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12/06/2016 De l’acte « jazz » : improviser/interpréter - OLIVIER DOUVILLE https://sites.google.com/site/olivierdouvilleofficiel/jazz/chroniques/de-l-acte-jazz-improviser-interpreter 1/13 OLIVIER DOUVILLE ACCUEIL ME CONTACTER MON PARCOURS ARTICLES LIVRES BLOG INTERVENTIONS AUDIO & VIDÉO REVUE PSYCHOLOGIE CLINIQUE CHRONOLOGIE DE LA PSYCHANALYSE DU TEMPS DE FREUD JAZZ PHOTOS LIENS INDEX De l’acte « jazz » : improviser/interpréter Par Olivier Douville 1. Psychanalyse, musique et jazz Le psychanalyste serait‐il devant l’inconscient comme le musicien devant la musique ? Aux prises avec une réalité immense, qui le dépasse, et qui requiert de lui l’invention d’un phrasé. Il n’y a pas de musique psychanalytique, mais certaines musiques semblent entretenir des liens sinon avec l’inconscient – affirmer cela revient à énoncer une banalité inféconde‐ du moins avec les processus psychiques que Freud a théorisé : conservation d’une mémoire du sexuel, formation de compromis aidant au retour de refoulé. Il en est ainsi de ce que nous nommons blues, gospel et jazz, soit le socle de la musique afro‐américaine, qui servit aussi de lien social, de miroir et d’exutoire au peuple noir des Etats‐Unis d’Amérique. 2. Jazz et filiation La musique dite « jazz » est à la fois en constante évolution, du moins jusqu’à ces vingt dernières années, c’est une houle en une reptation dansante et spiralée qui va exhumer et absorber ses premières traces avec l’autorité du rythme. Irrésistible appel au corps . C’est cela l’œuvre jazz, qu’on ne peut réduire au relevé des partitions, des arrangements et des chorus improvisés : une alliance entre forme et son, un risque où se réverbère une lumière enivrée de son propre surgissement. Une contemporanéité en avance sur toute formule . Une mémoire qui où, dans certaines évidences des héritages et des formules, et, en dépit de telles évidences, la mémoire se fait activation des formes, anamorphose des souvenirs, ignifugation des traces, torsion. Don de l’intemporel à l’histoire, de l’histoire à la mémoire, de la mémoire au corps, du corps à la sidérante condition de paria et de spolié radical qui fut celle de l’esclave. Le jazz est acte et il est œuvre. Chant de filiation jamais figé en des commémorations mortifères, la pulsion jazz, reconnaît ses dettes là où elle impose la reprise, la relance, l’invention, la transmission, enfin. Le son de chaque musicien –sa manière de chanter ou de retenir chaque note, sa façon mate et obstinée d’avancer le souffle ou le doigté, ou au contraire son impatience de feu – est une composante essentielle de l’oeuvre jouée et enregistrée et cela est court vrai du chant des aédes U.S. du fleuve aux plus actuelles sonorités et inflexions rythmiques de ses héros ; de Skip James à Steve Coleman, par exemple. S’il est un alliage propre à ce que nous désignons comme musique de jazz, il est bien le résultat d’une contamination surdéterminante entre les ferments africains (importance de l’interprète et de son accentuation, de son attaque des notes) et européens (importance de l’harmonique et de la composition). Là on se perd en hypothèses. En effet des alliages entre l’Afrique et l’Occident, des forçages et des détours, des créations de contrebande il s’en fit ailleurs, ailleurs d’autres creusets donnèrent naissance à des arts authentiquement afro‐ américains, ou afro‐ caraibéens, afro‐latino‐méricains, mais de notes bleues aux Etats‐Unis seulement. 3. Jazz : avènement et évènement Le jazz a non seulement une histoire, mais il est, de plus une catégorie et un événement qui a effet, et peut‐être fonction, d’historiser l’histoire sous les habits du mythe et les prétextes du divertissement. Rien d’une lecture linéaire ne convient à la situer, et sur son incessant travail Rechercher dans ce site Traduzir

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OLIVIER DOUVILLEACCUEIL ME CONTACTER MON PARCOURS ARTICLES LIVRES BLOG INTERVENTIONS

AUDIO & VIDÉO REVUE PSYCHOLOGIE CLINIQUE

CHRONOLOGIE DE LA PSYCHANALYSE DU TEMPS DE FREUD JAZZ PHOTOS LIENS INDEX

De l’acte « jazz » : improviser/interpréter

Par Olivier Douville

1. Psychanalyse, musique et jazz

Le psychanalyste serait‐il devant l’inconscient comme le musicien devant la musique  ? Auxprises avec une réalité immense, qui le dépasse, et qui requiert de lui l’invention d’un phrasé.

