521
Histoire de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr). Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836 Préface « The surest way to prevend seditions (if the times do bear it) is to take away the matter of them ; for if there be fuel prepared it is hard to telle whence the spark shall come that shall set it on fire. » (Bacon) (page III) En donnant cet ouvrage au public, je me dois à moi-même de présenter quelques observations préliminaires, qui, je l'espère, expliqueront, plusieurs réticences, et me mettront à l'abri de certaines accusations que l'on pourrait porter contre moi. Lorsque j'aurai fait observer qu'habitant la Belgique depuis plus de quatre ans, j'ai suivi attentivement toutes les phases de la révolution, depuis le soulèvement d'août 1830, et que j'ai vécu dans des relations d'amitié avec plusieurs des principaux personnages qui ont figuré sur l'horizon politique ; que, de plus, j'ai été en (page IV) position de compulser une grande quantité de documents, et d'entendre presque toutes les discussions orales, et qu'enfin, ces questions ont été l'objet non seulement de mes constantes méditations, mais encore de plusieurs publications (Relation du siège d'Anvers dans l’United Sorties Journal, n°52, et divers autres articles sur la question belge, dans d'autres revues et journaux) ; le lecteur sera alors en droit de beaucoup attendre d'un écrivain, qui s'est trouvé dans la situation la plus avantageuse qu'un étranger puisse désirer pour obtenir des informations exactes et étendues. Tout en faisant connaître franchement ce concours de circonstances en apparence si favorables pour lui, l'auteur sent qu'il importe de démontrer qu'en réalité il en est plusieurs qui tendent plutôt à augmenter qu'à aplanir les difficultés d'ailleurs communes aux ouvrages de ce genre. Car il est aussi impossible de faire allusion

be1830.bebe1830.be/onewebmedia/Histoire de la révolution belge de... · Web viewL'épée trace les traités que la plume ne fait que ratifier ensuite. L'histoire de la diplomatie

Embed Size (px)

Citation preview

Histoire de la rvolution belge de 1830, par Charles White, (traduit de lAnglais, sous les yeux de lauteur, par MissMarnCorr).

Bruxelles, LouisHaumanet Cie, 1836

Prface

The surest way toprevendseditions (if the times do bear it) is to take away the matter of them ; for if there be fuel prepared it is hard totellewhence the spark shall come that shall set it on fire.(Bacon)

(pageIII)En donnant cet ouvrage au public, je me dois moi-mme de prsenter quelques observations prliminaires, qui, je l'espre, expliqueront, plusieurs rticences, et me mettront l'abri de certaines accusations que l'on pourrait porter contre moi.

Lorsque j'aurai fait observer qu'habitantla Belgiquedepuis plus de quatre ans, j'ai suivi attentivement toutes les phases de la rvolution, depuis le soulvement d'aot 1830, et que j'ai vcu dans des relations d'amiti avec plusieurs des principaux personnages qui ont figur sur l'horizon politique ; que, de plus, j'ai t en(page IV) position de compulser une grande quantit de documents, et d'entendre presque toutes les discussions orales, et qu'enfin, ces questions ont t l'objet non seulement de mes constantes mditations, mais encore de plusieurs publications (Relation du sige d'Anvers dans lUnited Sorties Journal,n52, et divers autres articles sur la question belge, dans d'autres revues et journaux) ; le lecteur sera alors en droit de beaucoup attendre d'un crivain, qui s'est trouv dans la situation la plus avantageuse qu'un tranger puisse dsirer pour obtenir des informations exactes et tendues.

Tout en faisant connatre franchement ce concours de circonstances en apparence si favorables pour lui, l'auteur sent qu'il importe de dmontrer qu'enralitil en est plusieurs qui tendent plutt augmenter qu' aplanir les difficults d'ailleurs communes aux ouvrages de ce genre. Car il est aussi impossible de faire allusion aux vnements dans lesquels j'ai figur personnellement sans risquer d'tre accus de poser devant le public, que de mettre au jour certains dtails qui sont en ma possession sans manquer la confiance dont plusieurs personnes m'ont honor.

(pageV)Il est tout aussi difficile de soulever le voile qui couvre des vnements rcents sans livrer prmaturment des noms propres la publicit et rveiller des passions peine assoupies, que de parler avec franchise et impartialit de la conduite des hommes, sans indisposer contre moi des personnes qui me lient et la bienveillance qu'elles m'ont tmoigne, et la reconnaissance que je leur ai de m'avoir fourni des renseignements sur lesquels j'ai bas mes jugements. En un mot il n'est pas moins embarrassant de censurer les actes publics sans blesser les sentiments privs, que de dverser la louange sans s'exposer au reproche de partialit ou d'autres plus graves encore.

Je n'ai jamais eu la pense de produire un ouvrage phmre, jet au public dans la seule vue de flatter l'amour-propre des partis ou de servir quelque but politique. Mais je voulais crire une histoire claire, impartiale et complte, digne de survivre aux intrts du jour. Cependant, j'ai t dtourn de ce plan par les considrations que j'ai dj nonces, par la conviction o je suis que les vnements sont trop prs de nous pour l'accomplissement de cette tche, et surtout par d'autres (page VI)difficults dont je vais noncer les plus frappantes.

En Hollande comme en Belgique, les passions politiques sont encore trop fortement excites, les prjugs trop profondment enracins, les opinions trop exaltes, pour qu'il soit possible d'y rencontrer beaucoup d'impartialit. A Bruxelles, par exemple, le roi Guillaume est dpeint comme un tyran fiscal, dont le rgne offre une succession non interrompue d'infractions la loi fondamentale : ses ministres sont regards comme des oppresseurs avides, dont le seul but tait de rduirela Belgique un tat de vasselage, et de monopoliser ses richesses et ses ressources au seul profit dela Hollande. ALa Haye, le roi Lopold est regard comme un usurpateur, son peuple comme des rebelles ingrats, qui, sous de frivoles prtextes, ont repouss le gouvernement paternel des Nassau, et qui auraient allum en Europe une conflagration gnrale, sans la fermet du monarque hollandais et la loyaut toute preuve du peuple nerlandais. Si donc l'historien consulte l'opinion en Hollande, pourra-t-il dmler la vrit travers un torrent d'invectives, lances non pas contre(page VII)la Belgique, mais contre les partisans de ces principes libraux qui se sont si rapidement propags dans tout l'ouest de l'Europe ? Tandis que, d'un autre ct, si l'crivain cherche des renseignements auprs des Belges, il peut tre gar par les dclamations les plus exagres encore contre les Hollandais, et contre tous ceux qui osent mettre en question l'importance de leurs griefs, ou exprimer l'opinionqu'il est une certaine priode de larvolutionbelge, ou certaine priode de temps,o l'lection du prince d'Orange n'aurait t ni impossible ni incompatible avec les intrts, l'honneur et l'indpendance de la nation belge.

L'tat des ngociations est encore d'ailleurs trop peu avanc, et la question trop loin de sa solution, pour qu'il soit possible d'obtenir les documents officiels ncessaires pour l'explication d'une partie des faits, et surtout pour pouvoir esprer de produire un ouvrage historique complet. En supposant mme que l'on parvnt se procurer de tels documents, la publication eu serait prmature, intempestive, et ils ne pourraient tre livrs au public, avec l'assentiment des gouvernements, qu'aprs avoir subi de trop graves mutilations.

(pageVIII) Ces circonstances, et quelques autres d'une nature toute personnelle, m'ont forc de renoncer au projet d'crire une histoire complte. Mais, pour ne pas perdre tout fait le fruit de plusieurs mois de travail et de recherches, je me suis born donner une narration succincte des vnements en gnral. Pntr de la dlicatesse de ma position, je me suis appliqu tre toujours impartial et modr. Cependant, je n'ai pas hsit exprimer librement mon opinion, distribuer la louange et la censure, suivant ma conscience, au risque de choquer l'esprit de parti ou les susceptibilits nationales.

A ceux qui regarderont mon apprciation des hommes et des choses comme inexacte, je rpondrai qu'en la supposant quelquefois errone, elle dcoule toujours de ma conviction. Je ferai seulement observer, ceux qui seraient mcontents de mes critiques, que je dsavoue formellement toute intention de personnalit, et que je borne mes remarques aux faits qui peuvent tre considrs comme appartenant dsormais au public et exclusivement tombs dans le domaine de l'histoire. Sans doute, il est des personnes que mes jugements (page IX) offenseront ; il en est peut-tre que mes loges ne satisferont pas. A cet gard, je ne puis que me soumettre au sort qui attend tous les crivains contemporains, surtout ceux qui cherchent juger la conduite des hommes dans les commotions politiques.Car,commeCowleyl'observeavec raisondanssesEssais:

In all civil wars, men are so far from stating the quarrel against their country, that they do it against a person or party which they really believe or pretend to be pernicious to it.

Tel parat avoir t l'esprit qui a prsid la composition de la plupart des pamphlets et ouvrages publis par tous les partis, au sujet de larvolutionbelge. Car, except les productions estimables de MM. Nothomb, le comte deHoogendorpet le baron deKeverberg, celles attribues M. Van de Weyer, et une ou deux autres de moindre importance, ce qui a t crit sur ce sujet n'est qu'un tissu de personnalits, de diatribes mensongres, diriges contre les hommes et non contre les actes ; tendant induire le public en erreur plutt qu'l'clairer sur les faits ; plus propre envenimer les haines des personnes et des partis qu' (page X) faire envisager les vnements sainement et sans passion.

CHAPITRE PREMIER

La Belgique. -Son nom et sa nationalit effacs par des conqutes successives. - Son amour pour la libert et l'indpendance. -Sa prosprit sous Marie- Thrse. - Joseph II essaie de propager des principes de tolrance, et d'introduire la rforme dans l'glise et dans l'tat. -Mcontentement du clerg et des laques. -Rvolte excite par le Mmoire deVandernoot. -Les Autrichiens chasss de la Belgique. -Proclamation de l'indpendance du Brabant. -Dchance de Joseph II. -Samort. - Avnement de Lopold. -Dfaite des Belges. -Convention de La Haye. - Restauration de la domination autrichienne. -Mort de Lopold. -Avnement de Franois Ier. -Guerre gnrale. -Les Franais, ayant dfait les troupes allies, entrent en Belgique et en runissent les provinces la rpublique franaise.

(page1)Quoique le nom de la Belgique soit li aux poques les plus intressantes de l'histoire romaine et aux succs les plus glorieux des lgionsimpriales, les nombreuses mutations politiques(page 2) que ce pays a subies et qui lui ont fait si souvent changer de matre, son tat de vasselage pendant huit sicles, des le temps de Csar jusqu' la dernirervolution,non seulement lui ravirent son indpendance comme nation, mais lui enlevrent jusqu' son nom, qu'on retrouve pourtant dans la plus haute antiquit et qui se perd mme dans la nuit des temps. C'est ainsi que, depuis l'poque o elle passa sous la domination de la maison d'Autriche jusqu' celle o elle fut conquise par la rpublique franaise, et mme tant que dura sa runion la Hollande, les puissances qui la possdrent successivement parurent avoir eu pour but constant, avoir pris tche, de faire disparatre les derniers vestiges de sa nationalit et de dtruire jusqu'au souvenir de son nom. En effet, quand on compulse les divers traits conclus sous le rgime autrichien ou espagnol, mme ceux qui portaient le titre deJoyeuse Entre(LaJoyeuse Entreconsistait en une collection de 59 articles, quelques-uns datant du commencement du 13me sicle, et garantissant certains privilges qu' leur inauguration les monarques autrichiens juraient de maintenir. Ces articles furent renouvels par Marie-Thrse, aux tats du Brabant et du Limbourg, et sanctionnes, le 20 avril 1744, par le serment que prta le ducCharlesde Lorraine, alors gouverneur des Pays-Bas), on la retrouve continuellement dsigne par le nom de Pays-Bas espagnols ou autrichiens.

