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b i b l i o g r a p h i e N O I S Y - L E - S E C , U N E V I L L E À V I V R E P A S S I O N N É M E N T De la du XX e siècle De la poésie du XX e siècle w w w. n o i s y l e s e c . n e t poésie

De la poésie du XXe siècle

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Page 1: De la poésie du XXe siècle

b i b l i o g r a p h i e

N O I S Y - L E - S E C , U N E V I L L E À V I V R E P A S S I O N N É M E N T

De la du XXe siècleDe la poésie

du XXe siècle

w w w. n o i s y l e s e c . n e t

poésie

Poésie 6/09/06 16:13 Page 1

Page 2: De la poésie du XXe siècle

La poésie, on n’a rien contre, mais on ne la lit guère. On a tout au plus des souvenirs d’école, de fastidieuses récitations de poésie. De sorte qu’elle est souvent méconnue,et tout particulièrement celle de notre siècle. Pourtant, depuisla fin de la Seconde Guerre mondiale, nombreuses sont lesœuvres d’une richesse et d’une variété exceptionnelles.Tantôt étonnamment proche de nous, tantôt exigeante, tantôtdéroutante, la poésie a plus d’une raison de nous séduire…

Il ne s’agit pas ici de proposer une bibliographie exhaustivede la poésie du XXe siècle, mais de vous proposer 16 auteurs,16 poèmes, 16 coups de cœur absolument subjectifs. Nousl’espérons, ces courts extraits vous donneront le goût de vousplonger dans les œuvres complètes…

Bonne lecture !

De la poésie du XXe siècle Page 3

À la rencontre dela poésie du XXe s i è c l e

Nicole Rivoire,Maire

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Page 3: De la poésie du XXe siècle

De la poésie du XXe siècle Page 4 De la poésie du XXe siècle Page 5

Henri Michaux (1899-1984)Poète belge, Henri Michaux occupe uneplace particulière dans le paysage cultu-rel moderne. Écrivain, peintre, c’estaussi un voyageur assidu : à 20 ans, ilabandonne les études et s’embarquecomme matelot pour découvrir « autrechose ». Explorateur de contrées loin-taines, il est aussi avide d’explorationsimaginaires (il établit scientifiquementune carte des drogues). Auteur d’uneœuvre sans équivalent et considérablepar son abondance même, Michauxreste indéfinissable. Son œuvre est celled’un solitaire ; œuvre unique et sansfiliation.

Sa poésieLa poésie d’Henri Michaux montre l’ab-surdité qui compose notre univers. Il selibère de l’angoisse par l’humour et laprovocation. Rythme toujours vif, éclatde rire, univers improbable : cette écri-ture est une gifle aux convenances etune posture de dérision à son propreégard.Pour Michaux, l’esprit humain est unpays et l’œuvre une traversée de l’être àtravers de minuscules et spectaculairesévénements. Le poète parcourt ainsi lemonde extérieur et lui-même : « Peindre,composer, écrire : me parcourir. Là estl’aventure d’être en vie. » ■

Textes épars 1942-1945, Henri Michaux,Pléiade

« Il y a »

Il y ail y a une âme sincère, une situation protéiformeun homme vient, un torche-cielet la pelle à têtes !et la pelle à têtes !et hop, et la pelle à têtes !

Il y a

il y a

Il y a un écho qui croit réfléchirécho de mille échoséchos depuis dix mille ans échoil y a un nègre d’orun nègre s’élance dans le noirune confiance de nègreun nègre de vanilleun nègre de rouille se lève

Il y a il y a la colonne de la natureil y ail y a un homme de silenceLe ciel s’éteint, la terre coule, mais il reste toujours un cannibaleun homme brille dans le passéun homme se croit une civilisationun homme avale des oriflammesun homme veut lui aussi faire des étincelles

mais il reste toujours un cannibale

Il y a

Il y a un soldat, il y a mille soldatsil y a un million de soldatsil y a qu’il iraqu’il iraqu’il ira à la guerre

Il y a un pays comme un boa.

Henri MichauxUne gifle

aux convenances

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Paroles, Jacques Prévert,Gallimard

« Cortège »

Un vieillard en or avec une montre en deuilUne reine de peine avec un homme d’AngleterreEt des travailleurs de la paix avec des gardiens de la merUn hussard de la farce avec un dindon de la mortUn serpent à café avec un moulin à lunettesUn chasseur de corde avec un danseur de têtesUn maréchal d’écume avec une pipe en retraiteUn chiard en habit noir avec un gentleman au maillotUn compositeur de potence avec un gibier de musiqueUn ramasseur de conscience avec un directeur de mégotsUn repasseur de Coligny avec un amiral de ciseauxUne petite sœur du Bengale avec un tigre de Saint-Vincent-de-PaulUn professeur de porcelaine avec un raccomodateur de philosophieUn contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du Gazde ParisUn canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l’orangeUn conservateur de Samothrace avec une Victoire de cimetièreUn remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute merUn membre de la prostate avec une hypertrophie de l’Académie françaiseUn gros cheval in partibus avec un grand évêque de cirqueUn contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d’autobusUn chirurgien terrible avec un enfant dentisteEt le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites.