Il n’y a pas de musique psychanalytique, mais certaines musiques semblent entretenir des lienssinon avec l’inconscient – affirmer cela revient à énoncer une banalité inféconde‐ du moinsavec les processus psychiques que Freud a théorisé  : conservation d’une mémoire du sexuel,formation de compromis aidant au retour de refoulé. Il en est ainsi de ce que nous nommonsblues, gospel et jazz, soit le socle de la musique afro‐américaine, qui servit aussi de lien social,de miroir et d’exutoire au peuple noir des Etats‐Unis d’Amérique. 

2. Jazz et filiation

La musique dite «  jazz  »  est à la fois en constante évolution, du moins jusqu’à ces vingtdernières années, c’est une houle en une reptation dansante et spiralée qui va   exhumer etabsorber ses premières traces avec l’autorité du rythme. Irrésistible appel au corps . C’est celal’œuvre jazz, qu’on ne peut réduire au relevé des partitions, des arrangements et des chorusimprovisés : une alliance entre forme et son, un  risque où se réverbère une lumière enivrée deson propre surgissement. Une contemporanéité en avance sur toute formule . Une mémoire quioù, dans certaines évidences des héritages et des formules, et, en dépit de telles évidences, lamémoire  se fait activation des formes, anamorphose des souvenirs, ignifugation des traces,torsion. Don de l’intemporel à l’histoire, de l’histoire à la mémoire, de la mémoire au corps,du corps à la sidérante condition de paria et de spolié radical qui fut celle de l’esclave. Le jazzest acte et il est œuvre. Chant de filiation jamais figé en des commémorations mortifères, lapulsion jazz, reconnaît ses dettes là où elle impose la reprise, la relance, l’invention, latransmission, enfin. Le son de chaque musicien –sa manière de chanter ou de retenir chaquenote, sa façon mate et obstinée d’avancer le souffle ou le doigté, ou au contraire sonimpatience de feu – est une composante essentielle de l’oeuvre jouée et enregistrée et cela estcourt vrai du chant des aédes U.S. du fleuve aux plus actuelles sonorités et inflexionsrythmiques de ses héros ;  de Skip James  à  Steve Coleman, par exemple.

S’il est un alliage propre à ce que nous désignons comme musique de jazz, il est bien lerésultat d’une contamination surdéterminante entre les ferments africains (importance del’interprète et de son accentuation, de son attaque des notes) et européens (importance del’harmonique et de la composition). Là on se perd en hypothèses. En effet des alliages entrel’Afrique et l’Occident, des forçages et des détours, des créations de contrebande il s’en fitailleurs, ailleurs d’autres creusets donnèrent naissance à des arts authentiquement  afro‐américains, ou afro‐ caraibéens, afro‐latino‐méricains, mais de notes bleues aux Etats‐Unisseulement.

3. Jazz : avènement  et évènement

Le jazz a non seulement une histoire, mais il est, de plus une catégorie et un événement qui aeffet, et peut‐être fonction, d’historiser l’histoire sous les habits du mythe et les prétextes dudivertissement. Rien d’une lecture linéaire ne convient à la situer, et sur son incessant travail

