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DANS LE TRAVAIL AGRICOLE bom AM C/HIB Hélène Crevier Jean-Pierre Brun Département de santé communautaire de l'Hôpital du Haut-Richelieu Août 1992

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DANS

LE TRAVAIL AGRICOLE

b o m • A M

C / H I B

Hélène Crevier Jean-Pierre Brun

Département de santé communautaire de l'Hôpital du Haut-Richelieu

Août 1992

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RRSSS de ta Montérégie Centre de documentation 1255 Beauregard C A M T T 7 p H ^ A Longueuil (Québec) * x VJ* J 4 K 2 M 3

Dépôt légal - 3e trimestre 1992 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada ISBN 2-y21245-29-9 Tous droits réservés (c)1992

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instiW national de santé publique du Québec 4835, aven^ Christophe-Colomb, bureau 200

Montréal (Québec) H2J3G8 Tél.: (bl4) 597*0000

RÉSUMÉ

Cette étude a pour objectif l'amélioration de notre connaissance du pla

souffrance dans le travail agricole. Il s'agit d'une étude qualitative qui s'inspire, par sa

démarche, du modèle de la psychopathologie du travail.

L'enquête a été menée auprès d'agriculteurs et d'agricultrices provenant de cinq sous-

régions situées à l'ouest du Richelieu. Quatre groupes étaient constitués de producteurs

laitiers (dont un groupe composé uniquement de femmes) et un groupe de maraîchers.

Les cinq groupes se sont réunis à deux reprises chacun. Le premier entretien visait à

rassembler l'information sous forme d'échange en s'assurant que tous les éléments d'une

grille pré-établie avaient été discutés. Le second entretien visait à valider l'information

traitée et analysée suite au premier entretien. Une période d'observation sur le terrain a

précédé les rencontres.

Les résultats montrent que la souffrance est présente de manière importante dans le

travail agricole. En premier lieu, elle est reliée à la situation économique et politique,

contexte actuel fort difficile pour les agriculteurs. En réponse à cette situation, ils

développent des mécanismes de défense, notamment en augmentant la charge de travail

qui, elle-même, accentue ou amène d'autres difficultés. Les problèmes reliées à la

gestion, les difficultés de communication, l'isolement dans le travail, les accidents de

travail ont aussi été rapportés comme sources importantes d'anxiété. Pour contrer une

part de ces difficultés, les travailleurs ont pu développer des savoir-faire qu'ils se

transmettent et transforment au fil des générations. Toutefois, la souffrance arrive parfois

difficilement à être surmontée et il y a risque de souffrance pathogène.

Mais parallèlement à ces difficultés, le travail agricole offre aussi des sources de plaisir.

Celles-ci représentent un bénéfice certain pour l'individu et reposent sur la perception du

métier, la reconnaissance et le jugement des autres et de façon très importante, sur la

créativité et l'intelligence rusée. Malgré les sources majeures de souffrance, le plaisir

arrive encore à faire le contrepoids à la souffrance. Finalement, des pistes de solutions

sont proposées.

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lu

REMERCIEMENTS

Nous désirons remercier en tout premier lieu les agriculteurs et les agricultrices qui ont

participé à cette étude. Tous nous ont parlé avec ferveur de leur métier, lors des

entretiens et lors de nos visites sur les fermes. Merci plus particulier à ceux qui ont

contribué à ce que le projet prenne forme et qui ont permis de le rendre opérationnel en

réunissant les agriculteurs des diverses sous-régions.

Nous souhaitons remercier aussi l 'UPA Saint-Jean-Valleyfield et plus spécifiquement

Messieurs François Simon, Camille Loiselle, Jean-Luc Poirier, de leur support, de leur

collaboration et de leur aide.

Nous avons aussi apprécié la collaboration de Mesdames Raymonde Chartrand et Lise

Dufort de la Fédération des agricultrices.

Nous désirons remercier aussi au D .S .C . du Haut-Richelieu, Madame Louise Norman-

deau de son support et de ses précieux conseils. Merci à Madame Louise Couture,

responsable du traitement de texte de ce document.

Nous remercions finalement le Conseil de la santé et des services sociaux de la

Montérégie de nous avoir accordé une subvention pour la réalisation de cette étude.

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I /usage du masculin a éic n-icnti IXHir l'nciliicr la Uvlurc du docu-ment. Il ne se veut d'aucune façon discriminatoire.

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TABLES DES MATIÈRES

Résumé 11

Remerciements 111

1 - O R I G I N E D E LA D E M A N D E 1

2 - S T R E S S E N MILIEU A G R I C O L E : U N E R E V U E D E L I T T É R A T U R E . 2

2 .1 - Facteurs financiers 3

2 . 2 - Conditions climatiques 3

2 . 3 - Organisation du travail 3

2 . 4 - Formation et information 4

2 .5 - Rôles 4

2 . 6 - Conditions qui viennent accentuer la situation stressante 7

2 .6 .1 - Sexe 7

2 . 6 . 2 - Âge 7

3 - Q U ' E S T - C E Q U E LA P S Y C H O P A T H O L O G I E D U TRAVAIL? 8

4 - A S P E C T S M É T H O D O L O G I Q U E S 12

4 .1 - Choix et description de la population à l'étude 12

4 . 2 - Description des étapes de l'enquête 13

4 .2 .1 - Pré-enquête : l'observation 13 4 . 2 . 2 - Entrevues collectives 14

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5 - ANALYSE ET RÉSULTATS 16

5.1 - Sens du travail 16

5 .1 .1 - Perception du métier 16 5 . 1 . 2 - Perception des autres 19 5 . 1 . 3 - Communauté d'appartenance 21

5 . 2 - Conditions particulières d'exercice du métier 22

5 .2 .1 - Autonomie dans le travail 22 5 . 2 . 2 - Place de la souffrance dans l'organisation

agricole 27 5 .2 .3 - Relève et pérennité du métier 31

5 .3 - Sources d'anxiété dans le travail quotidien 34

5 .3 .1 - Charge de travail 34 5 . 3 . 2 - Isolement 37 5 . 3 . 3 - Accidents et maladie 41 5 . 3 . 4 - Gestion de la ferme 49

5 .4 - Rapports intersubjectifs 52

5 .4 .1 - Rapports familiaux 52 5 . 4 . 2 - Rapports hiérarchiques 56 5 .4 .3 - Rapports avec le voisinage 58

5 .5 - Souffrance créatrice et plaisir dans le travail

agricole 61

6 - QUELQUES PISTES DE SOLUTIONS 68

CONCLUSION 70

BIBLIOGRAPHIE 74

ANNEXE I Grille d'entrevue

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1 - ORIGINE DE LA DEMANDE

En 1987, le Département de santé communautaire de l'Hôpital du Haut-Richelieu

déterminait une liste de problèmes qui devaient être la cible d'interventions en santé

communautaire pour les cinq années subséquentes. Parmi eux, figuraient les

problèmes de santé au travail, et de façon plus particulière en milieu agricole.

La population agricole représentait en effet, en 1981, une fraction de population

relativement importante pour notre territoire et aussi pour celui de la Montérégie :

7 , 6 % de la population vit dans un ménage d'exploitants agricoles, alors que cette

proportion s'établit à 3 ,8 % pour la Montérégie et 2 ,9 % pour l'ensemble du

Québec. Sur le territoire du CLSC Jardin du Québec, on trouve qu'une personne sur

cinq vit dans ce genre de ménage'.

L e D .S .C . a donc mis sur pied une table de concertation réunissant divers

intervenants préoccupés par la santé en milieu agricole. Parmi eux, on retrouve des

intervenants de l 'U .P .A . , des CLSC concernés, de la CSST, du CEGEP de Saint-

Jean, du DSC et quelques représentantes de la Fédération des agricultrices. La table

de concertation s'est d'abord défini des priorités d'intervention. La première priorité

retenue fut le stress.

Elle a donc recommandé qu'une étude soit menée ayant pour but l'amélioration de

nos connaissances du stress ressenti par les agriculteurs afin ultérieurement de

l'orienter dans son choix de solutions, pour contrer le problème ou à tout le moins

l'amenuiser.

Statistiques Canada, Recensement de 1981 in L. Normandeau, Profit démographique et socio-économique du D.S.C. du Haut-Richelieu, Avril 1986, p 3

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2 - STRESS EN MILIEU AGRICOLE : UNE REVUE DE LITTÉRA-TURE

La littérature sur le stress est extrêmement abondante; par contre, la littérature sur

le stress en milieu agricole l'est relativement peu. La plus large part des articles a

été écrite suite aux années de crise du début des années 80, laquelle a touché

fortement les producteurs agricoles américains. La littérature est donc fortement

teintée par les conditions économiques précaires que rencontraient ces agriculteurs.

On trouve quelques écrits produits par le Canada anglais et très peu par le Québec.

Même si la crise n'a pas marqué de façon aussi forte l'agriculture québécoise et que

les agriculteurs ne subissent pas exactement les mêmes contraintes, une synthèse

rapide de la littérature peut s'avérer utile.

Le stress peut être défini comme étant une opposition entre une situation perçue par

l'individu et une situation désirée, pourvu que cette opposition ou cet écart soit

considéré important par la personne (Edwards, 1988)1

Le concept de stress appliqué à la santé au travail recouvre plusieurs volets : de

façon très sommaire, les agents stressants sont à l'origine du problème, des facteurs

personnels viennent moduler la perception, un effet se manifeste chez l'individu.

Nous pouvons décrire les principaux agents stressants que l'on rencontre dans la

littérature, concernant la santé en milieu de travail agricole.

1 On trouve plusieurs définitions du stress. Certains mettent l'accent sur l'écart entre les demandes du milieu et les capacités de l'individu d'y souscrire (Lazarus et Folkman, 19S4; Me Grath, 1976). D'autres encore voient l'écart entre les priorités individuelles et les caractéristiques de l'environnement (Cummings et Cooper, 1979; Schuler, 1980). Ces définitions n'entrent pas en contradiction avec celle qui vient d'être énoncée.

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2.1 - FACTEURS FINANCIERS

Les facteurs les plus fréquemment cités comme agents stressants sont les

facteurs financiers (Oison et Schellenberg, 1986; Murray, 1985; Schellen-

berg, Oison et Fuller, 1985; Rosenblatt et Keller 1983; UPA et Université

de Sherbrooke, 1987). Les principales causes de stress mentionnées en

regard des problèmes économiques sont principalement l'endettement, les

paiements trop élevés à assumer, les trop faibles profits, surtout lorsque l 'on

considère le travail accompli, la variation du revenu causée par le caractère

saisonnier de la profession ou due à des événements souvent imprévisibles

tels la maladie chez les animaux ou dans les récoltes, l'appauvrissement de

la profession, surtout chez les agriculteurs de type familial. Bien que

n'appartenant pas directement à cette catégorie, il faut aussi mentionner les

décisions gouvernementales, desquelles dépendent souvent les revenus.

2.2 - CONDITIONS CLIMATIQUES

Selon une enquête réalisée auprès des agriculteurs et agricultrices du

Québec, les conditions climatiques ont été identifiées spontanément par

32 % d'entre eux comme première cause de stress (UPA et Université de

Sherbrooke 1987).

2.3 - ORGANISATION DU TRAVAIL

Par ailleurs, la gestion de l'entreprise et l'organisation du travail sont des

facteurs importants de stress (UPA et Université de Sherbrooke, 1987;

Denis, 1988; Schubert Walker et Walker, 1987). Les principaux agents

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stressants sont la trop grande charge de travail et le manque de temps pour

effectuer le travail, ainsi que la diversité des tâches à effectuer. Au Québec,

18 % des agriculteurs identifient ces aspects comme étant la première cause

de stress. D'autres facteurs sont aussi mentionnés : le bris de machine, la

présence d'enfants sur les lieux de travail augmentant les craintes d'acci-

dents, le travail de nuit et l'isolement, l'alternance entre les périodes de

travail intense et le manque de travail durant la saison creuse et enfin, le

manque de main-d'oeuvre.

FORMATION ET INFORMATION

Le manque d'information et la formation inadéquate sont d'autres agents

stressants (Denis, 1988). Les changements technologiques se sont aussi

manifestés dans le domaine de l'agriculture. Pour les agriculteurs ceci

constitue a priori un écueil car les connaissances nécessaires pour l'utilisa-

tion correcte de ces nouvelles technologies sont éloignées des connaissances

habituelles que possèdent les producteurs pour exercer leur métier. Par

ailleurs, l'agriculture est un métier qui fait appel à plusieurs compétences.

Plusieurs tâches devraient avoir fait l'objet d'une formation pour être

exercées de manière sécuritaire. L'application de techniques de travail, sans

trop les connaître peut être stressante à cause du danger qu'elles compor-

tent.

RÔLES

La littérature sur le stress traite la question des rapports interpersonnels

entourant le travail et celle des problèmes de rôles. On parle le plus souvent

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d'ambiguïté et de conflit de rôles. L'ambiguïté de rôle survient lorsque le

rôle n'est pas clairement défini. Par exemple, lorsque la personne ne sait

pas exactement ce qu'elle a à faire ou ne connaît pas le mandat qui lui est

confié. Chez les agriculteurs cette difficulté peut se présenter entre les

conjoints s'ils n'ont pas une vision précise de leur rôle respectif. Le conflit

de rôle peut prendre diverses formes : les tâches appartenant à un même

rôle sont incompatibles entre elles (ex. produire plus rapidement et plus

sécuritairement en même temps); une personne est en désaccord avec la

manière d'accomplir une tâche; le travail accompli par un individu l e place

en conflit avec un autre rôle (par exemple familial) qu'il doit aussi

accomplir; certaines tâches ont été attribuées à plus d'une personne ou bien

à aucune. (Comité provincial en santé au travail, 1987).

Les problèmes reliés aux rôles sont particulièrement mis en évidence dans

les fermes à cause de conflits entre les générations. L'entreprise agricole est

organisée de telle manière que plusieurs générations participent souvent aux

travaux. Cette situation entraîne à certains moments des tensions, particuliè-

rement par exemple au moment où le père cède la gestion à un ou plusieurs

de ses enfants. Dans ces productions où fils et père sont partie prenante de

la même entreprise, on a observé que plus le fils assume un rôle de gestion,

plus sa perception du rôle qu'il joue est positive et moins il est sujet au

stress (Coughenour et Kowalski, 1977; Schubert Walker et Walker, 1987).

En regard de la question des rôles, les femmes assument un niveau

important de stress. Hedlund et Berkowtiz (1979) soulignent qu'une

difficulté importante que rencontrent les épouses est de faire reconnaître à

leur conjoint leur rôle de productrice et de femme d'entreprise. Pourtant,

leur participation aux activités rattachées à la production agricole est

considérable. Une étude faite auprès des agriculteurs d'un comté agricole

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situé près de Québec révèle qu'en dix ans (1969-1979) la participation des

femmes aux activités directement rattachées à la production agricole a

augmenté dans cinq des huit activités retenues par les statistiques officielles

alors que celle des hommes n'a augmenté qu'à un seul de ces chapitres

(Shaver, 1988). En outre, une large part des tâches féminines n'entrent pas

dans la définition officielle du travail agricole car les catégories usuelles

privilégient presqu' exclusivement la production des biens destinés au marché

commercial. On oublie les tâches rattachées à l'auto-subsistance (jardinage,

mise en conserve, congélation des aliments,. . .) ou les corvées domestiques

irrégulières (déneigement, entretien extérieur de la maison.. . ) . Même

certaines tâches typiquement agricoles ne jouissent pas de la même

considération : "Les productrices elle-mêmes pensent que, puisqu'elles ne

sont pas toute la journée sur un tracteur ou bien qu'elles ne font pas les très

durs travaux, elle ne sont pas agricultrices. Tenir la comptabilité, répondre

au téléphone, laver la laiterie, même traire, ne sont pas souvent des tâches

reconnues en agriculture" (Robert, 1987; p 6). Aux difficultés à faire

reconnaître leurs rôles il faut ajouter le fait que les femmes sont en conflit

d'horaire entre le travail sur la ferme et les soins à donner aux enfants

(Hedlund et Berkowitz, 1979). On a observé que plus faible est la

perception des femmes vis-à-vis le support que leur apporte leur conjoint,

plus on observe la présence d'un conflit de rôle (Berkowitz et Perkins,

1984).