(page3)Runie la France, elle forme une partie intgrante de l'empire franais ; unie la Hollande, elle se trouve confondue avec les anciens Pays-Bas, et dsigne, soit dans la loi fondamentale, soit dans les divers actes publics, sous la dnomination deProvinces Mridionales.Ses matres successifs semblent donc s'tre fait une tude, non seulement d'affaiblir cette unit d'esprit, cette homognit de caractre, qui sont les germes du patriotisme, mais encore de dtruire l'attachement des citoyens au sol natal, sentiment si puissant, que fait natre et qu'entretient le nom de la patrie.

Ce systme fut port l'extrme par le gouvernement hollandais, qui alla jusqu' vouloir imposer une nouvelle langue la Belgique, et forcer la majorit de ses habitants abandonner l'antique idiome de leur pays pour adopter le dialecte d'une minorit laquelle on les avait forcment lis, mais qui ne leur inspira jamais aucune sympathie. Car, malgr les efforts des diffrents matres de la Belgique, jamais l'Espagne ne put rendre les Belges Espagnols, ni l'Autriche les convertir en Autrichiens, pas plus que la France ne put en faire des Franais oula Hollandedes Hollandais (Nothomb. Essai historique et politique sur larvolution belge : Bruxelles, 1833). L'histoire les montre sans cesse (page 4)en rvolte ouverte contre l'Espagne, plus loin soulevs contre l'Autriche, plus tard joyeux de ne plus sentir peser sur eux le sceptre de fer de Napolon, et secouant enfin par eux-mmes le joug de la Hollande. II est certain que, depuis leur passage sous la domination de la maison de Lorraine jusqu' leur runion la Hollande, chaque changement qui survint dans leur situation politique ne fit qu'augmenter leur antipathie pour toute domination trangre.

Il rsulta de ce long oubli du nom belge qu'ils furent la longue confondus avec leurs oppresseurs ; que mme, dans ces derniers temps, leur origine et leur histoire semblrent tout fait oublies ; au point que, quand larvolutionclata, on demandait srieusement ce que c'tait que les Belges ; quels taient leurs titres non seulement la nationalit et l'indpendance mais mme une dnomination particulire comme nation. On prtendait qu'ils n'avaient jamais form une puissance indpendante ; que ds lors leurs prtentions une existence politique ne reposaient sur rien. On voulait les empcher de recouvrer l'individualit dont avaient joui leurs anctres, et qui ne leur avait t arrache que par la science militaire et la discipline des cohortes romaines. On argumentait du dmembrement de ces provinces sous les rois de France et de Lorraine, sous les ducs de Bourgogne et de Brabant, les comtes de (page 5) Flandre, de Namur, de Louvain ; on argumentait, dis-je, de leur asservissement l'Autriche et l'Espagne, de leur incorporation l'empire franais et ensuite la Hollande, pour prtendre qu'ils avaient perdu toute espce de titres une existence indpendante, dont la force des choses aussi bien que la position mditerrane que leur pays occupe sur la carte de l'Europe empchaient jamais le rtablissement ou le maintien. Les annales dela Belgiqueprsentaient donc cette trange particularit que les premires notions historiques que l'on aurait eues sur ce peuple ne dateraient que de sa dchance comme nation, et que ce serait de ses conqurants qu'il aurait reu une existence politique (Schiller).

L'ancienne Belgique, selon Csar, tait compose de 24 nations puissantes et guerrires, occupant toute la contre situe entre la mer du Nord,la Seineet la Marne, et formant le tiers des Gaules (Csar, de BelloGallico. Lib. I). Sa surface tait couverte de vastes et paisses forts, dont les forts de Soignes, des Ardennes, et diffrentes parties boises de la Flandre, ne sont que les derniers vestiges. Les populations composant ces diffrentes tribus ou nations taient, en gnral, originaires des provinces transrhnanes, et provenaient des restes de ces hordes (page 6)qui firent, diffrentes poques, irruption sur l'occident de l'Europe, o elles transportrent leurs langues, leurs constitutions et leurs coutumes (Tacite, deMoribusGermanorum. Lib. IV). Elles taient remarquables, selon les anciens historiens, par les qualits qui caractrisent la race teutonique ; chastes, hospitalires, vaillantes ; aussi se distinguaient-elles par leur courage, comme le prouve l'loge suivant qu'en fait Csar :

Horumomnium(les Gaulois)fortissimisuntBelgae.

La cavalerie batave est aussi cite par Tacite comme remarquable par son courage ; elle forma, pendant plusieurs annes, la garde des empereurs romains.

Lucain et tous les auteurs parlent honorablement des succs militaires des troupes belges en Grce, en Egypte, en Espagne, en Italie. Selon Florus, la victoire remporte par Csar, Pharsale, doit tre en grande partie attribue la conduite distingue de six cohortes belges. Cette rputation de courage personnel fut, dans la suite, honorablement soutenue par les gardes wallonnes au service de l'Espagne, par la magnifique cavalerie connue, pendant le proconsulat du duc d'Albe, sous le nom deMilice d'Ordonnance,par les Flamands la solde des tats d'Italie, par les (page 7) conscrits belges des armes de l'empire, lesquels rivalisrent constamment de courage avec les soldats franais.

D'un autre ct, on lit dans les mmes auteurs qu'ils taient enclins aux vices qu'on retrouve encore chez leurs descendants : sujets l'abus des liqueurs fortes, joueurs, turbulents, difficiles gouverner. Leur histoire prsente une srie continuelle de dissensions intestines, de rvoltes, principalement dans les Flandres, qui semblent justifier ce dernier reproche.

Toutefois, avant de hasarder contre une nation une aussi grave accusation, il est ncessaire de bien se pntrer de sa position vis--vis de ses matres et de la conduite de chacun d'eux son gard. Or, cet examen justifie en quelque sorte cette tendance continuelle la rvolte que l'on reproche aux Belges. Ils furent le premier peuple qui chercha secouer le joug et briser les fers du vasselage et de la dgradation fodale o le tenaient ses oppresseurs. Ils levrent la bannire de la libert contre les exactions infmes de l'oppression espagnole et de l'inquisition ; les premiers, ils levrent l'tendard de la rvolte pour reconqurir cette libert qui avait pris racine sur leur sol avant leur soumission au joug du peuple romain.

L'histoire des Pays-Bas comprenant celle des provinces belges a t assez souvent et assez bien(page 8) crite pour qu'il soit inutile de retracer cette priode de leur asservissement l'tranger. En consquence, nous prendrons pour point de dpart le rgne de Joseph II, sous le gouvernement duquel les efforts des Belges pour recouvrer leur indpendance et leur nationalit prirent pour la premire fois le caractre d'unervolution.

Le 28 octobre 1740, l'empereurCharlesVI, dernier hritier mle de la maison d'Autriche, mourut Vienne, laissant la couronne l'archiduchesse Marie-Thrse, sa fille ane, qui monta sur le trne en vertu de la fameuse Pragmatique Sanction de 1713 (La Pragmatique-Sanction tait la clbre convention promulgue parCharlesVI, Vienne, le 19 avril 1713. Par cette convention, il fut stipul qu' dfaut de descendants mles, la succession de la maison d'Autriche pouvait tre recueillie par les femmes et leurs descendants, selon l'ordre de primogniture. Cette convention fut ratifie et garantie par les diffrentes puissances de l'Europe.(Mmoires historiques et politiques des Pays-Bas.))Mais l'lecteur de Bavire ayant ralli ses vuesla Prusseet la France, rclama le diadme imprial, en sa qualit de plus proche hritier mle, et fut lu empereur, en 1742, sous le nom deCharlesVII. A peine la jeune impratrice avait-elle pris les rnes du gouvernement qu'elle fut assaillie par une multitude d'ennemis, qui, sous le prtexte de soutenir les droits de l'lecteur de Bavire, attaqurent sur (page 9)tous les points les possessions autrichiennes. Ce prince, chass de ses tats hrditaires, n'tait plus empereur que de nom, lorsqu'en 17-5 il succomba sous le poids des chagrins causs par ses revers. Aprs sa mort, son fils Maximilien renona toute prtention la succession impriale, et Marie-Thrse mit le sceptre aux mains de son mari, qui fut lu empereur sous le nom de Franois Ier.

Charlesde Lorraine, ayant pous l'archiduchesse Marianne, partagea avec elle le gouvernement des provinces belges, o ils furent inaugurs en 1744. La guerre qui clata bientt appela le ducCharlesau commandement des troupes impriales, en Allemagne. Les hostilits commencrent en mai, et les Franais tant entrs dans les Flandres avec un corps de prs de 100,000 hommes, en peu de temps, Menin, Ypres, Furnes, et les autres forteresses qui formaient la barrire contre la France, tombrent aux mains de Louis XV, tandis que les armes allies, composes d'Anglais, de Hollandais et d'Autrichiens, commandes par le marchalLa Feuillade, le duc d'Aremberget le comte de Nassau, battirent en retraite sur tous les points et prirent position entre Gand et Audenarde.

Les Franais virent bientt le cours de leurs succs arrt par les manuvres savantes du duc de Lorraine, qui, s'avanant rapidement sur le Rhin,(page 10) traversa ce fleuve, pntra en Alsace et obligea ainsi le marchal de Saxe retirer des Pays-Bas la plus grande partie de ses forces. L'anne des allis, renforce de 20 mille hommes, prit l'offensive, pntra dansla Flandrefranaise et menaa Lille ; mais le manque d'union et les fautes de tactique que commirent les gnraux allis rduisirent ces mouvements de simples dmonstrations.

La campagne de 1745 et celle de l'anne suivante furent peu favorables aux armes impriales. La dernire fut mmorable par la bataille de Fontenoy, dont les consquences amenrent l'occupation par les Franais de toutes les Flandres, et de la plus grande partie du Hainaut et du Brabant, y compris Bruxelles. Louis XV, qui avait le commandement nominal de l'arme, poursuivit ses succs jusqu'aux portes d'Anvers, et prit en trs peu de temps cette ville ainsi que la citadelle. Enfin, aprs deux campagnes successives, aussi avantageuses pour la France que glorieuses pour le marchal de Saxe, la paix fut signe Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748, entre les huit puissances belligrantes, et mit un terme cette guerre fameuse, qui, pendant sept ans, dsola la plus grande partie du continent europen.

Les principales dispositions du trait de Westphalie furent remises en vigueur, ainsi que tous les autres traits importants conclus depuis 1748. Les provinces belges retournrent l'empire, (page 11)mais sans qu'il y et d'amlioration dans leur sort, et sans qu'ilft apport aucune modification aux conditions onreusesauxquelles elles taient soumises vis--vis de la Hollande.

