Àmercredialors,jeprendraimonaprès-midi,nousinforma-t-ilendéposantlefauteuil.Voilà.Nousyétions.Dansquelquesheures,jeverraisEthan.Montrésor.Maislà,devantlaportede
monappartement,j’avaisbesoindeprendremontemps,derefoulermeslarmesetd’empêchermesmainsdetrembler.—Çavabiensepasser,chuchotaRickcontremonoreille.—Fais-moipenseràquelquechose,n’importequoi,quimemetteenrogneouquimefasserougir,tu
aslechoix,répliquai-je.—IlétaitquestiondequoiavecCarl,toutàl’heure?Àquoitupensais?Àtesmainssurmeshanches,tabouchedansmoncou,tapeausurlamienne.—JepensaisseulementàlapuissancedemonDieudusexe…Ilgloussadansmoncou.—J’aimesavoirquetupensesàmoi.Ildéposaunbaisersurmanuquealorsquesonbassinsepressaitaucreuxdemesreins.Commentallais-jefairepourtenirunesemaine?—Çavabiensepasser,Vanille,merassura-t-ilencore.
Laportedemonappartements’ouvritsurmamère.Vêtued’unerobedechambre,ellese tenait trèsdroite;sesyeuxvertslancèrentdeséclairsàRick.—MiamiresteàMiami,RickThomas,l’avertit-elleimpassible.Tantqu’Ethanestdanscettemaison,
jeneveuxpasvousvoiràmoinsd’unmètredemafille.Etpourtoic’estpareil,Oceana.NedonnepasdefauxespoirsàEthansitun’espassûredetoi.MiamiàMiami,suis-jeclaire?Rickhochalatêteenmêmetempsquemoi.—Vousressemblezénormémentàvotrefrère,c’est…hum…troublant,reprit-elle,presquesouriante.
Entrez,vousnecomptezpasdormirsurlepalierdelapo…Jel’entouraidemesbras,humantsonparfum.J’étaischezmoi.—Jesuiscontentequetusoislà,Nana.Ellemeserracontreelle.Moncœuréclataetserafistolaaussivite.J’étaischezmoi.—Allez,ilesttard,nousauronstoutelamatinéepourpleurer.Allezvouscoucher,medit-elled’une
voixéraillée.Rienn’avaitchangé.L’entréedonnaitdirectementdanslapièceàvivre.UnpetitposteTVentredeux
fenêtressurlagauche,uncanapédevant,lacuisinesurladroite,nousétionsloindel’immensesalondeRick.Enface,lapremièreportedonnaitsurlachambredemamère,celledumilieusurlasalledebainset,pourfinir,ladernière,surmachambre.Enfin…monanciennechambre.Depuisqu’Ethanavaitpassél’âgededormirdansunlitàbarreaux,je
squattaislecanapéetjeluiavaislaissémachambre.—OùestEthan?chuchotai-jeàmamère.—Dansmonlit.Soispatiente,Oceana,lasurprisen’enseraqueplusbelle.Ettusaisaussibienque
moiquesituleréveillesmaintenant,ilnefermeraplusl’œildelanuit.Moncœuréclataunenouvellefois:ilétaitsiprèsdemoi,et,pourtant,jenepouvaisniletouchernile
voir.—Ricknepeutpasdormirsurlefauteuil,jevaisrécupérerunoreil…—Jevousaipréparélesdeuxlitsdanstachambre,souffla-t-elle.—Oh.—Pourcesoir,dit-elleavecfermeté.Demain,tum’aiderasàmettrelelitd’Ethandansmachambreet
turetrouverastoncanapé.Allongéedanslelitd’Ethan,jefixaisleplafond.Jen’arrivaispasàtrouverlesommeil.Douxmélange
d’excitation,decrainteetdejoied’êtreàlamaison.Rick non plus ne dormait pas. Je décidai de le rejoindre. Jem’assis au bord du lit et balayaima
chambreduregard.Ethandormaitici,maisàpartunpêle-mêledephotosdesanaissance,unposterdeThoretquelquesoursonsenpeluche,riennelaissaitpenserqu’ils’agissaitd’unechambred’enfant.Monénormemiroir,mapalettedemaquillage,lesphotosdemesannéesdelycéeetd’étudespunaiséessurlesportesdelapenderie…Jemefaufilaijusqu’àRick.Ilnefutpassurprisdemevoiretécartasonbrasgauchepourmelaisser
m’installercontrelui.
—Jesuisheureuxdevoirquetuaslaissétonmerveilleuxpyjamaensatinàlamaison.Pourévitertoutetentation,j’avaisoptépourunlargedébardeurencotonetunleggingnoir.J’évitaidetiquersurlemotmaisonetchuchotai:—Etmoi,devoirquetuportesunT-shirt.Néanmoins, je faufilaimesdoigtssous le tissupourposermamainsursonventre.Làoùmonindex
pouvait longerunede sescicatrices, làoùmapaumepouvait se laisser souleverpar sa respiration. Ilfrissonnasousmamainglacée.—J’aimebeaucouptonlit,chuchota-t-ildansmescheveux.—Etpourtant,tunedorspas.Là.Toutétaitparfait.Ethan.Rick.Chezmoi.—C’estjustementça,leproblème.Jet’imagineligotéeauxbarreaux.—Demain,aprèsavoirdéposéEthanàl’école,jefonceàl’hôpitalpourmefaireprescrirelapilule…
murmurai-je.Voire me faire directement poser un stérilet pour être certaine de l’efficacité immédiate de ma
contraception.—Etmoi,jefoncechezHugoBosspouracheterdescravates,menargua-t-il.JegloussaicontresonT-shirt.—HugoBoss?Rienqueça?Avecdescravatesà100dollarsensoieouensatin,l’idéeétaitplusquetentante!—AllezVanille,metaquina-t-il,cessedeprovoquerDieudusexe,çaneserapasdugoûtdetamère.—Pourquoituasfaitça?Jeveuxdire…pourquoitum’asofferttoutça?luidemandai-jesoudain.—Parcequeje…(Ilsoupira.)…jevoulaisterendreheureuse.Jevoulaistevoirsourire.Commece
jour,danslapiscine,oùtum’asvumarcherpourlapremièrefois.Commecejouroùnoussommesallésaurestaurant.Commesousladoucheetdanslelitquandjet’appelleVanille.Et toutsimplementparcequejeteveux,toi!Seslèvress’écrasèrentsurlesmiennes.Retenantmesmotscoincésdansmabouche…Jet’aime.
Chapitre30
Legrandjour
J’avaisétéréveilléeparlesifflementdelacafetièreitaliennesurlagazinière,puisparlevacarmedelachassed’eau,etenfinparleséclaboussuresdel’eaudansladouche.Sibienquejem’étaishisséetouteseulehorsdulit,etsurtouthorsdesbrasdeRick,pourrejoindrelacuisine.Letempsquemamèrefinissede se préparer, j’avais repris mes vieilles habitudes, en y ajoutant les nouvelles. Sur la table de lacuisine, il y avait les six pancakes et le sirop d’érable demonDieu du sexe, la boîte de cornflakesd’Ethanetdeuxverresdejusd’orangefraîchementpressé.Ethandormaittoujours.Patience.Patience.—Déjàdebout?medemandamamèreensortantdelasalledebains.Déjàvêtuedesontailleurnoir,desachemiseblancheetdesonfoulardrougesatinéauxcouleursde
l’hôtel,lescheveuxtirésdansunimpeccablechignon,ellevintdéposerundouxbaisersurmonfront.—Jecroyaisquetuavaisposétonjour?demandai-jeenfronçantlessourcils.— Seulement si tu ne venais pas. Je m’absente déjà assez ces derniers temps.M. Thomas ne s’y
opposepas,maiscertainesrumeurscourentsurmoncompte.Moncœurseserra.Elleseservituncafé.—Jesuisdésolée,maman,murmurai-je.—C’est pour Ethan. Tant que je ne perds pas mon job, je pense pouvoir survivre auxmauvaises
langues.Elleétaitl’unedescinqgouvernantesdel’hôteldesThomas,avaitsoussaresponsabilitéunevingtaine
d’employésetlesplusbellessuitesdel’hôtel.Jen’avaispaspenséquemarelationavecRickpouvaitavoirdesconséquencessursontravail.Est-cequeGeorgeThomasseraitcapabledelamettreàlaportepourdéfiersonfrère?Ill’auraitdéjàfait,non?—Vousenêtesoù?demanda-t-elle.AvecRick?Prise au dépourvu, je réfléchis. Je l’aimais désespérément, mais est-ce que ça suffisait ? Et lui ?
Miami,c’étaitbien,sionoubliaitdisputesetquiproquos,Carl,Kristenetsafamille,maisNewYork…NewYork,c’étaituneréalité!C’étaitEthan!—Tunesaistoujourspas,ditmamère.—C’estunpeupluscompliquéqu’un«jenesaispas».—Etlui?Qu’est-cequ’ilendit?Ilmevoulait,moi!C’est-cequ’ildisait!—Là,c’estungigantesque«jenesaispas»,ironisai-je.Elle me fixa d’un air de reproche. J’avais terriblement envie de lui dire que j’étais loin d’être
insouciante,quemadécisionétaitprise,etquejen’attendaisplusquecelledeRick.Oui.Jevoulaisqu’ilfassepartiedemavie.Etdecelled’Ethan.
Finalement,sonvisageseradoucit,etelles’approchademoipourm’enlacertendrement.Jeposaimatêtesursonépaule.Çamemanquait.Nossoiréesetnosmatinsremplisderirememanquaient.—Ethanl’aimedéjà,medit-elle.—Ethanaimetoutlemonde…Ellerit.—Tumarquesunpoint.Maisilnes’agitplusdeseregarderetdeparleràtraversunécran,Oceana.
Rickestici.Avecvous.—Nous,larepris-jeavecvéhémence.Ilestavecnous.—LorsqueEthanauraétéopéré,jeveuxquetuprennesunappartement,medit-elleavecfermeté.Elleseretournaetouvritlerobinetd’eaupourlaversatasse.Est-cequ’ellevenaitdesigneroralementunesortedepréavisd’expulsion?Monestomacse tordit.
Est-cequejelagênais?Nousavionstoujoursvécuensemble.—Jenecomprendspastrèsbien…Ellesoupiraetseretourna.—Nousreparleronsdetoutçalorsquetuserasrentrée.As-tudéjàpréparéledéjeunerd’Ethan?Jesecouailatête.—Non. Tu ne peux pasme dire ça et parler ensuite du repas demidi d’Ethan, comme si de rien
n’était!Sansrépondre,ellepritlepaquetdepaindemiedansleplacard.Apparemmentsi,ellelepouvait.—Maman…—Oui,Nana?Oui.Ellelepouvait.Ellecommençaàpréparerlerepasd’Ethan.Jenesavaismêmeplussijedevais
êtreénervée,agacée,vexéeoutoutsimplementattristée.—Suis-jeunesigrossechargepourtoi?Ellecessauninstantdebeurrerunetranchedepainpourmecaresserlajoue.—OhNana,biensûrquenon!C’estplutôtmoiquin’aipasmaplaceavecvous.—Pourquoidis-tuça?m’affolai-je.—Oceana,est-cequetuteverraisvivreavecMmeThomas?—Je…Tun’espasMmeThomas.Cettefemmeest…—OceanaDouglas,jenet’aipasélevéecommeça.C’estgrâceàellequetonfilspourraêtreopéré.
Qu’importentsoncomportement,sonmanqued’affectionouses«apriori»surlesgens.Elle avait raison. Même si cette mégère dépourvue de sensibilité, hautaine et… STOP ! … ne
m’employaitplus,j’étaisàMiamiparcequ’ellel’avaitpermis.Etsij’encroyaislesproposdeRick,elleauraitmêmeétéprêteàluilaisserlestroiscentmilledollarsavantquejen’embrasseCarl.—Rickestsi…différent,répondis-je,finalement.—Jesais.Maisiln’enestpasmoinsunThomas.GeorgeThomaspeutsemontrersévèreetfroid;il
n’enestpasmoinsjusteavecsesemployés…—Jenevoispasenquoiçavam’aideràapprécierlesThomas!raillai-je.Jeposaimonmugsurleplandetravail.J’avaiseumadosed’excitantpourlamatinée.
—Jene savaispasque tu lesdétestais…Ceque jeveux tedire, c’estque tuneconnaisRickquedepuispeudetemps.Tunesaispascommentilsecomportelorsqu’ilseretrouveavecdespersonnesdumêmerangsocialquelui.— Je le sais. Alors quoi ? J’aurais dû refuser cette semaine à New York et passer à côté de la
premièrerentréescolaired’EthanparcequeRickm’accompagnait?Sestraitsseradoucirent.—Biensûrquenon.Maissivousdécidezdeconstruirequelquechoseensemble, tunepourraspas
fairecommes’iln’étaitpasunThomas!Tunepourraspasseroutrelefaitquevousnefaitespaspartiedumêmemilieu.J’envisageaisdem’enfuir.Oui.Courirsousladouche,m’habilleretm’engouffrerdanslachambrede
mamèrepourréveillerEthan.Leseulfaitdepenseràluimedétendit.Ethan.Jesoupiraietmurmurai:—Maisjenem’attachepasàça,maman.JeneveuxpasdeRickpoursonargentousonstatutsocial.—Toi.Oceana.Maispeut-êtrepaslui.Jeteconnais.Mêmes’iln’accordeaucuneimportanceàtout
ça,est-cequetulelaisserasseséparerdesafamillepourtoi?Voilà.Ellel’avaitinstalléedansmatête.Laculpabilité.Etlepire,c’estqu’elleavaitraison.Comme
d’habitude.Non.JenevoulaispasqueRickcoupelespontsavecsafamille.Jenesavaisquetropbiencequec’étaitdevivresanspère.Unraclementdegorgenousfittournerlatête.Rick,setenaitsursesbéquillesàl’entréedelacuisine.
Depuiscombiendetempsétait-illà?Qu’avait-ilentendu?—Bonjour,murmura-t-iltimidement.Waouh. Rick était dans ma cuisine. Dans cette minuscule cuisine, à peine plus grande qu’un des
placardsdesavilla.—Bonjour,Rick,ditmamèred’unevoixenjouée.J’espèrequevousavezbiendormi.Unefractiondeseconde,sesyeuxbleusglissèrentsurmoi.Jerougisinstantanément.Dormirn’étaitpas
lebonmot.Jem’empressaideluiserviruncafédansmonmugetyajoutaiquelquesgouttesdelait.—Bien…maispasassez,dit-il.Jeposailemugsurlatable.—Tiens,commetul’aimes.Sers-toi,jevaisprendremadouche.Vite,avantquemamèren’aborded’autressujetsdélicats.
J’yétais.Enfin.Lachambreétaitplongéedansl’obscurité,etjedevinaiseulementlaprésenced’Ethanàlapetiteforme
ronde sur le lit. Lentement, le corps si léger qu’ilm’aurait permis demarcher sur desœufs sans lescasser,j’avançaietm’arrêtaiaupieddulit.Jemeliquéfiaidevantsonvisagesipaisible.Lajoueécraséecontrel’oreiller,laboucheentrouverte,
allongésurleventre,EthanserraitfermementcontreluisondoudouCaptainAmerica.C’étaitcommedansmesrêvesàMiamietmessouvenirsàNewYork.Sesbouclesblondesdéposées
telleunecaressesursonvisage,sespetitsdoigts,sapeaublancheetparfaitedontjesentiraisladouceurdansquelques secondes, et tout le reste.Ses lèvres roses.Ses longs cils.Sonpetit nez retroussé.Son
odeur.Sesbras.Regardermonenfantdormir,c’étaitunexquismélangeentrelefrissondanslegrandhuitetlasérénité
d’un champ de coquelicots au printemps. C’était prendre conscience que cette vie devenait uneprolongationdelamienne.C’étaitm’imaginerquej’étaisl’auteurd’unchef-d’œuvre.C’étaitmedirequemescellulesavaientfaitlessiennes.C’étaitmerappelerqueleschoseslesplussimplesétaientaussilesplusbelles.Jem’agenouillai,lesyeuxnoyésdelarmesetlesoufflecoupé.—Ethan…soufflai-je,lagorgenouée.Jevis sesyeux s’ouvrir instantanément.Pas le tempsdedireouf,waouhouEthan : sonpetit corps
m’avaitpercuté,mefaisanttomberàlarenversesurleparquet.Entredeuxsanglots–lesmiens,lessiens–,jerefermaimesbrassurlui.—Maman!Maman!—Jesuislà,trésor.Ses larmes chaudes coulaient dansmon cou. Instinctivement, je le berçai pour l’apaiser. Il était là.
J’étaislà.Riend’autrenecomptait.C’étaitplusdivinquelemeilleurgâteauauchocolatdumondeetpluspuissantquel’envold’unmilliarddepapillons.Jesentais lapressiondesesdoigtsdansmondos.Lesyeuxfermés,jepouvaispresquedessinerleurscontoursparfaits.Jesentaislachaleurdesesbrassurmesépaules,ladouceurdesapeausurlamienne.Jedusl’embrasserdesmilliersdefoispourmepersuaderqu’ilétaitbienlà,dansmesbras.Labouche
sèche, comme si toute ma salive avait servi à alimenter mon canal lacrymal, je gloussai dans sescheveux:—Tum’aidesàsautercommeunkangourou?—Elleestplusmieuxtasurprise,maugréa-t-ilcontremoi.Cettepetitevoix…—C’estcelledeRick,chuchotai-je.Ilseredressa,plongeantsesyeuxgrisdanslesmiensavantdecollersajouecontrelamienne.Ilsedéfisunenouvellefoisdemoietplissalesyeuxavantdediredansunhochementdetête:—Onl’appelleracesoiraveclapetitecaméra,pourluidiremerci.—Tun’enauraspasbesoin.Ilestdanslacuisine.Ilsautasursesjambesetpartitencourantverslesalon.—Riiiiiick!Oui,mamèreavaitraison.Ethanl’aimaitdéjà.Siçanemarchaitpas,ilsouffriraitautantquemoi.Je
laissaimesdoutesetmaculpabilitédecôtéet,lecœurvibrantdepapillons,jelesuivis.Danslacuisine,EthanétaitaccrochéauxjambesdeRick.—Attends,bonhomme,gloussacedernier,enperditionavecsesbéquilles.—Doucement,Ethan!legrondamamère.Jem’appuyaicontrel’encadrementdelaporte,larespirationcoupéeetlesjambesflageolantes.Etsi
çamarchait?RickposasescannescontrelatableetsoulevaEthandanssesbrassanseffort.—T’asledroitdefaireça?demandaEthan,sespetitsbrasautourdesoncou.
—Non.Mamantel’adit,lesadultesnefontpastoujoursleschosescommeillefaut.—Çava?s’inquiétaRick.Je regardai la tête blonde d’Ethan, qui semêlait aux autres enfants dans la cour de l’école. Jeme
dressaisurlapointedespiedsdevantlagrille.Là.Ilétaitlà.Jeluifisunsignedelamain.Seslèvresarborèrentunmerveilleuxsourire.Jefermailesyeuxbienfort,pourimprimercetteimagedansmatêteàtoutjamais.—Merci,soufflai-jeàRicksansdétachermesyeuxd’Ethan.EthanrigolaitavecAndreaSuamez,l’unedenosvoisines.D’autresenfantsdescendirentencourantdes
busjaunespourrejoindreleportaildel’école.Ilseraitparmieuxlasemaineprochaine.Toutétaitdéjàplanifiédepuisdesmois.MamèreledéposeraitchezlesSuamez,nosvoisins,avantdepartirautravail,puisilprendraitlebusavecAndrea.À15h30,ilrentreraitavecelleetattendraitchezlesSuamezquemamèrerentreàsontour.Avecl’argentéconomisépoursagardehabituelle,nousavionspupayer lesfraisdescolaritédecetteécoleprivée,quisetrouvaitàdixminutesdemarchedelamaisonet,surtout,danslequartieroùjetravaillais.—C’estpastropdur?Laséparation?repritRick.Séparation?PartiràMiamiétaituneséparation.Là,c’étaitmettreentreguillemetsquelquesheuresde
lajournée.—Jepensequecen’estpaslebonmot…Ethanallaitàlagarderiecatholiqueavant.Laseulechose
quidiffèreaujourd’hui,c’estlerythmescolaire.—C’estungrand.—Passeulement.Ilvadevoirunenouvellefoisfairefaceàsesdifférences…—Pourquoinepasavoirattendu,alors?Jesourisenconstatantsonmanquedediscernement.—Jenepeuxpas lepriverd’uneannée scolaire sousprétextequ’ilnepourrapascourir ! Il saura
s’adapter.Ethann’apasenviederesterenfermédansunebulle,àl’abridetoutproblème.Rickhochalatête.Jemeglissaiderrièresonfauteuiletlepoussailelongdutrottoirendirectionde
l’appartement.—C’estçaquiestdifficile,pasvrai?—Làoùd’autresmamanssepréoccupentdesavoirsileschaussuresdeleursenfantssontbiencirées
et leurs tenues d’écolier impeccables, s’ils n’ont pas oublié leur goûter ou leurs cahiers, moi jem’affoleraienentendantlasonneriedemonportableetjeprieraidetoutesmesforcesqu’ilnes’agissepasdeladirectricedel’écolem’annonçantqu’Ethanaeuunecrise.Rickenclenchalesfreinsdesonfauteuil.—Jecroisquejevaisresterdevantcegrillagejusqu’àcequ’ilsorte.—Ethansevexerait.Etmoiaussi,d’ailleurs…
Chapitre31
Bébé
Lamatinéeavaitfiléàviveallureetmontéléphonen’avaitpassonné.Soulagement.JenepouvaispasendireautantdeceluideRick.Lepremiercoupdefilavaitàpeinetroublésabonnehumeur;j’avaiscrucomprendrequ’ils’agissaitdeCarl.Assisàcôtédemoidanslasalled’attentedemongynécologue,iln’avaitréponduaudeuxièmequeparphrasesbrèvesetmonosyllabes,comme«Toutàfait.»,«Oui.»,«Non.»,«Cettesemaine.»,«Àcode.»,«JenesuispasàMiami.»ouencore«MmeThomasvousdonneratouslesdétails.».Sontonavaitétésicourtoisetsolennelquejel’avaisimaginéencostumeetchaussurescirées.Etsijen’avaispasétésiangoisséeparcequim’attendait,jemeseraislaisséealleràdespenséesérotiquesàsonsujet…avec,commeaccessoire,unecravatesatinée.Pour ma contraception, j’avais choisi le stérilet. Protection immédiate : je n’aurais pas besoin
d’attendre lecommencementd’unnouveaucycleet,avecunpeudechance, jen’auraispeut-êtremêmeplusmes règles. La pose du stérilet ne créait enmoi aucune anxiété,maismon entretien avecGreenMorgan,mongynécologue(etami),oui.Ilconnaissaitmondossierparcœur,etsurtoutlecasd’Ethan.Etlamaladied’Ethanétaitmonproblème,pasceluideRick.J’auraispréféréqu’ilnesoitpaslà.Leluidiremoi-mêmeounepaslediretoutcourt.—Tuasfaitletest,Oceana?avaitdemandéMorganpendantqu’ilm’auscultait.Lesyeuxfixéssurlefauxplafondblanc,j’avaisignorésatêtedégarnieentremesjambesetluiavais
répondu:—Non.Jen’envoispasl’intérêt.—Jecroispourtantcomprendrequetucomptesrefairetavie.Expressiondébile.Refairesavie.Jen’avaisaucuneintentiondelarefaire,jel’améliorais.Nuance.—Ettuvasmeposerunstérilet.EninsérantlepetitobjetenformedeT,ilavaitsouriàRick,assisdevantsonbureauàquelquesmètres
derrièrenous.—Tufaisl’autruche,Oceana.Lepèred’Ethanpeutêtreporteurdelamaladie.Çanevientpeut-être
pasde toi.C’est fini, tupeux te rhabiller,avait-ilconcluenfaisantclaquersesgantsen latexpour lesretirer.—Vouspouvezm’éclairer?avaitdemandéRick.La question était adressée àMorgan,mais je connaissais assez bien Rick pour comprendre qu’une
discussionhouleusem’attendait.— Lamaladie d’Ethan est héréditaire. Soit Oceana, soit son géniteur – oumême les deux –, sont
porteursde lapathologie,porteurs sainspuisqu’ilsne l’ontpasdéveloppée. J’aivivement conseillé àOceanadefaireuntestdesongénomeavanttoutenouvellegrossesse.Voilàpourquoijenevoulaispasd’autresenfants.Jenemesentaispascapabled’assumerdenouveau
leparcoursducombattantquotidienquej’affrontaisavecEthan.C’étaitnon.Radicalementnon.
Morganavaitcontinuéaveclessujetssensibles.Iln’avaitplusétéquestiondemonutérusoudemonADN,maisdemonavenir.D’aprèslui,jegâchaismonpotentielencontinuantàtravailleràdomicile.Jeperdaismes connaissances etmon savoir-faire. Là encore, il avait su susciter l’intérêt deRick en luiexpliquantqu’unposte, largementmieuxrémunéré,n’attendaitquemoidanssaclinique.Cequ’ilavaitoubliédeluidire,c’étaitquedanscettemêmeclinique,uncertainBen,legéniteurd’Ethan,venaitfairequelquesvacations.Etlàaussi,c’étaitnon.Radicalementnon.Jenepourraisjamaistravailleraveccethomme.Le silence avait plombé le restede lamatinée etmalgré les températures estivalesquenousoffrait
NewYork,leclimatentreRicketmoiétaitredevenuglacial.Aurestaurantchinoisducoin,pasunmot,pas un regard, il s’était contenté demanger, les yeux rivés à l’écran de son téléphone. Puis, après unrapidepassageaulaboratoire,oùnousavionslaissédeuxtubesdenossangspourdestestssérologiques,l’heurederécupérerEthanétaitenfinarrivée.J’étais de nouveau excitée et bourgeonnante de joie. J’allais retrouver mon trésor. Des écoliers
dévalèrent lesmarches de l’entrée et se ruèrent dans les bus jaunes stationnés devant l’école, sous leregarddesinstitutricesetdesaccompagnateurs.Postéeprèsd’undespiliersenbriquerougequiservaientdesupportauxgrilles,j’épiaischaquepetitetêtequisortait.—Ethan!appelai-jelorsquejel’eusenfinaperçu.Ilcourutversmoi,faisantballottersonsacàdossursesépaules.Jem’accroupis,etilm’enlaçaavec
fougue.Oui je suisbien là,avec toi, pensai-je.Non.Çan’était pasun rêve, j’avaisbien été là à sonréveil,etjeleseraisencoredemainetjusqu’ausamedisuivant.Moncœurseserraàlaperspectived’unnouveaudépart.Unenouvelleséparation.Depresquedeuxmoisencore.—Bonjour,mademoiselleDouglas,mehélaunevoixd’homme.Jereconnusl’instituteurd’Ethan,M.Powell,unhommed’unetrentained’annéesquej’avaisrencontré
lors de la journée d’inscriptions, en juin. Ses cheveux noirs et sa peau hâlée par le soleil de l’étéfaisaientressortirlevertdesesyeux.Malgrésatailleetsacarrure,ilparaissaittimideetgêné.Commentarrivait-il,enclasse,àimposersonautorité?Jemeredressai,luisourisetluitendislamainpourlesaluer.—Bonjour,monsieurPowell.Ilpritmamainavecautantdedélicatessequesielleavaitétéensucre,etsemblasurprisdel’appuide
mesdoigtssurlasienne.—Jevousrejoins,dis-jeàRick.Celui-cifronçalégèrementlessourcilsavantdetendrelesbrasàEthan,quis’installasanshésitation
sursesgenoux.—Ya-t-ileuunproblème?demandai-jealorsqu’ilss’éloignaient.—Euh…Non…balbutia-t-il.C’étaitseulementpourvousdirequelajournées’étaitbienpassée.Ilsegrattalatête,désarmé.Jenevoulaispasqu’Ethanaituntraitementdefaveuretjeleluiavaisdéjà
précisé lors de notre première rencontre. Mal à l’aise, je préférai refaire passer le message avechumour:—Sivousdevezappelerchaqueparentpourluidirequetouts’estbienpassé,vousrisquezd’ypasser
lanuit…—Jevoulaissimplement,hum…vousrassurer.—Jevousremercie,monsieurPowell.Je…commentdire,vousn’êtespasobligédefaireça.Jevous
faisentièrementconfiance.(Seslèvresfinesdessinèrentunbeausourire.)Maintenant,sivousvoulezbienm’excuser…—Oh…euh…Oui,biensûr,jenevousretienspas,bonaprès-midi,àbientôt.JeluisourisetrejoignisRicketEthan.—Qu’est-cequ’ilvoulait?grognaRick.—Euh…Ilmanquaitdesinformationsdansledossierd’Ethan,mentis-je.Ilm’adressaunregardenbiais.—Oh!Onpeutallerauparc,maman?s’excitaEthan,toujourssurlesgenouxdeRick.Celui-cis’arrêtacommepourattendremonaccord.—Pasenuniforme.Tumontestechanger,etjet’yaccompagne,répondis-je.Rickrepritsacourse,levisagefermé,pendantqu’Ethanracontaitsapremièrejournée.M.Powellleur
avaitfaitvisiterl’école,leuravaitexpliquécequ’ilsferaienttoutaulongdel’année,puisilsavaientjouéàdesjeuxdeprésentation,quinel’avaientpasenchanté.Ricknousattenditenbasdel’immeuble.Uncoupdefilàpasser.Ethanmitàpeinedeuxminutespour
sechanger,tantilétaitsurexcitéàl’idéedepouvoirmontreràRickcommentilescaladaitlescordesdesportiques.Moi, j’étais épuisée. Pourtant nous n’avions pas fait grand-chose, à part attendre dans une salle
d’attente,attendreaulaboratoire,attendreaurestaurant,attendredevantl’école.Ilnemerestaitplusqu’àattendrepatiemmentl’heureducoucher!L’avantage àNewYork, c’était qu’il y avait des parcs dans tous les quartiers.Celui qui bordait la
routeenfacede l’immeubledemamère(puisqu’ilnes’agissaitplusdumien),àBrooklyn,étaitassezgrandpouryfaireunjogging.Deschemins,certainsenterre,d’autrescimentés,étaientbordésdebancs.Enceinted’Ethan,jem’yétaisassiseetjem’étaislaisséetransporterparlesodeursdefeuillesmortesetdeterremouillée.L’automneétaitmasaisonpréféréeàNew-York.Lestempératuresrestaientdouces,lespaysagesseparaientdemillecouleurscommesurlapalettedeVanGogh.Assisesurunbancàquelquesmètresdesjeux,j’observaiEthan,parmilesautresenfants,escalader,
grimper, sauter et glisser. Je souris malgré moi à l’énergie qui émanait de ce petit corps pourtant sifragile.—Alors?Ilvoulaitquoi?demandaRick.—Rien.Ilvoulaitseulementmerassurer.—Àt’entendre,ondiraitqueçateposeproblème.— S’il veutm’envoyer un texto tous les soirs, je n’y vois pas d’inconvénient,mais Ethan n’a pas
besoinqu’onluirappellequ’ilestdifférentdesescopainsdeclasse.—C’est-cequetuluiasdit?s’enquit-il.Qu’ilt’envoieuntextotouslessoirs?Jemeretinsderire.—Biensûrquenon!Jeluiaijustefaitcomprendrequejen’avaispasbesoindesavoirquetoutallait
bien.Ethanconnaîtseslimites.—Jen’aimepascetype,bougonna-t-il.Mais il souriait. Presque. J’avais toujours ce pouvoir sur lui.Nous en revenions toujours aumême
pointtouslesdeux,nousnesavionspasnousdétester.Ethanpeinaitàgravirl’échelledutoboggan.Alorsquedeuxenfantss’impatientaientderrièrelui,ilne
selaissapasdémonteretcontinuaàgrimperenleurcriantdenepaspousser.Jecroisailesjambespournepasinterveniretserraidesdents.—Ilnevapastarderàrevenir,annonçai-je.—Commentlesais-tu?— Il a les joues rouges comme s’il venait de courir unmarathon, alors qu’il n’a joué qu’un quart
d’heure.Effectivement,Ethanrevenait,essoufflé,versnous.—Çanevapas,bonhomme?s’inquiétaRick.Ill’ignorapourmedemander:—Jepeuxavoirdel’eau,s’ilteplaît?Je sortis sa gourde de son sac et la lui tendis. Il s’assit à côté demoi, tout en avalant de grosses
gorgées bruyantes. Rick l’observait. Je l’avais pourtant prévenu : Ethan n’aimait pas qu’on lui fasseremarquer ses faiblesses. Il aurait préféré queRick lui dise un truc du style « Il est aussi haut qu’ungratte-ciel,tontoboggan!».—Tusaispourquoijen’aipasprismesbéquillesaujourd’hui,Ethan?—Mamant’asinterditdemarcher?—Non,bonhomme,commepour toi,mamansaitque jeconnaismes limites.Jene lesaipasprises
parcequejecrainsdetombersuruntrottoir,etquej’aipeurdemeretrouver,unefoisdeplus,bloquédansunlitd’hôpital.Ethansautadubancetvintseplacerdevantlui.Illetoisauninstant.—Toi,tuaspeur?demanda-t-il,peuconvaincu.Moiaussi,j’auraiseupeuràsaplace.Deuxmoisdansunlitàdépendredesunsetdesautres.Deux
mois sans pouvoir toucher la terre ferme du bout de l’orteil. Deux mois à se poser des milliers dequestionssursonavenir.Deuxmoisàsedemandersisesjambesseraientcapablesderefairecequ’ellesfaisaientavant.—Bienentendu,acquiesçaRick.Ethanmeregardatimidementavantdemurmurer:—Mamann’ajamaispeur,elle.Moncœurseserra.Jenevoulaispasqu’ilmevoiecommeça.Qu’ilpensequej’étaisinsensibleàsa
maladie.Est-ceque jem’étais trompéesur toute la ligne?Est-ceque jedevraiscraquerdevant luidetemps en temps ? Rick remarqua mon malaise et m’offrit un clin d’œil pour me rassurer. Loupé. Jedéglutisavecdifficulté.—C’estpeut-êtreunesortedesuper-hérosmaisen femme, répondit-ilàEthansur lemême ton.En
touscas,mêmesijetefaisentièrementconfiance,moi,j’aieupeurpourtoitoutelajournée.Ethangrimaça.Ildevaitsedemander,commemoi,s’ildevaits’arrêtersurlemot«confiance»ousur
l’inquiétudedeRickàsonégard.—Moiaussij’aipeurparfois,chuchota-t-il.Parcequejecoursetquejen’aipasledroitdelefaireet
quejerisquederetourneràl’hôpitalaussi.Etlà,ilneparlaitpasdeseslimitesmaisbiendesapeur.Commes’ilpensaitqu’iln’avaitpasledroit
d’êtreeffrayé.Àcausedemoi…Enpleineréflexion,Rickluisourit.
—Monte, bonhomme, on va faire la course avecmaman jusqu’à lamaison, tu vas pouvoir couriraujourd’hui.Ethannesefitpasprier.Illuisautasurlesgenoux,luiarrachantuncouinementdedouleur.Entemps
normal, j’auraipumelaissertenterparunsprint jusqu’àl’appartement.Maislà, j’étaisnoyéedansmaculpabilité.Et,enplus,unedouleurlancinantedansmonbas-ventremerappelaitlaposedustérilet.Nonsansmal,jemelevaietfisminedepresserlepasderrièrelefauteuilroulant,écoutantlescrisdejoieetlesencouragementsd’Ethan.—Jusqu’àsamedi,alors?demandaEthanavectristesse.Àgenouxdevantsonpetitlit,jeluicaressaislefront.Laveilleusemepermettaitdedistinguerchaque
détail de son visage angélique. Les deux petites lignes blanches sur son nez, dues à ses multiplesgrimaces, lafossettesursonmenton,ses jouesroséesd’avoir troprigoléavecRick,sesbouclesfines,sesyeuxgris,seslongscilsblonds.Jehochailatête,incapabledetrouverunemeilleureréponse.—Çafaitcombiendedodos,dis?Jefisminederéfléchiretdénombrai:—Aveccesoir,çanousferacinqdodosetautantdematinsensemble.Jeremontailedrapsursonépaulepourleborder.—C’estpasgravesiçafaitpasbeaucoup.Elleestquandmêmesupercettesurprise,déclara-t-il.Jesourisàsafacilitéàdevinerlalumièredanslesténèbres.—Jesuisd’accordavectoi.Jedéposaiunbaisersursajoue.Elleétaitchaudeetsentaitlavanille,commemoi.—Dismaman,tun’espasencolère?—Pourquoivoudrais-tuquejesoisencolère?—Parcequ’ilm’arrived’avoirpeur.Jem’attendaisàcequ’ilm’enparleetj’avaiseuletempsdeméditersurcepointtoutlerestedela
journée.Jenevoulaisniledécevoirniluilaisserpenserqu’ilpouvaitêtrelacausedemesangoisses.—Tupeuxgarderunsecret,trésor?(Ilhochalatête.)SurtoutnedisrienàRick,c’estmonpatient,et
s’ilsavaitça,iln’auraitpeut-êtreplusconfianceenmoi.(Ilseredressasuruncoudeetmesourit,partagéentrelafiertéetl’amusement.)Envrai,jemefaisconstammentdusoucipourtoi,trésor.Passeulementparcequetuesmonfils,niàcausedetonpetitcœur,maisparcequejet’aimesifortquelesimplefaitdepenserquejenepourraisplustevoirempêchelemiendefonctionner.Parfois,jepleure,d’autresfoisjepanique ou jemange des tonnes de chocolat,mais ilme suffit d’imaginer ton petit sourire, de tendrel’oreilleàtapetitevoixoudeplongermonnezdanstescheveuxpoursavoir.Savoirquetueslàetquetumedonnerasassezdecouragepouroublierquej’aipeur.Mavoixsemblaitlointainetantmonsangpulsaitdansmesoreilles.—Jesuistonsuperpouvoir,alors?s’extasia-t-il.—Oui,trésor.Monsuperpouvoircontrelapeur.Ilserallongeasurleflancetattrapamamainpourjoueravec.J’aimaisça.Ilentremêlaitsesdoigtsaux
miens, glissait dessus, me caressait avec une infinie douceur. Ça me rappelait tous ces momentsprivilégiéslorsquejelenourrissais,d’abordauseinpuisaubiberon.
—Enfait,jenevoudraispastevoirpleurer,grimaça-t-il.Parcequeçamerendraittriste.Jememordisl’intérieurdelabouchepournepasflancher.—Jesuisd’accord.Allez,dodomaintenant.Jen’aimeraispasquemonsieurPowellmediseque tu
t’esendormisurtonbureaudemain.Ilmesourit,inconscientdemonmalaise,etlâchamamainpourserrersondoudoucontresapoitrine.—Bonnenuit,maman,murmura-t-il,toujourssouriant.Jet’aimejusqu’àlalune!—Moiaussi,trésor.Àdemain.Jemefaufilaijusqu’àlaporte,larefermaietm’yadossai,lesyeuxfermés,enrelâchantchacundemes
muscles.Puisjemedirigeaiverslaportedel’appartement.Aupassage,jefissigneàmamère,quis’étaitlevéeducanapé,denepasmesuivre.Jemeretrouvaiassisesurlapremièremarche,sousleporchedel’immeuble.J’avaisbeaumesouvenir
dusourired’Ethan,merappelerlesondesavoixetladouceurdesapeau,rienyfaisait.J’avaismaldansmapoitrine,dansmonventre etdansma tête. J’enavais assezde trop réfléchir, de tropmecontrôler.J’étaisépuisée.Contemplantsansvraimentlesvoirlesfeuxdesvéhiculesquicontinuaientàcirculeràcetteheuredela
soirée,lesmainstremblantes,jerestaislà,àattendre.Sansrienfaire.Sansrienfaired’autrequ’attendrequeçapasse.Etçanepassaitpas.Aucontraire.Mavisionsetroubla,magorgeseserradavantage,etmatêteme
semblaitprisedansunétau.—Tumefaisuneplace?entendis-je.Jemedécalaivers lecentredesmarchespour laisseràRick l’espacecontre la ramped’escalier. Il
passasesbéquillesdevantluiets’assit.Jemecollaicontresonépaule,laissantéchapperunsanglot.—Tuveuxenparler?Jehaussailesépaules.Iln’yavaitrienàcacheretrienàdire,pourtant.Ilnesepassaitriendegrave,
Ethanétaitbienauchauddanssonlit,àlamaison,pasàl’hôpital,et,pourtant,jecraquais.—Jenet’aipasvuesouventpleurer,Vanille.Jevoulaisqu’ilcontinuedeparler.Qu’ilfassetairecevacarmedansmatête,unbruitpirequecelui
desKlaxonenpleinManhattan.—Aujourd’hui,tum’asvraimentfaitpasserpartouslessentiments,murmura-t-ildansmescheveux.
D’abord la jalousieavecceMorganetcet instit.Puis tum’asénervéaveccettehistoirede testde tongénome.Tum’as laissé culpabiliser pourEthan.Tum’as attendri avec ce que tu viens de lui dire et,maintenant,jesuisdésemparédetevoirdanscetétat.—Nelesoispas.Tueslà.Jemeredressaietdéposaiunchastebaisersursajoue.Ilessuyameslarmescommes’ilvoulaitdire:
«Jesuislà,oui,net’inquiètepas».—Ah ! J’aioublié la frustration, reprit-il. J’aimeraispouvoir t’embrasser et te toucherquand je le
souhaite.—Tuauraispulefairecetaprès-midi.— Tu passais ton temps à regarder autour de nous comme si tu avais peur que quelqu’un que tu
connaissesnousvoieensemble.Cen’étaitpasunreproche,maisunsimpleconstat.
—Jen’aipasfaitattention,jesuisdésolée.—Tuespardonnée.Aprèstout,çapourraitarriverjusqu’auxoreillesd’Ethan.Ilallongeases jambes le longdesmarchesetplaçasonbrasderrièremondos.Samainpressamon
flanc pourme rapprocher. Jeme blottis contre son torse. J’entendais les battements de son cœur, sesamplesrespirations.Ilétaitlà.—Jalouxdemongynéco?demandai-je.Ilrelevamonmenton,plongeantsesyeuxdanslesmiens.—Oui.—Tun’asrienàenvieràunvieuxcroûtondégarni!letaquinai-je.—Ilamissonnezdanstonintimité.Ilappliquaseslèvressurlesmiennes.Nossoufflessemêlèrentetnosmusclesserelâchèrent,comme
si,pourtouslesdeux,cebaiserdevenaitvital.Oui.Rickétaitvitalpourmoi,commeEthan.Penserquejeneleverraispeut-êtreplusjamaisdansdeuxmoism’étaitdifficile,voireimpossible.Jenem’imaginaisplussanslui.—Etcettehistoiredetest…Nousdevionsenparler.Plusdesecrets.Ilagrippamanuqueetembrassamonfront.—C’estjustementça,leproblème.Sontéléphonesemitàsonner,etjemeredressai.Ilregardal’écranetignoral’appel.—Tunerépondspas?—C’estKristen.Oh.Moncœursefissura.Kristen.MêmeàplusdedeuxmillekilomètresdeMiami,elleétaitencorelà.—Pourquoitunerépondspas?Ilrepliasesjambesetjoignitsesmainssursesgenoux,feignantdes’intéresserauspectacledelarue.—Parcequec’estunecomposantedumêmeproblème.Tu te rappelles lorsque je t’aiparlédemes
souvenirsjusteavantmonaccident?(Commes’ilrevivaitunescènepénible,ilchangeadenouveaudeposition,allongeasesjambes,lescroisa,serralespoingsetsecoualatête.)Attends.Jereprends.Est-cequetuvoudrasunjouravoirdesenfantsavecmoi?Jeredoutaiscettequestion.Plusdesecretsetencoremoinsdemensonges,c’estcequej’avaisdécidé.—Non.Jeneveuxpasd’autreenfant.Jeneveuxpasrevivretoutça.Sonregardsechargeademélancolie.—Tuvois,çan’estpaslefaitquetun’enveuillespasquimeposeproblème,parcequejesuiscertain
depouvoirtefairechangerd’avisoud’êtreassezcombléparEthan–leproblème,c’estmaréaction.(Ilsoupira.)Çamefaitmal.J’ail’impressionqu’onm’enfonceunpieudanslapoitrineetqu’ons’amuseàjoueravec.Jevoulaisluihurlerquej’étaisdésoléeetquejel’aimais.Ilreprit:—Pourquoilorsquetumedis,toi,quetun’enveuxpas,jesouffrecommejamais,alorsque,lorsque
Kristenm’aannoncéqu’elleétaitenceintedemoi,jen’aipasvouludecebébé?Sonnée, j’essayaisdésespérémentde remettrede l’ordredansmes idées–de reconstituer l’histoire
dontj’apprenaispeuàpeudesbribes.Cejour-là,Kristenluiavaitannoncéqu’elleétaitenceinte,etilluiavaitditqu’iln’envoulaitpas…Ilavaitmalréagi.Elles’étaitaffolée, ilavaitvoulularattraperet ils
avaienteuunaccident.Unbébé.Kristenétaitenceinte.Ouavaitétéenceinte?
Chapitre32
Envie
Oceanaavaitquittémonlit(ouplutôtlesien)unpeuavant2heuresdumatin.Aprèsdescaressesetdesbaisersàn’enplusfinir,elleavaitdélaissémesbraspourceuxdeMorphée,surlecanapédesonsalon.NousavionsparcourulesruesdeManhattantoutelamatinée,justepourpenseràautrechosequ’àce
trucentrenous.Ilmedevenaitdifficiledenepaslatouchersansbanderquandsamèreétaitàcôté,alorstouslesdeuxseulsdanscetappartement…Nousn’avionsplusdepréservatifs,etlesrésultatsdenostestssanguinsneseraientprêtsqu’endébutd’après-midi.Ilfallaitpatienter.Justepatienter.Longtemps…Enréalité,àpeinelesrésultatsrécupérés,ceseraitlemomentd’allerrécupérerEthanà
l’école,puisnouspartirionschezWendyetPeteretnousnerentrerionspasavant…Faischier!Jeregardaiunedernièrefoisl’écrandemonportable.Kristenavaitcessédemeharceler.Jenesavais
pascequ’ellevoulait,maisçaattendraitmonretouràMiami.Quechangeraitunediscussion?Ellemel’avaitdéjàrépété.J’avaistuénotrebébédèsl’instantoùjeluiavaisditquejen’envoulaispas.Jenecomprenaispas.Oceananonplus.Ellen’avaitpasmalréagi.ElleavaitseulementforméunO
avec sa bouche, puis avait secoué la tête, les yeux fermés, pour enfin dire « Impossible ». Pourtant,Kristen avait fini parmemontrer le test degrossesse, ladernière foisquenousnous étionsvus, et lerapport de l’hôpital après notre accident. Avortement spontané causé par un choc à l’abdomen. Ilspouvaientappelerçacommeilsvoulaient, j’avaiscausél’accidentquiavait tuénotrebébé.Làencore,Oceanan’avaitpasmalréagi.Ellenem’avaitpasnonplustrouvéd’excuses,elles’étaitcontentéededire«C’estpasnet.».Nousavionslesmêmesimpressions.AvecKristen,nousn’avions jamaisparlédeça. Ilnem’était jamaisvenuà l’espritqu’ilexistaitun
moment particulier, pour un couple, où il fallait se poser de part et d’autre d’une table pour discuterd’avoirounonunenfant.Onnedécidaitpasçadujouraulendemain.Ilfallaituneraison.LamienneavaitétéOceana.Bienavantseshistoiresdegénomeetdemaladiehéréditaire.LaquestionavaitmûriavecEthan.Avantdeleconnaîtreetencoreplusdepuisquejel’avaisvusourire.Alorspourquoiaurais-je refuséd’avoirunenfantavecKristen,monpropreenfant,quandceluid’un
autremeprocurait tantdeplaisir?Commeme l’avaitditOceana,çan’étaitpasnet.Oualors, j’avaischangé.Changé à tel point qu’aujourd’hui avoir un enfant,mon enfant, avec elle devenait presqueuneobsession!Jemeretournaietenfouismonnezdansl’oreillerparfumédevanille,qu’Oceanavenaitdedélaisser.
Jem’endormis.Unelégèreagitationsurlematelasmeréveilla.Lapénombremepermitdedistinguerunepetiteforme
aupieddulit.Ethan.—Mamieronfle,chuchota-t-il.JeretinsungloussementenimaginantMadelyn,sagrand-mère,laboucheentrouverteetunfiletdebave
surlementon.Jeregardail’écrandemontéléphone.Bientôt6heures.Ilmepritlecoussindesamèreets’installasouslesdrapsavecladélicatessed’unenfantdesonâge.