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de reprise du passé, son énergie de mémoire active, son incessant surgissement, la moindrethèse du « progrès dans l’art » se casse irrémédiablement les dents. Un des voyageurs des plusvéhéments et des plus déchirants du « free‐jazz », Albert Ayler (qui bouleversa lors de son exilà Copenhagen, un des grands de l’orchestre  de Basie, le généreux  Don Byas), lui‐même serevendiquait, et  à très juste titre, d’une filiation directe avec les premiers improvisateurs dujazz. Ce télescopage éclairant et bruissant de générosités et de risques emphatiques entre lamusique des héros du free et celle des patriarches préclassiques, correspondance quen’importe quelle oreille ne peut que ressentir  confusément,   semble toujours l’une des plusjustes occasions de compréhension et de ressenti de mouvements spiralés dans les formes dujazz. Cette musique, en effet, est à la fois en constante évolution, du moins jusqu’à ces vingtdernières années, et toujours absorbant les premières traces, ingérant l’ancien, le vénérant,l’improvisant et le réécrivant, non seulement pour y commémorer une scénographie premièremais comme un passé réminiscent, actif et fondateur, un ferment. Le jazz est une musique dejaillissement d’un présent impérial. Cela n’a rien à voir avec une vaine et puérile entreprise deredite ou de répétition. Ces enfants actuels de King Oliver sont bien davantage free‐jazzmenque tous les sympathiques français ou australiens qui voulurent copier, note après note, commele vain et habile Claude Luter les vénérables enregistrements Okeh ou Gennet qui – au dire desmeilleurs spécialistes de jazz, critiques et musiciens  – marquent les début en 1923 du jazzorchestral enregistré. C’est cela l’œuvre jazz, qu’on ne peut réduire au relevé des partitions,des arrangements et des chorus improvisés : une alliance entre forme et son, un respir et unsupens. Un risque où se réverbère une lumière enivrée de son propre surgissement. Le son dechaque musicien – sa flamme, sa manière de chanter ou de retenir chaque note, sa façon mateet obstinée d’avancer le souffle ou le doigté, ou au contraire son impatience de feu – est unecomposante essentielle de l’œuvre jouée et enregistrée. Aucun musicien ne saurait êtreexemplaire à force d’anonymat. Il se fait une alchimie féconde et un art de la rencontre danschacun des disques qui ont fait l’histoire du jazz orchestral. Et certains musiciens ne sepenseraient pas sans la compagnie de quelques autres ou de l’orchestre qui fut, pour un tempsplus ou moins long, sa maison et son écrin. Billie Holiday a rencontré en Lester Young son alterego. Hormis quelques faces enregistrées avec Django Reinhardt, Rex Stewart et même BarneyBigard ne furent rien ou si peu sans l’orchestre de Duke Ellington. Dizzy ouvrit à Parker lemonde des musiques afro‐cubaines…

Aussi le simple projet qu’on pourrait transformer un disque enregistré en partition actualiséecapable d’être jouée par des instrumentistes meilleurs techniciens, enregistrée dans demeilleurs conditions techniques, etc., est‐il un total contre‐sens. Effectivement, il faut à lacritique, sous peine de niaiseries sentimentales et de fadaises amphigouriques, se pencher surles transcriptions des choses enregistrées. Qui sont bien évidemment dignes d’études etpeuvent à leur tour servir de formules harmoniques et rythmiques à bien des œuvres de jazz oud’autres musique, dont celle qu’on nomme par facilité classique.

Plutôt que de verser dans la célébration de l’improvisation contre l’écrit ou contre le projetmusical, nous faudrait‐il concevoir pleinement que certains des plus beaux momentsenregistrés du jazz furent comme voulus et préparés par des prodiges d’écriture orchestralequi leur servaient à la fois d’abri et de révélateur. Et se prononce et s’édifier  l’art délicat del’arrangement, en à peine quelques années qui vont des conventions collectives del’improvisation nouvelle‐orléanaise (quelques melliflues plages de Kid Ory en 1922 et lesquelques trente cires du Créole Jazz Band d’Oliver en 1923 avec Armstrong comme secondcornettiste) jusqu’au début des premières grandes phalanges de jazz (le même King Oliver avecses Syncopators de 1926 à 1928, les débuts du Duke Ellington Orchestra, en 1926, les orchestresde Charlie Johnson de 1927 à 1929 et des frères Llyod et Cécil Scott, en 1927, et, surtout,l’orchestre pionnier de Fletcher Henderson qui dès 1924 propose des arrangements inventifs etclairs qui servirent la grâce d’Howard Scott et le génie  naissant de Louis Armstrong).