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2 .6 - CONDITIONS QUI VIENNENT ACCENTUER LA SITUATION

STRESSANTE

2.6.1 - Sexe

Les agricultrices sont exposées de manière particulière au stress. Les

femmes s'impliquent beaucoup dans l'entreprise familiale en même temps

qu'elles accomplissent les tâches de soins des enfants et d'entretien de la

maison. Ainsi, on rapporte plus de stress chez les femmes que chez les

hommes (Capener et Berkowitz, 1976; Hedlund et Berkowitz, 1979). Elles

mentionnent, en plus des conflits avec le conjoint relativement à leur rôle

de femme d'entreprise comme cela vient d'être discuté, l'inquiétude causée

par les dettes, les difficultés d'équilibrer le budget (ce sont souvent les

femmes qui se chargent de la tenue des livres alors que le revenu est en

constante fluctuation), les conflits d'horaire (Hedlund et Berkowitz, 1979).

Selon une autre étude (Walker et al, 1986), il semble que les agricultrices

perçoivent les causes de stress davantage reliées aux problèmes familiaux

et aux relations, alors que les hommes sont plutôt préoccupés par l'aspect

"entreprise".

2 . 6 . 2 - Âge

Les jeunes agriculteurs ont un niveau de stress plus élevé que les plus âgés

vraisemblablement à cause des pressions financières plus importantes qu'ils

subissent et de l'accumulation de leurs dettes. De plus, tel que mentionné

plus haut, le sentiment d'impuissance engendré par le fait de vivre sur une

ferme où se retrouvent plusieurs générations et où le contrôle échappe à la

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plus jeune entraîne des tensions chez les jeunes (Schubert Walker et Walker,

1987).

Cette revue de littérature permet d'avoir une représentation de la probléma-

tique de stress chez les agriculteurs. Elle met en évidence la nature variée

et l'étendue des agents stressants auxquels ils sont exposés. Cependant, e l le

ne nous apparaît pas suffisante à deux niveaux ; les agriculteurs de notre

région ne sont pas nécessairement exposés aux mêmes sources de stress que

leurs homologues américains voire canadiens (de l'ouest) compte tenu du

contexte différent à la fois politique et économique des deux pays ou

régions; par ailleurs, nous souhaiterions parvenir à saisir les situations

stressantes dans leur ensemble et pouvoir comprendre comment elles

apparaissent.

Il s'avérerait donc pertinent de comprendre de manière plus fine l'organisa-

tion du travail dans son ensemble et son effet, c'est-à-dire, la pression

psychique qu'elle exerce sur les individus. La comprendre non en considé-

rant chaque élément de manière isolée mais en posant le regard sur le

travail vu globalement en passant par ce qu'en disent les agriculteurs, eux-

mêmes, et en leur laissant la parole. Pour ce faire, nous nous proposons

d'utiliser le modèle de la psychopathologie du travail.

3 - QU'EST-CE QUE LA PSYCHOPATHOLOGIE DU TRAVAIL?1

Les rapports de la personne au travail renvoient à trois dimensions : la charge

physique, la charge mentale et la charge psychique. L'étude de la charge physique

' Cette section s'inspire largement de deux textes de C. Dejours (1990 a, 1990 b) auxquels le lecteur peut se reférer pour de plus amples discussions.

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renvoie à l'examen des contraintes et astreintes du travail du point de vue physique;

l'étude de la charge mentale s'intéresse aux éléments psychosensoriels engagés dans

l'exécution de la tâche; l'étude de la charge psychique concerne les phénomènes

psychologiques, psychosociologiques voire sociologiques, c'est-à-dire les éléments

affectifs et relationnels, ou la participation affective de la personne à sa situation de

travail.

L'objet d'étude de la psychopathologie du travail concerne la charge psychique. En

somme, cette discipline s'intéresse au rapport entre l'organisation du travail et la

santé mentale des travailleurs. Alors que les conditions de travail dangereuses

mettent surtout le corps en danger, l'organisation du travail peut représenter une

menace pour la santé psychique.

L'organisation du travail concerne d'une part la division des tâches, c'est-à-dire, la

répartition des tâches entre les opérateurs, la cadence, le travail prescrit; d'autre part

la division des hommes, c'est-à-dire la répartition des responsabilités, la hiérarchie,

le commandement, le contrôle, la surveillance. La division des tâches concerne

surtout le sens et l'intérêt du travail, alors que la division des hommes concerne les

relations entre les personnes et mobilise des sentiments d'amour, de haine, d'amitié,

de solidarité, de méfiance, etc. . .

Soumis à de multiples contraintes, à des situations déstabilisantes, les travailleurs

demeurent pourtant dans la normalité. La maladie mentale est un fait rare dans les

milieux de travail. Comment font les travailleurs pour se maintenir en équilibre et

pour affronter ces situations? En fait, la normalité camoufle une lutte pour conserver

la santé, dissimule des stratégies particulières élaborées par les travailleurs. Cette

lutte est marquée par la souffrance qui est définie comme "l'espace de lutte couvrant

le champ situé entre d'un côté le "bien-être" psychique et de l'autre la maladie

mentale ou la folie." (Dejours, 1990 a, p 690).

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Confrontés à l'organisation du travail, individuellement ou collectivement, les

travailleurs développent des mécanismes de défense. Ces défenses ont pour objectif

de maintenir dans un état de stabilité, le système psychique de chaque individu. Ces

mécanismes ont été amplement démontrés notamment dans les études sur le bâtiment

(Dejours, 1989). Au point de départ, il s'agit d'agir sur la perception, par exemple,

de nier le danger, de le porter en ridicule, d'en faire fi. Des stratégies collectives

peuvent être développées pour tourner le danger en dérision. De victimes passives,

les travailleurs adoptent une attitude provocatrice. Le danger devient "inoffensif"'.

Des règles sont créées auxquelles chacun doit souscrire sous peine de rejet du

groupe. Ces stratégies peuvent se muer en idéologie collective.

Les travailleurs développent aussi d'autres moyens pour faire face aux contraintes

du travail. Par exemple, les savoir-faire de prudence, ficelles, trucs du métier, règles

de travail sont autant de processus fondés sur l'expérience et la connaissance de la

machine, de l'outil, du travail, qui ne sont pas transmis par le biais d'un livre

d'opération, ou sur les bancs d'école. Ces actes sont sources d'une autre forme de

souffrance, la souffrance créatrice. Ainsi, à partir des contraintes, de la souffrance,

peut se développer la souffrance créatrice où prend racine le plaisir.

Vers la résonnance symbolique

Ainsi dans le travail, on assiste à une confrontation entre "l'organisation de la

personnalité" et "l'organisation du travail". Dejours décrit ces deux affrontements

fondamentaux :

- l'affrontement entre registre imaginaire (produit par le sujet) et registre de la

réalité (produit par la situation de travail);

- l'affrontement entre registre diachronique (histoire singulière du sujet, son passé,

sa mémoire, sa personnalité) et registre synchronique (contexte matériel, social

et historique des rapports de travail).

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Ces affrontements prennent leur origine dans le développement ontogénique de la

personnalité. Selon Dejours, dans l'enfance et au cours des expériences précoces de

la vie, la personne a été confrontée à divers "obstacles psycho-affectifs" avec ses

parents. La plupart de ces obstacles ont tourné autour des sentiments d'abandon, de

rejet, de solitude, etc. Au cours de sa croissance, l'enfant cherchera à comprendre

pourquoi ses parents semblent moins l'aimer, il élaborera plusieurs théories

explicatives infantiles.

Le cheminement de l'enfance jusqu'à l'âge adulte sera marqué par un usage intense

de la curiosité et de l'imagination afin de comprendre les sources potentielles

d'incertitude, d'angoisse et de souffrance, etc.

Plus tard l'activité de travail devient aussi un lieu, où le sujet tente de transposer le

théâtre psychique dans le théâtre du travail. L'enjeu est projeté dans les rapports

sociaux et dans l'acte de production. Pour que cette transposition soit un succès, le

théâtre psychique et le théâtre du travail doivent avoir des éléments de correspondan-

ce. Cependant, puisque l'organisation du travail est, dans une bonne proportion,

structurée hors de l'individu, des écarts et des dissemblances s'installent inéluctable-

ment. Le rapport dialectique avec les réalités du travail ne peut se développer

autrement que dans l'ambiguïté et la souffrance. Cette souffrance mentale, qui

rappelle celle de l'enfance, stimule l'imagination et la créativité. Dejours qualifie

cette ambiguïté féconde de résonance symbolique ou de processus de sublimation.

Lorsque la résonnance existe, le travail peut devenir porteur de souffrance créatrice

et de plaisir, si l'organisation du travail le permet. Mais quand ce n'est pas le cas,

lorsque toutes les marges de liberté possibles ont été épuisées dans l'entreprise et

qu'il n'y a plus que des contraintes fixées, rigides, lorsque toutes les ressources

défensives ont été épuisées, la souffrance commence à détruire l'équilibre psychique

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poussant le travailleur peu à peu ou brusquement vers la maladie. On parle alors de

souffrance pathogène.

En somme, la souffrance dans le travail est inévitable. Mais, il est hautement

souhaitable que l'organisation favorise sa transformation en créativité de manière à

ce que le sujet puisse se sentir en équilibre et puisse profiter d'un bénéfice

d'identité. Le travail est ainsi un médiateur pour la santé qu'il peut fragiliser ou au

contraire stabiliser.

Tout au cours de ce texte, nous reviendrons sur plusieurs concepts utilisés par la

psychopathologie du travail, que nous situerons dans le contexte de l'étude.

4 - ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES

4.1 - CHOIX ET DESCRIPTION DE LA POPULATION A L'ÉTUDE

Cinq sous-régions ont été identifiées comme territoires visés par l'étude et

correspondent au territoire commun du DSC du Haut-Richelieu, et de

l 'UPA région Saint-Jean-Valley field. Ces sous-régions sont L'Acadie,

Varennes, Lacolle, St-Rémi, Napierville.

Chacune de ces sous-régions se caractérise par la prépondérance d'une

forme de production. Ainsi, l'Acadie, Varennes, Lacolle et Napierville

comptent surtout des producteurs laitiers et des producteurs de grande

culture. Quant à St-Rémi, on y retrouve surtout des producteurs maraîchers.

Afin de mieux saisir les problèmes vécus par chaque groupe, nous avons

demandé à certains administrateurs des syndicats de base de l 'UPA de

réunir des agriculteurs provenant uniquement de la production principale de

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la sous-région. Ainsi, quatre groupes réunissaient des producteurs laitiers

et céréaliers, le cinquième (St-Rémi) réunissait des maraîchers. Le choix des

personnes composant chacun des groupes n'était pas aléatoire. Il s'est fait

par le biais des représentants des syndicats de base qui ont contacté les

personnes susceptibles d'être intéressées par un tel projet. Ils ont fixé une

date de réunion dont l'objectif premier visait à obtenir l'assentiment des

personnes présentes pour participer à ce projet. Au cours de cette rencontre,

nous expliquions l'objectif et les étapes de l'étude et sollicitions leur

participation pour nous recevoir lors d'une visite d'observation.

Ces premières réunions nous ont permis de voir que peu de femmes

participeraient à nos entretiens à cause du mode de sélection qui privilégiait

les hommes. Nous avons donc suggéré que soit formé, dans une sous-

région, un groupe uniquement composé de femmes. Cette proposition a été

acceptée.

4.2 - DESCRIPTION DES ÉTAPES DE L'ENQUÊTE

4.2.1 - Pré-enquête : l'observation

Notre méthode d'enquête prévoyait une phase d'observation sur le terrain.

L'objectif poursuivi par cette étape était de permettre aux enquêteurs de

comprendre la nature du travail agricole d'une manière concrète, d'en avoir

une représentation imagée.

L'observation nous a aussi permis d'avoir une connaissance plus sensible

du travail, et de saisir ensuite avec plus de nuances ce qui nous était

exprimé lors de nos entretiens. Nous avons aussi obtenu un autre résultat

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qui ne faisait pas partie de nos objectifs : participer ou du moins suivre les

travaux de la ferme agit un peu comme une initiation. Ce contact privilégié

nous a ensuite introduit de façon positive lors des entretiens et a contribué

à établir un climat de confiance. Nous avons eu l'impression d'être accepté,

d'avoir franchi et réussi à surmonter une difficulté avec succès. Mettre en

évidence l'importance de cette phase de l'étude est difficile. Pourtant elle

s'est avérée une étape cruciale qui, si elle n'avait pas été franchie, ne nous

aurait pas permis d'interpréter nos résultats de la même façon.

Il y a eu huit observations, chez huit agriculteurs différents. Elles se sont

déroulées à des périodes différentes du travail agricole et nous ont permis

de participer ou assister à diverses tâches (par exemple : récolter (maïs),

faire le train, planter (culture maraîchère), sarcler, érocher). Lors de ces

visites, l'ensemble du travail sur la ferme nous était expliqué. Chaque visite

a duré entre 3 et 12 heures.

4.2.2 - Entrevues collectives

La seconde étape, coeur de l'étude, a consisté à réaliser les entrevues

collectives. Pour ce faire, nous avons préparé une grille (voir annexe I) qui

réunissait les thèmes particuliers à l'organisation du travail agricole pour les

producteurs laitiers, céréaliers et maraîchers. Les principaux sujets discutés

concernaient le contenu significatif de la tâche (perception, charge de

travail, compétence, aspects économiques); la santé et la sécurité; les rôles

(employés, famille, voisins). Enfin, après avoir complété la discussion, nous

invitions les participants à proposer —si possible— des solutions en regard

des problèmes rencontrés. Les entrevues étaient semi-dirigées . Il s'agissait

pour nous de s'assurer que les thèmes prévus avaient tous été discutés

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indépendamment de l'ordre de discussion. Il s'agissait aussi de décrypter ce

qui se cachait derrière le commentaire. Ainsi, au fil de l'entretien, on

pouvait rencontrer tantôt des discussions animées, parce qu'il y a beaucoup

à dire, ou parce qu'il y a des opinions divergentes; tantôt des silences qui

signifiaient que la discussion était complétée, ou bien qui faisaient partie de

la phrase; des commentaires techniques qui pouvaient camoufler une crainte,

un déni de perception. On sentait parfois une écoute attentive alors qu'à

d'autres moments, tous voulaient intervenir. En somme, lorsqu'on était

attentif, le commentaire qui était émis portait aussi beaucoup de significa-

tion au-delà de son contenu lui-même. Au besoin, il s'agissait de saisir

l'opportunité offerte pour chercher à approfondir un peu plus ce qui venait

d'être dit en reformulant une question, en faisant ressortir la contradiction,

etc. . . Parfois, au contraire le silence devait être respecté, quitte à ce que

l'idée soit notée et reprise plus loin, dans la discussion.

Pour chaque groupe, le matériel a été repris après la première entrevue et

une première analyse a été complétée et proposée au moment de la seconde

entrevue. Le but de cette seconde entrevue était de valider l'interprétation

qui venait d'être donnée. Cette étape était capitale parce que la subjectivité

des enquêteurs qui rencontre celle des participants mérite d'être examinée

afin que l'interprétation soit la plus fidèle possible à ce qu'ont exprimé les

participants.

Il y a eu dix entrevues collectives (deux entrevues par sous-région)

auxquelles ont participé au total 38 personnes.

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ANALYSE ET RÉSULTATS

5.1 - SENS DU TRAVAIL

5.1.1 - Perception du métier

Chacun se fait une représentation de son métier. La perception du métier,

l'image qu'on a du travail que l'on fait permet d'entrevoir le sens donné au

travail. De son côté, le travail qui a un sens permet à l'individu de se forger

une image de soi qui est positive, ce qui contribue à l'édification et à la

construction de l'identité.

