Culture Et Nutrition. Igor de Garine 1979

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  • Monsieur Igor De Garine

    Culture et nutritionIn: Communications, 31, 1979. pp. 70-92.

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    De Garine Igor. Culture et nutrition. In: Communications, 31, 1979. pp. 70-92.

    doi : 10.3406/comm.1979.1470

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1470

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    ALIMENTATION ET ADAPTATION.

    La satisfaction des besoins alimentaires est une condition indispensable de la survie des tres vivants. L'Homme semble avoir rsolu ce problme de faon un peu diffrente de ce que l'on observe chez les autres animaux. Il doit sa physiologie gnreuse d'omnivore et son caractre d'animal social dot de culture, de la fonction symbolique et recrant un microenvironnement qui lui est favorable (puisqu'il est industrieux ), la possibilit de pouvoir subsister aussi bien proximit du cercle polaire que dans les forts quatoriales. On peut toutefois se demander si les efforts qu'il accomplit pour s'ajuster aux normes qui sont scrtes par sa culture et qui relvent de la symbolique sont toujours dans le droit fil de son adaptation optimale sur le plan biologique, court terme en tant qu'individu, long terme en tant qu'espce animale. Les engouements d'un cologisme, venu cette fois d'outre-Atlantique mais dont les accents bien antrieurs Rousseau retentissent de faon priodique, suggrent aujourd'hui que ce n'est pas le cas, et l'on tremble l'ide de s'approcher d'un champ o s'affrontent de faon aussi vhmente tant de puissants esprits. Si l'on peut admettre, avec E. E. Ruyle, que l'volution biologique et culturelle sont toutes deux caractrises par l'adaptation (dans la mesure o ce terme dsigne, au sens le plus large, un ajustement fit entre un organisme et son environnement), dans le cas de l'volution biologique et gntique, le mcanisme voqu est la slection naturelle et la reproduction diffrentielle des individus; le critre de la slectivit tant celui de l'adaptation globale, principalement biologique (inclusive fitness) (1).

    Les choses sont plus complexes en ce qui concerne le domaine de la culture, dans laquelle seuls sont conservs les traits et les comportements qui apportent une satisfaction un besoin mais qui, elle, peut n'avoir aucune incidence biologique. Il est difficile d'affirmer une fois pour toutes que l'volution biologique et l'volution culturelle sont troitement alignes et peut-tre l'originalit de l'Homme se trouve-t-elle prcisment dans une certaine discontinuit. L'ajustement au milieu social peut tre, dans une large mesure, indpendant de l'ajustement au milieu naturel. Ce dernier est d'ailleurs de faon croissante un milieu modifi, et souvent de faon chaotique, par l'action de l'Homme. Mme un partisan de

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    la signification adaptative des comportements culturels , comme W. H. Durham (2) est amen, aprs avoir suggr que les Hommes tendent adopter des comportements qui favorisent la propagation de leurs gnes , reconnatre qu'il y a certainement des activits culturelles peu coteuses (low-cost) qui ne contribuent presque pas amliorer l'adaptation globale des individus et des groupes (3). Nombreux sont les comportements alimentaires qui entrent dans cette catgorie.

    STYLES ALIMENTAIRES ET BESOINS NUTRITIONNELS.

    L'exprience ethnographique apporte une contribution utile en amenant considrer le comportement alimentaire des hommes avec une certaine circonspection. Elle plaide en faveur d'une approche systmatique pluridisciplinaire de l'alimentation et de la nutrition, laquelle contribueraient aussi bien les spcialistes des disciplines confondues sous le terme de sciences sociales que ceux des sciences biologiques. Elle suggre qu'en dpit de la multiplicit des paramtres qui doivent tre pris en considration, l'alimentation et la nutrition des hommes doivent tre approfondies aussi bien dans le cadre des socits humaines vivantes que dans celui du laboratoire et par cobaye interpos. Sans doute concdera-t-on qu'aucun animal ne possde une socit et surtout une culture dont la complexit approche celle de l'Homme. Pourtant, nous en sommes encore envier les descriptions que fournissent nos confrres primatologues du comportement alimentaire des animaux qu'ils tudient.

    Les socits traditionnelles contemporaines nous donnent, pour quelques annes encore avant d'tre agglutines par la socit industrielle internationale, une ide de la gamme et de l'extraordinaire varit des solutions apportes en rponse au besoin alimentaire, ceci tel point que, si l'on comparait dans le monde animal deux varits dotes de rgimes alimentaires aussi diffrents que le sont ceux des Eskimos et des montagnards de Nouvelle-Guine, on aurait le sentiment d'tre en prsence de deux espces appartenant des genres, voire des familles diffrentes (voir tableau 1 en annexe).

    A condition de satisfaire certains besoins en nutriments et de maintenir entre les diffrents lments de sa ration certaines constantes, telles que le pourcentage de calories d'origine protique par rapport aux calories totales, l'Homme peut prosprer aussi bien partir d'un rgime essentiellement carn qu' partir d'un rgime presque totalement vgtarien. Les spcialistes ne sont pas encore totalement d'accord sur ces normes, ainsi qu'en tmoignent les controverses qui se perptuent sur la notion de besoins alimentaires. C'est ce que dmontre aussi la rvision priodique des allocations recommandes en nutriments qui runit priodiquement un comit international d'experts sous l'gide de l'OMS et de la FAO (4). Ce n'est pas par hasard si un rcent symposium opposait les exigences nutri- tionnelles de l'animal humain aux besoins alimentaires qu'il ressent en tant qu'individu dot de conscience et intgr dans la socit laquelle

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    il appartient Diet of Man, Needs and Wants (5). Certaines socits, telles que celles de l'intrieur de la Nouvelle-Guine, subsistent de faon relativement satisfaisante sur des rations si faibles en lipides, protines et surtout en protines animales, par rapport aux normes tablies dans la science occidentale, que l'on a voqu des diffrences qui relvent du domaine de la physiologie et propos duquel le dbat reste pudiquement discret mais ouvert (6). Ainsi, par exemple, l'importance des pertes d'azote dans les excrments par rapport l'azote contenu dans la ration ingre chez certains montagnards de la Nouvelle-Guine, comme les Chimbu, a conduit mettre l'hypothse que certaines bactries auraient la capacit de fixer dans l'intestin l'azote gazeux (7).

    L'Homme n'est pas condamn une utilisation totale des ressources qui lui sont offertes par le milieu et que ses moyens techniques l'autorisent matriser. Il doit toutefois en effectuer un usage minimal qui satisfasse ses exigences sur deux plans : celui de la culture, celui de la biologie. La survie des individus et de la socit qu'ils constituent exige que les besoins nutritionnels de l'tre biologique soient remplis, mais le niveau de satisfaction de ces besoins varie sensiblement d'une socit l'autre. Il est des socits bien alimentes et d'autres o se maintiennent d'une gnration l'autre sur diffrentes catgories d'individus des carences endmiques qui se rpercutent sur la dmographie de la population tout entire (8). Rien n'interdit de penser que certaines socits, dont l'ajustement aux exigences nutritionnelles tait insuffisant, se soient teintes. Vers 1950, la modification du circuit de migration du caribou, dont les Eskimos du Nord-Ouest du Canada tirent la presque totalit de leurs ressources vivrires, aurait vraisemblablement provoqu l'extinction de cette population par la famine si le gouvernement canadien n'avait pris des mesures nergiques pour dplacer les survivants vers la zone plus clmente de la cte (9).