Autantdirequelelitdevintunvraichampdebataille.—Rendors-toi bonhomme,murmurai-je endégageant sonvisagede ses boucles blondes. Il te reste
encoreunebonneheurededodo.Ilrelevalatêteversmoietgrimaça.—J’aiplussommeil.C’étaitvraimentlacopieconformed’Oceana.Lemêmeregardgris,siexpressif,lemêmepetitnezqui
s’agitait au gré de ses humeurs, lesmêmes cheveux et lamême peau blanche. La seule chose qui lesdifférenciaitétaitlabouche.Celled’Oceanaétaitgénéreuseetpetite,lasiennefineetlarge.—Qu’est-cequec’est?demanda-t-ilenappliquantundoigtsurunedescicatricessurmonventre.Ilseredressasuruncoudeetapprochasatêtedemontorse.JecommençaisàconnaîtreassezEthanpoursavoirquesijem’embarquaisdansunepremièretentative
d’explication,destonnesdequestionssuivraient.—Jetelediraiquandtuteserasrendormi.—Tuenasd’autre?s’enquit-il,ignorantmaréponse.Jesoupiraiettapotaidemamainsonoreiller.— Sur les jambes, répondis-je néanmoins. Dodo, Ethan. Ce soir, tu vas te coucher tard, tu te
rappelles?Ilhochalatêteetserallongeasurledos,lesbraslelongducorps.—Àmonécole,jesuisleseulànepasavoirdepapa.Je déglutis. Je pouvais lui apprendre à faire du surf, luimontrer comment faire rougir samère, lui
trouverdenouvellescachettespoursesbonbons,maislesujetpaternel,çan’étaitpasmonfort.—Tusais,Ethan,commençai-je,l’important,çan’estpastellementd’enavoirun,c’estsurtoutd’être
aiméparlespersonnesquinousentourent.Ilsourit.Cesouriremefaisaitcraquer,commeceluidesamère.Avecça,ilpourraitachetern’importe
qui.Missionaccomplie!—Est-cequetum’aimes,toi?Merde.Nouvellequestion.Nouvelleépreuve.Laréponseétaitpourtantévidente.—Biensûr,bonhomme.Vienslà.Je lui tendis lesbras, et ilvint senichercontremoi.La jouecontremon torseetunemain surmon
ventre, il me donnait l’impression d’avoir de l’importance. Il sentait la vanille, comme sa mère. Jeremontailedrapjusqu’àsonépauleetl’étreigniscommepourleprotéger.—Est-cequeçaseraitunmensongesijedisaisàmescopainsquetuescommemonpapa?Saquestionmepritaudépourvu.Jenem’attendaispasàça.Ilauraitputoutaussibiendire:est-ceque
tuveuxêtremonpapa?Est-cequejepouvaisluidirequ’ilnedevaitpasmevoircommeça?Etmoi,qu’est-cequejevoulais?—Çan’estpaslavérité,répondis-jefinalement.Maisjenetegronderaispas.Je sentis sa joue frémir contremoi. Il souriait. Si ça le rendait heureux, alors qu’il le crie à toute
l’école !Moncœurse remplitde fierté.Deux joursavec lui,et ilnem’avaitpasseulementchangé, ilm’avaittransformé.Commesamère.Sarespirationdevintsifflanteetlégère,satêtesefitpluslourde.Ildormait.
Despasprécipitésrésonnèrentsurleparquetdanslecouloir.Madelynavaitdécouvertlelitd’EthanvideetOceanaseulesurlecanapé.Laportedelachambres’ouvrit;jeportaiundoigtàmabouche,pourindiqueràmaoumesvisiteuses
denepasfairedebruit.—Ilestlà,maman,entendis-jeOceanachuchoteràsamère.Laporteserefermaderrièreelle.—Laisse-le,ilvientjustedeserendormir,murmurai-je.—Désolée.Je lui tendis lamainpour toute réponse.Moins spontanéequ’Ethan, elle choisit de s’asseoir àmes
pieds, les jambes entrelacées aux miennes. Ses petits pieds gelés me firent sourire. Sage décision.Qu’auraitditEthans’ill’avaitdécouvertedansmesbrasàcôtédelui?Pourtant,Oceanaserapprocha.Àquatrepattes,elleremontalelitjusqu’àmoi.—Jeconnaismonfils,chuchota-t-elle.Unouraganpourrait le frôlerqu’ilnese réveilleraitpas. Je
saisaussiqu’ilpeutdirejusqu’àcinquantefoislemotmamandanssonsommeiletqu’ilnesupportepasdedormirdanslesbrasdequelqu’unparcequ’ilatoutletempschaud.Ensuiteilprendratoutelaplace,adopteradespositionsdigned’uncontorsionniste,pourfinirbrasetjambesécartésentraversdulit,ettun’aurasd’autrechoixquedetelever.Àpeineeut-ellefinitsaphrasequ’Ethansemitàbougeretseretourna,embarquantledrapaveclui.Oceanasouritavecfierté.—Debout,Ricklesurfeur,souffla-t-ellesurmabouchesanslatoucher.Unechoseétaitcertaine,j’allaissurferaujourd’hui.Maispassurunevague,seulementsursapeauet
surseslèvres!Jerécupéraimesbéquilleset,avecleplusdediscrétionpossible,jelarejoignisdanslacuisine.Elle
ne se retourna pas àmon entrée et continua à préparermes délicieux pancakes dont je connaissais larecette par cœurmaintenant.Aumouvement de ses bras et au tintement de la vaisselle, j’en déduisisqu’elle en était à monter les blancs en neige. À deux pas derrière elle, je l’observais. Ses hanchesondulaientdansceputaindelegging.Jejalousaistoutcequiavaitledroitdemouleravecindécencesonpetit cul parfait.Moi aussi, je voulais ne faire qu’un avec sa peau,m’immiscer entre ses cuisses et yrestertoutelajournéeettoutelanuit.Aubruitdel’eauprovenantdelasalledebains,jesupposaiquesamèreétaitsousladouche.Jeme
collaiàelle.Ellefrémitaupassagedemeslèvresprèsdulobedesonoreille.—Rick…Ellenemegrondaitpas.Ellenemerepoussaitpas.Commemoi,ellen’enpouvaitplusdeseretenir.
Rienn’étaitcommeàMiami,oùnouspouvionsnoustoucher,nousfrôler,nousregarder.Ici,ilyavaitlacraintequ’Ethannoussurprenneetquesamèrenoussermonne.—Àquelleheure,lesrésultats?haletai-jedanssoncou.Ellerejetasatêteets’appuyacontremoi,appliquantsesfessesauplusprèsdemonintimitétendue,et
soupira.—13heures…—Hum.Bordel.Samère.Là,pourlecoup,mesjouesdevaientêtreaussirougequecellesd’Oceana.Jebondis
enarrière,cedontjefusrécompenséparunefulgurantedouleurdansmajambedroite.
—Dé…désolé.Madelynm’ignorapourlancerunregardréprobateuràOceana.—Tuvois,Oceana,c’estpourcetteraisonquejeveuxquetuaiestonappartement!Oceanam’avaitvaguementparlédeça.Moi,jen’étaispascontre.Maisjem’étaisretenudeluifaire
partdemonavis.Ellesemorditsalèvreinférieureetseremitàlaconfectiondespancakes,commesisamèren’avaitriendit.Unsourireauxlèvres,Madelynmedemandapolimentsimanuits’étaitbienpasséeets’excusapourl’arrivéed’Ethanaupetitmatin.PendantqueOceanaprenaitsadouche,jeluioffrisànouveaudesejoindreànouspourlasoiréeet,
commelaveille,ellerefusa.Néanmoins,l’explicationqu’ellemedonnamefitsourire.Ilétaitquestionde la liberté de sa fille, de prendre ses distances avec elle et de lui laisser un semblant d’intimité.J’appréciaisbeaucoupMadelynet,mêmesiellerestaitréservéesurlarelationquej’avaisavecsafille,jesavaisquec’étaitréciproque.Finalement,commelaveille,nousavionspassélamatinéedanslesmagasins.Oceananesevoyaitpas
débarquer chez Peter et Wendy les mains vides. Bougon, je l’avais suivie dans une boutique depuériculture,puisdansunmagasinde jouetset,enfin,nousavions rejoint le laboratoire.Munisdenosenveloppes encore fermées, nousnous étionshâtésde retourner à l’appartement– j’étaismêmearrivéavantelleenhautdesmarchesdel’immeuble,lesdoigtsengourdisd’avoirchassélesrouestoujoursplusvitesurlebitumeetlesjambesdouloureusesd’avoirfaitl’effortdeportermonfauteuiljusqu’àlaported’entrée.Jem’encontrefichais!Àpeineeut-ellepassélaportequ’elles’empressadesouleversarobeblancheencoton.—Non,non,non,Vanille,tumelalaisses…L’instit l’avait lorgnéesansvergognecematin, laissantglissersesyeuxsurses jambesnuesavecun
peutropd’insistanceàmongoût.Et jevoulaismevenger.Jevoulaispouvoir luidiredansuneheure:«Salut connard, je lui ai enlevécette foutue robeet j’ai embrasséchaquecentimètrede sadélicieusepeau!».Enréalité,jenediraisrien,maislesjouesd’Oceana,rougiesdenotreétreinte,parleraientàmaplace!—Lestests,dit-elle.Jelarejoignisassezvitepourlafairesursauter.Mesmainsfilèrentàvivealluresoussarobe,jusqu’à
safineculotteendentelle.J’embrassaisaclavicule.Ellefrémit.—Jet’enprie,fais-moilalecture…Putaindevanille.Malangueglissajusqu’àsoncou.Lebruitd’unpapierqu’ondéchireeffleuramon
oreille.Premièreenveloppe.Undemesdoigtscourutsousladentelle,jusqu’àsonclitoris,lepressa,fitdepetitscercles.—Jenepeux…haaaa,gémit-elleenfermantlesyeux.J’appuyaimonmembredurcisursacuisse.—Jesuiscertainquetupeuxyarriver.J’inséraiundoigtenelle.Trempée.Elletrembladansmesmains.Jelasoulevaipourlaporterjusqu’à
latable,luiarrachantuncridedésespoir.—Négatif,haleta-t-ellecontremoi.Elle?Moi?Peum’importait.J’entendislefroissementdeladeuxièmeenveloppe.BonDieuqu’elle
étaitbelle.Jeposaimeslèvressursoncou,descendissursonépaulepuisàlanaissancedesonbuste.
—Négatif,haleta-t-elleunenouvellefois.Coupd’envoi.Commelegongd’unmatchdeboxe.Plusriennepouvaitnousarrêtermaintenant.Jefis
glisserlesbretellesdesarobeetmereculaipourl’observer.Sapoitrineenferméedanssonsoutien-gorgeen dentelle se soulevait rapidement. J’introduisis une main dedans. Découvrant entièrement un sein,j’effleuraidemalanguesontétondurci.—Qu’est-cequetuveux?—Quetumemordes.Je souris avantdem’exécuter.Doucement,maisassez fortpour la fairegrimacer.Et commechaque
fois,jeluioffrisunesuccion,feignantdeluiaspirertoutedouleur.Ellegémit,latêterejetéeenarrière,ses ongles s’enfonçant dansmes omoplates. J’aimais tant la voir dans cet état, les joues rougies, lesmuscles bandés, la peau parcourue de frissons. Elle croyait être ma soumise, mais il n’en était rien,j’étaissonpantin,jerespiraisuniquementpourlasentir,jelacaressaisseulementpourlafairefrémiretjen’existaisquepourlafairejouir.Elle me retira mon polo. En un tour de main, j’ôtai pantalon et caleçon. J’appuyai mon pénis en
érectionsursadentelletrempée.Jevoulaisluifairesentirl’effetqu’ellemefaisait.Unrâlesortitdesabouche,oupeut-êtredelamienne,jenesavaisplusbien.Jen’étaisplusrien.Ellesesoulevapourm’aideràluiretirersaculotte.Bordel.Nousyétions.Cedontjerêvaisdepuis
desjourssetrouvaitdevantmaqueue.Jelapénétraidansungrognement.Là.Ilétaitlà.L’objetdemesfantasmes.L’exquisechaleurhumidedesonvagin.Jelasentais.Sansbarrière.Sansentrave.Entièrement.Avalantmonsexesanspudeur.Bordel,jen’allaispastenirlongtemps.C’étaitsibon.—Mouilléeàsouhait,haletai-je.Jel’embrassai,suçaiseslèvres,entrelaçainoslangues.Puis,àl’appuidesestalonssurmesfesses,
j’agrippaiseshanches.Jem’agitaisenelle.J’oubliaistout,lachaleurdelapiècesansclimatisation,lebruitdelacirculationetmêmelefaitquenousétionssurlatabledelasalleàmangerdesamère.Àlatensiondesesbrasautourdemoncou,jesusqu’elleallaitexploseretm’emporteravecelle.—Pasencore,Vanille,soufflai-jeenm’immobilisant.Pasencore.De se poings, elle pressa les fesses avec audace, pour s’empaler plus profondément sur moi. Je
devenaisfou.Maisjevoulaissesbrasautourdemoi.Jelasoulevaiet,sanspenseràladouleurdemesjambes,laportaijusqu’àsoncanapéoùjemelaissaitomberenarrière.Ellemedévisageauninstant.Oui.Jevoulaisqu’ellemechevauche.Ainsiassissouselle,jepouvais
menoyerenelleetsurelle.Aumouvementdesescuisses,jecompriscequim’attendait.Ellem’enfonçaenelledansungrondement.Jegémissurundesesseins.Observailatensiondesoncou.Soutinslepoidsdesondosaucreuxdemesmains.Elleondulait surmoi.Sapoitrineglissait surmon torse.Toutétaitlisse,chaudethumide.Sapeau,sonsouffle,dehors,dedans.L’orgasmepointaitsonnez.Jegrognaides«Oceana!»,haletaides«Oui!»etsoufflaides«Encore!».Jelâchaiprise.Ellejouitavecardeurdansmonoreille, criant desmots incompréhensibles, la boucheouverte, les yeuxbraqués sur lesmiens. Jem’effondraisursonépaule,lesoufflecourt.Jenevivaisquepourelle.Jeneregrettaisqu’unechose,quesapeauaitaussibiencicatriséetquelehâleaitsiviterecouvertmes
morsures de la semaine précédente. Parce que cette robe laissait tant voir de son décolleté que lesalopardd’institaurait,enlesdécouvrant,unbonsujetderéflexion.Oceana,lesyeuxrivéssurlamassed’écoliersquidévalaitlesmarchesdel’institution,n’yvoyaitque
du feu. Une seule chose comptait. Ethan. Moi, en revanche, j’avais chargé les miens de noirceur,
uniquementpourcetype.Etlepiredanstoutça,c’étaitqu’iljouaitletimoréetl’effarouchédevantelle,maisàl’abridesesregards,ill’épiaitcommeunvieuxpervers.Ethanseruadanslesjambesdesamère,puissautasurlesmiennes.Cettefois-ci,jenepusmeretenir
degrimacer.Jen’avaisrienditàOceana,maisquelquechoseclochaitdanslajambedroite.ÇaattendraitmonretouràMiami.Commelepremierjour,l’instituteurs’approchad’elleetluiservitsonnumérode«Jenesaispasquoivousdirepourvousparler…».Oceanamesouritpourmefairecomprendredenepasl’attendre.J’assenaiaufauxcoincéunregardnoirqui lefitdéglutiretprisdel’avance.Lentement.Auboutde
quelquesmètres,jem’arrêtaietmeretournai.Ethanm’expliquaitqu’ilsavaientunpoissonrougedanslaclasse.Jenel’écoutaisqu’àmoitié.Oceanarevenaitversnous,tropdoucement,leregardhagardetleslèvrespincées.Arrivéeànotrehauteur,elleenfouitsamaindanslachevelured’Ethanpuislaluitendit,sansmeregarder.Ill’attrapaetdescenditdemesgenoux.—Oceana?Sansrépondrenitournerlatêteversmoi,ellerepritsonascensionversl’appartement.Jeréitérai:—Oceana?EllesouritàEthanquis’étaitarrêtéetluidit:—J’aiunetrèsgrosseenviedefaireungâteauauchocolat,trésor.Moncœursebrisa.Sielleavaituneenviedegâteauauchocolat,çan’annonçaitriendebon.Etc’était
moidontellechoisissaitd’ignorerl’existence.
Chapitre33
Désolé
WendyetPeterhabitaientdansunluxueuxappartementautrentièmeétaged’unimmeubledel’UpperWestSide.Oceana avait gardé la tête biendroite et la bouche fermée surun charmant sourire à notrearrivée. Jen’avaispaspenséuneseule secondequ’ellepourrait se sentirmalà l’aiseavecmesamis.C’étaitOceana.EtOceanas’accommodaitdetout,non?Il fallait croire que non. Elle avait rougi naïvement en distribuant ses cadeaux à Lily et àWendy,
commesicequ’elleavaitchoisineseraitjamaisàlahauteurdeleursattentes.PeteretWendypouvaientparaîtresuperficiels,puisqu’ilsneregardaientjamaisàladépense,maisilsn’enaimaientpasmoinsleschosessimples.Peter,àladifférencedeWendy,devaitsonargentàseseffortsetàsonambition.IssudelaLittleHaïti,àMiami,lequartierlepluspauvredelaville,ilavaitréussiàobteniruneboursed’étudesetàintégrerlaprestigieuseécoledecommercedeMiami,lamêmeannéequemoi.Dèsl’obtentiondesondiplôme, il avait plié bagage pourNewYork et fait la connaissance deWendy dans des circonstancescocasses.Lesparents deWendypossédaient denombreux appartements, etPeter occupait l’und’entreeux.SaufquePeter, tout commemoiàcetteépoque,n’avait en rien l’apparenceduparfait intellectueltimideàlunettes,maisplutôtcelledumauvaisgarçon.EtWendy,quihabitaitàl’étageinférieur,enavaitfaitlesfrais.Elleavaitsubi,presquetouslessoirs,lescrisdesfillesetlesgrincementsdesressortsdesonlit,desheuresdurant.Bienquegentille,éléganteetdebonnefamille,ellen’étaitpasdustyleàselaisserfaire.Elleavait,unsoir,simuléunejouissanceexagéréetoutenmartelantavecrythmelemurdelachambre.Peteravait cessé sesactivitésnocturneset avait fait livreràWendyune rose rouge, tous lesjours,pours’excuser.Pendantunmois.—J’aicrucomprendrequevousétiezinfirmière?demandaWendyenposantlepaquetcadeausurses
genoux.Oceana, assise dans le sofa en cuir blanc en face d’elle, acquiesça avec appréhension. Je pensais
pourtantque l’excitationdeLily l’avait rassurée.Sitôt soncadeauouvert, celle-ci avait foncédans sachambreavecEthan.Peteravaitraison,cesdeux-làs’entendraientàmerveille.Jequittaimon fauteuil roulantpourm’asseoirplusconfortablementdans le sofaàcôtéd’elle.Peter
revenaitavecnosboissons,jusd’orangepourlesfemmesetbièrepourluietRick.Jenepusmeretenirdefrôlersacuisseduboutdesdoigtspar-dessusletissuenveloursdesarobenoire.Ellesetendit,maislecoindeseslèvressereleva.Premièreréactionpositivedepuisquecesalegarsd’institluiavaitparlé.Sitôtrentréeàl’appartement,elleavaitpréparésongâteauensilence,plongéedanssespensées;elleenavaitmêmeoubliédeproposeraubonhommede lécher leplat. Il l’avaitboudée jusqu’ànotrearrivéechezPeteretWendy.Ouplutôt,Lilyavaitréussiàluifaireoublierson(presque)caprice.—Vousn’auriezpasdûpour le cadeau, c’est trèsgentil à vous, la remerciaWendyendéfaisant le
rubanvert.Oh!C’estmagnifique ! s’extasia-t-elleenbrandissant lepetitpyjamableu turquoise.Maisbleu?Pourquoi?—J’aicrucomprendrequec’étaitungarçon,murmuraOceanaenjetantunrapidecoupd’œilàPeter.
Wendysetournaverslui.
—Ungarçon?Etcommentpeux-tuenêtrecertain?—Jenevoulaispascauserdedisputes,intervintOceana.—Peter,j’espèreréellementquetuneconnaispaslesexedubébé,sinontupeuxrécupérertonoreiller
etfilerdroitverslachambred’amis!menaçaWendy.—J’aigardéleticketdecaisse,voussavez…repritOceana.—Alors,Peter?insistaWendy.—Net’inquiètepas,ilssonttoujourscommeça,murmurai-jeenmepenchantversOceana.Wendusoupira.—Jeneferaipasdetroisièmeessaipouravoirungarçon,alorsilvautmieuxpourluiqu’ilsefasseà
l’idéed’avoirunefille.Jeseraismêmeprêteàluifairesubirunevasectomie,railla-t-elle.—Elleneleferaitpas,meditPetersansgrandeconviction.—Tuveuxparier?ledéfiaWendy.LilyetEthanrevenaientencourant.—Onasoif,papa!s’écriaLily.Peterposasabièresurlatableetlasoulevadanslesairs.—Çan’estpascommeçaqu’ondemande,jeunefille…—S’ilteplaît,papa!Ethan,essoufflé,lessuivitjusqu’àlacuisine.Oceanasemblaitpréoccupée.Elleaussiavaitremarqué
sesjouesexagérémentrouges.— Comment arrivez-vous à concilier votre vie de famille et votre vie professionnelle ? demanda
Wendu. Lily est constamment dans mes pattes. Je ne trouve même pas le temps d’aller chezl’esthéticienne!—Mamèrem’aidebeaucoup.Maispeut-êtrequeLilyveutprofiterdevousavantquesapetitesœur
arrive?suggéraOceana.Wendysepenchaversnous.— En réalité, chuchota-t-elle, c’est un garçon. Je le sais depuis quelques semaines, mais Peter
l’ignore.Jeveuxlevoirpleurercommeunefilleàlanaissance!Ettoi,Rick,tuferaismieuxdetetaireoùjeteprometsdetefairesubirlavasectomieàlaplacedetonpote!Oceanasemitàrire.—Laissemescouillestranquilles,Wendy,jecomptebienavoirdesenfantsunjour,rétorquai-je.Lerired’Oceanas’arrêtanet.Commesimaphraseavaitcoupésescordesvocales.— Il va falloir que tu te mettes sérieusement au travail, Rick. Peter m’a raconté pour… comment
s’appelle-t-elle,déjà?Kristen.Tuaseudesnouvelles,depuis?Jehochailatête,incapabled’endireplus,etbusd’untraitmabière.Wendyserelevaengrimaçant,
gênéeparsonénormeventre.—Jevousfaisvisiter?luidemanda-t-elle.Oceanaselevaàsontour,sanssefaireprier.Ellen’avaitpasl’aird’avoirenviederesteràcôtéde
moi.J’auraisvoululuidirequej’étaisdésolépourEthan,désolépourKristen,désolépourlesenfantsquejedésiraisetqu’ellerefusaitd’avoir.Non.Enréalité,jen’étaispasdésolé.J’avaiscruagirpourlemieuxavecEthan,Kristenavaitfaitpartiedemavieet,qu’elleleveuilleounon,jevoulaisdesenfants.
QuandPeterrevint,ilsemontradirect.—Oùtuenes,avecKristen?—Tafemmem’aposéàpeuprèslamêmequestion,ilyacinqminutes.Jen’ensaisrien.Etjen’avaisaucuneenvied’abordercesujet…—Maintenantquetuespresquesurpied,tucomptesreprendretesaffairesavectonpère?—Dansdeuxmois,soufflai-je,lesyeuxrivéssurOceana.Sesbouclesblondesdansaient sur sondos.Lesbrasappuyés sur le comptoirde l’îlot centralde la
cuisine,ellediscutaitavecWendydevantlesfourneaux.Cetterobeenveloursnoirdessinaitchacunedesescourbes.Sinousn’avionspasétéàNewYorkavecEthan,j’auraisdéjàglissémesmainsdessousetremontélentementlegalbedesescuissesjusqu’àlacambruredesesreins.Jem’yvoyaisdéjà.—Oceanaestunejoliefille.Plusquejolie,même.—Jet’aivularegarder,continua-t-il.Ellenetelaissepasindifférent.C’estquoi,l’embrouille?—Pourquoiveux-tuqu’ilyaituneembrouille?—Tun’asplustellementbesoind’elle,maistulagardesencoreavectoiàMiami.Soittuesunputain
d’égoïstequipréfèrelaséquestrerplutôtquedelalaisseravecsonfils,soitilyauneembrouille.—Embrouille.Elleabesoind’argent.PourEthan.Ilfronçalessourcils,indécis.—Pourquoituneluidonnespascequ’elleveut?—Parcequejenepeuxpas.C’estCarlquivaluidonnerl’argent,figure-toi.Jejetaiuncoupd’œilàOceana.Ellemesouritrapidementavantdedétournerlatête.—Carl?J’aidumalàtecroire!D’oùluivientcetélandegénérosité?Je le savaispour avoir euunediscussionavec lui. Il pensait éprouverquelquechosepour elle.Au
départ, il s’agissait d’un simple défi, parce qu’elle lui avait résisté et qu’elle l’avait repoussé.Maismaintenant, après l’avoir vue rire, sourire, s’amuser, il était comme moi. Dépendant. Tombé sous lecharmede«lavanilledeRick»,commeildisait.— Ça n’est pas de la générosité. En fait, je pense qu’il ne sait même pas pourquoi Oceana en a
tellementbesoin.Ettuleconnais.Ilnedonnerienpourrien.Alorsquemoi, je luiauraisdonnéces troiscentmilledollarsaujourd’hui, si je lesavaiseus.Pour
Ethan.Pourmonbonhomme.—Quelestsondeal?Ilm’avaitpromisdeneplusriententeravecelletantquejeseraisaumilieu.Aumilieu.Commesije
pouvaisêtreunsimplecaillouqu’onpouvaitécarterduboutdupied.—Unputainderendez-vousparsemaine.Etlasemaineprochaine,ill’embarqueradeuxjoursentiers.Amer, jefinismabièred’unetraite.J’espéraissimplementquemonplanfonctionnerait.Sic’était le
cas,Carlseraitéliminédujeu,ellepourraitrentrerchezelleplustôt,etEthanauraitsonopérationplusvite.—Çan’apasl’airdet’enchanter.Mais,d’aprèsmoi,çan’estpasnonpluslevraiproblème.Jeme
trompe?
—Qu’est-cequejevaisfaire,Peter?Jeveuxdire,OceananevoudrajamaisvenirvivreàMiamiavecEthansanssamère.Etmoi,àNewYork,jenesuisrien!Jen’aipasunsou,mesparentsm’ontcoupélesvivres,etjenemevoispasleculsurunechaisedansunputaindebureau.Ilmesourit.—Çan’estpassiterrible.Jefronçailessourcils.—Lesbureaux.Laissetomber,c’étaituneboutaderatée.Quelleestladifférence,aufond,entreêtre
assisderrièreunbureauàNewYorkouderrièreceluidetonpèreàMiami?Jesoupirai.Oceanafaisaitladifférence.Maispouvait-ilcomprendrequ’àMiamitoutétaitdéjàtracé
etécrit?C’étaitunevaleursûre.Unpeucommelameilleureportedesortiedansunmanoirhanté.—Ici,jenesuisqu’untypesurdesbéquilles,alorsqu’àMiami,j’aiuneplacequim’attend,répondis-
je.Illevalesyeuxauciel.—Pourlapremièrefoisendixansd’amitié,jevaist’insulter;neleprendspasmalsurtout.Tuagis
commeunsalegossederiches.—Cen’estpasuneinsulte,c’est-cequejesuis…—Non.C’estpire,s’esclaffa-t-il.Tun’asjamaisétécommeça.Tut’estoujoursdébrouillésanstes
parents.Etlà,àlapremièredifficulté,tuprendstesjambesàtoncou.Tuesunputaindetocardderiches,enréalité.Jesoupirai.Est-cequ’ilavaitraison?Toutauraitétéplussimplesij’avaisgardémonclubdesports
aquatiques ! J’aurai juste eu besoin d’un gars pour donner les cours et gérer la boutique en attendantd’êtrecapabledelefairemoi-même.Sij’avaissu…—Jepeuxtoujourstetrouverunpostedansmonentreprise,reprit-il.Jesaiscequetuvaux.Ettun’as
pasbesoindetesjambespourbosserpoureux.Réfléchis-y.—Réfléchiràquoi?demandaWendy,quisortaitde lacuisineunplateaud’amuse-boucheentre les
mains—Àtravailleravecmoi,répondit-il.Oceanamefrôlaenprenantplaceàcôtédemoi. Jemeraidis.Ellemeparutplusprocheque toutà
l’heure.Noscuissespouvaientpresquesetoucher.Qu’ellen’aitpaschoisil’autreextrémitéducanapémerassura.—Aumoinstuaurasunebonneexcusepourrentrertard,annonçaWendyàsonmarienluiplantantun
doigtdansleflanc.Je profitai de leurs chamailleries pour prendre la main d’Oceana et la porter à ma bouche pour
l’embrasser rapidement. Un sourire angélique naquit sur ses lèvres. J’allais y réfléchir. Je devais yréfléchir.Lasoirées’étaitbienpassée.Oceana,détendue,avaitbeaucoupri.Etàprésentquenousallionsenfin
nousretrouverseuls,jemedemandaissic’étaitlebonmomentdeparlerdecequil’avaitagacéeendébutd’après-midi.Jen’avaisaucuneenviedemedisputeravecelle.Parceques’ilétaitquestiond’Ethanetde son enviededire que j’étais comme sonpère, je nem’excuserais pas.Elle,mieuxquequiconque,pouvaitréaliseràquelpointc’étaitimportantpourluidenepasparaîtredifférent.—Ils’estrendormi?luidemandai-je.
Ellehochalatêteetposasesyeuxsurmesjambesnues.Assissurlelit,jelesmassais.Nosgalipettesde l’après-midi nem’avaient pas laissé indemne.Etmême siEthan ne devait pas peser plus de vingtkilos,l’avoirportésurmesgenouxdelavoitureauporchedel’immeublen’avaitpasarrangéleschoses.Maisj’étaisfierqu’ilaitvouluêtreavecmoi,surmoi.— J’ai passé une bonne soirée, annonça-t-elle en récupérant son oreiller et sa couverture dans son
armoire.Ilétaittoutauplus22heures,etellepartaitdéjà.—Tunerestespas?—Jesuisbarbouillée,quelquechosen’estpaspassé.Ellesefrottaleventreengrimaçant.—Est-cequec’estlaseuleraison?Ellesecoualatête,puissoupira.—Jenet’obligepasàrestersitun’aspasenvied’êtreavecmoi…Ellevintseplacerdevantmoietsetourna,soulevantsescheveux,pourmedonneraccèsàlafermeture
àglissièredesarobe.Cetterobe…BonDieu!Lentement,jelatiraijusqu’aubasdesesreins.Sapeaudouceétaitgelée.Je
l’attiraiàmoipourlaréchauffer.—Qu’est-cequ’ilt’adit?L’instituteur?demandai-jecontresapeau.Ellefrissonnaunenouvellefois.J’ôtaimonT-shirtetleluitendis.Elles’empressadel’enfiler.—Pascesoir,Rick.Jet’assurequeçanevapas.Jesuisréellementbarbouillée,jesuisgelée,j’aides
courbaturesetj’aidumalàparler.Sonmurmuremedéchira. J’ouvris le lit ; elle s’allongeaprèsdemoi.Ellene frissonnait plus, elle
grelottait.J’éteignislalampedechevetetétreignisOceana,nichantsatêtecontremontorseetentrelaçantsesjambesauxmiennes.—D’accord,chuchotai-je.Jenevoulaispasqu’ellemequitte.Jevoulaiscomblerlefosséfroidethostilequ’elleavaitcreusécet
après-midi.Jevoulaisqu’ellesachequej’étaislàpourelle,aussibiendanslesbonsmomentsquedanslesmauvais.Commesiellepouvaitliredansmespensées,elleposaunbaisersurmonbrasetseserracontremoi.
Sonnezfroidsurmontorsemesurprit.Elleétaitréellementmalade.—Jeresteavectoi…Jefrictionnaisondosetcaressaisescheveuxjusqu’àcequ’ellecessedegrelotter.Cinqminutes?Dix
minutes?Peut-êtreplus.Àguettersessoubresautsdanssonsommeilagité,àobserversachambredanslapénombreetàécoutersarespiration.Finalementsonsouffledevintrégulier,sesmusclesserelâchèrent.Elles’étaitendormie.Lanuitnefutpascalmepourautant,Oceanapartitencourantjusqu’auxtoilettesaumoinsquatrefois.
Jenepouvaisfairemieuxqueluitenirlescheveuxetluitendreuneserviettepours’essuyerchaquefoisquecelaseterminait.—Qu’est-cequisepasse?S’inquiétaMadelynennousdécouvrantsurlesoldelasalledebains.Le dos contre le carrelage froid, je tenaisOceana dansmes bras. Elle s’était rendormie entremes
jambes,épuisée,seulementcouverted’unepetiteserviettedebain.
—Quelquechosen’estpaspassé,luiexpliquai-je.J’aiessayédeluifaireprendreunantivomitif,maisellenegarderien.Elleresserralaceinturedesonpeignoirblanc.—JevaisposerunjourpouremmenerEthanàl’école,serésigna-t-elle.—Jem’enoccupe,nevousinquiétezpas;jesaisquechaquejourcomptequandOceanaestàMiami.Ellesavaitquej’avaisraison.Enl’absencedesafille,ellen’acceptaitpluslesheuressupplémentaires
etrefusaitdebosser leweek-end.C’était temporaire,mais jeconnaissaisassez lemilieuhôtelierpourcomprendrequ’elleperdait tous les joursunpeuplusd’argentetque le traitementde faveurdontmonfrèrel’avaitgratifiéen’étaitpaspasséinaperçuauprèsdesautresemployés.EtilyavaitEthan.Sijamaisilluiarrivaitquelquechose,elledevraitprendredesjoursdecongépourêtreauprèsdelui.Alors,autantprofiterdemaprésence.—Froid…murmuraOceana.Sespaupièresfrémirent,commesielleessayaitdelesouvrir.Jecaressaisonvisagepâle.—Net’inquiètepas.Vouspouvezm’aider?demandai-jeàMadelyn.Celle-cis’agenouillapourmaintenirOceanaassise.Jem’appuyaide toutesmesforcessurmesbras
pourmereleveretretinsuncritantlesdéchargesdansmesjambesdevinrentinsupportables.Àboutdesouffle, le visage crispé par la douleur, jeme baissai pour hisserOceana.Madelynme regarda avecinquiétude.—Çavaaller,mentis-je.Vingt-deuxpas.Vingt-deuxpaspourrejoindresachambre.C’étaitaussilongqu’atroce.Jevacillaisur
lesderniers.Bloquantmonsoufflecommes’ilmepermettaitderetranchermadouleurplusloin.Cenefutquelorsquejesentislecadredulitcontremestibiasquejepusrespirer.Jeladéposaidélicatementsurlematelasdansungrognementlibérateuretreprismonsouffleavantdetenterdelarejoindre.—Laissez-moivousaider.Là,ilnes’agitplusd’Oceana,Rick.Jenerefusaipas.Madelynm’aidaàcontournerlelitetàsoulevermesjambescrispées.—Merci.Ellemesouritavectendresse.—Jevous apporte unebassine, nevous levezplus, vousm’entendez ?Sinon, jem’occuperaimoi-
mêmed’Ethandemainmatin.C’estcompris?—Rick…m’appelaOceana,labouchepâteuse.Je…Rick,je…—Jetel’aidit,jesuislà,net’inquiètepas,mavanille.JemefoutaispasmaldeMadelyn.Decequ’ellepouvaitvoir.Moi,torsenu,dansunlitavecsafille
vêtuedemonT-shirtquicouvraitàpeinesesfesses.Oudecequ’ellepouvaitentendre.Mesmotsdoux.Jesavaisqu’elleavaitdépassétoutça.Qu’ellenejugeaitpas.Qu’iln’étaitquestionquedemonaffectionpoursafille.—Appelez-moisiçanevapas,d’accord?insista-t-ellechaleureusement.Je n’avais plus le choix. L’amertume m’envahit. Comment pourrais-je m’occuper convenablement
d’Ethan et d’Oceana au quotidien si aujourd’hui je n’étais même pas capable de gérer une simpleindigestion?Jenevoulaispasêtreunpoids.Jenevoulaispasêtreunfrein.Jevoulaisêtreunmoteur.Jevoulaisêtrelatraînéelumineusedecesdeuxétoiles.Jevoulaisseulementlesportertoujoursplushautetplusloin.
Etjen’étaispasdetailleàlefaire.
Chapitre34
Séparation
Je grimaçai devant le miroir de la salle de bains. Ou plutôt devant l’image qu’il me renvoyait.Désolante.Maigre. Blafarde. Immonde. Jeme rappelais avoir passé une nuit effroyable. Une journéeentièreà luttercontre les spasmesdemonestomacvideetcontredesaccèsde fièvre.Rickétait restéavecmoi.Unmédecinaussiétaitpassé,dontjenemerappelaismêmepasavoirvulevisage.Rick.Ilm’avaittenulescheveux,tenduuneserviettemouillée,cajolée,offertsaprésenceetsachaleur.
Etj’avaisessayédeluifairecomprendrequejenevoulaispasqu’ilmequitte,quej’étaisdésoléepourtoutça,etpourlereste.J’enfilairapidementunchemisierblancetunjean,appliquail’anticernesdemamèresousmesyeux,
exagéraileblushsurmespommettes,passaisurmeslèvresunefinecouchedeglossrose.Jeparaissaismoins fade. Mais l’essentiel pour moi, c’était d’être assez remise pour emmener Ethan à l’écoleaujourd’hui.Mamèrem’avait raconté lanuitdemercredià jeudi,et la journéequiavaitsuivipendantnotre petit déjeuner qui, je l’espérais, resterait à sa place dans mon estomac. Rick s’était occupéd’habillerEthan,deleconduireà l’écoleetderetourner lechercher.Puis ilsavaientprisuntaxipourCentralPark,avaientvisité lezoo,canotésur le lacetregardélecielchangerdecouleur,allongéssurl’herbe.Cequejeredoutaiss’étaitproduitàmoninsu,Ethans’étaitprisd’affectionpourlui.Venirensembleà
New York n’avait pas été notre meilleure idée. D’une part, Ethan allait devoir faire face à deuxséparations et, d’autre part, je devais encore mettre certaines choses au clair avec Rick. Plus tard.Lorsqu’Ethanseraitàl’école.Lorsquenousserionsseuls.QuandEthanmevit entrerdans lacuisine, il sautade sachaiseet seprécipitadansmes jambesen
hurlant«Maman!».Iln’avaitpasl’habitudedemevoirmalade.Jevenaisderattraperdesannéesderésistancesauxvirusenuneseuleindigestion!Jecaressailatêtedemonfils.Leprolongementdemavie.Lameilleure partie demoi. Ethan.Ce petit être au cœur fragilemais au pouvoir de reconstruction sigrand.Ilmesuffisaitdeleregarder,lesyeuxrayonnantdegaieté,pourcomprendrecequ’étaitl’amour.Jen’étaispasaumieuxdemaforme.Jefustoutdemêmecapabled’emmenerEthanàl’école,pendant
queRickdormaitàpoingsfermésdansmonlit.Aprèstoutcequ’ilavaitfait, ilméritaitbiensagrassematinée!Lamétéo semblait demoncôté, le soleil rayonnait dansun ciel bleu, sansnuage.C’était ledernier
matin.Moncœur se serra enpensantquecette semainemeparaîtraitpresque irréelle le lendemain, etbienplusencorelesjoursquisuivraient.Unrêveéveillé.Laprochainefoisquejeposeraislespiedssurle sol deNewYork, la nature se serait habillée des couleurs de l’automne, la brise serait fraîche etvivifiante,etEthanpourraitavoirsonopération.C’étaitmonseulobjectif.Je le laissai monter les marches blanches de l’école et lui envoyai un baiser soufflé avant de
rebrousserchemin.Laconversationlaplusdifficiledemaviem’attendait.J’avaiscinqminutes,letempsqu’ilmefallaitpourrentreràlamaison,pourfairelepoint.Peut-êtreplus,siRickdormaitencore.
D’abord toutsedire :plusdesecrets.CesserdecroirequeRickpourraitpartirencourantquand ilentendraitcequej’avaisàluidire.Jenevoulaispasd’autresenfants.Insistersurcepoint.Qu’ils’engageenconnaissancedecause.Jene
changeraispasd’avis. Jeneprendraispas le risquede revivre toutes ces épreuves, jenevoulaispasentendreunlaborantinmedirequetoutétaitmafaute,quej’avaisléguéàmonfilslemauvaisgène.Quejelerendaismalade.Ethan. Jen’étaispas seule.Au risquedeme répéter, s’ilvoulaitvivreavecmoi, etpourmoi, il ne
pouvaitpasomettreEthan.Nousétionsunlot.Jeneluidemanderaispasdedirequ’ilétaitsonpère,maisje voulais qu’il prenne conscience qu’en s’engageant avec moi, il prenait aussi le risque qu’Ethans’attacheàlui.Qu’ilnepourraitpasdire«Oui,jesuislàaujourd’hui,maispeut-êtrepasdemain.».Ensuitelui.Etsafamille.Jenevoulaispasêtrelaraisondeleurséparation.Jenevoulaisriend’autre
qu’êtreOceanaetEthan.Jenelesdétestaispas,jenelesméprisaispas.Jen’avaisjamaisrencontrésonpère, et quelque chose me disait qu’il aurait autant de considération pour moi que pour un vulgairechewing-gumcollésuruntrottoir!Pourcequiétaitdesamère…j’étaispresquecertainequ’ellen’étaitpas le dragon qu’elle paraissait. Pourquoi, sinon, avait-elle accepté demedonner les trois centmilledollars dont j’avais besoin ?Et son frère… Il était le patron demamère, et, d’après elle, quelqu’und’humain.J’avaispeineàycroire.Quoid’autre?Notreavenir. Je le suivrais, c’étaitdécidé.S’ilvoulaitque jevienneàMiami, je le
feraissanshésiter.Jen’auraisaucunmalàtrouverunpostedansunedesnombreusescliniquesdelavilleetunenouvelleécoleàEthan,jelesavais.Mamèreavaitraison,jedevaism’envoler.Etaussiluilaissersonespace.Notrerelationfusionnelleempiétaitsurnotrevieprivée.Deloinleplusimportant.Jel’aimais.Jedevaisluidire.Leluicrier.Leluirépéter,mêmes’iln’était
pascapabledel’entendre.Finalement, cinqminutes avaient suffi. Très calme, j’entrai dans l’appartement. La cuisine baignait
danslapénombre.Iln’étaitpaslevé.—Jetel’aidit,jen’ensaisrien,Kristen,entendis-je.Kristen…Mesjambesflageolèrent.—Non.Tu…tunepeuxpasmedireça.Tum’aslaissépartir.Tuespartie!Parfaitmélangedelatendresseetdeculpabilité,letondesavoixm’acheva.Jechancelaietm’appuyai
aumurducouloir.—C’estunenfant,Kristen,neparlepascommeçadelui.Tuneleconnaismêmepas.Lecœurbattantlachamade,j’entreprisdecontinuermonascensionjusqu’àmachambre.—Nelecomparepasànotrebébé!Nemélangepastout!Bienconscientequejen’avaispasàécoutercetteconversation,jefranchislepasdelaportepourlui
fairesavoirquej’étaislà.Lalumièredelalampedechevetsereflétaitsurlapeauluisantedesondos.Assisauborddulit,latêteentrelesmains,l’airabattu,ilneremarquapasmaprésence.—Jerentredemain.Nepleurepas,s’ilteplaît.Je…(Ilsoupira.)Demain,Kristen.S’ilteplaît.Jetoquaidoucementàlaporte.Ilseretourna.—Non.Jetelerépète,jen’ensaisrien,murmura-t-il.Autant sa phrase que son expressionme firent rebrousser chemin jusqu’à la cuisine, oùme laissai
tombersurlapremièrechaisevenue.Ilnesavaitpas?Ilnesavaitpasquoi?!Pasletempsd’imaginerlepireoudemonterunscénariodansmatête,ilétaitdéjàlà.
—Jenesaispascequetuasentendu,commença-t-il,maisjesuisdésolé.Jepouvaisimaginerlepire.Ilétaitdésolé.Jemelevaietprisunetassepropredansleplacard.—Oceana…Jeremplislatassedecaféetluitendis.Mamaintremblait.—Disquelquechose,mesupplia-t-il.Direquoi?Encinqminutes,j’avaiseuletempsd’échafaudertoutundiscours,maisilnem’avaitfallu
quequelquessecondespourperdretousmesmoyens.Jenesavaisplusrien.—Qu’est-cequ’elletereproche?soufflai-je.Il s’emparade la tasseet laposasur la table.Ladistanceentrenousse réduisit sensiblement.Mon
corpsréagit,aussitôtattiréparlesien.—Qu’est-cequetuasentendu?demanda-t-il.Jeneveuxplusqu’ilyaitdesecrets,jeneveuxplusquetutecaches.Dis-moisimplementcequ’ellete
reproche.Sesyeuxbleussechargèrentdetendresse.—D’aimerEthan,det’aimer.Moncœurseserra.Ilnousaimait.—D’aimerEthan,alorsquetunevoulaispasdetonpropreenfant?repris-je.Sabéquilletombaavecfracassurlesol.Ilpritmonvisageentresesmains.—Est-cequetuasentenducequejeviensdetedire?Jeviensdetedirequejet’aimais,Oceana!Jefermailesyeuxuninstantpourfixersesmotsdansmatêteetoublierladétressedesonregard.—Moiaussi.Maisrépondsàmaquestion.EllepensequetupréfèresEthanaubébéquetuauraispu
avoiravecelle?Ilhochalatête,lestraitstirésparlaculpabilité.Ilsavaitqu’elleavaitraison.—Estcequetuveuxavoirunenfant?Àtoi?repris-je,leventrenoué.—Paspourl’instant,répondit-ilensecouantlatête.—Maisunjour,oui.Tuypenses,n’est-cepas?Sonsilencefutaussilourdetdurqu’uncoupdepoingdansl’estomac.—Jeneveuxpas,moi,réussis-jeàluiavouer.Sessourcilssefroncèrent.—Seulementparcequetuaspeur.Peut-être,maispasseulement.—Jeneveuxpas.Ethanmedonnetellementd’amourquejeneressenspaslebesoind’enavoirplus.
Toutsimplement.—Alorsj’auraiEthanaussi.—Nedispasça…Je reculai.Sachaleurm’hypnotisait, saprésencem’enivrait,nousdevionsparler. Je fisminedeme
serviruncafé.
—Unjouroùl’autre,tumeledemanderasettumereprocherasdenepasvouloirtedonnerunenfant.Tonenfant.Etalors,turegretterasdeneplusavoirlechoix.—Est-cequetuesentraindemedirequ’ilfautquejechoisisseKristen?Non.Jevoulaisqu’ilmedisequ’ilm’aimaitplusquetout,qu’ilessaieraitdemefairechangerd’avis,
etque,s’iln’yparvenaitpas,ilmeséquestreraitetm’attacheraitdansunlitàbaldaquinjusqu’àcequejesoisenceinteetqu’ilaitunbambinàlui.Jenevoulaisenaucuncasqu’ilmeparledeKristen.Moncœursebrisa.IlpensaitàKristen.—Est-cequec’esttonchoixaujourd’hui?Jeveuxdire,est-cequetupensesquetudoischoisirentre
Kristenetmoi?Parcequesituypenses,c’estquetuyasdéjàréfléchi.Chancelant,ilattrapaunechaiseets’assit.Ilavaitmalauxjambes.J’évacuaisadouleurdansuncoin
dematête,nousdevionsparler.Sijem’inquiétaispourlui,sijeletouchaismaintenant,çaenseraitfinidenotreconversation.Nousfinirionssurcettetableoubiendansmonlit.—Kristenm’aquitté,souffla-t-il.— Non. Elle a fui parce que tu ne voulais pas de son enfant. Elle revient parce qu’elle sait
qu’aujourd’hui tu ne réagirais plus de la même manière. Parce qu’elle sait que tu veux un enfant.Maintenant.Jeportailatasseàmeslèvressanspourautantappréciermoncafé.—Tunepensespascequetudis.Biensûrquenon,jenelepensaispas.Elleétaitpartie.Perdreunbébén’étaitpasuneraisonvalable.
C’étaitunaccident.—Etsionlaissaitcettehistoiredecôté?Pourquoiétais-tudésolé?Ilsoupira.— Je suis terrifié,Oceana.Terrifié parce que je ne sais pas quoi faire pour vous rendre heureux !
Terrifiéparcequejeneseraijamaiscapabledesubveniràvosbesoins…—Maisdequoituparles?—Regarde-moi!Soncrimefittressaillir.Jenefaisaisqueça,leregarder.Avecl’enviedemeréfugierentresesbras.—Jenepeuxrienfairesansavoirmalauxjambes,reprit-il.Leseulchoixquej’aie,c’estderentrerà
Miamietdetravaillerpourmonpère.—Ettesparentsneveulentpasdemoi,conclus-jeàsaplace.Jepouvaislecomprendre.Jen’étaisqu’unesimpleinfirmière,mamand’unpetitgarçondecinqans,
filled’unedeleursemployés.Àquoibons’attacheràmoi,alorsqu’ilavaitKristen, jeune,richeetdebonnefamille?LepoingdeRicks’abattitsurlatable.Jesursautai.—Jemefousdecequ’ilsveulentounon!s’exclama-t-il.Monpèreestunéternelinsatisfaitet,quoi
quejefasse,çaneserajamaisassezbien.—S’ilavaitsipeud’estimepourtoi,ilnetepermettraitpasdedevenirlefuturdirecteurdesonhôtel.
Tusaisquej’airaison.Ilsoupiraetmedévisagea.—Alors,quoi?—Est-cequetul’aimesencore?
Je retins ma respiration. Le visage impassible, j’essayais de faire bonne figure. En réalité, j’étaisbriséeenmillemorceaux.Toutétaitdouleurenmoi.—Kristen?Je…C’est…Jen’ensaisrien.Est-cequ’onpourraitparlerd’autrechosequedeKristen?Ilnesavaitpas.Commentpouvait-ilhésiter?Commentpouvait-ilencoreluidonnerunechanceaprès
cequ’elleavaitfait?Ilattrapamonpoignetettentadem’attireràlui.Jerésistai.—Non.Parcequelà,tuaslechoix.TuaslechoixentreKristen,appréciéedetafamilleetquidésire
avoirunbébéavectoi,etmoi.Ses yeuxnem’offraient plus l’azur desCaraïbes,mais le bleumarine du fond froid et hostile d’un
océan.—Ettoi,quelesttonchoix?Est-cequetuveuxdemoi?Sesdoigtsfirentpressionsurmonpoignet.Jedéglutis.—Pasdanscesconditions.Pastantquetun’auraspasréglétesproblèmesàMiami.Pastantquetune
seraspasconvaincuquejemefousdel’argentetdetesjambes.Déçu,ilmelâcha.—Nefaispasça.Tuchoisisàmaplace.Ilavaitraison.Jelelaissaispartirparcequejenevoulaispasqu’ilseretourneunjourensedisant
qu’ilavaitfaituneerreur.Jenevoulaispasvivreavecsesregrets.—Non.Jechoisisdet’aimeretdeprendrelerisquedeteperdre.Jem’engouffraidanslasalledebainsetrefermailaportederrièremoi.Qu’est-cequej’étaisentrain
de faire ? Je détruisais mon bonheur. Pourquoi n’étais-je pas égoïste ? Pourquoi n’étais-je pasmédisante?J’auraisgerbédestonnesd’insultessurKristenetsafamille,etjeluiauraisdemandédetoutquitterpournous.Non.Jen’étaispascommeça.Lanauséemeprit.Jen’eusqueletempsd’atteindrelestoilettes.Aubruit,Rickaccourut.D’unsignedelamain,jeluiintimail’ordrederesteràsaplaceetmelevai.—Jevaisbien.—Nemerepoussepas,mesupplia-t-il.Jemelavairapidementlaboucheavecunpeudedentifrice.J’étaisincapabledelerepousser.S’ils’approchaitdemoi,jenepourraisplusrépondredemoncorps.