En mme temps, les puissances contractantes garantirent la Pragmatique-Sanction, et reconnurent ainsi formellement les droits immuables de Marie-Thrse. Ds cette poque, jusqu' la mort de cette princesse en 1780,la Belgiquejouit d'une parfaite tranquillit ; l'agriculture renat et prospre ; le commerce se ranime quoiqu'entrav par les traits de Munster et celui des Limites ; l'industrie est protge, les arts et les sciences encourags ; les ressources du pays et l'esprit d'conomie de ses habitants viennent complter ce tableau d'une prosprit relle. Enfin, pour adopter le langage d'un historien, la condition des Belges, cette poque, peut trersumeen ce peu de mots : Ils furent heureux et contents.

Mais cette flicit fut trouble peu de temps aprs l'avnement de Joseph II, qui, cependant, signala le commencement de son rgne par les efforts qu'il fit pour obtenir dela Hollandela suppression des barrires dans toutes les villes qui y taient soumises, et l'ouverture de l'Escaut. Ce prince, qui avait fait une tude approfondie des thories gouvernementales, tait depuis longtemps convaincu que les abus et les obstacles qui s'opposaient cette unit, cette vigueur d'action si essentielles pour le bien-tre d'un Etat et(page 12) la bonne excution des lois, prenaient leur source dans l'intolrance du clerg, dans l'absence d'unit, dans le dfaut d'ensemble des rouages administratifs, dans la multiplicit des monastres et des jours fris, dans le dfaut d'homognit que prsentait la lgislation des diffrentes provinces, et enfin dans les privilges dont jouissaient les diverses localits.

La constitution deCharles-Quint, rvise par Philippe d'Anjou, fut encore amende par l'empereurCharlesVI ; mais les modifications introduites par ce dernier tendaient un retour vers l'ancienne constitution, sauf quelques changements que les progrs de la civilisation avaient rendus ncessaires. Cette constitution, religieusement observe durant le rgne de Marie-Thrse, tait depuis longtemps considre par Joseph II comme extrmement dfectueuse, et quoique, en la jurantla Joyeuse Entre,lors de son avnement au trne, il se ft engag maintenir les anciennes formes d'administration, il songeait secrtement introduire dans l'tat diverses rformes, et tablir sur des bases uniformes l'conomie intrieure du gouvernement.

Les principes qui dirigeaient Joseph taient sans aucun doute philosophiques ; mais il se trompa en faisant une guerre ouverte aux abus existants, abus trop enracins par l'habitude, et dont la destruction ne pouvait tre opre que graduellement, (page 13) et non violemment par l'effet d'une volont despotique. Tolrant lui-mme, il voulait propager la tolrance parmi ses peuples ; convaincu des abus qui rsultaient du trop grand nombre de couvents et de jours fris, il voulut supprimer les uns et diminuer les autres, spcialement les ftes paroissiales nommes kermesses ou ddicaces. En effet, ces ftes, qui se prolongeaient pendant plusieurs jours, offraient un aliment la paresse, l'ivrognerie et la dbauche, et enlevant aux classes laborieuses le temps qu'elles auraient d donner au travail, les privaient ainsi d'une grande partie de leurs moyens d'existence.

Plusieurs dits ayant ces rformes pour objet furent successivement publis, et causrent un mcontentement universel, spcialement dans le clerg catholique.

L'archiduchesse Marie-Christine et le duc Albert, investis du gouvernement gnral, adressrent alors l'universit de Louvain un rescrit ordonnant l'admission des protestants aux fonctions civiles, et dclarant que, quoique l'empereur ft fermement dcid maintenir et protger la religion catholique, S.M., nanmoins, trouvait qu'il tait de la charit chrtienne de se montrer tolrants envers les protestants, envers des hommes auxquels on ne pouvait ter le nom et les avantages du titre de citoyens quelle que ft leur(page 14) croyance religieuse. On leur fit cette singulire rponse : La tolrance est une source de dissensions, de haines et d'interminables dsordres,parce que la religion catholique considre tous les hrtiques sans distinction comme des victimes dvoues la perdition ternelle.Tels sont les principes que la religion catholique grave dans le cur de ses enfants ; c'est l un dogme essentiel, un article invariable de leur foi. (Dewez. Histoire gnrale de la Belgique).

Cette rforme et d'autres que l'on avait projetes furent tablies par deux dits manes de Vienne, en 1787. Il faut que ces actes aient t d'un intrt vital pourla Belgique, puisqu'ils causrent un mcontentement gnral, dont l'explosion se manifesta par une rvolte ouverte, et qui, aprs avoir parcouru toutes les phases d'unervolution,amena la chute de la dynastie autrichienne. Cependant, aprs quelques mois d'une rbellion inutile, souille par les plus violents et les plus honteux excs, cette insurrection se termina par la soumission des insurgs et la restauration de la maison d'Autriche.

Les principales innovations qui servirent de prtexte l'insurrection taient celles-ci :

1. L'abolition des trois conseils collatraux ; leur formation en un conseil d'tat, prsid par le premier ministre (Ces conseils collatraux, tablis parCharles-Quint, furent ainsi dsigns parce que les conseillers taientadlatusprincipis).

(page15) 2. La rpartitiondesprovinces en 9 cercles, gouverns chacun par un intendant, et diviss en districts ayant des commissaires chargs de l'administration civile et politique ;

3. L'abolition de tous les tribunaux infrieurs, seigneuriaux et ecclsiastiques, l'tablissement de cours de justice ou d'assises dans chaque province, avec une cour d'appel centrale Bruxelles ;

4. L'abolition de la torture, la soumission des ecclsiastiques sculiers et rguliers la justice ordinaire ;

5. La suppression de quelques couvents ; la fondation d'un sminaire gnral, destin spcialement l'ducation du clerg.

Ces propositions taient de nature satisfaire un peuple clair, un clerg moins jaloux d'une influence sans bornes. Cependant, elles eurent un tout autre rsultat que celui qu'on avait droit d'attendre de la raison publique et que le souverain avait espr.

Le clbreVandernootapparut alors sur l'horizon politique, et se fit remarquer par la publication d'un Mmoire o il se dclarait le dfenseur des droits et des privilges du peuple belge, et dnonaitcomme tratres au paysles intendants et tous ceux qui acceptaient une charge dans leur (page 16)administration. Ce Mmoire fameux, approuv par les Etats, produisit une sensation extraordinaire dans tout le pays, et donna lieu probablement aux mouvements sditieux qui eurent lieu Namur et dans d'autres villes.

Le gouvernement, marchant avec hsitation dans la mise en pratique de son systme, manquant de force et d'nergie, chercha temporiser, et, en suspendant l'excution de quelques-unes des rformes, il espra obtenir l'admission des autres. Mais son attente fut trompe ; car, les mcontents, forts des concessions qu'ils avaient dj obtenues, exigrent le rapport de tous les dits impriaux, le rtablissement de l'ancienne forme d'administration, enfin la stricte excution de la constitution de 1531 et dela Joyeuse Entre.

La gouvernante gnrale, trouvant toutes les remontrances vaines, jugea plus prudent de se soumettre pour conjurer l'orage. En consquence, elle consentit au rtablissement de l'ancienne constitution, et renvoya des conseils toutes les personnes opposes cette mesure ou mme seulement suspectes par le peuple. Cette rsolution fut publie Bruxelles le 31 mai 1787, et fut accueillie avec les plus extravagantes manifestations de la joie publique. Mais les germes de dsaffection avaient dj port leurs fruits, et ils ne purent tre touffs mme par ce triomphe populaire. Des runions secrtes eurent lieu ; il se forma des (page17) associations ; la cocarde nationale fut de nouveau ouvertement porte, et des enrls volontaires promenrent dans les rues des bannires sur lesquelles taient inscrites les devises les plus incendiaires. Les noms de royaliste ou d'intendant, adopts pour indiquer les personnes attaches l'empereur, devinrent des motifs de proscription. Les malheureux ainsi dsigns taient en butte aux insultes de la populace et dsigns aux pillards et aux assassins. Il devenait donc vident que, tout en professant ouvertement un inviolable attachement l'empereur, les tats, le clerg et les autorits dsiraient intrieurement secouer le joug de l'Autriche. La fermentation gnrale venait moins des infractions de l'empereur la constitution que des rapports malveillants et exagrs rpandus dans le public par les trois corps que nous venons de nommer.

Dans tous les pays, la majeure partie des citoyens, surtout des classes infrieures, est indiffrente la forme du gouvernement qui les rgit. En effet, ils ne peuvent comprendre ses actes dont ils ignorent le motif et le but. Ils ne jugent le gouvernement que d'aprs le plus ou moins de libert individuelle dont ils jouissent, ou d'aprs la quotit des impts qui psent sur les objets de premire ncessit. Telle tait la position de la Belgique, o le peuple, naturellement insouciant et ami du repos, demande pour se(page 18) soulever des causes de mcontentement plus qu'ordinaires. Les chefs rvolutionnaires furent donc obligs d'avoir recours aux insinuations les plus mensongres pour stimuler les masses et entraner l'esprit public. Ainsi, l'empereur fut reprsent comme un tyran qui avait l'intention d'tablir la conscription militaire, de charger d'une taxe de 40 p.c. les produits du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, d'abolir les tribunaux ordinaires pour leur substituer la juridiction despotique des intendants et d'introduire dans l'Eglise des doctrines htrodoxes, afin de saper les fondements de la vraie foi. Enfin, on affirmait qu'une arme de 80 mille Autrichiens tait prte entrer dans le pays pour soutenir ces odieuses mesures.

Ces sinistres rapports, prpars avec art par les laques, furent rpandus par le clerg qui ne se fit pas scrupule d'accuser Joseph II d'hrsie aussi bien que de despotisme. Et telle fut l'adresse des intrigants, qu' la fin l'glise et la religion se confondirent dans l'esprit des hommes avec la libert et la constitution, et que tout essai pour rformer celles-ci fut considr comme une attaque sacrilge contre les premires.

Une dpche, adresse par l'empereur au prince deKaunitz, qui avait remplac Marie-Christine et le duc Albert dans le gouvernement, donna la dernire impulsion la rbellion. Ce document(page 19) rappelait les concessions dj faites au peuple et prescrivait la prompte excution des dits. Une rvolte srieuse en fut le rsultat immdiat, et le 22 janvier 1788, le comte d'Alton, qui avait t nomm gnral en chef, ayant trouv ncessaire de faire avancer les troupes, les soldats furent insults et maltraits par la populace, et obligs de repousser la force par la force ; le sang des citoyens coula alors pour la premire fois.

Vandernoot, qui tait l'un des principaux moteurs de tous ces vnements, et qui jouissait d'une immense popularit, fut dcrt d'arrestation. Mais il s'enfuit en Angleterre, o on le bera de promesses de secours. De l il passa en Hollande avec le titred'agent plnipotentiaire du peuple brabanon ;il y fut accueilli par la princesse d'Orange, qui le bera des mmes promesses. DeLa HayeVandernootalla Berlin, et obtint, la recommandation de la princesse d'Orange, une audience du premier ministre, lequel exprima sur le compte deVandernootune opinion encore applicable, l'heure qu'il est, plusieurs des personnes qui ont jou un rle marquant dans la dernirervolution.Vandernoot, dit le ministre, est un homme videmment plutt pouss par un esprit de vengeance que par l'amour du bien. Son principal mobile est l'ambition et non le patriotisme ; et il est beaucoup plus vers dans l'tude des lois que dans les mystres de la politique.