    Sans doute les moyens techniques dont disposent les socits pour exploiter les virtualits alimentaires sont-ils incriminer au premier chef, mais c'est un lieu commun de signaler que les obstacles l'utilisation des ressources alimentaires matriellement disponibles sont d'ordre culturel, et l'on se rfrera ici volontiers au tabou sur la vache respect par les populations hindouistes et bouddhistes de l'Inde ou au fait que, comme l'crit L. White (10), l'Homme soit le seul animal capable de distinguer l'eau bnite de l'eau ordinaire.

    ARBITRAIRE CULTUREL ET MALADAPTATION NUTRITIONNELLE.

    La dcision de considrer une virtualit nutritionnelle comme un aliment consommable traduit un certain arbitraire culturel qui droute bien souvent les spcialistes en provenance des sciences naturelles, habitus frquenter des animaux de laboratoire. Comme l'crit Hornabrook propos d'une des populations-vedettes du Programme biologique mondial, les habitants de Kaul (dans l'Ile de Kar-Kar au sud-est de la Nouvelle- Guine), aprs avoir fait remarquer le faible niveau du rgime sur le plan

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    calorique et surtout protique aux environs de 6 % des calories totales : ... On considre habituellement que les tres humains consomment naturellement le rgime alimentaire qui est physiologiquement optimal. Les gens de Kaul, qui pourtant vivent dans une assez grande proximit de a mer, utilisent le poisson et les autres ressources de l'Ocan de faon extrmement parcimonieuse (11) .

    Il n'existe pas de bonne fe nutritionnelle ou, plus exactement, son action est limite. Pouss par son instinct alimentaire spcifique, le choix alimentaire de l'Homme doit rpondre des besoins nutritionnels, guid par des stimuli internes et satisfaire sa faim. Les nourritures qu'il ingre doivent possder certains caractres sur le plan de l'odeur, de la saveur et du toucher et satisfaire son apptit, c'est--dire son dsir de renouveler une exprience sensorielle agrable et de retrouver un bien-tre conscutif l'alimentation (12). Sans doute cet apptit est-il dans une large mesure ajust aux besoins de son organisme et l'on mentionne dans ce domaine la rgulation spontane observe exprimentalement chez les enfants en bas ge, en particulier chez les bbs en tat de dshydratation toxique(13).

    C'est un peu en ce sens que l'on interprte d'ailleurs souvent la go- phagie comme la rponse d'un organisme qui ne trouve pas dans le rgime alimentaire normal le calcium et le fer dont il a besoin (14). Un examen approfondi de la documentation ethnographique montre combien on doit se montrer prudent devant des notions comme celle de faim de viande ou de cannibalisme alimentaire. Il semble que les mcanismes de scurit qui vitent le suicide par l'alimentation soient relativement grossiers. Comme l'crit Le Magnen : On observe (le dveloppement) chez l'Homme d'un comportement d'autostimulation sensorielle dans lequel le renforcement par le plaisir sensoriel se substitue , et l'emporte sur, l'activit limitante et rgulatrice de la satisfaction mtabolique (15).

    Les ravages causs chez l'Homme moderne sdentaire par une consommation plthorique d'aliments carns, de lipides et de sucres montrent combien il est incapable d'adapter spontanment sa consommation sa dpense nergtique, et substitue la satisfaction de ses exigences biologiques celle de besoins qui sont d'un autre ordre et relvent de la psychologie individuelle et de la culture.

    Les sensations tactiles, gustatives et olfactives recherches dans la consommation alimentaire sont forges dans la petite enfance et profondment marques par la culture; elles nourrissent les strotypes qui opposent les diffrentes socits sur le plan gastronomique. Ces apptences sont, dans une large mesure, culturelles ; l'accoutumance aux saveurs pimentes et poivres peut crer une vritable barrire culturelle et inversement contribuer la cohsion d'un groupe. C'est le cas, par exemple, des minorits javanaises en Nouvelle-Caldonie dans un contexte o la cuisine, base de tubercules, fait appel des saveurs remarquablement neutres (16). Il en est de mme des sensations qui relvent de la cnesthsie : la valorisation diverse accorde au sentiment de repletion. Le passage de la ventre scurisante une cuisine raffine caractrise par la multiplicit des stimulations d'ordre sensoriel et une moindre hbtude digestive, autorisant la conversation, s'est effectu de faon relativement rcente dans la civilisation franaise. Il y a loin de Rabelais Grimod de la Reynire. Inversement, les Massa du Nord-Cameroun, accoutums consommer des farines de

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    sorgho rouge riches en cellulose, ont t longtemps rfractaires au riz blanchi dont on ne ressent pas suffisamment, selon eux, la charge confortante au cours de la digestion.

    L'Homme ne possde pas l'exclusivit des aberrations nutritionnelles elles ont t provoques exprimentalement sur les animaux de laboratoire. Dans la nature, un mouton qui ingre trop de trfle peut mourir victime de sa gourmandise; un lagopde bu une grive qui se sont gorgs de framboises sauvages ou de raisins mrs peuvent manifester des symptmes d'brit, mais il ne s'agit ici que d'accidents. L'Homme en revanche est capable de consommer, de faon consciente, des aliments dont il connat de faon plus ou moins explicite l'action ngative ou simplement neutre sur son organisme. En agissant de la sorte, il est vident qu'il ne recherche pas un bnfice nutritionnel direct ou une adaptation l'environnement, mais la satisfaction de certaines exigences qui relvent de la culture dans laquelle il volue et des exigences de sa psychologie individuelle. Dans toutes les socits humaines, on observe la consommation de boissons fermentes dont la teneur en alcool varie mais dont l'effet intoxicant semble plus recherch que l'intrt nutritionnel. On observe aussi la consommation d'excitants et de stupfiants plantes masticatoires, infusions diverses ou mme aliments toxiques tels que l'amanite (Amanita muscaria) chez les populations sibriennes (17) ou le peyotl mexicain (Lophorphora williamsii), dont les dgts physiologiques sont certains et l'intrt nutritionnel pour le moins contestable.

    C'est dans une mme perspective que l'on pourrait mentionner le snobisme alimentaire qui pousse consommer des aliments en fonction de leur raret et de leur valeur de prestige (18) plutt que de leur valeur nutritionnelle ou leur intrt sur le plan organoleptique. Brillt-Savarin, en innovant ses prouvettes gastronomiques , anticipait bien les ractions de M. Prudhomme face aux aliments exotiques dlicats et s'efforait de trouver une correspondance gastronomique la hirarchie socio-conomique de son temps (19). L'empereur romain Hliogabale ne faisait-il pas colorer les plats pour obtenir des repas meraude ou pourpres et n'ordonnait-il pas ses cuisiniers de mler aux mets des perles, de l'ambre et de la poudre d'or (20)? La feuille d'argent comestible n'est-elle pas encore aujourd'hui un des lments de la cuisine d'apparat de l'Inde du Nord?