Au travers un exemple portant sur la petite histoire des chauffeurs d'autobus

de la Commission de transport de Montréal, S. Bouchard (1990) montre

l'importance de la place que prenaient autrefois les images et la représenta-

tion que se faisaient les chauffeurs d'autobus de leur métier et que

malheureusement la technocratie a bouleversées. La profession jouissait

d'une reconnaissance publique, la Commission était une grande famille, les

chauffeurs avaient un rôle, une cohésion les unissait. Sentiment d'apparte-

nance, engagement, être chauffeur n'était pas rien :

"C'était un épisode privilégié, faisant état d'une étonnanteforce d'attraction au sein de l'organisation, d'une cohésion remarquable qui donnait aux chauf-

feurs l'occasion d'adhérer, de s'identifier de se représenter, comme tout un chacun est porté à le faire lorsqu'il se retrouve organiquement lié à un milieu particulièrement fort sous le rapport de la symbolique. " (Bouchard, 1990, p 600)

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indépendamment de l'ordre de discussion. IL s'agissait aussi de décrypter ce

qui se cachait derrière le commentaire. Ainsi, au fil de l'entretien, on

pouvait rencontrer tantôt des discussions animées, parce qu'il y a beaucoup

à dire, ou parce qu'il y a des opinions divergentes; tantôt des silences qui

signifiaient que la discussion était complétée, ou bien qui faisaient partie de

la phrase; des commentaires techniques qui pouvaient camoufler une crainte,

un déni de perception. On sentait parfois une écoute attentive alors qu'à

d'autres moments, tous voulaient intervenir. En somme, lorsqu'on était

attentif, le commentaire qui était émis portait aussi beaucoup de significa-

tion au-delà de son contenu lui-même. Au besoin, il s'agissait de saisir

l'opportunité offerte pour chercher à approfondir un peu plus ce qui venait

d'être dit en reformulant une question, en faisant ressortir la contradiction,

etc. . . Parfois, au contraire le silence devait être respecté, quitte à ce que

l'idée soit notée et reprise plus loin, dans la discussion.

Pour chaque groupe, le matériel a été repris après la première entrevue et

une première analyse a été complétée et proposée au moment de la seconde

entrevue. Le but de cette seconde entrevue était de valider l'interprétation

qui venait d'être donnée. Cette étape était capitale parce que la subjectivité

des enquêteurs qui rencontre celle des participants mérite d'être examinée

afin que l'interprétation soit la plus fidèle possible à ce qu'ont exprimé les

participants.

Il y a eu dix entrevues collectives (deux entrevues par sous-région)

auxquelles ont participé au total 38 personnes.

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ANALYSE ET RÉSULTATS

5.1 - SENS DU TRAVAIL

5.1.1 - Perception du métier

Chacun se fait une représentation de son métier. La perception du métier,

l'image qu'on a du travail que l'on fait permet d'entrevoir le sens donné au

travail. D e son côté, le travail qui a un sens permet à l'individu de se forger

une image de soi qui est positive, ce qui contribue à l'édification et à la

construction de l'identité.

Au travers un exemple portant sur la petite histoire des chauffeurs d'autobus

de la Commission de transport de Montréal, S. Bouchard (1990) montre

l'importance de la place que prenaient autrefois les images et la représenta-

tion que se faisaient les chauffeurs d'autobus de leur métier et que

malheureusement la technocratie a bouleversées. La profession jouissait

d'une reconnaissance publique, la Commission était une grande famille, les

chauffeurs avaient un rôle, une cohésion les unissait. Sentiment d'apparte-

nance, engagement, être chauffeur n'était pas rien :

"C'était un épisode privilégié, faisant état d'une étonnante force d'attraction au sein de l'organisation, d'une cohésion remarquable qui donnait aux chauf-feurs l'occasion d'adhérer, de s'identifier de se représenter, comme tout un chacun est porté à le

faire lorsqu'il se retrouve organiquement lié à un milieu particulièrement fort sous le rapport de la symbolique. " (Bouchard, 1990, p 600)

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Le passage de la Commission à la STCUM a fait que l'organisation s'est

rationalisée. Les chauffeurs ont vu se réduire leur visibilité et leur rôle, les

amenant à n'être plus que des opérateurs. Il ne s'agit pas de s'apitoyer sur

une image passéiste du métier mais de reconnaître que le passage vers

l'efficacité a comporté des dangers, celui entre autre d'effacer le sens du

métier. Cet exemple veut montrer l'importance de la représentation.

D e leur côté, les agriculteurs ont une représentation très positive de leur

métier. Il n'y a aucune ambiguïté à ce sujet. Les mots pour l'exprimer ne

laissent pas de doute sur la valeur qu'ils lui accordent. On parle de "plus

beau métier du monde". Les images prises pour décrire le métier sont fortes

et mettent l'accent sur la création et l'idéal.

C'est un métier qui a une visée, un but socialement et humainement utile.

Ainsi, les agriculteurs parlent de "nourrir le Québec", "faire connaître un

nouveau légume", "accomplir quelque chose" qui dépasse de loin le simple

objectif commercial, comme en témoignent ces extraits :

"Là où je trouve que c'est le plus beau, c'est que tu vas créer quelque chose. Tu pars de rien et tu vas le rendre à terme. C'est fantastique. C'est comme une

femme qui porte un bébé. "

"Il n'y a rien de plus beau, tu pars d'une graine que tu vas mettre en terre, qui va développer un légume. Et si tu aimes ton métier, tu vas essayer qu'il soit beau, tu vas le peser, le préparer. C'est pas tellement comme la valeur monétaire, c'est plus que cela. "

"Il faut que tu aimes le métier. Un peu comme un peintre ou un musicien, il faut que tu aimes faire ce que tu fais... tune peux pas faire cela juste pour l'ar-gent. "

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Ainsi, le travail est beaucoup plus une "oeuvre" au sens où le travail produit

un bien durable (Arendt, 1983) qu'une simple recherche de production de

biens de consommation.

Dans leur discours se retrouvent aussi la fierté d'exercer ce métier et la

fierté de leur production qu'ils estiment de qualité supérieure (si elle est

comparée à la production américaine où les règlements relatifs à l'utilisation

de pesticides sont moins sévères) :

"Nous autres, nos produits sont de qualité supérieure parce qu 'on utilise moins de pesticides qu 'aux États-Unis".

Les agriculteurs attribuent les plus grandes qualités à leur métier malgré

—et grâce à— sa complexité, ses exigences, la disponibilité qu'il requiert.

Ce qui est apprécié par les producteurs agricoles sont les aspects suivants :

être son propre patron, responsabilité d'organiser et de planifier le travail,

milieu de travail qui en fait un lieu favorable à l'éducation des enfants,

contact avec la nature et contact avec les animaux, débrouillardise,

apprentissage et acquisition de multiples connaissances, leadership.

Cependant, tous ne peuvent l'exercer. Il y a des conditions : la première

étant qu'il faut aimer le travail sur la ferme. La seconde condition fait appel

à un certain élitisme sûrement historique et quasi génétique; "il faut avoir

cela dans le sang" et, en ce qui concerne particulièrement la production

laitière, avoir des parents agriculteurs, c'est-à-dire qui ont une ferme à

transmettre.

L'agriculture est finalement un métier qui, traditionnellement, se transmet

au fil des générations. Au métier s'accroche ainsi une autre valeur qui est

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celle de la pérennité. C'est un bien qu'il faut faire fructifier pour le

transmettre encore amélioré à l'autre génération qui prendra la relève à son

tour. Nous verrons plus loin les difficultés que rencontre cette idée

importante.

Idéal, beauté, fierté, pérennité, autant de qualités qui confèrent au métier

un poids important dans la balance de l'identité. Toutefois, cette vision est

certainement nuancée par les énormes difficultés que rencontre la profes-

sion, sujets qui vont constituer le propos des prochaines sections.

5 .1 .2 - La perception des autres

La perception des autres, "comment" les autres perçoivent le métier

d'agriculteur peut être vue comme un élément de reconnaissance sociale. En

produisant de la nourriture, les agriculteurs sont au service de la population.

Celle-ci étant un maillon important dans leur travail, la perception qu'elle

a du métier d'agriculteur est aussi importante.

Les agriculteurs se sentent mal perçus. Ils disent qu'une partie importante

de la population les méconnaît. Ce sont souvent les images bucoliques de

l'agriculture, images d'une agriculture qui date d'il y a 40 ans qui subsistent

encore dans l'imaginaire populaire. "Bohémiens qui suivent le soleil", "ils

ont du temps dans leurs poches", "travail facile et agréable", les agricul-

teurs "n'ont pas besoin de grand chose pour vivre". Comme le souligne un

participant, "la campagne, dans la tête des gens, c'est tellement le loisir,

que ça se peut pas que les agriculteurs travaillent".

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Ces images leur nuisent parce que la population associe ensuite les "subven-

tions" qu'ils reçoivent comme étant non légitimes et superflues. Ils ont

l'impression que leur travail est méconnu, leur entreprise aussi.

À cette perception, ils opposent une réalité qui est toute autre : le sentiment

d'avoir été insuffisamment rétribué pour le travail fait et qu'au bout du

compte c'est le consommateur qui en a tiré profit :

"Ce que les consommateurs ne réalisent pas c'est que nos subventions, c'est à eux qu'elles servent, parce que comme ça ils paient leurs produits moins cher. "

"Celui qui aime cela, il ne pourra pas donner d'héri-tage à ses enfants parce qu 'il a travaillé 20-25-30 ans et au bout de sa vie, il va s'apercevoir qu 'il a tra-vaillé pour le consommateur en général. "

"Sa compétence, c'est le consommateur qui va en avoir bénéficié. "

Par ailleurs, dans deux régions concernées par notre étude, une particularité

s'ajoute à ce qui vient d'être évoqué. En effet, ces régions se trouvent aux

confins de centres urbains importants et placent agriculteurs et citadins dans

une position conflictuelle. Les seconds viennent s'établir à la campagne

pour y trouver calme et sérénité, mais les premiers ont un travail à

accomplir qui peut les placer en conflit avec les attentes des résidents : le

bruit, les poussières, les odeurs que génère le travail agricole ne sont pas

tolérés partout et les agriculteurs doivent faire face à de l'opposition.

Plaintes à la municipalité, lettre de menace témoignent du malaise :

"Il a fallu que je passe par le chemin pour étendre le fumier et la voisine s'est plainte au conseil municipal qu 'il y avait trop de fumier dans le chemin. C'est une madame qui vient de la ville. "

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"Le séchoir, le voisin aime pas trop cela! "

Même si la perception qu'ont les agriculteurs de ce que pense la population

témoigne d'un manque de reconnaissance à leur égard, et d'une souffrance,

les agriculteurs ajoutent que la situation s'est améliorée au fil des dernières

années. Ils ont aussi le sentiment d'avoir la population "avec eux". Ainsi,

malgré tout, les agriculteurs retiennent les dimensions positives de leur

rapport avec la population, même s'ils n'oublient pas les problèmes.

5.1.3 - Communauté d'appartenance

Bien que chaque entreprise agricole soit indépendante, les agriculteurs

partagent des traits communs, ont des similitudes. En même temps, chacun

est reconnu dans sa manière singulière, son identité. Les agriculteurs font

ainsi partie d'une communauté. Lors de nos entretiens, nous avons

rencontré beaucoup d'homogénéité dans les expériences, les souffrances

vécues, les intérêts et les valeurs communes. Cette communauté d'apparte-

nance est renforcée par l'affiliation des producteurs agricoles à l 'UPA qui

leur fournit des moments où, en plus du support technique ou politique

qu'ils viennent y chercher, ils peuvent aussi trouver des occasions d'obtenir

un support affectif et de partager leurs expériences.

Enfin un dernier point mérite d'être souligné en ce qui a trait au sens donné

au métier. Il faut souligner que l'agriculture déborde le cadre strict du

métier et qu'elle est perçue comme une façon de vivre, un mode de vie.

Elle envahit la vie quotidienne, l'organisation familiale qu'elle soumet à ses

exigences. Comme le montre Caldwell (1988), malgré l'idéologie de

l'entrepreneur ship affairiste et le discours de la gestion technocratique qui

a marqué l'agriculture à partir de la fin des années 60, l'agriculture comme

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mode de vie a subsisté. Elle résulte d'un savoir-faire et d'un savoir-

composer transmis de génération en génération.

5.2 - CONDITIONS PARTICULIÈRES D'EXERCICE DU MÉTIER

5.2.1 - Autonomie dans le travail

En général, dans toutes les sphères du travail, les travailleurs sont habituel-

lement confrontés à une organisation du travail qui leur est dictée par une

autorité. Ce sont des règles de jeu de départ qui visent ultimement

l'efficacité de la production. Cette organisation s'appelle organisation

prescrite du travail. A celle-ci, les travailleurs amènent des aménagements

de façon à rendre le travail plus congru, qui tient compte des situations

réelles de travail et des caractéristiques des individus. C'est ainsi qu'un

espace existe entre organisation prescrite et organisation réelle de travail.

Lorsqu'ils investissent cet espace, les travailleurs en retirent un bénéfice

parce qu'ils adaptent et trouvent des solutions plus efficaces pour eux-

mêmes et pour le travail. A l'inverse, l'application rigide des règles

prescrites par la hiérarchie constituera une souffrance pour les travailleurs

alors que la direction n'en retirera pas de bénéfices.

Il n'y a pas à proprement parler d'organisation prescrite du travail sur la

ferme. En effet, une des caractéristiques du métier d'agriculteur, à la

différence de beaucoup d'autres activités de travail, est que les personnes

qui l'exercent doivent planifier et organiser l'ensemble du travail. Cet

engagement dans l'autonomie est très considérable : la planification doit être

établie sur la base d'une année (le calendrier agricole) en même temps

qu'elle touche les activités quotidiennes.

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Prenons l'unique exemple de la planification du troupeau chez les produc-

teurs laitiers, on retrouve : planification au niveau de l'alimentation de

chaque animal en fonction de sa production laitière et de sa période de

lactation. Planification au niveau de la reproduction de chaque animal :

choix de la semence pour insémination de manière à améliorer le profil de

la progéniture, période à surveiller pour la saillie, surveillance de chaque

animal pour voir si la gestation est commencée, surveillance pour la mise-

bas, Planification aussi pour l'ensemble du troupeau (par exemple : pour

augmenter le pourcentage de protéines dans le lait.) Achat, vente d'ani-

maux, médication etc. Et nous ne venons d'évoquer qu'une partie de la

planification dans le travail, celle qui concerne l'animal, nous n'avons pas

parlé des aspects de planification en regard des travaux agricoles, des achats

de semences, de la machinerie, des budgets etc.

C'est donc l'affaire de l'agriculteur d'orchestrer la séquence complète et

annuelle de ses activités. Assurément, il n'y a pas d'employeur pour venir

dicter une forme quelconque d'organisation du travail aux agriculteurs.

Cependant, les agriculteurs ont malgré tout à faire face à une forme de

contrainte déterminante. Sans qu'il y ait un employeur qui fixe une règle

particulière, il y a un diktat lointain qui a pourtant un rôle majeur. Les

agriculteurs, surtout les producteurs laitiers, sont soumis aux décisions du

gouvernement (par exemple, coupure dans les programmes) lequel a une

influence considérable même si indirecte d'abord sur la rétribution

économique, parfois même sur la structure, voire l'avenir de la profession.

D e leur côté, les maraîchers et les producteurs de céréales sont soumis aux

lois du marché qui gouvernent les ventes.

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Il y a un "patron" non identifié, qui a pour nom "le gouvernement", les

"fonctionnaires du gouvernement", le "ministre", le "marché" ou bien plus

près de l'agriculteur le "banquier." Cet "employeur" est anonyme. Souvent,

il est appelé "il" sans plus. On peut imaginer que l'imprécision, l'anonymat

confère de l'anxiété en créant une distance et en n'offrant pas de prise sur

la situation. Voyons donc en quoi consiste cette source d'anxiété importante.

A. L'agriculture : un métier menacé

Les agriculteurs partagent tous une inquiétude face à l'avenir de leur métier.