(page20)Pendant ce temps, les collgues deVandernoot,Vonck,Vaneupenet autres, seconds par les abbs deTongerloo, St.-Bernard, et les principaux du clerg, tablirent une socit secrte sous le nom dePro Aris etFocis.Leur but tait de fonder un comit rvolutionnaire rgulier, dont une section devait se rendre en Hollande, et y organiser une arme compose d'migrs et de volontaires. Cette arme, dont le colonelVandermerschfut nomm commandant, s'assembla la frontire dans les premiers jours d'octobre 1789, et commena ses oprations le 24 du mme mois, jour devenu mmorable par la publication du clbre manifeste qui dclarait Joseph II dchu de la souverainet du Brabant. L'arme des patriotes avait un effectif seulement de 2,500 hommes ; elle avait 6 pices de canon. Divise en deux colonnes, commandes l'une parVandermerschet l'autre par le colonelLorangeois, elle entra en Belgique parGroot,ZindertetHoogstraaten, et telle tait la faiblesse du gouvernement et des garnisons autrichiennes, si grands taient le manque d'nergie des commandants militaires et le dcouragement des troupes, qu'en moins de deux mois, Gand, Bruges, Ostende et Anvers ouvrirent les portes aux patriotes ; les autorits et les troupes impriales furent chasses de Bruxelles, et l'indpendance du Brabant fut proclame.

Cet exemple fut suivi par les Flandres, le (page 21) Hainaut,la Gueldreet le Limbourg. Le 7 janvier 1790, les dputs des tats de ces provinces s'assemblrent Bruxelles, et signrent un trait fdral consistant en 12 articles, et dclarant : 1 la formation d'une confdration sous le nom deProvinces Belges Unies ;2 l'tablissement d'un congrs national fdral, ayant le pouvoir de nommer les ministres, de faire la paix ou la guerre, de battre monnaie, enfin runissant tous les pouvoirs d'un gouvernement constitutionnel. Chaque province conservait son administration locale, ses droits, ses privilges et son indpendance, dans toutes les matires qui n'avaient pas un caractre d'intrt gnral.

Mais il fut bientt vident que cette organisation n'tait qu'une utopie. Les jalousies, les dissentiments clatrent entre les provinces et leurs chefs rvolutionnaires. L'ignorance politique et l'inexprience des ministres du gouvernement n'taient gals que par la maladresse de ses gnraux. Les principes dmocratiques avous par les uns, renis par les autres, et le dfaut d'unit dans les diffrentes branches de l'administration, paralysaient sa marche, et neutralisaient les succs que les patriotes obtenaient dans les combats. L'anarchie rgnait dans le pays ; la mfiance et la confusion se rpandaient dans chaque province ; les principales villes taient le thtre d'affreux dsordres, sans que les autorits eussent le pouvoir(page 22) ou mme la volont de les rprimer. Tel tait l'tat des choses la mort de Joseph II, le 20 fvrier 1790.

L'avnement de Lopold II fut suivi de tentatives infructueuses de conciliation de la part du cabinet de Vienne. Mais les succs obtenus par les troupes autrichiennes sur le gnral belgeSchoenfeld, le dfaut d'unit entreVandernoot,VaneupenetVonck, la retraite du duc d'Ursel, du duc d'Aremberg, du comte deLamark, et autres gentilshommes distingus attachs la cause des patriotes, ainsi que la mdiation de l'Angleterre, dela Hollandeet dela Prusse, amenrent enfin les Etats admettre des termes d'accommodement. La ngociation marcha d'abord lentement ; mais les trois puissances mdiatrices ayant adress au gouvernement rvolutionnaire une note accompagnant un manifeste imprial, et le marchal Binder ayant soumis Louvain, Bruxelles, Malines et Anvers, les tats envoyrent des dputs La Haye, et le 1erdcembre, il fut sign une convention par laquelle les Belges obtinrent la restauration de leur constitution et dela Joyeuse Entre,et se soumirent la domination de la maison d'Autriche.

Ainsi se termina unervolutionqu'on peut dire avoir manqu de tout ce qui peut ennoblir un mouvement populaire. Car il est incontestable qu'on ne peut l'attribuer la violation (page 23)de la constitution ni l'oppression exerce par le gouvernement, mais bien l'ambition intresse de quelques pseudo-patriotes, et l'intolrance d'un clerg jaloux. Son principal objet ne fut pas d'assurer l'indpendance nationale, le redressement des griefs et l'extension de la libert aux classes infrieures, mais de faire maintenir une foule de lois d'exception, de privilges traditionnels, d'abus tablis au profit du clerg, fruits barbares du moyen-ge.

Sous le prtexte de s'tre levsproarisetfocis,les insurgs s'taient opposs tous les principes libraux, qui sont devenus maintenant une portion ncessaire et inhrente de l'existence des socits. Le spectacle que ces vnements prsentrent fut une anomalie remarquable. D'un ct, un empereur philosophe quoiqu'absolu, tchant de propager la tolrance, d'introduire des rformes, de redresser la marche du gouvernement, de simplifier l'action de la justice, de donnera l'tat cette union qui fait la force. De l'autre ct, un peuple conduit par quelques hommes, et rpandant son sang pour faire maintenir, au profit des classes privilgies, des abus aujourd'hui repousss et fltris par ses descendants plus clairs. On peut affirmer que si on tentait de nos jours de ramenerla Belgique l'tat o elle se trouvait sous Marie-Thrse, le pays tout entier, et mme les prtres, prendraient les armes pour s'y opposer.

(page24) On peut tirer de ces discordes cette consquence que la runion la France, qui eut lieu ensuite, fut antinationale. Car comment admettre que les mmes hommes, qui se soulevrent en 1790 pour le rtablissement des privilges du clerg, aient pu, trois ans aprs, dsirer un ordre de choses qui devait dtruire ce qu'ils avaient t si jaloux de maintenir ! Si, comme on l'admet gnralement, larvolutionbrabanonne avait eu un caractre exclusivement religieux, peut-on dire que la runion la rpublique franaise tait conforme aux vux du peuple ? Non sans doute ; l'incorporation la France fut, aussi bien que la runion la Hollande, l'uvre de la violence.

On a cherch assimiler larvolutionde 1789 celle de 1830, en les attribuant l'une et l'autre au fanatisme religieux. Sans aucun doute la religion, ou plutt le catholicisme eut une grande part dans l'une et dans l'autre. Mais le but et le mode d'action furent nanmoins essentiellement diffrents. En 1789, le clerg, sans gard pour les liberts populaires, poussa le peuple la rvolte afin d'assurer le maintien de ses privilges, tandis que, dans larvolutionde 1830 les prtres figurent comme les principaux soutiens des ides librales, et ne paraissent pas s'tre occups le moins du monde de leurs propres intrts.

(page25) Joseph II trouva que la religion avait si compltement envahi l'tat qu'il tait plus que temps d'arrter les empitements des ministres du culte. En cela il avait raison ; car, except dans les pays mahomtans, l'tat n'est pas dans la religion, mais la religion dans l'tat. Il convenait donc qu'il mt un terme ces envahissements. Il a pu se tromper dans les moyens qu'il a employs, mais il tait dans son droit en principe. On accusait l'empereur de pousser les principes philosophiques jusqu' une htrodoxie extrme ; mais qui lui adressa ce reproche avec le plus de violence ? Ce furent les ministres d'une glise qui dclare que la tolrance est contraire ses doctrines ; des ministres qui ne peuventsupporteraucune concurrence, et qui rclament pour eux un monopole qu'ils blment cependant chez les autres.

Les malheurs qui rsultrent des innovations tentes par Joseph II provinrent de ce que ce prince clair et philosophe arriva trop tt d'un demi-sicle. Si son rgne et suivi celui de Napolon au lieu de le prcder, il est probable que l'Autriche serait maintenant classe au nombre des monarchies constitutionnelles.

Dans larvolutionde 1830, le rle des deux partis se trouva en quelque sorte interverti. Car les empitements venaient tous du pouvoir. La philosophie du gouvernement tait pluttGomairienneque Voltairienne ; elle tendait au proslytisme (page 26)plutt qu' la tolrance, aux mesures restrictives plutt qu' l'mancipation. Ses actes taient d'autant plus impolitiques qu'ils manaient d'un pouvoir professant une religion qui n'tait pas celle de la majorit. Si donc les Belges de 1830 n'avaient pas eu de meilleures raisons pour se soulever que ceux de 1789, ils auraient t en butte la dsapprobation gnrale, et les prventions que l'on a souleves contre leur cause n'auraient pas t dnues de fondement.

Indpendamment d'une amnistie gnrale, du rtablissement des trois conseils collatraux et de l'ancien systme d'administration provinciale et judiciaire, les premiers actes de Lopold furent la rvocation de tous les dits de son prdcesseur qui supprimaient les immunits de l'glise. Mais le feu de la sdition et la dsaffection, joints sans doute un sentiment inn de nationalit et d'indpendance, subsistrent sous les dehors de la soumission. Ces germes de dsunion se manifestrent, pendant le peu de temps que rgna Lopold, par des remontrances et des mouvements populaires, qui souvent mirent le gouvernement dans la ncessit de recourir d'nergiques mesures de rpression. Mais l'orage terrible qui grondait sur toute l'Europe clata bientt, et fondit l'improviste sur cet empereur et sur le peuple belge.

A l'empereur Lopold, mort le 1ermai 1792, (page 27)succda son fils Franois II, alors dans sa 29eanne ; peine eut-il pris les rnes du gouvernement que la guerre clata avec la France.

Le fameux dcret de l'assemble nationale, du 20 avril, fut immdiatement suivi du commencement des hostilits. Les troupes franaises dbouchent sur deux colonnes, par Lille et Valenciennes : l'une, commande par Luckner, pntre dans les Flandres ; l'autre entre dans le Hainaut, sous le commandement de Dumouriez ; et, aprs la victoire de Jemmapes, ce dernier s'avance sur Lige, le 28 du mme mois ; tandis qu'un dtachement, sous les ordres de Miranda, traverse rapidement Bruxelles et Malines, il investit la citadelle d'Anvers, qui capitule aprs quelques heures de tranche ouverte. En mme temps, Namur ouvrait ses portes au gnral Valence ; ainsi, dans l'espace de quelques jours, les Flandres, le Brabant, le Hainaut, les provinces de Namur et le pays de Lige furent soumis aux armes franaises.

Les troupes autrichiennes se furent peine retires, que l'animosit du peuple contre cette nation se manifesta ouvertement ; des assembles furent convoques dans les principales villes, et des dputations furent envoyes la convention, pour dclarer que les Belges avaient renonc toute alliance avec l'Autriche, et supplier la rpublique de ne traiter avec aucune des puissances de l'Europe, jusqu' ce qu'elles eussent (page 28)reconnu l'indpendance de la Belgique ; or, ce n'tait pas son indpendance, mais sa conqute et sa runion la France, que dsirait la politique franaise. Toutefois, les dputs furent accueillis avec des assurances fallacieuses de fraternit et de protection, au moment mme o la convention rendait le fameux dcret du 18 dcembre, qui dclarait la rpublique franaisecoactiveetcoercitive.Ce clbre document ne fut pas plus tt connu, que la saine portion de la nation belge ouvrit les yeux sur le sort qui la menaait ; de nouveaux dputs furent aussitt renvoys Paris, et furent chargs de faire des remontrances au sujet de l'application des principes de ce dcret leur pays ; mais la convention n'entendait pas se dpartir de ses vues de conqute, et sourde aux rclamations des dputs, elle divisa les provinces belges en arrondissements, dirigs par des commissaires franais auxquels on enjoignit de prparer le peuple la runion la France.