    Dans quelle mesure gote-t-on aujourd'hui rellement l'arme de la truffe dans les prparations industrielles dites aux truffes , que cette mention, plutt que la quantit parcimonieuse qui en est utilise, autorise figurer aux menus d'apparat? La valeur symbolique domine et il ne faut pas oublier que l'Homme n'ingre pas des nutriments pour se sustenter, mais dguste des plats de composition complexe, combins entre eux. On pourrait parler ici d'une double articulation de la gastronomie. L'intrt nutritionnel d'un plat n'est que l'une des multiples significations dont il est charg. La dittique contemporaine en sait quelque chose, qui doit s'appuyer sur l'esthtique corporelle et agiter devant les obses le spectre d'un trpas prcoce.

    Les aberrations alimentaires ne sont pas l'apanage d'individus isols. Certaines socits, certaines cultures sont susceptibles d'effectuer de mauvais choix et de s'y tenir en dpit de la capacit matrielle qu'elles eussent eu d'en effectuer de meilleurs. Il est plus embarrassant d'observer

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    dans certaines socits traditionnelles une prfrence pour un aliment de base fortement valoris, ce que Jelliffe appelait une super-nourriture culturelle (21), dont l'intrt " nutritionnel est mdiocre et contribue au dsquilibre permanent du rgime alimentaire. Que l'on pense aux socits forestires dont l'aliment de base est le manioc ou la banane plantain, ou aux socits dont l'ordinaire est base de riz poli. Dans ces dernires, le bribri n'est pas rare; dans les premires les carences pro- tiques svissent en permanence dans la population infantile. Les socits forestires, en particulier, par le choix qu'elles effectuent, s'infligent, de faon peut-tre arbitraire, un problme d'quilibre alimentaire difficile rsoudre. Comme l'crit J. Prisse, ... une ration dans laquelle l'essentiel des calories provient des tubercules pourra difficilement prsenter un taux de calories protiques lev. Il faudrait pour cela que les lgumineuses et les produits animaux soient prsents en grande quantit (22) . Il est possible que jadis la densit leve du gibier ait autoris une complmentation plus facile du rgime, mais c'est rarement le cas dans les socits contemporaines.

    Sans doute l'usage des tubercules s'impose-t-il en milieu equatorial humide o la production et surtout la conservation des crales posent des problmes difficiles rsoudre. Il existe nanmoins entre la zone de savane et la zone forestire quatorale une large bande climatique dans laquelle s'observent concurremment la production de crales (en particulier du mas) et celle des tubercules utiliss comme aliments de base. Le problme se pose de mettre en vidence les facteurs qui ont pouss tel ou tel groupe accorder une priorit plus ou moins grande aux tubercules plutt qu'aux crales.

    Les vestiges archologiques datant de 1000 avant J.-C. qui ont t mis au jour Rancho Peludo au nord-est du Venezuela et Momil dans le nord de la Colombie montrent que la culture du manioc et celle du mas se sont succd dans un mme environnement avant qu'une prminence se soit dessine en faveur de la vgculture (conuco), qui reprsente un cosystme plus aisment gnralisable et moins vulnrable que celui qui est centr sur les crales (milpa) (23).

    C'est une volution similaire que l'on assiste actuellement en milieu tropical africain o le manioc tend occuper des surfaces de plus en plus importantes par rapport aux crales (sorgho et mil pnicillaire). Si l'on examine les raisons qui poussent cette substitution, on constate qu'elles ne sont pas simplement, et sans doute pas au premier chef, d'ordre nutritionnel. L o des sols appropris sont disponibles, la culture du manioc permet de disposer d'une rcolte haut rendement, facile stocker et qui continue tre disponible pendant la priode de soudure alimentaire. Et l'on accepte volontiers un ventre plein d'un aliment de base glucidique contre l'abandon d'un aliment quotidien plus intressant sur le plan nutritionnel mais plus incertain. Si l'on examine, par exemple, la faon dont le manioc s'est rpandu dans le nord du Cameroun, on constate qu'il l'a fait tout d'abord la priphrie des villes et bourgades et sans doute sous l'influence des minorits de salaris du Sud chez qui il est l'aliment de base. S'il a t accept, c'est en raison du prestige des modles diffuss par une minorit urbaine et surtout en raison de la simplicit relative de ses faons culturales par rapport celles des crales locales. Plutt qu'une adaptation

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    aux exigences nutritionnelles, c'est une adaptation aux conditions cres par le travail salari horaire qui se manifeste dans l'adoption du manioc car, au niveau de la production, il allge l'emploi du temps des deux sexes. Au niveau de la consommation, la complexit de sa prparation, qui incombe aux femmes, n'apparat pas, jusqu' leur prochaine mancipation, comme un facteur susceptible de freiner son utilisation. Enfin, la charge intestinale provoque par sa consommation n'a rien envier celle qui est ressentie aprs l'ingestion des bouillies et des ptes paisses de sorgho.

    A ct des croyances magico-religieuses extrmement diverses et qui sont relatives au maintien de la sant ou l'limination de la maladie, l'un des comportements les plus constants susceptibles d'avoir une rpercussion nutritionnelle, c'est la recherche d'un sentiment de repletion, qui marque l'hdonisme plutt que la rationalit alimentaire chez les hommes aussi bien que chez les autres animaux. Son expression fournit aux dictons et la littrature orale un domaine de choix. La plupart des socits traditionnelles possdent l'quivalent des expressions images que l'on relve encore dans le Sud-Ouest franais. S'exclamer : Arrte, j'ai les dents du fond qui baignent! , ne connote-t-il pas une situation analogue celle de l'Eskimo qui s'est gorg de viande au point de ne pouvoir rintgrer sa langue l'intrieur de sa bouche? La hartre, tre hart , ne suggrent-ils pas les bruits de politesse qui doivent marquer au Maghreb la fin d'un bon repas, ce qui se traduit par le souci de la ventre et la recherche des adjuvants qui la permettent, tels, en Afrique, les mucilages qui facilitent physiquement l'ingestion de bouillies et de ptes paisses base d'hydrates de carbone : le gombo (Hibiscus esculentus), la feuille de baobab (Adansonia digitata), l'aubier d'une tiliace (Grewia mollis) ou les feuilles bouillies qui en tiennent lieu, celles des amarantes ou du jute (Corchorus olitorius) par exemple?

    Les protines animales, le plus souvent ingres en petite quantit, ont aussi pour but de stimuler l'abondante consommation des glucides et les graisses jouent de mme souvent le rle d'un mucilage de luxe. Dans le cas des socits de chasseurs /cueilleurs, comme l'ont fait remarquer de nombreux auteurs, la ventre est le meilleur moyen d'assurer le stockage des denres prissables et, en particulier, des protines animales que l'on ne sait pas conserver. L'volution de ces groupes montre qu'en dpit des opinions rcemment en vogue sur leur prosprit conomique (24), la plupart changent une alimentation saisonnire o les protines animales sont relativement abondantes mais disponibles de faon irrgulire, contre un rgime glucidique, rgulier, mais dont l'abondance pallie la monotonie (25). Il n'est, d'ailleurs, pas impossible que cette notion mme de monotonie alimentaire ne soit pas un pur produit des civilisations industrielles Du foie gras tous les repas ! La socit traditionnelle rpondrait : Oui, et pourquoi pas? II en va de mme si l'on observe l'volution du rgime dans la socit en cours de montarisation. L'accession au salariat rgulier montre, au Sngal, par exemple, une tendance adopter des rgimes strotyps mais pas ncessairement quilibrs sur le plan nutritionnel, forts en glucides, lipides et protines animales (26). Et ici nous avons une opinion distincte de celle de D. Sanjur (27). Sans doute l'augmentation du revenu se manifeste-t-elle par une multiplication des

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    denres achetes, mais elle se traduit aussi par une disparition des denres en provenance de la cueillette traditionnelle, dont l'image s'est dgrade, et l'on peut mettre l'hypothse que, dans certains cas, le rgime obtenu dans un cadre montaire moderne est moins vari, en particulier sur le plan vitaminique, que le rgime traditionnel infra-montaire.