Ici, j’ai le vif sentiment pourtant d’être à côté et de me trouver dans la gêne la plus extrême àfaire saisir au lecteur ce qui est actif  au cœur de  la  musique «  jazz  », musique qu’il esttoujours réducteur et négateur de réduire à une simple tension esthétique. Est‐il besoin deredire ici que la musique du peuple noir des Etats‐Unis célèbre tout d’abord des histoires decorps et de mémoire, de malheurs et de résistances des corps, des histoires de morts et desexualités, des puissances de la mort et du sexuel, autant de flèches du réel qui sontordinairement refoulées et qui objectent, salutairement, à toute conception mortifiante etsurannée de la création en tant  stratégie de refus du sexuel et du corps réel.

4. Un enregistrement  phare

Marquons ici une première halte. Nous sommes en 1950. Ecoutons comment, en sa maturité,Louis Armstrong, entouré de ses amis Barney Bigard, Jack teagarden et Cozy Cole, évoque unTraduzir

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enterrement à la Nouvelle‐Orleans, le plus foisonnant et fébrile des berceaux de cettemusique. Aventuriers de toute condition et de tout étage, esclaves noirs que la fin de la guerrede Sécession laissent étourdis devant une liberté encore brumeuse, marins. Il s’y fait de lamusique partout des églises aux bordels, des cimetières aux bals, des docks à l’Opéra. De lamagie aussi. Penchée sur des cœurs de tortues flottant dans l’eau herbée d’une bassine, latante du futur pianiste Jelly Roll Morton, lit l’avenir aux voisins sur fond de piano mécanique.L’oncle de Sidney Bechet est convoqué pour hypnotiser au son d’un saxophone les infortunéspatients du regrettable dentiste local. Dans cette cité, lors des enterrements, les musiciensbriquent leurs cuivres et accordent leurs vents, tendent au mieux les peaux de leurs tambours.Leurs épouses de carrière ou d’occasion  époussettent leurs habits de parade, c’est que, dèsqu’il faut mettre en terre un membre important de ces innombrables sociétés, congrégations,associations ou clubs plus ou moins occultes qui poussent comme champignons en Louisiane,chacun d’eux sait qu’il lui faut être de la partie. Les funérailles débutent. La trompette sculpteun thème recueilli,  qui voue à  l’envol l’âme du défunt  comparée à un oiseau enfin libéré dela cage du corps, assolant l’éther,   le trombone bruisse de longs glapissements funèbres alorsque  la clarinette joue à l’unisson ou une tierce au‐dessus de la partie de trompette. Onenterre le mort. Le sourcil de chacun se fronce, les larmes coulent. Le cercueil est avalé par lesol. Bénédictions. Accolades. Chargé jusqu'alors du soin de ponctuer sur sa grosse‐caisse le pastrès lent et très pesant du cortège funéraire, le joueur de tambour tient fermement uneséquence rythmique pleine d’allant et qui, entraînante, réveille la trompette toute encoreéperdue de la mélancolie rêveuse de l’air qu’elle a joué et rejoué tout au long de la marchevers le cimetière. La sonorité claire du tambour, qui contraste avec la matité sourde du jeu degrosse caisse, évoque la légèreté de l'âme s'en allant au paradis.   Les escortes  musicales d'unconvoi funéraire comptent au moins deux batteurs. L'un, qui joue de la grosse claire,  estplacé      à la gauche d’un autre  tout occupé à faire chanter la caisse claire.. Ici, dans cetenregistrement, après la séquence jouée par Cozy Cole, et soufflant presque aussi fort quel’Ange Gabriel du Jugement dernier, voilà Louis Armstrong qui entame, rudement, rapidementpresque un air de marche. Trombones vigoureux et clarinettes et saxophones piaillants etpétillants suivent le pas. Et tous rentrent à la maison du défunt pour faire bombance et licenceaussi, parfois. De tels rites sont des survivances africaines qui ont pris le sens de la durée dansla dissimulation au sein des Églises « spirituelles », Spiritual Church, toutes originaires de laNouvelle‐Orléans, et qui ont été largement étudiées par les chercheurs américains sur le plansociologique et anthropologique (Baer & Singer, 1992 ; Jacobs & Kaslow, 1991). Leurspiritualité est perfusée de ce magico‐religieux africain inspiré du « hoodoo » (versionlouisianaise du « vaudou ») sans pour autant que ces institutions veuillent le reconnaître etencore moins le revendiquer de manière protestataire. Cette synthèse originale d'africanitéinitiatique, de rites catholiques et de spiritualité baptiste et pentecôtiste est vécue par lesparticipants comme une totalité idéologique et pratique non‐conflictuelle. Et certainsobservateurs ont pu noter que le balancement du corps lors du premier temps de la processionavant qu’il ne soit inhumé donc était en exacte similitude avec la gestualité de vieux cultes «Fons » et «  Ewés  » encore pratiquées, mais de façon résiduelle au Nigéria ou au Bénin etmême  au Togo, là où le culte des morts reste un devoir collectif.  Une précision supplémentaire  et qui plaide en faveur de la thèse qui voit dans le rythme jazz une synthèseréussie de ce qui a pu survivre de divers traditions percussives africaines et compte‐tenu dufait que les guerriers et les sorciers Ashanti ont été aussi des esclaves prisés par les louisianaisesclavagiste indique qu’il n'est pas impossible que l'after beat du jazz soit issu des traditionsmusicales ashanties tandis que  la ternarisation du swing semble, quant à elle provenir del'influence « yoruba » et « congo », du moins « bantoue ». Le pianisits Emmanuel Massrotir meconfaiit il y a peut qu’écoutant, avec recueillement et admiration, un disque de LouisArmstrong  dans lequel "Baby" Dodds joue sa batterie  entendait dans les  43 des mesures de cesolo sont un authentique phrasé de tambour congo Un mot encore sur cette seconde partie dudisque, celle où la fanfare avec une joie sérieuse appelle tous les participants à s’éloigner de lademeure du mort, sa tombe, pour venir s’attabler au banquet des vivants.  Le thème qui estune marche a pour nom « Didn’t He Ramble », ce qu’on pourrait traduire approximativementcomme « n’a t‐t‐il pas voyagé ici sur terre ». En voici les paroles:

