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De la détection à l’expertise : diagnostic de la recherche archéologique récente dans la plaine de Troyes Vincent Riquier 1 , Luc Sanson 2 Le secteur de la plaine de Troyes est longtemps resté dans l’ombre des grandes aires de découvertes archéologiques. Petite ville provinciale de moins de 100 000 hab. classée à la 87 e place en termes de population, Troyes et son aire urbaine se hisse cependant à la 50 e place nationale mais à la 2 e place dans l’ancienne région Champagne-Ardenne. Malgré son modeste dynamisme démographique et une économie qui peine à trouver un nouveau souffle après la crise de l’industrie locale, ce secteur, somme toute assez représentatif de nombreuses petites villes de France, est apparu récemment au rang des principales zones d’activité d’archéologie préventive du nord de la France. Figure 1 : Cartogramme, sur base de carrés de 1km de côté. Visualisation quantitative des surfaces des opérations de diagnostics, dans la plaine. © Inrap. Plus que le solde passif d’une urbanisation galopante ou de grands travaux, ce progrès est notamment le fruit d’un suivi actif, conscient et régulier des surfaces soumises à aménagement, dont plus de 1600 ha ont été explorés en diagnostic en plus de 25 ans de recherches. À mesure de l’accroissement rapide des données consécutif à ce suivi constant il devenait nécessaire de 1 Ingénieur chargé de recherche, Inrap Grand Est / UMR 8215 Trajectoires 2 Technicien d'opération, Inrap Grand Est

De la détection à l expertise : diagnostic de la recherche ... · Vincent Riquier, Ginette Auxiette, AlessioBandelli, David Bardel, Gertrude Blancquaert, Paul Brunet, Geneviève

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De la détection à l’expertise : diagnostic de la recherche archéologique récente dans la plaine de Troyes Vincent Riquier1, Luc Sanson2 Le secteur de la plaine de Troyes est longtemps resté dans l’ombre des grandes aires de découvertes archéologiques. Petite ville provinciale de moins de 100 000 hab. classée à la 87 e place en termes de population, Troyes et son aire urbaine se hisse cependant à la 50e place nationale mais à la 2e place dans l’ancienne région Champagne-Ardenne. Malgré son modeste dynamisme démographique et une économie qui peine à trouver un nouveau souffle après la crise de l’industrie locale, ce secteur, somme toute assez représentatif de nombreuses petites villes de France, est apparu récemment au rang des principales zones d’activité d’archéologie préventive du nord de la France.

Figure 1 : Cartogramme, sur base de carrés de 1km de côté. Visualisation quantitative des surfaces des opérations de diagnostics, dans la plaine. © Inrap. Plus que le solde passif d’une urbanisation galopante ou de grands travaux, ce progrès est notamment le fruit d’un suivi actif, conscient et régulier des surfaces soumises à aménagement, dont plus de 1600 ha ont été explorés en diagnostic en plus de 25 ans de recherches. À mesure de l’accroissement rapide des données consécutif à ce suivi constant il devenait nécessaire de

1 Ingénieur chargé de recherche, Inrap Grand Est / UMR 8215 Trajectoires 2 Technicien d'opération, Inrap Grand Est

poser un premier bilan, au terme d’une génération d’archéologie. C’est le point de départ du PCR sur la Plaine de Troyes, dont le cœur de mission vise à comprendre la dynamique spatiale des occupations humaines sur la période où se concentrent les découvertes : des premiers agriculteurs du Néolithique ancien jusqu’au territoire polarisé par la ville de Troyes au temps des premiers comtes de Champagne. Conçu comme un projet modulaire et évolutif, il s’appuie sur une base résolument géographique, traduit par la cartographie et les statistiques spatiales. Qui dit géographie dit aussi longue durée, clef de compréhension naturelle de la logique d’évolution territoriale. Le projet pose un diagnostic réflexif sur la longue série d’opérations et interroge la représentativité de leurs résultats. Leur analyse détaillée met en lumière la complexité des facteurs entrant en ligne de compte depuis l’activité de détection jusqu’à la restitution des grandes lignes du peuplement ancien à laquelle s’attache tout projet de territoire. Il peut agir ainsi comme aide à la décision pour les archéologues ayant en charge l’instruction des dossiers comme ceux qui œuvrent au montage des projets d’intervention, des diagnostics et des fouilles. Cet examen ouvre la discussion sur les stratégies que l’archéologie préventive doit adopter pour maintenir le cap d’une discipline scientifique, éloignée des tentations spectaculaires et consciente des servitudes commerciales et politiques. Le projet vise également à constituer d’une part un jeu de données statistique, caractérisé par de multiples variables qualitatives et quantitatives pouvant être explorées isolément ou en associations ; et d’autre part à fournir des résultats aisément reproductibles ou compatibles avec d’autres secteurs bien suivis, pour servir à l’écriture d’un nouveau discours global sur l’histoire des territoires de l’isthme français. Les petits diagnostics font les grandes histoires… Référence électronique