    Si l'on peut parler d'adaptation ici, c'est que se fait jour un souci de s'affranchir des contraintes du milieu naturel pour adopter un rythme alimentaire constant strictement dtermin par des exigences culturelles. Ces exigences culturelles, tant de plus en plus amples gographiquement, sont de plus en plus abstraites du rythme saisonnier annuel. Avec le passage du lignage la socit rurale, aux ensembles rgionaux, aux nations, au monde tout entier comme cadre de rfrence, les seules priodicits conserves sont relatives des cycles festifs complexes que de nombreux facteurs contribuent fixer et o le rythme hebdomadaire sera bientt le seul subsister universellement. Et sans doute serait-il possible de mettre en vidence une fois de plus combien le souci d'ajustement aux contraintes culturelles et psychologiques qu'elles engendrent est dmarqu, on pourrait presque crire indpendant, d'une notion d'adaptation au sens o l'entendent les physiologistes tant au niveau de l'individu qu' celui du groupe.

    LE SEVRAGE.

    Sur un autre plan encore, le comportement alimentaire de l'Homme semble satisfaire difficilement les exigences de sa physiologie, et il s'agit mme d'un domaine propre le caractriser par rapport aux autres animaux : celui de sa trs longue enfance, au cours de laquelle son dveloppement physique est troitement li sa nutrition. Il est de notorit publique que, dans les socits traditionnelles, la mortalit infantile atteint un taux lev au cours de la priode du sevrage et sans doute s'agit-il ici d'un des rares universaux en matire d'alimentation humaine. Alors qu'il est encore au sein dans des conditions de nature , le nourrisson prospre dans la plupart des cas; ds qu'il est sevr et pntre dans l'aire d'influence de la culture o il a vu le jour, il accde une priode dangereuse de son existence. Au traumatisme cr par sa sparation plus bu moins brutale de la mre, vient s'ajouter une alimentation qui lui est peu familire et qui est gnralement mal adapte aux exigences de sa croissance, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif. On voit souvent apparatre des symptmes de maladies nutritionnelles kwashiorkor, marasme principalement dues l'inadquation du rgime sur le plan protique mais qui n'excluent pas dans certains cas son insuffisance calorique. L'Homme, sa culture, se substituent ici la nature, en dcidant, selon des normes qui sont particulires chaque groupe, du moment du sevrage et en prescrivant les aliments qui devront tre utiliss par le bb. Il est frappant de voir combien peu de socits humaines ont t aptes mettre au point ou utiliser un aliment de sevrage adquat sur le plan nutritionnel. La sagesse populaire, que l'on imaginerait tout de mme

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    influence par les pulsions alimentaires instinctives de l'Homme, fait preuve dans ce domaine du plus grand arbitraire. L'enfant est gnralement introduit l'aliment de base de la communaut, celui qu'elle considre comme son pain quotidien offert par les dieux . Tant mieux pour l'enfant si celui-ci renferme un taux lev de protines tant pis pour lui s'il s'agit du manioc ou de la banane. Dans le meilleur des cas, on s'efforcera de lui fournir un aliment blanc symboliquement quivalent au lait fminin. C'est, par exemple, le cas du lait de pain de singe obtenu partir de la pulpe du baobab ou des bouillies claires de mil pnicillaire, lgrement fermentes, que l'on observe au Sngal. Sans doute les rituels traditionnels jouent-ils un rle efficace en adaptant les futurs adultes leur aliment de base, mais ils manquent de souplesse et jouent un rle inverse en ce qui concerne l'alimentation infantile dont on ne reconnat gnralement pas les exigences protiques hors du sein maternel, pas de salut. On est en droit de se demander pourquoi les socits humaines qui ont t capables de reconnatre et d'liminer les principes toxiques prsents dans de nombreux tubercules, afin d'en faire leur aliment de base, se sont rvles dans la plupart des cas incapables d'apprhender les exigences nutritionnelles des petits de leur espce. Si l'on est la recherche d'une finalit ou d'un processus destin maintenir une certaine homostasie, on ne peut liminer l'hypothse que la mortalit infantile leve que l'on observe dans la plupart des socits traditionnelles et qui, dans les cas extrmes comme ceux des populations arctiques (Eskimos) ou insulaires (Marquises), peut aller jusqu' l'infanticide, soit un dispositif de scurit ajustant l'expansion dmographique aux ressources du milieu et autorisant au prix d'un prlvement constant au niveau des jeunes le maintien long terme de la socit dans les limites de son territoire. S'en tenir ce genre d'explication mconnatrait toutefois certaines caractristiques originales des socits humaines : leur mobilit, leur capacit suppler par l'change l'insuffisance des ressources du milieu qu'elles occupent.

    Sans doute, dans le cas de l'alimentation de sevrage, peut-on plaider l'ignorance. Ignorance des exigences nutritionnelles infantiles, mais aussi vision confuse des relations qui existent entre la consommation alimentaire, la croissance, la sant. On notera au passage que les socits prmachinistes n'ont pas le monopole de la confusion en matire de nutrition. Pendant trs longtemps, l'embonpoint et l'obsit sont apparus comme des manifestations positives : que l'on pense au jeune enfant de la bourgeoisie occidentale bourr de bouillie l'office..., que l'on pense aussi aux femmes des populations sahariennes (Maures, Touareg) dont on valorise, recherche et fabriquait, jusqu' une priode rcente, l'obsit, signe de prestige dans un contexte o le milieu naturel exige la fois l'agilit et la frugalit. Sans doute s'agit-il l d'un des exemples les plus aptes mettre en vidence le caractre ludique des relations de l'Homme au milieu naturel, et la prminence accorde des standards sociaux, ici de prestige, en contradiction flagrante avec les contraintes cologiques.

    On peut aller plus loin et constater qu'en matire nutritionnelle, l'Homme est un snob, capable de refuser de faire usage des connaissances qu'il possde et qui pourraient, dans certains cas, amliorer sa sant ou mme lui sauver la vie. L'exemple du vgtarisme auquel se condamne une fraction importante de la population indienne est trop connu pour que l'on y

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    insiste; mais les systmes de prohibitions et de prfrences alimentaires qui caractrisent de faon originale la plupart des socits humaines fournissent tous des exemples o des choix qui apparaissent positifs sur le plan de la culture ont des consquences ngatives sur le plan biologique, en particulier lorsqu'ils concernent les groupes dits vulnrables femmes enceintes, allaitantes, enfants, vieillards et malades.

    ADAPTATION AU MILIEU ET SELECTIVITE ALIMENTAIRE. NCESSIT D'UNE APPROCHE COMPARATIVE.