La convention sembla aux yeux du public avoir pris ces mesures sur la demande de quelques clubs tablis dans chaque grande ville sous les auspices d'agents franais ; ces clubs, agissant contre la volont de la grande majorit de la nation, avaient envoy des dputations la convention pour demander la runion. Dans la sance du 3l janvier 1793, Danton, profitant adroitement de la prsence d'une dputation de Lige, s'cria :(page 29) Obissant ma raison et non mon enthousiasme, c'est au nom du peuple belge que je demande la runion la France. Dans le but de captiver l'amour des classes infrieures, on dcrta dans la mme sance que partout o pntreraient les armes franaises, le peuple serait libre de s'assembler et de dcrter la forme de gouvernement qui lui conviendrait. Cette comdie atteignit le but que la convention s'tait propos ; car les habitants des diffrentes villes s'assemblrent, soit dans les glises, soit dans les htels-de-ville, et votrent la runion sous la terreur des bandes de jacobins qui menaaient ouvertement tous ceux qui auraient tent de s'y opposer.

Les procs-verbaux relatant ces rsolutions furent envoys la convention qui dcrta successivement la runion de chaque ville la France, enladclarant conforme aux vux ardents du peuple belge. Or il s'en fallait bien qu'il en ft ainsi ; on peut s'en convaincre en lisant la lettre qu'crivit Dumouriez la convention, le 12 mars 1793, et dans laquelle il dclare hautement que la masse de la nation est oppose l'union, et qu'elle va mme jusqu' vouloir la rompre par les armes. Mais avant que ce projet pt tre accompli, les troupes autrichiennes, commandes par le prince de Cobourg, ayant reu des renforts considrables, reprirent l'offensive, gagnrent la bataille deNerwindeet chassrent les Franais(page 30) de Louvain,Nanur, Anvers, Gand et Mons. Le 23 du mme mois, le comte de Metternich arriva Bruxelles et fut rintgr dans son poste de ministre. Le28, l'archiducCharlesfit son entre solennelle dans cette ville, comme gouverneur-gnral, tandis que les armes franaises, battues sur tous les points, vacuaient le territoire belge qui rentra sous l'autorit de l'Autriche.

Mais tous ces succs furent annihils par les campagnes dsastreuses de 1793 et 1794, o la victoire passa du ct des Franais. Les fautes commises alors par quelques-uns des allis passent tout ce qu'on peut imaginer, et ne peuvent s'expliquer que par une absence totale d'habilet chez quelques commandants militaires et surtout par leur dfaut d'union.

Dans l'espoir d'enflammer le courage de ses troupes et de se concilier les Belges, l'empereur se rendit Bruxelles et prit le commandement en personne ; mais lesarmes allies, commandes par Clairfayt et le duc d'Yorck, ayant prouv des dsastres successifs et perdu la sanglante bataille de Tournay o le prince, qui devait plus tard monter sur le trne sous le nom de Franois II, se distingua et montra un courage toute preuve ; S. M. I. quitta le quartier-gnral et retourna Vienne.

Pleins d'ardeur et d'enthousiasme, les Franais poursuivirent rapidement leurs succs, et (page 31)ayant concentr leurs forces remportrent la fameuse victoire de Fleurus ; ils se rpandirent alors par tout le pays comme un torrent, chassrent les allis des Pays-Bas, et plantrent en peu de jours leur bannire nationale sur toutes les villes de la Belgique.

Ces conqutes amenrent le rtablissement des comits rvolutionnaires dans toutes les villes, sur les bases du club des jacobins de Paris, lesquels, agissant sous l'influence immdiate de la France, se htrent d'mettre solennellement le vu d'tre runis la rpublique. Des commissaires furent en consquence immdiatement envoys Paris, demandant, comme mesures prliminaires, la division des provinces en dpartements, districts et cantons, l'introduction des formes franaises d'administration municipale et judiciaire, et l'tablissement du jury. Ces mesures prparatoires furent suivies en juillet de la dclaration de la libert de l'Escaut, ferm depuis le trait de Munster de 1648, et rouvert en consquence de cette dclaration le 14 fructidor (septembre).

La Belgique reut cette nouvelle organisation gnrale, et fut divise en neuf dpartements assimils, relativement leur administration intrieure, aux dpartements franais.

Ces arrangements conclus, le gouvernement de la rpublique jeta entirement le masque. La(page 32) question d'une runion dfinitive fut formellement pose devant la convention, le 8 vendmiaire (octobre) an IV, et aprs deux jours de discussions, dans lesquelles la runion chaudement combattue par Armand, Lesage et d'autres membres, comme dsavantageuse aux Belges et contraire aux sentiments de la saine partie de la nation, fut soutenue par Carnot et Merlin de Douai, la question fut enfin rsolue affirmativement une grande majorit, et la runion dela Belgique la France dclare par un dcret du 30 septembre 1793.

Ds ce moment jusqu'au commencement de 1814,la Belgiquea continu de former une partie intgrante de l'empire franais. La maison d'Autriche perdit ds lors irrvocablement ce brillant fleuron de sa couronne, pour la conservation duquel elle avait pendant plus de huit ans dpens tant d'or et tant de sang.

Le peuple belge, qui s'tait rvolt contre le pouvoir paternel d'un prince juste et tolrant, se plongea de lui-mme dans le plus intolrable tat de vasselage, dguis par les dehors d'une apparente libert. Ses institutions religieuses furent dtruites, ses privilges abolis ; ses droits et ses immunits pour lesquels il avait combattu pendant plusieurs sicles furent fouls aux pieds ; son indpendance lui fut ravie, son commerce, son industrie, sacrifis la politique jalouse de ses(page 33) conqurants ; son clerg avili, et ses enfants soumis la conscription, pour aller prir par milliers dans des climats loigns ; la misre dsola ses cits, la famine ses campagnes, et cette capitale nagure si brillante ne fut plus qu'un chef-lieu de dpartement, vit ses palais inoccups et l'herbe crotre dans ses rues dsertes.

Tels furent les fruits de la runion de la Belgique la France, et selon toute probabilit, malgr l'industrie de ce peuple et la richesse surprenante de son sol, tel et t encore son sort, si les projets des runionistes de 1830 n'eussent t djous par les efforts de la majorit plus politique et plus patriote de leurs concitoyens. Ainsi, mme en supposant que la runion et pu se faire sans une guerre gnrale, nous eussions vu l'Angleterre,la Hollandeet toutes les puissances de l'Europe, demander la fermeture de l'Escaut, et le renouvellement du systme des barrires que la confrence de Londres et spcialement le cabinet anglais voulaient prvenir.

CHAPITRE DEUXIEME

La Belgiquereconquise par les allis. -Renonciation de l ' Autriche. -Proposition faite par le prince souverain d'riger un royaume maritime. -Union dela Belgiqueet dela Hollande.-Loi fondamentale. -Vues de la reprsentation nationale. -Conduite impolitique du gouvernement nerlandais.

(page34)Depuis la paix de Campo-Formio jusqu'au printemps de 1814, les dpartements belges restrent enchans aux destines de l'empire franais. A cette poque, la vieille Nerlande avait dj secou le joug de la France, et encore pleine du souvenir qu'un gouvernement oligarchique avait laiss dans les esprits, elle rappela de l'exil les descendants de ses stathouders pour les lever la dignit de princes souverains (Le baron Fagel et Perponcher, dputs en Angleterre pour cet objet, taient dans un tel tat de dnuement que le gouvernement britannique fut oblig d'avancer au prince souverain une somme de100,000 livressterling, sur les fonds extraordinaires de l'arme, pour les mettre en tat de quitter Londres).La Belgique, (page 35)quoique hors d'tal de suivre cet exemple, dsirait ardemment son mancipation, aussi quand les armes dela Sainte-Allianceeurent pass le Rhin, refoulant devant elles les vaillants dbris des armes de Napolon, le peuple belge accueillit avec joie la dissolution d'une union antinationale ; et confiant dans les promesses que les puissances allies lui avaient faites, ainsi qu' toutes les autres nations, par les traits de Reiffenbach (L'article 1erde la convention de Reiffenbach, signe le 14 juin 1813, se termine ainsi : l'objet de la prsente guerre est le rtablissement de l'indpendance des pays opprims par la France ; les hautes puissances contractantes (l'Angleterre etla Prusse) se sont rciproquement engages diriger tous leurs efforts vers cet objet. Le trait de Chaumont du 1er mai 1814 contient les mmes stipulations) et de Chaumont, et qu'elles renouvelaient dans leurs nombreuses proclamations, il tourna les yeux vers l'avenir qui s'ouvrait devant lui, et il conut l'espoir du rtablissement prochain de ses anciens droits et de ses liberts.

Le premier soin des allis, aprs qu'ils eurent conquisla Belgique, fut l'tablissement d'un gouvernement provisoire sous la direction du gnral autrichien Vincent, lequel conserva les formes administratives et judiciaires tablies parla France.

Il n'est pas ncessaire d'observer que si les assurances contenues dans les traits et (page 36) proclamations des allis avaient t prises la lettre,la Belgiqueaurait d tre replace sous la domination de l'Autriche, restauration qui aurait entran celle des anciens privilges, ainsi que les incohrences delaJoyeuse Entreet de la constitution deCharles-Quint.Ce retour vers l'ancien ordre des choses tait incompatible avec les intrts de l'Europe, la paix et le bonheur rel des provinces belges ; mais les destines ultrieures de ce pays et sa runion la Hollandeavaient dj fait le sujet de ngociations secrtes la confrence de Chaumont, o les bases des traits de Londres, de Paris et de Vienne, en ce qui concerne les Pays-Bas, furent discutes et arrtes. Il ne restait plus qu' obtenir l'adhsion du prince souverain.

La renonciation de l'empereur Franois ses droits de souverainet sur les provinces belges fut aisment obtenue et compense par des accroissements de territoire en Italie. Le monarque autrichien dut abandonner sans trop de rpugnance des possessions qui avaient cot ses prdcesseurs tant d'argent et tant de soldats, et qui, en le plaant de nouveau en contact immdiat avec la France, exposaient l'Autriche tre entrane dans de nouvelles guerres, ds qu'une cause quelconque amnerait la dsunion entre elle et la France, et mme seulement entre la France et toute autre puissance europenne. C'est cette(page 37) renonciation de l'empereur d'Autriche qu'il faut attribuer en partie le maintien de la paix en Europe, lors de la conflagration de 1830 ; car sila Belgiquerunie l'Autriche avait t entrane par le mouvement sympathique de la France l'poque de larvolutionde juillet, il est hors de doute que l'Autriche aurait t oblige de prendre les armes pour maintenir son autorit, et ds ce moment la guerre gnrale et t invitable.

Eu l'unissant la Prusse, on donnait une trop grande prpondrance cette puissance, et l'on envenimait la haine dj si grande que se portaient mutuellement les Prussiens et les Franais. La rupture de la paix gnrale qu'aurait amene larvolutionbelge sous la domination autrichienne serait infailliblement arrive sous le rgime prussien, par les mmes raisons auxquelles serait venu se joindre le mcontentement du peuple belge, chez qui s'taient accrdites les ides les plus exagres et les plus mal fondes touchant le despotisme et l'oppression du gouvernement prussien.