RIQUIER (Vincent), SANSON (Luc). De la détection à l’expertise : diagnostic de la recherche archéologique récente dans la plaine de Troyes. Le diagnostic comme outil de recherche : séminaires scientifiques et techniques de l’Inrap : résumés des communications. Caen, Musée de Normandie, 28-29 sept. 2017. Mise en ligne le 18/12/2017. URL : https://www.inrap.fr/de-la-detection-l-expertise-diagnostic-de-la-recherche-archeologique-recente-13223

De la détection à l’expertise : diagnostic de la recherche archéologique récente dans la plaine de TroyesVINCENT  RIQUIER ,  LUC  SANSON

Troyes, petite ville provinciale de moins de 100 000 hab. (87e place), dotée d’une aire urbaine relativement étalée (50e place)…

50/159

Objectifs du PCRPlaine de Troyes « évolution d’un territoire rural des premiers agriculteurs au premier réseau villageois »

PCR analyse le cœur de l’aire urbaine actuelle :◦ 50% des communes (70/147)

◦ 38% de l’aire totale (76827 ha)

PCR vise à comprendre la trajectoire de ce territoire sur la longue durée :◦ Évolution de la dynamique du peuplement et polarisation de l’espace avant et pendant les premiers stades urbains

◦ organisation et transformation de l’espace rural (angle économique)

◦ Période de référence : ‐5300 +1000

Territoires artificialisés 10,9%

Territoires agricoles 68,0%

Forêts et milieux semi-naturels 19,4%

Zones humides 0,0%

Surfaces en eau 1,8%

Principes« si rien d'humain n'échappe au temps, rien non plus n'échappe à l'espace » (P. Chaunu)

Longue durée

implique informations 

chronologiques fiables

Géohistoireimplique 

informations spatialisées fiables

Mesure de la valeur

Implique lien critique avec les 

sources (opérations)

> Gymnastique des échelles d’observation (temps / espace)

> implique de travailler sur jeu de données suffisant et harmonisées

> donner une base quantitative aux appréciations qualitatives

> traitement statistique de séries de données continues (=> archéologie 

sérielle)

> Sélection quasi exclusive de données archéologiques préventives

> Gymnastique des échelles d’observation (temps / espace)

> implique de travailler sur jeu de données suffisant et harmonisées

> donner une base quantitative aux appréciations qualitatives

> traitement statistique de séries de données continues (=> archéologie 

sérielle)

> Sélection quasi exclusive de données archéologiques préventives

Cliché S. Izri

Deux jeux de données spatiales 

Opération Occupation 

archéologique 1

Occupation archéologique 2

Occupation archéologique X

Table « Occupations »Table « Opérations »

Unité de base : l’occupation archéologique

Surface

NatureDurée

Unité de base : l’occupation archéologique

Unité de base : l’occupation archéologique784 occupations et 91 variables

Table Occupations [n=784]

HabitatInformations génériques [31 

variables]

Caractérisation [15 var.]

Culture matérielle [28 

var.]

Territoire exploité

Informations génériques [31 

variables]

Caractérisation [7 var.]

Culture matérielle [28 

var.]

FunéraireInformations génériques [31 

variables]

Caractérisation [15 var.]

Culture matérielle [28 

var.]

Périmètre du PCR◦ « Plaine de Troyes » : terme vernaculaire 

◦ Bassin topographique

◦ Deux principales unités paysagères : Champagne humide / champagne crayeuse

Périmètre du PCR◦ « Plaine de Troyes » : terme vernaculaire 

◦ Bassin topographique

◦ Deux principales unités paysagères : Champagne humide / champagne crayeuse

Périmètre du PCR◦ « Plaine de Troyes » : terme vernaculaire 

◦ Bassin topographique

◦ Deux principales unités paysagères : Champagne humide / champagne crayeuse

Périmètre du PCR◦ « Plaine de Troyes » : terme vernaculaire 

◦ Bassin topographique

◦ Deux principales unités paysagères : Champagne humide / champagne crayeuse

Périmètre du PCR◦ « Plaine de Troyes » : terme vernaculaire 

◦ Bassin topographique

◦ Deux principales unités paysagères : Champagne humide / champagne crayeuse

Périmètre du PCR : opérations

◦ 417 diagnostics = 1463 ha (88% des surfaces explorées) 

◦ => env. 1,9 % de superficie du PCR

◦ => env. 17 % des surfaces artificialisées (CLC)

Périmètre du PCR : opérations

◦ 417 diagnostics = 1463 ha (88% des surfaces explorées) 

◦ => env. 1,9 % de superficie du PCR

◦ => env. 17 % des surfaces artificialisées (CLC)

Périmètre du PCR : occupations

36 % des opérations de diagnostics positives= 50 % des opérations utiles pour le PCR

= 36 % des surfaces utiles d’occupation = 13 % des structures utiles 

Périmètre du PCR : occupations

36 % des opérations de diagnostics positives= 50 % des opérations utiles pour le PCR

= 36 % des surfaces utiles d’occupation = 13 % des structures utiles 

Périmètre du PCR : occupations (effectif / superficies / nb structures)quid de la donnée spatiale et de la sémiologie ?