    Il est moins frquent de signaler l'important dcalage qui existe entre les ressources vivrires connues et celles qui sont utilises. Sans doute la rigueur de l'exploitation est-elle dans une large mesure conditionne par celle des exigences de survie et les Eskimos tirent-ils un parti plus exhaustif des ressources qui leur sont offertes que des socits situes dans un milieu plus clment que l'Arctique. Mme les Boschimans, qui occupent une zone aussi dshrite, sont trs slectifs dans les choix alimentaires qu'ils effectuent et sont loin d'utiliser avec un gal enthousiasme toutes les ressources disponibles. Les Kung connaissent et nomment 200 espces de plantes, 220 d'animaux, parmi lesquelles ils considrent comme comestibles 85 espces des premires, et 54 des secondes. Toutefois, 9 espces seulement fournissent l'essentiel de l'alimentation vgtale, dont la noix de ricinodendron, vritable pain quotidien (28). Un autre groupe, les Gwi, est tout aussi slectif et n'utilise de faon constante que 13 espces vgtales, d'ailleurs diffrentes de celles des Kung (29). Les Hadza, tudis par Woodburn, se contentent de 10 espces majeures (30). Les socits agricoles utilisent une gamme encore plus restreinte. C'est ainsi que, chez les Massa du Tchad et du Cameroun, les aliments consomms de faon courante se rduisent moins d'une dizaine (31). On notera aussi que la plupart des adultes restreignent ds qu'ils atteignent l'ge de la responsabilit leur rgime en l'amputant de tous les produits de cueillette qu'ils utilisaient au cours de leur enfance et qu'il est devenu dornavant appropri de classer dans les a cochonneries . Il faut un long dtour pour retrouver une valorisation de l'ortie ou des bulbes de nnuphar telle qu'elle apparat dans la cuisine cologique-minceur de notre socit franaise contemporaine.

    Les tenants de l'cologie culturelle (32) qui traitent des socits marginales situes dans des milieux naturels frquemment contraignants ont souvent tent de montrer que tel groupe, connu comme une entit isole, tire toujours un parti honorable du milieu dans lequel il est insr, le niveau de russite auquel il parvient sur le plan vivrier tant conditionn par son niveau de connaissances, la technologie dont il dispose et peut-tre une sagesse profonde qui l'empche de compromettre de faon irrmdiable l'quilibre de l'cosystme dans lequel il se maintient petits pas. Sur ce dernier point, l'exprience contemporaine que l'on possde des chasseurs/ cueilleurs montre que les prcautionneux Tasaday (33) qui, grce une vritable planification de l'usage des produits de cueillette, animaux et

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    vgtaux, parviendraient vivre cantonns dans un territoire tonnamment restreint pour des chasseurs /cueilleurs, constituent l'exception. Dans la plupart des cas, l'inefficacit relative des techniques de capture assure la scurit des espces sur lesquelles s'effectue la prdation; mais combien de socits de chasseurs anantissent sans piti les femelles gravides qui tombent entre leurs mains, combien de pcheurs, s'en remettant la bienveillance de la divinit des eaux, cument jour aprs jour les rares trous d'eau qui subsistent dans les fleuves africains au cours de la priode d'tiage.

    Sans doute peut-on aussi voquer ici les interprtations aujourd'hui justement critiques (34) que donne M. Harris de l'attitude des juifs et des musulmans vis--vis du porc, lesquelles mettent au premier plan la mauvaise adaptabilit du pauvre animal au genre de vie des nomades et le souci de prserver l'quilibre d'un cosystme fragile, pour ne point voquer les arguments dits sanitaires qui crditent les populations smites de connaissances sur la trichinose qui n'ont t acquises qu'en 1860 (35).

    Le problme n'est pas de montrer le parti vivrier qu'une socit isole peut tirer du milieu, mais les diffrentes solutions que diverses socits peuvent adopter partir d'un milieu naturel homogne sur le plan de la production vivrire. Des nuances difficilement perceptibles au niveau de la composition des sols agricoles, du relief ou de l'irrigation suffisent provoquer des diffrences trs relles au niveau de la consommation alimentaire. C'est au niveau des micro-systmes cologiques que se situe la comprhen- dion de l'intgration vivrire d'une communaut dans son milieu. En 1960, sans l'arrondissement de Thienaba, Sngal, avant la priode de scheresse actuelle, les villages serr situs en bordure de marigots d'tendue et de profondeur mdiocres tiraient de la pche sporadique qu'ils y pratiquaient un rgime sensiblement plus riche en protines animales que la moyenne des autres villages, pourtant peu loigns (36). Dans les populations du Nord-Cameroun et du Tchad, l'accs aux rives du Logone, aux tacs du Mayo Kebbi, se rpercute lourdement sur le rgime alimentaire des units villageoises, tant cause des possibilits offertes la pche et l'agriculture, en raison de la nature des sols et de l'irrigation, que dans le domaine de l'levage grce la permanence des pturages. Sans doute est-il exact que dans une certaine mesure l'cologie influe sur les choix culturels, mais encore faut-il se garder des explications trop simplistes.

    Dans la rgion du Nord-Cameroun et du Tchad que nous connaissons, existe-t-il sur le plan vivrier davantage de similitudes entre deux villages riverains du cours d'eau, appartenant deux ethnies diffrentes, qu'entre deux villages appartenant une mme ethnie mais dont l'un est situ au bord de l'eau et pas l'autre? Le problme est difficile trancher et exige une analyse locale minutieuse qui implique aussi un recours la micro-histoire.

    Deux possibilits se rencontrent dans le cas de socits occupant une mme zone gographique. Elles disposent ou non du mme corpus de connaissances et elles ont ou non dvelopp la mme technologie. Les exemples abondent de socits contigus qui occupent une mme zone et ont adopt des genres de vie, donc des styles alimentaires, diffrents. Il faut se montrer trs prudent ici, car dans la plupart des cas des populations diverses situes dans une mme zone gographique y occupent

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    de fait des micro-milieux distincts, appropris aux productions vivrires qu'ils ont lues. Sans doute peut-on parler de rciprocit de perspective entre milieu et stratgie vivrire. Il n'en reste pas moins que les Turkana, leveurs riverains du lac Rudolf au Kenya, pourraient y pratiquer la pche ou tout au moins en consommer le poisson, s'ils n'y voyaient, comme beaucoup d'autres pasteurs, une abomination et un dernier recours (37).

    Le district de Mangola en Tanzanie, proximit du lac Eyasi, est occup par des socits traditionnelles contigus dotes de genres de vie sensiblement diffrents : les Hadzapi chasseurs /cueilleurs ; les pasteurs datoga nomades; les Iraqw qui ont une conomie sdentaire agro-pastorale; des groupes swahili dont l'conomie essentiellement agricole est diffrente des prcdents; enfin des groupes qui, des degrs divers, exploitent les eaux du lac Eyasi, et l'on serait tent de suggrer qu'ils occupent dans un mme cosystme des niches cologiques diffrentes (38).