Jacques Prévert (1900-1977)Après une enfance parisienne, JacquesPrévert est mobilisé en 1918 puis en-voyé au Proche-Orient. Après la guerre,il rejoint les surréalistes. Mais, sansdoute par esprit d’indépendance, ilsigne, en 1930, le manifeste contreAndré Breton (Un cadavre). Il écrit denombreux scénarios pour le cinéma :Quai des brumes, Les visiteurs du soir,Les enfants du paradis, entre autres. Cen’est qu’après-guerre, avec le recueilParoles, que Prévert rencontre le succès.Bien qu’il se revendique « paresseux »,il laisse une œuvre pléthorique.N’écrivant que ce qui lui vient en têted’écrire, il s’est toujours refusé à desrenoncements, comme il s’est refusé àmener carrière.

Sa poésieLa poésie de Prévert peut se résumer enquelques mots : surréalisme tempéré,gouaille populaire, tendresse pour lespauvres gens et les enfants, et un zested’anarchisme. Faux alexandrins, versets païens, lan-gue de « certifié d’études » dont il seloue, il joue du calembour et de l’asso-ciation d’idées, n’hésitant pas à compo-ser de petites histoires en forme decontes moraux sur la désillusion et l’es-poir. Il parle et écrit le français de Paris,sans craindre de mêler la langue oraleet écrite. Poésie du dépaysement autantque de la proximité, son œuvre témoi-gne d’un regard ironique et attendri surle monde. ■

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JacquesPrévert

Un maître de la parole

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Page 5: De la poésie du XXe siècle

Formeries, Jean Tardieu,Gallimard

« Deux verbes en creux »

J’écoute je me taisJe me tais pour écouter,(pour mieux écouter), Je me tais parce que j’écouteSi je ne me tais pas je n’écoute plus

(Taisez-vous !Taisez-vous et écoutez !Écoutez-le se taireIl se tait et il se taira !vous l’écouterez.)

Si j’étais celui qui écouteseulement pour écoutersi j’étais celui qui se taitsimplement pour se tairevous ne cesseriez d’écoutervous auriez peur que je me taise

Mais je ne me tais pas non je ne me taispas encore. Je ne pourrai jamaisme taire. Je ne cesse pas d’écouter.

Jean Tardieu (1903-1995)Après une enfance petite-bourgeoise,c’est adolescent que Jean Tardieu réa-lise l’expérience capitale de sa vie : larencontre de son « double ». Cela setraduit par un imaginaire de la dépos-session, du renversement et de la dupli-cité. Ses premiers poèmes sont publiésen 1927, mais son premier recueil im-portant, Accents, paraît en 1939. En1944, il entre à la Radiodiffusion fran-çaise où il sera directeur des program-mes de France Musique. Il continue sonactivité de poète, menant une recherchesur les possibilités offertes par le lan-gage. Il se lance également dans lethéâtre expérimental. Ses pièces, sou-vent très courtes, constituent un réper-toire complet des possibilités théâtrales.

Sa poésieChez Tardieu, le monde de l’absurderejoint celui de l’enfance, une enfancecruelle et narquoise, mais aussi tendreet fragile. Ses poèmes sont de petitessaynètes, où se côtoient le burlesque, lelyrique et une certaine noirceur. Obsédépar la perte de l’identité, Tardieu s’inter-roge sur la présence et l’absence deschoses : « Tout ce que je touche a samoitié de pierre et sa moitié d’écume ».Il nous dévoile la « part de l’ombre » :visions insolites, cauchemardesques,fantastiques, s’inspirant parfois detableaux de Hartung, Ernst, Magritte ouPisanello. Cette réflexion sur la réalité ou l’irréa-lité des choses le conduit à question-ner le pouvoir mystérieux des mots :« Le sens naît de leur rapprochementcomme l’éclair du choc électrique desn u a g e s . » ■

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Jean Tardieu

ou « l’inquiétante

étrangeté »

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Page 6: De la poésie du XXe siècle

L’Instant fatal, Raymond Queneau, Gallimard

« Maigrir »

IY en a qui maigricent sulla terreDu vente du coq-six ou des jnousY en qui maigricent le caractèreY en a qui maigricent pas du tout

Oui maisMoi jmégris du bout des douasOui du bout des douas Oui du bout des douas Moi jmégris du bout des douasSeskilya dplus distinglé

IILautt jour Boulvar de la VilletteVlà jrenconte le bœuf à la modeJlui dis Tu mas l’air un peu blettViens que jte paye une belle culotteSeulement jai pas pu passqueMoi jmégris du bout des douasOui du bout des douas Oui du bout des douas Moi jmégris du bout des douasSeskilya dplus distinglé

IIIDpuis ctemps jfais pus dgymnastiqueEt jmaintiens des sports d’hiverEt comme avec fureur jmastiqueJe pense que si je persévère