Monchemisierblanctachédecaféfutmaportedesortie.JedépassaiRicketmeréfugiaidansmachambre.—Oceana,s’ilteplaît…Mavisionsetroubla.Jedéfislesboutonsnacrésdemachemiseetlajetaidansuncoindelapièce.
J’eus l’impressiondemieux respirer l’espaced’une seconde. Jusqu’àcequeRickpose sesdoigts surmonépaule.—Oubliecettehistoiredebébé.OublieKristen,soufflai-je.Qu’est-cequetuauraisfait,siriendetout
çan’existait?Ilmecaressalehautdubras.—Je…jenesaispas,balbutia-t-il.JeveuxêtreavectoietEthan,maisjeneveuxpasdépendredetoi.
Jeveuxpouvoirm’assurerquevousnemanquiezderien.
Dansmatête,c’étaitTchernobyl,alorsquemoncorpsseliquéfiaitsoussatendresse.—Estcequejeteparaisvénale?Seslèvressurmanuquem’électrisèrent.Lesbretellesdemonsoutien-gorgetombèrent.—Biensûrquenon,Oceana.Jeveuxsimplementpouvoirjouermonrôleàlaperfection.—Mais tu l’as jouéà laperfection.Ethan t’aimecommeunpère, il acriéà tous sescopainsqu’il
avait,luiaussi,unpère!Tuluiasdonnéencinqjoursautantd’amouretd’importancequemoiencinqans.Tuluiasfaitcroirequetuseraistoujourslà!—Jesuisdésolé.—Non.Tunel’espasparcequetupensaisbienfaire.Jenetereprochepasd’avoirvoululuifaire
plaisir.Ilcaressamajoue,apparemmentsoulagé.—Tum’aspourtantboudépendanttoutunaprès-midi.—J’étaisencolèrecontremoi.Jenel’aipasvuvenir.—Jesuisdésolé,répéta-t-il.Sonpouceeffleuramonmenton.—Tunepeuxpastoutluidonnerettoutluireprendrelelendemainparcequetuasdesdoutes.C’estun
enfant,ilnecomprendrapas.—Jesais.Nemerepoussepas.Parpitié,nemerepoussepas.Pitié.Cefutledéclicdansmatête.Jeprismoncourageàdeuxmains.—Tu…JevousaientenduparlerCarlettoi,lesoirdecettedernièresortieettu…tudisaisavoirde
lapitiépourmoi.Est-cequejetefaispitié?Sonregardsedurcitetsonbrasretomba.—Dequoiparles-tu,Oceana?Troptardpourfairemachinearrière,mêmesij’étaisterrifiée.—Tuasditquetuneressentaisquedelapitiépourmoi.Ilserralespoings.—C’estpourçaquetuespartiedecettemanière-là?QuetuasembrasséCarl?Quetut’esdonnéeen
spectacle?—Je…Peut-être,balbutiai-je,incapabledeluidonneruneraisonvalable.—Estcequetum’asentendudiretonnom,neserait-cequ’uneseulefois?—Non.—Bordel,Oceana,tuasembrasséCarlsanssavoirsijeparlaisdetoi!Qu’est-cequej’avaisfait?J’avaisagicommeuneécervelée.Jem’étaislaisséguiderparlafolie,je
n’avaispasréfléchi.—Jesuisdésolée.—Pasautantquemoi!cria-t-ilenseretournant.Ilselaissatombersurlelit.—Çanesereproduiraplus,ettulesaistrèsbien,promis-je.—Jen’ensaisrien.Tuvaspasserdeuxjoursentiersaveclui.
Jemeprécipitaiàsespiedsetposaimesmainssesbras.Moncœurbattaitsifortqu’ilenétaitpresquedouloureuxdelesentir.—Iln’yaurarien,insistai-je,affolée.—Etlesautresrendez-vous?—Iln’yenaurapasd’autres.JecompteréclamercequeCarlm’apromisetrentreràNewYork.
MoiquipensaisquecetteconversationavecRickseraitmonpiresouveniraveclui,j’étaistrèsloinde
m’imaginerquenotreretouràMiamilesurpasseraitlargement.Enréalité,çaneseraitpasunsouvenir,maisuncauchemar.Passeulementlemien,maislenôtre.Nousnenousattendionspasàça.Encorechambouléeparlespleursd’Ethanànotredépart,vaseuseaprèslestroisheuresdevol,jeme
seraisécrouléesurlegravier,devantsavilla,sijen’avaispasétéassisedansletaxi.—Qu’est-ceque…commença-t-ildansunmurmurepresqueinaudible.Ilm’avaitpromisd’essayer.Deréglersesproblèmesetderevenirsansdoutesetsansregrets.Quitteà
retourneravecelle.Enrevanche,jenem’attendaispasàdevoir,dèsnotrearrivée,êtreconfrontéeàça.Ilpritmamainet l’étreignitavecforcesanspourautantmeregarder.J’étais là.Oui.J’étaisbienlà,
assisedanscetaxi.Pourl’instant.Pluspourlongtemps.—AppelleCarl,réussis-jeàdire.—Non…Je refrénaimonenviede leprendredansmesbrasetdepleurer contre lui. J’avais l’impressionde
vivreuneséparation.Ladeuxièmeenunejournée.Sijepartaismaintenant,danscombiendetempsnousreverrions-nous?Unelarmedévalamajoue.—Montre-moilesphotos,hoquetai-je.Ilsortitsontéléphoneetfitglissersesdoigtssurl’écranjusqu’àafficherl’albumphoto.Jen’avaispas
prisletempsdelesregardercettenuit.Ilvoulaitmeprendreenphotolesjouesrougiesparl’extaseetilavait réussi. Je souris malgré moi en me découvrant les yeux brillants d’ivresse, la lèvre inférieuremeurtrie parmes dents retenant le gémissement suprême de l’explosion demon orgasme, les joues sirougesqu’onauraitpresquepupenserqu’ellesbrûleraienttousceuxquilestoucheraient.Ilavaitréussiàmesubtilisercemomentsiérotique.Ilfitdéfilerlesclichés,lentement.Ceuxd’après.Ilsmefirentpenserà des photos de jeunes adolescents insouciants et amoureux. Des grimaces. Des sourires. Des bisousvolés.Etmoiquidormais.Jepensaispourtantm’êtreendormieaprèslui.Cettenuit.Cettedernièrenuit.—Envoie-moicelleoùjeteregarde,l’implorai-je.Ils’exécuta.—Maintenant,appelleCarl.—Tun’espasobligéedepartir.—Jenesouhaitepasresteravecvousdeux.Ilfautquetuluiparles.Commepourclore ladiscussion, jedéposaiun rapideet ardentbaiser sur sa tempeetmedégageai
poursortirdelavoiture.
L’airhumideet chauddeMiamime suffoqua.Comme lapremière fois, jeme surpris à chercherduréconfortdans labriseet,denouveau,riennesepassa.Jecontournai le taxipourprendremonsacdevoyage,lavaliseetlefauteuildeRickavantdecommencermonascensionjusqu’àl’entréedelavilla.Jusqu’àelle.Kristen.Elleétaitlà.Adosséecontrelemontantdelaporte,lesbrascroiséssoussapoitrine,levisageferméet
dédaigneux.Jem’arrêtaiàsahauteur.LeregardfixésurRickqui,derrièremoi,devaitréglerlacourseduchauffeur,ellemurmura:—J’airassemblévosaffaires;jesuislàmaintenant,nousn’avonsplusbesoindevosservices.Ellepouvaitdirecequ’ellevoulait, riennepouvaitm’atteindre.Rickm’aimaitetquelquechoseme
disaitqu’ilneluioffriraitpaslequartdecequ’ilm’avaitfaitvivre.J’avaispresquepitiéd’elle.Ilallaitcertainement lui offrir une seconde chance, lui pardonner et lui promettre dem’oublier, et elle n’étaitmêmepascapabledemeregarderenface.Aubruitdesbéquillessurlegravier,jemeretournai.Rickcherchamonregard.Lemien,paslesien.Je
leregardaicommesic’étaitlapremièrefoisquejelevoyais.Jemerappelaissespremierspasdanslapiscine. Le goût de ses lèvres sous la douche. Ses bras rassurants pendant l’ouragan.Mais aussi sescaressessurmoncoupdesoleiletsessourireslorsqu’ilmefaisaitrougir.—Carlseralàdanscinqminutes,m’informa-t-ilenarrivantànotrehauteur.Jehochailatête,lagorgenouée.—BonretouràNewYork,persiflaKristenentournantlestalons.Jenerépondraispasàsesattaques.Qu’elleleveuilleounon,jeresteraisencoreunpeuàMiami.Le
tempsdepersuaderCarldemelaisserpartiravecmonargent.
Chapitre35
Miseenbouche
D’habitude,Carlsemontraitcausant,souriantetmoqueur.Mais là…Audébut, j’avaispenséque laprésencedeKristenétaitlacausedecettehumeurmais,mêmedanssavoiture,loindelavillaetdecettemégère dépourvue de sentiments, il ne s’était pas déridé.Çame convenait.Aumoins, j’étais certainequ’ilnemeposeraitaucunequestionsurNewYorkousurlaprésencedeKristenàlavilla…ouencoresur le fait qu’il devait m’héberger. De toute façon, j’aurais été incapable de lui donner une réponserationnelle. J’étais trop secouée. Si je fermais les yeux, je pouvais de nouveau entendre les pleursdéchirantsd’Ethanànotredépart,lessarcasmesdeKristen,etrevoirl’expressionindéchiffrabledeRicklorsquej’avaisrejointCarlàsavoiture.J’avais trouvémesaffairesregroupées,pliées,rangéessurunecommoded’unedeschambresd’ami.
Ennotreabsence,certaineschosesavaientchangé.LebureaudeRickavaitretrouvésaplacedansmonanciennechambre;lelitmédicaliséavaitdûêtrerenduàlasociétédelocation.Iln’avaitplusbesoindemoi.Iln’avaitplusbesoindemesservices,commeKristenl’avaitsibiendit…Maismoi,j’avaisbesoindelui.Pourmefairesourire,rire,rougiretvivre.Toutsimplementpourme
fairevivre.Leplusdifficileavaitétédeconstaterquetoutcelanesemblaitpasl’affecter.Commes’ils’yattendait.
J’auraisaiméqu’ilmedisequelquechose.Maisnon.J’avais vuCarl comme une bouée de secours.Dès son arrivée, j’avais sauté sur le siège passager
aprèsavoirjetémesbagagesdanssoncoffre.Puisj’avaisattenduqueCarletRickfinissentdediscuteravantdevoirlespalmiersdel’alléedelavilladisparaîtrederrièrenous.Et maintenant, alors que le soleil deMiami entamait sa descente derrière les grands buildings, je
n’étaismêmepluscertainedevouloirresteravecCarl.Sansl’opérationd’Ethan,j’auraisprislepremiervoldirectpourNewYork.Lespaysagesdéfilaientàtraverslesvitresdesonpick-upetmoi,jetremblais.—J’aifaitaussivitequej’aipu,marmonnaCarl.Mêmes’ilnemevoyaitpas,bientropconcentrésursaconduite(ouautrechose),jeluisouris.—Vousavezeudelachance:àquelquesminutesprès,jen’avaispasmontéléphonesurmoi,reprit-il.Delachance?Est-cequejedevaisvoirCarlcommemachance?Aprèstout,jel’avaisbientraitéde
bouéedesecours…—J’aiperturbétesplans,désolée,répondis-jed’unevoixfêlée.Ilne réponditpas. Jemesentiscoupable.Après la tristesse, la frustrationet l’impuissance, jem’en
seraisbienpassée.Lesbuildingsavaientlaissélaplaceauxplagesetàl’océanquis’étiraitàpertedevuesousunciel
orangé.Peut-êtrequedemain,jeseraisplusdisposéeàenapprécierlabeauté.Carls’engageadansunparkingsousunimmeubled’unetrentained’étagesentièrementvitré,etsegara.
Nousyétions.Toujourssilencieux, il sortitdesavoiture, récupéramesbagageset, sansm’attendre, ilpartitaupasdecoursedansuncouloir.Quandjelerejoignisdevantl’ascenseur,jen’ytinsplusetlançai:—Demain,jechercheraiunesolution.Cettefois-ci,saréactionfutimmédiate:—Unesolution?Jelevailatêteversluitimidement.—Unechambred’hôtelenattendantdepouvoirrepartiràNewYork.Lesportess’ouvrirentsurunecabineluxueuse,toutedemarbreetdemiroirs.Ilyentra,jelesuivis.—N’importequoi!bougonna-t-ilensélectionnantlevingtièmeétage.—Jenevaispasrestercheztoiéternellement.Ilhaussalesépaules.—Pourquoipas?Tunemedérangeraspas.Enfin,jen’ensaisrienpuisquejen’aijamaisvécuavec
uneautrefemmequemamère.J’avaisoubliécedétail.Quidevenaitsoudainunénormeproblème.Jeseraispourluiuneproiefacile.
Est-cequejedevaisavoirpeurdelui?—C’estpourçaquetutecomportesdecettemanière?Autantcreverl’abcèsdèsmaintenant.—Commeuncon,tuveuxdire?Lesportess’ouvrirentsurunlongcouloirblanc.C’estvrai,jen’avaispasréfléchiauxconséquences.
J’avaisdemandéàRickd’appelerCarl,parcequec’étaitl’uniquepersonnequejeconnaissaisàMiami.—Jesuisdésolée…—Çan’estpasàtoidel’être.Jesuisénervéaprèsmontrouduculdepote.—C’estpourtantmoiquivaisdormircheztoi,ajoutai-jealorsquenoussuivionslecouloir.—Jetel’aidit,tunemedérangespas.Etjedevraismêmemeréjouirdesavoirquetuseraschezmoi,
saufquejen’yarrivepas.Tueslàparcequetun’aspaslechoix,etseulementpourça.C’estlapremièrechosequim’énerve.Devantuneporte,illâchamessacs.Lescléstintèrentdanslapochedesonshortcommes’ilsebattait
enduelavecelles.Jebaissailesyeux,honteuse.—Ladeuxième,reprit-il,c’estdevoirRickretourneraveccettefille,ouplutôtdeconstaterqu’ilte
laisse tomber pour cette fille. Tu vaux cent fois mieux qu’elle. Je dirais même que vous êtesincomparables!Etçaaussi,çadevraitmeréjouir.Uninstant,jecrusqu’ilseretenaitd’ajouterqueçaluilaissaitlechamplibre.Il ouvrit la porte et, d’un signe demain,m’invita à entrer. Je vis une cuisine entièrement équipée,
meublesInoxlaquésgris.Surlagauche,faceàl’îlotcentral,aprèsunelonguetablerectangulaireetsessixchaises,unénormecanapéd’anglebeigedevantunécranplat.Parlabaievitrée,j’aperçusunevueàcouperlesouffle.—Jeluiaidemandédefinircequ’ilavaitcommencéavecelle,précisai-je.L’océans’étendaitdevantmoi.Lesoleilparait lecieldemillenuancesorangées,puis se teintaitde
bleufoncéetdevenaitpresquenoiraurasdelaligned’horizon.—Tuesmaso,maparole!Maso ? Non. Je m’étais plusieurs fois posé la question. Je l’aimais. C’était à lui que le choix
incombait.Jen’avaispasàlepersuaderdequoiquecesoit,niàtrouverdessolutionsàdesproblèmesquinemeconcernaientpas.Jehaussai lesépaulesetouvris labaievitréepour sortir sur la terrasse.Peut-êtreque levingtième
étagem’offriraitlaboufféed’oxygènequimemanquaitdepuismondépartdeNewYork?Les yeux fermés, les deuxmains cramponnées à la balustrade, j’essayai de respirer largement.Une
mèchedemescheveuxfrétillacontremajoue,maisl’extases’arrêtalà.QuefaisaitRickencetinstant?Quelquechosemedisaitquecettequestionallaitmetarauder.—Je…Enfin…,balbutiaCarlderrièremoi.Tumangesdetout?Jemeretournai.—Jen’aipastrèsfaim.—Tantquetuseraschezmoi,tumangeras,Oceana.Jedevinaiautondesavoixqu’aucunenégociationneseraitpossible.—Viens,jetemontretachambre,situveuxterafraîchirpendantquejeprépareledîner.Iltraversalesalon.Jelesuivissansentrain.Ilouvrituneporteentrelecoinsalonetlecoinsalleàmanger.C’étaitlaseuleporte,endehorsdela
ported’entrée.Jedemandai:—Oùesttachambre?—C’estmachambre.J’eusunmouvementderecul.Jedéglutisbruyamment.Carl,amusé,émitungloussement.—Jedormiraisurlecanapé,m’informa-t-ilcommepourmerassurer.—Jepeuxaussidormirsurlecanapé,m’empressai-jededire,labouchesèche.—Tupeuxaussidemanderàmonvoisindepaliers’ilneveutpastesous-louerunedeseschambres,
semoqua-t-il.Jetepréviens,c’estunvraipervers.Ilpassesontempsàépierlesjeunesfillesenbikinisurlaplage.—Jen’aipasdebikini…—Danstoncas,n’importequoiferaitl’affaire.Sesyeuxglissèrentsurmondébardeur,puissurmonshort,lelongdesjambesnues.Immédiatement,je
bannisdema tête l’idéedeporterunquelconquevêtementmoulant, sexyoucourt. Ilnemerestaitpasgrand-choseàmettre.Sachambredonnaitsurlaterrassedusalon,surlagauche;j’imaginaileleverdesoleilqu’ellepouvait
offrir lematinauréveil.Aucentre,entredeux tablesdechevetsgrises, trônaitun litkingsize en faced’un écran plat. Sur la droite, je devinai l’entrée d’un dressing. Je m’avançai. Carl me montra lesinterrupteurset lesLEDauplafonds’allumèrent.Ledressingavaitétéaménagédepartetd’autred’uncouloiraufondduquelserévélaitunesalledebainscarreléedemarbre.Jeretinsmonsoufflefaceauluxedecetappartement.Jenem’yferaisjamais.J’avaisl’impressionde
nepasêtreàmaplaceici.Unpeucommesij’étaisledessind’unenfantdetroisansexposéaumilieudesœuvresdePicasso.
—Tutrouverasdesserviettesdanslemeubledubas,jet’apportetesbagages.Jem’engouffraidanslasalledebainsetfermailaporteàdoubletour.Seule.J’étaisseule.Avecma
nausée.Avecmes questions lancinantes. Je tentai de refouler un sanglot en pensant qu’elle pouvait letoucher, le regarder. Je me souvenais de la place de ses cicatrices sur son ventre, des marquesdisgracieuseslaisséesparlesagrafes.Ellenelesaimeraitpasautantquemoi.Toutsimplementparcequepourmoi,sesjambesétaientsynonymesdechaleuretd’affection.Ellesétaientlepremierlienquej’avaisnouéaveclui.Jesursautaiàlavibrationdemontéléphonedanslapochedemonshort.C’étaitmamère.Ethanallait
bien,ils’étaitendormi.Sonmessagem’arrachaunminusculesourire.Mêmemonfilsnepouvaitrienpourmoi.Jen’étaispasseulementtriste,j’étaisanéantie.Commeengloutieparlesténèbres.Toutétaitnoiretsansfin.Matêtebourdonnaitetmefaisaitatrocementmal.Mapoitrinemebrûlait,commesiunebraiseavaitétéglisséeàmoninsudansmonœsophage.Elleétaitlà,maréalité.Jel’avaislaissérepartiravecelle.
Mespoumonsmebrûlaient;jemelaissaitomberàgenouxsurlesablefrais,éreintée.—Tut’arrêtesdéjà?semoquaCarlquicontinuaitàcourirsurplaceàcôtédemoi.Oui. Déjà. Ça devait faire trente bonnes minutes que nous courions le long de la plage. Et j’étais
épuisée. Jen’avaispassa formeathlétique,etcavaler sur le sabledemandaitplusd’effortsquesur laterreferme.Jeluioffrisunregardnoir.—Enmêmetemps,situmangeais,tuauraisplusdeforcepouravancer….Nouveau regard noir. J’avais seulement sauté le repas d’hier soir, en m’endormant juste après ma
douchesurson lit.Non,enréalité, j’avais fait semblantdedormirpournepasavoiràparler,etaussipourpleurerlibrement.—Situnelèvespastesfessesdecesable,jetejettetoutehabilléedansl’eau.Bizarrement,jen’avaispasassezmalauxjambespourm’arrêterlà.Jemelevaiprécipitammentetme
remisàcourir.Ilmedépassadanslafoulée,maisjepréféraislesavoirdevantplutôtquederrièremoi,àreluquermesfesses.Deuxminutesplustard,mescuissesmebrûlaient,etj’avaisdumalàrespirer.Lesoleilmontaitdansle
ciel, attirant les baigneurs sur les plages qui s’étendaient à perte de vue devant des grands bâtimentsluxueux.Carlm’attendait devant le sien. Il s’étirait, une jambeen appui suruneborne, sondébardeur sur la
nuque.Jemeretinsdelaissertraînermesyeuxsurlatensionparfaitedesesdorsalesetdesestrapèzesetledépassaipourrejoindrelaported’entrée.Carlétaitplusquecharmant.Ildevaitfairerêverbiendesfemmes,maisiln’étaitpasRick.MonRick.
Jelesimaginaistouslesdeux,traînantdanslesbarsilyaquelquesannées.Lebrunténébreuxetlebeaugosseauxyeuxbleus.J’étaispresquecertainequ’ilsdevaientpariersurceluiquiemballeraitleplusdefilles.Sitôt rentrée, jemeprécipitai sousunedouchebouillantepourdétendremesmuscles.Et, comme je
l’avaisdécidélaveille,jebannisshortsetjupes,préférantunjeanetuntopsansmanchestrèslarge.Il pritma place dans la salle de bains, tandis que jem’affairai à préparer notre petit déjeuner.Ce
footingmatinalm’avaitfinalementouvertl’appétit.Malheureusementpourmonestomac,cetétatnedurapas.Machinalement,j’avaispréparésixpancakes…Est-cequeKristensavaitlesfairemieuxquemoi?
—Tun’étaispasobligéedefaireça.Jesursautai,meretournaietmanquaidepeuderenverserl’assiettequejetenais.—Désolé,lâchaCarlavecunegrimace.Seulementvêtud’unboxer,ilseséchaitlescheveuxavecuneserviette.Ilm’étaitimpossibled’ignorer
letableauqu’ilm’offrait.—TunepeuxpasmettreunT-shirt?!lançai-je,agressive.Aulieuderetournerdanssachambre,iltraversamonchampdevisionpourprendredeuxverresdans
un placard et le jus d’orange dans le frigidaire. Je me retournai hâtivement vers le plan de travail.Inspirer. Expirer. Pourquoi avais-je réagi ? Maintenant, il allait penser qu’il ne me laissait pasindifférente.Jem’obligeaiàrefoulerlesouvenirplaisantdesonbaiser.Je.Ne.Devais.Pas.Penser.À.Ça.PlusdepenséespourCarl.PlusdepenséespourRick.Quemeresterait-il?Ahoui!Monfils!Penser
àEthan!—Ilfautquenousparlions,hasardai-jeenprenantplaceenfacedelui.Ilremplitlesverresdejusd’orange.—Jenesaispaspourquoi,maisjesensquejenevaispastellementaimer.—Làn’estpaslaquestion,Carl.Sonregards’assombrit.—Bienentendu,toutlemondesefichedesavoircequej’apprécieounon!Cen’étaitpascequejevoulaisdire.—Laissetomber,soufflai-je.Jeregagnailachambreetclaquailaportederrièremoi.Jeprismontéléphonesurlatabledenuit,puis
fisglissermesdoigtssurl’écran;lerépertoiredéfilajusqu’àlalettreR.Rick.L’appeler,unréflexe.Mais.Ilétaitavecelle,jenedevaispasledéranger.Commelaveille,mesentraillesseretournèrent.Jene
pouvaispasl’appeler.Jedevaisseulementjouirdelavuequem’offraitcetappartement,fairelescentpassurleparquet,me
jeter sur le lit et regarder la télévision jusqu’à ce que lui décide deme contacter. Je devais attendre.Patiemment.Menourrir,sortirsurlaplage,melaver,dormir,sansoublierderespirer.Patiemment.
Chapitre36
Cinqjours
Cinqjourssansnouvelles.Centvingtheuressanslevoir,sanslesentir,sansletoucher.Jemerendaiscompteàquelpointj’avaisétéstupidedenepasleretenir.Pluslesheurespassaient,plusmeschancesdeleretrouverdiminuaient.J’étaisenmanquedelui,desonodeuretdesachaleur.Desonsouffledansmoncoulematinauréveil.Desesmotsquimefaisaientrougir.Desescaressesetdesessourires.Delui.Commentavais-jepupenseruneseulesecondequej’allaispouvoirvivresanslui?!J’étaisstupide.Jeregrettaisdenepasluiavoirditdestonnesdefoisjet’aime…J’avaisl’impressiond’avoirétérouéedecoup,tantmoncorpstoutentiersouffraitdesonabsence.Malheureusement,jen’arrivaispasàluitrouverdesexcusespournepasm’appeler.Cinqjours,c’était
bien trop long pour une simple discussion avecKristen. Il fallait que jeme fasse une raison. Il étaitretournédéfinitivementavecelle.Sinon,ilm’auraitdéjàappelé,non?Alors,touslessoirs,jemecouchaisavecunnouvelobjectif,voirlelendemainautrement,apprécierla
beauté de Miami, visiter la Floride, me baigner dans l’océan, sourire, vivre, tout simplement. Oulaborieusement, sans lui.Maischaquematinétaitunpeuplus fade,etchaque journéeplusdifficile. JepartaiscourirtôtalorsqueCarldormaitencore,jeprenaismadouche,jedéjeunaisetjerepartaispournerevenir que le soir. Je ne faisais pas grand-chose. J’errais dans lesmagasins sans rien acheter, jemesurprenaisàresterdesheuresassisesurunbancpublicsansrienregarderetj’attendais,letéléphoneàlamain.J’avaisseulementchangédesmartphone,pourenacquérirunquipermettaitd’appelerEthanetdelevoirenmêmetemps.C’estàpeinesiCarletmoiéchangionsunbonjour.Ilpartaitluiaussilematinavecsaplanchedesurf
pours’entraîner,etjenelevoyaisquelesoir.Mondînerm’attendaitchaquejoursurlatabledelasalleàmanger.Ilnedînaitpasavecmoietsortaitavantquej’aieterminé.Jenesavaispasoùilallait,maissesvêtements parlaient pour lui. Pantalon à pinces et chemise, cheveux parfaitement disciplinés, montreRolexhorsdeprixaupoignet.Ilrentraittarddanslanuit;jenedormaisjamais,jenedormaisquetrèspeud’ailleurs,monsommeilétaitagitéetcauchemardesque.Ilavaitprisl’habitudedepassersatêteparlaportedelachambre,pours’assurerquej’étaistoujourslà.Puisilsejetaitsurlecanapétouthabillé.C’étaitdécidé,demain,jechercheraisdutravail,n’importequoi,denuitcommedejour,pourneplus
penseràRicketKristenetàmaculpabilitéenversCarl.Miamiregorgeaitdecliniquesetd’hôpitaux.Allongéedanslelit,jeregardaiunedernièrefoisl’écrandemontéléphoneetlereposaisurlatablede
chevet.Pourlapremièrefoisencinqsoirs,jeréussisàignorerlaphotoqu’ilm’avaitenvoyée.Jen’avaisplusbesoindelaregarder,ilmesuffisaitdefermerlesyeuxpourm’enrappelerchaquedétail.Sesyeuxbleus,undemi-souriresurseslèvresrougiespardesbaiserséchangés,sescheveuxindisciplinés,etmoiblottiedanssesbras,leregardperdusursonvisage,commesic’étaitladernièrefoisquejelevoyais.Etc’était presque ça. Je me rappelais ce que j’avais pensé à ce moment-là, que jamais je n’aimeraisquelqu’uncommejel’aimais,lui.1 heure du matin. J’éteignis la télévision et fixai le plafond, suppliant le sommeil de m’emporter
rapidement.J’observaislesdessinsqueprojetaitlalunedanslachambre,devinaislesombresdesobjets
sur les murs et comptais les secondes qui défilaient. Au moment où mes paupières se faisaient pluslourdes, lecliquetisdelaported’entréemefitsursauter.Jefronçai lessourcils,surprise.Carlrentraittôt.Ilétaitaussiplusbruyantquelesautressoirs.Iljura,etjedevinaiqu’ilavaitpercutéunobjet.Jemelevaietpassailaportedelachambre.Carl,avantdeplisserlesyeux,assissurunechaise,le
pantalondéfait,maintenaituntorchonsurundesesgenoux.—Jenevoulaispasteréveiller,s’excusa-t-il.Jehaussailesépaulesetposaimamainsurlasiennepourdécouvrirsongenou.Ileutunmouvementde
reculàmoncontact.Lesentirsurladéfensivemefitl’effetd’unedouchefroide.Pendantcinqjours,jen’avaisfaitquepenseràmoietàmoncœurbrisésansjamaispenserqueCarlpuisseêtreaffectéparmadistanceetmamorosité.Jedevaischanger.—Nebougepas,murmurai-jeencourantjusqu’àlasalledebains.Jeprisdes compresses, un sprayantiseptique et du sparadrapdans l’armoire àpharmacie et revins
danslesalon.—C’estjusteuneégratignure,m’informa-t-il.Jemedébarrassaidemonmatérielsur la tableetmemisàgenouxdevant lui.J’ouvris lepaquetde
compresseset en imbibaiquelques-unesdedésinfectant. Je jetaiun rapidecoupd’œil à sonvisageetreposaimamainsurlasienne.Cettefois, ilselaissafairedansunedéglutition.C’étaitunebelleplaiequi,néanmoins,nenécessiteraitpasdepointsdesuture.Tantmieux.—Je…euh…Jesuisravidetevoiràgenouxdevantmoi,semoqua-t-il.Carletsafranchise!Aulieuderougir,j’appliquaifermementlacompresseimprégnéed’antiseptique
sursaplaie.Ilgrimaçadedouleurtandisquejeluioffraisunsourirenarquois.—TudormaisaussidanscettetenuechezRick?Commentvoulait-ilquejedorme?Nue?Enjean?Ici, jen’enfilaismondébardeuretmonshorten
satinquelorsquej’étaiscertainedenepluslecroiserdanslamaison.Loupépourcettenuit.—Commenttuasfaitça?demandai-je.—Letiroirducasserolier.Pauvretiroir.—Tiens-moiçaettendstajambe,ordonnai-je.Jeluifisunpansementlâche,quinelegêneraitpasenmarchantouensebaissant.Concentrée,jenevis
passamains’approcherdemonépaule.Elleremontamonbicepspourreplacerlafinebretelledemondébardeur.Aufrissonquimegagna,jemefigeai;sessourcilssefroncèrent.Jeposaimamainbienàplatau-dessusdesongenouetluisourisavecaffection.—Çadevraitsuffirepourlanuit,l’informai-je.—Merci,souffla-t-il.Pourlapremièrefoisencinqjours,j’avaiseul’impressiondeserviràquelquechose.Ilm’avaitmême
faitsourire.Alorsc’étaitpeut-êtreàmoideleremercier.Mercidem’accueillir.Mercidesupportermoncomportement.Mercidemeforceràmenourrir.D’insisterpourquejesurvive(mêmestupide).—Oùas-tuapprisàfairelacuisine?luidemandai-jeenallantjeterlescompressesusagéesdansla
poubelledelacuisine.—Mamère.Enfin,jemesouviensl’avoirregardéependantdesheures.Après s’être débattu avec son pantalon qui s’étalait à ses pieds, il se mit debout pour défaire les
premiers boutons de sa chemise. Je me retournai vers le Frigidaire et en sortis une bouteille d’eaufraîche.Jel’avaisdéjàvutorsenu,maisj’avaisdumalàleregarderdanslesyeuxlorsqu’ilsepavanaitdevantmoienboxer.—Jemesuisrégalée,dis-je,toujoursdosàlui,avantdeboiredirectementaugoulot.—Ravi.Tumefaisboire?Moiaussi,j’aisoif.Ilétaitàcôtédemoi.Lesfessesappuyéescontreleplandetravail,brascroiséssursontorsenu,ilme
dévisagea,songeur.Lesoufflecourt,jeluitendislabouteille.Sonregardfiévreuxplantédanslemien,ilbutunegorgée.—Bonnenuit,lançai-je.Vite.Respirer.Vite.Marcher.Toutdroit.Enévitantlecasserolier,sonpantalonsurlesol.Vite.Sans
tournerlatête.Jusqu’àsachambre,dontjerefermailaportederrièremoi.—Oceana?entendis-je.Jemecrispai.Ilétaitlà.Contrelebattant.—Oceana,jevoudraisqu’onparle,mesupplia-t-il.Pourquoias-tubesoindecetargent?J’ouvrislaporte.Ilfallaitquejel’affronte,cettefois.—Monfils.Ildoitsefaireopérer.Sonregardseradoucitetsamains’approchadangereusementdemajoue.—Arrête,Carl,leréprimandai-je,paniquée.Ilsoupira,dépité.—Monfils,Ethan,aunemalformationcardiaque.J’aibesoindecetargentpourlesauver,répétai-je.Ilrestaunmomentsilencieux.—Donne-moijusqu’àlundi,ettupourrasrentrercheztoi,dit-ilenfin.Rentrer.Chez.Moi.—Je…J’aipeurdenepascomprendre,bégayai-je.—Çan’est pas pour l’argent, je le ferai virer sur ton comptedès quepossible.Àmoins queRick
réussisseàfaire…cequ’ilvoulaitfaire.Bref.Jeveuxseulementqueturestesavecmoijusqu’àlundi.Jeveuxtemontrerquejenesuispasceluiquetucrois…Jeluisautaiaucou,délivrée.Commesijevenaisderespirermapremièreboufféed’airdelasemaine.—Je…euh…balbutia-t-il,surpris,avantdeposersesmainsàlanaissancedemesreins.Jenebougeaipasetmelaissaisubmergerparlebonheur.J’allaispouvoiroffriràmonfilsunnouveau
cœur.Ilallaitpouvoircourircommetouslesenfantsdesonâge,sauter,danser,rire.GrâceàCarl.Jel’étreignisavecforce,levisagetrempédelarmes,deslarmesdejoie,cettefois.—Merci,hoquetai-je.Merci.Merci.—Je…euh…C’estdifficilepourmoidetetenirdansmesbras…danscettetenue.Jecommençaisàleconnaîtreassezpoursavoirquesonironiedissimulaitunréelmalaise.Maisrien
nepouvaitm’atteindreàcetinstant.Jerentreraisplustôt.Dansquatrejours.EtEthanseraitopéré.—Tais-toi,Carl.Jesuisheureuseetj’aiconfianceentoi.
Quelquesmèchesdemescheveux,échappéesd’unecasquettedebase-balldixfois tropgrandepourma tête, s’agitaient au rythmedes bourrasques de vent. Je fermai les yeux, agrippée à la rambardedenotreembarcation,pourapprécier l’airhumideet saléqui lissaitmonvisage.Carl,qui conduisait sonbateaudeplaisanceàviveallure,souritenmevoyantm’extasierpoursipeudechose.Pour lapremière foisenunesemaine, j’avais réussiàdormirunenuitcomplète.Savoirque j’allais
pouvoir rentrer plus vite àNewYork et organiser l’opérationd’Ethan,me faisait unbien fou. J’avaismêmeréussiàocculterladouleurlancinantedemoncœurbrisé.J’étaiscommeanesthésiée.Levrombissementdumoteursefitplusdouxetl’airpluscalme;nousperdionsdelavitesse.—Ici,çaseraparfait.Carlarrêtalemoteur.—Àl’eau!clama-t-ilenôtantsonT-shirt.Jegrimaçaitoutenscrutantlefondmarin.Est-cequej’avaisenviedemefaireboufferunejambepar
unrequin?—Jevaist’attendreàbord,netegênepaspourmoi,medéfaussai-je.Exaspéré,ils’écria:—Jeneteregarderaipas,Oceana!Je ne parlais pas de ce requin-là, maismaintenant qu’il soulevait le problème dumaillot, hors de
question que je quitte le bateau. Pour affirmermon refus deme baigner, jeme jetai sur la banquettederrièremoi,brasencroixsurmapoitrine.—Soit tu y vas toute seule, soit je te jette à l’eau, comme tu es. Et je te préviens, je n’ai pas de
rechangeàteproposer.J’imaginaisquedestonnesd’éclairssortaientdemespupilles.Etiln’étaitpasquestiond’éclairsen
chocolat.—Tumetstropdetempsàtedécider!Jeluijetaimessandalesàlatête;ilfitunpasversmoi.Vite,jemedébarrassaidemarobeetdesa
casquetteetcourusjusqu’àl’échelle.Peineperdue!Ilmeceintura,etnousbasculâmespar-dessusbord.J’avalaiunegrandegorgéed’eausalée.Carllâchaprisepourmelaissertousseretreprendrehaleine.—Tuesfou!suffoquai-jeententantderejoindreleborddel’échelle.—Voisleboncôtédeschoses,Oceana,tarobeestsèche!Jel’éclaboussaipourfairecessersonfourire.—Nousavonsdesvisiteurs,annonça-t-ilenseprotégeantdesesbras.Desvisiteurs!Jefonçaidanssesbrasetmecramponnaiàlui.Cen’étaitpeut-êtrepasunebonneidée,
d’ailleurs. Il était blessé au genou. J’avais entendu qu’un requin pouvait sentir l’odeur du sang à descentainesdemètres.—Calme-toi,Oceana,tenta-t-ildemerassurer.Cenesontquedesdauphins!—Sûr?Dauphins?Pasderequins?— Non, ils nous auraient déjà bouffés, s’esclaffa-t-il. Les requins se déplacent en solitaire et
approchentrarementlescôtes.—Vachementrassurée,marmonnai-je.—Découvrepartoi-même,murmura-t-ilcontremoi.
Son souffle chaud se déposa sur ma joue telle une caresse. Je frémis et décidai de mettre cettesensationsurlecomptedelacrainte.Uneformesombre,fuselée,glissaitdanslesprofondeursturquoisede l’océan.Laformerepassa.Avecagilité.Longueetgrise.Puisuneautre.Etuneautre.Carlsemitàfrapperl’eauduplatdelamain.—Lebruitlesattire.Ilssonttrèscurieux.Effectivement, les dauphins dansaient autour de nous. Ils nous encerclaient. Je me détendis.
Légèrement.Partagéeentrel’excitationetlacraintedel’inconnu.— Il faut les laisser s’approcher, m’expliqua Carl. Nous ne devons pas oublier qu’ils restent des
animauxsauvages.Parfois,ilsselaissenttoucher,d’autresfois,ilssecontententdenagerautourdenoussansjamaisvenirànotrerencontre.Etilsembleraitqu’aujourd’huinousayonsdelachance.Tumefaisconfiance?Ànouveausonsoufflesurmajoue.Serendait-ilcomptedel’effetqu’ilpouvaitavoirsurmoi?Jeme
retinsdetournerlatête,danslacraintederencontrersabouche.Jedéglutisetmurmuraiun«oui»lesyeuxfixéssurl’eau,oùlescétacéspassaientetrepassaient.—Alorsretienstarespirationetgardelesyeuxouverts.Et il plongea. Je resserrai ma prise autour de ses hanches. À unmètre de nous, trois dauphins se
chevauchaient, se frôlaient avec volupté. Quand l’un d’entre eux s’approcha dans une ondulationmajestueuse,Carlmesaisitlebrasetm’obligeaàletendre.Ledauphinpercutadélicatementmamaindesonrostreetglissasurmapaume,commeunchat.Lisse,soyeuse,tiède,sapeaumeparutirréelletantelleétait parfaite. J’eus l’impression d’être très petite et très ignorante face aumondemarin, inconnu, quinousentourait.Est-cequeladécouvertedequelquechosedenouveaudonnaittoujourscettesensation?J’aurais pu rester des heures ainsi, sous l’eau, si ma cage thoracique douloureuse ne m’avait pas
pousséeàremonteràlasurfacepourreprendredel’air.Dans une inspiration bruyante,Carlme rejoignit. Il souriait ; il devait sentir l’état d’euphorie dans
lequelilm’avaitplongée.Jevoulaisyretourner.Encore,etencore,jusqu’àcequelesdauphinsselassentdenousetqu’ilstrouventunemeilleureattraction.Àchaqueplongeon,ce fut lamême joie,unenouvelledécouverte,d’autres sensations. Je rencontrai
l’œild’undauphinetmesentistranspercéeparsonregard,commes’ilm’avaitacceptéetellequej’étais,m’avaitpurifiéeetlavéedetoutetristesse,m’avaitremplied’unamourinconditionnelpourlanature.Letempsparutalorssuspendu,commesinousn’avionsété,luietmoi,qu’uneseuleetmêmepersonne.—Alors?medemandaCarldansunefiertéàpeinedissimuléeenmerejoignantsurlebateau.Iln’yavaitpasdemotpourdécrirecequejevenaisdevivre.—Divinementextraseraittropfaible,répondis-je.Sonregards’attardauninstantsurmonsourire.Puisilouvrituncoffreprèsdupostedepilotageeten
sortitdeuxserviettes. Il endépliaune,où jeme réfugiaiavecempressement. Je tremblaisde toutmoncorps.Carlfrictionnamesavant-bras.—Jerécupèrelaglacièreetjeterejoinsdevant.Emmitoufléedanslaserviette, j’escaladai l’échelleetm’assissur lepontavantrecouvertd’unlarge
matelasqui,jelesupposais,devaitfaireofficedetransat.Le tissu, encore imprégnéde la chaleur du soleil,me réchauffa. J’avais nagé avecdes dauphins, je
n’avaistoujourspasdecoupdesoleilet,danstroisjours,jeseraisàNewYorkaveclestroiscentmilledollars nécessaires à l’opération d’Ethan. J’ignorai le pincement fugace de mon cœur et l’image duregardbleudeRick.
—Çavamieux?s’inquiétaCarlendéposantlaglacièreàcôtédemoi.Tuveuxunebière?—Non.Jemesuispromisdeneplustoucheràunegoutted’alcool!— Je m’en doutais. J’ai apporté du jus d’orange. Tiens. Tu devrais enlever ta serviette, elle est
trempée,suggéra-t-il.Jemeretinsdemeretournerpourledévisageretobéisàsasuggestion.—J’aibiencruqu’ilfailleencorequejenégocie,raillaCarl.—Estcequetunégociesaussiavectescoupsd’unsoir?Ilcollasontorsebrûlantcontremondos.C’étaitbienplusagréablequeletissumouilléetfroiddela
serviette.Jem’installaiconfortablement,etmelaissaimêmealleràposermatêtesursonépaule.—Leprincipemêmeducoupd’unsoir,c’estjustementdepasserlanuitavecunefillequineposera
aucunequestion,quipenseradelamêmemanièrequemoi.—Commentfais-tu?—Jeluidemandesielleestpartantepourunenuittorrideavecmoi.End’autrestermes,sielleveut
baiser.—Carl!Jeneparlaispasdeça!Commentfais-tupourfairel’amouravecunefillesanscréeraucune
attache?—Je…euh…,balbutia-t-il.Tufaischieravectesquestions,Oceana.LegrandCarl,àl’egosurdimensionné,avaitpeurdeparleravecmoi!—Jefaischier?Laquestionestsimple,pourtant.Àmoinsquetuneveuillespasyrépondre?—Jenemevoispasparlerdeçaavectoi,c’esttout.—Jedoissérieusementremettreenquestiontoustesplans,cesdernierstemps…—Tunecroispassibiendire!J’allaisluirappelerqu’ilseraitdébarrassédemoidanstroisjoursquandilreprit:—Cen’estpascequetucroisOceana!Jeneramèneaucunefillechezmoi.L’imagedeCarlbaisantdansuneruellemaléclairéemedonnalanausée.—Alors, si tu as ce que tu veux toutes les nuits, en quoi est-ce que je remets en question tous tes
plans?—Jenefaispascegenredechosetouteslesnuits…Jesorsaussipourm’amuser,pourboireetme
détendre,lorsquejenesuispasencompétition.Etjen’aipasréussiàtoucherunefilledepuisplusd’unesemaine.Jeretinsnonsansmalungloussement.—Tuvasmefairecroirequecettesemaine,tuessortitouslessoirspourboireettedétendre?—Non,pourt’éviter.Ouplusprécisémentpourmeretenirdetesauterdessus.—Cesoir,tusors?Ilsemitàrirefranchement.—Non.Jemesuisfaituneraison.Tuparsdanstroisjours.Mêmesijedoisagoniserdansd’atroces
souffrances,subirlesmédisancesdemoncerveauetlesbrûluresdemaqueue,jepréfèreprofiterdetoi!—D’atrocessouffrances?Tun’avaispasl’aird’êtreàl’agonietoutàl’heureaveclesdauphins.—Là,jeprofitais.L’agoniec’estquandtumerepoussesouquetuparstoutelajournée,jenesaisoù,
fairejenesaisquoi.Ilsemitàjoueravecmesdoigts.Jeregardaiauloinlesoleilentamersadescentederrièrelesgrands
buildingsdelaville.—Jevaist’avouerquelquechose,dis-jefinalement.Jepréfèreêtresurcebateauplutôtquejenesais
où,àfairejenesaisquoi.Sesbrasseresserrèrentautourdemoi.—Toutàl’heure,dansl’eau,çafaisaitlongtempsquejenet’avaispasvuaussiheureuse…Aussitôt,jepensaiàRick.Ilvoulaittellementmefairenageraveclesdauphins.Ilytenait.Etcen’était
pasavecluiquej’avaispartagécetteexpérience.—Tupensesàlui,n’est-cepas?Jesoupirai.—Toutletemps,murmurai-je,lagorgeserrée.—Oceana,regarde-moi.Jen’enfisrien.Jemeconcentraisurlachaleurdesesbrasautourdesmiensetsurl’odeursaléedela
brisepouroublierlamélancoliequisemblaitvouloirmedévasterànouveau.—Oceana,ilestavecelle.Est-cequ’ilavaiteudesnouvelles?Quellequestion!C’étaitsonmeilleurami!—Jelesais…—Jenetedemandepasdeneplusêtretristeoudenepluspenseràlui,maisseulementd’essayerde
vivretavie.Tout serait plus simple àNewYork. J’aurais l’esprit préoccupé par Ethan, parmon travail, par la
recherched’unnouvelappartement.Est-cequejepenseraisencoreàlui?—Pourquoitufaistoutça,Carl?Prisaudépourvu,iltressaillit,puismarmonna:—IlsembleraitqueRickn’estpasleseulàavoircraquépourtesbeauxyeuxgris.Jenem’attendaispasàça.Oupeut-êtrequeçameplaisait,aprèstout.Carln’avaitjamaisappréciéune
filleaupointdefairedesconcessions,dechangerseshabitudes.—Commentpeux-tuenêtrecertain?demandai-je.J’étaistoujoursblottiedanssesbras,etmamainn’avaitpasquittélasienne.—Jenelesuispas,répondit-il.Maistuhantesmespensées,assezpourpouvoirespérerunevieavec
toi.J’eneuslesoufflecoupé.Jedéglutisetmurmurai:—C’estcequetuvoudrais?Quejesoisavectoi?—Non.Jeneveuxpaspasseraprèslui.Jeneveuxpasêtretonsecondchoix.—Quiteditquejepenseàluilorsquejesuisavectoi?—Sijetedisquetusensbon(Ilfrottasonnezdansmoncouetprituneprofondeinspiration.),tuvas
penser à la vanille de Rick. Si tu poses tes yeux surmes jambes, je suis presque certain qu’elles tesemblerontimparfaitespuisqu’ellesneportentpassescicatrices.Sijecaressetajoueduboutdesdoigts(Il joignit legesteà laparole.), tuvassûrement tedirequecenesontpas lessiens,qu’ilssontmoinshabilesetplusrugueux.Sijet’embrasselà(Ilposaundoigtsurmeslèvres.),maintenant,tuchercheras
songoûtàlui…Ilôta rapidement sondoigtet attrapa sabouteilledebière.Est-ceque jedevais luidirequ’il avait
autant raisonqu’ilavait tort?Certes,avantetaprèschacundesesbaisers, j’avaispenséàRick,maispendant…pendant,iln’yavaitqueluicontremoi,seslèvresassoifféesetindélicates,salangueintrusiveetsesmainsardentess’appropriantmoncorps.Jeleregardaiducoindel’œil.Ilarboraitunairdétaché.Iln’enétaitrien.Ilpensaitànous.Et,comme
moi,devaitsedemanders’ilétaitstupideenmelaissantpartirsansriententer.—Horsdequestion!protestai-jeensubtilisantàCarllatélécommandedelatélévision.Jemeréinstallaiàlahâteàl’autreboutducanapé,lelaissantsurpris,etchoisisunfilmauhasarddans
la catégorie « science-fiction ». Puis je cachai la télécommande derrière mon dos, sous un énormecoussin.—Petitenature!semoqua-t-il.—Jen’aipaspeur!Jen’aimepaslesfilmsd’horreur,point!J’avaisdéjàdumalàdormirlanuit…—Donne-moitontéléphone,ordonnaCarlavecmalice.—Pourquoifaire?—Jevais régler tonréveilpour troisheuresdumatin.L’heureoù lediableetsesacolytesviennent
rendrevisiteauxmortels.—Horsdequestion!—Jecroyaisquetun’avaispaspeur?—Ilestsurlatabledechevet,marmonnai-je.Ilsautaducanapé.Quandilrevint,sonregard,fixésurmonécran,étaitdevenuinexpressif.—Tu…tudevraisrappelertamère,dit-il.—Qu’est-cequeturacontes?Appelermamèrealorsqu’ildevaitêtreplusde23heures?—Tuasunecinquantained’appelsenabsence.Tousdetamère.Mon verre de jus d’orange s’écrasa sur le sol.Mes doigts avaient lâché prise. Ils avaient compris
avantmoi.Plusdebatterie.Ethan.Téléphonelaisséenchargeavantdepartir.Ethan.Lajournéeentièresanstéléphone.Ethan.J’avaisétéinjoignable.Ethan.IlétaitarrivéquelquechoseàEthan.Ethan…Jeluiarrachailetéléphoneetcomposailenuméroquejeconnaissaisparcœur.—Oceana!criamamèreàl’autreboutdufil.—Maman,qu’est-ce…—Machérie,je…IlfautqueturentresàNewYork.Maintenantmachérie,maintenant.Jeconnaissaisceton-là.Magorgesenoua.—OùestEthan,maman?soufflai-je.—Je…jenepeuxpastelepasser,ilfautjustequeturentres.