Un partage dela Belgiqueentre les puissances limitrophes, et qui aurait donn une partie des Flandres, Anvers et le Limbourg la Hollande; Lige, une partie du Brabant, Namur et le Luxembourg la Prusse; le Hainaut et le reste a la France, tait incompatible avec les promesses faites par les souverains allis, et sous(page 38) tous les rapports en contradiction avec la politique dela Grande-Bretagne; celle-ci, en effet, ne pouvait ou au moins ne devait pas consentir un partage qui aurait amen la France aux portes d'Anvers et jetla Belgiqueet les provinces rhnanes dans les bras de cette puissance. Si un semblable partage tait dangereux alors, il le serait bien davantage encore prsent ; car il est incontestable que la dislocation d'une partie dela Belgiquene manquerait pas d'entraner la perte de la totalit, et servirait bientt raliser les projets de quelques politiques franais qui considrent le Rhin d'un ct et l'Ocan de l'autre comme les limites naturelles dela France.

L'Europe, au surplus, voulait lever une barrire contre les empitements de cette puissance ; et si on avait rattachla Belgique l'Autriche ou tout autre gouvernement dont le sige et t trop loign, la conservation d'un pays dj si faible par sa position gographique et prsent de trop grandes difficults.

Il ne restait donc qu' rigerla Belgiqueen tat indpendant et neutre, sous le sceptre de l'archiducCharlesou de quelque autre prince d'Allemagne, ou qu' l'unir la Hollande. Lepremier de ces plans ayant t trouv impraticable, ce fut le dernier qu'on adopta.

La thorie sur laquelle cette rsolution fut base tait minemment politique et en harmonie avec (page 39)la tranquillit et les intrts de l'Europe ; mais l'excution de cette combinaison tait hrisse de difficults et fconde en dangers pour l'avenir. Aussi ce ne fut pas sans avoir hsit longtemps que le prince qui le trne des Pays-Bas fut offert se dcida accepter cette tche herculenne, comme s'il avait eu le pressentiment de ses malheurs futurs. En rponse aux ouvertures des commissaires envoys pour lui faire part du projet des puissances allies, il prsenta un contre-projet tendant faire dela Hollandeun royaume maritime puissant, au moyen de certains arrangements territoriaux trs avantageux pour les Hollandais, mais tous gards contraires aux intrts des allis.

Cette proposition consistait dans la cession la Hollandede la rive gauche de l'Escaut, y compris Liefkenshoek l'ouest, dela Friseorientale avec les duchs de Brme et d'Oldenbourg, et une partie du Hanovre l'est, et de plus celle de tout le littoral compris entre l'Escaut et l'Elbe ; de sorte quela Hollandeaurait possd les bouches dela Meuse, du Rhin, de l'Ems et du Weser, et tous les grands dbouchs de l'Ocan entre la France et les frontires du Danemarck ; ce qui lui et assur le monopole de tout le commerce de transit de l'Allemagne.

Ce projet ne donna pas lieu un examen srieux ; car les allis, tout en dviant de la promesse qu'ils avaient faite de rtablir toutes les (page 40)nations dans leur condition premire ,n'avaient pas en vue des accroissements de territoire au profit dela Hollande, ni au profit d'une dynastie quelconque.L'rection du royaume des Pays-Bas tait une mesure strictement et essentiellement europenne ; car il fallait une barrire au nord de la France, et cette barrire, on ne l'aurait pas obtenue en donnant une semblable extension aux forces dela Hollandedont on voulait seulement faire unette de pontassez puissante pour rsister au premier choc de l'ambition dela France. C'taitpar ce motif, et ce motif seul, que le cabinet britannique consentit fournir les sommes normes destines la reconstruction des forteresses la frontire (Par une convention signe le 31 aot 1814,la Sudeconsentait rendrela Guadeloupe la France, condition qu'en cas d'union dela Hollandeet dela Belgique, la premire l'indemniserait d'une somme d'un million sterling qui lui serait garanti parla Grande-Bretagne. Parune seconde convention de la mme date, entre l'Angleterre et les Provinces-Unies, la premire rendit Java et toutes les colonies prises sur les Hollandais, except celle du cap de Ceylan et celle de Dcmesara, Essequibo et Berbis. Pour compenser la cession des trois dernires,la Grande-Bretagnes'engageait payer le million d parla Hollandela Sude, et de plus avancer deux millions sterling, destins l'rection de forteresses sur la frontire du royaume des Pays-Bas. La totalit de la somme dpense parla Grande-Bretagnene devait pas excder trois millions sterling. -Parliamentary reports). Le 6me article du trait de Paris du 80 mai 1814, en le prenant la lettre, dit sans aucun doute quela Hollande recevra une augmentation de territoire. Il est vident qu'ici il y a un vice dans les expressions du trait ; il n'a jamais pu entrer dans les intentions des allis de transfrer la (page 41) Belgique la Hollande, commeune simple addition.Toute la teneur du trait de Londres etl'acte d'acceptationprouvent suffisamment que l'intention des allis tait d'unir et d'amalgamer les deux pays en les plaant sur le pied d'une galit absolue.

Le but rel des grandes puissances a t trop longtemps perdu de vue dans la polmique qui a eu lieu depuis, spcialement par ceux qui considrent le trait des 24 articles, dont nous parlerons plus loin, comme une spoliation directe dela Hollandeet une violation des droits lgitimes de la dynastie des Nassau.

En premier lieu,la Hollanden'avait pas l'ombre d'une prtention fonde aucune partie dela Belgiqueau-del de quelquesenclavessur la rive gauche dela Meuse; mais on lui offrit presque toute la rive gauche de ce fleuve et le territoire qui s'tend entre le Brabant septentrional etla Meuse. Lapopulation de cesenclavesconnues sous le nom depays de gnralit,(page 42)tait de 58,861 habitants, rpartis dans 54 bourgs ou villages, tandis que la portion du Limbourg cde par le trait, y compris Maastricht, renferme 175,000 habitants. Il n'est personne qui puisse soutenir que ce ne soit pas l un quivalent suffisant ou encore moins que les Hollandais pussent s'arroger le droit de remettre en vigueur le systme des barrires et d'empcher la navigation de l'Escaut.

En second lieu, il est notoire que le prince souverain n'a pas t choisi dans son intrt personnel et comme membre de la famille desNassau,mais parce qu'il se trouvait tre le chef d'un pays auquel les allis avaient rsolu de runirla Belgique. Sesqualits reconnues d'homme d'tat, sa rputation d'quit, pesaient peu dans la balance, et quoique l'Angleterre prouvt un sentiment profond d'estime pour son fils, prince vaillant qui s'tait si noblement distingu sous les drapeaux britanniques ; quoique le peuple anglais considrt dj ce prince comme l'poux de sa reine future, ces sentiments n'eurent aucune influence sur le choix que lon fit du reprsentant de la maison des Nassau.

C'est donc bien tort que l'on a mis en avant une prtendue spoliation au prjudice des Hollandais, une violation des droits de leur souverain ; car ce prince n'avait aucun droit ni hrditaire ni lgitime, si ce n'est ceux rsultant des(page 43) traits qui relevrent la royaut. Et que sont ces traits, si ce n'est un contrat obligatoire, aussi longtemps qu'il n'est pas en dsaccord avec le bien-tre gnral ? Il n'tait certes pas irrvocable, eu gard des droits personnels ou des droits de proprit ; il fut dict par la ncessit et impos par la force ; il tait soumis aux circonstances et susceptible d'tre modifi par la volont de ceux qui l'avaient tabli. L'pe trace les traits que la plume ne fait que ratifier ensuite. L'histoire de la diplomatie fournit mille preuves de changements et de remaniements de traits, et il n'en est pas de plus frappants que ceux qui concernent particulirement les affaires des Pays-Bas.

Les droits ou plutt les avantages qui rsultrent pour le roi et sa dynastie de la volont des allis lui furent acquis par la force des vnements ; et c'est par l'impulsion contraire de ces mmes vnements qu'il en a perdu une partie. Les fondements du royaume des Pays-Bas reposaient malheureusement sur le sable, les matriaux qui avaient servi l'lever taient aussi htrognes que ceux de la statue de Nabuchodonosor ; et les architectes qui l'avaient construit furent contraints d'approuver la dmolition aprs en avoir reconnu les vices. Ainsi le roi Guillaume, lev seulement en faveur des intrts europens, a d tre sacrifi la mme loi de la ncessit.

(page44)Tout cela n'a pas eu lieu sans de profonds regrets, ce n'est pas par leur propre impulsion et sans avoir la main force que les puissances appeles maintenir la paix de l'Europe ont sanctionn les malheurs d'un monarque bienveillant, chri et respect juste titre, par ses concitoyens, d'un roi, modle des vertus domestiques et prives, qui s'tait fait par son quit et sa connaissance profonde des lois internationales, une rputation telle que des peuples loigns le choisirent pour arbitre de leurs diffrends, d'un prince qui, quels qu'aient t les vices de son systme de gouvernement avait lev incontestablementla Belgique un haut degr de splendeur et de prosprit commerciales. Assurment ce n'est ni en Prusse, ni en Russie, ni en Autriche, ni encore moins en Angleterre, que les peuples et les gouvernements applaudirent cette irrsistible combinaison d'vnements qui privait le prince d'Orange d'une noble succession et le rendait victime des malheureuses consquences de la ligne fatale de politique suivie par les ministres de son pre. Mais le salut de la grande famille europenne demandait ce sacrifice, et entre une rigueur apparente envers une dynastie et la destruction probable de plusieurs autres, il n'tait pas d'hsitation possible.

Cette rigueur a t nanmoins beaucoup exagre ; on ne peut la comparer la destine (page 45) fatale qui a accabl d'autres maisons royales. Qu'on jette les yeux sur la branche ane des Bourbons, qu'on jette surtout les yeux sur l'ex-roi de Sude. Peut-on trouver un plus triste exemple des vicissitudes humaines et de l'instabilit des grandeurs royales ? Dans ce dernier monarque, nous voyons le descendant d'une longue ligne de rois, parcourant le monde comme un malheureux banni ; tandis qu'un soldat de fortune, n dans les rangs du peuple, et qui n'a rendu que des services quivoques aux allis qui confirmrent son lvation, un homme qui fut ostensiblement tratre sa patrie, possde en paix ce sceptre qui fut la terreur de l'Europe, alors qu'il tait port par le grand Gustave-Adolphe et l'indomptableCharlesXII(La conduite quivoque du prince royal de Sude, (depuis la bataille de Leipsick jusqu'au moment de l'entre des allis Paris en 1814, quand il esprait tre appel au trne de France), est connue de tous les hommes publics). Le roi des Pays-Bas ne fut-il pas lui-mme forc de refuser la main de sa fille au fils du prince dtrn, pour ne pas donner ombrage la Sudeet pour ne pas blesser les intrts des autres puissances !