Eh bienJmégrirai du bout des douasOui du bout des douas Oui du bout des douas Jmégrirai même de partoutMême de lesstrémité du cou

L ’ O U L I P O ,OUvroir de LIt-t é r a t u r ePOtentielle, aété créé en1960 par Ray-mond Que-neau, écrivain, et François Le Lionnais,mathématicien. Leur idée était de mon-trer que l’on pouvait écrire des textesmagnifiques tout en respectant descontraintes très fortes, des contraintesqui ressemblent pour beaucoup à desstructures mathématiques.Les membres, qui ont la particularitéd’être soit des mathématiciens fortementattirés par la littérature, soit des écri-vains souhaitant accentuer les liens dela littérature avec les mathématiques, uti-lisent comme outil privilégié pour écrirela contrainte. Parmi les plus célèbresd’entre eux, Georges Perec (1936-1982) ou Italo Calvino (1923-1985)sont, malgré leur mort, toujours mem-bres de l’Oulipo, qui refuse toute distinc-tion entre membres vivants et membresdécédés.

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L’OULIPO

Qu’est ceci ? Qu’est cela ?Qu’est-ce que OU ?Qu’est-ce que LI ?

Qu’est-ce que PO ?

« La littérature oulipienne est une littéra-ture sous contraintes. Et un auteur ouli-pien, c’est quoi ? C’est un rat quiconstruit lui-même le labyrinthe dont il sepropose de sortir. Un labyrinthe dequoi ? De mots, de sons, de phrases, deparagraphes, de chapitres, de livres, debibliothèques, de prose, de poésie, ettout ça… » Marcel Benabou & JacquesRoubaud.

Aujourd’hui représentée, entre autres,par Jacques Roubaud, Jacques Jouet ouMichelle Grangaud, la poésie ouli-pienne s’est illustrée dès la création de l’Oulipo avec Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau.Raymond Queneau a conçu ce livre desorte que chacune des quatorze pagessoit découpée en dix bandes indépen-dantes, chaque bande portant un uni-que vers. Un cache permet au lecteur de sélectionner, comme bon lui semble,les bandes et de composer ainsi uneinfinité de poèmes – ou plus précisé-ment 10 puissance 14. Dans Exercicesde style, Raymond Queneau raconte 99 fois la même histoire, en jouant surla façon de la raconter. ■

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Fureur et mystère, René Char,Gallimard

« Feuillets d’Hypnos »

Nous sommes écartelés entre l’avidité de connaître et le désespoir d’avoirconnu. L’aiguillon ne renonce pas à sa cuisson et nous à notre espoir. (39)

L’acte est vierge, même répété. (46)

N’étant jamais définitivement modelé, l’homme est receleur de son contraire.Ses cycles dessinent des orbes différents selon qu’il est en butte à telle sollicita-tion ou non. Et les dépressions mystérieuses, les inspirations absurdes, surgiesdu grand externat crématoire, comment se contraindre à les ignorer ? Ah ! cir-culer généreusement sur les saisons de l’écorce, tandis que l’amande palpite,libre… (55)

Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par neplus voir ce qui vaut d’être regardé. (59)

L’acquiescement éclaire le visage. Le refus lui donne sa beauté. (81)

Le poète, conservateur des infinis visages du vivant. (83)

La ligne de vol du poème. Elle devrait être sensible à chacun. (98)

Claude me dit : « Les femmes sont les reines de l’absurde. Plus un homme s’en-gage avec elles, plus elles compliquent cet engagement. Du jour où je suisdevenu “partisan”, je n’ai plus été malheureux ni déçu… »Il sera toujours temps d’apprendre à Claude qu’on ne taille pas dans sa viesans se couper. (117)

René Char (1907-1988)De sa terre natale, la Provence, RenéChar garde toujours un rapport nourri-cier, qui ne cesse jamais d’alimenter sapoésie. Dès 1928, il suscite l’admirationdes surréalistes, rencontre Paul Eluard,André Breton, Louis Aragon, mais aussiPicasso ou encore Dali. Il travaille aveceux durant quelques années, mais il s’enéloigne peu avant la guerre. Résistantde la première heure, il devient le« capitaine Alexandre », chef de sec-teur dans l’armée secrète, en Provence.À la Libération, il se retire à l’Isle-sur-la-Sorgue, ne cessant alors d’écrire et depublier des recueils jusqu’à sa mort.

Sa poésieL’œuvre de René Char peut s’articulerautour de trois vocables : poésie, éthi-que, poétique. Considérant qu’êtrepoète, c’est agir, ses textes campent lalutte et le refus permanent, comme dansLes feuillets d’Hypnos, qui évoquent sesannées dans la Résistance.Aphorisme ou poème en prose, alexan-drin ou vers libres, rime ou assonance,billet, lettre et même télégramme, sapoésie prend des formes extrêmementvariées cheminant vers une parole justeet nécessaire. Ses textes, parfois diffici-les, sont d’une richesse inépuisable,ancrés dans les splendeurs du monde. ■

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René Char

Une poésie du

question-nement

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Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire,(Éd. Présence Africaine)

Trésor, comptons :la folie qui se souvientla folie qui hurlela folie qui voitla folie qui se déchaîne

Et vous savez le reste

Que 2 et 2 font 5que la forêt miauleque l’arbre tire les marrons du feuque le ciel se lisse la barbeet caetera et caetera…

Qui et quels nous sommes ? Admirable question !