Ils ressentent cette appréhension parce que les conséquences du libre-

échange et les futurs accords du Gatt risquent d'avoir un impact important

sur la structure même de l'agriculture québécoise. Celle-ci est fragile parce

qu'elle repose sur des offices de mise en marché qui, en contrôlant les prix,

en limitant les importations et en fixant les niveaux de production protègent

les agriculteurs des principales productions, des fluctuations des prix

internationaux et leur assure un revenu stable. Mais tout cet édifice risque

de s'écrouler avec l'aboutissement des négociations du GATT qui visent à

revoir les règles du commerce des denrées agricoles afin de réduire les

barrières entre les pays (Rioux, 1990; Lessard, 1991; Belzile, 1991). D e

son côté, le libre-échange constitue aussi une menace. Les perspectives sont

sombres et dans son ensemble le secteur agricole a beaucoup à perdre de cet

accord (Proulx, 1986; UPA, 1987). Pour le secteur laitier en particulier, la

situation est très menaçante et des pertes importantes sont à prévoir avec

l'ouverture des marchés. Même si la situation est plus difficile à prévoir

pour les producteurs maraîchers et les producteurs de céréales, autres

productions concernées par notre étude, ceux-ci ne sont pas très optimistes

quant aux conséquences du libre échange.

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Le cadre politique et économique que nous venons d'évoquer et, de manière

plus concrète, les difficultés financières que doivent affronter un grand

nombre de producteurs constituent certainement pour eux la plus grande

préoccupation dans leur métier :

"Le GATT et le libre-échange, au point de vue stress, c 'est une grosse question. Ca nous a stressé toute la gang- "

En ce qui concerne les contraintes macropolitiques et macro-économiques,

les agriculteurs ressentent une anxiété importante qui influence le cours de

leurs actions : certains hésitent par exemple à acheter du quota et quelques

individus nous ont dit qu'ils avaient considéré ces éléments dans leur

décision de vendre ou ne pas vendre une partie de leur ferme.

Face aux discussions politiques de haut niveau dont nous venons de

décrire le contexte, les agriculteurs ressentent une absence de contrôle

parce qu'ils ne sont pas certains que, même regroupés, ils réussiront

à avoir une influence déterminante sur le cours des décisions :

"Quand on pouvait avoir un petit contrôle sur la politique du Québec c'est encore pas pire, on connaît le monde au Québec mais si jamais le contrôle du lait devient international qu'est-ce qu'on va avoir à dire là-dessus?"

Par ailleurs, ils ressentent l'imminence de changements qui peuvent venir

bouleverser de fond en comble les structures sur lesquelles repose leur

métier et transformer ainsi profondément l'organisation de leur vie et de

leur travail. Les agriculteurs ressentent donc une menace sourde et

importante.

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B. Les difficultés économique, au jour le jour

Les agriculteurs disent éprouver des difficultés croissantes dans la gestion

économique de la ferme, depuis quelques années. D'un côté, les coûts de

production ne cessent d'augmenter; engrais, insecticides, machineries,

divers services, sont en hausse constante. Mais en même temps les revenus

sont en baisse parce que l'inflation n'est pas pleinement compensée, parce

que le marché des grains est en chute, parce que les programmes de support

sont de plus en plus souvent visés par des coupures. Tiraillés de toutes

parts, les agriculteurs se sentent étouffer.

Ils ne se sentent pas justement rémunérés pour le travail fait lorsqu'ils

considèrent le produit fini :

"Seulement 0,04 $ du coût d'un pain revient à l'agri-culteur. "

Ils trouvent que certaines dépenses représentent un coût exorbitant par

rapport à ce qu'ils produisent :

"Le silencieux de mon tracteur coûte 800 $, le mais se vend 100 $ la tonne. Un silencieux coûte donc 8 tonnes de maïs et j'ai besoin de cultiver 3 arpents pour le payer! "

Au fil des entretiens, plusieurs commentaires ont ainsi illustré leur sentiment

d'être laissés pour compte dans la chaîne de production, laissant entrevoir

que le sentiment de reconnaissance de leur travail n'est pas pleinement

satisfaisant. Par ailleurs, il est frustrant de manipuler des sommes considéra-

bles alors qu'au bout de l'année il leur en reste peu surtout s'ils tiennent

compte du nombre d'heures travaillées. Parfois même, les sommes investies

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pour produire sont supérieures à celles obtenues lorsque la récolte est

vendue.Une autre source d'anxiété vient du fait que les agriculteurs ont

longtemps cru en des jours meilleurs qui leur laisseraient le temps de

souffler. Comme le décrit l'un d'eux :

"Lorsque j'étais jeune je me disais : mon idéal, c'est d'avoir une entreprise, la faire progresser et à un moment donné, je vais en vivre, je vais bénéficier de tout le temps que j'aurai mis dedans, je serai plus libre, moins inquiet financièrement. Mais tu arrives à un certain âge et ce n 'est pas cela. Tu dois grossir encore et encore. Quand est-ce que je vais bénéficier de mon travail?"

Ainsi donc, les difficultés économiques constituent le noyau, la source

principale d'anxiété. Avant d'aller plus avant il convient de faire un détour

et voir la place du plaisir et de la souffrance dans le travail.

5.2.2 - Place de la souffrance dans l'organisation agricole

En situation de travail, toute personne rencontre des contraintes dans

l'organisation du travail ou dans ses rapports avec les autres. Aura-t-elle la

possibilité de pouvoir les résoudre de manière qui la satisfasse? Elle tente

donc, soit par le biais de mécanismes de défense, soit par des règles qu'elle

s'est fixées, soit au moyen de savoir-faire ou bien de "ficelles" de s'adapter

à la situation. Si tout se passe bien, si par exemple, elle réussit à trouver

une solution qui soit satisfaisante alors elle en retire un bénéfice, elle en

retire du plaisir. La souffrance initiale s'est alors transformée en souffrance

créatrice (Dejours, 1990 b). Mais si, au contraire, l'individu n'arrive pas

à trouver une solution et qu'il ne rencontre que des contraintes rigides,

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fixes, s'il n'existe pas de chemin de contournement, bref, si toutes les

solutions ont été explorées en vain, alors s'installe des sentiments d'impuis-

sance, d'iniquité, d'injustice, de peur ou d'ennui, qui finalement débouchent

sur la maladie, mentale ou physique. Ainsi, alors que la souffrance,

toujours inévitable dans le travail, connaît une issue heureuse pour le

bénéfice de l'identité lorsqu'elle se transforme en souffrance créatrice, la

souffrance pathogène, elle, risque de déboucher sur la maladie somatique

ou mentale.

Etre maître de son organisation de travail c'est donc avoir la possibilité de

transformer la souffrance en souffrance créatrice.

En ce qui concerne l'organisation de travail et plus particulièrement les

contraintes reliées aux difficultés économiques que nous venons d'évoquer

les agriculteurs ont développé des mécanismes particuliers. La rencontre de

tels mécanismes de défense témoignent de la présence d'une souffrance.

Employés individuellement — o u collectivement— ces mécanismes ont pour

objectif de protéger la personne ou le groupe qui les utilise. Les mécanis-

mes de défense collectifs n'ont pu être observés parce qu'il aurait fallu pour

cela que notre champ d'analyse soit plusieurs fermes examinées individuel-

lement dans toutes leurs composantes. Nous avons plutôt choisi de regarder

plusieurs fermes en réunissant des producteurs de chacune d'elles.

Les mécanismes individuels peuvent être communs à plusieurs individus.

Toutefois, ils n'ont pas été développés par un quelconque collectif, chaque

individu ayant développé ses propres moyens. Or, il se trouve que ces

moyens sont souvent les mêmes mais sont employés de façon individuelle.

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La première manifestation, largement utilisée, de mécanisme de défense

contre les problèmes que nous avons évoqués plus haut, est le déni de

perception. Ce moyen vise à occulter la réalité, à la déformer de manière

à éviter la souffrance. Les agriculteurs disent "on n'est pas si pire que

cela", se comparent à d'autres "plus mal pris", essaient de voir les beaux

côtés: "on a un métier où on va toujours pouvoir se débrouiller", "on

mourra jamais de faim parce qu'on reste sur une terre". Ils évitent de se

comparer aux mieux nantis. L'ignorance (ne pas y penser) est une autre

attitude attestant du déni de perception.

La communauté d'appartenance a un espace important : "on est une gang

(à avoir de la misère)", "l'UPA va nous aider". Dans cet esprit, on tente de

voir le plus possible le contexte actuel diff ici le c o m m e une épreuve de

passage, qu'il faut subir "on va passer au travers, on va "tougher"*, on n'a

pas le choix". Tout le groupe est considéré et se serre les coudes en même

temps même si chaque entreprise est autonome.

D'autres solutions pour lutter contre les difficultés économiques sont

employées.

Augmenter la charge

U n e première solution évoquée est cel le de l'augmentation de la production.

Dans cette perspective, les agriculteurs décident d'augmenter l e nombre

d'animaux, achètent d'autres terres, augmentent leur surface cultivable. Ils

augmentent aussi les coûts reliés à la production ayant besoin d'une

machinerie plus importante, de plus d'engrais, etc . . . Les coûts augmentent,

qu'ils souhaitent voir compensés par des économies d'échelle. La charge de

Résister

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travail se trouve augmentée, mais elle n'est généralement pas absorbée par

du nouveau personnel; l'agriculteur fait de plus longues heures de travail,

ce qui lui permet de réaliser des économies. Il faut rappeler ici une évidence

qui est celle que le temps de croissance de même que les conditions

climatiques demeurent constants quelle que soit la taille de la production.

Ainsi, dans certaines périodes de travail, l'agriculteur ayant une plus grande

surface de production aura évidemment le même temps, la même période

pour semer son champ que celui qui a une petite parcelle. Dans ces

circonstances, le bris de machine ou bien les conditions climatiques non

clémentes agissent avec plus de pression vu que la tâche à accomplir est

plus grande et a plus de conséquences. Autrement dit, pour un même

producteur, il y a plus de contraintes, plus de bris possibles, mais le

calendrier reste le même. La charge de travail augmente.

Améliorer la qualité

Certains misent sur la qualité. Ils précisent que pour arriver, il faut que les

agriculteurs "soient le plus précis possible". Ils doivent être organisés,

informés, efficaces, prendre des décisions en visant le long terme. Cela

implique une gestion de l'information, de la formation continue. Les

décisions ne sont jamais prises à la légère, elles sont mesurées. La

planification est mise à l'honneur.

Fuir avant qu'il ne soit trop tard

Autre attitude possible, celle de la fuite. Une autre façon d'affronter la

difficulté est la vente des biens. Les producteurs sont souvent pessimistes

au point d'envisager cette solution. Mais lorsqu'elle est évoquée, cette

solution n'est pas retenue non en vertu de sa nature excessive mais, disent

les agriculteurs, parce que les fermes se vendent trop difficilement présente-

ment. Par ailleurs, les agriculteurs qui voudraient vendre doivent démanteler

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la ferme, ce qui est une solution difficilement envisageable qui vient en

contradiction avec la valeur de transmission qu'accolent les producteurs aux

fermes : les fermes sont des biens à faire fructifier et à améliorer sans cesse

non à démanteler. Plusieurs producteurs nous ont dit que cette solution "fait

mal au coeur. "

Par ailleurs, quoique cela n'ait pas été jugé avantageux par tous, certains

agriculteurs ou leur conjointe sont amenés à travailler à l'extérieur.

Ainsi, plus la situation se détériore, plus les agriculteurs ont l'impression

que la situation est étouffante et que les alternatives sont de moins en moins

évidentes. À notre avis, il y a là risque de souffrance pathogène : même si

les agriculteurs sont protégés par une structure de travail extrêmement

avantageuse par le fait qu'ils peuvent organiser et planifier leur travail, ils

se retrouvent dans une situation où malgré tout, leur marge de manoeuvre

se rétrécit ayant à faire face à des difficultés extrêmement puissantes.

5.2.3 - Relève et pérennité du métier

Traditionnellement, la ferme est un bien que les producteurs ont reçu de

leurs parents, qu'ils doivent faire fructifier et qui doit ensuite être transmis

à la génération suivante. Cependant, aujourd'hui il y a une remise en

question de ce modèle; l'incertitude quant à l'avenir de leur métier, les

charges économiques, la charge de travail importante pour subvenir à leurs

besoins sont des aspects qui viennent faire contrepoids à la tradition de

transmission des fermes :

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"Moi, j'ai toujours dit : "faites-vous instruire et travailler jamais en fou comme je l'ai fait. "

"Au prix que les terres sont rendues, tu te dis : un jeune qui s'embarque pour 400 000 ou 500 000 $ en partant; tu ne sais pas si tu souhaites cela pour tes enfants. Souhaites-tu qu'ils s'embarquent si fort là-dessus ? "

Malgré les difficultés, plusieurs continuent à soutenir qu'ils vont encourager

leurs enfants à poursuivre et prendre la relève, alléguant que l'agriculture

vit une période difficile mais que la situation va se rétablir et qu'en outre

elle est un métier qui offre une sécurité d'emploi.

Il y a une ambivalence qui reflète l'incertitude de la situation actuelle.

Par ailleurs, transmettre la ferme est difficile : il s'agit pour les parents

d'arriver à quitter la production en bénéficiant d'une retraite au moins

décente et pour les enfants de s'établir tout en n'étant pas complètement

étouffés par les dettes. Le bénéfice de l'un nuit au bénéfice de l'autre. Ce

passage est marqué par le sacrifice :

"Lorsqu'il y a un transfert de ferme, si c'était un commerce ordinaire, personne sacrifierait sur le prix de l'entreprise pour la vendre à son fils, mais en agriculture il faut toujours sacrifier. "

De plus, une fois la décision prise, une fois les premiers engagements

signés, plus possible de reculer : "c'est comme un train qui te pousse".

Devant l'importance de la décision, plusieurs jeunes vont auparavant

travailler à l'extérieur, une façon de vérifier leur choix. Mais, d'une façon

générale, s'impliquer est difficile. En plus des contraintes que nous venons

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d'évoquer, l'agriculture place les jeunes en rupture avec ce que font les

autres qui disposent de leurs fin de semaine et de leurs loisirs, ce qui leur

est amputé lorsqu'ils sont responsables de la ferme :

"Quand il me regardait traire les vaches, il se rendait bien compte que c'est 7 jours par semaine. Même s'il aime bien ça, il y a quelque chose qui n'accroche pas. Il y a bien des jeunes qui aiment la ferme, les animaux, La plupart n'aiment pas être attachés 7 jours par semaine. "

Mais les agriculteurs manifestent en outre la conviction que l'agriculture de

demain se fera avec les fils et les filles d'agriculteurs :

"S'il y a à avoir de la relève ce sera nos enfants et non ceux de la ville parce que ceux de la ville ne connaissent rien. Ils ne savent pas c'est quoi. Appren-dre dans les livres, l'agriculture, ça ne s'apprend pas. C'est en travaillant que tu l'apprends. "

Si ce ne sont pas eux qui réussissent à prendre la place, personne ne le fera.

Face à ces difficultés, les agriculteurs essaient de mettre leurs enfants de

façon la plus juste possible face aux contraintes et avantages de leur métier

afin qu'ils puissent librement décider de leur avenir.

En somme, même si la pérennité du métier fait partie des valeurs de la

profession, et que cette valeur a toujours constitué un aspect important, il

y a un questionnement important qu'on peut certainement attribuer en bonne

partie aux années difficiles que traverse l'agriculture.

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5 .3 - SOURCES D'ANXIÉTÉ DANS L E TRAVAIL QUOTIDIEN

5 .3 .1 - Charge de travail

"On regarde pas notre montre, on regarde notre champ. Quand notre champ est fini, le travail est

fini. "

"Un producteur agricole ça vaut peut-être quatre hommes engagés. "

La quantité de travail que doivent accomplir les agriculteurs est cause

d'anxiété. La somme de travail à accomplir est considérable et s'est accrue

dans ces années difficiles comme nous l'avons souligné antérieurement,

alors que pour augmenter leur revenu, plusieurs agriculteurs ont décidé

d'augmenter leur charge de travail.