Pour en revenir l'union mal assortie dela Belgiqueet dela Hollande, le trait de Londres, confirm par ceux de Vienne et de Paris, (page 46) stipulait que lafusiondes deux pays devait tre intime et complte ; et le 1erarticle del'acte d'acceptation du protocole de la confrence de Londres,sign La Hayele 21 juillet 1814, reproduit ce principe, ajoutant que les deux pays formeront un seul et mme tat, pour tre gouverns sous l'empire de la constitution dj tablie en Hollande, modifie d'un commun accord. Si cettecomplte et intime fusion,avait t possible, ceux qui l'avaient forme eussent accompli une uvre admirable et garanti de la manire la plus sre le maintien de la paix europenne. Mais malheureusement cette conception offrait dans l'excution des obstacles insurmontables, et n'tait qu'une vaine utopie, comme l'ont prouv les vnements.

Indpendamment de la ddaigneuse indiffrence avec laquelle les allis oublirent de demander l'assentiment du peuple belge leur combinaison, ils parurent avoir perdu de vue l'histoire morale des Pays-Bas, et avoir oubli les semences de haines, de jalousies et de dissentiments religieux et politiques qui avaient pris racine dans le pays depuis le rgne de Philippe II. Dans leur empressement consommer leur ouvrage, ils perdirent de vue tous ces germes de discorde et proclamaientla fusion,comme si une fusion nationale pouvait tre obtenue par le transfert diplomatique d'un peuple sous la domination d'un autre.

Ce n'est qu la divinit (dit un auteur hollandais) qu'il appartient de dire :que la lumire soit faite !Mais quand les hommes osent prendre ce langage ils s'exposent rpandre les tnbres l o ils espraient faire briller la lumire.

Cette fusion dsirable ne pouvait tre obtenue que par un des deux moyens suivants : il fallait que l'une des deux nations renont ses principes et ses prjugs pour se soumettre ceux de l'autre ; or, pouvaient-elles oublier leur rivalit continuelle de religion, d'habitudes, d'intrts, de traditions, de langage, qui tendait les maintenir dans une antipathie absolue ! Pouvaient-elles se faire de mutuelles concessions, oublier toute individualit, et runir leurs efforts pour le bien-tre gnral !

De telles concessions ne devaient pas tre attendues dela Hollande. Eneffet, on connat la tnacit du caractre national de ses habitants ; suivant eux, d'ailleurs, le trait de Paris leur avait donnla Belgiquecomme uneextension de territoire.Ces expressions du trait donnrent le jour apparemment plusieurs actes du gouvernement, qui semblait croire quela Belgiquelui avait t infode et tait destine former un annexe dela Hollande. D'unautre ct, tous ceux qui avaient tudi le caractre des Belges et apprci l'influence immense du clerg sur le peuple, l'orgueil jaloux de l'aristocratie (page 48) et la supriorit numrique de la population, ne pouvaient attendre d'eux aucune concession sans des garanties suffisantes de rciprocit de la part dela Hollande; si aucune concession n'tait faite d'un ct ni de l'autre, on ne devait ncessairement attendre aucun rsultat de tous les efforts qu'on pourrait faire pour amener la fusion des deux pays et mme leur coexistence. La diffrence dans le chiffre de la population des deux parties du royaume tait un obstacle invincible leur union ; car l'histoire offre plus d'un exemple de l'absorption d'un peuple par un autre plus nombreux ; mais il n'y a pas d'exemple d'une solution semblable d'une telle combinaison au moyen de la donne inverse ; et il serait draisonnable d'en attendre un autre rsultat. Cette ingalit de population fit natre aussi de grands embarras, c'est ce dont nous allons nous occuper.

Nous ne craignons pas d'affirmer que les allis tablirent leur combinaison sur une base fausse ; que proccups du dsir de rtablir l'quilibre europen, et d'riger une barrire contre les empitements de la France, ils eurent trop de confiance dans la sagesse et l'influence du roi de Hollande, dans la stabilit de la dynastie au profit de laquelle la restauration venait d'avoir lieu en France, dans la mallabilit rciproque des peuples qu'ils avaient rsolu d'unir ; ils eurent (page 49) tort, aveugls qu'ils taient par leur dsir du bien, d'esprer que le temps, de mutuelles concessions, et un gouvernement prudent, affaibliraient la longue les antipathies qui sparaient ces deux nations, teindraient les animosits et garantiraient la dure d'une uvre que ses auteurs regardaient comme un modle de sagesse diplomatique. La base mme de l'difice contenait des lments de dissolution nationale. L'union ne pouvait exister que par une similitude complte d'intrts, de droits, de privilges, par la plus stricte impartialit dans la rpartition des impts, l'galit de la reprsentation nationale ; mais il tait impossible d'obtenir tous ces points essentiels. Les principes de la loi fondamentale, dont l'acceptation ne se fit pas sans rsistance, n'taient pas calculs de manire assurer chacun des deux pays une existence durable ; cette constitution tait entache de deux ou trois vices capitaux, dont l'un consistait dans l'omission du principe de la responsabilit ministrielle, l'autre dans la lacune que laissait l'absence de la prrogative constitutionnelle que le roi aurait d avoir de dissoudre les chambres. Ces vices du pacte fondamental eurent, comme nous le verrons plus loin, les plus graves consquences (La loi fondamentale ayant pour titre : Groudwet voor het Konnigryk der Nederlanden fut rdige par une commission de 24 membres et compose moiti de Belges, moiti de Hollandais ; elle ne fut en fait qu'une modification de la loi fondamentale des Provinces-Unies ; elle fut prsente la sanction royale le 13 juillet 1815 et promulgue le 24 aot suivant. Les notables hollandais qui s'assemblrent pour discuter le projet original votrent son acceptation l'unanimit ; mais en Belgique, sur 1323 votants il y eut 796 votes ngatifs et 527 votes affirmatifs. Or, comme 126 des premiers dclarrent que leur vote ngatif n'avait rapport qu'aux articles qui concernaient les matires religieuses, leur vote fut suppos affirmatif en ce qui concernait les autres dispositions ; puis, comme environ un sixime des notables belges n'avait pas vot, leur absence fut aussi considre comme une adhsion ; et la loi passa, de cette manire, non sans exciter la clameur gnrale.) (page50) Cette constitution tait plus favorable la Hollandequ'la Belgique; elle tablissait un systme de reprsentation nationale, qui devait amener les rsultats les plus dsastreux ; c'tait en fait l'cueil contre lequel le vaisseau de l'tat devait chouer ds sa sortie du port. Une saine politique pouvait tablir dans la distribution des emplois civils et militaires un rapport entre le nombre des fonctions confrer et le chiffre des populations. Mais donner une reprsentation gale, c'est--dire une reprsentation proportionne au nombre relatif de la population, c'tait accorder une grande majorit la Belgiqueet mettre sa merci les intrts dela Hollande: car en supposant la population dela Belgiquede 3,337,000habitants, et celle dela Hollandede 2,046,000, la proportion des dputs des deux pays devait tre de 68 42. C'tait l une difficult laquelle les lgislateurs les plus habiles ne pouvaient trouver de remde, et ce qu'il restait faire, par consquent, c'tait de donner aux deux pays une reprsentation numriquement gale. Ainsila Hollande, dont la population tait d'un tiers infrieure celle dela Belgique, obtint un mme nombre de reprsentants ; ainsi se trouvrent branles d'un seul coup les bases de la reprsentation nationale ; ainsi se trouvrent jamais tablis des lments de discorde. Les raisons de cette disproportion furent nonces dans les termes suivants, dans l'expos des motifs de la loi fondamentale.

Le nombre des dputs que chaque province envoie aux tats-gnraux n'a pu tre rgl d'une voix unanime. Plusieurs membres croyaient que la base la fois la plus juste et la plus simple tait la population de chacune d'elles ; des raisons plausibles et des exemples nombreux ne manquaient pas l'appui de cette opinion ; on a combattu ces raisons, on a contest la justesse des applications que l'on faisait de ces exemples la runion de nos provinces, et l'on a dit que les colonies qui reconnaissaient les provinces septentrionales pour leur mre-patrie, l'importance de (page 52) leur commerce et plusieurs millions d'habitants soumis aux lois de la mtropole, ne permettaient pas d'adopter cette base ; que le seul moyen d'tablir parfaitement et pour toujours une union intime et sincre entre les deux pays tait de donner l'un et l'autre une reprsentation gale. La majorit s'est range cet avis.

Il est juste cependant d'observer que les difficults de cette distribution taient tout fait indpendantes de la volont du roi et de ses conseillers, et devaient tre attribues des causes statistiques qui empchaient tout autre mode d'arrangement. Le mal qui devait en rsulter fut encore aggrav par l'gosme des dputs hollandais et par l'inconciliable diversit d'intrts politiques et de croyances religieuses qui existait dans les chambres. Une moiti des tats-gnraux tait protestante et l'autre catholique ; la langue d'une moiti de l'assemble tait peine comprise par l'autre. C'taient l des faits qui devaient suffire pour amener un schisme ternel (La seconde chambre des tats-gnraux tait compose de 110 dputs, dont une moiti tait nomme par les Hollandais et l'autre par les Belges. La proportion tait d'un dput par 37 mille habitants pour les premiers, et d'un par 61 mille pour les seconds. Pour les pays runis, le terme moyen tait d'un reprsentant par 50 mille habitants ; lemaximumde la reprsentation nationale tait d'un par 34 mille habitants (province de Groningue) ; le minimum d'un par 82 mille habitants (province de Namur)).

(page53) Les consquences funestes de ce systme se rvlrent bientt dans les discussions et les votes de la 2me chambre des tats-gnraux. Chaque projet lgislatif ou financier nuisible aux intrts dela Belgique, et qui passait la chambre, tait toujours vot par une majorit presque entirement compose de Hollandais, tandis que ceux de mme nature qui taient rejets, taient toujours soutenus par une minorit hollandaise. En outre, toute proposition avantageuse la Belgiquetait repousse par l'influence de la majorit hollandaise, ou ne passait qu'aprs une opposition vigoureuse de la minorit de cette nation. D'un autre ct, tout projet d'une utilit immdiate pourla Hollandeau dtriment dela Belgiquetait soutenu par les dputs hollandais, et quelques fonctionnaires belges, entrans par l'influence de la cour et du gouvernement, venaient former une majorit qui, de cette manire, tait toujours assure aux Hollandais et au ministre. Ainsi passrent les projets les plus oppressifs et les plus nuisibles ; ainsi furent engendrs plusieurs de ces griefs, dont le premier effet tait de causer un mcontentement immdiat et universel (La statistique suivante, publie par le docteur Friedlander, fait connatre la nature de ces votes : Le 30 janvier 1821. Discussion de la taxe de lamoutureet del'abattage ;pour : Hollandais 53, Belges 2. - Sance du 20 dcembre 1822..Amortissement des fonds du syndicat ; pour : Hollandais 46, Belges 20. - Sance du 28 avril 1827. Budget annal ; pour : Hollandais 49, Belges 4. - Sance du 18 dcembre 1829. - Deuxime budget dcennal ; pour : Hollandais 48, Belges 13, etc., etc. -Abfall der Nederlanden, Hambourg,1833).