À force de regarder les arbres je suis devenu arbre et mes longs pieds d’arbreont creusé dans le sol de larges sacs à venin de hautes villes d’ossements à force de penser au Congoje suis devenu un Congo bruissant de forêts et de fleuvesoù le fouet claque comme un grand étendardl’étendard du prophèteoù l’eau faitlikouala-likoualaoù l’éclair de la colère lance sa hache verdâtre et force les sangliers de laputréfaction dans la belle orée violente des narines.

Au bout du petit matin le soleil qui toussote et crache ses poumons

Aimé Césaire (1913 - )Né en Martinique, Aimé Césaire suit sesétudes supérieures à Paris. Il y fonde la revue l’Étudiant noir avec LéopoldSédar Senghor et Léon Damas. En1936, il commence à écrire, puis ilretourne en Martinique où il enseigneau lycée de Fort-de-France. Pendant laguerre, il fonde la revue Tropiques. Àpartir de 1945, date de son élection àla mairie de Fort-de-France, puis à ladéputation, il mène une double car-rière : homme politique et écrivain.

Sa poésieAimé Césaire incarne l’étonnante vita-lité de la poésie francophone desAntilles. Sa poésie dépasse largement leseul combat des Antillais pour se faireappel universel à la dignité humaine età l’éveil. Initiateur avec Senghor de laNégritude, mouvement qui veut redon-ner au peuple noir la fierté de ses raci-nes africaines, il émaille ses poèmes,écrits dans la langue française la pluspure, d’expressions spécifiques à l’ima-ginaire des Antilles, de bribes de la cul-ture africaine, sans jamais tomber dansle pittoresque ou le régionalisme. AiméCésaire propose une poésie exigeante,déconcertante, qui captive par l’origina-lité de ses images, et en même tempsune poésie jamais gratuite, toujourspleine de sens. ■

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Aimé Césaire

« Aimé Césaire

est un Noir qui est

non seulement un Noir,

mais tout l’homme,

qui en exprime

toutes les interrogations,

toutes les angoisses,

tous les espoirs et toutes les extases,

et qui s’imposera

de plus en plus

à moi comme le prototype

de la dignité. »André Breton

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Page 9: De la poésie du XXe siècle

Poésie 1946 – 1967, Philippe Jaccottet,Gallimard

Autrefoismoi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine,me couvrant d’images les yeux,j’ai prétendu guider mourants et morts.

Moi, poète abrité,épargné, souffrant à peine,j’osais tracer des routes dans le gouffre.

À présent, lampe soufflée,main plus errante, tremblante,je recommence lentement dans l’air.

Philippe Jaccottet (1925 - )Après des études de lettres à Lausanne,Philippe Jaccottet a vécu quelquesannées à Paris comme collaborateurdes éditions Mermod. Poète reconnu, ila aussi publié de nombreuses traduc-tions, notamment d’Homère, Hölderlin,Rilke et Ungaretti.

Sa poésieVoilà une œuvre poétique marquée parl’inquiétude et la mélancolie. Le poèteporte une attention extrême à des cho-ses minuscules. Pour dire le monde, ils’attache à ce qu’il y a de plus fugaceet de plus fragile. Il dit l’énigme de lavie en refusant de l’éclairer ou de larésoudre d’une quelconque manièreque ce soit. Philippe Jaccottet aime lefaible, le vague, l’incertain, le trem-blant, le léger, l’indécis. Ses poèmessont souvent brefs, à l’instar des haïkus,qu’il admire parce qu’ils sont capablesd’éclairer les faits les plus ordinairesatteignant par là ce que la poésie offrede plus pur. Le poète refuse les images :contre ce foisonnement des mots, il écritde la manière la plus simple pour direl’authentique et l’ordinaire. Il réaliseainsi des poèmes qui nous parlent demanière évidente et poignante. ■

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Philippe Jaccottet

Poète de la

fragilité

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Page 10: De la poésie du XXe siècle

Amen, Récitatif, La Tourne, Jacques Réda,Gallimard

« Personnages dans la banlieue »

Vous n’en finissez pas d’ajouter encore des choses,Des boîtes, des maisons, des mots.Sans bruit l’encombrement s’accroît au centre de la vie,Et vous êtes poussés vers la périphérie,Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties ;Vous n’existez plus qu’à l’état de débris ou de fumée.Cependant vous marchez,Donnant la main à vos enfants hallucinésSous le ciel vaste, et vous n’avancez pas ;Vous piétinez sans fin devant le mur de l’étendueOù les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent,Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumièreQui a de plus en plus de peine à vous rêver.Avant de disparaître,Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée,Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude,Et ses traits flous sont ceux d’une vieille photographie.Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières,Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l’encombre,Et le dernier billet du mois plié dans son corsage.