    Sans doute peut-on voir une spcialisation analogue celle que l'on observe chez les animaux et qui permet une occupation plus dense du milieu. Le rapprochement avec le reste du rgne animal ne saurait tre pouss trop loin. Un examen suffisamment prcis montre que les groupes voisins dont il vient d'tre question sont en rapport de comptition, plutt que de complmentarit vivrire. Sur un plan plus gnral, une socit traditionnelle ne saurait tre assimile une espce animale dote de caractristiques alimentaires spcifiques et impermable au comportement des espces voisines, bien au contraire (39). Il n'existe pas de socit humaine totalement isole; qu'il s'agisse des Boschimans ou des Pygmes (40), elles sont toutes en relation d'change avec des socits voisines et les Tasaday, sur le plan matrimonial, ne faisaient pas exception la rgle (41). D'autre part, quel que soit son volume, elle est elle-mme compose de groupes, d'entits qui sont suffisamment htrognes ou conues comme telles pour pouvoir dialoguer et changer.

    Il est plus fcond de comparer entre elles des socits voisines situes dans un mme milieu naturel et dotes du mme bagage technologique (voir tableau 2 en annexe). Les diffrences qui seront ventuellement constates manifesteront un parti pris culturel plutt qu'un conditionnement imprescriptible par les contraintes du milieu, conception qui autorise adopter la mme problmatique que dans le cas des socits animales.

    FONCTION SOCIALE DE L'ALIMENTATION.

    Les populations du Nord-Cameroun et du Tchad (Massa, Moussey, Toupouri), dont nous avons souvent trait (42), rpondent aux critres voqus. Elles vivent en troite contigut gographique dans un mme milieu naturel, elles disposent de la mme technologie, sont informes de leurs cultures respectives, elles s'intermarient frquemment et, comme on l'a montr par ailleurs, possdent dans une large mesure une origine gnalogique commune (43). L'usage alimentaire que font ces groupes des ressources qui sont leur porte est pourtant distinct. Ils n'accordent pas la mme priorit aux activits qui permettent l'acquisition ou la pro-

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    duction de produits vivriers chasse, pche, agriculture et levage. Ainsi, par exemple, les Massa valorisent davantage la pche et l'levage que l'agriculture ; les Moussey l'agriculture et la chasse ; les Toupouri l'agriculture et l'levage. On est en droit de considrer que si le but essentiel de ces socits tait de rechercher la plus grande efficacit nutritionnelle par rapport aux investissements en nergie, par exemple, on aurait d voir la meilleure solution se rpandre dans chacun des groupes. C'est ainsi que l'on aurait pu voir merger la meilleure varit de sorgho et assister, par exemple, l'adoption du sorgho repiqu de saison sche (Sorghum durrha le babouri dans la terminologie foulb) dont les rendements sont trs levs partout o des terres hydromorphes leur convenant sont disponibles. Il n'en a rien t. Chacun des groupes possde sa propre gamme de sorgho et n'accorde pas la mme priorit aux varits disponibles. Loin de tirer profit du babouri, certains Massa respectaient jusqu' il y a peu de temps un interdit absolu sur sa culture. Les Moussey ont attendu une priode rcente pour se mettre l'levage des bovins alors qu'ils se livrent depuis trs longtemps celui des chvres, des moutons et du cheval, ce qui montre bien que la prsence des glossines ne leur interdisait pas ce type d'levage. Inversement, les Moussey cultivent en abondance des pois voandzou (Voandzeia subterranea), des haricots et du ssame, ce qui n'est pas le cas des Massa ni des Toupouri qui pourraient facilement le faire et amliorer ainsi la composition protique et lipidique de leur rgime.

    Sur le plan de la consommation, on distingue entre chacun de ces groupes des nuances trs perceptibles dans la gamme des aliments qui sont le plus frquemment consomms, de ceux qui sont inclus dans le rituel, enfin de ceux qui font divers titres l'objet d'une prfrence commune. Chaque socit possde ses aliments de base, fortement valoriss sur le plan symbolique, et pas seulement, comme l'crit Lee, en fonction de ... leur abondance, de leur facilit de production ou de leur qualit nutritionnelle (44) . La srnit de ce genre d'explication est le plus souvent trouble par ce que nous avons appel l'arbitraire culturel .

    Les comportements alimentaires constituent l'un des registres qui autorisent une socit affirmer et afficher sa cohsion, ils ont une valeur dmarcative et nourrissent les strotypes xnophobes qu'entretient chaque culture vis--vis de ses voisines. Ce n'est pas par hasard que la cuisine figure au premier plan dans la panoplie des revendications rgionales. Les changements de comportement alimentaire auxquels nous assistons depuis vingt ans dans le Nord-Cameroun montrent que ce sont des modifications de la structure politique et sociale, sans doute lies l'conomie mais qui sont essentiellement de l'ordre de la culture, qui se rpercutent sur la consommation alimentaire. Il s'agit plutt d'une agression des modles extrieurs aux socits que d'une volution progressive tendant assurer un quilibre dans un milieu naturel lentement modifi. Les Massa, comme la plupart des populations non musulmanes de la rgion qui nous intresse, ont pendant des centaines d'annes lutt militairement pour leur survie physique et leur authenticit culturelle et ont, sur le plan vivrier, prserv un style original tay par un important corpus de symboles et croyances traditionnels, dont cet interdit, respect jusqu' une priode rcente par les Massa de Guisey : la culture du babouri.

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    Ce groupe connaissait les faons culturales de cette varit et possdait les terres hydromorphes qui leur sont ncessaires, mais a pendant longtemps refus d'adopter une culture qui aurait doubl sa rcolte et considrablement attnu l'acuit de la priode de soudure. Mais la terre de Guisey (nagata), conue comme une entit fminine, ne tolrait pas sur son corps la prsence d'une telle rcolte trangre et et provoqu, avant la rcolte, la mort de tout novateur irrespectueux. Il n'est pas indiffrent que les Massa de Guisey soient prcisment ceux qui se trouvent directement en contact avec les Toupouri et le plus fortement influencs par ce groupe dynamique dont le sorgho repiqu de saison sche (sans doute emprunt aux Foulbs) est un des atouts conomiques majeurs. Refuser de doubler la rcolte de crales et d'adopter un trait culturel positif sur le plan de l'adaptation biologique permet de s'affirmer comme Massa face la pression toupouri et de se maintenir en tant qu'entit culturelle et gntique. Le cas prsent n'est sans doute pas isol et l'on doit envisager ce genre d'usage non nutritionnel de l'alimentation destin, comme l'crit M. Sahlins (45), favoriser les chances de vie sociale dans le cadre d'une culture conue comme une entit autonome.

    Il semble qu'au-del des dterminismes imposs par le milieu, se manifeste au niveau de chacune des cultures un souci d'utiliser l'alimentation pour affirmer et afficher sa cohsion interne et son htrognit par rapport aux cultures voisines.

    Il apparat aussi qu'au sein de chaque culture globale les aliments et les plats sont utiliss pour expliciter des carts diffrentiels entre les diffrents groupes oprant dans la socit et entre les diverses catgories d'individus. On peut donc mettre l'hypothse que la raison d'tre de ces carts diffrentiels ne se situe pas sur le plan de la biologie mais sur celui de la culture, en oprant dans le domaine de l'alimentation comme la prohibition de l'inceste dans celui de la sexualit, et en provoquant le passage du fait naturel de la consanguinit au fait culturel de l'alliance (46) . La diffrenciation des attitudes et des comportements alimentaires tout la fois contribue marquer la cohsion du groupe d'origine et maintenir entre les individus et les groupes sociaux et les cultures une htrognit qui favorise la communication et l'change sans lesquels il ne peut exister de socit humaine.

    l'volution contemporaine, consquences culturelles et biologiques.