Durant l'hiver, la charge de travail est réduite pour les producteurs de

grande culture (à moins qu'ils ne travaillent à l'extérieur). Cependant elle

demeure importante pour les horticulteurs et les producteurs laitiers. Pour

ces derniers, elle ne se compare cependant pas à la période du printemps,

de l'été et de l'automne. Durant cette période, les pointes de travail intense

sont fréquentes surtout au moment des semis et des récoltes. Plusieurs

producteurs nous ont parlé de semaines de plus de 100 heures, de durée de

journée de travail limitant au minimum les périodes de sommeil (4-5 heures

parfois), de périodes de repas souvent escamotées. En plus, le travail est

souvent fait sous tension, parce que la pluie par exemple, s'annonce et

menace la récolte ou risque d'empêcher de terminer les semis, ou qu'un bris

de machine a interrompu le travail :

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"L'ouvrage nous pousse. On a un arrosage à faire, ça ne peut pas attendre. Il faut que tu sautes sur le tracteur et que tu y ailles même si c'est dimanche. Jusqu'à prendre l'avion pour arroser. C'est dur. "

Une particularité du travail des maraîchers, est celle de les amener à

travailler au marché qui est un lieu essentiel pour plusieurs pour l'écoule-

ment de leur production. Tous les producteurs rencontrés sont unanimes à

décrire le travail au marché comme une tâche qui génère beaucoup

d'anxiété. Difficile en premier lieu parce que la production ne se vend pas

toujours. Ou bien les fluctuations du marché font que les prix peuvent

changer très vite. Enfin aussi, souvent les producteurs à leur retour à la

maison ont une autre journée qui les attend. Le temps de sommeil se trouve

coupé; même s'ils souhaitent prendre un repos, certains n'y arrivent pas,

pensant seulement à tout le travail à accomplir :

"J'étais pas capable. Le stress me pognait, le matin. Tu vends pas, t'as des fèves. J'ai payé pour les faire casser, je suis ici pour vivre. Avoir de l'argent pour

faire vivre la maisonnée. Un matin t'es heureux parce que tu as vendu ton stock; l'autre matin, tu brailles. Et puis, j'étais pas capable de vivre la nuit. Cela me prend juste cinq heures. Il faut que je les aie parce que le jour où je ne les aurai pas je ne dormirai pas. "

En conséquence, la fatigue se manifeste. Des exemples nous ont été

rapportés où la fatigue extrême entraîne des situations dangereuses par

exemple, la somnolence en utilisant des machines, surtout la nuit :

"Je me suis réveillé, j'étais juste au bord de la dé-charge. "

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"J'étais assez perdu, je ne savais plus si je montais ou si je descendais. "

Les risques pour la santé et la sécurité se font présents. Les agriculteurs ne

prennent pas toutes les précautions, étant plus pressés. Ils redoutent le

moment d'inattention qui peut avoir des conséquences dramatiques :

"Il faut que tu sois toujours attentif, que tu lâches pas l'attention parce que sinon, c'est là que l'accident se produit. De la minute que tu ne te surveilles plus. "

"Il était trop pressé, il n 'a pas pris le temps de mettre le garde de sécurité... "

D'autres manifestations apparaissent : l'incapacité de trouver le sommeil

malgré la fatigue; la poursuite, la nuit, des activités faites durant le jour; la

prise de médicaments pour s'endormir ou pour être capable de faire le

travail durant la journée :

"J'avais 21 ans. J'ai été 3 semaines sans dormir. A un moment donné je n'avais plus deforce j'ai appelé le docteur, il m'a dit que j'étais en train de faire une dépression. Je me levais avant mon père, je travail-lais comme un fou. Là où mon père et mon frère

faisaient un rang de patates, moi j'en faisais deux. Je courais. Premier dans le champs le matin, dernier entré le soir; 10 minutes pour dîner, 10 minutes pour souper. A un moment donné, le soir, si je ramassais des oignons dans la journée, j'en ramassais toute la nuit. Le lendemain c 'était des patates. Je pensais rien qu 'à ça. Pas capable de dormir. A un moment donné j'avais plus de force. Il m'a donné 4 pilules. Ca m'a pris 4 ans avant de reprendre mon souffle. Le matin, toujours au bout de mon souffle, je n'étais pas capable de me ralentir. J'avais une vitesse, c'était vite. "

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Les agriculteurs ne s'offrent pas de vacances. L'absence de vacances est

perçue comme une économie d'argent. Rares sont ceux qui en prennent

régulièrement ou même qui en ont pris au cours des dernières années,

surtout chez les producteurs laitiers :

"Moi, ça fait 20 ans que j'ai pas pris de vacances. Je pense en prendre dans 10 ans. "

"J'ai pris mes vacances après 17 ans. On a pris 2 jours. "

"J'ai jamais pris de vacances. "

Ceux-ci nous disent que s'ils s'absentent, ils ont deux familles à faire

garder : leurs enfants et les animaux. Ceux qui se sont absentés se sont

inquiétés de leur troupeau et ne peuvent souvent résister au désir d'appeler

pour se rassurer :

"T'es toujours inquiet. Tu manques un mois de chaleur, c'est un mois de lactation. "

Finalement, les producteurs qui s'accordent un repos sont ceux qui exercent

l'agriculture en société (plus d'une famille). L'absence de l'un est prise en

charge par les autres sociétaires qui peuvent eux aussi, à leur tour,

s'absenter en toute tranquillité.

5.3.2 - Isolement

"Les champs ça peut être un endroit pour réfléchir, préparer des projets. "

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"Ca me tanne beaucoup quand je suis seul dans les champs sans parler à personne, ça finit plus de se prome-ner en tracteur. "

L'isolement offre parfois un temps de contact avec la nature. Il est alors

perçu comme un moment de liberté, de sérénité, de calme, voire d'extase,

de spiritualité :

"T'es assis sur ton tracteur, tu traces ton premier sillon (labour), tu regardes cela en arrière, c'est tout droit. D'un côté la terre est fraîche tournée, de l'autre côté, t'es sur un chaume, c'est tout vert, tu regardes cela, t'es content. "

Les producteurs visitent parfois tranquillement leur champ pour en apprécier

l'évolution. Ces moments peuvent être sources de joie et de fierté. Ils

observent le résultat de leur travail. Cependant, les difficultés économiques

empêchent d'apprécier autant ces instants :

"Tu peux pas apprécier autant le coucher de soleil quand tu sais que tu mets 4 trente sous en terre pour n 'en retirer que 2. "

Mais l'isolement apporte aussi une part d'anxiété. Une première cause

d'isolement est reliée à l'augmentation du temps de travail. Celle-ci limite

les relations avec les autres, qu'il s'agisse des enfants, du conjoint, des amis

et confine l'agriculteur à ses machines et ses champs. Cet aspect sera

développé plus largement ailleurs (cf 5.4.1) . L'agriculture, telle qu'on la

pratique maintenant, augmente l'anxiété reliée à l'isolement. Premièrement,

les travaux se faisaient autrefois davantage en groupe mais aujourd'hui la

machinerie a remplacé cette forme de travail, augmentant l'isolement.

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Deuxièmement, les fermes constituent de vastes lieux de travail et cela est

encore accentué par le fait que les terres sont de plus en plus larges, les

fermes étant moins nombreuses. Les voisins agriculteurs sont encore plus

éloignés que cela ne l'était il n'y a pas si longtemps :

"Le problème c'est qu'on s'en vient de plus en plus solitaire en tant qu 'agriculteur parce que les voisins il n'y en a plus... On n'a pas le temps. On est pris dans le travail. "

Un autre aspect qui aujourd'hui confère un sentiment d'isolement est le

travail de nuit. Rare autrefois, celui-ci est maintenant fréquent, au moment

des semences et des récoltes particulièrement. Enfin, certains types de

travaux accentuent le sentiment d'isolement par exemple l'érochage, travail

monotone et routinier.

L'anxiété se manifeste par la peur de l'accident et par la crainte de l'erreur

alors que personne n'est là pour apporter du secours :

"Dans le champ tu tombes de ton tracteur et tu te casses une jambe. Il n'y a personne... "

"Câline, qu 'est-ce que je viens de faire là! " Sur le coup, t'en ris mais après cela tu te dis "maudit!"

Les conjointes craignent beaucoup l'accident alors que leur mari ne peut

être secouru :

"Ma femme m'a dit au bout de 15 ans de mariage : "si tu savais comme je me suis inquiétée! "Elle ne me l'avait jamais dit pour ne pas rajouter de stress sur mes épaules. "

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"Quand je vais labourer sur l'autre terre tu lui dis que tu en as pour 2 heures. Mais il se met à pleuvoir, le tracteur patine, ça prend 4 heures. Elle se pose des questions "est-il dans la décharge?" C'est arrivé quelquefois qu 'elle est venue voir. "

Les agriculteurs ont développé des mécanismes de défense pour lutter

efficacement contre l'anxiété qui se manifeste à cause de l'isolement.

Lorsqu'ils travaillent en société, ils se regroupent pour faire les travaux :

"J'aime pas être tout seul. Nous on travaille par secteur. On sort d'un secteur pour aller dans un autre secteur. Si je suis pris dans un secteur, j'ai hâte d'en sortir. "

"Rien que le fait de sentir quelqu 'un pas loin, il me semble que ça va mieux. "

Certains utilisent le radio-téléphone :

"Je ne sors pas dans le champ sans mon téléphone. Je sais que je peux appeler quelqu'un s'il m'arrive quelque chose. "

D'autres se motivent, parfois en divisant le travail par étapes parfois en

appréciant le travail fait :

"Ca prend quelque chose pour motiver, il faut que ça marche, il faut que je finisse, il faut que je sème ce champ-là si je veux avoir quelque chose. "

L'isolement, enfin, les fait redoubler de prudence face aux accidents.

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5.3.3 - Accidents et maladie

Les agriculteurs ont à affronter une multitude de risques dans l'exercice de

leur métier. Cela génère de l'anxiété. Cette anxiété, nous la ressentons

présente lorsque les agriculteurs racontent les accidents dont ils ont été les

victimes ou les témoins. Enfants, amis, voisins, membres de la famille, ont

été touchés. Ces événements sont relatés : les silences, les tensions,

l'attention manifestes nous indiquent que ce sujet est porteur d'une charge

d'anxiété.

Les dangers sont constamment présents sur une ferme et ils sont multiples :

"C'est les accidents dont j'ai le plus peur dans la semaine. "

Sans être exhaustifs, voici les dangers dont ont parlé les participants :

- Peur de tomber, d'être enfermé, asphyxié dans les silos ou dans

les fosses à fumier

"C'est pas d'entrer dans le silo, je le sais, je ne fais pas marcher la vis. J'ai affaire à monter dans le silo, je pourrais glisser, tomber et me faire mal. "

"Je pourrais lâcher un cri mais avec le bruit des "fan" il faudrait crier pas mal fort."

Pour se prémunir de ce danger, les agriculteurs préviennent leur

conjointe qu'ils vont travailler dans le silo en précisant la durée du

travail ce qui place ces dernières dans un état d'anxiété :

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"Cam 'énerve les silos. Il va mourir étouffé là dedans... Les gaz d'ensilage inodores... tu attends en bas, est-il mort, est-il encore là? H avait dit qu'il ne serait pas parti pour longtemps, il n 'est pas encore descen-du. Si je monte ça va être la même affai-re. "

S'ils le peuvent, ils travaillent à plusieurs. Le fait d'en parler, de

répéter est aussi un moyen de défense pour ne pas oublier de prendre

les précautions :

"Ils nous l'ont montré, il y a des personnes qui sont mortes dans les silos, dans les

fosses à fumier, ça s'est tellement dit qu 'on est plus sensibilisés, ça n'empêche pas qu 'on pourrait faire encore des accidents, mais il faut toujours le dire. "

Certains s'attachent mais pas tous.

- Crainte d'être entraîné par une pièce en mouvement, crainte lors

de la manipulation de la machinerie

Les tracteurs, les prises de force non protégées, les machines tels vis-à-

grain, hachoir, souffleur, débouleur et voiture à ensilage sont autant de

machines avec lesquelles les plus grandes précautions sont nécessaires.

- Crainte de développer des allergies, poumon du fermier, asthme

- Crainte des intoxications causées par des produits chimiques

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Ces risques et leurs effets ne sont pas perceptibles de la même manière

que ceux qu'engendrent les machines, beaucoup plus évidents :

"Avant qu 'il y ait des cours de formation sur les pesticides, je traînais des sachets de poison dans le camion ou sur le siège arrière et les enfants jouaient avec les sacs. Mais je ne le savais pas. Je ne savais pas le degré de poison qu'il y avait là-dedans et on n'avait pas été sensibilisé. Aujourd'hui je fais attention. "

"Il y a des insecticides, je ne sais pas s'ils rendent malades, mais lui il n'a pas été malade : il n 'a pas eu de mal de coeur, il n 'a pas eu de vomissements, il n 'a rien eu. Je lui ai demandé : "as-tu souffert? " il m'a dit non. Il est tombé dans le coma. Il ne s'est pas plaint. "

- Crainte reliée à la manipulation des animaux

La manipulation des bêtes peut entraîner coup de patte, coup de tête.

Le contact avec les bêtes doit être ferme mais doux. De plus, les

animaux peuvent transmettre des maladies (brucellose, dartres).

En somme, l'anxiété devant les dangers auxquels les agriculteurs sont

exposés est couramment exprimé. Les dangers les contraignent à

"toujours y penser", ce qui requiert une énergie considérable. "De la

minute que tu lâches, l'accident peut survenir." L'anxiété génère de

l'anxiété.

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Des conditions particulières accentuent le danger. Par exemple, ïa

fatigue et le travail sous pression dont il a été fait mention plus haut :

"Mais parce que tu es à ton compte et pour sauver du temps, des fois tu fais des petites vites. "

*On est toujours inquiets, dans le fond, on travaille tellement pressé que parfois on est imprudents, on fait pas attention. "

Sous ces conditions, les risques se trouvent décuplés. Les conjointes ont

souvent pour rôle de freiner l'ardeur de leur conjoint lorsqu'elles

sentent que la fatigue les envahit démesurément. Une femme raconte :

"La fatigue. A force d'accumuler les dé-gâts, le stress augmente. A un moment donné, ils viennent sur le point d'exploser. Je m'aperçois souvent sur le C.B. que le ton change. Je leur dit : "il y en a qui ont besoin de reposl" Là ils comprennent ce que cela veut dire. "

"Les femmes ont un rôle de modérateur. "

Par ailleurs, les femmes sachant la condition de travail de leur conjoint

et connaissant leur état d'épuisement, sont inquiètes :

"Je m'en vais labourer me dit-il. —Il la-bourait jusqu 'à 2 ou 3 heures du matin— H me disait de temps en temps regarde si tu vois encore le tracteur, si je ne suis pas tombé dans la décharge, si tu vois encore de la lumière! "

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Certains utilisent le radio-téléphone comme moyen de garder le contact

et s'assurer qu'en cas de besoin le secours peut être cherché. Parfois,

les femmes suivent leur conjoint afin de ne pas être inquiètes :

"Pour éviter de penser aux autres, tu te dis "je vais y aller, je ne serai pas inquiète \ Tu vas dans le champ, tu suis. "

D'autres conditions accentuent le danger : en agriculture les tâches à

accomplir varient beaucoup. Les agriculteurs doivent constamment

s'adapter à de nouvelles situations, affronter des difficultés et utiliser

des outils qui eux aussi changent. Même si les tâches sont connues, les

outils déjà utilisés, c'est quand même un processus qui doit être

réutilisé et donc à réapprivoiser, un nouveau contact avec les défauts

et les qualités de la machine et avec la situation :

"Nous autres, j'évalue qu 'on est dangereux même si je dis qu 'on est sécuritaire parce qu 'on fait jamais la même chose. On tou-che à beaucoup de choses. "

De plus, c'est souvent l'agriculteur qui répare lui-même les bris, par

souci d'économie de temps et d'argent, par commodité. Ses connaissan-

ces ne peuvent être excellentes dans tous les domaines, souvent elles

ont été acquises "sur le tas". Elles concernent la mécanique, la

réparation générale, l'électricité, la menuiserie, etc. Il se peut qu'elles

ne soient pas à la fine pointe des règles de sécurité. Cela peut amener

des incidents voire des accidents.