Non.Jevoulaisl’entendre.L’entendremedirequ’ilallaitbien.Qu’ilavaitfaitdesbêtisesaujourd’hui.Qu’ilavaitfaitungâteauauchocolat.J’entendisuneautrevoix,plusfaible.—MadameDouglass?Jesuisledocteur…Plusrien.Unfroissement.Jedevinaiqu’elleavaitmissamainsurletéléphone.—Maman?Maman!hurlai-je.Lefroissementcessaenfin.—Rentre,Oceana,ordonna-t-ellefermement.—OùestEthan,maman?NemelaissepasprendreunavionsanssavoiroùestEthan.OùestEthan?
OùestEthan?hurlai-je,prochedelafolie.— Il y a eu un souci à l’école. Ethan vient de sortir du bloc opératoire, il est en réanimation
pédiatrique.Letéléphonefitlemêmeplongeonquelejusd’orange.Oupeut-êtrequemesgenouxleheurtèrentavant
lui. Tout devint flou et noir. Ce que j’avais redouté pendant cinq années venait de se produire.Réanimationpédiatrique.Çanevoulaitdirequ’uneseulechosepourmoi.Laviedemonfilsne tenaitqu’à un fil. Etmoi, j’étais là, àMiami.Quelque part sur le sol du salon deCarl. Dans ses bras quim’enveloppaient.Soussesmurmuresquitentaientdemecalmer.Noyéedansmeslarmesalorsquemonfils,Ethan,tentaitdesurvivre.Alorsquelaviepouvaitlequitterd’uninstantàl’autre.Mespoumonshurlaient la souffrancedemoncorps.Ma têtebourdonnait etme renvoyaitdes tonnes
d’images,toutesplushorribleslesunesquelesautres.Sonvisageinexpressif.Sesyeuxclosetsabouchemasquéeparun tuyau.Sesbrasmeurtrispar lesperfusions.Sespetitesmains inertesetpâles.Unpetitgarçonquisebattaitpourvivre.Sanssamère.Sansmoi.Chapitre37Gélulesbleuturquoise
Uneheureàregarderlapiscine,appuyésurmesbéquilles.Soixanteminutesàlorgnerl’écrandemontéléphone, dans l’attente d’un message de Carl qui me rassurerait. Trois mille six cents secondes àl’écoutedumoindrebruit dans la villa, signede la présencedeKristen.Rien.Rien à voir prèsde lapiscine.Rien surmonécrande téléphone.Riennonplusdans le salon ;Kristenn’avait pasquittémachambre.Cequiavaitéténotrechambre.DepuisNewYork,jesouffraisconstamment,deboutcommeassis,éveillécommeendormi(pourlepeu
que jedormais).Çadevenait insupportable ; j’avais l’intentiondecontactermonchirurgien lundi,à lapremièreheure,etj’avaisdéjàl’impressionqueriennesepasseraitcommeprévu.L’anciennechambred’Oceanaavaitretrouvél’allureetlasobriétéd’unbureau,demonbureau.Seule
l’odeurdélectabledelavanillesemblaitpersister,pourmonplusgrandbonheur.Plusdepetitesphotosd’Ethan et, surtout, pas d’Oceana.Elle était partie. Je l’avais laisséepartir sans lui expliquer quemamèreavaitfaitréagencerlamaisonpourlavendre,sansluiavouerque,bientôt,j’auraisenmapossessionl’argentpourl’opérationd’Ethan,etsurtoutsansluicrierunedernièrefoisquejel’aimais.Jemelaissaitombersurmonfauteuil.Mesbéquillesheurtèrentlecarrelagealorsquemontéléphone
vibraitenfindansmapoche.C’étaitunmessagedeCarl.T’esqu’uncon.Ellevapastropmal.
Samedi10Sept05:08PMUncon?Pire.Unabruti.SiseulementKristenn’avaitpasétélàànotrearrivée…Maisqu’est-ceque
çaauraitchangé,après tout?Cette situationétait inévitable.Maiscomment savoir si je faisais lebonchoix?Enoutre,était-ceréellementmonchoix?Oceanam’avaitdemandéderéglermesdifférendsavecKristen. Elle ne voulait pas que jeme lève un jour et que jeme dise : « Peut-être que ça aurait étédifférentsi…»Kristen.Nousdevionsdiscuter,nousdisputerpeut-être,pourcesserdenousdétesteretrepartirsurde
bonnesbases,quellequesoitnotrerelationfuture.Jenepouvaispasrejeterenblocnosannéesd’amitiépuis d’amour parce qu’elle m’avait quitté au moment où j’avais le plus besoin d’elle. Quelque part,j’avaisétéresponsabledemasolitude.Àcausedel’accident,desafaussecouche.Etpourtant…quelquechoseclochait,j’avaisbeaumerepasserlascènedenotreaccidentenboucle,jevoyaistoujourslamêmechose,labouchedeKristensetordre,sonvisagepâlir…Samainquidémarraitsonjet-skipourmefuir.Mais jamais je ne m’entendais dire que je ne voulais pas de ce bébé. Jamais. Je voulais tirer cettehistoireauclair,maisjeredoutaisl’emprisequ’ellepouvaitencoreavoirsurmoi.—Jetesersquelquechoseàboire?Jeme retournaiversKristen,deboutdans l’encadrementde laporte.Elleme sourit.Elleportait un
pantalondetailleuretunechemisetteensoied’uneblancheuréclatante,elleétaitparfaite.Toutétaitlisse,soyeux,fin,desescheveuxnoirsàsesvêtements.Pasdetaches,debretelleéchappéedesonépaule,dechignonoudequeuedecheval fait à lava-vite : tout étaitparfait.Tropparfait.Retenantun soupir, jehochailatête.Enfaisantclaquersestalonsaiguillessurlecarrelage,ellemarchaversleminibar,l’ouvritetensortitunebière.—Seulementde l’eaugazeuse, l’informai-je.Pasd’alcool avec lesmédicaments. J’aidû faire trop
d’effortscesdernierstemps.Elle haussa les épaules avec désinvolture avant de replonger sa tête brune dans le minibar. Son
indifférencemefit lemêmeeffetqu’uncoupdepoingenpleinvisage.Oceanan’aurait jamaisréagidecette manière. Je l’imaginais à mes genoux sous ce bureau, ses mains fraîches et réconfortantesappliquéessurmescuisses.—Ilfautqu’onparle,Kristen.Pasd’Oceanasouslebureau.Pasdemassagesdélicats.SeulementKristen,moi…etlapetitebouteille
d’eaugazeusedontleverreéclatasurlesol.Kristenseretournalentement.—Nefaispasça.Jet’ensupplie,Rick,nefaispasça.Pasaprèstoutcequ’onavécuensemble.—Commentveux-tuquejeréagisse?Tuespartie,j’aidumalàtepardonner.Elle baissa les yeux sur les débris de verre à ses pieds. J’avais l’impression de revoir laKristen
écorchéed’uneviequ’ellen’avaitjamaisvoulue.Samèreavaitétél’amanted’unsénateur,mariéettrèsinfluentenFloride,etKristenlefruithonteuxdecetteunionextraconjugale.Iln’yavaitpasdeplacepourlamaîtresseet sa fille illégitimedans laviedecethomme.Jusqu’au jouroù lavéritéavaitéclaté.Samère, grâce aux sommes conséquentes qu’elle avait reçues du père de sa fille, leur avait payé unenouvelleidentitéetavaitmontélaplusgrandeagenceimmobilièredeMiami.—Moi,j’airéussi,murmura-t-elleenfin.J’airéussiàtepardonner.Elleselaissatomberàgenouxsurlecarrelageetsemitàrassemblerlesmorceauxdeverre.Elleme
pardonnait.Même si des larmes coulaient sur ses joues, délayant sonmaquillage, j’avais dumal à ycroire.JeconnaissaisassezbienKristenpoursavoirqu’elleignoraitcequ’étaitlepardon.—Plusdedeuxmoissansavoirdetesnouvelles,Kristen,dis-jepluscalmement.Est-cequetusais
quelssontlespremiersmotsquej’aiprononcésàmonréveil?Jen’aipasdemandécequ’ils’étaitpassé.Jen’aipasdemandécequejefoutaislà,dansunputaindelitd’hôpital,j’aijustedit«OùestKristen?»Tuasétémaseulepensée.Etoùétais-tuàcemoment-là?Tuvidaiscettemaisonquidevaitêtrelanôtre.Tu es partie alors que j’avais besoin de toi. Bébé ou pas bébé, je ne méritais pas ça. Tu aurais pum’insulter,mefrappersituvoulais,maispaspartirdecettemanière-là!—Jesuisdésolée.Nemerejettepas,s’ilteplaît.Laisse-nousunechance.Jepouvaiscomptersurlesdoigtsd’unemainlenombredefoisoùjel’avaisvuepleurer.Lejouroù
ellem’avaitracontétoussessecrets,unenuitdecauchemarssursonpassé,etunesoiréemondaineoùsonpère avait été invité.Mon cœur se serra en la voyant si démunie et si fragile. Je ne voulais pas êtreresponsabled’undesesnombreuxchagrins.Jenepouvaispasl’être.C’étaitau-dessusdemesforces.Jeluitendislamain.—Viensici.J’étais vraiment le pire connard deMiami. Quel que soitmon choix aujourd’hui, je rendrais triste
quelqu’undemain.Mais est-ce que j’étais suffisamment fort pour faire semblant d’aimerKristen ?OupouraffrontermonpèreettoutplaquerpourrejoindreOceana?Kristense relevaet,enquelquesenjambées, se retrouvasurmesgenoux, levisageenfouidansmon
cou.Jel’enlaçai,ravalantmonamertume.—Undernièrechance,mesupplia-t-elle.Son parfumboiséme rappelait toutes ces nuits où j’avais déposé à son insu des bisous sur sa tête
pendantqu’elledormait.Kristenn’étaitpasdenaturecâlineet,à ladifférenced’Oceana,n’aimaitpasparticulièrementdormirdansmesbras.—S’ilteplaît,Rick.Elleresserrasesbrasautourdemoncou.—OK,lâchai-je,incapablededireautrechose.Sessanglotsnecessèrentpaspourautant.Ilsredoublèrent.Maréponsebrèvenel’avaitpastotalement
satisfaite.—Kristen,regarde-moi…Elledégageasatêtedemoncouetessuyaseslarmes.Leregardfuyant,ellesemitàjoueravecl’une
desesbagues.Pasn’importelaquelle.Lamienne.Cellequiétaitcenséescellernotreamour.Laportait-elleladernièrefoisquenousnousétionsvus?Impossibledem’ensouvenir.—Pourquoin’es-tupasrevenueplustôt?demandai-jefinalement.Maquestionlapritaudépourvu.Ellesefigea.—Je…je…jenesaispas.J’avouequecettefillem’afaitpeur.—Oceana,larepris-jeenserrantdesdents.—Tul’aimes,c’estça?—Ne change pas de sujet, Kristen. Est-ce que je dois comprendre que la jalousie a été ta seule
motivation?—Oui.Etarrêtedeprononcersonnom.J’aidéjàdumalàmedéfairedecette image…vousdeux,
danscetaxi.Mesyeuxseposèrentsurmontéléphonerestésurlebureau.Ilcontenaitmesplusbeauxsouvenirsde
NewYorkavecOceana, lesplusdifficilesaussi.Notredernièrenuit.Sademande.Mesdoutesetmes
plusgrandespeurs.Malâcheté.—Tudevraislaremercier.Nousneserionspasentraind’avoircettediscussionsiOceananem’avait
paspousséàrevenirverstoi.Elletressaillit.Jeneluiavaisjamaistenutête.—Nous avons tous les deuxnos torts,Rick.Tu asprovoqué cet accident quim’a fait perdrenotre
bébé,etjet’aiquittéalorsquetuétaisdanslecoma:nemereprochepaslereste.Non.Ellen’étaitpasresponsabledel’étatdemesjambes.Mêmesielleaccentuaitladouleurenrestant
surmesgenoux.—Ettoi,nemereprochepasdenepaspouvoiroublier.Ellesoupira.Cetteconversationnenousmèneraitnullepart.—Pourquoivends-tulamaison?—PourEthan,lefilsd’Oceana.Oui,jedésiraisprendresoindecetenfantquin’étaitpaslemien.Pasdeceluiqu’elleavaitperdupar
mafaute.—Comm…—C’estnonnégociable.—Tusaiscequecettemaisonsignifiepournous.C’est…—C’estunevillabientropgrandepournous.Piquée, elle eut unmouvement de recul. En réalité, elle était bien plus que ça. Elleme l’avait fait
visiteralorsquenousn’étionsencorequedesamis,etjel’avaisinvitéeàfêtermonacquisitionquelquessemainesplustard.Lespiècesétantencorevidesdemeubles,nousavionsmangéàmêmelesoldusalondes tacos du meilleur traiteur mexicain du coin, et bu, directement au goulot, du champagne à milledollarslabouteille.Puisjel’avaisembrassée.SauverEthanvalaitmieuxquetoutça.—Nonnégociable…répéta-t-elle.—Pournotrenouveaudépart,conclus-jepourlarassurer.—OK.Maisjeneveuxplusentendreparlerde…Oceanaetdesonfils.Jeneveuxplusquetupenses
àelle.Impossible.—Trèsbien,mentis-je.Unsourirenaquitsurseslèvres.Jeretinsunhaut-le-cœuràlasensationdesabouchesurlamienne.
Heureusement pourmoi, son baiser fut rapide, et je n’eus aucun besoin d’y répondre. Elle se pressacontremoietjel’enlaçaiàmontour–ça,jepouvaislefaire.—Siçanetedérangepas,luidis-je,jevaisprendredesantalgiquesetmecouchermaintenant.Elleme dévisagea un instant. Peut-être avait-elle compris que je voyais dansma douleur une sorte
d’échappatoire.À vrai dire, jem’en foutais. Je ne voulais plus avoirmal. Je désiraism’endormir etoublierleslarmesintarissablesd’Ethanànotredépart,levisagemeurtrid’Oceanaenquittantlavilla.Kristenmelibéra,marmonnantquelquechoseàproposderamassersesbêtisesetdemerejoindre.Je
me dirigeai vers la salle de bains, examinai les boîtes de médicaments sur les étagères, et choisisvolontairement lesgélulesbleu turquoise.Lamorphine. J’enavalai rapidementuneet, sansprendre lapeinedemedouchernidemedéshabiller,jem’affalaisurmonlit.
Encore groggy, j’avais passé ma journée du dimanche dans mon lit, entre délires, rêves, folies et
brèves périodes d’éveil. Il me semblait queKristen avait dormi contremoi, qu’ellem’avait ôtémesvêtements,qu’ellem’avaitaidéàboire.Ladouleurdansmajambedroitenemequittaitpas,déchiranteetéreintante. Même les gélules bleu turquoise n’en venaient pas à bout, elles la tenaient en sourdinequelquesheures,puismonsupplicereprenaitdeplusbelle.Laseulechosepositive,c’étaitquejen’avaispasàsupporterlesregardsindiscretsdeKristenquandjedormais.Comme je l’avais décidé, j’avais contactémon chirurgien à la première heure le lundi. Après une
radiologiedecontrôle,lepronosticétaittombédanslamatinée.Jedevaismefaireréopérer.Coupdur.Leplusvitepossible,d’aprèsmonchirurgien.Laplaque implantéedansmon fémurdroit avaitbougé,retardant la consolidationde l’oset engendrant lesdouleursque je ressentais en lacérantmonmuscle.J’avaisnégociéunesemaine.Unesemaineetjel’appelleraispourconvenird’unedate.Jenemesentaispasencorecapabled’affronterunequelconqueopérationquimecoûterait,unefoisencore,dessemainesd’immobilisation.Dansletaxi,j’avaishésitéplusieursfoisàcontacterOceana.C’étaitmonpilier.J’avaisbesoind’elle.
JemefoutaistotalementdelaréactiondeKristen.Ilnem’avaitfalluquedeuxjourspourréaliserquejenepourraispas faire semblant. J’aimaisOceana. Ilneme restaitplusqu’à trouver lesbonsmotspourKristen.Malheureusement,ellefaisaittellementd’effortspourmesatisfaire,etsurtoutpourchanger,quej’avais
dumalà luiavouerque jenepourrais jamaisêtreavecellecommeelle l’espérait.Elleavaitprisunesemaineentièredecongé,sibienqu’ellenequittaitjamaislavilla.Elletentaitdepréparernosrepasaulieudetoutcommanderchezletraiteurcommenouslefaisionsavant,seblottissaitdansmesbrasdèsquel’envie lui en prenait, et je l’avais même surprise à animer une visite pour la vente de la villa. Enrevanche,sespasdanslavillarésonnaientsanscessedansmoncrâne,jesavaisdansquellepièceellesetrouvait sans même la voir, alors qu’Oceana avait toujours été discrète et légère – une plume. Sespancakes étaient fades.Nos discussions aussi étaient différentes. Trop courtoises. Trop sérieuses. Lestaquineriesd’Oceanamemanquaient.Nosjeuxderôle.Nosfaussesguerres.Lamanièrequ’elleavaitdem’observerpar-dessus l’écrandemonordinateur.Sa façonenfantinedegrimper surmonbureauetdes’installeren tailleuravecunbouquin, simplementpourêtreavecmoi.Sesdoigts froidset finsqui sebaladaientsurmescicatrices.Sesmainsappliquéesquis’évertuaientàmesoulager.Saboucheauxlèvrespleines,quelquefoisrougiesdemesbaisers.Sonregardamuséetattristédevantsasériepréférée.Et,jedevaisbienmel’avouer…labretelledesonmerveilleuxpyjamaensatin.Mesjournéesétaientennuyeusesàmourir.Jesuffoquaisdanscettevilla.Jedépérissaisdansceputain
defauteuilroulant.Jem’enterraisdèsqueKristenmeparlaitpendantdesheuresdesventesqu’elleavaitpufaire,delanouvelleagencequesamèreavaitouverte.Etjemeshootaistouslessoirsavecmesjoliesgélulesbleuturquoiseafind’éviterdefairel’amouravecKristen.Ilm’encoûtaitdéjàdelasentircontremoitouteslesnuitsetderépondreàsesbaisers.Leseulmomentoùjemelaissaisalleràsourireétaitlorsqu’EthanmecontactaitsurSkype.Lechenapanattendaitquesagrand-mèreailleprendresadouchepourm’appeler.Iln’étaitpasdupeetm’avaitconfiéqu’ilsavaitquesamèrenevivaitpluschezmoi.Jeluiavaisditquec’étaittemporaireetque,sitoutsepassaitcommejel’avaisprévu,Oceanaseraitaveclui la semaine suivante. Il m’avait brisé en me demandant si je serais là, moi aussi. Et comme lemerveilleuxconnardquej’étais,j’avaismenti.Oui,jeseraislà.J’avaisaussisuggéréàCarld’emmenerOceanavoirlesdauphins.Jetenaisàcequ’ellelefasseavant
departir.Ravagéeparunconnard.Sixjourssanslavoir,sanslasentir,sanslatoucher.Contraintàbâtirdesrêvesmerveilleuxetàsubirunréveilconsternant.
Levendredi,Kristenm’avaitinforméqu’ellecomptaitinvitermesparentsàdîner.J’avaisvudanscettesoirée une porte de sortie. Je devais parler avecmonpère.Lui proposer quelque chose de sensé.AurisquedetoutplaqueretdemeretrouverderrièreunbureauàNewYork,souslesordresdePeter.J’étaisdécidé.TellepetitPoucet,j’avaiserrépendantsixjourspourretrouverenfinmoncheminenramassant,nonpasdescailloux,maisdepetitesgélulesbleuturquoise.Finalement,lamorphinem’avaitouvertlesyeux. Oceana n’était pas une femme vénale. Oceana avait simplement besoin de se sentir soutenue.Oceanaétaitlafemmedemavie.Etjemeplaisaisàmerépéterqu’Ethanpouvaitêtremonfils.Kristenavaitassurésesarrièresennousoffrantleluxed’uncuisinierfrançaispourlasoirée,d’autant
qu’ellesavaitmamèrefriandedelagastronomiedecepays.Elleavaitsortilegrandjeu.Robedesoiréerouge,décolletéedansledos,chignonimpeccable.Jedevaisl’avouer,elleétaittrèsbelle.Etsiparfaite.Trop,encoreunefois.Mapensée,unefoisencore,s’étaitégaréeverslesouvenird’uneautreroberouge.Celled’Oceana.Lesretrouvaillesavecmonpèrefurentfroides.Àpeinesiseslèvresremuèrentpourmedirebonjour.
Pourquoidiableavait-ilacceptél’invitationdeKristen?Peuimportait:l’essentiel,c’étaitqu’ilsoitlà.Mamère, en revanche, parut presque peinée deme revoir dansmon fauteuil roulant.Àmon grand
étonnement,larelationentreKristenetellesemblaitavoirévolué.J’avaispresquel’impressionquemamèrecherchaitàdéstabiliserma«fiancée».Pourmapart,jen’avaispasouvertlabouchedelasoirée,saufpourdirequelaratatouilleétaitexcellente,etsurtoutpourmeféliciterdelanouvelleannoncéeparmamère…ilyavaitunacheteurpourlavilla.Ilnemanquaitplusquemasignature,et,lundi,jeseraisenpossessionde treizemillionsdedollars.Si jen’avaispasété si superstitieux, j’aurais aussitôt appeléOceanapourluiannoncerlanouvelle.AlorsqueKristenaffichaituneminesombre,monpère,jusque-làmurédanssonsilence,s’excusaetseretiradansmonbureau.Maintenantoujamais!mecriamaconscience.Encoreenproieàl’euphorie,jelerejoignis.Plantéfaceàlabaievitrée,ilnebougeapasàmonentrée.—Ilfautqu’onparle,papa.Jen’avaispasmieux,commeréplique?JejouaismavieavecOceana;iln’étaitpasquestiond’une
planchedesurfoudechoisirl’employédumois!—Non,répliqua-t-il.—Quetuleveuillesounon,jevaisteparler,repris-jefermement.Rienàfoutrequetusoisd’accord
ounonaveccequej’aiàtedire.Jen’attendspastabénédiction.—Surveilletonlangage,Rick,meprévint-ilenmefaisantface.S’ils’agitdeteslubiesàproposdu
surf,laréponseestencorenon.Elleresteralamême.Rienn’achangé.—C’estquoitonproblèmeavecmaplanche?Tum’asbienregardé?Jesuisclouédansunfauteuil,
bordel.Tumecroisvraimentcapablederemontersurunsurfunjouretdefaireletourdumonde?Mesrêvessontmortsdepuislongtemps,ettulesaispuisquejel’aifaitpourtoi,tonputaind’hôteletKristen.Unseconde,jecruslevoirflancher.—Tunetesouviensdoncvraimentderien…—Dequoidevrais-jemerappeler?Ilsecoualatête.—Laissetomber.Dequoivoulais-tumeparler,s’iln’étaitpasquestiondecela?—Oceana.
Ilfronçalessourcils.—C’estlafilled’uneemploy…—Jedirigerail’hôtelsitunetemêlespasdemarelationavecelle.—Sinonquoi?—Jecroisbienqu’ilvatefalloirtrouverquelqu’und’autrepourlefaire.—Etquecomptes-tufairedetavie?Son dédain n’eut aucun effet surmoi. J’étais bien loin de tout çamaintenant. Je n’avais plus aucun
doute.J’accepteraisn’importequoitantquejeseraisavecelle,aveceux.Leseulfaitd’ypensermefitsourire.—Unjobm’attendàNewYork,répondis-jeenfin.Etêtreassisderrièretonbureauouceluid’unautre
nefaitpasgrandedifférencepourmoi.—Ettamère?Tuypenses?Bienvu,lechantageaffectif…maisçaneprendraitpas.—Cettefillet’aretournélecerveau,maparole!Piqué,jemelevaidemonfauteuiletl’affrontaidebout.—Cettefillem’aquittéparcequ’elleneveutpasêtrelacausedenosdisputesfamiliales.Cettefille
penseplusàvousetàmoiqu’àsaproprepersonne.Cettefille…—Dis-lelui,Patrick,mecoupamamèred’untonautoritaire.Elleétaitentréependantnotrediscussion.Jemefigeai.Patrick.Lesraresfoisoùelleavaitappeléson
mariparsonprénomsecomptaientsurlesdoigtsd’unemain.Etilnes’agissaitjamaisdeconversationsaffectueuses.Bienaucontraire.Monpèreblêmit.—Medirequoi?Monpèrerestasilencieux.—Situneluidispas,c’estmoiquileferai,lemenaçamamère.Ilsoupira.—Lejouroùtuaseutonaccident,nousnoussommesdisputés,annonça-t-ild’unevoixmonotone.—Commed’habitude…—Tais-toi,Rick,m’ordonnamamère.— Tu m’avais soumis une idée, reprit mon père. Quelque chose qui permettrait à l’hôtel de se
démarquerdesautres…Soudain,jemesouvins.—Proposerdescoursdesportsaquatiques.—J’airefusé.Catégoriquement.Sansmêmeétudiertaproposition.Sanst’écouter.Mon cœur semit à battre plus rapidement. Je connaissais cette sensation. Je fermai les yeux pour
accueillirlesouveniramerdecejourquiavaitdonnéunautresensàmavie.Jelerevoyaisdevantmoi,assisdanssongrandfauteuildirectorial,mebalançantlesfeuillesd’undossiercenséluidémontrerquemapropositionvalaitlecoupd’êtretentée.—J’aiexplosé,murmurai-jeentitubantjusqu’àmonfauteuil.
Voilàpourquoij’avaisprismonjet-ski,quej’avaismisauplacarddepuislafermeturedemonclub.Parcequej’avaislittéralementexplosé.J’avaiseubesoindeliberté.Jecomptaistoutplaquercejour-là.Fairemachinearrière.Quittersonhôtel.Lavéritémesautaauxyeux.S’ilm’avaitécoutécejour-là,jenemeseraisjamaisretrouvésurcejet,etKristennem’auraitjamaisrejoint.—Jesuisdésolé,murmura-t-il.Je lui lançaimonregard leplusnoir.Desexcuses,maintenant? Iln’avaitmêmepasétécapablede
venirmevoiràl’hôpital.Commentpouvais-jeêtresidifférentdelui?—Danslefond,çat’abienarrangé.Maintenant,jesuisobligédefairecequetuveux.—Jesuisdésolé,répéta-t-il.Iln’étaitmêmepascapabledeformulerdesexcusesdignesdecenom.—Tul’asdéjàdit.Sorsdechezmoi,maintenant.Sestraitssedurcirent.Latristessenel’avaitpasaffectébienlongtemps.Alorsqu’ilmedépassait,je
repris:—Ettucomprendsbienquemapropositionestobsolète.Jelevisseraidir.—Réfléchisbienàcequetufais,Rick,murmura-t-il.Justement,j’avaisdéjàtropréfléchi.Cethôtelnereprésentaitrienàmesyeux.Sicen’étaitunecordeà
moncou.—Iln’yaqu’elle,papa.Elleetsonfils.C’était bien la première fois que je ne partais pas en claquant la porte, que je ne quittais pas son
bureauenfulminant.Maislui,cesoir-là,lefit.Mamèreposasamainsurmonépaule.—Jetefaisparvenirlesdocumentsdemaindanslajournée.Bonnenuit,Rick.J’eus presque l’impression qu’elle approuvait mon choix. Non. Elle n’avait aucune estime pour
Oceana.Peut-êtrevoulait-ellesimplementmedirequ’elleaussiétaitdésolée?Auloin,j’entendisleséchangescourtoisentreelleetKristen.Jerécupéraimontéléphoneetconstatai
quej’avaisreçuunmessagedeCarl.Àmongranddésespoir,ellen’apasdecoupdesoleil…Vendredi16Sept6:21PM
Etlesdauphins?Commentva-t-elle?Vendredi16Sept9:08PM
Jenel’aijamaisvueautantsourire!Ellesortdeladouche.Jepeuxplusteparler.Vendredi16Sept9:07PM
Et j’avais ratécemoment. Jememisà fairedéfiler lesphotosdeNewYork. Jene l’avaispasvue
nageraveclesdauphins,maisj’avaisça.Cesinstantsvolés.Unorgasme,desjouesrougiesparlagêne,unsommeilprofond,dessouriressincères,ceregardquimetransportait.—J’aientenducequetuasdit.Je tournai à peine la tête vers Kristen qui m’observait dans l’encadrement du bureau. Son visage
n’exprimait aucune émotion. Toujours parfaite en toute circonstance. Je soupirai en rangeant montéléphone.—Nem’ignorepas!Jenetereconnaispas.Ouplutôt,j’ail’impressionderevoirleRickinsouciantet
sauvagedemajeunesse.Aucontraire.J’allaisenfinprendremespropresdécisions.Iln’étaitplusquestiondedevoirfamilial,
decontraintesetdecomptesàrendre.J’étaislibredechoisir.—Jen’aipaschangé,Kristen.Jesuislemême.—Tuvascontinueràmepunirparcequejen’aipasétélà.Pourtant,j’aiétélàtoutecettesemaine.J’ai
étélàlejouroùtuasapprisquetudevaistefaireréopérer…—Unesemainesurplusdetroismois,Kristen…Elles’indignasoudain:—Etmoi,quedevrais-jedire?Tunevoulaispasdebébé,maismaintenanttuveuxdecetenfantalors
qu’iln’estmêmepasletien!Nousenrevenionsaumêmepoint.Mais,encoreunefois,quelquechosemefaisaittiquer.Pourquoine
pasdire«notrebébé»?—Maintenant,dis-jesimplementenmerapprochantd’elle.—Quoi,maintenant?Ellejetaunrapidecoupd’œilautourd’elle,commesiellecherchaituneissue.J’espéraisjustenepas
metromper.—Faisonsunenfantmaintenant,précisai-je.Elleblêmitetreculad’unpas.—Tunepensespascequetudis.Ellenemediraitjamaislavérité.Jedevaislapousserdanssesretranchements.—Tuveuxquejeresteavectoi?Alorsfais-moiunenfantmaintenant.Çanedevraitpasteposerde
problème,non?Je luioffrismonplusbeausourireetmerapprochaid’elle.Puis jedéposaiun tendrebaisersurses
lèvrestremblantes.J’enreconnusparfaitementlegoût;maisiln’yavaitpascettesensationdepassion,d’envolverslescieux,dechaleurquejeconnaissaisbien,maintenant.Jeplaquaisonbassinaumienetremontaisaroberougelelongdesacuisse.—Rick,arrête,mesupplia-t-elle.—Jeveuxunbébé.Maintenant.Sabouchesedéformacommesijevenaisdeluiannoncerlaplusterribledesnouvelles.Jelarevissur
son jet. Je pouvais presque sentir les rayons de soleil caresser ma peau et les vagues agiter monembarcation. Je me revoyais. J’étais heureux, ce jour-là. Elle venait de me redonner le sourire enprononçanttroispetitsmots:«Jesuisenceinte.».—Jen’aijamaisditquejen’envoulaispas,murmurai-jelesoufflecourt.C’était elle qui n’en voulait pas. Jeme souvenais. Trop tôt, avait-elle dit avant d’ajouter, d’abord
l’hôtel,macarrière,notremariageetplustard,peut-être,unbébé.Unbébé.Pascelui-là.Pasnotremaisun.Lebrouillardse levait lentement.Elleavaitprévudesefaireavorteretavaitpaniquélorsqueje lui
avaisditqu’iln’enétaitpasquestion.Unbateaudeplaisancepassaitnon loin.Elleavaitdémarrésonscooter des mers sans lui prêter attention. La suite, je la connaissais par cœur. Elle avait perdu lecontrôleetm’avaitpercutédepleinfouet.Titubant, je longeai lemur jusqu’àma chambre, sans écouter ce qu’elleme disait. J’étais à la fois
meurtri et soulagé.Blessépar sesmensonges et libéré dema culpabilité. Je n’avais jamais refusémapaternité, bien au contraire. Plus rien nem’obligeait à être avec elle. Pasmême les sanglots quimeparvenaientàprésentdemonbureau.Etencoremoinslesinsultesqu’ellemecriait.Finalement, je n’étais pas le pire connard de Miami, mais le plus bel abruti de Floride. J’avais
délaisséOceana.Pourça.
Chapitre38
NewYork
Mesjambesm’avaientportéejusqu’àl’aéroport.Mesbrasavaientsoutenumesvalises.Etmaboucheavait articulé quelque chose qui ressemblait à une question à propos du premier vol pourNewYork.Carl,blanccommejenel’avaisjamaisvu,avaitreformulémademandeet,quelquesheuresplustard,jem’étais retrouvée dans un avion en partance, coupée de toutmoyen de communication avecmamère.Seule.Maisçan’étaitpaslepire…Jusqu’àcet instant, jen’avaispaspasséunquartd’heure sans l’appelerpourprendredesnouvelles
d’Ethan.Toujourslesmêmesmots.Étatstationnaire.Attendre.Etlà,laréalitémepercutaitviolemment.L’odeurdeJaveletdepropreté,lesbipsdumonitoring,les
voixdupersonnelsoignant,Ethandansunlitd’hôpital.C’étaitçalepire…Delaviepartout,sauflàoùelleauraitdûêtre.Surleslèvresdemonpetitgarçon,danslegrisdeses
yeux,auboutdesesdoigts.Jevoulais l’entendremediredesmilliersdechoses, levoirs’agiteret lesentirfrémircontremoi.Parcequec’étaitça,mavie.Mavie,c’étaitmelevertouslesmatinsfatiguéemaismesentirpuissanteetressuscitéedèsmonpremierregardsurlui.C’étaitmesurprendreàsourirebêtementdevantundessinouunephoto.C’étaitfairedesgâteauxauchocolatenpleinenuitpourmefairepardonnerdel’avoirgrondélaveille.Jen’étaispaspréparée.Jenel’auraisjamaisété.J’yétais.Mesgenouxs’affaissèrentaumomentoùmamainattrapa lasienne.Chaudeetdouce, je la
collaiàmajoue,lahumai,l’embrassaidélicatementcommes’ils’agissaitdelaplusbellerécompenseaprèsdesjoursdesupplice.Parréflexed’infirmière,jenepusm’empêcherderegarderlemonitoring.Saturationenoxygène,OK.
Fréquencecardiaque,OK.Tension,OK.Fréquencerespiratoire,OK.ToutétaitOK.Maispasdansmatête.—Ilseréveilleetserendortaussitôt,chuchotamamère.Assisedel’autrecôtédulit,unemainposéesurl’avant-brasd’Ethan,ellem’offritunsourirequise
voulait réconfortant. Je fus incapable d’y répondre.Mes yeux reprirent leur inspection.Les rayons desoleil entraient par la fenêtre caressaient les boucles blondes d’Ethan, son visage au teint de pêchesemblait paisible et serein ; quelques électrodes parsemaient son petit torse qui se soulevaitimperceptiblement à chacune de ses inspirations et une seule perfusion était branchée à son bras. Pasd’énormetuyaureliéàunrespirateur.Pasdetonnesdefilsbranchésàsonpetitcorps.Etsurtout…Pasdepansements sur sa poitrine ! Ça ne voulait dire qu’une chose. Pas d’opération à cœur ouvert. Pas dethoracotomie. Réduction des risques liés à l’opération. Le chirurgien avait utilisé une voix moinsinvasive.Aulieudepratiqueruneouverturesursapoitrine,ilavaitpréférépasserparunedesesartères.Pourenavoir lecœurnet, je jetaiuncoupd’œilsous ledrap. Ilétait là.Unpansementcompressifau
niveaudel’aine.Jeressentisenfinunlégersoulagement.Ethanavaitétéopéré,ilnesouffriraitplusdesoncœur.—Qu’est-cequis’estpassé?réussis-jeàarticuler.Mamèresegratta lagorge.Samineendisait longsur lesheuresdifficilesqu’ellevenaitdepasser.
Desmèchesdecheveuxs’évadaientdesonchignonhabituellementsiparfait,sesyeuxétaientbouffisetcernéset elleportait encore sonuniforme,dont la chemisedonnait l’impressiond’êtrepassée sousunrouleaucompresseur.—L’écoleaappeléenfindematinée,Ethanavaitdumalàrespirer, l’instituteurn’apashésitéà le
fairetransporteràl’hôpitalet…J’eus le souffle coupé en entendant sa voix se briser. Je devinais la suite comme si je pouvais la
revivreà saplace.Tout laisser tomberetpartir, seule,affronter l’inconnu.Sedemanders’il s’agissaitd’unesimplecriseoudel’étattantredoutéquimettraitsavieendanger.Couriraussivitequepossibleens’imaginantarrivertroptard.Etlereste…entendrelesmotsd’unmédecinsansencomprendrelamoitié.Puisl’attente.Debout,assise,fairelescentpas.—Jesuisdésolée,murmurai-je,aussibienpourEthanquepourmamère.—Çan’estpastafaute,nicelled’Ethand’ailleurs:leplusimportant,c’estquetusoislàmaintenant.Savoixétaitcommeunecaressepourmoi.Etcommepourrépondreauxparolesdesagrand-mère,la
maind’Ethanfrémitentremesdoigts.Aumomentoùsespaupièress’ouvrirentsurmoi,moncœurs’embrasadansmapoitrineetmagorge
étouffa un « mon trésor » plein d’espoir. L’espoir que le pire était derrière nous. Ses yeux grisrencontrèrent lesmienset toutdevint flouautourdemoi. Je flottais sur son sourire.Un faible sourire,maispourtantaussipuissantquelesrayonsdusoleil.Chaud,divin,rassurantetvivant.—Vas-ydoucement,Ethan,legrondamamèreenlevoyantdévorersonmaigreplateau-repas.—Chépascrébonmaisj’aicréfaim,répondit-il,labouchepleinedepaindemietartinédefromage
frais.Jemeretinsdepoufferenvoyantmamèreleverlesyeuxauciel.—Ettoi?m’interpella-t-elle.Jeladévisageai.Elleavaitmeilleuremine.Moi,j’étaisicidepuisdeuxjours,moncœursemblaitpeu
àpeuserépareraurythmedeceluid’Ethan,etjevoulaisoublierlespiresheuresdemavie,lesenterreretneplusjamaisypenser.—Quoi,moi?Ellemefitlesgrosyeux.—Depuisquandn’as-tupasmangé?Devais-je lui dire que les chips du distributeur automatique de l’hôpital étaient un vrai délice ?
Enfin…plutôtlerepaslepluscopieuxdistribuéparlamachine.—Depuisquandn’as-tupasdormi?reprit-ellesurlemêmeton.Rien ne servait de mentir, le fauteuil n’était pas assez confortable pour y dormir – et mes cernes
parlaientpourmoi.J’auraispupostulerpourlaprochainesaisondeTheWalkingDead.—Prisunedouche?Je ne quittais pas Ethan d’une semelle depuis deux jours, elle le savait très bien. Mais peut-être
devais-jel’informerquej’avaisbienfaitcacaetpipi?—Turentresà lamaison,Nana.Tute laves, tumangeset tudors.Jeneveuxpas tevoirdanscette
chambreavantdemainmatin.Enlavoyantrécupérermonsacàmain,jem’affolaietmelevai.HorsdequestionquejequitteEthan
pourmereposer.—Etsi…commençai-jeàl’instantoùlecardiologued’Ethanpénétraitdanslachambre.Suividesesinternes,ledocteurBenson,unquinquagénaireauxcheveuxgrisonnants,souritàmamère.
Ellereposaprécipitammentmonsacsurlatabledechevetetlissasajupe–non,jenemetrompaispas,elleavaitrougi!—MadameDouglass,mademoiselleDouglass,dit-ilennousserrantlamain.AlorsEthan,commentte
sens-tu,aujourd’hui?—Trèsbien!s’exclamaEthanenlevantlesdeuxpoucesverslehaut.—Tum’envoisravi!Demainmatin,nousvérifieronsparéchographiesi toutsepassebienpour ta
valveet,sic’estlecas,jepensequetupourrasrentrercheztoidansl’après-midi.Çatedit?Ethanhochalatêtefrénétiquement.—Cen’estpasunpeutôt?objectai-je.J’agrippaifermementlespiedsdulitpourjugulermonangoisse.Ets’ilsepassaitquelquechoseàla
maison?Lemédecinmeservitlesouriretypiquedupraticienquisouhaiteréconforterlesparentsdesespetits patients. Ça ne marchait pas avec moi. J’étais infirmière et je ne voyais que par des donnéescliniquesetbiologiques.— Le risque zéro n’existe pas, vous le savez aussi bien que moi, annonça-t-il, compatissant.
L’opération s’est bien passée, Ethan a bien répondu aux traitements, ses constantes sont stables, sesanalyses sanguines plus que correctes, et il sera toujours mieux chez lui que dans cette chambred’hôpital!Bienentendu,reprit-ilàl’attentiond’Ethan,pourlesactivitéssportives,jetedemanderaid’yaller progressivement.Ton cœur est peut-être réparé,mais tu vas devoir leménager encore un temps.Nousnousreverronsdansunmoispourcontrôlerquetoutvabien.—Super!T’asentendu,maman!Demain,jerentreàlamaison!s’exclamaEthanensautantdesonlit.JesourisunefoisdeplusaudocteurBenson.Ilavaitindéniablementraison.Tandisqu’ilsaluaitmamère,jeprisEthandansmesbras.Ilmeparutsilourdquejenepusretenirun
grognement.Mamèreaussiavaitraison.Moncorpsnetiendraitpaslongtempsàcerythme.—Tuesrassurée?medit-elleaprèsavoirrefermélaportedelachambre.Le serais-je un jour ? Nous avions toujours vécu dans cette angoisse permanente, cette peur du
lendemain.Nous allions devoir réapprendre à vivre, commeEthan allait devoir faire confiance à soncœur,quineletrahiraitplusjamais.Jerefoulaiundemesplusbeauxrêvesaufonddemonesprit.Troptôt pourm’imaginer le voir courir dans les feuilles orangées de l’automne. Trop tôt pourm’imaginerl’entendredirequ’il aimait être essoufflé.Trop tôtpour l’imaginer rougecommeune tomate,mais leslèvresretrousséesdansunmerveilleuxsourire.Troptôt,maisbientôt.Toutétaitfini.—Queljoursommes-nous?demandaEthanenjouantavecunemèchedemescheveux.—Lundi,trésor.Jecollaiunbisousursajouechaudeetfrottaimonnezausien.—Alors,c’estaujourd’huiqu’ilrevient?Oupeut-êtredemain?
Jequestionnaimamèreduregard.Ellesecoualatête.—Ilm’apromisqu’ilseraitlàcettesemaine,repritEthan.Rick?Quand?Où?Comment?Duregard,jesuppliaimamèredeveniràmonsecours.Ellesegratta
lagorge.—Rick t’apromisou il t’a seulementditqu’ilviendraitdans la semaine?demanda-t-elled’un ton
assuré.Ethanfronçalenez.Çan’annonçaitriendebon.—Ilvavenir,maman?Ils’agissaitbiendeRick.CommentexpliqueràEthanqu’illuiavaitpeut-êtredittoutuntasdetrucs
pourluifaireplaisir?Commentluiavouerquejel’avaislaissépartir?QueRickneseraitjamaisavecnous?—Ildoitavoirdeschosesàfaire,répondis-jefinalement.Contretouteattente,levisaged’Ethans’éclaira.—C’estvrai,ilm’aditqu’ilavaitdesproblèmesàrégler!Il sauta sur son lit et attrapa la télécommande de la télévision. Je n’étais pas sortie d’affaire pour
autant.J’avaisseulementrepoussésacuriositédequelquesjours.Etlevoirpasseràautrechosen’atténuaen rienmonmalaise. Je reconnus sans peine la douleur qui nem’avait pas quittée pendant toute unesemaine.Cettebouleaufonddelagorgequim’empêchaitdemenourrir.Cepoidsdanslapoitrinequimefaisaitsuffoquer.Cesbrûluresdanslesyeuxquimerappelaientquej’allaispleurer.Etcevidedansmoncœur,quimefaisaitprendreconsciencequ’ilneseraitplusjamaisavecmoi.J’avais quitté l’hôpital, laissant Ethan avec ma mère. Je n’étais plus capable de raisonner
correctement.J’étaisfaiblementalementetphysiquement.Allongéedansmonlit,dansl’obscurité,aprèsavoirmangétroisbouchéesdequicheaupouletetprisunedouched’unedemi-heure,jeluttaispournepaspleurer.EtsiCarln’avaitpastenusapromesse?Ilm’avaitjurédeneriendireàRick.Jemerisquaiàregarder l’écrannoirdemontéléphone,meprenantàespérerqu’ilsonne,alorsqu’iln’avaitplusdebatteriedepuisledimanchematin.—N’importequoi!m’exclamai-jeenlebranchantàsoncordondechargeprèsdematabledechevet.Il m’échappa des mains au moment où un tintement de cloche retentissait. L’oreille tendue, je me
redressai. Le tintement reprit. Je n’étais pas folle. J’allumai ma lampe de chevet. Je refis un tourd’horizon.Lafenêtrefermée,macommode,macoiffeuse,monarmoireetmon…L’ordinateurportablen’étaitpaséteint. Ilétait seulementenveille.Jesursautaiunenouvelle foisau
bruitdelacloche.Çanepouvaitêtrequelui.C’étaitsonordinateur.SonmoyendecommunicationavecEthan.J’attrapaimonoreilleretleserraicontremapoitrine.Jenedevaispascéderàlatentationniàlapanique.Jedevaisjustepatienter.Attendrequelaclochearrêtedetinter.Subir.—Inspirer.Expirer.Serrerlecoussin,merépétai-je.La cloche sonna de nouveau. Je mis mon oreiller sur ma tête. Peut-être arriverait-il à étouffer les
tintements?Oum’étoufferait-il, toutsimplement?Voilà!Jesombreraisdirectementdansuneléthargiesilencieuseetdouce.Le.Rêve.Nouveautintementdelacloche:j’envoyaimoncoussinendirectiondel’ordinateur.Malheureusement, comme ma mère n’avait cessé de me le répéter durant toute mon enfance,
extériorisersacolèreparlaviolencen’apporteengénéralriendebon.Rickapparutàl’écran.Levoirme
fitautantdebienquedemal.Ilétaitsibeau,sansl’ombred’unerepoussedebarbe,vêtud’unechemiseblanchedontleboutonduhautavaitétédéfait.IlressemblaitauRickquim’avaitemmenéedéjeunerdanscerestaurantauxmillecouleurs.Maiscesoir,ilnes’étaitpasfaitbeaupourmoi.Ilparaissaitenpleineforme, alors quemoi j’avais dû perdre cinq kilos en une semaine et affichais un teint si blafard quen’importequelmédecinauraitsuspectéuneanémie.—Oceana?Jerefoulaiunsentimentdebien-êtreenentendantsavoixchaudeetrauque.Ellem’avaitmanqué.Ilme
manquait.Jeserrailedrapaucreuxdemesmainspourleurintimerdeneplustrembler.—Quefais-tulà?Carlm’aditquetunerentreraisquedemain,aprèsque…—J’aipréférérentreraujourd’hui,lecoupai-jesuruntonunpeutropferme.J’étais soulagée de savoir que Carl avait tenu parole. Et fâchée de constater que Rick n’avait pas
cherchéàmejoindre.Ilavaitjusteprisdemesnouvellesauprèsdesonami.—Jen’aipaseudenouvellesd’Ethandepuisjeudisoir,jecommençaisàm’inquiéter,dit-il.Oùest-
il?Ilvabien?Jereconnaissaissanspeinemonanciennechambre.Derrièrelui,labaievitréelaissaitvoirunepartie
dujardinencoreéclairéparlesderniersrayonsdesoleil.—Ildortdanslachambredemamère,mentis-je.Sesyeuxrevinrentsurmoi.Jefrissonnai.—Ilvabien,alors?Jehochailatête.Maintenant,ilallaitbien.—SituesàNewYork,j’enconclusqueCarlt’adonnétonargent?C’étaittoutcequ’ilavaitàmedire?Pasde«tumemanques»oude«çafaitdubiendetevoir?».