(page54) Indpendamment des vices de ce mode de reprsentation nationale, la loi fondamentale consacrait un abus financier incompatible de tous points avec les usages et les privilges de toutes institutions constitutionnelles ; c'tait le vote approximatif du budget pour 10 ans ; les dputs taient ainsi privs de toute possibilit de scruter les dpenses ou de demander le plus lger amendement ou conomie durant un laps de temps qui ncessairement devait amener des ncessits de rvision ou au moins d'examen. Il est vrai que le budget tait divis en deux parties ; savoir : un budget dcennal ou ordinaire et un budget annal ou extraordinaire. Mais les points les plus importants, ceux qui demandaient l'attention la plus scrupuleuse et qui donnent, tous les ans, lieu aux plus vives discussions, dans les autres corps lgislatifs, tels que : la liste civile, la guerre, la marine, les colonies, les affaires trangres, l'intrieur et le dpartement des finances, taient compris dansle (page 55) premier, et se trouvaient ainsi l'abri de tout examen ultrieur pendant 10 annes ;la seconde section du budget, formant peu prs un quart de la totalit, comprenait les dpenses extraordinaires, c'est--dire celles qui tenaient des circonstances fortuites ;elle renfermait nanmoins presque toutes les dpenses du dpartement de la justice.

Les vices de ce systme dcennal taient si flagrants qu'il est difficile de concevoir comment on a pu trouver en Belgique et en Hollande 24 hommes capables de proposer cette partie de la loi fondamentale, et comment les tats-gnraux ne repoussrent pas l'unanimit le 229me article de cette constitution, comment ils accueillirent un systme si fcond en abus, un systme tel qu'on ne pourrait tenter de l'introduire ou de le dfendre dans la chambre des communes d'Angleterre sans produire une conflagration gnrale dans toute la (page 56) Grande-Bretagne. Joignez cela un autre vice capital que prsentait le mode adopt pour le vote des budgets par le rglement de la chambre qui interdisant tout amendement obligeait l'assemble les adopter ou les rejeter en masse.

Nous avons fait voir quelques-uns des vices inhrents l'union des deux peuples et la loi fondamentale, vices qui taient de nature rendre toute fusion impossible. Il nous reste dterminer quelques-uns des griefs qui minrent graduellement le trne et qui finirent par amener des rsultats que tout le monde except l'autorit publique parat avoir prvus. Quand une mine est charge, dit le comteCharlesde Hoogendorp dans une de ses remarquables publications, une tincelle suffit pour causer l'explosion. Telle tait la situation des affaires en Belgique o cette explosion tait prvue plusieurs annes avant larvolution. On a peine comprendre l'aveuglement du cabinet nerlandais, la nonchalance des autorits et l'indiffrence de ceux qui devaient tre avertis que le volcan grondait sous leurs pieds, fautes d'autant plus inexcusables que larvolutionde juillet tait pour eux un enseignement dont ils auraient d profiter.

On a souvent demand, non sans raison, comment alors que le gouvernement s'opposait si imprudemment toute concession, les ambassadeurs trangers demeurrent si indiffrents tout(page 57) ce qui se passait. On dit que quelques-uns furent avertis et demandrent la mdiation de leur cour pour amener le gouvernement des Pays-Bas adopter des mesures qui pussent conjurer l'orage. Les rsultats prouvent que, si ces avis ont rellement t donns, le gouvernement commit une grande faute en ne les suivant pas ; et c'est l une preuve de plus de la fatale opinitret et du manque de prvoyance de ceux qui dirigeaient le vaisseau de l'tat ; car il est incontestable que l'on pouvait accorder le redressement de presque tous les griefs que demandait le peuple belge, et quoique cette concession n'et jamais pu amener une fusion complte, au moins aurait-elle dtruit tout prtexte plausible de dsunion, en donnant toute tentative dervolution le caractre d'une inexcusable rvolte. Sans appliquer absolument au gouvernement des Pays-Bas l'aphorisme connu : Quos Deus vult perdere prius dementat , il est certain qu'un voile semblait couvrir ses yeux, et qu'il s'abandonnait une scurit tout fait contraire ce qu'on devait attendre du caractre politique du monarque.

CHAPITRE TROISIEME

Abolition du jugement par jury. -Enumration des griefs. -Amortissement du syndicat. -Taxes de la mouture et de rabattage. -Plaintes des catholiques. -Tentatives de rpandre le protestantisme dans le pays. -Entraves mises l'ducation de la jeunesse belge en dehors du royaume.

(page58) Sans numrer une multitude de petites vexations, pour la plupart frivoles et amplement compenses par d'autres avantages, il suffira de tracer celles d'un caractre plus grave qui furent signales comme ayant graduellement prpar l'explosion. La diffrence de caractre national, (dit l'crivain que nous venons de citer) engendra les griefs ; et ces griefs excitrent un mcontentement universel et l'animosit nationale. La division entre les deux pays existaitde facto ;aulieu d'oprer la fusion, tous les moyens qu'on avait employs pour amalgamer les deux peuples n'avait servi qu' les dsunir davantage. Le (page 59) mcontentement ne s'veilla pas en un jour ; il datait du principe de l'union des deux tats. (Sparation dela Hollandeet dela Belgiqne, octobre 1830. Amsterdam, par le comteCharlesde Hoogendorp. Ce publiciste clair, l'un des membres les plus intgres et les plus honorables des chambres hollandaises, est mort prmaturment il y a peu de temps).

Cette opinion de Hoogendorp, est d'une haute importance, non seulement par sa source, mais parce qu'elle est une rfutation premptoire de la doctrine de ceux qui cherchent prouver que les Belges n'avaient pas de griefs rels, que leurrvolutionfut un acte soudain et dloyal, fut le rsultat fortuit des vnements de juillet. Si ces vnements n'avaient pas eu lieu, si les fatales ordonnances du prince de Polignac n'avaient pas vu le jour, il est probable que larvolutionbelge n'et pas clat en 1830. Mais l'opinion gnrale des gens impartiaux est que les deux pays ne pouvaient continuer marcher d'accord sans de notables rformes, sans un changement dans le mode de gouvernement et le redressement de quelques-uns des principaux griefs. Quelques personnes ont prtendu, ajoute le comte de Hoogendorp, que l'exemple de larvolution franaise et les collisions sanglantes qui eurent lieu Paris, enflammrent l'esprit public en Belgique de mme que dans toute (page 60) l'Europe ; mais ces vnements ne pouvaient pas produire la matire inflammable ; et si elle n'avait pas prexist dans le mcontentement qui rsultait des griefs, larvolutionfranaise n'aurait pas atteintla Belgique. Lesesprits superficiels qui ne se donnent pas le temps d'approfondir le sujet, peuvent seuls prendre ainsi l'accessoire pour le principal. Les efforts de quelques hommes influents n'ont pu servir qu' mettre le feu la mine, qui sans les mcontentements intrieurs, n'et pas fait explosion.

Avant d'entrer dans l'examen des griefs, il est ncessaire d'observer qu'avant l'avnement du prince souverain, il introduisit dans l'administration de la justice plusieurs modifications qu'il et t plus prudent de diffrer ou mme de ne pas tablir.

Le roi de Prusse, pour viter dans les provinces rhnanes nouvellement runies sous sa puissance, les effets qui auraient pu rsulter d'un brusque changement de systme, avait maintenu le jugement par jury et l'entire publicit des dbats judiciaires, tablis par les Franais ; moins prudent que ce monarque clair, le prince souverain des Pays-Bas abolit ces institutions ; encore cette abolition impolitique ne fut-elle pas ordonne en vertu d'une loi vote dans les chambres, mais par un simple arrt donn le 16 novembre 1814. Ainsi, des le dbut, il veilla les (page 64) craintes et les jalousies du barreau et de toute la nation ; car, quoiqu'elle ft peut-tre incapable d'apprcier tous les avantages de l'inestimable institution du jury, elle en considra la suppression comme une atteinte ses liberts ; et ce fut en la perdant que, pour la premire fois peut-tre, elle commena en sentir le prix. Cette mesure fut suivie d'autres changements dans le systme judiciaire, qui tous tendaient reproduire de plus en plus ce qui existait en Hollande, ramener un tat de choses qui bien qu'appropri aux habitudes et aux traditions de ce pays, tait tout fait en dsaccord avec les anciennes coutumes et les usages modernes dela Belgique, spcialement depuis sa runion la France.

Ce n'tait pas seulement les vices du systme reprsentatif, le mode adopt pour le vote du budget des voies et moyens et la suppression de l'intervention du jury dans l'exercice de la justice, qui causaient les plaintes des Belges ; leurs rcriminations portaient encore sur les griefs suivants :

1 L'obligation de parler la langue hollandaise impose tous les fonctionnaires civils et militaires ;

2 Une excessive partialit dans la distribution des places et emplois ;

3 Un systme financier injuste et dsavantageux pourla Belgique, qui devait contribuer au(page 62) paiement d'une dette contracte parla Hollandelongtemps avant l'union, et l'tablissement de plusieurs taxes iniques rpugnant et aux habitudes et aux usages du peuple ;

4L'tablissement du sige de la haute cour de justice et de toutes les institutions publiques dans les provinces septentrionales ;

5L'injustice du gouvernement envers les catholiques, et son dsir manifeste deprotestantiserle pays ; l'tablissement d'un collge philosophique Louvain ayant le monopole de l'ducation ; enfin la suppression des sminaires piscopaux, des autres collges nationaux et des coles libres.

La premire de ces mesures fut ordonne par un arrt du 15 sept.1819. L'utilit d'un idiome gnral pour toutes les transactions faites dans le pays n'tait pas enquestion ; mais rien ne pouvait tre plus impolitique, et ouvrir un champ plus vaste des consquences dangereuses, que de l'imposer arbitrairement, surtout une majorit dont les sentiments taient dj hostiles la minorit. Ses effets pernicieux se manifestrent immdiatement ; le mcontentement s'tendit dans la classe nombreuse et influente qui aspirait aux diverses branches des professions librales et aux emplois de toute espce ; et ce fut dans le fait un des leviers les plus nergiques du mouvement rvolutionnaire.

L'affinit entre les idiomes hollandais et flamand (page 63) qui ont des racines communes, pouvait faciliter cet essai (prsent comme essai seulement) dans les Flandres et le voisinage d'Anvers. Mais imposer aux provinces wallonnes, au Brabant mridional, et aux habitants du Hainaut, comme conditionsine qua nonde l'exercice des professions librales, la connaissance d'une langue si compltement diffrente de celle que parlent les classes moyenne et leve, dans cette partie dela Belgique, c'tait consacrer une vexation lgale qui devait blesser les intrts de toutes les familles.

La gnration naissante devait, sans aucun doute, s'en trouver moins irrite ; car force d'tudes elle pouvait acqurir un certain degr l'usage de la langue hollandaise. Mais il n'est pas de philologue qui ne reconnaisse la difficult sinon l'impossibilit qu'il y a de jamais acqurir la connaissance assez parfaite d'une langue trangre pour pouvoir mettre deux hommes de pays diffrents en tat de discuter avec succs des questions abstraites ; plus forte raison, cette difficult devient presqu'insurmontable lorsqu'il s'agit d'analyser les subtilits et les chicanes de la loi, ou de se livrer sur des spcialits des discussions ardues dont le succs dpend souvent de la valeur des mots, et par dessus tout de l'adresse que l'on met viter toute expression impropre susceptible de rendre l'orateur ridicule.

Figurez-vous un avocat russe plaidant (page 64) devantun tribunal franais ; accordez-lui la connaissance la plus complte de la lgislation de la France et de la langue franaise, et donnez-lui pour adversaire M. Dupin ou tout autre membre distingu du barreau de ce pays ! Croyez-vo