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Une autre source d'anxiété résulte non pas de l'exposition au danger

mais plutôt des conséquences d'un accident. Au-delà de l'accident

lui-même, de la blessure, les agriculteurs craignent l'arrêt de travail,

l'incapacité d'accomplir les tâches. Compte tenu de l'ampleur des

tâches à accomplir sur la ferme, de la somme de travail qu'ils

accomplissent et des connaissances multiples nécessaires au fonctionne-

ment, qui rendent les producteurs quasi irremplaçables, l'arrêt de

travail est perçu comme étant catastrophique. Seul un accident très

grave peut arrêter un agriculteur. Doigts coupés, côtes fracturées,

allergies importantes, mononucléose nous ont été rapportés et n'ont pas

arrêté les producteurs; au pire ces événements les ont-ils contraints à

un changement temporaire d'activités. Ils continuent à travailler parfois

contre l'avis du médecin.

Enfin, les agriculteurs vieillissent et s'inquiètent de plus en plus de la

maladie :

"Ma préoccupation, c'est plus la santé. Je suis bien chanceux, j'ai une bonne santé. J'ai jamais été malade de toute ma vie. Mais on prend de l'âge. Un moment don-né, tu tombes malade. Là tu y penses. J'ai une quinzaine d'employés, t'occuper de tes vérités, ta mise en marché tu tombes mala-de, t'es faite. "

Face à la maladie et face aux accidents les agriculteurs usent du déni

de perception. Ne pas penser à ce qui pourrait entraîner des conséquen-

ces si lourdes :

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"Une femme me disait : "T'as l'air en for-me, t'es jamais malade. " Je lui ai dit : "on est malade comme les autres mais on n'a pas le temps de se plaindre. "

"(Le travail à la ferme) ce n'est pas dange-reux (les accidents) c'est de la négligence. "

Les personnes qui fonctionnent en société se trouvent sous cet aspect

protégées :

"Si tu as des empêchements, tu sais qu'il y a quelqu'un qui va te remplacer. Tu sais qu'il y a quelqu'un qui va le faire. "

En regard des accidents du travail, deux autres aspects méritent d'être

soulignés. En premier lieu, le travail des femmes, sur la ferme, ne les

expose pas aux mêmes dangers lorsqu'elles ne travaillent que de façon

épisodique aux travaux agricoles. Dans ces cas, les conjoints recourent

à leur service pour des tâches précises et simplifiées. Elles ont alors un

rôle de "dépanneuse". Elle sont parfois à l'écart de l'opération dans son

ensemble n'étant là que pour effectuer un aspect particulier du travail.

Cela peut les exposer à des risques particuliers.

7 / me dit qu'il va siffler quand je dois arrêter la machine. Tu écoutes. Il siffle? tu entends les mouettes. A-t-il sifflé ou c'est les mouettes?" (rires)

Par ailleurs, elles travaillent tout en ayant soin de leurs enfants, ce qui

les expose à des dangers car la présence des enfants dans un tel endroit

les oblige à une surveillance constante :

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"Si une vache part sur le bord d'un enfant en entrant, on se garroche au travers du pipeline, on s'assomme... La petite bonne femme de 4 ans, à côté d'une vache de 1800 lbs!"

"J'ai vu mon petit bonhomme s'en aller pieds nus en arrière, dans le parc des va-ches et le taureau qui était libre en arriè-re. J'en ai peur du boeuf mais cette fois-là c 'étaitplus important d'aller chercher mon petit gars. "

Comme elles veulent accomplir leur travail, et qu'elles savent que les

enfants ont besoin d'elles, elles se dépêchent de terminer leur tâche, ce

qui les expose au danger.

"On a les enfants, on n 'a pas de gardien-ne : c'est nous autres mêmes qui gardons les enfants, qui les traînons. Pendant que tu vas tirer les vaches, les enfants dorment encore et tu sais qu'ils se réveillent vers huit heures moins quart, tu te dépêches de finir ton train pour entrer. Combien défais je suis partie de l'étable en courant pour voir s'ils dormaient encore. On l'a toutes fait cela, on est toute nerveuses, on tire tout croche les vaches, parce qu 'on a peur qu'il arrive quelque chose. On l'a toutes

fait. "

La présence des enfants sur la ferme est donc source d'anxiété. Étant

donné le degré de danger qu'on y retrouve, leur présence constitue un

"souci énorme". Les parents sont tiraillés entre le désir de les protéger,

donc de les éloigner de l'exposition et celui de leur faire connaître et

les intégrer à la vie agricole donc de les associer aux tâches.

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La présence des enfants qui ne sont pas "de la maison" et en particulier

les enfants des villes inquiètent encore plus les parents. Car, si leurs

propres enfants ont développé des connaissances relativement importan-

tes de leur milieu et des dangers qu'il présente, les petits urbains, eux,

n'ont pas cette connaissance et débordent en plus, d'enthousiasme pour

aller caresser la vache, toucher tout ce qu'ils voient, ne se méfient de

rien, veulent conduire le tracteur etc.

5.3.4 - Gestion de la ferme

Gérer un établissement, être son propre patron, se fixer des objectifs est

certes source de plaisir pour les producteurs. Cependant, les années

difficiles au cours de cette période politique incertaine font que les aspects

plus complexes de la gestion prennent beaucoup d'importance. Les agricul-

teurs soulignent qu'aujourd'hui, pour diriger une ferme, "cela prend plus

que des bras" et que l'administration devient complexe, exigeant de la

précision. D e plus en plus de producteurs utilisent des techniques de gestion

sophistiquées faisant appel à l'informatique, parfois couplée à la robotique

(ex. alimentation du troupeau), nécessitant des connaissances qui dépassent

largement le champ de compétence du travail agricole stricto sensu. Us font

aussi appel à des spécialistes de la gestion.

Dans un contexte économique incertain, la prise de décision se fait, elle

aussi, complexe. Les charges augmentent, les décisions à prendre sont

nombreuses et souvent difficiles parce que les éléments manquent pour faire

un choix satisfaisant. D e plus, en agriculture, un élément particulier, la

température accentue la difficulté parce qu'elle ajoute un élément incontrôla-

ble, lourd parfois de conséquences. Particulièrement dans les petites

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entreprises, la prise de décision est aussi difficile parce qu'elle n'est pas

partagée et son poids repose souvent sur une seule personne. Dans la

plupart des établissements, les conjointes ne prennent pas part à la décision,

parfois même lorsqu'elles sont sociétaires. Dans les établissements où

plusieurs sociétaires sont impliqués dans la même entreprise la gestion est

partagée ce qui implique que les champs et compétences sont partagés. Les

femmes sont absentes là aussi du champ de la décision.

Rôle des femmes en agriculture

Les femmes partagent avec leur conjoint le même idéal, la même vision

symbolique et utilitaire de l'agriculture. Elles aussi apprécient de vivre en

campagne, d'être en contact avec la nature, de pouvoir organiser leur

journée et d'avoir à portée de main un milieu favorable à l'éducation de

leurs enfants.

Quelques-unes participent autant que leur conjoint aux travaux de la ferme,

surtout chez les plus jeunes. La plupart y participent à l'occasion soit de

manière régulière et ont alors à accomplir une ou plusieurs tâches au cours

d'une journée, soit lorsque le besoin se manifeste. Cependant, la grande

majorité des femmes assument seules les tâches domestiques et l'entretien

de la maison. Elles voient aussi à l'éducation des enfants et répondent aux

besoins tels que visites chez le médecin, rencontre des professeurs, etc.

Pour beaucoup de femmes, l'organisation et la planification du travail

agricole reposent sur leur conjoint. Les activités agricoles sont au centre,

non seulement de la v ie de travail mais aussi de toute la vie familiale de

telle sorte qu'en cas de besoin, ces femmes sont immédiatement disponibles

pour prêter main forte à leur conjoint :

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"Le mari organise sa journée. Tu le sais pas mais tout à coup il dit : "tu t'en viens m'aider dans le champ". J'avais prévu faire ceci ou cela, alors mes plans sont défaits. "

L'inverse n'est pas vrai.

"Toi tu vas lui demander à lui de venir t'aider il va te dire "ça presse pasl " (rires)

Ce travail que font les femmes est appelé par elles "dépanneuse" : faire une

course, aider au transport de la machinerie, aider pour une réparation, bref

un ensemble d'activités précises pour seconder leur conjoint. Quelques-unes

vont faire une tâche quotidienne : mettre du foin devant les vaches, faire

boire les veaux, par exemple.

Les femmes qui font ce travail (dépanneuse - tâche quotidienne) savent que

le travail qu'elles font est très utile mais ce travail n'est pas reconnu :

"Tout le monde crie après nous autres. Nous on n 'a jamais de tâches spécifiques, mais on fait tout. Qu'est-ce que tu fais sur la ferme? Moi je peux dire,

je fais rien, au fond on fait tout mais on n'a pas de rôle précis, c'est encore plus fatigant. "

"Mon mari appelle ça du picossage. "

"Je suis juste dépanneuse. "

L'autre versant de leur travail, les activités domestiques, n'est pas non plus

reconnu, et est toujours à recommencer :

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"Le gazon, c'est pas prioritaire mais c'est toi qui va ramasser ensuite, c'est toi qui va tondre deux fois. Et les fleurs que tu ne vois plus dans les mauvais herbes, c'est pas grave : ça n'empêche pas de faire vivre les vaches. "

En plus de n'avoir pas de travail reconnu comme l'est celui des hommes,

les femmes doivent aussi se faire reconnaître vis-à-vis des personnes à

l'extérieur de la ferme : le gérant de banque, le vendeur d'engrais, etc. . .

qui croit que l'homme est la seule personne capable de l'informer ou de

participer à une transaction :

"Souvent les vendeurs arrivaient sur la ferme en disant : "est-ce que je peux voir le boss?" tu en remets une couple à sa placet "

Cependant, les femmes ne se laissent pas décourager par ces attitudes très

courantes et prennent leur place, patiemment.

Ainsi, le travail agricole est au centre de l'organisation. Il occupe prioritai-

rement les hommes mais dans certains cas les femmes à un degré parfois

égal à celui des hommes ou le plus souvent à un degré moindre. Toute

l'activité familiale est assujettie à cette activité.

5.4 - RAPPORTS INTERSUBJECTIFS

5.4.1 - Rapports familiaux

Lors de nos entretiens, les hommes ont été généreux de commentaires sur

le travail sous toutes ses formes. Mais l'aspect des relations avec les autres

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a été peu présent dans leurs discussions. Du côté des femmes, ce fut

l'inverse : cet aspect a été privilégié et longuement discuté. C'est plus la

perception des femmes qui se reflète ici, dans cette section sur les relations

avec les conjoints.

Vis-à-vis de l'agriculture, les conjoints ont un objectif commun qui est de

rendre viable et de faire prospérer l'entreprise agricole. Mais tous les deux

ont aussi en commun une vie familiale et personnelle qui doit s'harmoniser

avec les besoins de la ferme. Il y a parfois un hiatus entre ces rôles

différents.

La très grande charge de travail que doivent accomplir les uns et les autres

crée un climat qui peut s'avérer néfaste à une relation harmonieuse.

Hommes et femmes ressentent de la solitude :

"Ta femme voit les femmes en ville dont le mari arrive à 5 heures. Elle dit "t'es jamais là, c'est pas possible" tu vois l'autre qui arrive, qui fait le gazon qui a soin de tout... cela te fait perdre des points, le score tombe 0 à 1. Tu peux pas donner à ta femme qu'est-ce qui lui reviendrait. Tu te sens coupable de faire ce que tu fais, t'es pris entre les deux. "

Par ailleurs, la tension qui s'installe est si grande parce que le travail doit

être achevé, le rythme de travail si rapide que la communication peut se

rompre lorsqu'il y a travail commun : les femmes se sentent moins bien

considérées que des employés. Le climat de travail est "rough"' les femmes

ont l'impression que leur conjoint s'en prend à elles parce qu'il ne peut se

défouler sur les employés. Participer à la production les expose aux

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critiques et ne les encourage pas à le faire. D'une manière générale dans le

travail, les femmes ne se sentent pas considérées à leur juste mesure. Elles

estiment aussi que l'on ne tient pas compte de leur opinion, comme en

témoigne ce commentaire d'une femme :

"Tu vas lui dire quelque chose, ça rentre ici et ça sort là, ça reste pas entre les oreilles. Puis après il revient : "mon père m'a dit cela - ou mon frère ou mon ami". Je lui dis : "c'est pas ça que je t'avais dit?" "ah! m'en avais-tu parlé?"

Les femmes cherchent à se débrouiller seule et rencontre parfois la

résistance de leur conjoint.

Au chapitre du partage des responsabilités notamment dans l'éducation des

enfants et tout ce que cela entraîne, les femmes estiment que le partage n'est

pas équitable et que c'est essentiellement sur elles que reposent le materna-

ge, les soins, le support dans l'apprentissage scolaire, les visites chez les

médecins et spécialistes.

Par ailleurs, l'entretien ménager n'est pas partagé également même dans les

organisations où les conjointes sont très impliquées dans les travaux

agricoles :

"Mais nous autres, on est à plein temps sur la ferme puis à 11 h 30, il te regarde : "va faire le dîner, moi je vais continuer. " C'est rare que lui va dire: "il est 11 h 30 je vais faire le dîner, continue ta job ". (rires) C'est tout le temps nous autres. Envoie-le pas à la caisse populaire, faire l'épicerie, envoie-le pas à l'école s'il y a un problème à l'école. On a pas mal plus de responsabilités. '

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Par ailleurs, compte tenu des heures travaillées, bien peu de temps est

consacré pour prendre contact avec le-la conjoint-e, converser, discuter, se

retrouver. Contrairement à ce qui se passait autrefois, les conjoints n'ont

pas à parler même lorsqu'ils travaillent ensemble ;

"Autrefois les couples travaillaient plus ensemble. Ils savaient plus l'ouvrage que l'un avait à faire par rapport à l'autre parce qu'ils le faisaient ensemble. "

Compte tenu des contraintes auxquelles les expose la vie agricole, "le

couple doit être bien solide" pour supporter ces difficultés alors que par

ailleurs la gestion d'un tel établissement le nécessite. Il nous semble donc

être en présence d'un risque pour 1a qualité des relations à cause de la

charge importante de travail, qui limite et dénature la communication, à

cause aussi de la part inégale dans la décision et dans les responsabilités.

Rapports avec les enfants

L'importance de la charge de travail et l'organisation de l'horaire de travail

limitent les contacts entre les pères et les enfants. Les enfants sont couchés

lorsqu'ils commencent leur journée et sont encore couchés lorsqu'ils

reviennent à la fin de leur journée. Les hommes ressentent de la tristesse

parce qu'ils n'ont pas pris le temps d'établir un contact avec leurs enfants,

engloutis qu'ils étaient par le travail :

"Quand on a acheté la ferme, quelques semaines après, mon beau-père s'est accoté sur le comptoir et s'est mis â pleurer. Il a dit : "je m'aperçois que j'ai vendu la ferme et je n 'ai pas vu mes enfants grandir". Son gars était rendu à 22 ans. Ça m'avait frappé et j'avais dit à mon mari, "on va faire attention pour ne pas faire la même chose". On fait la même chose. "

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Leurs enfants leur sont restés étrangers. Les femmes ont la responsabilité

de l'éducation des enfants et les hommes ont peu d'occasion de leur

manifester tendresse et affection :

"Côté affection avec le père, c'est dur. C'est peut-être pour cela que la mère se donne pas mal de temps pour compenser. S'il prend le petit "ah! je peux pas j'ai les mains pleines d'huile". Ou bien il est sur le gros neif. "

Par ailleurs, les enfants éduqués sur la ferme apprennent tôt à prendre des

responsabilités. Très tôt, ils se voient confiées des petites tâches. C'est ainsi

que l'apprentissage du métier se fait. Tout doucement leur participation

s'élargit, au fil de leur capacité. Ils s'intègrent aux activités agricoles. A

l'école, les professeurs reconnaissent les enfants éduqués sur une ferme

parce qu'ils sont plus responsables et plus débrouillards.