Jacques Réda (1929 - )Après des études de droit, JacquesRéda exerce divers métiers avant dedevenir lecteur pour l’édition puis rédac-teur en chef de la Nouvelle revue fran-ç a i s e . Selon ses propres termes, ilpublie ses « premiers vrais poèmes » àpartir de 1961. Amateur de jazz, ilpublie également dans des revues musi-cales spécialisées. En 1993, il a reçu legrand prix de l’Académie françaisepour l’ensemble de son œuvre.

Sa poésieJacques Réda est un « bonhomme jaz-zophile piéton de Paris ». Les paysagesurbains (et en particulier parisiens) for-ment la matière principale de ses ouvra-ges. Le poète porte une attention touteparticulière au monde et aux anonymesqui peuplent ses pérégrinations ; sespoèmes s’écrivent au hasard d’une ren-contre ou d’un lieu. Cette parole ditnotre quotidien avec son lot de figures,de solitude ou d’angoisse face au tempsqui passe. La parole poétique se love« dans la chaleur d’une détresse », maiselle laisse aussi affleurer des momentsmagnifiques et simples, propices àl’apaisement. Voilà donc une poésieétonnamment proche de nous, fidèle àcette exigence du poète qui écrit « afinque chacun dise, est-ce moi, oui, c’estmoi qui parle ». ■

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JacquesRédaPoète,

piéton, amateur de jazz

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Page 11: De la poésie du XXe siècle

Gisants, Michel Deguy,(Gallimard)

« Aide mémoire »

Ce qui a lieu d’êtreNe va pas sans dire

Ce qu’on ne peut pas dire…Il faut l’écrire

La partie donne sur le toutQui donne la partie

Savoir à quoi ça ressembleC’est notre savoir – non absolu

Il faut de la semblancePour faire de la contiguïté

Le poème est des choses prochainesQu’il faut aller chercher

Michel Deguy (1930 - )Michel Deguy a accompagné de sonécriture les différentes aventures intellec-tuelles qui ont marqué la France depuisles années 60. Professeur à l’université,il a présidé tour à tour le Collège inter-national de Philosophie, la Maison desÉcrivains et le Centre international depoésie. Il est rédacteur en chef de larevue Po&sie et membre du comité de larevue Les temps modernes. Après lesprix Fénéon, Max Jacob et Mallarmé, ila reçu le Grand prix national de poésieen 1989.

Sa poésieMichel Deguy est l’auteur d’une œuvreexigeante qui n’est pas d’un abord aisé.Sa poésie réunit des œuvres en vers, enprose, de la philosophie, des critiques etdes traductions. L’expérience poétiquese confond pour lui avec une exigencecritique : voilà donc une poésie qui sequestionne en même temps qu’elles’écrit. Il en résulte une extrêmerichesse, mais aussi une grande com-plexité. Mais chercher à comprendre lesexigences du dire permet d’atteindre auplus profond de l’homme et du monde.Plonger dans cette pensée exigeante etexceptionnellement fine, s’y perdre par-fois, permet d’atteindre aux mystères denos mots et de notre condition dans lemonde. ■

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MichelDeguy

« Poèmepour

(re)poserquestionsqu’on nepose plus en dehors

du poème »

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Page 12: De la poésie du XXe siècle

Les Élégies, Emmanuel Hocquard, POL

« Élégie IV »

MAINTENANT (ou moi) la citédevint mon lieu et mon temps

La route descend à travers les arbresj’ ai vu passer un, puis trois,

quatre oiseaux griset le givre révéler sous l’herbe

(autre présage) les fours à bois abandonnés

alorsa ressurgi la vieille peuravec la solitudeet ce 23 avril 1616

après quoi

NOUS perdions ma tracedans la pierre

TU et tu as oubliéle temps qu’il faisait

sic’était l’automneou déjà en hiver

et si tu es restée un bon momentsur la terrasse

en train de reconstruiredu rêve que

tu avais rêvé la nuit d’avant

la part(ie) (dé)jà rongé(e) comme) une vi(ei)lle(feuille) par terre

Emmanuel Hocquard (1940 - )Emmanuel Hocquard a exercé de nom-breux métiers : enseignant, directeur(avec le peintre Raquel) des éditionsOrange Export Ltd, responsable dud é p a rtement de littérature contempo-raine de l’ARC au musée d’Art modernede la ville de Paris. En 1989, il crée UnBureau sur l’Atlantique, destiné à faireconnaître en France les poètes améri-cains contemporains, et à créer deséchanges de part et d’autre del’Atlantique. Emmanuel Hocquard estégalement traducteur de Charles Rez-nikoff, Fernando Pessoa, Antonio Cines-ros, Michaël Palmer entre autres.