    On assiste aujourd'hui un profond bouleversement de la situation que nous venons de dcrire. Les Massa du Cameroun tendent depuis une dizaine d'annes modifier leurs habitudes alimentaires, abandonner le sorgho rouge htif qui tait leur aliment de base pour le riz qu' l'origine ils ont t obligs de cultiver industriellement, et pour le sorgho blanc repiqu tardif. C'est prcisment chez les Massa de Guisey, jadis rfractaires mais qui occupent des sols appropris, que se dveloppe le plus rapidement cette dernire rcolte. Que s'est-il pass? Assaillis de toute part par des

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    modles extrieurs et profondment dcourags par leur infriorit matrielle, les Massa ont tout simplement renonc dfendre leur autonomie culturelle. Ils cdent aux influences conjugues du dveloppement conomique moderne, des contraintes politiques qui l'accompagnent et de l'Islam, toutes trois exerces par l'intermdiaire des populations islamises et en particulier des Foulbs, qui ont jadis domin militairement la rgion et jouissent aujourd'hui de la sympathie gouvernementale. Ils exercent une influence prdominante dans tous les domaines et constituent le modle culturel envi dans toute la zone par les non-islamiss. La russite politique, conomique et sociale implique pour un Massa de s'adapter aux circuits qu'ils contrlent et de devenir un vrai Foulb; de mme qu'il abandonne volontiers sa propre langue pour le f ufuld ou s'efforce d'emprunter le style vestimentaire des islamiss, il adopte leur comportement alimentaire. C'est ainsi que le riz, qui tait mpris, car une varit sauvage (Oryza barthii) constituait jadis un aliment traditionnel d'appoint, est aujourd'hui apprci et que l'on assiste une dvalorisation parallle du sorgho rouge (Sorghum caudatum) au profit des varits farine blanche. C'est ainsi que l'intensification des circuits commerciaux et la montari- sation de l'conomie permettent des denres importes d'entrer dans le rgime, surtout si elles ont dj t adoptes par les islamiss et les salaris. Et c'est un lieu commun de montrer qu'il n'en rsulte pas une amlioration de la valeur dittique du rgime ni de sa rgularit. Comme ailleurs, on voit s'afficher les prfrences pour le riz blanchi, les ragots de viande baignant dans l'huile et les sucreries. En revanche, il apparat une dsaffection vis--vis des farines traditionnelles colores ou non blutes et l'on ddaigne les produits de cueillette ou mme le poisson sch, rminiscence d'une poque rtrograde que l'on dsire considrer rvolue.

    L'volution laquelle on assiste est une vritable mutation qui dpossde les cultures traditionnelles du rle de cadre prpondrant de l'activit humaine qu'elles assumaient depuis toujours, au profit d'ensembles infiniment plus vastes. L'volution du comportement alimentaire est le reflet de celle qui se produit au niveau des structures sociales : le passage des groupes lignagers la socit villageoise puis rgionale, enfin la nation, elle-mme intgre dans la socit mondiale. Elle substitue aux dterminismes gographiques et cologiques qui psent sur l'alimentation des exigences qui sont essentiellement conomiques et mme purement montaires, largement affranchies du milieu ambiant et de la saisonnalit. A des clivages gographiques verticaux en entits cohrentes, on voit se substituer des clivages horizontaux en catgories socio-conomiques universelles largement affranchies du milieu ambiant mais o un symbolisme nouveau, et pas ncessairement mieux ajust aux exigences nutritionnelles, continue d'oprer.

    Un autre aspect encore incite la circonspection. Sans doute la satisfaction du besoin primaire de la nutrition est-il un secteur prioritaire de l'activit des individus et des socits. Mais il n'est pas clos. Il intresse la plupart des domaines d'activit d'une socit tant sur le plan de la culture matrielle qu'au niveau des systmes de reprsentation. En consquence, les modifications qui sont susceptibles d'apparatre dans ce domaine ne sont pas limites des emprunts matriels circonscrits, dont l'intrt est vident selon des critres objectifs, la plupart du temps distincts de

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    ceux qui oprent dans les socits sous considration. Ce sont en ralit des pans tout entiers de la culture qui changent et dans lesquels peuvent tre inclus des comportements relatifs la production et la consommation alimentaires.

    Dans l'exemple que nous avons emprunt au Nord-Cameroun, on peut dire que, globalement, l'adoption du modle foulb permet aux individus appartenant des cultures traditionnelles moins dynamiques d'acqurir une certaine aisance dans le cadre des nouvelles structures politiques, conomiques et sociales qui sont celles de la province du Nord-Cameroun et de la nation camerounaise. Cette volution consomme l'anantissement plus ou moins complet de la culture traditionnelle dont l'actualisation dpassait rarement le niveau du clan, et de la plupart des valeurs qui la caractrisent. Cet ajustement, dont on peut discuter l'utilit sur le plan de la survie conomique et politique count terme, peut, long terme, avoir des consquences ngatives imprvues sur le plan biologique. En effet, l'adoption de ces modles ne se limite pas la culture matrielle, au comportement alimentaire. S'il n'intresse pas encore au premier chef le comportement matrimonial et sexuel, qui reste fidle un systme traditionnel dot leve relativement rigide sur le plan de la libert sexuelle, valorisant la multiplication des enfants, on risque d'assister une modification de ce domaine dans le sens d'un relchement des moeurs sexuelles, caractristique des populations islamises du Nord-Cameroun (47). Sans doute apparatra-t-il gratifiant au niveau individuel et apte assurer une mobilit accrue des individus appels participer des structures sociales et territoriales plus amples que par le pass. Cette volution comporte des squelles qui caractrisent aussi bien les socits islamises que les groupes animistes qui, tels ceux de l'Adamaoua (48), subissent depuis longtemps leur emprise : libert sexuelle des deux sexes, fragilit des mariages, frquences des maladies vnriennes et des avortements autant d'lments qui amnent une diminution de la fcondit, dont il serait paradoxal d'affirmer qu'elle soit une manifestation positive de l'volution gntique des Massa en tant que population, et qui acclreront sa disparition aussi bien en tant qu'entit biologique que culturelle (49).

    CONCLUSION.

    Nous ne saurions nous montrer indment optimiste et accepter la proposition selon laquelle les hommes tendent adopter des comportements qui favorisent la propagation de leurs gnes (50) . Sur le plan de l'alimentation, il semble que l'volution contemporaine vise privilgier des comportements qui augmentent la cohsion et l'identit culturelle, conue non pas comme la recherche d'un quilibre dans un cosystme peu perturb, mais mouvante et guerrire dans un cadre social amplifi qui s'efforce de devoir le moins possible au milieu naturel et risque peut-tre de ne plus satisfaire aux exigences biologiques minimales.

    A privilgier la consommation du riz poli, du manioc, du sucre et du

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    corned beef en mme temps qu'ils diminuent, peut-tre par morosit, leur niveau d'activit physique, la plupart des Polynsiens manifestent aussi bien l'anantissement de leur culture que la dtrioration d'un quilibre nutritionnel tirant jadis un parti honorable de leur milieu, et sont parvenus bien prs de l'anantissement aussi bien sur le plan biologique que culturel. Ils ne sont pas les seuls.