5.4.2 - Rapports hiérarchiques

Les agriculteurs ont souvent à employer des travailleurs pour les aider à

accomplir le travail. Autrefois, l'organisation des campagnes était différen-

te. On trouvait partout des fermes et sur ces fermes, des enfants habitués

au travail agricole et enclins à accomplir du travail saisonnier. Aujourd'hui,

les fermes sont plus grandes et disséminées. Souvent, le voisin agriculteur

habite plusieurs terres plus loin. Les familles sont peu nombreuses. Ainsi,

les agriculteurs doivent chercher ailleurs une main-d'œuvre qui autrefois

était qualifiée et abondante. D e plus, les conditions du travail agricole sont

peu attirantes : heures brisées et travail les fins de semaine, nombreuses

heures de travail durant la belle saison, travail exigeant voire pénible. Les

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agriculteurs, eux-mêmes peu payés pour le travail accompli, sont incapables

de verser des salaires susceptibles d'attirer une main-d'oeuvre qualifiée.

Finalement, le travail —c'est le cas dans plusieurs fermes— n'est pas

constant et ne dure que quelques mois.

La main-d'oeuvre est donc mobile, peu qualifiée même si le travail est

parfois complexe et demanderait de l'expérience. Dans ces conditions,

déléguer est difficile. Le producteur doit suivre et vérifier souvent l e travail

qui se fait. Par exemple, semer la terre se fait à un moment précis.

L'examen du sol peut révéler qu'il est prêt à recevoir la semence à un

endroit alors qu'ailleurs le sol est trop humide. Semer dans cette situation

peut être catastrophique puisque la culture pourrait se trouver compromise.

Le travail doit donc être précis, encadré, vérifié. En ce qui concerne les

maraîchers, l'encadrement est parfois plus large vu qu'ils ont souvent

affaire à une main-d'œuvre étrangère qu'ils doivent soutenir étroitement

lorsque le besoin se manifeste (par exemple : les maraîchers accompagnent

les travailleurs agricoles qui ont besoin d'avoir recours à des services

médicaux). Cependant, il s'agit d'une main-d'oeuvre souvent qualifiée.

Enfin, même s'ils craignent de déléguer des tâches, les producteurs doivent

souvent confier des machines, des outils à des ouvriers agricoles même s'ils

savent que l'ouvrier, moins habile et moins familier avec la machine, est

plus susceptible de provoquer un bris. Même s'ils savent que l e bris aurait

pu survenir lorsqu'eux-mêmes l'utilisent, cela représente une autre source

d'inquiétude parce que des blessures peuvent survenir et que la machinerie

est coûteuse.

Le manque de main-d'œuvre fait que, dans certains cas, des femmes vont

travailler aux champs et embauchent quelqu'un pour faire le travail

domestique à leur place.

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5.4.3 - Rapports avec le voisinage

Les liens qui unissent les agriculteurs à leurs voisins sont complexes. La

confiance, la solidarité coexistent avec la compétitivité et l'individualisme.

La confiance est la base sur laquelle s'établissent les échanges. Là où des

liens de confiance sont établis, les trucs de métier, les ficelles se transmet-

tent. Pour que ces liens soient de qualité, les informations doivent circuler

dans les deux sens :

"On marche avec la confiance. Si on a confiance, on n 'a pas peur de le dire; si on n 'a pas confiance... Le gars qui vient juste chercher de l'information et qui n'en amène pas, c'est vite classé. "

Traditionnellement, le support et l'entraide font partie du décor agricole.

Cependant, ce support est aujourd'hui plus limité. Par exemple, les grandes

corvées en cas de sinistre qui réunissaient tous les voisins n'existent plus,

l'entraide est plus sélective, à la fois pour ce qu'on prête et ceux à qui on

décide de prêter :

"H n'y a personne qui va aller demander une batteu-se. Tu iras pas demander une chose comme ça. Mais une vis à grain, un tracteur, aller aider quelqu'un pour tenir un piquet... Il y a des choses qui ne se demandent pas. A la limite une presse. "

"Si tu sais que le gars est bien dur, t'es pas prêt à y prêter ta machinerie. Un autre, tu vas y dire prends le tracteur pis va-t'en avec. "

Le prêt de machinerie est plutôt un prêt de "dépannage". Il n'y a pas

d'organisation systématique à la base, par exemple, achat collectif entre

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personnes qui ne seraient pas propriétaires d'un même établissement. Il y

a une résistance à cet effet. Peut-être peut-elle être mise sur le compte de

l'individualisme qui nous a été souvent mentionné comme étant une

caractéristique du milieu. Mais plus fondamentalement, la machinerie

représente quelque chose, a valeur de symbole :

"Une partie du plaisir vient du fait que tu possèdes tes outils. "

"Si on ne possède pas nos outils, on vient d'ôter un gros plaisir à l'agriculteur. "

Même si elle est moins importante qu'il y a 10 ou 15 ans, il y a une sorte

de compétition par rapport à la possession de machinerie. Par ailleurs,

l'entraide concerne aussi beaucoup les techniques de production, les ficelles

que nous évoquions plus haut : échange au sujet de la manière de cultiver,

information au sujet d'une difficulté qu'on a surmontée concernant une

maladie, essai d'un cultivar, etc... Ces informations sont souvent transmises

lors des rencontres qu'ont les agriculteurs, rencontres organisées par l 'UPA,

ou autres moments de regroupement (foires, rencontres organisées par des

vendeurs d'engrais). Du côté des maraîchers, une forme d'échange

fréquente concerne l'échange de terres. Ainsi, après une saison de

production sur un sol, les maraîchers doivent laisser la terre se reposer de

cette culture plusieurs années et font alors un échange de terres avec un

producteur céréalier. Cet échange est bénéfique aux deux producteurs :

"Nous on fait l'échange de terrain. En faisant l'é-change de terrain, ça rapproche beaucoup les voisins, c'est agréable. "

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Il y a, par ailleurs, une forme d'éthique dans l'entraide. Dans certaines

circonstances, quand quelqu'un est mal pris, a besoin d'aide, qu'on craint

l'incident, qu'on soupçonne que quelqu'un a besoin d'aide, il est reconnu

que la personne qui constate la situation va aller aider et au besoin porter

secours. C'est en quelque sorte une règle.

La solidarité est aussi un lien rencontré. Par exemple, face aux questions

politiques du GATT et du libre-échange, les producteurs se regroupent et

la communauté se resserre. La solidarité est un pôle défensif.

Finalement, les agriculteurs se trouvent en compétitivité, particulièrement

dans le cas des maraîchers qui cultivent le même légume :

"On n 'est pas en compétition parce qu 'on ne cultive pas les mêmes choses. Si c 'était un voisin qui cultivait la même chose, là on entre en compétition automati-quement, veux, veux pas. " (maraîcher)

La compétition est importante pour ces producteurs. Pour les producteurs

laitiers, elle est moins évidente. Du côté des producteurs de grande culture,

elle passe souvent par le biais d'une transmission sélective d'information.

Ainsi, les liens de confiance, d'entraide, de solidarité viennent solidifier la

communauté d'appartenance. Il faut remarquer que les femmes sont souvent

exclues de ces pratiques. Comme c'est leur conjoint qui prend les décisions,

c'est lui qui participe aux rencontres, qui établit les liens dans le cadre du

travail agricole. Elles n'ont pas, à l'heure actuelle, l'occasion d'établir

véritablement leur place dans la sphère agricole.

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5 .5 - SOUFFRANCE CRÉATRICE ET PLAISIR DANS LE TRAVAIL

AGRICOLE

Le travail est l'occasion de souffrance. Mais il peut aussi être l'occasion de

plaisir. Comment peut-il apparaître dans le travail? Si l'occasion est

favorable pour que l'individu arrive à surmonter les contraintes, si dans sa

lutte contre cette souffrance, il peut trouver des solutions qui le satisfassent

et qui répondent aux exigences posées par le travail, alors la souffrance

devient souffrance créatrice et débouche sur le plaisir. Trois conditions

principales doivent être remplies pour que s'établisse entre le champ du

travail et le champ de l'individu, la résonnance symbolique porteuse de

plaisir : le choix du métier, la présence d'activités de conception et le

jugement des autres (Dejours, 1990 b). Voyons comment s'articule chacune

de ces conditions, dans le contexte de l'agriculture.

A. Le choix du métier

La décision de devenir agriculteur n'est pas une décision que les jeunes

agriculteurs prennent à la hâte. C'est un choix qu'ils posent en toute

connaissance de cause : pour la grande majorité d'entre eux ils ont

commencé à exercer leur métier très tôt. L'apprentissage s'est fait petit à

petit dès la petite enfance, au contact de leurs parents. Non seulement les

savoirs et les savoir-faire sont-ils transmis mais aussi un ensemble de

valeurs, de manières d'être, de symboles. C'est toute une culture qui est

transmise au fil des générations (Zarca, 1988). Ils connaissent bien les

difficultés du métier et de la ferme, savent dans quoi ils s'embarquent. A

ce sujet, ils exercent souvent un métier à l'extérieur avant de se décider à

prendre la relève. Cet épisode de travail à l'extérieur de la ferme les

confirme dans leur décision éventuelle. Enfin, le métier requiert une telle

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énergie qu'il est impossible de l'exercer s'il n'y a pas de désir de le

pratiquer.

Du côté des femmes, cependant, cette idée doit être nuancée : les femmes

choisissent d'abord un conjoint. Ce faisant, elles "épousent" ensuite

l'agriculture. Malgré tout, les femmes que nous avons rencontrées partagent

la même visée symbolique que leur conjoint et y voient les mêmes

avantages.

B. Activités de conception

Dans le travail, les activités de conception ne sont pas uniquement présentes

dans les métiers auxquels on pense immédiatement : métiers d'art, par

exemple. Contrairement au sens qu'on lui applique habituellement, ces

activités sont fréquentes. Ainsi, par exemple, lorsque le travailleur,

cherchant à ce que le travail exigé puisse être exécuté de façon satisfaisante

et puisse produire des résultats escomptés, amène des modifications ou des

adaptations, ce travailleur exécute alors des activités de conception.

Dans le travail agricole, les activités de conception sont très fréquentes. Les

agriculteurs sont constamment interpellés dans leurs fonctions pour résoudre

des problèmes et trouver des solutions, planifier, organiser et décider. Ils

apprécient cette part de leur travail qui constitue une source de plaisir et en

éprouvent de la fierté :

"H faut que tu sois créatif. "

"Il faut que tu sois habile de tout. Aussi bien manuel que gestionnaire, penser à des idées nouvelles, être très imaginatif. "

"On est à même de créer des choses. "

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"Faire un beau produit. "

"Améliorer la terre, la faire produire. "

Être son propre patron, gérer, est une source de plaisir importante. Ainsi,

l'agriculture qui consiste à travailler comme sous-contractant pour une

compagnie, en somme vendre sa force de production, n'intéresse pas les

agriculteurs principalement parce qu'elle n'offre pas ce côté créateur.

Les activités de conception sont très présentes. Nous les avons déjà décrites

en parlant de l'autonomie dans le travail (voir 5 .2 .1) .

Voici un bon exemple de conception : la machinerie chez les maraîchers.

Étant donné qu'il n'y a qu'un petit nombre de producteurs, les machines ne

sont pas disponibles. Parfois, il en existe des modèles aux États-Unis, mais

payer pour de telles machines serait coûteux puisqu'elles ne sont pas

fabriquées en grand nombre. Un problème majeur se poserait : en cas de

bris, ce serait vraiment trop long d'attendre les pièces même si celles-ci sont

envoyées par courrier; et le peu de demande ne justifierait pas un dépôt de

ces pièces par la compagnie à proximité. Alors, les maraîchers fabriquent

leurs machines. Ils conçoivent le modèle au complet ou bien en conçoivent

une partie ou bien copient d'autres machines vues ailleurs. Ensuite, ils la

fabriquent eux-mêmes en entier ou en partie ou bien la font faire. La

machine est adaptée à leur besoin. Après expérimentation, elle est ajustée

à nouveau, améliorée, refaite. Évidemment, ils tirent une grande fierté de

leur machine.

Beaucoup d'exemples dans le travail agricole pourraient être encore

présentés. Un autre aspect mérite d'être souligné et concerne la mise à jour

des connaissances. Beaucoup de temps est investi à suivre des cours,

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s'informer sur l'évolution des machines, moyens de production, de gestion,

semences, engrais, insecticides, etc... Comme on le voit, la connaissance

est toujours à parfaire pour influencer adéquatement les décisions. Chez les

producteurs laitiers, l'amélioration du troupeau requiert du temps, beaucoup

d'attention. Chaque animal peut être suivi individuellement, sa progéniture

améliorée par le biais de l'insémination, sa production augmentée par le

biais du contrôle laitier. La qualité du troupeau se trouve améliorée. Tout

ce processus contient une foule d'activités de conception.

Intelligence rusée

Dans le travail, l'intelligence se manifeste notamment en essayant de

contourner les difficultés, de se rendre maître des contraintes. Detienne et

Vernant (1974) s'inspirant de la mythologie grecque, ont mis en lumière une

forme d'intelligence, toute faite d'ingéniosité, de feinte, de mouvance qu'on

peut définir ainsi :

. tours de main, secrets de métier qui dorment aux artisans prise sur une matière toujours plus ou moins rebelle à leur effort industrieux : la métis préside à toutes les activités où l'homme doit apprendre à manoeuvrer des forces hostiles, trop puissantes pour être directement contrôlées, mais qu 'on peut utiliser en dépit d'elles, sans jamais affronter de face, pour faire aboutir par un biais imprévu le projet qu'on a médité. " (Detienne et Vernant, 1974 : p 57)

L'intelligence rusée est donc celle qui, devant la difficulté, évite l'affronte-

ment direct et trouve des voies de contournement habiles pour parvenir à

ses fins. Des manifestations de l'intelligence rusée sont abondamment

présentes dans le travail sur la ferme. A titre d'exemple, les producteurs

céréaliers et les maraîchers doivent jouer de ruse pour profiter au mieux des

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situations qui s'offrent à eux dans le marché de leurs produits : compenser

1a courte saison agricole en transformant leurs activités passant de

producteur à commerçant, ce qui permet de conserver les acheteurs durant

l'année; rechercher une information privilégiée pour les marchés. Du côté

des agricultrices, on a souvent rapporté une attitude particulière en regard

de la traite des animaux : les femmes refusent de faire le train parce

qu'autrement leur conjoint s'absente trop longtemps et finit par leur confier

une tâche dont elles doivent ensuite toujours se rendre responsables :

"Moi, j'ai jamais tiré les vaches. Comme beaucoup, je me disais : "si je tire les vaches, il ne reviendra pas. "Je lui ai dit : "je vais t'aider quand tu seras là, c 'est tout. "

Présentes en grand nombre, les activités de conception et les activités

mettant en oeuvre l'intelligence rusée permettent à la souffrance de se

métamorphoser en souffrance créatrice et en plaisir. Voilà un atout d'une

grande importance dans le travail agricole.