Sa poésieEmmanuel Hocquard se revendiqued’une « m o d e rnité négative ». Aucontraire des Poètes (qui revendiquentvolontiers la majuscule), les poètes« mineurs », selon Hocquard, recher-chent « une poésie sans accent poéti-que, aussi sèche qu’une biscotte sansbeurre ». Il définit donc la poésie parune série d’éliminations, activité de« nettoyage » de sa propre langue etd’« élucidation » de sa pensée. Contreles stéréotypes, les poncifs ou le lyrisme,Hocquard pratique une écriture minima-liste. Il neutralise tout épanchement dumoi pour développer des récits poéti-ques qui s’imposent au regard, àl’oreille et à la sensibilité, non par lesimages, mais par un travail sur les mots,leur agencement, les points de vue. ■

De la poésie du XXe siècle Page 22 De la poésie du XXe siècle Page 23

Emmanuel Hocquard

Poète de la

modernité négative :

poète mineur ?

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Page 13: De la poésie du XXe siècle

De la poésie du XXe siècle Page 24 De la poésie du XXe siècle Page 25

Parmi le nombre important de poètes ultracontemporains, envoici quelques-uns qui nous semblent symptomatiques de lacréation actuelle.

Après une histoire mouvementée, celle d’un XXe siècle géniede la dynamite et des explosions en tous genres, la poésienouvelle s’installe sur un champ éclaté. La guerre des« ismes » a eu lieu. Il n’existe plus d’écoles, de chapelles, demouvances ni même de programmes.

Sur ce champ neuf s’ébroue une certaine liberté. Une libertérecentrée autour d’individualités à la fois « marquées par »,mais également décomplexées vis-à-vis de l’histoire. Partout,sur le champ, gisent des vestiges dont on peut se servir, desruines que l’on peut exploiter.

Et puis il y a le monde contemporain, post-guerre froide,post-idéologique, post-utopique. Un monde étrange plein deliberté et de vide à la fois. Un monde en perte de repères etqui cherche à en inventer de nouveaux.

Face à tous ces bouleversements, le choix de l’artiste estvaste : affronter le monde, le langage du monde, affronterles mots et leur musicalité, ou bien s’affronter soi-même.

D e s poètesu l t r a c o n t e m p o r a i n s

Poésie 6/09/06 16:13 Page 25

Page 14: De la poésie du XXe siècle

Litaniques, Jacques Rebotier,Gallimard

« Litanie de la vie j’ai rien compris »

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Jacques Rebotier (1950 - )Écrivain, compositeur et metteur enscène, Jacques Rebotier est l’auteur despectacles dérangeants et joyeux quiallient une écriture exigeante avec uncertain sens de l’incongru, voire de l’ab-surde. Fondateur de la compagnieVoQue (« voix, invocations et équivo-q u e s »), il mélange poésie, roman-photo, lecture-performance, théâtre-ins-tallation, danse et musique. Il s’intéresseparticulièrement aux rapports qui exis-tent entre la musique et les mots, etinvente la lecture-concert.

Sa poésieJacques Rebotier poétise la musique etmusicalise la poésie. Oralement, il faitchanter les mots, les met en mouvement,leur donne pour ainsi dire « vie ». Écritssur une partition, ils sont faits pour êtreinterprétés. ■

Jacques Rebotier

Poésie de la

musicalité

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Retour définitif et durable de l’être aimé, Olivier Cadiot,POL

Le vent se lève.

C’est beau et c’est vrai, c’est souvent lié hein ? la vérité et l’extase hein ? regar-dez-moi ces couleurs dégradées de tous les verts possibles, ils sont l’exactecontrepartie optique de l’échelle de mes sentiments, ça monte et ça descend,je suis émotif vous allez me dire mais il y a de quoi quand on est chez soi dansla Vérité, home sweet home, je comprends les gens qui font des monuments àdes idées, Alléluia gravé sur obélisque de 20 mètres, Tout Va Bien en lettresblanches sur la colline, comme au cinéma, j’aurais dû être artiste.

Pause.

Olivier Cadiot (1956 - )Olivier Cadiot a travaillé pour les com-positeurs Georges Aperghis et PascalDusapin, il a été parolier pour le grouperock Kat Onoma et également co-auteurd’un disque avec Rodolphe Burger. En1995, il est l’initiateur avec Pierre Alféride deux numéros de la Revue de littéra-ture générale. Il a participé à la der-nière traduction collective de la Bible,notamment pour le Cantique des canti-ques. Il a publié différents recueils chezPOL. Il collabore aussi à la mise enscène théâtrale de ses textes : Le coloneldes zouaves sera rejoué au printemps2005 au Théâtre national de la Collineà Paris.