Non.BienentenduqueCarlnem’avaitpasdonnécestroiscentmilledollarspuisquejen’enavaisplusbesoin.Jen’envoulaispas.—Pasencore.Surpris,ilfronçalessourcils.—Je…J’aiquelquechosed’importantàtedire.Sesyeuxbleusserivèrentauxmiens.Çanefaisaitaucundoute,j’aimaiscethommeplusquetout.«Jetesersquelquechoseàboire,Rick?»entendis-jedanslemicro.Unevoixféminine.Ilsetourna,manifestementgêné.Kristen?—Attends-moidanslesalon,jen’enaiquepourquelquesminutes,répondit-il.Quelquesminutes…untsunamidecolèrem’envahit.Moi,jenelevoulaispaspourquelquesminutes,
mais pour toute une vie. Et je ne voulais certainement pas l’entendreme dire que lui et moi, c’étaitimpossible,quej’avaisraison,quesavieétaitàMiamietqu’ilnevoulaitpasavoirderegrets.Jemelevai,courusjusqu’àl’ordinateur,refermail’écransurleclavieretôtailabatterieavecrage.Fini.Toutétaitfini.Toutétaitnoir.Jerevivaislepire.Appuyéecontreleplandetravaildelacuisine,jeregardaisEthanassemblersonnouveaupuzzledes
Avengers,cadeaudesasortiedel’hôpital.J’auraisdûêtreheureuse,sourireàlavie,àsavie,maisjen’yarrivaispas.J’entendaisl’eaudeladouchecouler,signequemamèreoccupaittoujourslasallede
bains.C’étaitlesseulesminutesderépitsquejem’accordais,enplusdecellesoùj’yétaismoi-mêmeetmesdeuxdernièresnuits. Je relâchaismonsourire forcé,détendaischacundemesmusclesetpleuraissilencieusement.Endehors de ces quelques instants, j’ignoraisma souffrance.Ethan était là,mamèreétaitlà,et,pourtant,jenem’étaisjamaissentieaussiseule.—Maman!m’appelaEthansansquittersonpuzzledesyeux.Jesoupirai.—Oui,trésor?Illâchaunepièceetmefixadesesgrandsyeuxgrisavecinquiétude.—Letéléphone,maman.Ilsonne.Jemesecouaietmedirigeaiversleguéridondusalon,telunpantinàlamécaniquefatiguée.Troptard.Lerépondeurm’avaitdevancée.Lavoixenregistréed’Ethanretentit:«Nous ne sommes pas là !Maismaman etmamie disent que tu peux laisser unmessage après le
biiiiiiiip!Voilà!»Aussitôt,letéléphoneseremitàsonner.Cettefois,jedécrochai.—Allô?—Oceana?—Carl?—Bonsang,Oceana,çafaittroisjoursquej’essaiedetejoindre!s’exclama-t-il.—Désolée,je…Jen’aipasrallumémontéléphone.Ethanvabien,ilestrentréàlamaison.MonderniermessagepourCarl remontait audimanchematin, je luiavaisditqu’Ethanétaithorsde
danger,pourl’instant.—Oui.Euh…Ça,jelesais,cen’estpaspourçaquejet’appelle.Commentpouvait-ilsavoirqu’Ethanétaitsortidel’hôpital?Ilnemelaissapasletempsdeluiposer
laquestion.—Rickvasefaireréopérer.—Carl,situm’appellespourmeparlerde…—Jevoulaisaussitedirequetuétaisaussistupidequelui.—Carl,jevaisraccrocher.—Etjepeuxtecertifierquesituraccroches,jeprendslepremieravionpourNewYork…Jemismamenace à exécution sansmême attendre la fin de sa phrase. Je n’avais aucune envie de
parlerdeRickdevantEthan.D’autantqu’ilavaitlâchésespiècesetm’observaitcommes’ilavaitpeineàcroire,quemoi,samaman,j’avaispuêtrevilaineavecquelqu’un.—C’étaitqui?medemanda-t-il.Jecherchaidésespérémentunmensongequinememèneraitpasunefoisdeplusverslaquestiontant
redoutée:«Ilvientquand,Rick?».—Je…commençai-jeavantqueletéléphoneneseremetteàsonner.Cettefois,jedécrochaiavecempressement.—Jevoulaistenterunedernièrefoisdet’appeleravantdeprendrel’avion.Àmoinsquetuveuilles
vraimentquejeterejoigne?Parcequetusaisquejeseraiscapabledelefaire…Jemetournaiverslafenêtre,àl’abridesregardsd’Ethan.—Viens-enaufait,Carl.—Ilyabeaucoupdechosesàdire,et jerestepersuadéqueçan’estpasàmoidelefaire,maisen
mêmetemps,vousnemelaissezpaslechoix,railla-t-il.Tuasreçul’argent?—Jet’aiditquejen’enavaispasbesoin,Ethanaeuson…—Ilsneviennentpasdemoi,mecoupa-t-il.Rickn’arienvouluentendre.Jepaniquai.—TuluiasditpourEthan?—Oui.Ilsavait.—Jen’aipastenumapromesse.Jeluiaitoutraconté,ilétaitvraimentencolèrecontretoimaisilt’a
quandmêmefaitunvirementdetroiscentmilledollarsparcequ’iltenaitabsolumentàtelesdonner.—Jen’enveuxpas.—Ça,c’esttonproblème.Tun’asqu’àvenirlesluirendre.Enrevanche,jetiensàteprévenir,ilest
retournécrécherchezsesparentsenattendantdetrouverunappartement.—Ilavendulavilla…murmurai-je,lecœurbattantlachamade.—Oui.RickavaitvendusavillapourEthan.Jereculaijusqu’àlatablebasseetm’yassis.—EtilaquittéKristen.—Carl…—C’estuntrouducul,tonna-t-il.IlaquittéKristendepuislongtemps,tuétaisencoreàMiami.EncoreàMiami…Iln’avaitmêmepasessayédemeledire. Ilm’avait laisséesouffrir.Quiétaitcette femmeavec lui,
l’autresoir?—Jeneveuxpasquetumedisestoutça.—Ettoituesstupideparcequetuneluilaissesmêmepasunechancedesejustifier.Cen’étaitpastoutàfaitça.J’avaisétéstupidedel’avoirlaissépartir,maisluin’avaitpasessayéde
mejoindre.Ilauraitdûm’appeler.PasCarl.Ilavaitsachance,monportableétaitpeut-êtreéteintmaislalignetéléphoniquedechezmamèretoujoursdisponible.Ilauraitdûmeledire,lui.—Jen’enaipluspourlongtemps,annonçaCarlensoupirant.Attends,jerelismonpapierpourêtresûr
de ne rien oublier…Alors… les trois centmille dollars, la salope deKristen, l’opération dans deuxjoursauRyderTraumaCenter…Aufait,c’estmadameThomasquim’agracieusementdonnélenumérodetondomicile.Finalement,jen’airienoublié.—Gracieusement?memoquai-jeàmoitié.—J’auraispréféréqueturetiennesRyderTraumaCenter.—Dansdeuxjours,j’aientendu.Ilsoupira.—Maistuneviendraspas?
Jemeretournaiverslacuisine,oùEthanjouaitdenouveauavecsonpuzzle.Mamèrelesbrascroisés,emmitoufléedansunpeignoirdebain,m’épiait.Depuisquandétait-ellelà?Qu’avait-elleentendu?—Je…Ethanabesoindemoi,murmurai-je.Ellelevalesyeuxaucieletseretournapourseservirunverred’eau.Quoi?— Je savais que j’avais oublié quelque chose ! s’exclamaCarl assez fort pourme faire sursauter.
MadameThomas offregracieusement, une nouvelle fois, une semaine de congés payés à ta mère, letempsqu’Ethanpuisseprendrel’avionpourMiami.Qu’est-cequ’elleestgénéreuse!Lacolèremegagnait,etsonhumourm’agaçait.—C’estellequit’ademandégracieusementdem’appeler?—Non.Disons qu’ellem’a juste aidé à construire un plaidoyer que j’aigracieusement foutu à la
poubelle. J’ai seulement gardé l’argument des congés payés, mais quelque chose me dit que ça nechangerarien,pasvrai?—Rien,répondis-jesèchement.—Réfléchis-y aumoins,vanilledeRick. Il est dans lemêmeétatque toi, et jeneparlepasde sa
jambe.Jenesavaisriendecetteopérationetjevoulaisfairecommesijenesavaispasqu’ilseraitauRyder
TraumaCenterdansdeuxjours.—Mercid’avoirappelé,Carl,articulai-jed’unevoixmonotone.—J’espèrejustequetuchangerasd’avis.Sansrépondre,jeraccrochai.Toutétaitfloudansmatête.J’étaisencolèrecontreRicketdésespérée
denepasêtreàsescôtés.Ilm’avaitlaisséesouffrir,sansnouvellesdeluipendantdesjours,etpensait,aujourd’hui,assurermonbonheuravecsonargent.Quandavait-ilcommencéàpenserquec’étaitlaseulechosequim’intéressait?—Quiétait-ce?demandamamère.—Carl.—Oh,l’amideRick…Àcenom,Ethanrelevalatête.Laflammequej’aperçuslusdanssesyeuxmefitmal.—Ilvavenir?demanda-t-il.—Non.Ildoitsefaireréopérer.—Oh.Alorsçaveutdirequetuvasdevoirrepartir?Jenem’attendaispasàça.Jemelevaietreplaçailetéléphonesursonsocle.—Non,trésor,jen’aiplusbesoindetravaillerpourRick.—Maisquivas’occuperdelui,alors?—Tusais,ilyaaussidesinfirmièresàMiami…—Maisçan’estpaspareil,n’est-cepas,maman?—Ethan,tuveuxbienrapporterceciàlamamand’Andréa,s’ilteplaît?luidemandamamèreenlui
tendantunplat.Ellemesauvait–pourlemoment.Jeregardaimonfilsprendreleplatetsortirsansempressement.Il
avaitl’airdéçuettriste.—Estcequetul’aimes?medemandamamère.
Laquestionétaitabrupte.—Jepensequetuconnaislaréponse.Ellefronçalessourcils.Mauvaiseréponse.—Oui,soufflai-je.—Tul’aimes,maisvousn’êtespasensemble?—C’estbienpluscompliquéqueça.—Jet’écoute.Àmoinsquetunepréfèresqu’Ethansoitlà,pourlemettreaucourantluiaussi.— Il ne m’a pas appelée ! explosai-je. Je n’attendais pas plus qu’un message. Juste un message,
maman.Mêmes’ilmebrisaitlecœur,jem’enfoutais.Jevoulaisjustevoirsonnoms’affichersurmonécran,poursavoirqu’ilnem’avaitpasoubliée!—Ettuvasluienvouloirtoutetavieparcequ’ilnet’apasappelée?—Jenesaispas.—Moi,jesais,affirma-t-elle.Cen’estpasàluiquetuvasenvouloir,maisàtoi.Plustard,tunete
rappelleras que des merveilleux moments que vous avez passés ensemble et de ce choix. Et tu tedemanderassituasfaitlebon.PourtoietpourEthan.—Qu’est-cequetuensais?Ellebaissalesyeuxetsoupira,commes’illuiencoûtaitdemefairedesconfidences.—Jenet’aipasditlavéritésurtonpère.Iln’estpasparti.Ilnenousapasabandonnées.Jel’aiquitté
parcequ’ilétaitviolentetquej’avaispeurpourtoi.Etpendantdesannéesjemesuisdemandéesij’avaisfaitlebonchoix,allantmêmejusqu’àregretterdenepasluiavoirdonnéunesecondechance.—Je…Je…Jesuisdésolée,maman,murmurai-jeenlaprenantdansmesbras.Ellemecaressalatêtecommequandj’étaistoutepetiteouépuiséedemebattrepourEthan.Comment
aurais-jefaitsanselle?—Tun’aspasàl’être,medit-elle.Iln’auraitjamaischangéetmavieauraitétéd’autantplusdifficile,
parcequej’auraispassémontempsàmefairedusoucipourtoi.MaisRickmachérie…Iln’yapasdechoixàfaire.C’estuneévidence.Ilnet’apasappelée,ettoi,tuneluiasrienditpourEthan.Avait-elleraisonunefoisdeplus?Étais-jeaussifautivequelui?—Nemeprendspasparlessentiments,lasuppliai-je.Àcetinstant,laported’entrées’ouvrit.—Tut’estrompée,mamie,criaEthan,lamamand’Andréaditqueçan’estpasàelle.—Ahbon?Tusaistrésor,jeperdsquelquefoislatête,ditmamère.Ethanétouffaunrire.L’orageétaitpassé.—Gâteauauchocolat?luiproposai-je.Sesyeuxpétillèrentdejoie,etilseruasursonpuzzlepourrangerlespiècesdanssaboîte.Jesentis
maculpabilités’atténuerunpeu,maismaconsciencemerappelatrèsviteàl’ordre.TaculpabilitéausujetdeRick,tucompteslafairetairedequellemanière?
Chapitre39
Sorcièreetmédailleenchocolat
C’étaitlegrandjour.Ouplutôt,çal’auraitétésij’avaiseuunbut.J’avaisfaitdesprojets,déménageràNewYork,travaillerpourPeter,tenterderevoirOceanaetEthan;jen’avaisplusaucunecertitude.Monchirurgienetsesacolytesvenaientdequittermachambre.LedocteurTongm’avaitexpliqué la
procédurequ’ilappliquerait,maisjenel’avaisécoutéqu’àmoitié.Laseulechosequej’avaisretenudetoutsonjargonmédical,c’étaitquejenedevaisenaucuncasprendreappuisurmajambedroiteavantsixsemaines. Mes meubles avaient trouvé une place dans l’immense garage de mes parents, mes habitsavaient regagné lapenderiedemachambred’adolescent,etmonfoutuculboiteuxavec.Plusdevilla,plusdepiscine,plusd’Oceana!Jeneregrettaisrien.Seulement…çanedevaitpassepassercommeça.J’étaiscensélarejoindrechezCarletluidirequejel’aimaisavecsonchèquedetroiscentmilledollarsentrelesdoigts,avantqu’ellenes’envolepourNewYork.NousdevionsquitterMiamiensemble.Lavérité,c’étaitquej’avaisunefoisdeplusfaitlesmauvaischoix.J’avaissous-estimésasouffrance.
Jen’avaispaspenséuneseulesecondequel’étatd’Ethanpuissesedégrader.J’avaisfoiré.Jeluiavaispourtantditdem’appeler.Elleauraitdûm’appeler.Etmaintenant,elleneprenaitplusmes
appels.Jetombaisdirectementsursamessageriequi,saturée,nepouvaitplusaccueillirmesdéprimantesexcuses.Finalement,j’avaisacceptél’aidedemamèrequiavaitsusoutirerdesinformationsàmonfrère.Ethanétaitsortidel’hôpital,sainetsauf,avecuncœurréparé.Enfinrassuréquantàsonétatdesanté,jen’étaispascapabledefairepleuvoirautrechosequedes«désolés»pathétiquessursaboîtevocale.Allongé dans le lit, habillé d’une robe bleue en papier, je me laissais manipuler par une jeune
infirmièresousleregardindéchiffrabledemamère.Uncalot,deschaussons.Elleparaissaitinquiète,cequi m’étonnait, et pressée – comme d’habitude. En même temps, je ne l’avais pas forcée àm’accompagner.Depuisdes jours, ladouleurque je ressentais–dansma jambe,dansmapoitrineaussi–mefaisait
payermalâchetéetmonégoïsmeetmesconneries.Jerefusaisdeprendreunquelconquecalmant.Pasdetramadol.Pasdegélulesbleueturquoise.Malgrétout,jecontinuaisàespérer,jetentaisdelajoindrepartéléphone, je tentaisde lacontacterparSkype,etcematin, j’étaismêmeallé jusqu’àsuivreune jeuneinfirmièreblondeàtraversl’hôpital,enpensantqueçapouvaitêtreelle.Iln’enétaitrien.—Toujourspasdenouvelles?demandamamère.Assise sur le fauteuil placé à droite demon lit, elle feuilletait les pages d’unprospectus de ventes
immobilières.—Parfois,ilfautlaisserfaireletempsfaire,ajouta-t-elled’unevoixneutresansleverlatête.Sielle
t’aime,ellereviendra.Àmoinsqueçanesoitqu’unehistoired’argent.Aprèstout,tuluiasfaitdondetroiscentmilledollarsalorsqu’elleenavaitplusbesoin.Ellenepouvaitpass’empêcherdedévaloriserOceana.Déjàtroisjoursqu’elleseretenait:jedevais
peut-êtreluidonnerunemédailleenchocolat?—Tuneprotestespas?s’étonna-t-elle.
Pourdirequoi?Qu’Oceanaétaitloind’êtreunefemmevénaleetquesaseuleetuniquerichesseétaitEthan?—Àquoibon,maman?—C’estpeut-êtrequecelat’aeffleurél’esprit…Non, l’idée ne m’avait pas, une seule seconde, effleuré l’esprit, comme elle disait. Je tapotai sur
l’écrandemontéléphone, tentantunenouvellefoisdejoindreOceana.Àla tonalité, jemetendis.Bonsang,çasonnait!Unefois.Deuxfois.Jedéglutis.Troisfois.Jecessaiderespirer.Quatrefois.Jecrusmourir en entendant la voixmonotone du répondeur prendre le relais. Je connaissais déjà la suite. Jeraccrochai,labouchesècheetlesoreillesbourdonnantes.—J’espèrepourtoiqu’ellereviendra,ditmamèred’untonsec.—Parpitié,maman,situesvenuepourmeparlerd’Oceana,rentreàlamaison.J’aidéjàassezavec
maconscienceetCarlpourmetraiterd’abruti,jen’aipasenplusbesoindetoipourlamettreplusbasqueterre.Tunelaconnaispas.Ettun’asmêmepasessayé.Piquée,ellemelançaunregardnoir.—Tonpère est un abruti, toi tu es amoureux.Tu as fait lesmauvais choix parce que tu t’es laissé
aveu…—Pourl’amourducielmaman,arrêteça.Jememis à compter les carreauxblancsdu fauxplafondpourmecalmer.Quandmamère reprit la
parole,jefusétonnédeconstaterquesavoixétaitcalmeetmêmebienveillante.— J’allais seulement te dire qu’elle aussi faisait lesmauvais choix. Par amour, c’est ce que nous
faisons tous.Unpeucommetonpèreavec toi. Iln’acceptepasque tupuisses faireautrechosequecequ’ilveut,parcequ’ilt’aimesifortqu’ilnevoudraitenaucuncastevoiréchouer.C’estunabrutiparcequ’iln’estpascapabledereconnaîtresestorts.Ettoi,tuesunabrutiparcequetuaslaissépartirOceanaetque tune fais riend’autreque regarderce téléphone toute la journée.Etelle,elleest stupideparcequ’ellet’ignorealorsque…—C’estànous!s’exclamauneinfirmièreenentrantdanslachambre.Jemeravisai;pasdemédailleenchocolat,maisuneenor.J’avaispresqueenviedemepincer.Non,
çan’étaitpasunrêve.Mamèreseleva,attrapasonsacàmainetlissasajupedetailleur.—Nousreprendronscetteconversationplustard.Jeserailààtonretourdubloc,dit-ellesurunton
quisevoulaitrassurant.—Toutauplustroisheures,l’informauneautreinfirmière.Paroùétait-elleentrée,celle-là?—Danstroisheures,donc,répétamamère.Etjet’aitrouvéquelqu’unpourtessoinsàdomicile.Sonné,jemelaissaitransporterjusqu’aublocopératoire.Aprèsavoirpassélesportesdel’ascenseur,
jeréalisaisoudainlasignificationdesesparoles.Personned’autrequ’Oceanan’avaittouchémesjambesdepuisuneéternité.Sesdoigtsfinsquimassaientmesmuscles,sonparfumexquisdevanille.Çaneseraitpaspareilavecuneautre.L’unedesinfirmièrestentaitdemedétendreenracontantuneblague.Jesourispourluifaireplaisiret
memisàobserverleplafondquidéfilaitau-dessusdemoi.Le froiddublocsaisit chacundemesmuscleset la lumièrem’aveugla.Deshommesetdes femmes
habillésenvert,masqués,latêtecouverted’uncalot,s’agitèrentautourdemoi.Àlasensationdechaleur
dansmoncorps,jecomprisqueleproduitanesthésiantcouraitdansmesveines.Mavisionsetroubla.Jeneluttaipas.Jecomptai…Un…Deux…Trois…Jefermailesyeux.Uneodeurdevanille, fugacemaissidouce,caressamesnarines ; j’ouvris lesyeux.J’étaisdansma
chambre.Lanuqueendolorie,jebalayaiduregardlapièceencoreéclairéeparlesoleil,toutenhumantl’air climatisé tel un chien truffier. Rien. Je divaguais. Sans lutter, je me rendormis, avec la netteimpressiond’avoirétédupéparlesanesthésiants.Jemevoyaisboiredestonnesdebouteillesd’eausanspourautantarriveràétanchermasoifsousle
soleil cuisant sur l’unedes plages deMiami. Ilme semblait pourtant sentir le liquide couler dansmagorge.Mais ça ne suffisait pas. Je vidai les bouteilles une à une jusqu’àme rendre à l’évidence : jerêvais.Etj’étaisassoiffé.Jesoulevaimespaupières.Elleétaitlà.Oceanaétaitlà.Debout devant la baie vitrée, les rayons du soleil éclairant ses cheveux blonds répandus sur ses
épaules.Elleportaituntopmarinetunjeanbleufoncé,unpeugrandpourelle:elleavaitperdudupoids.Àcausedemoi.—Bonjour,murmurai-je.Bonsang,j’avaissisoif.Maisjenevoulaispaslalâcherdesyeux.Jenevoulaispasprendrelerisque
de la voir disparaître. À tâtons, je palpai le lit jusqu’àma cuisse droite, touchai le long pansement.J’appuyaiundoigtdessus.Unélancementdedouleurm’arrachaungrognement.—Tucherchesàfairequoi,là?ditOceana.Cen’étaitpasuneillusion!Jerespirais.Siseulementj’avaispusortirdecelit…—Jepeuxsavoircequitefaitsourire?J’avais seulementvoulume faireassezmalpourmesentirvivant.Et jene l’avais jamaisétéautant
qu’aujourd’hui.—Tueslà.Bonsang,tueslà.Ellesoupira.—Jesuisvenuepourterendretonargent.Jecrusdéfaillir.Jenepouvaispaslalaisserpartircommeça.Cetargent,jem’enfoutais.—Oceana,ilfautquejet’explique,j’ai…—Jesais,mecoupa-t-elle.J’aiécoutétoustesmessages.Tuesdésolé.Mesmusclesserelâchèrent.—Tous?Mêmeceuxoùjetetraited’égoïste?—Tous.—Oh.Ellebattitdespaupières,évitantmonregard.—Ethanvabien,net’inquiètepas.—Ilestlà?—Non.IlestàNewYorkavecmamère.Ellel’avaitlaissépourvenirmevoir,etilluiencoûtaitdel’avoirfait.Elleétaiticietpasaveclui.
Ellesoupira,puismecontournapourvenirseplacerdel’autrecôtédulit.
—Rallonge-toi,nousdevonsparler,annonça-t-ellefinalementensaisissantunboîtier.Sais-tucequec’est ? Ce boîtier est une pompe àmorphine,m’informa-t-elle. Elle ne s’active que si tu appuies là,ajouta-t-elleenmemontrantunesortedegâchette.Nousallonsjoueràunjeu.Jeteposedesquestionsetsij’estimequelaréponsen’estpaslabonne,j’appuieraidessus.OK?—Tusaisquejen’aimepaslamorphine.Tuessadique,Oceana.—Mauvaiseréponse,lâcha-t-elledansunsourireenjoignantlegesteàlaparole.Elleappuyasurlebouton,lapompetinta.Jemevoyaisdéjàsombrerdanslesommeil.—OK,OK…—Estcequetuasmal?demanda-t-elleenpoussantlégèrementmajambesainepours’asseoirsurle
lit.Non.Jen’avaisplusmalnullepart.Elleétaitlà.Sonparfumàlavanillem’enivrait.Sachaleurtrouva
macuisseàtraversledrap,ettouteslescellulesdemoncorpssemirentàfredonner.Elleétaitlà.Lesyeuxscintillantsdiscrètementmaquillé,lesjouesrosées,leslèvresbrillantesd’unglossquinelesrendaitqueplusdésirables.—Non.J’aitrèssoif,répondis-je,lesyeuxfixéssursabouche.Soifd’eau,maisplusencoredesonsouffle.—Tunepeuxpasboire.Tudoisattendre16heures.Qu’est-cequis’estpassépourtajambe?Pourquoin’avais-jepasécoutélemédecinquandilm’expliquaitlaprocédure?—Jenesaispastrop.—Perdu.(Elleappuyasurlebouton.)Moi,jevaisteledire.Tuastropforcé.Tut’escrucapablede
fairecertaineschosesettuasperdu,saufqu’ilnes’agissaitpasd’enfreindremesrègles,maiscellesd’unchirurgien.Tuasjouéavectavie.Çaauraitpuêtreplusgrave.J’étaispersuadéqu’elleparlaitaussid’Ethan.Ilavaitrepousséseslimitesaupérildesavie.—Tuasraison.—Pastoutletemps.Qu’est-cequetucomptesfaireplustard?Tetoucher,meperdredanstoncouetenbaiserchaquecentimètrecarréjusqu’àtabouche…—TravaillerpourPeteràNewYork.Ellesoupira;mesyeuxdévièrentsurleboîtier.—Encoreperdu.Jefislescomptes.Troisdosesdemorphine.—Etqu’est-cequ’ilfaudraitquejefasse?m’indignai-je.Tupeuxappuyerautantdefoisquetuveux
surcesatanébouton,çanechangerarien.Jeseraisoùtuseras,Oceana.Unvraisourirenaquitsurseslèvres.C’étaitlaplusbelledessorcières.— Bizarrement, tu viens de donner la bonne réponse. Nouvelle question. Est-ce que tu comptes
remettreunpied,unjouroul’autre,surtaplanchedesurf?—Je…Oceana…balbutiaije.—Jevaisappuyer!—Ilyaunfosséentrecequej’aimeraisetcequejepourraifaire,tentai-je.—JedoisdoncdemanderàCarld’apprendreàEthanàfairedusurf?Ellemeprenaitpar lessentiments.Maiselle laissaitaussientendrequetoutn’étaitpasperdu.Nous
n’étionspasperdus.—Tuespirequesadique,sorcière.—Perdu.(Lapompetinta.)Etnon,jenelesuispas.Jeveuxseulementt’ouvrirlesyeux.Rappelle-toi
pourquoituasabandonnétesrêvesetcequ’ilteresteaujourd’hui.Cequetuasaujourd’hui.Devais-jecomprendrequejel’avais?Quejelesavais?—Jesaisquetunem’empêcheraspasderéalisermesrêves,mêmes’ilt’encoûtedemelaisserfaire.
Maisjenesaispassij’enseraicapable.—Quelesttonproblème,alors?—Tulesaistrèsbien.—Danssixsemaines,si tusuis lesconsignesde tonchirurgien, tupourrasdenouveaucourirsur le
sableetnagerdansl’océan,Rick.Savoixsebrisa.Jemesouvinsalorsdesonvisageilluminéenmevoyantmarcherpourlapremière
foisdanslapiscine.Oceanaseréjouissaitenpermanencedubonheurdesautres,etc’étaitaussipourcelaquejel’aimais.—Jedoistefaireconfiance?demandai-je.—Tuasdevancémaprochainequestion,répondit-elleenhaussantlesépaules.Ilest16heures,tupeux
boire.—Commentlesais-tu?Ellelâchaleboîtieretpritmonverresurlatablette.Plusdemorphine.Jesourismalgrémoi.—Parcequ’ilétaitdéjà16heuresilyaplusd’uneheure…Jebusl’eaud’unetraite.J’étaislibre.J’étaisrassasié.J’étaisgroggydemorphine.Etj’allaisprendre
ledessusdanscetteconversation.—Surquoid’autrem’as-tumenti?—Lapompeàmorphinen’estpasconnectéeàtaperfusion.J’aiexpliquéàl’infirmière,pendantquetu
dormais,quetudétestaisça.Nouveaurésumé.J’étaislibre.J’étaisrassasiéetjem’étaisfaitroulerdanslafarine.Jeposaimonverresurlatablettesanslaquitterdesyeux.Sesjouess’empourprèrentetellefitminede
selever.—Jet’ensupplie,resteavecmoi,suppliai-je.—Jesuisépuisée,Rick.Jen’aipasdormidepuisaumoinsdeuxsemaines.—Jesuisdésolé.—Iln’yapaseuquetoi.Ethanafaitpartiedemessoucis.Ilenfaittoujourspartie,d’ailleurs.Maiselleétaittoutdemêmelà.—Tureparsquand?—Jenesaispas.J’aitrouvéunnouveautravail.—Jenesurvivraipassitut’envas.Jete…—Tamèrem’aoffertunjob,mecoupa-t-elle.Ilsembleraitquesonfilsaitànouveaubesoindemes
services.—Je…
—J’aijusteposédeuxconditions,reprit-elled’unairfaussementdétaché.Ellerestait.Bonsang,ellerestait.Jevoulaisl’embrasser.Qu’attendait-ellepourlefaire!?—Lesquelles?demandai-jetoutdemême.—Elledoitm’appelerOceana…etc’estmoiquiprépareraitespancakesettoncaféaulaittousles
matins.Jepouvaisimaginerlaréactiondemamère.Étonnementetincompréhension.Nousallionspartagerla
mêmetasse!—Qu’a-t-ellerépondu?—Elleasouri.Waouh.Jeluidevaisvraimentunemédailled’or.—Maisilmeresteencoreundétailàrégler.Jelevailessourcils.Quoiencore?—Toi,souffla-t-elleenappliquantsondoigtsurmapoitrine.—Jesuisplutôtgroscommedétail,tunecroispas?—Maintenantquetuasrécupérétonargent,tuvaspeut-êtrepouvoirchoisirunautreendroitquechez
tesparentspourvivre.Mamère,c’étaitunechose,maislesThomas…Ellegrimaça.—Dèsquejesorsdel’hôpital,jem’enoccupe.Promis.—Ethanarrivelundi.Affaire-toivite.Sij’enavaisétécapable,j’auraissautédejoie.Ethanseraitlàluiaussi!—Maintenantrepose-toi,jereviensdemain.—Jet’ensupplieOceana,neparspas.J’aiencoredestonnesde…Elleappliquaundoigtsurmeslèvres.—Tais-toi.Jeneveuxplust’entendremedirequetuesdésolé.(Elletouchaitmeslèvres!)J’aiaussi
mes torts. Jen’aurais jamaisdû te laisser retournerverselle, j’auraisdû t’appelerpour tedireque jet’aimaiset,surtout,j’auraisdûtelaissert’expliquer.Bordel,jelesaimais.Elle.Lui.—Tuasposétondoigtsurmabouche,Oceana…Sonvisages’illumina.J’enfermaisajouedansmamain.—Moi,j’aifaitça?fit-elleminedes’étonner.Lentement, j’effleurai ses lèvres.Un premier baiser innocent,mes yeux plongés dans ses yeux gris.
Puisundeuxième,plusappuyé,maistoutaussidoux.Mesdoigtsglissèrentdanssescheveuxsoyeux,unebulle de savon explosa dans mon ventre. Le troisième baiser vint d’elle et m’arracha un souffle dedélivrance.Commesijeconnaissaisenfinlevraisensdumot«soulagement».—Jevaispeut-êtreresteravectoicesoir,sourit-ellecontremeslèvres.—Cesoirettouslesautres.L’émotionmeprità lagorge.Ellenepartiraitplus. Jedéposaiune traînéedebaiserssurses joues,
humantsapeaucommeundroguéprenantsadosedecocaïneaprèsdessemainesentièresd’abstinence.Mavanille.
J’entendis ses chaussures claquer sur le sol ; ses jambes se faufilèrent sous le drap, puis ses piedsfroidssecollèrentàmajambegauche.—Lamaison,elleestpourmoioupournous?interrogeai-je.—Toi,Ethanetmoi.Situleveuxbien?murmura-t-ellecommesiellesuggéraitunesolutionaprèsune
grossebêtise.—Jeveuxquetulachoisisses,toi.Pournous.Tuascarteblanche,jen’aiqu’uneseuleexigence.—Uneseule?Jenetereconnaisplus!Unedesesmainsseglissasousmachemisebleue.Jegrognai,labouchedanssescheveux.Sesdoigts
trouvèrentaussitôtunedemescicatrices.—Oui.Oupeut-êtredeux.Unepiscineetunedoucheàl’italienne.—Tusaisquetuesinterditdepiscinependantaumoinssixsemaines.Jecaressaisonépaule.Ellesetortilla.—Paspourmoi.Enfin…indirectement,si…Jerêvedetevoirprendreunnouveaubaindeminuitetje
prieraitouslesjourspourquemasavonnettem’échappe!
Épilogue
Soncorpsondulesur lemienà lamanièred’unevaguesur lesablehumide.Monventredébordedecoconsàpapillons,jesuisprèsdel’explosionquilesferaécloretousenmêmetemps.Sesyeuxbleusmefixentavecintensité,habitésparcettelueurquimecrie«Jesuisàtoi!»Je sens son long membre coulisser lentement entre mes jambes, dans d’exquis va-et-vient. J’ai
l’impression qu’il cherche à aller toujours un peu plus profond enmoi et que je peux l’engloutir toutentier.Monbas-ventren’estqu’électricitéetdélice.Jesuisauborddel’extase.Jeleregardes’agiter.Jesaiscequ’ilpense.Labonnenouvelleesttombéecematin,ilpeutdenouveau
prendreappuisursajambedroiteaprèssixsemainesdeconvalescence,cequil’autoriseàmeprendredecettemanière. Lui surmoi. Là,maintenant, dans notre lit à baldaquin, c’estmoi qui suis à lui. Ilmepossèdecommeill’entend.—Çafaisaitsilongtemps,Oceana…Sonsoufflechaudcaressemapeauetlacouvredechairdepoule.Sesmainsprennentpossessionde
mes seins, il les suce et les lèche délicatement, jusqu’à mes tétons, si durs qu’ils en sont presquedouloureux.Jenesaisplusoùdonnerdelatête.—C’estcequetuveux?demande-t-il.Illesaitetilaimequandjeleluidis.—Mords-moi,s’ilteplaît.Sesdentsserefermentsurundemestétons.Salanguejoueavecsamorsureet,commechaquefois,la
douleurlaisseplaceàunplaisiruniqueetindéfinissable.Saboucheetsesdentss’amusentsurmapeauetmelaisseront,àcoupsûr,desrougeurspendantquelquesjours.Çam’estégal.Là,maintenant,alorsquenousdevrions être en train de finir de déjeuner, il n’y a que lui surmoi, lui enmoi, lui pourmoi. Jel’aime.—Silongtemps…répète-t-il.Sesbaisersbrûlentmeslèvres.Sescoupsdereinssontpluscalculés,sonsoufflecourt.Ilsecontient.
Sesmainsappliquéessurmeshanchesrefrènentmesardeurs,maisjesuisimpatiente.Mesonglesgriffentsesomoplates,etmestalonsappuientsursesfesses.—Plusfort!Lasueurperlesursonfront.Ilseretirepresqueentièrementpourrevenirplusfort.Jem’oublie.Jene
saisplussurquoimeconcentrer.Sursesmains?Surseslèvres?Sursesdents?Jenesuismêmepluscapable de respirer, je suis submergée par un raz-de-marée de papillons. Je bégaie des motsincompréhensibles.—Bordel…Oceana…Savoixrauqueetsaccadéemefaitplongerencoreplusloin.Jejouisfort,agrippéeàlui.Moncorps
n’estplusqu’uneenveloppeardentedeplaisir,etilmerejointàlaminuteoùjecriesonnom.Jelesenstrembleret l’entendshurler.Ses« je t’aime»me transpercent. Je lui répondsquemoiaussi.Puis soncorpsretombesurlemien.Iln’yaplusquesonsoufflechauddansmoncou,sonfronthumidesurunedemesjouesetlesderniersremousdenossexesimbriquésl’undansl’autre.—Net’endorspas,nousallonsêtreenretardàl’école…
Ilsoupireetm’embrassedanslecou,commes’ilavaitpeurdemebriser.—J’aimecejourderepos!lance-t-ilenroulantsurledosetenm’attirantdanssesbras.Je suis d’accord avec lui.Même si je ne travaille que lematin à l’hôpital, aujourd’hui est un jour
spécial.Ilavaitrendez-vousavecsonchirurgien,etjevoulaisl’accompagner.—Tuasparléàtonpère?Çan’estpaslegrandamourentreeux,maisleurrelations’estnettementamélioréedepuisl’opération
deRick.Chacunamisdel’eaudanssonvin.Ricktravailleàl’hôteltouslesmatins,etsonpèreneluidemandepasd’enfaireplus.J’aimêmequelquefoisl’impressionqu’ilapprouvequeRickveuilleêtreàlamaisonavecEthanl’après-midi,enattendantquejerentredel’hôpital.Ilfautdirequ’Ethanplaîtàtoutlemonde.Jepensemêmequec’estleseulàavoirlesecretduCommentfairerirelesThomas.Je retrace du bout du doigt les cicatrices sur son abdomen. Je les aime. Et la dernière signifie :
nouveaudépart, nouvellevie, c’estnotrequatrièmeA, attirance, affection, amouretanalepsie…Nousnoussommesreconstruit.Ensemble.—Ilveutbienessayer.Son père est donc d’accord pour tester le club de sports aquatiques. Je ne suis pas soulagée pour
autant.Quelquechosedanssavoix.Jecessemonactivitéartistiquesursontorse.—Mais?—Jevoudraisattendreencoreunpeu.Jenepeuxpasleforcer,c’estsadécision.Ilembrassechacundemesdoigts, lapaumedemamain,
soufflesurmonpoignet.J’ail’impressiondecourirdansunchampdecoquelicotsauprintemps.—Jesuisterrorisé.Jevoudraisêtrecertainquemonfémursoitconsolidé.Salangueglissesurlapeaudemonavant-bras.Jenageenpleinbonheur,etmelaissealleràfermerles
paupières.Seulementcinqminutes…justecinq.Maismaconsciencemeréveilleenmerappelantcequej’aifaitcematinàl’insudeRick.Laprisedesang.Lefameuxtestgénétiquequimedirasi,ouiounon,jesuisporteusedugènedecettemauditemalformationcardiaque.Quimedirasi jesuis responsabledesannéesdesouffranced’Ethanetsi,unjour,jeseraicapablededonnerunenfantàRick.Troislongsmoisd’attente jusqu’aux résultats. Troismois ! J’ai affrontémes pires craintes, je veux que Rick fasse demême.—Ilnet’apasempêchédemefairel’amourtonfémur!—J’aimequandtutemetsencolère,medit-ilavectendresse.Turougis!—Nechangepasdesujet!—Si ça peut te rassurer,mon père a déjà commandé tout lematériel. Tout sera opérationnel pour
janvier.—Çatelaissedoncunpeuplusdedeuxmois.—Deuxmois à jouer dans la piscine avec Ethan. À réapprendre à courir. À nager avec toi dans
l’océan…—Tuoublieslesdauphins.—Bienentendu.Deuxmoispourremontersurmaplanche.Etsurtout…surtout…Sonsouffledansmoncoumefait frissonner.Sesyeuxbleusseplantentdans lesmiens. Ilsontcette
flammedudésirquim’embrase.—Surtout…
Sonbassinsepressecontrelemien.Sonmembredurcifrotteunedemescuisses.Monsexepulse,jesuspectemoncœurdeneplusêtreàsaplace.—Surtout,deuxmoisàtestermajambeentefaisantl’amour.Jeglousseensentantsesdentséraflermonoreille.—Tuesinsatiable!—Jet’aime,Oceana.Cesmots,cettevoix,c’estlacaressedupremierrayondesoleilaprèsdesjoursentiersdepluie,voire
pire,unetempêtedeneige.Jefonds.—Moiaussi,Rick,jet’aime.
Jelatiensentremesdoigts.L’enveloppe.Jen’aipaspulalâcherdepuisquejesuisalléelachercher
aulaboratoire.Jen’aipaspul’ouvrir.Jesaisseulementquecequ’ellecontientestimportantetqu’elleestblanche.Importantpourmoi,etpourRick.J’essaiederetrouvermoncalmeencontemplantlafaçadedenotremaison.Voilàpresquequatremois
que nous nous y sommes installés.Elle ressemble un peu à l’ancienne villa deRick, avec la pagailled’Ethanenplus.Unballon,unvéloet,àl’intérieur,desfeutres,despuzzles,desdessinsetdesfigurinesdesuper-héros.J’entendslescrisprovenantdelapiscine,del’autrecôtédelamaison.J’imaginedéjàletableau :Ricka récupéréEthanà l’école,et il faisaitbien tropchaudpour lui faire faire sesdevoirs.Pauvrepetit.Ilsdoiventjoueràsesauterdessusetàceluiquinoieral’autreenpremier.Ethangagnetoutletemps.Non,jerectifie,Rickfaitsemblantdeperdre.Qu’importe:aujourd’hui,lapiscinemedonnedusursis.Jepénètred’unpasdécidédans lamaison. Je contourne le cartabled’Ethan jeté aubeaumilieude
l’entréeetcontinuejusqu’àlaterrasse.Jesuisvraimentailleurs.Maispassiloin.Monespritvagabondeentremesdoigtsetcetteenveloppe.—Jesuisrentrée!Mesdeuxhommestournentversmoidesvisagesjoyeux.Rickm’offreunemouequi,jecrois,seveut
navrée.Jeluipardonne.Pouraujourd’hui.Pourcetteenveloppe.Detoutefaçon,deloin,iln’yvoitquedufeu,ilneremarquepasàquelpointjesuismortifiée.SinousavionsétéàNewYork,j’auraisfilédroitdanslesjuponsdemamère,quémandantassezde
courage pour ouvrir cette satanée enveloppe. Mais elle ne peut rien faire pour moi. Une vague demélancolieme prend à la gorge. Je ne l’ai pas vue depuisNoël. Je doisme contenter de nos appelstéléphoniques tous lesdeux soirs,qui s’éternisentdesheuresdurant.Audébut, c’étaitdifficile.Autantpournousquepourelle,maisfinalement,sasolitudel’apousséeàsortir lesoiravecsescollèguesdeboulot, et ellea rencontréquelqu’un.Charlie.Uncomptable.Ellen’estplus seuleetnous,nousavonsRick.Encoreunefois,elleavaitraison.Vivreloinl’unedel’autren’estpassidifficile.J’aimemavieici,àMiami.MeréveillertouslesmatinsdanslesbrasdeRick,m’exaspérerendécouvrantEthanlovéànospieds,travailleràl’hôpital,déjeuneravecmesnouveauxamis,rentrercheznous,prendremadoucheavecRick,voirEthancourirdans le jardin, regarderdescouchersdesoleilet lesétoilesdans leciel.J’aimemavie.JeneretourneraispourrienaumondeàNewYork.Ethandébouledanslamaisonetchassemamélancolie.—Fileàladouche!luiintimeRick,peuconvaincant.—Bonjour,Vanille.
Sesbrasmouillésm’enlacentetseslèvressenichentcontrematempe.—Tunedisrien?Sesdentsjouentavecmonlobed’oreille,sontorsesecolleàmondos.—Qu’estcequisepasse,Oceana?Saquestionmerenvoiedirectementdansmonenveloppe.Jemeretourneetluisersunsourirecrispé.—Pourquoiveux-tuqu’ilsepassequelquechose?Sesyeuxbleusmedévisagent.J’aienviedeluidemandersileslettresE.N.V.E.L.O.P.P.E.sontgravées
surmonfront.Finalement,j’optepour:—Comments’estpasséetajournée?Son regard glisse surmondécolleté. Je prie pour qu’il fasse une remarque surma tenue. Jaloux, il
n’aimepasquejeportedesrobesoujupestropcourtes.Çamepermettraitdem’énerver.Iln’enfaitrien.—Bien.Ilm’attrapeparleshanchesetmesoulèvesansforcerpourm’asseoirsurleplandetravail.Lefroiddu
marbremesurprend.Jedissimulemesmainsderrièremondos.—Ettoi?Il remontema jupe le longdemescuisses.Ses cheveux trempés effleurentmonmenton.Mesdoigts
lâchentl’enveloppe.Parfait.—Plutôtbienaussi…Jeneveuxpluspenseràcesrésultatsdelaboratoire,ilnousrestecinqminutespournouscajoleravant
quenotrebonhommenedébarqueetaccaparel’und’entrenous.Sanssefaireprier,sabouchedescendàlanaissancedemesseins.—Mesparentsvoudraientqu’onailledînerchezeuxcesoir.Sesdoigtsjouentavecladentelledemaculotte.Ilsfrôlentcepointsisensibleentremesjambes.Jeme
sens frustréeà l’idéededevoirattendrequ’Ethansoitcouchépourprévoirunorgasme.Pour lapeine,j’endemanderaideux.—Tunedistoujoursrien?Salanguedessineunchemintortueuxjusqu’àmaclavicule.Jehausselesépaules.Jen’airiencontre
l’idéededevoirallermangerchezsesparents.—Qu’est-cequisepasse,Oceana?répète-t-il.—Pourquoiveux-tuqu’ilyaitquelquechose?—Tun’aspas levé lesyeuxaucielennousdécouvranten trainde jouerdans lapiscineau lieude
fairelesdevoirs.Tunemegrondespasalorsquejesuistrempéetquejemetsdel’eaupartout…Ilmeconnaîtsibien.Jerendslesarmes.—J’aifaituntest…Saboucheesquisseunsourireàpeinedissimulé.—Tuesenceinte?Sajoiemetranspercelecœur.J’aidumalàrespirerettoutautantàleregarder.—J’aifaitletest.—Ethanmesuffitamplement,Oceana,nousenavonsdéjàparlé.
Faux.NousenavionsdiscutéàNewYorkalorsquenousn’étionspas… tout ça.Nousn’étionspasencorecenous,symboledefamille.—Àmoinsquetudésiresunenfantavecmoi,toiaussi?continue-t-ilaveclamêmedouceur.J’envienspresqueàcroirequ’ilmeconnaîtmieuxquejenemeconnaismoi-même.Oui,j’ypense.Je
veuxpartageraveclui laplusbelledeschosesquenousoffrelavie.Leprolongementdelanôtre.Mel’avouersuffitàmedonnerducourage.Jeplongemesyeuxdanslessiens.Ilssontremplisdetendresseetd’amour.Euxaussimedonnentdelaforce.Jerécupèrel’enveloppedansmondosetlabrandisdevantmoid’unemaintremblante.—Si cette enveloppe contient unemauvaise réponse, je ne prendrai pas le risque de voir un autre
enfantsouffrirparmafaute.Notreenfant.—Attendsunpeu,là.Tuneconnaispaslesrésultats?Ilm’arrache l’enveloppe, l’examine et soupire comme s’il cherchait sesmots. Il peut chercher très
loin,mêmedansuneencyclopédieuniverselle,iln’yarienàdire.Jemetétanise.J’aipeur.—Qu’importecequ’ellecontient,lasituationestdifférente,Oceana.Nousn’auronspasàcouriraprès
l’argentpouruneopération,rienneseferadanslaprécipitation,ettuneseraspasseule.Noussommesunefamille.Siseulementtoutétaitaussisimple.Jefermelesyeuxetmeforceàpenserqu’ilaraison.J’entendsle
bruitdupapierdéchiré;jesuiscommeunaccuséattendantsasentence.Jesuispathétique.—Elleestoù,tarecettedetongâteauauchocolat?Çanesignifierien.Gâteauauchocolat,c’estmasolutionàtout.J’enfaispourchasserlapeur,mefaire
pardonner,donnerduplaisir.Jesuisterrorisée.Lepapiercrisse.Lesyeuxtoujoursfermés,jel’imaginefroissé, en boule, un peu comme chaque organe vital de mon corps. Puis la bouche humide de Rickeffleuremajoue,s’aventuresurlamiennedansunchastebaiser.— Il va falloir que tume l’écrives quelquepart, juste au cas où je doive t’apporter ungâteau à la
maternité…undecesjours.Jeme sens soudain aussi légère qu’unemolécule d’oxygène délestée d’un électron. Je l’étreins de
toutesmesforces,jehurlemajoie.Aujourd’hui,jepeuxlecrier.Jenesuisplusbrisée,maisjeveuxl’entendremeledire.—Lis-moiça!Ildéclamed’unairsolennel:—«Auvudestestsréalisés,noussommesenmesuredevousassurerqu’aucuneanomaliegénétique
potentiellementresponsabled’unemalformationcardiaquecongénitalen’aététrouvée».Jen’avaispas réaliséàquelpoint ce testpouvait être important.Pendant troismois, je l’aioublié,
pendantdesannées,bannidemonesprit,maisaujourd’hui,avecRick,c’estuneréalité.—Estcequetuveuxavoirunenfantavecmoi?Jepouffe.—Ondiraitunedemandeenmariage!Ilmescrute,lesyeuxplissés.—Celle-làjecomptaistelafaireàgenoux,parcequemaintenantjepeuxlefaire,devantuncoucher
desoleilàMiamiBeach.Oh.
—Maintenantquetulesais,ilvafalloirquejetrouvemieux,reprend-il.Ilpourraitlafaireaveclabouchepleinedepizza,çam’estégal.—Tudisoui,alors?—Jedisoui.Lescoinsdeseslèvresserelèventavecmalice.—Aubébéetaumariage?J’ai dumal à respirer.C’est à la fois terrifiant etmerveilleux.Ça ne s’explique pas.C’est comme
apprécier l’afflux d’adrénaline d’une descente dans lesmontagnes russes et redouter que lewagon sedécroche.Jel’attireàmoietposemajouesurlasienne.—Chaquetrucensontemps,tuveuxbien?