    Nous nous sommes efforc d'esquisser propos de l'alimentation la complexit des rapports qui existent entre l'environnement naturel, la physiologie humaine et la culture. L'originalit relative et la complexit des socits humaines incitent manipuler avec prudence un concept comme celui d'adaptation. S'il est difficile d'mettre une opinion sur la valeur adaptative des comportements culturels, il apparat ncessaire d'envisager l'ajustement des organismes humains leur milieu aussi bien dans une perspective culturelle que biologique. Il est toutefois encore trop rare qu'une telle approche soit conduite conjointement et avec une minutie suffisante. Sans doute est-il la page de rechercher propos de l'alimentation les interfrences bioculturelles mais, si l'on dsire viter de se borner privilgier certains aspects de la ralit, qu'il s'agisse des thmes alimentaires dans la mythologie traditionnelle, de la valeur nutri- tionnelle du rgime ou de l'valuation de la biomasse, selon les aptitudes de chacun, il est ncessaire d'tablir les faits. C'est--dire de dcrire l'alimentation et la nutrition de groupes humains prcis et sans doute limits, dans toute leur complexit et selon le maximum de perspectives possibles, puis d'examiner les liaisons possibles entre les diffrents ordres de phnomnes observs. Montrer les relations entre l'environnement naturel, la production vivrire, la technologie alimentaire, la consommation et les consquences physiologiques de cette dernire parat un domaine rebattu; on peut aller plus loin et examiner les liaisons qui existent entre l'alimentation et les diffrents systmes qui oprent dans la culture sur le plan conomique, social ou pourquoi pas esthtique, aussi bien au niveau de la ralit vcue qu' celui de la mythologie.

    Il est pourtant bien rare qu'une telle tentative ait t effectue de faon systmatique, repose sur des donnes quantifies suffisantes et accorde aux diffrentes approches une importance quivalente. Le Programme biologique mondial ne fait pas exception en la matire (52) et nous sommes encore loin d'une collaboration pluridisciplinaire, on serait tent d'crire d'une tolrance interdisciplinaire , qui autorise le dveloppement d'une vritable anthropologie de V alimentation.

    Igor de Garine Centre national de la recherche scientifique.

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    89

  • Igor de Garine

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    90

  • Culture et nutrition

    TABLEAU 1

    VARIATION DE LA CONSOMMATION DANS DIFFRENTES

    Eskimo* (53) Barter Island (hiver)

    (t) Anaktuvuk Pass (t) Nouvelle- Guine (54) Waropen (Nubuai) : cte Chimbu (Pari) : montagne Chimbu (Wandi) : montagne Kaul : cte Lufa : montagne (55) Afrique ** Kung (Bosuhimaus) (56) Savane (57) Khombole, Sngal Mobas, Togo Cabrais, Togo Golompoui, Cameroun Zone forestire Evodula, Cameroun Batouri, Cameroun Douala, Cameroun Altitude Chiga, Ouganda France rurale (58) Bretagne septentrionale Marais venden Haute Marne Adour Gard

    * Les chiffres qui suivent < ** Les chiffres qui suivent

    K. calories

    3 800 3170 4 650

    1460 1900 2 050 1944 2 523

    2140

    2 028 1601 1797 2 220

    1634 1611 1719

    2 051

    3 980 2 973 3158 3 220 2 690

    RGIONS

    Protines totales (g)

    160 157 199

    9 20 28 36,9 47,1

    93,1

    62,8 49,7 55,4 85,1

    40,1 31 54,5

    102

    111 86,3

    113,6 108,2 88

    ALIMENTAIRE DU MONDE

    Protines animales

    (g)

    160 157 199 i

    7 0 3 9,1 9,5

    32,1

    20,2 2,9 3,2

    13,1

    11 10 31

    0,2

    51 37,2 46,8 51,2 40

    Glucides (g)

    418 380 357

    347 0

    425 366 529

    337

    299 284 332 408

    251 336 245

    398

    486 378 464 443 358

    concernent la population mle adulte. concernent la moyenne gnrale.

    Lipides (g)

    164 176 257

    ? 'i ?

    39 29

    j>

    75,6 31 36 28

    53,7 16 56,7

    12,5

    133,5 90,6 92

    107,5 73

    i

    91

  • Igor de Garine

    TABLEAU 2 VARIT DU RGIME DANS DEUX ENCLOS APPARTENANT

    A DEUX POPULATIONS VOISINES SITUES DANS LE MME MILIEU ET DOTES DES MMES MOYENS

    ALIMENTATION DE SAISON SCHE (AVRIL 1976) PER CAPITA (59)

    Massa (Kogoyna)

    Farine de sorgho rouge (Sorghum caudatum)

    Farine de mil pnicillaire Feuilles sches de faux ssame

    (Cerathoteca sesamoides) Gombo sec (Hibiscus esculentus) Poisson frais Huile de poisson Sel minral Total Protines totales : 100,5

    Poids (g)

    326,8 142,5

    4,4 31,5

    327,2 11,1 1,45

    844,95

    /\". calories

    1144 486

    11 89

    543 100

    0 2 373

    Protines vgtales

    28,4 15,8

    0,9 3,4 0 0 0 48,5

    Protines animales

    0 0

    0 0

    52 0 0

    52,0

    Moussey (Bigui)

    Farine de sorgho rouge (Sorghum caudatum)

    Haricots (Vigna unguiculata) secs Poids voandzou (Voandzeta subter-

    ranea) Feuilles sches de faux ssame Gombo sec Fruit de tamarinier (Tamarindus

    indica) Poisson sec Poisson frais Viande de poulet Viande de chvre Sel minral Sel d'origine vgtale (gramines

    calcines) Total Protines totales : 84,6.

    560 20

    14 3 2

    4 20 20 26 15 1,9

    1,67 687,57

    1960 53

    51 8 6

    2 53 21 30 23 0

    0 2 207

    56 4,6

    2,6 0,6 0,2

    0 0 0 0 0

    0 64,0

    0 0

    0 0 0

    0 10,5 3,8 4 2,3 0

    0 20,6

    92

    InformationsAutres contributions de Monsieur Igor De GarineCet article est cit par :Igor de Garine. Adaptation biologique et bien-tre psycho-culturel, Bulletins et Mmoires de la Socit d'anthropologie de Paris, 1990, vol. 2, n 2, pp. 151-173.

    Pagination7071727374757677787980818283848586878889909192

    PlanAlimentation et adaptation. Styles alimentaires et besoins nutritionnels. Arbitraire culturel et maladaptation nutritionnelle. Le sevrage. Adaptation au milieu et slectivit alimentaire. Ncessit d'une approche comparative. Fonction sociale de l'alimentation. L'volution contemporaine, consquences culturelles et biologiques. Conclusion. Bibliographie

    IllustrationsTableau 1. Variation de la consommation dans diffrentes rgions du mondeTableau 2. Varit du rgime dans deux enclos appartenant deux populations voisines situes dans le mme milieu et dotes des mmes moyens alimentation de saison sche (avril 1976) per capita (59)