Sa poésiePour Olivier Cadiot, « La poésie a besoinde fiction pour être dénudée de sonpathos. Il y a un héroïsme de la poésie, ilfaut lui enlever la transe. » Le projet estl à : dans tous ses livres, la question dupoème est retournée, interrogée, attra-pée, échappée, dénudée, réinventée. Olivier Cadiot pratique le cut-up, le sam-ple, le mixage, toujours dans une ultra-précision, une recherche de l’exactitudecar, pour lui, tout est affaire de réglage.Son écriture turbulente et exigeante estune mise en réseau de multiples pistes,de multiples matériaux, et replonge lalittérature dans la pluralité des arts.Dans ses œuvres poétiques et romanes-ques, Olivier Cadiot entreprend la lan-gue et c’est une entreprise joyeuse,grave, détonante qui revitalise la scènelittéraire contemporaine. ■

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OlivierCadiot

Une affaire de réglage

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Shot, Patrick Bouvet,(Éditions de l’Olivier)

en hautRobert Oppenheimeraprès un essaiexamine les restesde la tour de lancement

à gaucheles adeptes sont invitésà se servir de l’objetà leur guise

à droitel’explosion est un échecsur le murune silhouetteun corps-Hiroshima

en basHiroshimaavant et aprèsle bombardement1945

Patrick Bouvet (1962 - )« PATRICK BOUVET par lui-mêmeP.B. est né en 1962P.B a vu beaucoup d’imagesHiroshimaAuschwitzApollo XIDes publicités pour des lessivesDes avions furtifs dans le GolfeLes derniers jeux Olympiques du millénaire…P.B regarde les images, écoute les commentairesP.B joue son rôle d’occidentalP.B est assisMais

P.B se réveille brusquementIl découpe des articles dans les journaux, des photos dans les magazinesIl se met à écrireP.B a l’impression d’être debout dans ces moments-là

Mais

P.B se méfie des fictions dont il est le héros. »

Sa poésiePatrick Bouvet affronte le monde tel qu’ilest rendu par le langage médiatique. Ild é t o u rne ses discours, ses slogans et peti-tes phrases, les extirpe de leur univershabituel et nous les donne à « v o i r » .Généralement scandés à grande vitesse,une information en chassant une autre,jamais ils n’auront été si explicites. ■

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PatrickBouvet

La poésie face au

médiatique

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Cinépoèmes et films parlants, Pierre Alféri,Les laboratoires d’Aubervilliers

« Elvin Jones – Titres »

Tu concasses le minerai. Tu brises les statues. Tu rebats les cartes. Tu projettesla base au sommet. Tu secoues les branches. Tu soulèves les jupes. Tu cassesles cosses. Tu fends les souches. Tu grattes les gravats. Tu laboures la terregelée. Tu creuses les canaux. Tu plumes les oiseaux. Tu souffles la poussière.Tu divises les atomes. Tu fais valser les stèles. Tu déterres. Tu ranimes.

Je vais te faire descendre. Je vais te déshabiller. Je vais te déverrouiller. Je vaist’analyser. Je vais te profaner. Je vais te démantibuler. Je vais te banaliser. Jevais te faire plier. Je vais te mettre dans une boîte noire. Je vais te forger unecage de fullerène. Je vais te démultiplier. Je vais te digitaliser. Je vais te mettreen accès libre.

Mais tu affoles les compteurs. Tu mélanges l’huile à l’eau. Tu surchauffes les tur-bines. Tu changes le calendrier. Tu fais venir la nuit. Tu as un temps d’avance.Tu détruis tes alliés. Tu coupes l’herbe sous les pieds. Tu savonnes la planche.Tu déroutes. Tu t’oublies. Tu effaces tes traces. Tu lances des fausses nouvelles.Tu violes tes décrets. Tu brûles tes vaisseaux. Tu dilapides. Tu te grilles. Tu tetues. Tu te reconstitues.

Pierre Alféri(1963 - )Pierre Alféri estl’auteur d’une di-zaine de livres. Ilest le fondateur,avec SuzanneDoppelt, de la revue D é t a i l , et avecOlivier Cadiot de la Revue de littératureg é n é r a l e. Il a mené des travaux com-muns avec le plasticien Jacques Julien.Depuis plusieurs années, il réalise, àl’occasion de lectures publiques, desperformances où il convie le musicienRodolphe Burger, et où se mêlent autexte lu des projections de séquences defilms étirés, remontés, Les films parlants.Il continue aussi à développer un travaild’écriture conçu spécifiquement pour lavidéo, permettant de nouveaux modesd’apparition et de lecture du texte, Lescinépoèmes.