C . Jugement des autres

Le jugement des autres est la troisième condition. Le jugement a une valeur

parce qu'il peut apporter de la reconnaissance qui, elle, amène un bénéfice

à l'identité. Le jugement qui a le plus d'impact est celui qui est prononcé

par des personnes reconnues compétentes. C'est un jugement incisif. Un

premier type, c'est le jugement d'utilité : "il s'agit de la reconnaissance par

l'encadrement, non seulement de la qualité du travail exécuté, non

seulement de l'ingéniosité qu'il a fallu mettre en oeuvre pour réaliser les

tâches (mêmes les plus ordinaires) mais parfois aussi des mérites du

travailleur dans les risques qu'il a pris pour atteindre les objectifs dans les

conditions difficiles de son travail." (Dejours, 1990, p 31-32). C'est donc

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un jugement qui provient de la hiérarchie. Dans le contexte agricole, de tels

jugements sont rares vu que la présence "patronale" ne se manifeste pas de

façon claire et directe. Nous pouvons citer quelques occasions où un tel

jugement s'est fait voir. Cela ne sera pas le cas dans quelques mois, mais

actuellement la production laitière est divisée en deux groupes : les

producteurs de lait nature (lequel sert à la consommation) et les producteurs

de lait de transformation (lequel sert à la fabrication du yogourt, crème

glacée, fromage, lait en poudre). Les producteurs des "deux" laits sont

soumis à des prélèvements et contrôles réguliers, cependant, les producteurs

de lait nature sont l'objet de plus de surveillance, notamment de la part de

l'inspecteur de la Ville de Montréal qui vient régulièrement vérifier si les

conditions des lieux et les pratiques de travail respectent les normes

sanitaires. Il vérifie notamment la propreté des lieux, la propreté des

animaux (par exemple les vaches ont-elles été tondues?), vérifie la manière

dont la traite s'effectue (par exemple : bain de trayons avec des serviettes

de papier jetables avant et après l'installation de la trayeuse; lavage adéquat

du pipeline etc. . . ) . Les normes bactériologiques sont ainsi plus sévères pour

le lait nature que pour le lait de transformation. Les agriculteurs de lait

nature de la région qui nous concerne sont des producteurs de lait "de

Montréal". On s'est aperçu que cela constitue une fierté de produire le lait

dans ces conditions et qu'en somme, produire du lait "de Montréal"

constitue une reconnaissance. Le jugement de l'inspecteur est un jugement

d'utilité. Même si la production de lait nature amène une rétribution

supérieure, la reconnaissance est aussi et surtout symbolique.

Deuxième type de jugement : le jugement de beauté. C'est un jugement

produit par les pairs. Il "porte fondamentalement sur l'élégance, la rigueur

et l'ingéniosité réunies." (Dejours, 1990, p 36). Le jugement de beauté est

plus facile à observer que le jugement d'utilité, chez les agriculteurs et est

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partout présent. Le travail agricole a une particularité : si les producteurs

sont isolés dans leur travail, comme nous en avons fait mention plus haut,

on ne peut en dire autant de leur production qui, elle, est étalée et couvre

un espace impressionnant. On ne peut pas la manquer. On ne peut pas la

cacher. C'est ainsi que les producteurs peuvent admirer ou critiquer les

champs des voisins, reconnaître les échecs et les réussites. Lorsqu'ils sont

sur la route, ils observent les champs et en apprécient la qualité. Ils vont

ainsi admirer la hauteur des plants de maïs, vont apprécier le nombre d'épis

par plant, vont au passage juger la récolte du foin (est-il vert, est-il jaune)

qu'ils voient circuler dans la charette à foin, vont apprécier les andins bien

droits dans le champ, vont juger la couleur d'un champ de laitue, vont

savoir apprécier si la levée des jeunes plants est bien égale, s'arrêtent pour

cueillir un plant de céréale. Ces jugements sont donc fréquents, quotidiens.

Les agriculteurs sont des juges mais seront à leur tour jugés.

Les réunions, les rencontres de toute nature offrent une occasion de

partager les commentaires sur les succès et les échecs, de faire

connaître leur jugement :

"As-tu vu le mais de ... Il est haut, j'ai jamais vu cela. "

Enfin, les concours, les foires sont aussi l'occasion de juger et d'être jugé.

Le jugement de beauté permet d'obtenir la reconnaissance de ceux qui

exercent le même métier. Ce jugement essentiel est la voie par laquelle les

pairs reconnaissent que l'individu a les compétences requises pour exercer

le métier. Il partage avec les autres membres de la communauté des traits

communs même s'il s'en distingue et qu'il est à nul autre pareil. Il fait ainsi

partie de la communauté d'appartenance que nous avons évoquée plus haut.

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En somme, le travail agricole réunit les trois conditions essentielles pour

que la souffrance dans le travail puisse, par le biais de la résonnance

symbolique, se transformer en souffrance créatrice, puis en plaisir.

6 - QUELQUES PISTES DE SOLUTIONS

Les agriculteurs, à la fin de l'entrevue, ont tenté d'imaginer des orientations, des

pistes de solutions en regard des difficultés qu'ils venaient d'évoquer.

1 - Une première orientation touche la reconnaissance de leur métier. Les

agriculteurs souhaiteraient que l'agriculture soit mieux reconnue à deux niveaux :

celui des consommateurs et celui du gouvernement. D'une part, ils aimeraient que

les premiers connaissent mieux leur travail, aient une idée plus juste de ce qu'ils

vivent (l'agriculture contemporaine n'est pas celle des années "40") et aient une

meilleure représentation de sa place dans l'économie du Québec. Comme ils le

soulignent, les agriculteurs ne composent que 2 ou 3 % de la population mais ils

génèrent beaucoup d'emplois par le biais de la transformation de leurs produits : la

population ne le sait pas. Les agriculteurs souhaitent que soit connue la place de leur

métier sur l'échiquier économique. Cela pourrait contribuer à ce que le soutien qu'ils

reçoivent soit mieux accepté par les consommateurs.

D'autre part, les agriculteurs déplorent l'attitude de leurs dirigeants politiques : les

coupures dans divers programmes ou menaces de coupures, la diminution du

support, le peu de considération du dossier de l'agriculture dans les affaires

gouvernementales, la menace de la perte des acquis à cause de l'évolution des

politiques internationales en matière agricole, tout cela laisse croire que l'agriculture

est un métier qui périclite, voire qui risque de disparaître du paysage du Québec.

Les agriculteurs souhaitent le maintien du soutien. Il y a donc de leur point de vue,

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un manque de reconnaissance de la part du gouvernement qui ne les supporte plus

et n'a pas non plus de visée politique claire en matière d'agriculture pour les années

futures. Ceci est beaucoup plus un constat et n'amène pas de solutions concrètes.

Cependant, cela devrait être pris en considération dans les actions.

2 - Les agriculteurs misent beaucoup sur leurs connaissances et leur savoir-faire afin

de contrer les difficultés. Afin de réduire le travail, ils comptent sur leur expérience

qui, année après année, leur permet de réaliser des économies de diverses natures

(argent, temps, produits). Ils imaginent certains aspects de leur travail où des gains

peuvent être réalisés : meilleur partage des responsabilités (dans le cas où il y a

plusieurs sociétaires), division des tâches, délégation des tâches, meilleure

organisation du travail, meilleure planification. Les trucs et les "ficelles" qui peuvent

leur être fournis et qui vont dans ce sens peuvent être précieux pour eux. Les

échanges sont importants. Des solutions concrètes à des problèmes spécifiques

peuvent être proposées. Donnons-en un bref exemple. L'utilisation du radio-

téléphone est jugée par ceux qui l'utilisent comme un moyen efficace de sauver du

temps et de contrer l'anxiété de l'isolement. Durant nos entrevues, à plus d'une

reprise, cet exemple a été amené comme solution intéressante.Ainsi, des informa-

tions peuvent se transmettre s'il existe un moment et un lieu pour le faire. Nous

avons observé plusieurs fois des échanges dans le sens de l'exemple qui vient d'être

évoqué.

3 - Ils estiment qu'ils faut se méfier de la trop grande charge de travail. L e support

pour leur permettre de prendre quelques jours de repos serait une solution, à

condition que la main-d'oeuvre qui les remplace soit digne de confiance.

4 - Un autre groupe de solutions touche le regroupement des agriculteurs. La

solidarité est importante face aux menaces que vivent les agriculteurs à cause des

questions internationales plus particulièrement. Les agriculteurs soulignent qu'au-delà

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de cette solidarité, vécu comme pôle défensif, se manifeste le besoin de se

rassembler pour partager, pour échanger sur les bons et moins bons côtés du métier.

Les lieux et moments pour y parvenir devraient être favorisés.

5 - Enfin, une attention spéciale pourrait être dirigée vers les jeunes afin de les

soutenir lorsqu'ils s'établissent. Les agriculteurs les estiment particulièrement mal

pris.

CONCLUSION

Cette étude avait pour objectif d'examiner le travail agricole sous l'angle du plaisir et de

la souffrance. Empruntant la voie qualitative, cette étude a laissé de côté les questionnai-

res, les statistiques, les analyses quantitatives pour écouter ce que disent les personnes

principalement concernées, les agriculteurs et les agricultrices, qui ont pris la parole pour

exprimer ce qu'ils ressentent face à leur travail. C'est à partir de leurs commentaires que

l'analyse que nous avons développée plus haut a été faite. Nous n'apprendrons rien à

personne en disant que le contexte économique et politique difficile représente la

principale source d'anxiété pour les agriculteurs. Une grande partie des difficultés

quotidiennes en sont dépendantes, notamment l'importante charge de travail, qui, elle-

même va accentuer l'anxiété générée ailleurs, par exemple, par la température ou bien

par les bris de machine. Il est difficile de proposer des solutions en regard de problèmes

aussi complexes, et nous avons le sentiment que les solutions possibles sont limitées et

ne peuvent atteindre que partiellement leur cible. Laissant de côté les problèmes

économiques, il y a cependant certains aspects qui peuvent être considérés, dans

l'examen de solutions.

Les agriculteurs bénéficient d'atouts certains, dans l'exercice de leur métier. L'autonomie

dans le travail est certes un aspect très important du travail; elle confère au métier une

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caractéristique enviable. Les agriculteurs en apprécient énormément la valeur. Lorsqu'il

y a risque qu'une partie leur échappe, ils s'opposent. C'est le cas notamment lorsqu'ils

critiquent la formation reçue en milieu scolaire (donc qui échappe à leur contrôle): pour

eux, le seul lieu d'apprentissage valable demeure la ferme elle-même.

Un autre point positif du travail concerne la présence d'une communauté d'appartenance.

La communauté d'appartenance constitue un rassemblement naturel des agriculteurs où

circule non seulement l'information, mais aussi qui se trouve à être un lieu d'échange des

expériences vécues, difficultés rencontrées, un lieu de reconfirmation des valeurs. Ces

échanges entre pairs permettent de plus au jugement de se créer, ce qui constitue un atout

pour la reconnaissance et l'identité. De plus, la communauté d'appartenance a un rôle

important à jouer pour briser l'isolement dont sont victimes les producteurs agricoles.

Elle doit cependant permettre que chacun conserve son individualité.

Dans ces conditions, et étant conscient de son importance, il faut comprendre la valeur

qu'ont ces moments de rencontres entre agriculteurs et saisir l'occasion, lorsque c'est

possible, de susciter ces liens.

Les agricultrices, de leur côté, disent ne pas avoir d'occasion de rencontres et se sentent

isolées. Ce sont les hommes qui participent aux réunions, rencontres d'information et

formation. L'UPA invite les femmes à participer aux réunions. Cependant, elles ne

viennent pas parce qu'elles estiment que cela concerne davantage leur conjoint étant

donné que c'est lui qui, ultimement prend les décisions reliées aux activités agricoles. En

ce sens, l'accès à l'information favorise davantage les hommes. Il serait important que

les femmes puissent, elles aussi, avoir accès pourrait-on dire à un lieu commun

d'échange. Par ailleurs, les difficultés que rencontrent les femmes ont été considérées

dans cette étude du point de vue du travail agricole, qui était l'objet de c e travail.

Cependant, elles accomplissent des tâches qui débordent largement le travail agricole.

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Tout cela n'a pu être pris en compte ici, ce qui fait que cette étude ne fait pas le tour des

pressions psychiques qui s'exercent sur tout l'ensemble de leur travail.

Cela nous amène à souligner un autre champ d'intervention important qui est celui des

relations entre les conjoints. Il faudrait aider à réduire l'espace ou éviter que ne se forme

l'espace entre deux solitudes. Les femmes, écartées de la décision, loin du pouvoir, ont

de la difficulté à s'impliquer alors que, dans plusieurs établissements, leur implication

à tous les niveaux pourrait rendre plus efficace le travail agricole. Dans les conditions

économiques difficiles, il est à prévoir que les femmes vont tenter, elles aussi, d'apporter

leur concours pour soutenir l'entreprise agricole, les poussant un peu plus vers une

charge de travail plus lourde encore (Ledoux, 1992; Boileau, 1992). S'il est souhaitable

de porter attention à la qualité des liens, cela s'avère l'être encore plus dans ces

conditions. Améliorer la communication devrait faire partie des objectifs des entreprises.

Dans le domaine de la communication, les relations entre les pères et leurs enfants

méritent une attention spéciale et pourraient être améliorées, ce qui pourrait peut-être

contribuer à apporter un élément positif pour l'établissement des jeunes (Saint-Pierre,

1992).

Les agriculteurs ont une perception positive de leur métier. Cependant, du point de vue

de la reconnaissance de leur travail, ils subissent un écueil. Le désengagement progressif

de l'état, la diminution du support par le biais de coupures dans les programmes, le

manque de visée politique qui laisse croire que l'agriculture n'est pas un dossier

important, les difficultés que rencontre la profession dans la libéralisation des marchés,

tout cela fait que les agriculteurs ont le sentiment d'exercer un métier qui "perd du

terrain". A cela s'ajoute la rétribution peu élevée que reçoivent les agriculteurs, compte

tenu du nombre d'heures accomplies. Tous ces aspects ne jouent pas dans le sens de la

reconnaissance.

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D e la même manière, le travail agricole ne jouit pas d'une reconnaissance dans la

population. Les consommateurs ont une méconnaissance du travail agricole et du contexte

agricole. Les liens avec l'agro-alimentaire dans son ensemble et son impact sur

l 'économie (48 % de l'économie disent certains agriculteurs) méritent d'être connus.

Viser à faire mieux connaître le travail agricole dans la population est un objectif qui

peut contribuer à améliorer la perception et par là, aider à la reconnaissance. Saisir les

moments d'une telle opportunité s'avérerait utile.

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ANNEXE I

GRILLE D'ENTREVUE

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CONTENU SIGNIFICATIF DE LA TACHE

A) Perception

- perception personnelle du métier d'agriculteur

- perception externe du métier d'agriculteur (MAPAQ, leur représentation

de l 'UPA, population)

- perception par les femmes de leur métier

B) Tâches

- charge de travail :

.multiplicité des tâches

.temps (saisonnier, longue journée, travail de nuit,

plusieurs choses à faire en même temps)

- compétences :

.production (connaissance outil de travail, ex : soudure)

.gestion (main d'oeuvre, formation en matière de gestion,

difficulté de déléguer)

.soutien technique externe (utile ou non)

C) Aspects économiques

- agriculture métier payant :

.temps investi/bénéfices

.charge économique, capital investi/bénéfices

- maintien artificiel du revenu :

.quota et subventions

- absence de marge de manoeuvre dans la gestion des investissements des

revenus

- dégradation des politiques acquises (libre échange, GATT)

- vision sur le plan économique de la retraite

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SANTÉ-SÉCURITÉ

-énumération des dangers rencontrés dans le travail

. chimiques

. végétaux

. animaux, manipulation

. sécurité des lieux de travail

. machinerie, outils

-moyens de contrôle des dangers

-santé et sécurité des enfants (travail et garde d'enfants)

ROLES

A) Femmes

- sentiment de double ou triple journée de travail

- responsabilité des enfants (garderie, risques d'accidents)

- accomplir plusieurs tâches en même temps (surveillance des enfants,

téléphone, activités de ferme, employés, gestion.. .)

- double rôle : épouse et associée dans l'entreprise (types d'associations)

- participation aux décisions et aux revenus

- possibilités et besoins en formation

- rapports avec la belle-famille

- transmission des biens et héritage (père en fils)

B) Enfants vs parents

- la relève des enfants, les attentes des parents

- les rapports dans le travail : prise de décision

- le transfert des biens : héritage

- conflits entre générations (deux ou trois) - médiatrice

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C) Relations avec le voisinage

- solidarité technique et affective

- conflits ou compétition

SOLUTIONS

-Priorités réalistes d'actions ou de solutions

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G 8216 Ex.2

E-4628

C r p v i e r i j _ H é 1 ène_ Brun, Jean-Pierre

le travail agricole

DATE NOM

G 8216 Ex.2