« Didn't he ramble.... he rambled / Rambled all around.... in and out of towDidn't he ramble....didn't he ramble / He rambled till the butcher cut him downHis feet was in the market place...his head was in the street / Lady pass him by,said...look at the market meatHe grabbed her pocket book...and said I wish you well / She pulled out a forty‐five...said I'm head of personnel….You know he rambled...till the butcher...cut him down / I said he rambled...lord...'tillthe butcher shot him down » Traduzir

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Qu’est ici la mort, ce « boucher » (là aussi un personnage mythique de la Nouvelle‐Orléans) quitôt ou tard va vous abattre ? Une résurgence sans doute de thèmes sacrificiels. Dans l’effluencemaniaque du repas funéraire, les musiciens sont là pour mettre une ambiance qui impose ladanse, le mouvement, impose à la monochromie de la mort, le bariolage des corps qui vivent,mangent, pleurent, rient et peuvent s’aimer malgré tout, en dépit du départ irréversible d’unou d’une autre, parce qu’à La Nouvelle‐Orléans comme ailleurs on aime à penser que le défuntnous a pardonné et que bonne âme il se réjouit de voir celles et ceux qu’il a laissés derrière luisur cette bonne vieille planète absorber la vie à pleine dent avec, au centre du festin, le grandcœur de la musique qui continue à battre et qui dit que le temps ne s’est pas arrêté net. Etl’on se souviendra encore que les chants funèbres ashantis et yoroubas sont dans leur grandemajorité des mélopées  scandées lors des grands rituels de circoncision. Il   fait peu de douteque pour d’authentiques musiciens de la Louisiane, jouer et enregistrer ce thème dépassait lasimple performance esthétique ou scénique ; il y vivait un peu encore d’un sacré. Et rien nesaurait nous interdire de penser que Jelly Roll Morton enregistrant ce thème en 1938 et en1939, Kid Ory, en 1945, et Louis Armstrong enfin en 1950, se souvenaient de la part activequ’ils prirent dans certains rituels funéraires.