Sa poésie« Depuis peu d’années, il existe desoutils abordables pour fabriquer des“textes” d’images et de sons – une nou-velle fluidité, une traductibilité généraledes objets visuels, écrits et sonores – qui

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Pierre AlfériLa poésie-performance

sont une chance. Et puis, il y a les pen-tes individuelles. J’écris pour me mettreen train, pour mettre en mouvement leschoses alentour, corps et mots, que lesmots vidés redeviennent moteurs. Ils’agit de se déplacer en regardant, derespirer, de ressentir et d’adopter lajuste pulsation, actions qui paraissentabstraites parce qu’elles sont trop sim-ples, ou complexes alors qu’elles sontseulement délicates. La pulsation la plusintime dans le langage est celle du sens,p a rtout tremblé, mouvant. À part i rd’elle, la poésie, le récit – toute fictionécrite – produit des rythmes de vie, desflux et des caillots de sensation. On yfaçonne le temps à toutes les échelles :le temps d’une histoire, celui d’une sur-prise, d’une phrase, d’un vers, d’une syl-labe. Surnager, ne plus être engloutidans le temps, c’est toute la jouissance– et toute l’illusion – de la chose. »Pierre Alféri, C a rnets de l’espace,2002. ■

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Pan, Christophe Tarkos(POL)

Je n’ai pas qu’été ce truc.Je n’ai pas eu à comprendre, j’

apprenaisJe ne suis pas que qui était là à comprendre, qui n’a qu’à avoir compris

Je n’ai pas fait que comprendre, je comprendsJe n’ai pas qu’été qui n’a qu’entendre J’ai

Compris : je n’étais pas que du j’ai dû appliquerJ’entends, j’entends, je ne suis pas qui a à avoir à

Je ne suis pas compreneur, je comprends J’étais pas que j’entends, que çaj’enregistre, j’emmagasiner

Je comprends J’ai qu’eu qu’à appliquerJ’entendais entendre, je n’eu qu’à enregistrer Je comprends que je ne

prends pasJe n’ai pas été qu’être à comprendre, je n’ai

pas qu’été à enregistrerJe n’avais pas que eu à Je ne suis pas j’ai compris, je comprendsJe ne suis pas emmagasineur

Je n’ai pas que comporté, je n’ai pas qu’eu à avoir enregistréJe ne suis pas à avoir eu à hue qu’à prendre enregistrer à

comprendre à comporter à enregistrer Je comprends je n’avais pasqu’à n’avoir qu’à comprendre Je n’eu pasqu’à être en endre Je comprends, je sais,

je n’ai qu’eu à être en endre, je ne suis pas con

Christophe Tarkos (1964 - 2004)Décédé récemment, Christophe Tarkosnous laisse un ensemble imposant delivres : plusieurs chez POL, dont Ana-chronismes, le plus récent, en 2001,d’autres aux éditions Al Dante, dontOui, en 1996. Il collabora égalementavec des « petites maisons » et parti-cipa à la création en 1997, avecKatalin Molnr, de Poézi prolétèr et, en1999, avec Charles Pennequin, VincentTholomé, Nathalie Quintane, de Facial.L’essentiel de son œuvre tourne autourde lectures-performances et il se disaitlui-même « fabricant de textes et d’im-provisations-performances ».

Sa poésieChristophe Tarkos affronte les mots. Il lescogne, les heurte et les fait « parler ».Les textes donnent une impression devitesse et d’ivresse frénétique. Ils noushypnotisent, nous mettent en transe et enprésence de la magie du verbe. ■

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ChristopheTarkos

« Fabricant de textes et

d’improvi-sations »

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Pas revoir, Valérie Rouzeau,Le dé bleu

Papa ça va pas dis comme ça va plus comme ça va plus.Rien qui va sans dire.Ça va pas sans dire je vas pas comme toi ça va pas papa.Ça va pas la tête ça va pas le foie ça va pas comme ça.La tête alouette ça gaze gazouille pas et le cœur des fois hoquette papa.C’est mal élevé si je mets les pieds il faudrait des ailes ça pourrait aller.Tu me fais marcher.

Valérie Rouzeau (1967 - )Valérie Rouzeau n’exerce aucune acti-vité salariée et tâche de « vivre en poé-sie » via des lectures publiques et desateliers dans les classes. Par ailleurs tra-ductrice de textes en anglais, elle trouveson inspiration dans le quotidien le plusbanal et le monde de l’enfance. Elleaime à lier une certaine exigence for-melle avec des thèmes compréhensiblespar tous. Elle a récemment fait paraîtrePas revoir (le dé bleu, 1999), Neigerien (Unes, 2000), Une foule en terref o u l é e ( Travioles, 2001), Va où ( L etemps qu’il fait, 2002).

Sa poésieDans son œuvre, Valérie Rouzeauaffronte son être intime, ses fantômes,son enfance, sa relation au père, lamaladie qui ronge celui-ci et le tue.Sobres, bien agencés, ses mots nousconfrontent à l’indicible. ■

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Valérie RouzeauLa poésie face aux fantômes

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Henri Michaux 1899-1984

Jacques Prévert 1900-1977

Jean Tardieu 1903-1995

Raymond Queneau 1903-1976

René Char 1907-1988

Aimé Césaire 1913-

Philippe Jaccottet 1925-

Jacques Réda 1929-

Michel Deguy 1930-

Emmanuel Hocquard 1940

Jacques Rebotier 1950-

Olivier Cadiot 1956-

Patrick Bouvet 1962-

Pierre Alféri 1963-

Christophe Tarkos 1964-2004

Valérie Rouzeau 1967-

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