REMERCIEMENTS
Mespremiers remerciementsvontàmabelle-sœur, sansqui jen’aurais jamaispuêtre repéréepourBrisé(e). Sarah, je me souviens encore du jour où tu m’as dit : « Pourquoi tu ne publies pas surWattpad?»Traduction,àl’époque:«Tumesaoulesàm’envoyerteschapitresetàmedemandermonavis…».Aujourd’hui, j’en suis encore là, àmurmurer des «Waouh » devant lemail d’IsabelVitorino,mon
éditrice.Merci, Isabel,pour laconfiancequevousm’avezaccordéeet l’intérêtquevousavezportéàBrisé(e)etàmoi.Désormais,àchaquefoisquej’entendrailemot«Waouh»,jepenseraiàvous!Lessuivantsvontàmafamilleetmesamies,masœur,l’undemesnombreuxfrères,Droudrou,majolie
maman,mon joli papa,monpapa (bienplusque surunmorceaudepapier), quiont cruenmoi etquim’ontlue–jefermeencorelesyeuxenpensantauxpassagesérotiques(bonsangilsontluça!).Àmonchérietàmesenfantsquiontdûsupportermessautesd’humeurquandjen’avaispasd’inspiration,mesheuresetmessoiréespasséesàécrire,bref,mapiètrecompagnie;jem’enexcuseetjevousaime,vousêtesmesmuses.QuandjevoisBrisé(e),jenepeuxpasoublierWattpadettoutesmeslectrices/teursquim’ontfaitrire,
pleureretquelquefoisragerdevantleurscommentaires.Jepenseàcellesetceuxquimesuiventdepuisledébutde l’aventureetàqui jemesuisplusattachéeque jene l’aurais imaginé.Vousmemanquez, lesfilles!Jesuisaddict!Vousêtesenquelquesortemadeuxièmefamille.Jenepeuxpastoutesvouscitermaisjepenseplusparticulièrementà@SophieHameury,@Boutchoupitchouet@Reading3000(quelbruitça fait une tortue quand ça pète ?), @Anaelle-faustine (qui aime Rick à la folie…), @Isasteaur,@leaticed07,maisaussi@Lilaslilas,unemamanquis’estreconnuedanslasituationd’Oceanaetquim’aénormément touchée : je te souhaite plein de courage… Merci pour vos encouragements et voscommentaires,vousêtesmonaventure!Pourfinir,jevoudraisremercierSophie,unechroniqueuselittéraire(entreautres)extraordinaire,quia
écritsursonblogLabibliodeSophie,unarticlesurBrisé(e).Jevousinviteàyjeterunœil,elleestdetrèsbonconseil.Merciàtoutescellesetceuxquej’aidûoublier,jesuisencoresouslechocd’avoirterminéd’écrire
Brisé(e)!Sophiequin’estpassurlabanquisemaissurunénormenuage!
Prologue
Rafael
—Rafael,défensede...Troptard.Ellenemepensaitpassiprèsd’elle.Lesgrandsyeuxbleusmefoudroienttandisquejejettedansla
saucelescopeauxdechocolat.Jebalancesurlecomptoirlaplaquettequejesuispartichercheretm’écartevite.Samoueagacéeme
file de nouveaux coups au cœur.C’est comme si onme l’arrachait, palpitant comme jamais, et qu’onl’écrasaitaveclespiedsenhurlant:«traître!».Ouconnard,auchoix.—Jenecherchepasàgoûtertroisfois,oumêmevingt,jerecommence!Jel’arrêteaussitôt:—Non,essaie!—Essaiequoi?—Detrouverunnouveléquilibre.Ajouteunpeudetabasco.Ellemefixe,l’airsuspicieux.— Je croyais qu’on recommençait quand on avait tout gâché ?marmonne-t-elle en tentant de faire
remonteràlasurfacedesonmélangel’ingrédientquimanquait.—Jen’airiengâchédutout.Maissi,pauvrecon,tuastoutgâchéendécidantdetefairecettefille.Tout.Tuméritesdoncque
toutt’échappeaujourd’hui.Sanscesserdetournerunespatuledanslacasserole,Santasehissesurlapointedespiedspoursaisir
l’écumoire,danslelavabo.Machemiseseretroussesursesfesses.Sesfessesquitiennentàpeinedanssaculotterose,àcœursencoreplusrosesquesescheveux.—Mamèret’auraittordulecousituavaisosémettrelenezdanssasaucetomate!—Ettoi,Rainbow,tuvasfairequoi?Ellerenonceàrattraperlasauce.Elleseretourne,lesmainssurleshanches,etpréfères’enprendreàmoi.Ma chemise remonte encore ; sur ses cuisses, cette fois.Mon royaume pour ces putains de cœurs
roses...Lacrèmedesshoots,legraaldesperversdansmongenre.Jesuisquoi,d'abord?Unfétichistedesarcs-en-ciel?Dessirènes?Desfillesadorables?Ellepenchelatête,navrée,puispointelaspatuleversmoi,encoreplusfurieuse.—Jelaissetomber.Jedéglutis.—Tulaissestomberquoi,aujuste?
Çayest?C’estellequivientànotresecoursavantqu’onailledroitdanslemur?Toutçaparcequejesuisincapabledem’éloignerd’elle...—Tutedémerdesaveclabouffe,RafMagicdemesfesses!Ah,justeça.Est-cequejesuissoulagé?Ellecroiselesbrassursesseins,emprisonnantaupassagedelonguesmèchesbouclées.Roses.Jenesaisplustrèsbienàquelmomentellem’aeue.ÀVenise?AuDroz?Ilyadixjours?Ilyadeux
secondes?—Çatombebien,c’estmonjob.—Parfait.Démerde-toi,alors,lance-t-elle,l’airdes’enfoutre.Mais je neveuxpas qu’elle s’en foute.S’il y a bienune choseque je refusedepuis peu, c’est que
quelqu’uncommeelles’enfoute.C’estpourcelaquelarejoins,etquejefaislaseulechosequimedonnel’impressiond’oublierdans
quelpétrinjenenousaifourrés;jel’embrasse.Adieuveau,vengeance,vanité.Ellerépondaveclamêmefougue,parcequ’elleabesoindelamêmechosepourserassurer.—Onnevapasmangerdesitôt...gémit-elle.—Onmangeraàmafaçon,c’esttoiquiviensdeledécider.—Tufaischier,Rafael...Jesais.—Tufaischieraussi,avectessecrets,répète-t-elleplusfaiblement.Tusaisça?Elle m’arrache à son visage, en tenant fermement une poignée de mes cheveux. Ses yeux disent :
«...maiscontinuequandmême,jet’enprie.»—Ouais,jesais,Santa...Pardon.Jesoupire,maisj’aidéjàouverttroisboutonsdelachemisequ’ellem’apiquéeavantdesortirdulit.
Jesecoue la tête,mais lesmanchesglissentsursesbras.Sesseinssontdansmespaumes,mespoucesfrottent les cheveux roses sur sa peau mate et douce comme du velours, sur ses tétons souples etdélicieusementtièdes.Jecroisentendrelasonneriedemontéléphone,auloin.HighwaytoHell.Jesaisdequiils’agit.—Encoretonportable...Tudevraisrépondre.Monputaindeportable,quefaitsonnermonputaindepatron.—Non,d’abordlescœurs...Lescœursquitombentsurlecarrelageenmêmetempsquelaspatule.Salangueagardélasaveurdela
saucetomate,jemetraitedetaréensongeantquejen’aijamaisriengoûtédesidélicieuxdanslabouched’unefille,etàcinqheuresdumatinenplus...Santagrogne,Santaexigequemontee-shirtfoutelecampetjem’exécute,parcequec’estellequime
tientetpaslecontraire,malgrélesapparences.—Onvaoù,Rainbow?—Onestcheztoi,non?—Jesaisqu’onestchezmoi...jegrogne,presqueagressif.
Elleestsurprisemaisnesedémontepas.—Leplandetravail?Aprèslelit,lecanapéetlatableduséjour…Ouais,leplan,c’estbien.Jenecomprendspaspourquoinousn’yavonspaspenséplustôt.Je la soulèveet l’y installe.Elle secambrequand je l’attaqueànouveau,maboucheprend tout,de
peur qu’il n’en reste pas une miette, même si je pense qu’elle ne laissera pas tomber ce soir. Maisdemain,siellesait...—Ouvrelabouche,l’arc-en-ciel!Ellefroncelessourcilspendantquejesaisisd’unemainlaplaquettedechocolat,ledéballe,lecasse,
puisfaisglissersurseslèvresuncarré.UngrandcrudeColombie,trèscorsé.Santalecaptureenmêmetemps quemon index avec sa langue, et aspire. Je frissonne ; et si ce n’était pasmon doigt dans sabouche...—C’estpassimauvaisqueça,ronronne-t-elle.Parcequejel’aichoisipourtoi,querida.—Parfait.Maintenant,laisse-moicuisiner,l’arc-en-ciel...Elleobéitetécartelescuissesenseléchantlesbabines.Sacolèreafondudepuismonarrivée...Jelareprendsdansmesbras;ellem’avaitmanqué.Ellememanqueraquandelleconnaîtralavérité.—Situsavais,Rainbow...jechuchotedanssonoreilleaumomentoùelledéboutonnemonjean.—Situmedisais,Rafael...articule-t-elle,horsd’haleine,surmajoue.Hicetnunc.Jepourraisluidire,icietmaintenant.Ouavantqu’ellemequitte.Oucesoir,surlequaidelagaredu
Nord.Puisjepartirai,ouc’estellequipartira.Désintégrationdeladreamteam,desonmonde,demoncœur.C’estcequiarrivera.Maisilfautquejeparle,putain;jenesuispasunlâche,moi.
Chapitre1
Santa
Unmoisetdemiplustôt
—Santa,c’estvous?C’estuneblague?Jefroncelessourcils,regardemespieds,mavoisineauxcheveuxencorepluscolorésquelesmiens,
puisGermainMarnier,ànouveau.—Jusqu’àmonarrivéedansvosstudios,oui,ilmesemble.C’estpeut-êtreuntest?Le producteur de l’émission fixe la pointe de mes cheveux qui tombent sous ma poitrine. On m’a
défendudelesattacher,delesrecouvrirmême.C’étaitjusteavantdememaquiller...—Vousn’aimezpasleviolet?Jeviensdecomprendre.Ilpenchelatêtesurlecôté,arboreunemouecrispée.Jereprends:—Vousvousattendiezàautrechose?Sous-entendu,uneMéditerranéenne toutebrune,mignonnette, pleinede tachesde rousseur.Avec les
yeux clairs en prime. Celle qui souriait discrètement sur la photo jointe au dossier d’inscription àl’émission–etsurlaquelleonnevoyaitpaslapointedesescheveuxteintsen...violet.—Oui,dit-ilfranchementenmeregardantdanslesyeux.Ah...GermainMarnierestdéçu.Ilvoulaitvoirfigurerdanslecastinguneimaged’Épinal;iladevantlui
uneCorsepasfarouche,souriante,en leggingsnoirsetballerinesprune–assortiesà lacouleurdesescheveux...Jenem’offusquepas;cen’estpaslapremièrefoisqu’ilyatromperiesurlamarchandise,cenesera
pasladernière.—C’est très bien quandmême, se rattrape-t-il aussitôt. LoïsCardi n’a pas tari d’éloges sur vous.
Alors,jesuisravidevouscompterparminous!Etjerougis.Touché!—C’estgentildemelerapporter!Maiscen’estpascequimeferagagnerpuisquenoussommestous
logésàlamêmeenseigne.Dommage...Ilrit.LaCorseaquandmêmedelaniaque,c’estaumoinsçadepris.—Bonnechance,Santa!conclut-ilavantd’interrogerlejeunehommeblond,prèsdemoi.Jereportemonattentionsur leplateauensoupirantdesoulagement : lesplansde travailéquipésde
robotsderniercri,lajolieépiceriedébordantdecouleursetdematièrespremièresexquiseset,enfin,lescandidats.Nous nous sommes croisés, timidement présentés par nos prénoms, sans évoquer nos parcours.
L’ambiance est faussement cordiale ; je crois que nous attendons de savoir de quelle cuisine chacuns’échappepourvenirparticiperàl’émission.Çamerendnerveuse.Jenesuispasàmaplacedanslegrandstudio.Maplusgrandecrainteestquece
nesoitpasseulementliéaustressdesdébutssouslesfeuxdelarampe.—C’estCardiqui tepistonne?s’exclamemavoisinequin’a rienmanquéde laconversationavec
Marnier.—Oui,jetravaillepourluidepuistroisans.Leregarddelarouquinesefaitsurprisetenvieux.AvancerlenomdeCardicréeceteffet-là.Jenelui
diraipastoutdesuitequelleplacej’occupedanslabrigade.Quandilssauront,jedeviendrailacandidateàabattre...—Mais...commenttuasfait?Est-cequ’ellevacomprendrequejeblaguesijedisquej’aicouché?—J’aieudelachance...Oupastantqueça,maiscen’estpaslemomentdel’évoquer.L’équipe de l’émission s’agite sur le plateau, il va être l’heure de se jeter dans l’arène. Sitôt la
compétitioncommencée, iln’yaurapasdequartier.C’est le jeuencuisine, j’imaginequ’onobéit auxmêmeloisdansunjeudecuisine.GermainMarnierfrappedanssesmainspourobtenirnotreattention.—Lesjurésde«Chef!»serontparminousdansquelquesminutes.Ilsvousexpliquerontbrièvement
les enjeux de la première épreuve. On vous regarde seulement travailler aujourd’hui. Les camérasprendrontcequ’ellesveulentetonrecadreracequidépassepourquetoutlemondesoitcontent.Etmoi,eteux!termine-t-ilendésignantlesjurésquiviennentdefaireleurentrée.Jen’aid’yeuxquepourNorikoBrunelle, lastarduprogramme.Longue,bruneet intimidante.Ellea
gagnésapremièreétoileàvingt-troisans, lemêmeâgequemoiaujourd’hui.Elleestfranco-japonaise,géniale,ettyranniqueencuisine.Commenombred’entreeux.GaspardMalletetOliverVaughn,lesdeuxautresjurés,lasuiventdeprès.—Enpiste,lesjeunes!clameGermainMarnierquiprendtrèsàcœursonrôledechefd’orchestre.Il est euphorique. Sans doute parce qu’il a bu trop de champagne, celui qu’on nous a servi à notre
arrivéedanslegrandstudio.J’auraismieuxfaitd’enboireunecoupedeplusaveclui...—Santa,venezparici,s’ilvousplaît,appelleunefemmeentailleurgrisenmefaisantsignedesortir
dugroupe.Vousêtestropgrandepourêtredevant.Jevaisvousattribuerunepositionpourtouslesplanslargesqu’onferadugroupe.Vouslaconserverezjusqu’àlafindel’émission.Oujusqu’àmonélimination...Bonsang,jeviensdéjàdemedécourager?Ladamequi connaîtmonnommedéplace sur le côtépourque je ne fassepasd’ombre auxquatre
autresfemmes,pluspetites.Jemeretrouveàcôtéd’unautrecandidat.Uncandidatàquijeneferaipasd’ombre,c’estcertain : luiestbienplusgrand,et trèséchevelé.Ondiraitqu’ilvientdesortird’un litaprèsn’yavoirpasfaitquedormir.Cesontsesyeuxbrillantsquiledisentquandnosregardssecroisent.Et c’est mon esprit quelque peu agité par la situation qui l’imagine. Le teint doré, les pommettessaillantes,et...—Bonsoir!s’exclameGaspardMallet.J’aisursauté,etbousculémonvoisinquiposesamainsurmesreinspourmerepousserlégèrement.Ilafrôlémescheveux,etjelevoisfroncerlessourcilsendécouvrantmesexcentricitéscapillaires.Jerelèvelatête,prêteàmeconcentrer,maisilfaitsoudaintrèschaudsouslesprojecteursbraquéssur
nous.—Est-cequetoutlemondeadéjàcuisinédel’espadon?demandeMalletàlacantonade.Noushochonstouslatêted’unairconvaincu.Monvoisinmejetteuncoupd’œilavantdeseraviser.Il
neditrien.Ilplissesesyeux,seslèvresbienourlées.—Onyva,Germain?demandeJenny,l’animatriceblondedel’émission.—Onyva,mabelle!Germainfrétille.Ilveutdesimages–etdusang.Jeserrelemanchedemoncouteauféticheglissédanslapochedelavestenoirequ’onnousaremiseà
notrearrivée. J’inspirepourmedonnerducourage.L’expiration s’estperduequelquepart, auboutdumonde.—Attention...Onnousfaitsignederegarderunhommequitientunecaméra,unpoucelevéversnous.Unjolisourirepourmaman,quirisquedenepasaimerceviolet-là...—Moteur...Moncœurbatvite.Jesaiscequejesuisvenuechercher,ensachantaussiquecelaraviveraitmespires
craintes.—Action.Çatourne!
—Tropfrais.Jen’espéraispasqueNorikoBrunelleporte auxnuesmonpremierplat,maisme faire réprimander
commeunedébutanteestplusdésagréablequeprévu.—Ettropsucré!grimace-t-elleenretroussantsonnez.—Moi,jetrouveçabienéquilibré!Gaspard Mallet prend ma défense en m’adressant un sourire compatissant. C’est le gentil flic de
l’émission,etilleprouvedèslepremiertest.—Letempsimpartiétaittropcourtpourquejepuisseélaboreruneémulsiondefleursdecourgettes
quiauraient...—Desfleursdecourgette?s’exclameOliverVaughn,ledernierjuré.Iln’avaitpasencorerendusonverdict.Ilmetoise,l’airimpénétrable.—Avecdugingembre?reprend-il.Lacuisine,c’estunescienceexacte,mademoiselle,paslerésultat
d’uneloteried’ingrédients!J’auraisdûlafermer...—Merci,Santa,trancheenfinNoriko,agacée.Onmefaitsignederamassermesdeuxassiettesetderejoindrelesautrescandidatsquiattendentd’être
exécutésàleurtour.J’obéis,déçueetfrustrée.—Siçatournemal,tutelamords,Santa.Étoilésoupas,çarestedeschefs.Lesmêmesquetuaspu
côtoyerdepuisquetuesdanslemilieu.—Jememordsquoi,aujuste?—Lalangue.
Oui,chef.Mais,ouch,çafaitmal!J’avaispresqueoubliéàquelpoint.Jepesteenrejoignantlesautres:sij’avaiseuàdispositionduthonetdusaumon,j’auraisrecrééla
compositionsucrée-saléequeLoïsavaitadoré,maisqu’ilavaitrefusédefairefigurersurlacarte...Tandisquemalanguemauditmonpatron,jecroiseleregarddeceluiquiaeulamêmeidéequemoi.
Sonassiettedecarpaccioà lamain, leplayboyque j’aicôtoyédeprèsavantquenousprenionsplacedevantlesplansdetravailmefusilledesyeux.Qu’est-cequecegarsaurafaitdemieuxquemoi?—Oh,l’allianceduyuzuetdelafraisedansunpoisson,c’estosémaisbientrouvé!sepâmeNoriko
Brunelleengoûtantsonplat.Jeserrelespoingsetmeretiensdegrimacerparcequelacamératourne.— Laisse tomber... me glisse la rouquine pétillante dont j’ai oublié le nom,mais pas le prénom :
Marianne.Elleestrousse.Unrouxcorailartificiel,c’esttrèsjoli.Elleestaussitoutepetite,maisilfautdireaussi
quejesuistoujoursplusgrandequetoutlemonde.—L’ArgentinadûdevenirleurfavoriquandMarnieradécouvertqu’ilétaitencorepluscanonenvrai
quesurlaphotodudossierdecandidature...reprend-elle.UnArgentin?Jecroisaussiavoirentenduparlerd’unAméricaintoutàl’heure.Avecmoi,çafaittrois
candidatssusceptiblesd’offrirquelquesclichésdugenreauxtéléspectateursenmald’exotisme.—Toi,c’estBianca?C’estça?Marianne chuchote, même si on ne s’intéresse pas à nous ; la caméra est passée dans le dos de
l’Argentin.Luiattendquelesautresjurésgoûtentsoncarpaccionul.Ilestimmobile,seslargespoignetssontcroisésdanssondos, toutaussi large.Ilestsacrémentathlétiquepouruntypequipiétinesouslesspotsetlesnéonsdescuisines...—Non,moic’estSanta.—C’estitalien?Perdu.Ellem’apourtantentendueparlertoutàl’heure?—Corse.—Ah...Ellesecouelatêteavantdeseconcentrersurlascènequisedérouledevantnosyeux.Malletditencorequelquechose, l’Argentinhoche la têtemaisne répondpas.Sescheveuxsont très
ébouriffés.Ilsdescendentsursanuque,chatouillentsesoreilles.—Merci,Rafael,susurreNoriko.Nouveauhochementdetête;jemedemandes’ilparlefrançais...Puis il s’en retourne, son visage aux pommettes saillantes exprimant à peine son contentement. Il
semblemêmerenfrogné.—Ilalenomd’unange,cesalaud...renchéritMarianne.Onestfoutues.Euxsontfoutus.— J’ai modernisé une recette de papillotes, reprend Marianne, l’air abattu. Mallet va adorer et
Brunellevatrouverçavulgaireetrevu.C’estcourud’avance.—Onestlàpourqu’ilsnoustapentdessusdetoutefaçon,non?Commeunretourauxsources,etc’estcequimefaisaitlepluspeurdansl’histoire.
—Ouais,ilparaît...Pourlefricaussi.—Ontepaiesimalqueça?Tubossesoù,déjà?—Jesuissous-chefàl’Aurore.—L’Aurore,c’estprestigieux.—LeJérichodeCardi, c’est laclasse internationale, souffle-t-elleaumomentoùGermainMarnier
nousrejoint.Qu’est-cequetufouslà?C’est une excellentequestion, à laquelle je vais devoir savoir répondre. Je n’y couperai pasquand
Loïsdécouvriraàquelpointj’airejointleplateauàreculons.GermainMarnierrevientversnousquandoncoupe.Ilestcontrarié.—Ilnousmanquedesséquencesencuisine,annonce-t-il.Ilfaudraitretournerquelquesplans.Latélé-réalité...Onm’avaitpourtantprévenue.SeulRafael le séraphin ne semble pas concerné ; il rabat unemèche de ses cheveux derrière une
oreille,plongelesdeuxmainsdanslespochesdesonjean,soussavestedecuisine.Etilmedévisage;j’enfaisautant.—Ilabeauavoirunegueuled’amour,c’estmoiquigagnerai,meglisseMarianneavantquenousnous
séparions.Peut-être.Entoutcas,jen’aijamaispenséqueçapouvaitêtremoi.J’enailaconfirmationaujourd’hui.
Loïsvoulaitquejesortedemazonedeconfort,c’estréussi...Jen’aijamaisétéaussimalàl’aisedepuislongtemps.—Onreprendaumomentoùvousapprenezquevousserezmangésparl’espadon!Essayezdeparaître
aussiterrorisésquelapremièrefois.Jevaisdétestercegenredemiseenscène.Jecroismêmequejevaisdétestercuisinerpour«Chef!».
Jemordsmes lèvresplutôtquemalangue,et j’avancevers leplande travailqu’onnousdésignepourfairedel’esbroufe.Deuxmois.Oumoins.Jesuissûrequeceseramoins.
Chapitre2
Santa
C’estenfinterminé...Certains s’attardent auprès des jurés, auprès du producteur qui prodigue quelques conseils pour se
familiariser avec l’exercice du tournage. Je soupçonneMarianne, et les autres, de faire du zèle pours’attirer leursbonnesgrâces.Tout lemondesaitcuisiner,maiscertainsd’entrenousnesemblentpasàl’aisefaceauxcaméras.C’estmoncas,maisjefilequandmême.Jenelaisseraiàpersonneletempsdeposerlamoindrequestion.SanscompterquelabrigadeduJérichoestdéjààpiedd’œuvreàcetteheure,etquej’aibesoind’enêtre.Pressée,etintimidée,jesalue,deloin,lesjurés.SeulGaspardMalletm’aentendueetmerépond.Les
autressonttropoccupéspourmeprêterattention,etc’esttantmieux.Jequittel’immenseloftquelachaîneaaménagéenstudiopourtournerl’émission,etregagnelarue–
l’airlibre.Leprochaintournageauralieudansunesemaine.Unlundi,commeaujourd’hui.Lesautressuivrontàla
mêmefréquence.Noussommes tous salariés, tous trèsoccupés.Nospatronsontbesoindenous, il estimpossibledebousculerlesbrigadesenréquisitionnanttouslescandidatsdixjoursd’affilée.Uncoupd’œilàmamontre.Jesuisvraimentenretard,etpestesurletrottoir.Quandjerelèvelatête,
je surprends le regardduseulcandidatquin’apas tenuàgonfler sacoted’amourauprèsde l’équipe.Parcequ’ilaunegueuled’amour,justement?Ouparcequ’ilsembleplutôtdoué,enmêmetempsquetrèssûrdelui?L’Argentins’engagedans la ruepresqueenmêmetempsquemoi.Je tourneàgauche,à l’angled’un
carrefour,etm’engagesurleboulevardMaillot.Ilestencorelà!Lastationdemétroestenvue.Etiln’apaschangédedirection...Ilmeflique?Ilestcurieux?Ilveutdéjàconclureunesortedepacte,commedanslesémissionsde
surviedanslajungle?Peuimporte.Jemedépêche,j’enaieuassez.Vendredisoir; lasoiréedébuteàpeine,etilyadumondesurlequai.Jesupposequec’esticique
nousnousperdronsdevue,jusqu’àlaprochainefois,dansunesemaine.Sousterre,nousnousmêlonsà lafoule.Jemesuis trompée: l’Argentinse tient toutprèsdemoi.Il
m’observeencore:mescheveux,quilerendentdéfinitivementcurieux,puislajolieblouseblanche,sousmavesteenlin,dontlaborduredudécolletéestajourée.Ilsouritpourlui-même,jusqu'àcequ’ilrencontremonregardmeurtrier.—Tuesanglaise?J’écarquillelesyeux.J’aidûmalentendre.—Je...Non!
J’aiconfirmationdedeuxchoses:un,ilparlefrançaispresquesansaccent.Deux:commemoi,ilvientd’ailleurs:onn’abordepasimpunémentn’importequisurlequaid’unegare,àParis.—LesfillesontlemêmelookquetoiàLondres.Presquepasd’accent...Maislepeuquifiltreentrelesmotsrendletoutassezcharmant.J’admets:—J’yvaisdeuxfoisparan,ilsepeutquejesoisrevenueinspirée,unjour...—Tantquetunet’inspirespasdecequ’ilsosentservirdansleursassiettes,toutirabien!—TuseraiscapablederépéterçadevantOliverVaughn,lasemaineprochaine?Ilnesouritpas.Unemèchedecheveuxeffleuresonsourcilavantdetombersursesyeuxnoisette.Argh...Marianne avait raison, l’Argentin a un capital séduction très très élevé... Ça n’a pas pu
échapperauxgensdel’émission.Iln’apasletempsderépondre;lesifflementdelaramequiserapprochesefaitentendre.L’Argentin
se glisse à mes côtés dans le wagon où je suis soudain bienmoins à l’aise. Cinq ans à Paris, et jesupportetoujoursaussipeulapromiscuité.Mamèreretrouveraitsafilledanslemétro;jenesuisjamaisaussipeuparisiennequequandj’atteinslessous-solsdelaville.Jemetourneversl’Argentinquim’observetoujours,lesmainsplongéesdanslespochesdesonjean
moulant,etjemelance:—LeyuzupourNoriko,c’étaitunpeufacile...Iln’yapasderaisonqu’ilsoitleseulàs’amuser.—Àlaguerrecommeàlaguerre,non?Çanel’agacepaslemoinsdumonde.Jesuispresquedéçue.—Pourquoiilsnet’ontpasfaittournerdenouvellesprises,commenous?—Parcequej’aiététrèstrèsbonlapremièrefois?Cettefois,jeledévisage.Luiattendlariposte,quinevientpas.Jen’aipasd’énergieàgaspillerdans
cettebataille.Loïsnousenferaassezvoirencuisinetoutàl’heure.—Tun’espasmalnonplusdanstongenre,reprend-il.Lesautressontrestéspourqu’onretienneun
peuplusque leurprénom.Mais tuasmieux jouéqu’eux, finalement.Parcequ’onvasesouvenirde lafillepartiecommeunevoleuse.—Etc’estpourçaquetum’asimitée?Commepourlecarpaccio?J’aibienditquejen’avaispasdetempsàperdre,non?Pourquoiest-cequej’ail’impressionquema
voixestdevenueplusaiguë?—Jesuispartieparcequejetravaillecesoir!—Tun’espaslaseule,répond-ilentournantlatête.Ilestredevenudistant,aussivitequ’impertinent,toutàl’heure.Celajetteunfroidentrenous.Larames’arrêtedeuxfois,nousnenousregardonsplus.Encoredeuxstations,ethastalavista,Rafael.Maisavant...—Oùest-cequetucuisines?Ou,end’autrestermes:quiestaussiexigeantqueLoïsCardi–aupointdenepasluiavoirdonnésa
soiréeaprèsletournagedel’émission?—AuDroz,répond-ilsansmeregarder.
Çanemeditrien.Jefroncelessourcils.—Dansle13 ,précise-t-il.Ilvamedonnerlenomdesonparrain,etpeut-êtrequ’alors...Lewagons’arrête,lesportess’ouvrent,etl’Argentinavanced’unpaspourpatienterderrièreceuxqui
vontdescendreenmêmetempsquelui.—Bye,l’Anglaise.Unclind’œil,puisleséraphin,sonjeanmoulantsesfesses–quejem’empêched’imaginerfermeset
bombées–,etsescheveuxenbatailles’évaporent.Bondébarras.
Jerefaissurfacedixminutesplustard.Jecourssurletrottoir,ilesttard.19h30.Asseztardpourme
faireengueuler...Immense,moulurée, la façadedu Jérichoapparaît à l’anglede la rueSaint-Roch,puis son enseigne
lumineusemythique,noirmétallisé.—Siontelibèreauxheuresdeservice,jeteveuxdansmacuisineillico,Santa.—Oui,chef.Jenevaispasluidiretoutdesuitequeçam’arrange...Jepassedevantl’entréeprincipaledugrandhôtelpouratteindrelaportedeservice.Jesorsmonpass,
puisjem’engouffreàl’intérieur.Levestibuleestétroitetsombre,lesolenduitdebétonlisse;mespiedsnefoulerontpaslemarbreetlescarrelagesmiroirduhallprincipalavantlafinduservice.Jedébarquedansl’immensecuisine,essoufflée,etrejoinslesmiens,toutencamouflantmescheveux
tropépaissousunjolifoulardàpoisnoirs.Sanssurprise,onm’interroge.—Oui,c’étaitsympa!Commeunhors-d’œuvre.Onverrabienlasemaineprochaine...Une réponse diplomatique. Je la répète trois fois durant le trajet entre la porte et le comptoir des
commandes.Cetteémissionimpressionnetoutlemonde,saufmoi.J’éprouveunsoupçondeculpabilité.Jeprendsplacedevantlecomptoir.Loïsn’estpaslà,maissafilleetsonfils,oui.—Salut,Santa!lanceArchibalddesavoixhautperchée.Ilseprécipiteversmoietjem’accroupispourl’accueillirdansmesbras.—Tuesenretard,meglisse-t-ildansl’oreilleavantdereculer.Tuvastefairegronder!Jefaismined’êtreterrorisée.—Jecomptesurtoipourmedéfendre,Archi!Ilmanque deux dents à son sourire. Ses yeux d’enfant pétillent tandis que ses doigts entortillent la
pointecoloréed’unedesmèchesquidépassentdemonfoulard.Archibaldestmonpremier–etseul–fan;jeleluirendsbien.—Biensûr!J’aipaspeurdepapa,moi!Ilestbienleseulici...J’entendsdéjàrirederrièrenous.—Mamanaussivasefairegronderparcequ’elleestenretard,ronchonne-t-ilengrimaçant.Enmerelevant,jelesoulèveetl’assiedssurlecomptoirdescommandes.
e
—Alors,enl’attendant,tuvascompterlesassiettesqu’onvapréparer,Archi.Ravi,ilpointedéjàdudoigtlesfeuilletsquesasœuraépinglésau-dessusdemoi.Lesmainssurleshanches–sontailleurnoirlessouligneharmonieusement–,ArielleCardiscrutemon
visage tandis que je prends connaissance de ce qui va être envoyé quand le boss va débarquer. Elleessaiedemeperceràjouretnesecontenterapasdurefrainquej’aiserviauxautres.Jelâcheenfin:—C’étaitaussinasequejelepensais.—Nase,comment?—Ilsveulentdebellesimages,unepointed’humiliation,unsoupçondeglamour.Etj’imaginequ’on
verseradansledramedansquelquessemaines...—Oui,letempsquetoutlemondeseconnaisse,complète-t-elle,enfindétendue.Quevouscouchiez
ensemble,ettout,ettout...—Vousallezdormir?demandeArchibald,unmorceaudepapieràlamain.Jeleluireprendsgentimentetl’épinglesurlarampe,nonsansjeterunregardmeurtrieràArielle.—Non,onvafairelacuisine,surtout!—Encoreheureux,Santa!Nous sursautons enmême temps : Loïs vient de faire son entrée sur son territoire... Si sa fille est
amusée,luiestagacé.—Etquiva...«dormir»avecqui?reprend-il,lessourcilsfroncés.Jerépondsàmonpatron:—L’avenirnousledira.Ilsontrecrutéenconséquence.C’estunpeugros,maispassifaux.LoïslèvelesyeuxaucielavantdefairedescendreArchibaldducomptoir.—Mamant’attendderrièrelaporte.File!Il l’embrasse, puis retrousse lesmanches de sa veste noire sur ses bras hâlés tandis qu’Archibald
traverselacuisineentrottinant.—Ilsne t’ontpas tropfatiguée, j’espère?reprend-il,bienmoins tendre.Parcequ’àdéfautdefaire
chaud,ilafaitbeautoutelajournée:ilyadumondedehors,etbientôtdanslasalle.Onnedéconneplus.Sontalond’Achilledisparu,lechefestderetour,etsesyeuxgris–lesmêmesque
ceuxdesafille–brillentd’excitation.LoïsCardiestunmaîtredans laprofession.Unchef international reconnuquiestdevenuunhomme
d’affaireaviséetambitieuxquandiladécidédeneplusvoyager–etdeneplusfairedebêtises...Ilestpropriétairedequatreétablissementsdanslacapitale,avecdeuxettroisétoilesaucompteur.Unempirequ’onluijalouse,maisqu’ilamérité.C’estsurtoutuntypeintègre,aussigénéreuxdanslaviequedanslacuisine;jesuisfièrequ’ilm’ait
toutappris,qu’ilm’aitsauvée.—Lescommandes,Arielle!vocifère-t-il.Arielle,quiattendtoujoursquejeluilivredesdétailsaubeaumilieuduchampdebataille...Elle les lui tendengrimaçant,maisellene répliquepas.Pasencore, au risquede foutreen l’air le
début du service. Comme tous les chefs, son père est un brin susceptible et despotique.Mais jamaisinjuste,etjamaisviolentsurtout.
Loïslitlescommandesenmêmetempsqu’illesreplacesurlarampeàhauteurdesesyeux.—Allez,onenvoie.Santa,tulanceslacuissondeslangoustes.Turevienspourledressage.Aveclui.Jesourisenrejoignantlepostedupoissonnier.«Chef!»estloindansmonesprit.Danslavapeuretla
fuméequisedégagentdescasserolesetdespoêlons,surlesfeuxdupiano,jerespireenfin.Leservices’achève,deuxheuresetdemieetdeuxcenttrentecouverts,plustard.Loïspointeavecmoi
les défauts de préparation du chef de partie chargé d’élaborer les sauces. À bout, Loïs a fini parm’envoyer lui donner un coup demain. L’intéressé n’a pas cessé deme jeter des regards noirs. J’ail’habitude:j’aiapprisàfermerlesyeuxtantqueçanedevientpasméchantnidéloyal.—CommentvaMarnier?Je relève la tête, surprise.Laquestionestarrivéecommeuncheveusur la soupe.Unespécialitéde
Loïs,quivitàcentàl’heureetnes’embarrassepasdestransitions.—Ilvoussalue.Ilavaitl’airtrès...excité.Loïsricane.—Çaluivabiendedirigerdixgossespendantdeuxmois!Àdéfautd’avoirréussiàfairetournerune
affaireplusd’unan!—Pasquedesgosses...Ilyauntypeplusâgéquenous.Etaumoinsdeuxétrangers.—Etd’oùsortent-ils?—Jen’ensaisrien.Jen’aipasposédequestions.—Tuneposesjamaisdequestions,detoutefaçon,répondLoïs,amusé.Si,quelques-unesdanslemétro,avantd’arriver…J’argumenteànouveau,l’airsombre:—Jeposelesbonnes,etçameréussit.C’est Loïs qui a eu l’idée de me faire participer à l’émission, parce qu’il estime que je suis
suffisammentcréativeetdouéepourvolerdemespropresailes.Ilaraison:jenepourraipasrestersaprotégéeéternellement...— Ils ont parlé des dates et des endroits où ils allaient vous envoyer pour tourner les émissions
spéciales?—Non,pasencore.Loïstientdéjààs’organiser,lessoirsoùjeneseraipaslà.Onnegèrepasunempiresansmaîtriser
toussesrouages.Jepoursuis:—J’aicrucomprendrequ’ilsfaisaientdesessaisaujourd’hui.Onnousamisàl’épreuveetjugés,sans
que personne ne soit éliminé. Ils vont peut-être se débarrasser de ceux qui ne sont pas asseztélégéniques?Loïs a dû percevoir l’espoir dans ma voix. Il termine d’agrafer les rectangles de papier des
commandesdecesoir.Puisilrelèvelatêteetfixelespointesvioletélectriquequitouchentlebasdemondos.Ilesquissecesouriresecretquim’exaspère.
—Ilestcertainqu’ilnesedébarrasserontpasdetoi,entoutcas.Envoie-leurdubleuoudurose,lasemaineprochaine,etlaFrancetomberaamoureusedel’arc-en-cielduJéricho!Jeme fous de que la France pensera.Maismamère, elle, rendra des comptes au village, ça c’est
certain...Jesouffle,enfindépitée:—J’aiéténulle...Ilsn’ontpasaimécequej’aifait.—Sers-toidecequetuconnaisdumilieu,Santa,grondemonpatron,quin’aimedécidémentpasqueje
soisdéfaitiste.Ilyaunepartdesubjectivitélà-dedans,tulesais.—Oualorsilsvousdétestent...Loïsricane.—Non,jenecroispas!Personnen’auraitd’intérêtàmedétester!Maisilsneteferontaucuncadeau,
j’yaiveillé.Niàtoiniauxautres.Jen’enattendaispasmoinsdelui,maisçafaitmal...Pasaussimalqu’uncoupdecouteau,maismal
quandmême.—Ça roulera, reprend-il pourme rassurer. Tant que tu poseras les bonnes questions, que tu te la
mordrasquandilfaut,etquepersonnenes’enverraenl’airentredeuxservices.Jerisetacquiesce,mêmesijenesuispastoutàfaitconvaincue.Loïsentermine.Ilvapartir,fairelatournéedesestroisautrestablespourfairelepointavecleschefs
enplace.Ilneserapasrevenuavantdeuxheuresdumatin.—Bonnesoirée,Santa.Et...forza!—Merci,Loïs.Mercipourtout.Unclind’œil,puislechefquittelacuisined’unpaspressé.Lescommisnettoientlesderniersplansdetravail.Jeleurdonneuncoupdemain,puisprendsàmon
tourlechemindelasortie.Unedouche,unbouquin,monlit.MaisAriellem’attenddanslesasquiséparelabrigadedelasalle...—Tunevaspast’entirercommeça,Santa!tempête-t-elleenmesautantdessus.Elleadétachésescheveuxroux,troquésonchemisier-tailleurcontreunerobepatineuserosepoudré.—Etneprétendspasvouloirretournerencuisinepourm’échapper!Jelèvelesmains,innocente.—J’allaispartir,juré!Quand je suis heureuse, je cuisine. Quand je suis triste, je cuisine encore plus. Et quand je suis
fatiguée,jedors.Cesoir,jesuisépuisée.—Tuviensboireunecoupequandmême?L’assistantdusommelierareçudessuperbouteilles,ce
matin...Jeneveuxpassavoircommentelleapuygoûterenavant-première.Ariellecoucheparfoisavecles
employés,elle...Àl’insudesonpère,évidemment.—DuBillecart-Salmonextrabrut,insiste-t-elle.
Là, elle me prend par les sentiments. Peut-être bien aussi que j’ai envie de lui raconter l’étrangeparenthèsedutournagedel’émission.Jesoupirepourlaforme.—OK,vendu.Jemedébarrassedemavestedetravailprune,merafraîchislevisage,puisnoustraversonslehallgris
etnoirduJéricho–façonarchitectureindustriellepar-dessuslesmouluresduplafond.Ilfutuntempsoùtoutceluxem’intimidait,désormaisilfaitpartiedupaysage.Nousparvenonsjusqu’aubar,oùlalumièreesttamisée,lestonsducarrelageetdesmursocreetmiel.
Plus chaleureux àmon goût ; c’est l’endroit où jeme sens lemieux dans l’établissement, aprèsmonappartementcachéauboutd’uncouloirduquatrièmeétage.Nousnousinstallonssurlabanquettelaplusconfortable,dansunangledelasalle,presqueàl’abrides
regards.Mon amienous sert elle-même le breuvage.Lesbulles, roses et légères, rampent le longdesparoisdelaflûte.—Asaluta.—Tchin,Santa.Etc’est...divin!Arielleavaitraison.—Tuvois!s’exclame-t-elle,ravie.Ilestcool,cegarçon!Ilsaitcequiestbon,etilsaitcequ’ilfait
aulitaussi...Situveux,jet’arrangeuncoupaveclui.Commeça?Sifacilement?Arielle...—Non,merci.—Cen’estpasfauted’avoirencoreessayé...—Jen’aipasbesoind’hommedansmavie.Oualors,undetempsentemps.Etpas...—...auboulot,finit-elleenmêmetempsquemoi.Danslecasting,alors?Jevaisdroitaubut,jesuiscertainequ’ellesemoquepasmaldel’identitédesquatreautresfilles–
quejenesauraismêmepasnommer,àl’exceptiondeMarianne.—Pourquoipas... Ilssont jeunes, ils sont tousbeaux,etchaudscommelabraise. Ilsnesont làque
pourça,d’ailleurs.—Quoi,s’envoyerenl’air?—Ouais.Certainssecroientmêmeplusmalinsquetoutlemonde...Jerevoislesyeuxnoisetteetlesjouesmal
raséesduséraphinargentin.Ariellelèvelesyeuxaucielencomprenantquejememoqued’elle.—Etd’oùilsviennent?...etquisuis-je?Oùvais-je?J’ail’impressionquenousn’enavonspasfiniaveccerefrain-là.—Jeparledeleursparcoursprofessionnels,évidemment!ajoute-t-elle,aucasoù.Évidemment...—Del’Aurore,duDroz.DuHiltonaussi.Enfin,jecrois.—LeDroz?Connaispas.LeHilton,nonplus,plaisante-t-elle.Monregardseperddanslevide.
— Ça craint, n’importe qui à ma place serait ravi de participer à cette émission... C’est uneopportunitéunique.—Tuauraispurefuser,Santa...Non.Jenelepouvaispas.Loïstenaitàcequej’ensois,etjenepeuxpasledécevoir.—Etcommenttutesens?reprendmonamie.Bonnequestion...—Commelejouroùj’aipassélaportedelacuisineduJéricho.Et que j’ai voulu laisser tomber le lendemain... Ma mère m’avait passé le savon de ma vie au
téléphone.Ariellelesait,c’estellequim’atrouvéencolèreetensanglotssurletrottoir.—C’estquoi,tonplan?Monplan?Monplan,c’estdenepasmebrûlerlesailes,denepasvoiraussigrandqu’àmesdébuts.D’aviserau
jourlejour.—Jenecomptepassur«Chef!»pouravoirunerévélation.Parcequejenetiendraispastroismois.—Pourquoi?—D’abord,parcequec’estdelatélé-réalité.Jecrainslemomentoùilsvontexploiternosallianceset
nosmésententes... Ensuite, parce qu’ils sont tous assoiffés de sang. Ils sont là pour gagner, coûte quecoûte.Etilsontsûrementdesprojets,eux...Arielleacquiesce,ellesaittoutça.Ellemesourit,etjeleluirendsavecchaleur.ÀParis,j’aiquelquesamis,maisj’aisurtoutLoïs,etsonclan.Etc’esttout,etçamesuffit.Enfin,je
crois.
Chapitre3
Rafael
Lundi.Jourdetournage.Actedeux.Onattaquedéjàlesunsaucorps;lafilleauxcheveuxrougesn’arrêtepasdemesourire.J’aivuclair
danssonjeudèsledébut,etceseranon.Jelafixeunpeupluslongtemps.Non,miamor.Jesuislàpourfairelejob,etgagner.Jebaiseraiplustard.Elleestdéçueetretourneàsesaffaires,feignantdes’intéresseràlaconversationqu’entretientSantadi
Livio avec le vieux de service. Simon, je crois. Il est rabat-joie, surdoué sur le tard selon lui, etpaternaliste.La têtedebiteduprogramme,quoi.Çapromet,maisçamesembleplus facilequesur lepapier.—Uncafé,mec?Legars leplusdiscretaprèsmois’estassisàmescôtéssur lemuretenparpaings,dansuncoindu
studio.Iln’arrêtepasdememateraussidepuisquejesuisarrivé...Ilmetendungobeletetm’adresseungrandsourire.C’estsuspect.—Thanks.Ilestaméricain,etjesuispoli.—NoeCooper.Toi,c’estRafael?Leblondinetmetendsamain.Jetiensàmettreleschosesauclairdèsledébut.—Oui,etjenejouepasdanscetteéquipe.—CelledeNewYork?Moinonplus,depuisqu’ilsontchiédanslacollecettesaison!UnYankee.Unvraidevrai.Etilsemarreenplus...Moipas,parcequejevaisdevoirmettrelesdeux
piedsdansleplat.—Jenesuispasintéressé.—Parlefoot?C’estpasgrave!Onvaparlercuisineetbusiness,situpréfères.Ilsefoutdemoi,ouquoi?—Jenesuispasgay,tusais...Jel’aiditenanglais.NoeCoopersefige,puiséclatederire.—Putain,tuascruque...Ouais,j’aicruque...Nousattironsl’attentiond’unautregroupedecandidats,ànotredroite.—C’est pasmon trucnonplus ! Je venais juste conclure une alliance.L’outre-Atlantique contre le
restedumonde.Jemesensvraimenttrèscon.