On comprendra alors que ce disque, est, au delà de sa valeur musicale superlative, undocument de première main qui enseigne sur la vie spirituelle de la Nouvelle‐Orléans, sur lafaçon dont les filles et fils d’esclaves étaient passeurs d’africanité, quand bien même,consciemment ils disaient ne rien en savoir, ou si peu, quand bien même, efninf, c’est dans lebut d’élargir leur palette thématique que certains grands créateurs y puisèrent, dont DukeEllington, alors que la sophistication de la culture musicale  noire de Harlem, proche d’unragtime surélaboré n’incluait pas le blues comme centre de gravité de son corpus (ce quin’était nullement le cas de ce qui vivait encore de musique à La Nouvelle Orléans, où s’y déployait à Chicago ou à Kansas‐City).

5. Du jazz comme histoire de corps et de résistance

Le jazz est d’abord une histoire, une histoire de corps qui vivent, résistent, se saluent, sedéfient devant leur qualité de « vivant malgré tout » et se balladent entre désappropriation etrage de vivre. Il renvoie à l’art de la lutte, du combat, il appelle sa mythologie qu’il expose etcontemple. Le fantaisiste Perry  Bradford, enregistrant un des premiers sinon le premier disquede "protest‐song dédié à la stature du boxeur Harry Wills,  qui fut volé de son incontestablevictoire, rend du même coup, hommage à ce corps qui résiste et l’emporte÷……

clandestinement [1]

. C’est du corps que cette musique  retrouve et recrée  en brassant parcette désinvolture que seule permet la nécessité collective,  song, jazz et blues. Corps del’esclave, corps du baptisé que secoue la transe religieuse, corps que captent les anciennesmagies, ces sortilèges qui se rendent maîtres des puissances et des jouissances de la mort, maiscorps aussi du spectacle. Et pourquoi le jazz aurait‐il honte du sexuel et de l’excèsd’improvisation et de style, lui qui est une musique de survivants, née dans les bouges, lestripots  ou  les bordels à la mode de la Nouvelle‐Orléans, de Kansas City ou de New York ? Il y aun rapport net entre le jazz et les puissances de l’Éros qui fit de cette art l’écran projectif leplus somptueux que l’Occident ait jamais pu s’offrir en matière d’esthétisme.

Cette grande musique noire américaine est un acte de mémoire et de résistance. Une créationassise sur les chants religieux par lesquels les esclaves s’identifiaient aux Hébreux captifs dePharaon et libérés par Moïse, sur les chants de travail où survivent des traces des polyphoniesafricaines, nourrie du blues et de son effet de condensation et de contamination de gammes,du ragtime aussi, ce mouvement où Noirs et Blancs syncopèrent des thèmes proches de lamusique classique (au reste l’un des plus grands créateurs de ragtime, Scott Joplin, a composéun opéra Treemonisha dont le livret raconte la lutte spirituelle d’une jeune Noire pour sedélivrer des sortilèges de la magie destructrice !)

Le jazz a accompli un prodigieux un saut de côté par rapport au ragtime – mouvement qui s’estépuisé de lui‐même – en revenant aussi à la nature vocale de cette musique noire, naturesoulignée par l’emploi de sonorités étranglées, craintes ou pleurantes que faisaient entendre les sourdines des cornets et des trompettes de King Oliver, Tommy Ladnier ou Bubber Miley.Quant à la chanteuse de blues Clara Smith, elle était présentée dans une publicitéphonographique de 1924 comme «the Queen of the Moaners» (la reine des gémisseuses ), ce quifait brèche aussi dans la présentation conventionnelle d’une musique sans grain, propre surelle, lisse et bien polie.

Cet aspect‐là du jazz a souvent été mal reçu par les industriels du show bizness américain quipréfèrent promouvoir l’ersatz, la copie diluée dans le flon‐flon ou le faux sérieux, à l’original.Traduzir

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Dans le même temps, de nombreux fils des immigrations européennes, riches de traditionsmusicales européennes, se tournèrent sincèrement vers le jazz et furent, pour certains d’entreeux (Eddie Lang, Don Murray, Bix Beiderbecke, Joe Venuti, Benny Goodman, Ziggy Elman), des«passeurs» entre le jazz noir et d’autres traditions, européennes savantes, italiennespopulaires et musique Kletzmer.