Biais 1 : dissymétries du développement urbainDéveloppement général de la ville et de son agglomération s’est fait de manière dissymétrique 

(Brunet, 1981)

Opposition historique rive gauche / rive droite

2e opposition nord / sud

Rive droite / rive gauche ?Surface des opérations archéologiques

Surface des opérations 

archéologiques

Plaine crayeuse vs Champagne humide ?

Surface des opérations 

archéologiques

Biais 2 : Évolution du suivi archéologique

Superficie moyenne / diagnostic (max. 2006/2008) Part croissante des surfaces d’occupation extraites de diagnostics

PLA

PLA

A5

PLA Gazoduc

A5

Biais 2 : Évolution du suivi archéologique

Superficie moyenne / diagnostic (max. 2006/2008) Part croissante des surfaces d’occupation extraites de diagnostics

PLA

PLA

A5

PLA Gazoduc

A5

Biais 2 : Évolution du suivi archéologique

Superficie moyenne / diagnostic (max. 2006/2008) Part croissante des surfaces d’occupation extraites de diagnostics

PLA

PLA

A5

PLA

Vers une archéologie sérielle : les 3 périodes de longue durée‐5300 ‐1450 / ‐1450 +500 / +500 et suiv.

Base fouilles

8 séquencesOscillations d’amplitude et de durée variable ; 3 « accidents » majeurs

Accident majeur ‐2200/‐2100 ?

Accident ‐475/‐375Une nouvelle illustration de la chute des résidences princières ?

Une couronne tumulaire autour du pôle princier ?

Accident ‐475/‐375Une nouvelle illustration de la chute des résidences princières ?

Une couronne tumulaire autour du pôle princier ?

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Représentativité globale

Base fouillesBase diagnostics

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Représentativité globale

Rapport densitéDiagnostic/fouille (moy. 1,2 à 1,9)

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Exemple période 1 : 

Base fouillesBase diagnostics

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Exemple période 1 : 

Base fouillesBase diagnosticsBase fouilles

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Exemple période 1 : 

Base fouillesBase diagnosticsBase fouilles

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Exemple période 1 : 

Base fouillesBase diagnosticsBase fouilles

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Exemple période 1 : poids des informations TERRITOIRE

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…sur‐représentation de certaines catégories de vestige ?

Base fouillesBase diagnosticsBase fouilles

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…sur‐représentation de certaines catégories de vestige ?

Base fouillesBase diagnosticsBase fouilles

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…sur‐représentation de certaines catégories de vestige ?

Base fouillesBase diagnosticsBase fouilles

Biais 3 : le diagnostic à la rescousse…Tendances d’implantation topographique des occupations HAB et TERR ; profil par séquence

Nb structuresImplantation topographique Type de substrat

Au‐delà de la détectionConstat d’une évolution lente mais positive de la notion de « diagnostic » : 

1. Dépasser le stade de la détection (enregistrement : on ne voit que ce que l’on cherche, on ne trouve que ce que l’on connait) => vers l’« expertise » (reconnaître ce que l’on ne veux pas voir, deviner ce que l’on ne comprend pas encore, proposer des hypothèses, tester des modèles)

◦ => démultiplier les outils d’observation (nano/micro/macro)

2. Dépasser le stade de la collecte de sites au profit d’une compréhension fine de la production d’espace anthropisé et des territoires sur la durée

◦ => influe tant sur nature du suivi de l’aménagement que sur attention portée lors de l’exploration de terrain

« Ce ne sont pas les grands travaux qui font nécessairement les actions les plus fortes. Le 

pas le plus léger, s'il est répété, fait un indélébile sentier. » (R. Brunet)

La reproductibilité et les formats utilisésObjectif du PCR : créer un outil simple et robuste, adaptable à une très grande majorité de données (perte en détails 

compensée par gain en synthèse)

A plus long terme : mesurer la valeur des résultats à une échelle supérieure au territoire / aire urbaine

=> Plusieurs possibilités : comparer plusieurs aires urbaines, analyse d’une région géographique ou bassin géologique, etc

Implications : accessibilité des données et des outils de traitement (tables, shapefiles, scripts)

pose le problème de l’archivage des données et de leur structuration (tables, plans, rapports, etc)

va dans le sens du développement de logiciels libres (suite openoffice, R, QGIS) et de données ouvertes (format opensource)

pose la question de la diffusion libre des données (standards de données à créer)

Vincent Riquier, Ginette Auxiette, AlessioBandelli, David Bardel, Gertrude Blancquaert, Paul Brunet, Geneviève Daoulas, Anne Delor‐Ahu, Bastien Dubuis, Raphael Durost, Benoit Filipiak, Vincent Garénaux, LamysHachem, Michel Kasprzyk, Fabien Langry‐François, Sophie Lemeunier, Simon Loiseau, Nadine Mahé‐Hourlier, Vincent Marchaisseau, Katia Meunier, Emilie Millet, Alexandre Monnier, Cécile Paresys, Cédric Roms, Luc Sanson, Marion Saurel, Françoise Toulemonde, Jan VanmoerkerkePCR Plaine de Troyes « évolution d’un territoire rural des premiers agriculteurs au premier réseau villageois » (2013‐2016)