Unegorgéedecafé.Ilestignoble,maislajournéeaétélongueetelleseprolongesurletournagedel’émission.—Tuluiasparlé,àcegars?demande-t-ilendésignantceluiqui tentedes’improviserchefdeclan
parminous.—Oui,c’estlatêteàclaquesduprogramme.—Parcequ’ilestvieux.—Non,parcequ’ilestcon.LeYankees’esclaffe.—EtPinkiePie,tulaconnais?—Qui?—L’Anglaiseavecquituespartieladernièrefois.Unpointpourmoi.LuiaussiacruavoiraffaireàunedecesLondoniennesexcentriques.—Elleestpasanglaise.Tuenasvubeaucoupdesbritishcommeelle?—Non,maiselleadescheveuxtrèsfun,etpleindetachesderousseur.C’estmignon.Mignon.Elleestdiscrète,aussi.Jenem’yattendaispasnonplus.—C’estquoi,Pinkiemachin?—Tun’aspaseudesœur?—Non.J’aifailli.—Dommage pour toi ! C’est unemerde de poney rose aux cheveuxmulticolores, explique-t-il en
faisantdegrandsgestes.Jeregarde«l’Anglaise»quiporteunleggingnoiretunechemiseunpeutransparente.C’estvraique
sescheveuxsontvraimenttrèstrèslongs.—C’estunponeysuperbienfoutuentoutcas,conclutNoeCooper.Jenelecontredispasetboisunegorgéedecafédégueulasse.J’aime bien Noe Cooper. Il a la gouaille impudique des New-Yorkais ; ça me rendrait presque
nostalgique.—Bon,tuviensd’où?—DeBuenosAires.EtNew-York,etParis.—Ettucuisinesoù?—Dansunbaràtapas.Ilmecolleuncoupdepoingdansl’épaule.—T’escon!Plussérieusement?—AuDroz,dansle13 .Etçasuffirapourlemoment.—MoiauPearlResort.LePearlResort,àNewYork,c’estdulourd.SiCoopercarbureauxmêmestrucsquelesgarsdeSoho,
jerisquedenepastenirlacadence.
e
Jehochelatête.—J’aiétéchefdepartieauMeadow.NoeCoopers’anime.Jeveuxdire,encoreplusqu’avant.—Putain,c’estgénial!Maisqu’est-cequetufousàParis,alors?C’estunelonguehistoire...—Qu’est-cequetoi,tufousàParis,leYankee?Ilricaneencore.—LaFrance,çarestequandmêmeletemple,leGraal,tuvois.Ouais,jevois.Maiscen’estpasleparadisnonplus.Oualorsc’estleGraaldansletemplemaudit.—Donc,c’estmoil’immigrédeservice?reprend-il.T’espasunvraiArgentin!—JetegarantisquejesuisArgentindelaracinedescheveuxjusqu’auboutdelaqueue,mec.—OK,OK!seravise-t-il.Entoutcas,tuplaisàlarouquine,là-bas!Jesais...—Elleestsurlesstarting-block!poursuit-il.Mais,moi,jepréfèresacopine,PinkiePie.Celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom,c’estbienaussi.Jelemetsengarde.—PinkiePieestunecandidatesérieuse.—Tulaconnais?Tul’asdéjàbaisée?Non.Jedemande,moqueur:—Toi,tuesvenulàpourça?NoeCooperricane.—Etpourcuisineraussi.Sionpeutfairelesdeux,jenediraipasnon,mec.—Penseàteméfierdecettefilleavantdevouloirtelafaire.Observe-latravaillertoutàl’heure.Elle
vavite,elleconnaîtbienlesproduits,etelleneparlepasbeaucoup.Etc’estvraiqu’elleestvraimentbienfoutue...—OldMacSimonnepeutdéjàpaslablairer,ditNoe.Etildiscuteavecelle?Quelenfoiré,celui-là.Simonlevieuxetleconnarddeservice,donc.NoeCoopern’apeurderien,ilfrappeungrandcoupsurmacuisseenrigolant.—Bon,onvaleurmontrercequ’onvaut,mec.Hein?—Onferacequ’onpeut,mec.Marnierentresurleplateauetfrappedanssesmainspournousfairesigned’approcher.—Votreattention,s’ilvousplaît!L’Anglaise–quin’enestpasvraimentune–semordleslèvrespours’empêcherderigoler.J’aibien
envied’enfaireautant,leproducteurestpathétiquedanssonrôledechefdecoloniedevacances.Ilparaîtquecegarsétaitunasàl’époque...J’aipeineàycroire.Onnel’amêmepasvutoucherune
fourchettepourgoûternospréparations,ladernièrefois.—Onvapasserauxchoses sérieuses, les jeunes !Aujourd’hui,onva fairedans le traditionnel ! Il
paraîtqueleschefsnewgenerationneconnaissentplusleursclassiques,onvavérifierçaensemble.J’envoisquipâlissent–Noeenfaitpartie.D’autrestententd’apercevoircequireposesurl’étalqu’on
faitroulerversnous.Delaviandedebœuf,pourunbœufbourguignon.C’esttellementclichéquecertainsn’ontjamaispris
lapeinedelecuisinercorrectement,etdeleréussir.Évidemment,lesjuréss’attendentàcequelarecettefasseaussidesétincelles.L’Anglaise reste impassible. Un minuscule sourire flotte sur ses lèvres. Je suis certain qu’elle ne
nagerapaseneauxtroubles.Onnousbriefecinqminutessurledéroulementdel’épreuve,quiressembleàcequenousavonsdéjà
faitladernièrefois,puisc’estlesignaldudépart.NoeCooperestàlatraîne,àmescôtés.—C’estlaruéeversl’or,mec!Jesensqu’ons’éclater.Jen’ensuispassisûr...Jejetteunœilaupanierdel’Angl...deSantaquandellerevientdel’étal:navets,carotteset...Elleme
dissuadedepoursuivremonespionnaged’unregardmeurtrier.Etellesoupirequandjeprendsmesquartierssurleplandetravailplacéderrièrelesien.Jenesuis
paslàpourlamater,maisjenemepriveraipasdel’agacer.Enplus,jesuiscurieuxdevoircequ’ellevaconfectionneraujourd’hui.Lesjurésdonnentletopdépartet,dèslasecondesuivante,toutlemondes’active.Norikopassederrièreleplandetravail,avecmoi.Ellevoitlaplaquettedechocolat–paslemeilleur,
d’ailleurs.Pasdecaméraàl’horizon;elleosemefaireunclind’œilavantdem’encourager:—C’est intéressant d’utiliser du cacao, je suis curieusedevoir dequellemanière ça explosera en
bouche...Tulesaisparfaitement,envérité.Jemeconcentresurladécoupedelaviande.Lecouteaufrappeunpeutropviolemmentlaplancheen
bambou.Santa s’est retournée, elleme regarde, l’air suspicieux. Je l’ignoreet enfonce rageusement lapointedanslemorceaudebœuf.Elleenfaitautant.Lesjurésreviennentversnous,lescaméraslessuiventdeprès.Unconseil,unegrimaceetilsrepartent
aussivite.Prisdanslefeudel’action,onfiniraitpresqueparlesoublier.Presque.Jesuissurlepointdeterminerdetaillermeslégumes.Uncouteautombe.C’estceluideSanta,quiseplieendeux,ensilence.Merde!—Çava?Ellehochelatête,fermelesyeuxetsedépêched’enroulerplusieursfeuillesd’essuie-toutautourdesa
main.Samain,carrément?Les feuilles s’imbibent de sang, trop vite. Santa est devenue blanche, c’est d’autant plus flagrant
qu’ellealeteintplutôtmat.Sesyeuxsonttoujoursfermés,ellevacilleets’accrocheauplandetravail.Çanevapas!Vraimentpas!—Attends,onvafairevenirle...—Onnefaitvenirpersonne!Toutvabien!C’estsuperficiel!J’enaivud’autres.
Moi aussi,mais quandmême ! Je la fixe, abasourdi.Qui refuse qu’on lui vienne en aide dans unesituationpareille?C’est«Chef!»,pas«KohLanta»!—Jecomprimeetçavas’arrêter,dit-elleentresesdents.JefixelebandageimprovisétandisqueGaspardMalletnousrejoint.Santa est toujours aussi pâle. Elle pince ses lèvres très fort et ses yeux bleu piscine sont brumeux.
Comprenant que je ne lâche pas l’affaire, elle dessine une croix sur sa bouche avec son pouce, l’airmenaçant,avantdeseretourner.Ça,cen’estpasanglais,j’ensuissûr.—Unproblème,Santa?Ellesedépêched’enroulerd’autresfeuillesautourdesamainblessée.—J’aidérapé,maistoutvabien.Savoixestunpeutrophautperchée.—C’estuneécorchuresuperficielle.Jevaissurvivre,nevousenfaitespas!Jel’espèrebien,oujen’auraisplusaucunadversaireàmamesure.Gaspards’encontenteets’intéresseàsarecette,avecbienveillance.L’incidentestpresqueclos.Santa
seretourneunedernièrefoispourhocherlatêtedansmadirection.Merci.Pasdequoi.Maistuneperdsrienpourattendre.Elleseremetàlatâcheaveclamêmeénergie,maissesépaulessontvoûtées.Elleestgrande,etmenue,
jeneleremarquequemaintenant.L’heuretourne.Jeguetteunsignedefaiblessedevantmoi,envain.Latensionmonted’uncranquand
nous en venons au dressage.Un dressage original pour une recette des plus classiques, c’est aussi cequ’onattenddenous,autermedel’épreuve.—Top!C’estfini!Nousreculons,soulagés.Etlesverdictstombent.Monplatplaîtàtoutlemonde.CeluideNoeCooper,aussi.VientensuiteletourdeSanta,queNoriko
malmènecommeladernièrefois.Santa,quiacachésamainblesséedanslapochedesaveste...Elleestidiote,ouquoi?L’épreuveest
terminée,elleatenubon.Ilsuffiraitdeparlerpourqu’onlasoigne!Jen’aimepaslesfillesquionttoujoursraison,etencoremoinscellesquifontdestrucsdébiles,juste
parfierté.—Qu’est-cequ’ellea,PinkiePie?demandeNoequis’estrapproché.—Elles’estcoupée.J’étaiscensélafermer,maisjeneluidoisrien,àcettefille.Absolumentrien.—Etelleneditrien?—Non,elleneditrien.Elleestefficace,sexy,maisbornée,apparemment.Devantmoi,Santacache samainblesséeengrimaçant.Personnen’a rienvu,ou tout lemondes’en
fout.Lesmots tournent dansma tête tandis que ses cheveuxviolets se balancent enmême tempsqu’elle,
danssondos:Défensedeluinuire.Défensedeluirévélerlavérité.Elleseretourne,etsesyeuxclairslancentencoredeséclairs.J’aiquandmêmeledroitdeluiportersecours,non?
Couverture:©snaptitude/Fotolia
©HachetteLivre,2016,pourlaprésenteédition.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-161345-5
Neufmoisplustard
Alexandreouvrit laportedesonappartementet lançasonsacdevoyagesur lecanapéavantdes’yeffondrer, exténué. Les trente-deux heures de voyage qu’il venait de subir pour revenir d’Indonésiel’avaientvidé,tué.Mercil’alerteàlabombe!Ils’étiraetattrapasontéléphoneavecl’intentiondesecommanderunepizza.Iladoraitsonboulotde
grandreporter,toujoursdanslefeudel’actiondanslescoinslespluschaudsdelaplanètemais,parfois,ilsesentaitcomplètementlessivé!Lepireétantque,pourunefois,ilrentraitd’unreportagetranquille!Presquedesvacances…Aprèsunrangementsommaire,etunefoissapizzaavalée,ilsetraînajusqu’àsonlit,n’ôtantqueses
chaussures.Tantpispourladouche.Ilallaitdormirdeuxjours,aumoins.Ensuite,sonrédacteurenchefnemanqueraitpasdeluiassignerunnouvelobjectif,etilluifaudraitcommenceràorganisersonprochaindéparttoutenbouclantlaséried’articlesencours.Laroutine…Lorsquesonportablesonna,Alexandreeutl’impressionquesatêtevenaitàpeinedetoucherl’oreiller.
Ils’obligeaàémergerd’unsommeilbéat.—Ouais…Quoi?marmonna-t-ild’unevoixpâteuse.—Merci,Seigneur!Alexandre,c’estMamie.Est-cequetuesenFrance?—Euh…Oui.Jeviensd’arriveràParis,pourquoi?Ilyaunproblèmeavecgrand-père?demanda-t-
il,bienréveillé,enseredressantd’unbond.C’estsoncœur?—Non, tout va bien. C’est Adrien, répondit-elle d’une voix tremblante. Il a été renversé par une
voiture.Ilestàl’hôpital.—Commentva-t-il?interrogeaAlex,craignantlaréponse.—Çaal’aird’êtregrave.Tesparentssontenroutepourlevoir.—Oùa-t-ilététransporté?voulutsavoirAlexenattrapantsonblousonetsesclefs.—AuCHUdeRouen.—J’yvaisetjevoustiensaucourant.Embrassegrand-père.—Jet’enprieAlex,soisprudent,monchéri.Nevapasavoirunaccident,toiaussi.—Jeferaiattention,jetelepromets.C’étaitunepromessedepureforme.Centcinquantekilomètresàmotoalorsqu’iltenaitàpeinedebout,
celafrisaitlafolie.Maisils’agissaitdelaviedesonpetitfrère!
CommentAlexandreatteignit-ilRouensansavoird’accident? Ilauraitété incapablede l’expliquer.Son cerveau enmode « pilotage automatique » l’amena devant l’entrée de l’hôpital. À l’accueil desurgences, l’infirmière lui apprit que son frère venait d’être installé en soins intensifs au service detraumatologie.Ils’immobilisauninstantdevantlaportedelachambrepourfrottersesyeuxquibrûlaientdefatigue,
avantd’entrersansbruit.Lestoreétaitbaissépourprotégerlepatientdusoleilbrillantdecettefinmai,laissantlapiècedanslapénombre.Adrienétaitallongé,inconscient.Sousperfusion,ilportaitunmasqueà oxygène. Son bras gauche était plâtré, une minerve maintenait ses vertèbres, et un spectaculairehématomeviolacémarquaitetdéformait tout lecôtédroitdesonvisage.L’électrocardiogrammetraçaitsansrelâchelerythmedelavie.Danslefauteuilprèsdulit, tournantledosàlaporte, leurmèresanglotait,caressantlamaindeson
frère.Sonbeau-pèreluimassaitlesépaules,murmurantdesparolesderéconfort.AlexdécouvritAnaïsquipatientaitdebout,appuyéecontrelemurdanslecoinopposé.Lajeunefemme
luiadressaunregardsoulagéetreconnaissantquiluifitchaudaucœur.Quandellevintverslui,Alexfutagréablementétonnéqu’elleleserredanssesbras.Elletremblait,etuninstantilsepermitdelapressercontre son cœur pour lui communiquer sa force, lui faisant comprendre ainsi qu’il partageait soninquiétude.—Mercid’êtrevenu,chuchota-t-elleenreculantd’unpas.—Commentva-t-il?— Le bras cassé, quatre côtes fêlées, des vertèbres déplacées, mais le plus inquiétant, c’est le
traumatisme crânien. Sa tête a heurté le trottoir, expliqua-t-elle d’une voix basse, chargée d’angoisse.Nousattendonslesrésultatsduscanner.Sesentantmaladroit,Alexandreluipressalamainensignederéconfort.Iln’avaitjamaisététrèsdoué
pour ça,mais pour elle il était prêt à faire des efforts. Rassemblant son courage, il s’avança dans lachambre,posantaupassagesoncasquesurlapetitetableroulante.—Maman?murmura-t-ilens’agenouillantdevantMaryse.Samèrebattitdescilsetmitunmomentavantdetournerlatêteverslui.—Oh…Alexandre…Son regard trouble, perdu, retourna se souder au visage immobile et égratigné d’Adrien. Jean-Paul
tendit lamain à sonbeau-fils qui se relevait et la serra chaleureusement,manifestementheureuxde levoir.—Mercid’êtrevenuaussivite.Adrienseracontentdetevoiràsonréveil.Il…—Cen’estpasjuste,marmonnaMaryse.— Que dis-tu, ma chérie ? demanda-t-il en s’agenouillant à son tour devant son épouse dont
l’immobilitéetlevisagedéfaitl’inquiétaient.—Jedisquecen’estpasjuste!répéta-t-elleensetournantverseux,lesyeuxpleinsdelarmes.Adrien
étaitsurlepassagepiéton.Ilfaittoujourstrèsattention!—Unaccidentn’estjamaisjuste,luifitremarqueravecdouceursonmarienluicaressantl’épaule.Ça
arrive.C’esttout.—Toiettamauditelogique!s’exclama-t-elleavecviolenceensedégageant.Pourquoicen’estpaslui
quiaétéblessé?Alexandresursauta.
—Pardon?—Tuastoujoursfaitl’imbécile,quecesoitenvélo,enskateouavectasatanéemoto.Tuprendsdes
risquesinsensés.Tuvasdanslespayslesplusdangereuxdumonde,etilnet’arrivejamaisrien!—Tupréféreraisquecesoitmoidanscelit,pasvrai?s’écria-t-il,ulcéré.PastonprécieuxAdrien,
non!Maistasaloperiedebâtard,pasdeproblème.Là,tuseraiscontente!Tuseraisenfindébarrasséedemoi.—Je…Je…—Putain,maisqu’est-cequejefouslà?Pourquoijesuisvenu?Maisquelcon!Alexandreattrapasoncasqueetsortitentrombedelachambre.—Rattrape-le!ordonnaJean-PaulàAnaïstoutensaisissantàbras-le-corpssafemmequis’effondrait,
victimed’unmalaise.
*
Lajeunefemmen’avaitpasattendupourselanceràsapoursuite.EllesavaitquesiAlexandrepartaitmaintenant, ilsnelereverraientjamais.Surtout,elleleconnaissaitassezbienpouravoirvusafatigue,son épuisement. Elle avait aussi compris la profondeur de son désespoir. Les paroles de sa mère lerenvoyaientàbiendesévénementsanciens–àcettepeurdenepasavoirétéaiméquileminaitetqu’iln’avouerait jamais. Si elle n’arrivait pas à l’empêcher de prendre la route sur son engin infernal, ilrisquaitdesetuer,etpeut-êtrepasparaccident…Anaïsdutcourirpourlerejoindredanslehall.—Alex!Arrête,attends-moi.—Fous-moilapaix!Vavoirtonchéri,répliqua-t-ilenl’écartantdesonchemind’ungestebrusque.Lajeunefemmehésitaunefractiondeseconde.Alexandreladépassaitdeplusdevingtcentimètreset
devaitpeseraumoinstrentekilosdeplusqu’elle…Malgrétout,elles’élança,lecontournaetsejetadetoutessesforcescontrelui, l’épauleenpremier.Elleeut l’impressiondeheurterunmurenbétonetseretrouvaprojetéeenarrière,surlecarrelageduhall.Deuxsecondesplustard,elleentenditAlexsoupirer,etlevitrevenirsursespas.Ilsepencha,lasaisit
parlecoudeetlaremitsurpied.—Tuessayaisdefairequoi,là?—Deprouverque jepeuxêtreaussi têtueque toi, ronchonna-t-elleense frottanténergiquement les
fessespouratténuerladouleurduchoc.Elleretintunsouriredesatisfaction.Elles’étaitfaitmalmaiselleavaitréussiàlestopper.—Tuasbesoindetecalmer.Viens,nousallonsnouspromener,proposa-t-elleens’accrochantàson
brasetententantdel’entraîner.—Jevaisrentrerchezmoi,dit-ilensedégageantavecunecertainedouceur.Jen’aiplusrienàfaire
ici.DisàAdrienquejeluisouhaiteunbonrétablissement.Vivecommel’éclair,Anaïsluiarrachasoncasquedesmains.—Tunecroispasquejevaistelaisserreprendretamotodansl’étatoùtues?Tutiensàpeinedebout.—Rends-moimoncasque!—Non!répondit-elleenlepassantdanssondosetenreculantd’unpas.
—Jepourraislerécupérertrèsfacilement,fitremarquerAlexavecunsourireencoin.—Tupourrais.Saufquetun’utiliseraspaslaforcecontremoi.—Tuesbiensûredetoi.—Jeteconnais.Maisjesuissympa,jetelerendraicontreuncafé.—D’accord,maispasici.J’aibesoindeprendrel’air,concéda-t-il.Alexandreavaitaussibesoindesedétendre,deréfléchir.Dumoinsautantquesonextrêmefatiguele
lui permettait. Son instinct l’avait poussé à accepter, et pas pour qu’Anaïs lui en dise plus sur l’étatd’Adrien.Ilvoulaitjusteêtreprèsd’elleunpetitmoment.Tuessado-maso,monvieux,sedit-il.Tuaimestefairedumal.Ilssortirentdubâtiment,traversèrentleparking,puisremontèrentlarueetmarchèrentunpetitmoment
ensilence.Alex n’était pas revenu à Rouen depuis longtemps. La restauration du centre historique médiéval
progressait.LeurspaslesguidèrentverslapartiepiétonnedelarueEaudeRobec.D’uncommunaccord,ilss’installèrentàunetabledecafésurl’undespetitspontonsàfleurd’eauquifaisaientlecharmedel’endroit.Attendantleserveur,ilsrestèrentsilencieux,chacunperdudanssespensées,profitantdusoleiletd’unepaix illusoire.Alexsentait l’épuisementpesercommeunechapedeplombsur sesépaules. Iln’arrivaitmêmeplusàréagirauxparolesdesamère,nimêmeàlaprésenced’Anaïsprèsdelui.Ilsesentaitanesthésié.
*
La jeune femme observait avec attention l’homme assis en face d’elle, sa curiosité opportunémentmasquéeparseslunettesdesoleil.Alexandrepassasacommande–undoubleexpressotrèsserré–d’unevoixatone.J’aibienfait,songea-t-elle.Ilestàboutdeforces.Ellenesavaitpascequ’ilavaitfaitpourêtredanscetétat,maisellenedevaitpaslelaisserrepartir.
Mêmesielleluienvoulaittoujours,mêmesielleavaitjurédel’oublieretdeneplusjamaislelaisserapprocher d’elle, Anaïs ne pouvait pas accepter qu’il prenne de tels risques. C’était une question deprincipe.Étonnamment,Alexandre n’avait pas beaucoup changé en cinq ans, justemûri. Il n’avait jamais été
beauausensclassiqueduterme.Ilavaitunvisagecarré,dur,quilaissaitdevineruncaractèredifficile.S’ilavaitdebeauxyeuxclairs,d’unagréablebleu-vert,cequ’onremarquaitchezluiaupremierabord,c’étaitsacarruresolide,satailleau-dessusdelamoyenne.Seulement,siparmalheurilsedécidaitàseservirdesonsouriremalicieuxdontiljouaitàmerveille,ilétaitcapabled’embobinern’importequi…Elle,lapremière.Maisaujourd’hui,ilétaitépuisé.Ilfermaitparfoislespaupièresetsemblaitavoirdumalàlesrouvrir.
Descernesprofondsetnoirsmarquaientsesyeux.Unpliameraucoindesabouchedurcissaitencoreunpeuplussestraits.—Depuisquandn’as-tupasdormi?demanda-t-elle,rompantenfinlesilence.—J’aipioncéuneheureoudeuxenarrivantàParis,cematin.—Tun’avaispasdormidepuiscombiendetemps?insista-t-elle.—J’aidûdormirsixheuresentroisjours,avoua-t-il.JerentredeDjakarta.Nousavonseuunealerteà
labombe.Levoyageadurédixheuresdeplusqueprévu.—Ettunedorstoujourspasenavion,conclutAnaïs.Machinalement,Alexhochalatêteetregardasamontre.Ilmarmonnaunjuron.—Quelleheureest-il?demanda-t-ilenladétachantpourlarégler.—15h10.Tuvasvenirchezmoi,noussommesàdeuxpas,et tuvasdormir.Jenete laisseraipas
repartir,sinon.Tun’espasenétatdeprendrelaroute.
*
Alexandresoupira,maisneréponditpas.Iln’avaitpasenviedevoirlepetitnidd’amourquelafemmedesesrêvespartageaitavecunautrehomme,fut-ilsonfrère.Seulement,ilétaitaussiconscientd’êtreàdeux doigts de s’endormir la tête sur la table.Reprendre samoto serait suicidaire et, à cet instant, iln’avaitpaslecouragedesechercherunhôtel.Pourlapremièrefoisdesavie,ilregrettadenepasavoirdevoiture.Aumoins,ilauraitpus’yinstallerpourfairelasieste.—D’accord,accepta-t-ilenfin,résigné.AlexsavaitAnaïscapabledesemontreraussitêtuequeluidanscertainescirconstances.Àencroire
sonregardbraquésurlui,c’étaitlecasaujourd’hui.Ellenecéderaitpas…Ilsfinirentleurcafésanssepresser.Aufond,Alexandreavaitenviedes’attarderausoleil,enterrasse,
aveclafilledesesrêves–unesortedevisiondecequiauraitpuêtredansuneautrevie…Ilnesavaitpas ce que pensait Anaïs, mais elle ne le bousculait pas et ne semblait pas pressée de retourner àl’hôpital.Ilsrestèrentainsi,partageantunlongsilencepresquecomplice.C’estAlexqui,sentantsesdernièresforcesdécliner,pritl’initiativedeseleverlepremier.Ilattrapa
soncasque.—Jetesuis,dit-ilàAnaïsenseforçantàsourire.Ilsnemirentquequelquesminutesàatteindrelevieilimmeubleàcolombages,àproximitédel’église
Saint-Maclou, où se situait le logement de la jeune femme, audeuxième étage sans ascenseur.L’effortachevaAlexandre.Plein de caractère avec ses poutres apparentes et sa cheminée dans le salon, l’appartement était
chaleureux,meublédanslestyle«étudiantsunpeufauchés».Sedispensantdelatraditionnellevisitedeslieux,AnaïspilotaAlexandreverssachambre,aufonddu
couloir. Il aurait dû refuser, insister pour dormir sur le petit canapé qu’il avait entrevu par la porteouverte du salon – il avait connu pire –,mais un instinct plus fort que la faible voix de sa raison lepoussaitverslelitdelajeunefemme…commeautrefois.—Jetelaissedormir.Jevaisretourneràl’hôpital.—Tumetiensaucourant?—S’ilsepassequoiquecesoit,jet’appelleaussitôt.Situenasbesoin,monnumérodeportableest
notésurlecarnetàcôtédutéléphone,dansl’entrée.Jelelaisseraienvibreur.—D’accord,acquiesça-t-il,conscientd’êtrehagard,lesyeuxfixéssurl’oreiller.Anaïsfermalesvoletsdeboisgrinçants,etAlexlavitl’observerpours’assurerqu’ilallaitbienlui
obéiretsecoucher.—Nemeregardepascommeça.
—Tu as une tête de zombie. Tu pourrais jouer dansWalkingDead sansmaquillage. Avant, mêmequandturentraisdebringue,tun’étaispasaussiravagé.—Jevieillis,rétorqua-t-il.Maintenant,espècedepeste,ilfautquejedorme.Elleavaitàpeinefermélaportedelachambrequ’illaissatombersonblousonencuirsurlesol.Son
tee-shirtsuivitlemêmechemin.Ilfaillitavoirunvertigeensepenchantpourretirerseslourdesbottesdemoto.Ils’effondraensuitesurlelit.Tirantlacouettesurlui,Alexs’endormitdanslasecondesuivante,baignéparunparfumqu’iln’avaitjamaispuoublier.
Anaïsrefermalaportedel’appartementsansbruitensedemandants’ilétaitbiennécessairequ’elleprenneautantdeprécautions.Ellen’avaitpasmenti:Alexavaitunetêteàfairepeur,ilétaitalléau-delàdesesforces.Mêmelecaféenintraveineusenepouvaitplusrienpourlui.Ildevaitdéjàdormir.EllepréféranepaspenseràAlex,àsoncorpsmuscléallongédanssonlit,aumilieudesesoreillers.
Celaréveillaitdessouvenirsquiluifaisaientencoreétonnammentmalmalgrélesannéesécoulées.Ellene voulait pas se remémorer ce qu’ils avaient partagé d’heureux – pendant des années d’amitié et decamaraderieetpasseulementdurantlestroissemainesdeleurliaison–etserralesdentsaveccolèreensentantunfrissonlaparcourir.Unefoisdanslarue,lajeunefemmeremitseslunettesdesoleiletrepritlechemindel’hôpital.Elle
n’avaitaucuneenvied’yretourner.Elleavaitsipeurpourlavied’Adrienqu’ellesentitdeslarmesluibrûler les yeux.Allait-il s’en sortir ?Aurait-il des séquelles ?L’avenir lui paraissait soudain sombrealors même que ce matin, ils avaient pris leur petit-déjeuner ensemble, faisant des projets pour lesvacances,heureux,insouciants.Toutavaitbasculéenunefractiondeseconde…Etpuis,Anaïs admettait ne pas avoir envie devoirMaryse.Elle nevoulait pas être obligéede lui
parlernidesemontreraimableaprèscequesabelle-mèreavaitosédireàAlex.Elleavaitgrandidanslamaisonvoisine;toutesonenfance,elleavaitvucettemèrequinecachaitpas
sonadorationpoursoncadet–àquiellecédaittout–,etsedisputaitsanscesseavecl’aînéàquiellenepardonnaitpaslemoindreéchec.EtpourtantAlexandreéchouaitrarement.Lamèreetlefilsavaientlemêmecaractèreentier.Dedifficile,leurrelationétaitdevenueconflictuelle
quand Alex avait découvert la vérité sur ses origines et cherché à connaître le nom de son pèrebiologique.Commentlesdeuxfrèresn’enétaient-ilspasvenusàsedétester?Adrienadoraitsonfrèreaîné,qu’il
considéraitcommesonmodèle.Alexandrecouvaitsonpetitfrère,leprotégeantets’ingéniantaussiàluiapprendretoutcequ’ilsavait–surtout lepire–,àcommencerparlesgrossièretésquandAdrienavaittroisans!La présence de Jean-Paul avait sans doute beaucoup joué. Lui avait essayé de ne jamais faire de
différenceentrelesgarçons.Mais,tropgentil,tropbonnepâte,iln’avaitpastoujourseulederniermotcontresafemme.Leplusgrandregretd’Anaïs,cequ’ellesereprocheraitjusqu’àlafindesesjours,étaitquelesdeux
frèressesoientbrouillésàcaused’elle.EllesavaitàquelpointAlexandremanquaitàAdrien,mêmes’ilenparlaitrarement.Elleétaitpersuadéequelaréciproqueétaitvraie.Sinon,Alexserait-ilvenusiviteenapprenantl’accident?Arrivée à l’hôpital, la jeune femme passa la tête dans l’entrebâillement de la porte. Jean-Paul, en
l’apercevant,selevaetjetaunregardinquietverssonépouseavantdesortirdanslecouloir.Assiseprès
d’Adrien,Maryse lui tenait toujours lamain, les yeux dans le vague, comme perdue dans sonmondeintérieur.Illarejoignit,fermantlebattantderrièrelui.—Commentva-t-elle?demandaAnaïsparpolitesse.—Elleaeuunecrisedenerfs.Lemédecinluiadonnédescalmants.Ilvoulaitquejelaramèneàla
maison mais elle refuse de s’éloigner d’Adrien et… elle a réclamé Alexandre. Je n’ai pas vouludéclencherunesecondecriseenessayantdelacontraindreàrentrer.Vousauriezdû,songeaAnaïsavecrancune.Vousaveztoujoursététropgentilaveccettegarcesans
cœur.Vousêtestropmou.Jean-Paulsefrottalevisageàdeuxmains;lasituationsemblaitledépasser.—Àpartça,ellen’aplusditunmot.D’ailleurs, j’étais très inquietdenepas tevoir reveniravec
Alexandre. Je voulais t’appeler, et je l’aurais fait s’il n’avait pas d’abord fallu que je m’occupe deMaryse.Commed’habitude!seretintdericanerAnaïs.La jeune femme s’obligea à revenir à plus demodération :Adrien était dans le coma, et Jean-Paul
s’inquiétaitpourAlex–lui!—Jel’aiinterceptéaurez-de-chaussée,lerassura-t-elle.Jel’aiconvaincud’allerprendreuncafé,et
j’airéussiàlepersuaderd’allerdormirquelquesheureschezmoi.—Pourquoi?—Ilestarrivéd’Indonésiecematin.Ilestvenuicidèsquevotremère l’aappelé.Iln’apasdormi
depuistroisjours.—Seigneur…Jepréfèrenepaspenserauxrisquesqu’ilaprispourfairelaroute.Jean-Pauls’appuyalourdementcontrelemuretsemassalestempestoutenfermantlesyeux.— J’ai peur pour la vie demon fils et je ne sais plus quoi faire au sujet d’Alexandre, avoua-t-il
soudain.Quand j’ai rencontréMaryse,Alexn’avait pas encore un an. Je l’ai adopté, je l’ai élevé. Jel’aimeautantqu’Adrien.Tumecrois,n’est-cepas?—Oui…Jelesais.En partie calmée,Anaïs le regarda avec une certaine tendresse.Cet homme était une crème.D’une
gentillesse extrême, il était d’humeur toujours égale et avait été sincèrement désespéré par le départd’Alexandre.—Quelpèrepourraitnepasêtrefierd’ungarçoncommelui?Anaïsneréponditrien,carlaquestionn’enétaitpasune.Alexandreavaitétéunélèvebrillant–même
s’il faisait le pitre et laissait croire qu’il était un cancre –, un sportif accompli. Jean-Paul, ancientroisièmelignelui-même,l’avaitinscrittrèsjeunedansunclubderugby.Àsagrandefierté,Alexavaitjoué jusqu’au niveau des championnats universitaires. Son physique lui aurait peut-être même permisd’envisagerunecarrièreprofessionnelles’iln’avaitpastoujourseupourambitiondedevenirjournaliste.Passionnédemécanique,Jean-Paul l’avaitaussi initié très jeuneauplaisirde lamoto.Dèsqu’ilen
avait eu l’âge, il lui avait offert une petitemoto de cross. Tous deux avaient de nombreuses passionscommunes.D’ailleurs,Anaïsavaitsouventsoupçonnéquecetteproximitédansleursgoûtsétaitunedescauses des problèmes dans leur famille. Elle se souvenait très bien deMaryse accusant sonmari denégligerlepetitAdrienauprofitd’Alexandre.Adrien,quiaimaitlanatationetladanse,s’étaitastreintàassisterauxmatchsdesonfrèrependantdes
annéesparamitiépourelle,pourqu’ellepuisseentrevoirsongrandamour.Adrienn’aimaitpasnonpluslamécanique,ni lesvoitures–etencoremoins lesmotos–,n’avaitpassésonpermisdeconduirequecontraintetforcé,deuxansauparavant,pourpouvoirdécrocherunstage,puisunjob.Ilyalongtempsqu’AnaïsavaitcomprisqueMaryseavaiteupeurquesonmaripréfèrel’enfantd’un
autreàsonproprefils,etqu’ilnenégligeAdrien.Unecrainteinjusteetinfondée,dontAlexandreavaitpayélesconséquences.Adrien, même placé devant la réalité des faits, refusait d’incriminer sa mère. Il lui trouvait de
nombreuses excuses, l’inflexibilité du caractère d’Alexandre venant en tête de liste, suivie de sonincroyablecapacitéàfairesortirdesesgondsn’importequelêtrehumain–àcommencerparsamère–quandildécidaitdeseconduirecommeunemmerdeur.LemêmeAdrienquiseplaignaitquesamèrelecouvaitàl’excès,luiinterdisant,parexemple,d’aller
encoloniedevacancesàcausedesasanté«tropfragile».Ellecontinuaitencoreaujourd’hui,appelantaumoinsdeuxfoispar jour,débarquantchezeuxà l’improvistepour leur livrerde«bonspetitsplatsmaison»,cequiavaitledond’exaspérerAnaïs.Sans s’en rendre compte, au fil des années,Maryse avait endurci son fils aîné.Elle avait créé une
rivalitéentrelesdeuxfrères,quis’adoraient.ElleavaitaussiréussiàfairefuirAlexandrecefameuxsoirdedispute.Malheureux,Adrienl’avaitracontéàAnaïs.—Tuneterendspascompte!luiavait-ildit.Ellenesavaitpaspourquoinousnousdisputions.Ellea
débarquédanssachambreenl’accusantd’êtreinsupportable.Qu’ildevaitarrêterdemepourrirlavieàlamoindreoccasion.Ilssesontengueuléscommejamais.Elleluiaditdepartirs’iln’étaitpasheureuxàlamaison,qu’elleneleretenaitpas.Etmonfrèreestparti!Toutcequemamèreatrouvéàdire,c’est:«Ilreviendraquandilseracalmé».Maisjeleconnais:Alexesttêtucommeunemule.Cettefois,c’estallétroploin,ilnecéderapas,ilnereviendrapas…D’impuissance,Adrienavaitdonnéuncoupdepoingdanslemur,etAnaïsavaitcomprisqu’elleaussi
avaitperduAlexandrece soir-là.Lapetitepartd’espoirqui avait survécudans soncœur, celuid’uneréconciliationencorepossible,étaitmorteàcemoment.
*
Jean-Paulseredressaetpassalamaindanssescheveux,hagard.—Combiendefoisai-jeessayéd’ouvrir lesyeuxdeMarysesur lefaitqu’elleétaitplusdure,plus
intransigeanteavecAlexandrequ’avecAdrien? reprit-il, faisant échoauxpenséesde la jeune femme.Combiende fois ai-je dû intervenir pour essayer de rétablir l’équilibre entre les garçons ? Jene saismêmeplus.Maiscequ’elle luiaditaujourd’hui, riendeceque jepourraisdireoufairene l’effacerajamais.—J’enaipeur.—ElleaimeAlexandre…passionnément,n’endoutejamais,maisjenecomprendspaspourquoielle
estincapabledeleluimontrer.—Jenelecomprendspasnonplus,réponditAnaïs,dubitative.— Savais-tu qu’elle collectionne tous les articles qu’il publie ? Elle est abonnée aux différents
magazines pour lesquels il écrit. Elle a aussi un pseudo pour pouvoir le suivre discrètement sur lesréseauxsociaux.Quandilestdansdeszonesdeguerres,jevoisbienqu’elleestinquiète:ellenedortplustantqu’iln’indiquepassursapagequ’ilestrentré.
—Ellelecachebien!neputs’empêcherdedireAnaïs,surpriseparcesrévélations.Unsilencesongeurtombaentreeux.—Ilfautyretourner,finit-ellepardire.—Jecroisqu’illefaut…Jepasseraichezvouscesoir.Ilfautquejem’expliqueavecmonfils.Cette
situationnepeutplusdurer.Tupensesqu’ilseraencorelà?—Ilseralà,j’ensuiscertaine,réponditAnaïs.Jepensemêmequevouspourrieznevenirquedemain
matin,quandilaurarécupéré.Ellesortitdesapocheuntrousseauqu’elleagita.Lesclefsd’Alexandre!Jean-Paulhésitauninstant,
puisleluipritdesmains.—ResteavecMaryseetAdrien,s’ilteplaît.Jevaisconduirelamotodanslacourdetonimmeuble.Il
vautmieuxqu’ellenepassepaslanuitsurleparkingdel’hôpital.Alexnesupporteraitpasqu’onluivoleouqu’onluiabîmesonbébé.Unefoisdehors,ileutunehésitation,maislesiglesurlacléluipermitd’identifierlanouvellemoto
d’Alexandre. Ce n’était plus la très belle Honda VFR800F noire qu’il avait admirée en septembredernier–etqu’illuiavaitproposéd’essayeràl’insudeMaryse.LuiseulsavaitqueJean-Paulavaitcédéà savieille passion en s’offrant un run sur l’autoroute, aumépris de ses points de permis.Alexandreavaitchangédemodèle.IlroulaitsurunemagnifiqueDucatirouge,une1299Panigale.Cetengin,dontilavaitluledescriptiftechniquedanslesmagazinesspécialisés,étaitunmonstredepuissance.Quesonfilssoitarrivéenunseulmorceaudansl’étatdefatigueoùilsetrouvaitrelevaitdumiracle.N’ayant pas de casque, Jean-Paul fit bien attention de ne pas se faire remarquer sur le court trajet
jusqu'àl’appartement,danslelabyrinthedesruesdelavieilleville.Ilsegarahorsdevue,etremitenplacel’imposantantivolsurlamachine.Ils’autorisaquelquesminutesderêve,admirantcetteformidablemécanique,échappantainsiàladureréalité:undesesfilsàl’hôpital,lemalaisedesafemme,safamilledéchiréeparunconflitqu’ilétaitimpuissantàrésoudre.SiaumoinsilparvenaitàconvaincreAlexandredesemontrermoinsinflexible,plusconciliantavecsamère…Marysesemontreraitplusaimante,ilenétaitcertain.Quand,vingtminutesplus tard, il entradans la chambred’Adrien, sa femmeétait à lamêmeplace,
danslamêmeposition.Anaïsselevaetvintàsarencontre.—Desnouvelles?demanda-t-ilàvoixbasse.—L’interneestpassé. Iladitque leneurologueavaitétudié lescanner. Ilest trop tôtpourmesurer
l’ampleurdesdégâts,àcausedel’hématome.Pourl’instant,laseulechosequenouspouvonsfaire,c’estattendreencroisantlesdoigts.—Jevoudraisvoirleneurologue.—J’enai fait lademande. Ilsdoivent refaireunscanneràAdriendemainmatin. Ilvousrecevraen
débutd’après-midipourfaireunbilancomplet.—Etelle?—Ellem’ademandéoùétaitAlexandre.—C’estdéjàunprogrès.Anaïssecouanégativementlatête,l’airdésolé.—Quoi?—Elle…Lajeunefemmehésitaetbaissaencorelavoix.
—Elle a dit qu’il n’avait pas daignévenir voir son frère…qu’il n’avait aucun sensde la famille.Commesielleavaitoubliélascènedetoutàl’heure.—Seigneur,soupira-t-ilensepinçantlesailesdunez.Anaïsnementionnapas l’autrephrasedeMaryse.« Ilnevautpasmieuxquesonpère», avait-elle
lâché.Intriguéeetcurieuse,Anaïsavaitalorstentésachance.—Maisdequiparlez-vous?Quiestlepèred’Alex?Mais Maryse était déjà retombée dans son état catatonique, et n’avait plus prononcé un seul mot
depuis.
Alexandreseréveillaensursaut.Ils’assitaumilieudulit,repoussantlacouettequil’étouffait.Ilmitplusieurssecondesàémergeretàsesituer,luiquiétaitpourtanthabituéauxréveilsintempestifs.Enfin,ilse souvint d’où il se trouvait :Rouen.La chambre d’Anaïs.Le lit d’Anaïs…C’est sans doute ce quiexpliquait le rêveérotiquequi l’avait tirédusommeilet l’inconfortqu’iléprouvait, serrédans le jeanqu’iln’avaitpasôtéavantdes’endormir.Ilpivotaetposalespiedsparterre,cherchantàtâtonsl’interrupteurdelalampesurlatabledechevet.
Unelumièretamiséeserépanditdanslapièce.Uncoupd’œilàsamontreluiappritqu’ilétaitplusde21heures.Bonsang!pesta-t-ilenpassantlesmainsdanssescheveuxtroplongs.Aveccemauditdécalagehoraire,ilétaitcomplètementdanslecirage.Ilsefrottalesyeux,puispritle
tempsd’examiner ledécor, auquel il n’avaitpasprêté attentionavantde s’effondrer.Lachambreétaitpetiteetplutôtféminineavecsahoussedecouettemauveetlesbibelotsdanslabibliothèque.C’étaitsanslemoindredouteunechambreoùvivaituneétudiante:unordinateurétaitposésurlebureau,encombréde livres etdeclasseurs.Alexandre savaitqu’Anaïs terminait cette année sa secondeannéedemastercommunication.Il avait aussi appris qu’Adrien avait trouvé du travail l’année précédente, après l’obtention de sa
licence.Ilétaitadjointauresponsabled’unegrosseenseigned’électroménagerencentreville.MerciMamie,pensa-t-il.C’étaitsagrand-mèrequiletenaitaucourantdetouscesdétails.QuandAlexandreappelaitsamère–
jamais l’inverse–,ellesecontentaitdeluidemanderdansquelpayspourri ilcomptaitencoreallersetraîner.Ellenel’interrogeaitpassursasanté,sursesprojets,neluidemandaitmêmepass’ilavaitunepetiteamie–questionàlaquelleiln’auraitpasrépondudetoutefaçon.Coupantcourtàcespenséesdéprimantes,Alexandreattrapasontee-shirtetl’enfila.Ilpritletempsde
posercorrectementsonblousonsurledosdelachaisedubureauetdeglissersesbottesendessous.Parcuriosité–etparhabitudeprofessionnelle–, ilexaminalesobjetsexposéssur lesétagères. Ily
avaitplusieursphotosdelafamilled’Anaïs,etuneseuleoùlajeunefemmefiguraitavecsonfrère.Elleestencoreplusjoliequ’avant,songea-t-ilencaressantleverreduboutdudoigt.Bizarrement,poséeà côtédece cadre, se trouvaitunepeluche. Il se souvenait trèsbiendecegros
nounoursduveteuxqu’AnaïsavaitbaptiséCaramelenraisondesacouleur.Ill’avaitgagnépourelleàlafoireSaintRomain,austanddetiràlacarabine.Elledevaitavoirdixansàl’époqueetcelaavaitcoûtéàAlex l’intégralitédesonargentdepochedumois,maisAnaïsvoulait si fortce jouet,elleavaitétésiheureusequandilleluiavaitoffert!Elleluiavaitsautéaucoupourl’embrasseretleremercier.Ilsouritàceprécieuxsouvenir:illuicédaitdéjàtoutàcemomentlà.Unregarddesesbeauxyeux,un
sourire,etellepouvaittoutobtenirdelui.Leplusamusantétaitqu’ellenes’enétaitjamaisrenducompte.
C’étaittoutdemêmeétonnantqu’elleaitencorecetours…Àlaplaced’Adrien,iln’auraitpasacceptéquesacompagnemetteensibonneplace,dansleurchambre,unsouveniraussivisible–etsymbolique–d’unex-petitami.Alexandre se frotta énergiquement le visage et les cheveux pour essayer d’émerger du coaltar dans
lequelilétaitenglué.Sonestomacgargouilla,luirappelantqu’iln’avaitpresquerienavalédelajournée.Entendantunmurmuredevoix,ilseditqu’Anaïsétaitrentréeetdevaitregarderlatélévision.Ouvrantlaporte de la chambre, il se figea sur le seuil, bien réveillé cette fois :Anaïs était debout aumilieudusalon,danslesbrasd’unhomme!Unevagued’émotionviolenteparcourutAlexandre.Ilserralespoings,pris d’une colèremeurtrière à l’idée que la jeune femmepuisse tromper son frère –mais aussi d’uneviolentepulsiondejalousie.—Jedérange?lâcha-t-ilenentrantaupasdechargedanslesalon.—Alex!Tuesdéjàréveillé!s’exclamalajeunefemmeenseretournant.Elleneparaissaitpaséprouverlamoindreculpabilité.Ellesemblaitmêmecontentedelevoir.—JeteprésenteDenisAgostini,notrecolocataire,annonça-t-elle.C’estluiquidortdanslachambre
enfacedelamienne.Denis,jeteprésenteAlexandre,lefrèred’Adrien.LedénomméDenisétaitungarçoncharpenté,detaillemoyenne,auvisageagréable.IladressaàAlex
unsourireincertainenluitendantlamain.Celui-cilaserra,plusfortqu’ilnel’auraitdû.Voyantsonvis-à-vis réprimerunegrimace, il seditqu’ilavaitexagéré,cequine l’empêchapasderemarquerque lejeunehommetremblaitetquesesyeuxsombresbrillaientunpeutrop.Denissemblahésiteruninstantavantdesedécideràs’asseoirsurlecanapé;ilserraitsesmainsl’une
contrel’autrecommepoursedonnerunecontenance.—CommentvaAdrien?demandaAlexandreens’appuyantaumur,brascroisés.— Pas grand-chose de nouveau, répondit Anaïs en s’asseyant elle aussi. Je suis restée à l’hôpital
jusqu’àlafindesvisitesavectesparents.Toutcequelesmédecinsontpunousdire,c’estqu’ilsvontfaire un nouveau scanner pour évaluer l’étendue de la commotion cérébrale et que, d’ici là, il fautattendre.Du coin de l’œil,AlexvitDenis blêmir et baisser la tête, fixant le sol,mais sans faire lemoindre
commentaire.—Ilsnousontditderappelerdemainvers9heuresaubureaudesinternes.Ilsnousdirontcomment
Adrienapassélanuit,poursuivit-elle.Alexandre rêvait de partir, de reprendre sa moto et de retrouver le cours normal de sa vie mais,
maintenantqu’ilétaitcalmé,ilsesentaitl’obligationd’attendreaumoinsjusqu’àcequelesmédecinsseprononcent.Celaallaitlecontraindreàresterquelquesjours.Côtéboulot,cen’étaitpasunproblème,ilavait des congés à prendre. En revanche, côté famille… Sans compter qu’il allait devoir demanderl’hospitalitéàAnaïsetDenispourcettenuit.Ilétaittroptardpourselanceràlarecherched’unechambred’hôtel.L’idéed’allerdormirchezsesparentsneluitraversamêmepasl’esprit.Si rester à l’appartement était la solution la plus simple, Alexandre savait que ce n’était pas pour
autant une bonne idée. Il doutait de ses capacités de résistance, surtout avec la fatigue qui leminait.Soumisàlatentation,iln’étaitpascertaindepouvoirgardersonsecrettrèslongtemps,alorsqu’Anaïsserait là, toutprèsdelui.Seulement,s’ilparlait, ilseconduiraitcommeunvéritablesalaud.Tenterderécupérerlapetiteamiedesonfrèrealorsquecelui-ciétait inconscientsurunlitd’hôpital,n’étaitpashonorable. C’était même immoral à ses yeux. Car, quoi que puisse en dire sa mère, Alexandre avait
certains principes…Legenre de principes qui n’avaient pas étoufféAdrien quand il lui avait volé lafemmedesavie.Sonestomacgargouilladenouveau,lerappelantàl’ordredespriorités.—Celanevousembêtepassijefaisunedescentedansvotrefrigo?—Nousallons t’accompagner.Nousn’avonspasmangénonplus, acquiesça-t-elle enprécédant les
deuxhommesdanslaminusculecuisine.
*
Tout en mettant de l’eau à chauffer pour faire cuire des pâtes, Anaïs observa du coin de l’œilAlexandrequiaidaitDenisàmettrelatable.Ildevaitsesentirmieux,maisdescernesnoirsmarquaienttoujours sonvisage, et ses traits étaient tirés.Elle s’attendrit : en chaussettes, il était nettementmoinsimpressionnant…—Merde!s’exclamasoudainAlex.J’ailaissémabécanesurleparkingdel’hôpital.—Tonpèrel’aconduiteici.Elleestdanslacour,derrière.Illâchaunsoupirsoulagé,ensepassantlesmainsdanslescheveux.—Jepréfèreça.—Qu’est-cequec’est,commemodèle?demandaDenis,soudaintrèsintéressé.Pendantquelesdeuxhommesparlaientmécanique,Anaïsversaladosehabituelledepâtespourtrois,
hésita,puisvidatoutlepaquetdanslacasserole.Sielleavaitbonnemémoire,Alexavaitunsolidecoupdefourchette;lesprovisionsdelasemainerisquaientd’enprendreuncoup.Lessteakshachéssurgelésmisàgrillerdanslapoêle,elles’assitàtable,écoutantlesdeuxhommes
parler fourche télescopique et freins au carbone.Elle ne put s’empêcher d’observer à la dérobée sonancienpetitami,hésitantàaborderlesujetquilapréoccupaitpresqueautantquelasantéd’Adrien.Ellen’avaitpasenviedesedisputeraveclui,maisilallaitbienfalloirquequelqu’unparleàAlex…Elleprofitad’unblancdanslaconversationausujetdescarburateurspourselancer.—Tamèren’allaitpasbiendutout.—Sansblague!lanarguaAlexenlafixantdroitdanslesyeux.Sonpetitchérid’amourestàl’hosto.
C’estlafindumonde,pourelle.Enuneseconde,ilavaitchangéd’attitude.D’amicaletsouriant,sonvisageétaitdevenudur,cynique.
Anaïssoupira.ElledevaitcalmerAlexandre–mêmesi,aufond,elleétaitplutôtdesoncôté–,l’ameneràfairelapaixavecmère,aumoinsenapparence.Sanscelal’ambianceautourdulitd’Adriendanslesjoursàvenirseraitirrespirable.—Ellenepensaitpascequ’ellet’adit,tenta-t-ellesansgrandeconviction.—Maisbiensûr,commeàchaquefois!—Surlecoup,ellen’apasmesurélaportéedesesmots,etmaintenantelle…—Maisbiensûr!répéta-t-il.Onvamedemanderdepardonner.Commed’habitude.D’êtreungentil
filscompréhensif.Commed’habitude.—Elleaeuunmalaisequandellearéalisécequ’ellet’avaitdit.Sansréfléchir, la jeunefemmeavaithaussé le ton ;Alexandres’était redressésursachaisepour lui
faireface,furieux.Ilss’affrontaientduregard.
*
Oublié,Denis les observa l’un après l’autre, conscient d’avoirmanqué plusieurs épisodes. Il avaitfailli avoir une attaque en voyant ce type inquiétant surgir de la chambre de sa colocataire. Grand,baraqué,vêtud’unjeanuséjusqu’àlatrameetd’untee-shirtnoir,Alexandreétaitimpressionnant.EtilavaitparuencolèredelevoirserrerAnaïsdanssesbras.Ainsic’étaitlui,cefameuxfrèreaînédontAdrienneparlaitpresquejamais.Celuiqu’ilévoquaitàmi-
voix,etquiétaitpartisansseretourner.L’aventuriersanscesseauboutdumonde.Denisn’avaitaperçuAlexandrequesurquelquesphotos,maisquiremontaienttoutesàdesannées.Ilavaittoujourspenséquelesdeuxfrèresdevaientavoirunairdefamille:ilserendaitcomptemaintenantquecen’étaitpaslecas.Adrien avait les cheveux noirs, les yeux noisette et un tempérament affable et rieur. Il souriait tout letemps.Alex,unpeuplusgrand,avaitlescheveuxtroplongs,châtainsstriésdemècheséclairciesparlesoleil,lesyeuxclairsetétaitvisiblementd’untempéramentbeaucoupplusombrageux.Denistournalesyeuxverslajeunefemmequis’étaitlevée,poingssurleshanches.—Tunepourraispas,aumoins,fairelapaixavecellependantqu’Adrienestàl’hôpital?—Pourquoi?Qu’est-cequeçachange?rétorquaAlex,provocateur.Elleajusteuneopportunitédele
chouchouterencoreplus!Le comportement d’Anaïs surprenait Denis. Il savait qu’elle avait bien connu les deux frères,
puisqu’ilsavaientétévoisinstouteleurenfance,maisellen’évoquaitjamaisAlexandre.Ilenavaitdéduitqu’ellen’avaitguèrefréquentécegarçonplusâgéqu’elleetquesonaffectionseportaituniquementsurAdrien. Seulement, depuis qu’il les voyait ensemble, il n’en était plus si sûr. La façon dont ils separlaient, leurs regards, leursgestes laissaientpenser, aucontraire,qu’il existait entreeuxun lien trèsparticulier. Quelques minutes plus tôt, Alexandre avait posé ses mains sur les hanches d’Anaïs pourqu’ellesedécale,etqu’ilpuissepasserderrièreelledansleurcuisineexiguë.Lafaçondontilavaitposésesmains sur elle, très bas sur les hanches, presque à la hauteur des fesses, les doigts écartés, étaitambiguë.Denisavaitétésurprisparcetteprisedepossessionpresque…intime.Pourtant,Anaïsnes’étaitpasformalisée.Commesielleétaithabituéeàdetelsgestesdesapart…—Çacrame!annonçasoudainAlexendésignantlapoêle.Lajeunefemmeseprécipitaetsauvalessteaksquicommençaientàcarboniser.— Saignant… exactement comme j’aime, ronronna Alex avec un sourire ironique qui lui valut un
regardnoir.Alexandredevaitêtreaffamé,malgrétout,carilnelevapaslesyeuxdesonassiettedurantlesminutes
quisuivirent.—Ausujetdetamère…,voulutrelancerAnaïsdèsqu’ileutfinidemanger.—Stop!Situcontinues,jevaisdevenirvulgaire,prévint-ilenlevantlesmains.—Pourquoiest-cequej’ail’impressiondenepastoutcomprendre?Denisavaitprissoncourageàdeuxmainspourintervenir,espérantdésamorcerlabagarrequicouvait.
Alexandrepivotalentementversluiavecunsouriremauvais.—Parcequ’iltemanquel’épisodeoùmachèremèreaémislesouhaitquecesoitmoi,àl’hosto,au
lieudemonfrère.—Cen’estpaspossible!Unemèrenepeutpasdireça…—Lamienne,si.Adrienestsondieu.Moi,sijepouvaisavoirlabonneidéedecreverloin,trèsloin,
etsansfairedevagues,elleenseraitravie.
—Alex,arrête!s’écriaAnaïs.Tunepeuxpasdiredestrucspareils.—Pourquoi?C’estpourtantlavérité.—Non,c’estfaux,ettulesais.Vousnevousentendezpas,vousvousdisputezsansarrêt,maisellene
t’ajamaissouhaitélemoindremal.—Saufaujourd’hui!Ilss’affrontèrentdurementduregard,Alexrefusantdesesouvenirdunombredefoisoùsamèrel’avait
emmené à l’hôpital après des chutes, morte d’inquiétude, oubliant les nuits elle l’avait veillé, sessacrificesfinancierspourluioffrirlescadeauxdontilrêvait…—Entoutcas,Adrienseraheureuxquetusoislàquandilvaseréveiller,ditDenis,tentanttoujours
d’apaiserlatension.—Passûr,rétorquaAlexenbraquantdenouveausonattentionsurlui.Tun’espeut-êtrepasaucourant,
maistongentilpotem’apiquémacopine.Denissursauta.—Alex,tuespénible!s’exclamaAnaïs.— Je sais,mais cela ne t’a jamais empêchée de coucher avecmoi. Je peux squatter votre salle de
bains?demanda-t-il,lesprenantparsurprise.Jen’aipasprisdedouchedepuisledépartdeDjakarta,etjemesenscrade.—Tuarrivesd’Indonésie?s’étonnaDenis.—Ouais…Jepeuxtepiquerunrasoirjetableetdelamousseàraser?—Biensûr,sers-toi.Dansleplacardàdroite.—Merci.Alexandre attrapa son assiette, ses couverts et les déposa dans l’évier avant de disparaître dans la
salledebains,unepommeàlamain.—Ilyadesserviettessouslelavabo!criaAnaïs.—Jevaissurvivre!Laporteclaquasurlui.
—Waouh!s’exclamaDenisenécarquillantlesyeux.—AlexandreVandevilledanstoutesasplendeur.Têtu,arrogantetparfaitementinsupportable.—C’étaittonmec?—Laplusgrosseerreurdemavie.Anaïsluiracontacequis’étaitpassécinqansauparavantentreelleetAlex,etsurtoutpourquoielle
avaitrompu.—JecomprendsmieuxpourquoiAdrienditqueseréconcilieravecluiseraitcompliqué.J’aicomme
l’impressionqu’Alexn’apasdigérévotreséparation.—Sonorgueilenaprisuncoup.J’aiétélapremièreetsansdoutelaseuleàavoirosélequitter.Je
l’aitoujoursvuplaquerlesautresfilles.—Cen’estpasuntypeorgueilleuxquejeviensdevoir,maisunmecjaloux,lacontreditDenis, les
yeuxtoujoursrivéssurlaportedelasalledebains.—Alex?Tuveuxrire!C’estdéjàunmiraclequ’ilserappelledemoiaumilieudesonharem.Lejeunehommesecoualatête.Leurcomportement,leursgestes,disaientbiend’autreschosessurleur
relation.Quelquechosede très fortquiétait restéensuspens…Unesituation jamais résolueetquinepouvaitqu’évolueraucœurdece trio réunipardesévénements tragiques.L’avenirnes’annonçaitpassimple…
*
Alex se baissa et trouva cequ’il cherchait dans le placard sous le lavabo. Il ne put s’empêcher depouffer de rire. Une pile de serviettes blanches et roses à gauche, version fille, et une pile bleue etmarron à droite, version garçon ! Bien nettes, bien rangées… Par provocation, il attrapa une grandeservietterosepâle.Ilattendaitavecunejoiepresquesadiqued’entendreAnaïsrâlerqu’ils’étaitservidesesaffaires,aulieudeprendrecellesdesonfrère.Ladoucheluifitunbienfou.Ileutl’impressionquesonénergierevenait,qu’ilredevenaitlui-mêmeet
retrouvaitsoncalme.Ilressortitenfredonnantetensefrottanténergiquementletorse.Ilsefitlaréflexionquelasalledebainsétaitaussiminusculequelacuisine.Àtrois,touslesmatins,celadevaitdemanderunesacréeorganisationpourêtreàl’heure…etéviterlabousculade.Toutenseséchantlescheveux–quiavaientunbesoinurgentd’unecoupe–,illaissasonregarderrer
surlatablette.Deuxverresàdents,unpourlesgarçons,unpourlafille.Ellen’étaitpasobligéedepousserlegirlyjusque-là,s’amusa-t-ilenjouantaveclabrosseàdentrose
d’Anaïs.
CommeleluiavaitindiquéDenis,iltrouvatoutlenécessairepourseraserdansleplacard«homme»àdroite.Avecunecuriositéassumée, ilouvrit celuidegauche :maquillage,déodorant…tampons.Ensouriant,ilpritleflacondeparfumetlehumaavecdélectation:douxetfleuri.Lafragranceallaitbienàlajeunefemme.Uninstant,ilselaissaalleràrêverqu’ilrespiraitcettedouceodeurdanslecreuxducoud’Anaïs,sursapeausatinée.—Arrêtededéconner!jura-t-ilentresesdentsenreposantlabouteille.C’estlafemmedetonfrère.Unepenséequi lui faisait toujoursaussimal,malgré lesmoisécoulésdepuis ladécouvertedecette
déplaisanteréalité.Alexrefermalaportedumeubleets’attaquaàsabarbedequatrejoursensifflotant.Contentd’avoir
retrouvéunvisagehumain, ilpassaensuiteunemainsursapeauirritéeetrouvrit leplacarddedroite,espérantytrouverunbaumeaprès-rasage…Maisilyfitunetouteautredécouverte.
Quand,dixminutesplustard,Alexandreressortitdelasalledebains,iltrouvaAnaïsetDenisinstallés
devantlatélévision,devantunreportagequimanifestementnelesintéressaitguère.Denisserongelesongles,ilestnerveux,nota-t-ilparhabitudeprofessionnelle.—J’aicraqué,luiavouasoudainlajeunefemme.J’aitéléphonéàl’hôpitalpendantquetutedouchais.
L’infirmièredenuitm’aditqu’iln’yavaitriendenouveau.Jeluiaifaitpromettredem’appelers’ilsepassequelquechose.Alexandrehocha la tête.ToutenobservantDenisducoinde l’œil, il se laissa tomberdans lepetit
canapéplacéentrelesfauteuils.—J’aiunequestion,annonça-t-il.—Laquelle?—QuandetcommentvotrebelleetvieilleamitiéàAdrienetàtois’est-elletransforméeenunetendre
histoired’amour?Commepersonneneveutjamaisrienmedire,danscettefamille,jesuisunpeulargué.—Je…jen’aipasenvied’enparler,réponditAnaïssoudainsurladéfensive.—Tu n’en as pas envie…C’est étonnant. Pourquoi ne pasm’expliquer à quel pointmon frère est
merveilleux?Àquelpointiltecorrespondmieuxquemoi?Àquelpointc’estgénialentrevousdeux?—Celaneteregardepas!s’exclama-t-elleenselevantd’unbondpourluifaireface.Loinderépondresurlemêmeton,Alexandrerestaassis,penchéenavant,lescoudesappuyéssurles
genoux,illadévisageaitd’unairétrange.—Ettoi,Denis?Tuesletémoinprivilégiédecettebellehistoire,tudoispouvoiréclairerlalanterne
dupauvreimbécilelaissépourcomptequejesuis.—Ce…Cen’estpasmonrôledem’enmêler.Toujours aussi calme, Alexandre laissa son regard passer de l’un à l’autre. Il prenait son temps,
sachanttrèsbienqu’illesavaitmissurlescharbonsardents;maisiln’avaitaucuneenviedesemontrerconciliant.—Quandvousaurezfinidemeprendrepourundemeuré,faites-moisigne!Anaïsdevintcramoisie,alorsqueDenissecrispaitnesachantquoidire.—Pourquoidis-tuça?finit-elleparrépondre.— Pourquoi j’ai fini dans le bureau du dirlo quand vous étiez en sixième ? lui demanda Alex
abruptement.—Parcequetut’étaisbattu,murmuraAnaïs,blême,enseremémorantl’incident.—Tutesouvienspourquoijemesuisbattu?—DeuxcrétinsavaientinsultéAdrien,admit-elleavecréticence.—Oui,confirma-t-il. Ils l’avaient traitéde…de…C’estbête, lemotm’échappe.Rafraîchis-moi la
mémoire.Ilsl’avaienttraitéde…D’ungestecirculairedelamain,ill’incitaitàfinirsaphrase,lafixantdroitdanslesyeux,lamettantau
défi.—Detafiole,souffla-t-elle,atterrée,répugnantàrépétercemotordurier.—Bingo!s’exclamaAlex.Ilsautasursespieds,déployantsonmètrequatre-vingt-huit.—Pourêtreprécis, j’aidémoliunedizainede typespour lemêmegenredemotif.Çam’acoûtéau
moinstroispassageschezledirloetautantd’occasesdementiràmachèremère!Anaïsselaissatomberaufonddesonfauteuilensemassantlestempes.Elleavaitoubliécesvieilles
histoires.Pourtant,àl’époque,toutlemondesavaitques’enprendreàAdrienétaitlemeilleurmoyenderecevoir le poing d’Alexandre en pleine figure.Quand ils étaient enfants,Adrien, trop gentil, était lavictimetoutedésignéedescaïdsdebacàsable.Avecle tempset l’aidedesonfrère, ilavaitapprisàs’affirmer.—Maintenant,tuarrêtesdemeprendrepourundébile.Jeveuxlavérité!—Jenecomprendspas…tentaunedernièrefoisAnaïs.—Vousfaitesménageàtrois,outuesjustelàpourfaireécranetenfumermachèremaman?—Comment…comment?—C’estmonfrère!s’exclamaAlex.Jemesuistoujoursdoutédesespréférences.Surtoutquandila
commencéàveniràtousmesmatchs,figure-toi.—C’étaitàcausedemoi,corrigea-t-elle.Pourquejepuissetevoir.—Peut-être…Maisça luipermettaitaussidematermespotes!Tun’as toujourspasréponduàma
question:ménageàtroisouécrandefumée?—Écrandefumée,finitparavouerAnaïs,incapabledeluimentirpluslongtemps.Elleselevapourfairefaceàlacolèred’Alexandre,etDenisvintseposteràcôtéd’elle,ensoutien.—Çatedérange?demanda-t-il,prêtàendécoudre.—Aunomdequoiçadevraitmedéranger? rétorquaAlexen le fixantdroitdans lesyeux. Jen’ai
aucunproblèmeavecl’homosexualité.Jeparsduprincipequechacunaledroitd’aimerselonsoncœur.Maisjesuisenrogne!Furax!Ilsemitàtournerenrond,fourrageantdanssescheveuxencorehumides.—Pourlesparentsetcertainsdanslafamille,jepeuxcomprendrequ’ilhésiteàfairesoncoming-out,
maismoi?Pourquoim’avez-vousbaratiné?— D’après Adrien, répondit Denis avec une hésitation perceptible, tu n’es pas vraiment « gay
friendly».Alexandres’immobilisaetledévisagea,l’airahuri.—Tum’auraisditqu’ilneveutplusmeparleràcausedecequis’estpasséilyacinqans,d’accord,
j’auraiscompris.Maislà,tumebalancesquemonfrèremeprendpourunhomophobe.J’aibiensaisi?—Alex,calme-toi! intervint la jeunefemmeenposant lamainsursonbras.Tudoiscomprendrela
situation…PersonnenesaitlavéritéendehorsdenoustroisetdesparentsdeDenis.—Cen’estpasuneraisonpourmeconnaîtreaussimal!—Avoueque tuas toutdumacho.Tucours les fillesdepuisdesannées.Tu roulesdesmécaniques
avectesmotos,ettuasmêmejouéaurugby!—N’importequoi!rétorquaAlex,écœuré.Denisaimelesmotosaumoinsautantquemoi.Etpuis,ce
quetudismefaitvraimentmal.Lesdeuxpersonnesquejepensaislesplusprochesdemoimejugentsurlabasedestéréotypesàdeuxballes.Secalantaufondducanapé,ilcroisalesbrasetbasculalatête,observantleplafondd’unairécœuré.
Unlourdsilences’abattitsurlesalon.—Tu acceptes qu’il te planque dans le placard ? demanda soudainAlex àDenis en se redressant.
Qu’ils’afficheavecunefille?—C’étaituncompromis,enattendant.Et…LavoixdeDenissebrisaet ilsedétourna,s’asseyant lesyeuxrivéssur lamoquette.Pourunefois,
Alexandredécidadefairepreuvedediplomatieetpréféranepasinsister.Visiblement,lejeunehommeétaitceluiquisouffraitleplusdelasituation.SetournantversAnaïs,illafixa.—Pourquoi?—Pourquoicettecomédie?Àcausedetesparents,etsurtoutdetamère.Pourquelleautreraison?
Comme à dix-neuf ans, Adrien ne lui avait toujours pas présenté de copine, elle a commencé à leharceler.Demoisenmois, la situationestprogressivementdevenue intenable.Undimanche,elle luiamêmeparlédeconsulterunpsy.Adrienacraqué:illuiaditquenousétionsensembledepuislongtempsmaisquenousn’osionspasleurdire.—Tuasjouélejeu?—C’estmonmeilleurami,ilm’atoujourssoutenu…Jeluidevaisbiença.—Vousviviezdéjàensemble?—Oui,depuisquelquessemaines.Nousavonsprétenduquenousnousétionsenfaitinstalléstousles
deuxsouscouvertdecolocation.—Quandnousnoussommesrencontrés,j’aimissixmoisàleconvaincredenouslaisserunechance,
avouasoudainDenisquiavaitsansdoutebesoindeparlerdesonhistoired’amour.Sixmoisàmebattrecontresespréjugésetsespeurs.Quandilaacceptéd’emménageravecmoi,j’aicruquej’avaisgagné.—Jenecomprendsplusletimingdevotrehistoire,l’interrompitAlexperplexe.—Quand j’ai rencontré ton frère, il étaitdéjàprévuqu’ilprenneunappart avecAnaïsà la rentrée
suivante.Jemesuisgreffédanslescénariocommeletroisièmelarron,celuiquiaideàpayerleloyer.Nousavonsemménagétousensembleenvironunmoisavantquetamèrenelepousseàbout.—D’accord,jesaisismieux…CelasignifiaitaussiquelejouroùAdrienavaitprétendudevantleurmèreêtreencoupleavecAnaïs,il
vivaitdéjàavecDenis.Maispourquoin’avait-ilpasprofitédecetteopportunitépourdire lavérité,au lieudes’engluer
danslesmensonges?s’interrogeaAlex,perplexe.Quandonalachancedepartagerlaviedelapersonnequ’onaime,onladéfend,onsebatpourelle.
Luiavaitessayé,maisilavaitperdulabataille…Maispeut-êtrepaslaguerre!réalisa-t-ilsoudain,plusoptimiste.—Tuessurtouten traindecomprendrequ’aprèsdeuxansdeviecommune,ditDenisavecunpetit
souriretriste,nousensommestoujoursaumêmepoint.Personnenesaitàquelpointjel’aime!Alexandre nota que le jeune homme n’avait pas osé dire « nous nous aimons », tant le secret était
verrouilléautourdesoncouple…Peut-êtreDenisdoutait-ildel’amourd’Adrien?C’étaitpossible.—Jenepeuxmêmepasallerlevoiràl’hôpitalsansrisquerdenoustrahir,marmonnaDenis.Ilneme
lepardonneraitpas.—Vousavezdéconné,ditAlexenéchangeantavecAnaïsunregardchargédesens.— J’en suis consciente, figure-toi. Depuis des mois, j’essaie de convaincre Adrien d’arrêter cette
comédie.D’annoncerquenoussommesséparés,maisilneveutpas.—Pourquoi?—Parcequetamèreveutunpetit-fils!Ellen’arrêtepasdeluidirequenousdevonsmettreunbébéen
routeaprèsmondiplômeetavantquejecherchedutravail,queceseraitlemeilleurmomentpourça.— Il va faire quoi dans sixmois quand tu aurasun job et pas degosse ? Il vadire quevous avez
d’abordbesoindefric,pourgagnerencoredutemps?AlexandrestoppasadiatribeenvoyantDenisblêmir.Inutiled’enfoncerleclou.—Adriennesaitpluscomments’ensortir,avouaAnaïs.Ilapeurquevosparentslerenient.—Iln’asansdoutepas tort.La tolérancen’a jamaisété lepoint fortdenotrechèremaman,surtout
concernantl’homosexualité.Ettesparentsàtoi?demanda-t-ilàAnaïspourchangerdesujetetessayerd’épargnerunpeuDenis.—Ilspensentquecettehistoirenedurerapas.Mamèresaitquej’aieulebéguinpourtoi.Unjour,elle
m’adit:«Adrienestgentil,maisceneserajamaisAlex,alorsgrandisunpeu».—J’adoretamère.—Cen’estpasréciproque!— Je le sais, s’amusa-t-il. Elleme considère comme un danger public. En fait, elleme l’a répété
chaquefoisqu’ellem’ainterditdet’approcher!—Mamèret’avaitdemandédenepasm’approcher?s’étonnaAnaïs.Alexandreluiadressaungrandsourireespiègle.—Jemesuistoujoursdemandésiellenem’avaitpasvuveniret…—Jevaismecoucher,annonçasoudainDenisluicoupantlaparole.Bonnenuit.
*
Lejeunehommeselevaetseprécipitadanssachambre.Ilnevoulaitpasqu’untypecommeAlexandrelevoieleslarmesauxyeux.Stupideorgueildemec,semoqua-t-ildelui-mêmeenselaissanttombersursonlit.Àcetinstant,Denisétaitterriblementinquietpoursoncompagnon…poursasanté,poursaviemême.
Etilnepouvaitrienfaire.Unterriblesentimentd’impuissanceluiserraitlagorge.Commesicelanesuffisaitpas,ilétaitleseulànepaspouvoiralleràl’hôpital,carsonémotion,trop
visible, l’aurait trahi.IldevaitsecontenterdesnouvellesqueluiavaitcommuniquéesAnaïs.Iln’avaitjamaiseusimal,sipeurdetoutesonexistence.Àcetinstant,ilavaitaussibesoind’êtreseulpourréfléchir.Cetaccidentétait,àsesyeux,unsignedu
destin.IlavaitramenéAlexandredanslavied’Anaïs.Denisavaitbeauêtreamoureux,ilétaittempsqueluiaussiréfléchisseàsonavenir.Cettesituationbancalen’étaitplustenable.Ilsetuaitàpetitfeu.
Toutendansant,Adriensurveillait son frèreducoinde l’œil.Depuissonarrivéeendébutd’après-midi, dans la grande maison familiale où tous fêtaient les soixante-quinze ans de leur grand-père,Alexandresemontraitmaussadeetdistant.Cesoir,pendantledîner,alorsqu’ilétaitinstalléàtableenfaced’Adrien,ilavaitàpeinedesserréles
dents,éludant lesquestionsconcernantsavieousonmétierde journaliste.Autresignedesamauvaisehumeur : alors qu’Alex avait été pendant des années le photographe attitré de tous leurs événementsfamiliaux,iln’avaitmêmepasdaignésortirsonappareildesonsac.Depuis que la plupart des convives s’étaient lancés sur la piste de danse installée sur la pelouse,
Alexandre s’était réfugié dans l’ombre des arbres, silhouette massive et énigmatique dont lecomportementinquiétaitdeplusenplusAdrien.Sisonfrèrecontinuaitàjouerlesours,leurmèren’allaitpas tarderà lui tomberdessuspour lesermonner…etcelaallaitencoredégénérerentreeux.Le jeunehommenesouhaitaitpasvoirlafêtegâchéeparleconflitpermanentquiopposaitAlexandreàleurmère.Ilsouhaitaitde toutsoncœurque lasoiréesedéroulesansaccroc,surtoutaprès lesennuiscardiaquesqu’avaitconnusleurgrand-père:ilfallaitabsolumentleménager,c’étaitd’ailleurssansdoutepourcetteraisonqu’Alexandreétaitprésentcesoir.Iladoraitlevieilhommeetferaittoutpourluifaireplaisir.Adrienespérait,depuisdesannées,voirsonfrèreetsamèreseréconcilier,maisnesavaitcomment
s’yprendre.Ilcraignaitdedéclencheruneviolentedisputeenpoussantcesdeuxfortespersonnalitésdansleursretranchements.Oubliantunmomentleursproblèmesfamiliaux,Adrienrattrapaavecadresselamaind’Anaïsetlafit
pirouetter autour de lui dans une série de figures rapides et compliquées. Autour de la piste, lesspectateurs, impressionnés, lesapplaudirent. Ilavait falludesannéesdecoursderockacrobatique,depassionetdepatienceauxdeuxjeunesgenspourarriveràcerésultat impeccable,et ilsenétaient trèsfiers. L’un comme l’autre regrettaient d’avoir trop peu d’occasion de danser en dehors de la salled’entraînementetdesquelquescompétitionsrégionalesauxquellesilsparticipaient.Aprèsunpassageparticulièrementtechnique,sacavalièreluiadressaunsourireradieux.Desmèches
decheveuxboucléss’étaientéchappéesdesagrossepince.Sa juped’été légère tournaitautourdesesjolies jambes, attirant tous les regards.Adrien savait exactement l’image qu’ils renvoyaient quand ilsdansaientainsi:celled’uncoupleuni,heureux,àl’ententeparfaite.Lachansonarrivaàson terme, les laissantessouffléset trèscontentsde leurprestation.Lamusique
changea de style. Pour laisser à son public le temps de récupérer, le DJ venait de lancer un slowromantique,coupantlesspotslesplusviolentsetcréantuneambiancetamisée.Alorsquelejeunecouplesepostaitsurlecôtépourrécupérer,ilsfurentassaillisdecompliments.Puis
lesdanseursderockseruèrentverslebuffetpoursedésaltérertandisqued’autrescouplesgagnaientlapistededanse,tendrementenlacés.
*
Alexandresurgitsoudaindel’ombreetsaisielamaind’Anaïs.—C’estmontour,annonça-t-ilenl’entraînant.LajeunefemmeéchangeaunregardimpuissantavecAdrien.Pasmoyendes’échapperàmoinsdefaire
un esclandre.Heureusement, à la seule lumière des lampions, personne ne remarqua qu’Alexandre sepermettaitdetenirlapetiteamiedesonfrèrecolléecontrelui,sesmainsplacéesbientropbassursesreins.—Tumeserrestrop,ronchonna-t-elleenessayantdes’écarterunpeudelui.—Tunet’enplaignaispasavant,rétorqua-t-ilsansplusfaireaucuneffortpourmasquersacolère.Cinq ans… Cinq très longues années sans se voir, sans recevoir la moindre nouvelle de lui…
L’explication qu’Anaïs craignait depuis si longtemps aurait finalement lieu au milieu d’une piste dedanse…Lajeunefemmesedoutaitqu’Alexandrevoulaitluiparlerdepuisqu’elleavaitsurprissonregardsur
ellependantledîner.Unregardchargédereproches.—Detouslesmecspossiblessurcetteplanète,ilafalluquetutemettesàlacolleavecmonfrangin!
attaqua-t-il.—Élégant,commeexpression!s’exclama-t-elle,renonçantàluifairerelâchersaprise.Maisvenant
detoi,jenedevraispasm’attendreàautrechose!
*
Alexandreserra lesdents,maisne ripostapas. Ilne l’avaitpasvolé. Ilétait leseul responsabledufiascodeleurrelation.Aprèscequis’étaitproduit,jamaisAnaïsn’avaitvoululerevoir.Àl’époque,ilauraitétéprêtàsetraîneràgenouxpourqu’elleluiaccordeunedeuxièmechance.Seulement,ellen’avaitplusvouluentendreparlerdelui,etlavies’étaitchargéedelesséparerpourdebon.Quandilavaitdécouvertlajeunefemmeassiseaumilieudusalonfamilial,lessentimentsqu’ilavait
toujourséprouvéspourelle étaient remontésà la surface, intacts,malgré les annéesd’éloignement.Samèreluiavaitalorsannoncéla«bonne»nouvelle:Adrienétaitvenuavecsapetiteamie,lajolieAnaïs.Ilavaitétéchoquéd’apprendrequelafemmequ’ilavaittoujoursaiméeétaitencoupleavecsonfrère
etqu’ilsvivaientensembledepuisplusd’unan.Celaluiavaitretournél’estomac.Adrienl’avaitfrappédans le dos, l’avait trahi, son petit frère, le seul aumonde à savoir pourAnaïs et lui. Le seul à quiAlexandreavaitavouéàquelpointiladoraitcettefille,àquelpointilétaitfoud’elle.Àcetinstant,Alexétaitmaladedejalousie,ilsouffraitlemartyre,surtoutaprèslesavoirvusdanser
ensemble,sicomplices,sibeaux…siamoureux. Ilétaità l’agonie,etAnaïsétait rayonnante,heureusecommeill’avaitrarementvue.Maintenant,illasentaittendueentresesbras,raide,suivantvaguementlamusique. Rien à voir avec la danseuse flamboyante qui évoluait avec son frère quelques minutesauparavant.Soncorpssouple,dontilconservaitlesouvenirincandescentcontrelesien,criaitsonrejetdetoutcontact.Alorsquelui,pauvrecrétin,sentaitsapeaulebrûler.Il fallait qu’il lui parle, qu’ils arrivent à discuter de certaines choses, ou l’avenir serait intolérable
pourlui.Mais,pourlapremièrefoisdesavie,Alexandrenetrouvaitplussesmots.—Lasituationesttrèsinconfortable,ditsèchementAnaïs,leprenantdecourt.J’aimeraisqueturestes
discretsurnous.Jeneveuxpasquetafamillepensequejemecontented’Adrienparcequetum’asjetée.
—Mais…maisc’esttoiquim’asviré!—Ahoui?fit-ellesemblantdes’étonnerendaignantenfinleregarderdanslesyeux.Iln’yapersonne
iciquicroiraàcetteversiondel’histoire,mêmesic’estlavérité.Àcommencerpartamère.Ellen’avaitpastort.Auxyeuxdetous,Adrienavaittoujoursétéungarçonsérieux,avecdesprincipes
solides, alors que lui traînait une réputation de coureur de jupons, accumulant les aventures sanslendemainet laissantunsillondecœursbrisésderrière lui– réputation trèsexagérée,desonpointdevue.— Sans compter ton oncle Gérard, poursuivit impitoyablement Anaïs, qui avec sa délicatesse
légendaire irait demander à Adrien pourquoi il se contente de tes restes. Ou Sandy, ta cousinenymphomane,quinemanqueraitpasdem’interrogerpoursavoirlequeldevousdeuxestlemeilleuraulit!Alexandre serra les dents face à ces vérités si brutalement assenées. Anaïs avait raison. Elle
connaissaitbiensafamille,etdepuislongtemps.Detoutefaçon,quoiquejefasse,quoiquejedise,ilesttroptardpourmoi.Iln’auraitjamaisdûrevenir.IlauraitdûserappelerquetoutétaittoujourspourAdrien.Luidevaitse
contenterdesmiettes…etAnaïsn’étaitpasunemiette.Lecœurprisdansunétau,serrantlesdentspourseretenirdelasupplier,Alexandrepritunegrandeinspirationetfitl’unedeschoseslesplusdifficilesdesavie:illalâcha.
*
AnaïssentitAlexandreôtersesmainsdeseshanches.Ellelevitreculerd’unpas:danssonregard,ellelutquelquechosedeterriblequ’ellen’yavaitencorejamaisvu: lerenoncement.Ilpivotasursestalons sans un mot, et disparut dans l’obscurité, la laissant pétrifiée, peinant à contenir un immensesentimentdegâchis…Ellel’avaittellementaimé!Adrienlarejoignitetilsseremirentàdanser,espérantquepersonnen’avaitrienremarquédecequi
venaitdesejoueraumilieudelapiste.—Qu’est-cequ’ilt’adit?—Pasgrand-chose.Jeluiaidemandéd’êtrediscret.Iln’apasrépondu,ilestpartisansmêmeessayer
d’argumenter.—Sansdiscuter?Çam’étonnedelui…Adriensoupira,visiblementgênéd’avoirmissacompagnedansl’embarras.—Jen’auraispasdûtedemanderdevenir.Maiscelafaisaittellementplaisiràmaman…Anaïs lui adressa un pauvre sourire. Si elle avait su qu’Alexandre, le globe-trotter, daignerait être
présent, elle aurait trouvé une excuse pour s’abstenir. Depuis qu’elle vivait avec Adrien, ils avaienttoujoursévitécetteconfrontationsansdifficulté.Quandilsquittèrent lapiste, la jeunefemmese laissa tombersurunechaiseet regarda lesautresse
ruerversunmadisonendiablé.—Veux-tuquej’ailletechercheràboire?proposaAdrien,toujoursaussiserviableetgentil.—Unjusdefruit,s’ilteplaît.Nauséeuse,ellenesesentaitpascapabledesupporterquelquechosedeplusfort.Elleleregardaun
instants’éloigneravantquesesyeuxcherchent,malgréelle,uneautresilhouette,plusmusclée.Quandelle
avait accepté de partager la vie d’Adrien, elle savait que cemoment arriverait. Elle en avait eu plusd’unefoisdescauchemars.Elleavaitimaginécentscénarios,maisjamaiscelui-là.Leplusétrangeétaitqu’Alexandreavaitparudésarçonné,blessé…Lajeunefemmeneputretenirunsourireironique.Alexblessé,quelleidée!Vexé,sûrement.Furieux,sansdoute.Aucunefemmen’avaitlepouvoirdel’atteindre…àpartsamère,maisc’étaituneautrehistoirequine
laconcernaitpas–quinelaconcernaitplus.Anaïsfrissonnasouslabrisenocturnequifraîchissaitetremitsongilet.Ellesesouvenaittropbien–et
avecunecertainehonte–del’adolescentetransied’amourqu’elleavaitété,entotaleadorationdevantlefrèreaînédesonmeilleurami,unevéritableobsessionquiavaitcommencéàdouzeans.Elleauraitfaitn’importe quoi pour apercevoir Alexandre. Elle ne vivait que pour les brefs moments où elle seretrouvaitensaprésence.Beaucouptroptimidepourlesmettreenapplication,elleimaginaittoutuntasdestratagèmespourattirersonattention.Elle était allée jusqu’à supplierAdrien de l’emmener les dimanches après-midi au stade pour voir
Alexjoueraurugby.Tropgentil,ils’étaitexécuté;ill’avaitaussiinvitéeàfaireleursdevoirschezlui,luioffrantainsilapossibilitéd’approchersonidole.Si, au début, son obsession avait amusé Adrien, il l’avait ensuite souvent mise en garde contre le
comportementdetombeurmachodesonfrère,l’implorantdebienréfléchiravantdefairequelquechosequ’ellepourraitregrettertoutesavie.Anaïs n’avait pas encore dix-huit ans le soir où, après un match, Alex l’avait invitée au cinéma.
Surpriseetheureuse,elleavaitacceptéetcruatteindrelenirvanaquandilavaitenfinmontrédel’intérêtpourelle.Leurpremierbaiseravaitmarquésamémoireauferrouge.Lessuivantsl’avaientconquiseetconvaincuequ’ilétaitl’hommedesavie.Labellehistoired’amouravaitdurétroissemaines.Troistoutespetitessemainesqu’elleavaitvécues
surunnuage,allantjusqu’àluifaireimprudemmentdondesavirginité.Elleétaitpersuadéequ’avecelle,Alexandre était différent, qu’il ne se conduirait pas comme il le faisait avec toutes les autres filles.Qu’euxdeux,c’étaitmagique,c’étaitpourtoujours…Lachuteavaitétéd’autantplusbrutale:violente,etinfinimentdouloureuse!Cedimanche-là,Anaïsavaitréussiàs’échapperaprèsunrepasenfamilleetavaitprislebuspourle
rejoindreaustade:ellevoulaitluifaireunesurprise.Elleétaitarrivéelà-baspendantladeuxièmemi-temps, et Alex ne l’avait pas remarquée dans les gradins. Après le coup de sifflet final, elle l’avaitattenduàlasortiedesvestiaires,excitée,impatiente…sinaïve,siamoureuse…C’estlàqu’elleavaitentenduunediscussionàtraverslaporte.L’undesjoueurschambraitAlexandreà
sonsujet.—LapetiteAnaïsétaitencoredanslestribunes.EtAdrienn’estpaslà…—Ahbon?—Arrête,mec!Qu’est-cequiteprenddeperdretontempsaveccettegamine?Tunevaspasmedire
quetuprendstonpiedaveccebébé?—Sijelabaise,cenesontpastesoignons,avaitrétorquéAlexd’untonblasé.— C’est vrai qu’il faut bien que certains d’entre nous se dévouent de temps en temps pour faire
l’éducationdesbébés,avaitditunetroisièmevoixgoguenarde.—Putain,mec!Sabrina,missgrosnichons,estprêteàtetomberdanslesbras!
—Celle-là, je l’aidéjàsautée,avait réponduAlex.Je te la laisse,mais je tepréviens :ellevautàpeineun6/10enétanttrèsgentil.Entroiscoupsdequeue,c’estréglé.—T’enpincespourlagamine.C’estça!—Maisquelcon,cemec!Tunecomprendsrienàrien,l’avaitrabrouéAlexd’untondur,avantde
lâcherunriregraveleux.Cettemômefaittoutcequejeveux,etdanstouteslespositions.Leplusmarrant,c’estqu’ellegobetoutcequejeluiraconteetqu’ellecroitquejemecontented’elle,qu’ellemesuffit.Anaïs avait été pétrifiée d’horreur. L’homme qu’elle aimait, qu’elle idolâtrait depuis tant d’années,
bafouaitsessentimentsetsemoquaitd’elledevanttoutlemonde.Enplus, ilsevantaitdelatromper!Elles’étaitsentietellementmalquesonestomacs’étaitretourné;elleavaitfaillitvomir.Ellen’avaitpaseulaprésenced’espritdesecacherquandlaporteduvestiaires’étaitouverte.Alexandreétaitsortilepremierets’étaitfigéunefractiondesecondeenlavoyant,avantd’afficherun
grandsourirecharmeur.Réunissantcequirestaitdesafiertéetdesoncourage,Anaïsavaitredressélatête.—Net’approcheplusjamaisdemoi,espècedesalaud.Elleavaittournélestalons,essayantdeconserversadignité,soutenueseulementparsonorgueil,parce
quec’étaittoutcequ’illuiavaitlaissé.Uneseconde,elleavaitfollementespéréqu’ilselanceraitàsapoursuite,qu’illuidemanderaitpardon…Puiselleavaitréaliséque,quoiqu’ildise,ellenepourraitplusjamaislecroireniavoirconfianceenlui.Laquestionnes’étaitpasposée.Alexétaitpartidans ladirectionopposée,avec les joueursdeson
équipe,pourallerfêterleurvictoire.Àsagrandesurprise, lesoirmême,et lesjourssuivants, ilavait tentédelajoindre.Commeellene
répondaitpasautéléphone,ilétaitvenul’attendreàlasortiedulycée.Deloin,elleavaitrepérésamotoetavaitréussiàl’éviterenpassantparl’autreissuedubâtiment.Ilavaitétéjusqu’àprendrelerisqued’escaladerlafaçadedelamaisondesesparentspourvenirtaper
aux volets de sa chambre. Elle ne lui avait pas ouvert, n’avait pas répondu non plus à ses appelssuppliants.Elleavaitrefusédeluiparler.Illuiavaitfaittropdemal.Ellenecomprenaitd’ailleurspaspourquoiils’obstinait…saufàavoirpariéavecsespotesqu’ilpourraitlarécupérer.Anaïsavaitgardélesecretsursonchagrind’amourquelquesjoursmaisunsoir,enrentrantdulycée,la
douleuravaitétélaplusforte.Elles’étaiteffondréeenlarmesdanslesbrasd’Adrien.Elleluiavaittoutavoué,lahonte,l’humiliationquiluidéchiraientlesentrailles.—Jevaisaller luiparler,avaitdécidésonmeilleurami,désolépourelle.Luidirede te laisseren
paix.Tusais, jepensaisqu’ilétaitsérieux.Ilestmêmevenumedirequejen’avaispasàm’inquiéter,qu’ilétaitamoureux.C’estpourçaquejenemesuispasinterposé.Alexandreluiavaitaussiditqu’ill’aimait.Enfin,ilnel’avaitmurmuréqu’uneseulefois,àunmoment
oùAnaïsauraitdûcomprendrequ’ellenepouvaitpascroireensasincérité.—Tu…vousavez…avaithésitéàdemanderAdrien,quiétaitd’unepruderieétonnantepourungarçon
dedix-huitans.—Jemesuisconduitecommeuneidiote.Jeluiaidonnécequ’ilvoulait.Toutcequ’ilvoulait,avait-
ellemurmuréenreniflant,aveclesentimentd’êtreunepitoyableidiote.Elle avait été encore plus stupide que toutes les autres filles qui étaient tombées sous le charme
d’Alexandre.Elleleconnaissaitdepuisdesannées,elleauraitdûêtreassezintelligentepournepassefaireavoirparsonbaratinetsonsourire.À cause d’elle, le soir même, les deux frères s’étaient violemment disputés. Sans même connaître
l’originedelaquerelle,leurmèreavaitprisfaitetcausepourAdrien.Excédé,Alexandreavaitquittélamaison familialeenclaquant laporte. Il s’était installéchezsesgrands-parents le tempsd’obtenirunechambreuniversitaire.Depuis, Anaïs avait appris qu’il avait obtenu son diplôme de journalisme et déménagé pour Paris,
larguantlesamarressansseretourner.Ilavaitfalluquesongrand-pèrefasseunmalaisecardiaquepourqu’ilsedécideàreprendrecontactavecsesparents.Depuis, il téléphonaitdeuxoutroisfoisparanetvenaitencoreplusrarement.Lajeunefemmes’étaittoujoursrefuséeàdemanderdesesnouvelles,mêmesielletrouvaitparfoisdesarticlesoudesreportagessignésAlexandreVandevilledanslapresse.Àcequ’elleensavait,ilpossédaitunpied-à-terreàParisetvivaitlestroisquartsdel’annéeàl’étranger.Comprenantbien lasituation,Adrienévitaitdementionnerson frèredevantelle.Quand ils s’étaient
installésensemble, ilsavaientsuque leproblèmedecetteconfrontationseposeraitun jourou l’autre.Anaïssedoutaitqueceseraithorriblementgênant;ellen’avaitpasprévuquecelaseraitsidouloureux.
*
Il était 4 heures dumatin, etAlexandre ne dormait toujours pas. Les yeux rivés au plafond de sonanciennechambrereconvertieenbureau,ilréfléchissaitenessayantd’ignorerl’inconfortdulitdecamp.Iltentaitaussidenepassesentirjaloux…La chambre d’Adrien était intacte, comme au temps où il vivait ici.Mais tout signe de sa propre
existenceavait étégomméde lamaison familiale.Sesphotos, sescoupes sportives, sesdiplômes, sessouvenirs,toutavaitétéremisé,sansdouteaugrenier–peut-êtremêmejetéàlapoubelle.C’étaitcommes’iln’avaitjamaisvéculà.Commes’iln’avaitjamaisexisté…Lespenséesd’Alex s’envolèrentunenouvelle foisvers l’autre chambre. Il avait attendudes années
qu’Anaïs, l’adorable fille des voisins, la camarade de classe et meilleure amie de son petit frère,grandisse.Ilaimaitsesbouclesauburnindisciplinées,sestachesderousseur,sapeaudouce,safaçondesemoquerdelui…Ilavaittoujoursvouluêtreleseuldestinatairedesessourires.Fairesavieavecelleétaitsonrêve,sonbut.Il était sorti avecun certainnombrede filles pour acquérir de l’expérience, pourqu’une fois à lui,
Anaïsn’aitjamaisenvied’allervoirailleurs.Entoutehonnêteté,ils’étaitbienamusé,maisl’idéeavaittoujoursétélà,aufonddesatête,fermantsoncœuràtouteslesautres,etcecomportementluiavaitvaluuneréputationdetombeur–exagérée,d’ailleurs.AlexavaitregardéAnaïssortirdel’enfance,flattéetrassurédel’intérêtmaladroitqu’elleluimontrait,
conscientquel’attiranceetlessentimentsétaientréciproques.Elleallaitavoirdix-huitansquandilavaitcraqué.Unpremierbaiserfabuleuxdansl’obscuritéd’unesalledecinéma.Ilneluiavaitfalluquetroisjourspourlaconvaincredelelaisserentrerdanssachambreetdanssonlit.Ilavaitvécutroissemainesdebonheurfou,absolu.Ilavaittoutgâché,commeuncrétin.Parorgueil,parbêtise.Pournepaspasser,devantsespotes,pour
untypeamoureux,ilavaitmenti.Quandilavaitcomprisqu’elleavaitentenducettestupideconversationdevestiaire,ilauraitdûseprécipiterderrièreelle,setraîneràgenoux–tantpispoursaréputation.Maisilnel’avaitpasfait.Ilavaitvoulujouerlesdurs,certaindepouvoirrattraperlasituation.Ilavaitdéjàremâchécetteerreurmonumentaledesmilliers,desmillionsdefois.Laplusgrosseerreurdesavie.Cejour-là,ilavaitperdul’avenirdontilavaitrêvéet,quandlasituations’étaitdétérioréeàlamaison,
il avait dû parer au plus pressé : déménager, travailler pour financer la fin de ses études, puis tenirjusqu’àcequ’ildécrochesonpremiervraijob,campantsurlecanapéd’uncopainparisienoudansdes
foyersd’accueil…Troporgueilleuxpour rentrer,pours’expliquerunebonnefoispour toutesavecsesparents. Trop orgueilleux pour supplier la seule femme qu’il ait jamais aimée de lui accorder unedernièrechance.Alexandre avait essayéd’oublierAnaïs.D’oublier ses rêves de créer une famille unie, d’avoir des
enfants,unebellemaison–desrêvessimples,trèsloindesambitionsquebeaucoupluiprêtaient.Àforcedevolonté,ils’étaitconstruitunevieagréable,aventureuseetsansattache.Iln’auraitjamaispenséretrouversonseulamourpartageantlelitdesonproprefrère!Alexandrese
sentait trahi. Une fois de plus, c’était le petit chéri àmaman qui gagnait. Comme toujours. Il y avaitpourtant quelque chose de bizarre qu’il n’arrivait pas à identifier. Mais il renonça à se creuser lesméninges.De toute façon, l’attitude d’Anaïs avait été très claire : son regard chargé de reproches, sarépugnanceàsoncontact.Soncœurseserraplusdouloureusementencore.Jenevaispasperdreplusdetemps.Jen’aiplusrienàfaireici.J’aitoujoursétédetrop,detoute
façon.Jedevraislesavoir.Décidé,Alexserelevad’unbond.IlnevoulaitpassedisputeravecAdrienqui,aprèstout,n’yétait
pourriens’ilavaitétéassezcrétinpourlaisserpassersachanceaveclafemmedesavie.Sisonfrèreavait fini par tomber amoureux de sa meilleure amie, tant mieux. Adrien était un garçon adorable,lumineuxet,aumoins,Anaïsseraitheureuseaveclui.Refairesonsacneluipritquequelquessecondes.Ilhésita,puislaissaunmotexpliquantqu’ilavaitété
appeléenurgencepoursontravail.Alexandresefaufilahorsdelamaisonendormieetpoussasamotojusqu’auboutdelarue,avantdel’enfourcheretdereprendrelechemindesaviesolitaire.
*
Lelendemain,aprèslepetit-déjeuner,Adrienregardasamèrejeterlemotd’Alexandreàlapoubelle.—Sontravail!Tonfrèren’aurajamaislesensdespriorités.IléchangeaunregardinquietavecAnaïsetluifitsignedelesuivredehors.—Tucroisqu’Alexestpartiàcausedenous?demanda-t-il.—Enpartie,maisonnepeutpasdirequ’ilaitreçuunaccueilchaleureux.Ilnedevaitpass’attendreà
desmiracles,maisàcepoint…Tamèreaététrèsdureaveclui.—Mamannel’apasfaitpasexprès,plaidaAdrien.—Arrête!Est-cequetuterendscomptequ’ellel’ainvité,qu’illuiaconfirméqu’ilvenait,etqu’elle
nel’aditàpersonne?Ellen’avaitmêmepasprévuunlitpourlui.—Jelesais,soupiraAdrienquinepouvaitpasdéfendrepluslongtempssamère.C’estmoiquiaidû
allerchercherunlitdecampencatastrophechezlavoisine!— J’étais dans la pièce quand elle lui a dit : « Je ne pensais pas que tu viendrais vraiment cette
fois».J’aibienvularéactiond’Alex.Ellel’aencoreblessé.Lejeunehommesoupiraetpassaunemainnerveusedanssescheveuxnoirs,sisemblablesàceuxdesa
mère.Était-il leseulavecAnaïsàserendrecomptequ’Alexétaitàunevirgulederompretoutcontactaveclafamille?Adrienobservaparlafenêtredelacuisinesesparents–MaryseetJean-Paul–quidiscutaient.Dansla
périodesuivantladécouverteaccidentelledulivretdefamille,oùilétaitmentionnéqu’Alexandreétaitné de père « inconnu », et qu’il avait été adopté par Jean-Paul, son frère avait eu des problèmes.La
psychologueavaitditqu’ilcherchaitàattirerl’attentiondesamèrepours’assurerdesonamour.Marysen’avait pas voulu la croire, affirmant qu’elle aimait ses deux garçons sans faire de différence, maisqu’ellen’allaitpaspunirAdrienquinefaisaitpasdebêtisesjustepourquesonfrèreaitunesensationd’égalité.ElleavaitmarteléqueJean-Paulétait lepèred’Alexandreparcequ’il l’avaitélevé,etavaitrefuséderévélerlenomdugéniteurdesonfils.Celui-ciavaitfiniparserebelleraussicontresonbeau-pèreetavaitcessédel’appelerpapa.D’annéeenannée,lasituationn’avaitfaitqu’empirer,jusqu’àcetteénormedisputequiavaitprécipité
ledépartd’Alex.SiAdrienavaitconscienced’avoirprofitédecertainespréférences–leurmèreavaitétébeaucoupmoinsdureavec luiqu’avecAlex–, il se reprochaitaujourd’huidenepasavoiraidéetmieuxprotégésongrand-frère,l’idoledesonenfance,l’unedespersonnesqu’ilaimaitleplusaumonde.