6. Blue note

Il semble donc  qu’une analyse purement métapsychologique ou musicologique de la choseécrite et/ou jouée interdit de penser l’acte jazz comme affirmation d’un peuple qui ne selaisse plus déposséder de son corps, en son rapport au beau, au vivant et à la mort. Un des faitsmajeurs qui rend compte de la persistance de l’esthétique africaine est l’existence, dès lesformes les plus primitives du blues, de la Blue note, c’est‐à‐dire l'élévation d'un demi ton du3ème degré de la gamme pentatonique mineure, qui est supposée résulter de la superpositionde deux modalités de gamme, gamme diatonique (occidentale classique) et non diatonique(africaine). Le blues est fondamentalement constitué d’accords de septième. Cette modulationétait certes connue aussi des musiciens classiques, elle est fréquente chez Frédéric Chopin. Cequi advient de neuf en musique avec et autour de la note bleue est une instabilité chromatiqueconstitutive des liens étroits, bien que non essentiels, entre blues et jazz. En effet, le bluescanonique comporte trois accords de base : tonique septième, – sous‐dominante septième‐tonique septième, – septième de dominante‐tonique septième. La septième de dominanteappelle bien l’accord de tonique parfait mais c’est pour le rabaisser d’un ton, de sorte quecette tonique là ne se trouve plus au mitan de la construction, ni à sa fin. Une succession deseptièmes produit toujours un chromatisme indispensable à la « couleur» jazz. Du moinsd’avant le be‐ bop qui détrône la septième de d o m i n a n t e.

7. Controverses sur l’improvisation

Les premiers improvisateurs jouaient davantage de l’ornementation et de la paraphrase(Oliver, Célestin, Rena, Baquet, Picou, Piron,  Dodds, Noone, Siméon). Le passage du musicienprenant un solo au soliste de jazz à part entière fut décisivement accompli par LouisArmstrong, puis par Bix Beiderbecke et Red Allen, tous trois trompettistes. C’est bien LouisArmstrong qui a ouvert la voie au jazz soliste dès 1926, dans ses enregistrements du Hot five(orchestre du studio) et qui lui a donné avec West end Blues et Thight like this une direction etune ampleur sans précédent, deux années après (son groupe avait alors pour nom Hot Seven).

Du moment où nous parlons de « jazz», les clichés s’accumulent. Et celui de l’improvisateurinspiré, nécessairement inspiré, marchant à l’aveuglette dans une semi‐transe, devient plusqu’un cliché : une essentialisation idéologique de la musique de jazz.  L’accent mis surl’improvisation fait miroiter une scène primitive où surgissement du son et surgissement dumonde se jettent, d’un même jet et d’un même souffle, au‐dessus du vide. Libre, vraimentl’improvisateur ? Le jazz n’est pas un art sans contraintes. Et la mystification del’improvisation réduite à une marque de fabrique et à quelconque label d’ « authenticité »sonne faux. Combien de réunions anthologiques de musiciens, poussés sur la scène de trop defestivals par les écuries discographiques dont ols sont les poulains ou les chevaux fourbus, sesont révélées de véritables désastres, sans sève, sans tendresse, sans lumière! Mais encoreClark Terry nous explique comment le rêve des racines en jazz reste bien éloigné de toutepétrification muséographique  : «  Chez Ellington, il y avait les individualités les plusdissemblables, mais il savait les utiliser en groupe aussi bien qu’en soliste. Il avait le talent de

faire jouer les gens comme il le souhaitait, par exemple pour A drum is a woman [2]

. Il me dit

“eh sweetie [3]

, je voudrais que tu fasses le portrait de Buddy Bolden [4]

. Tu es Buddy Bolden.Ce gars aimait les belles femmes, les beaux vêtements. Il avait une sonorité tellementpuissante que lorsqu’il s’accordait on pouvait l’entendre depuis l’autre rive du fleuve. Il savaitjouer de belles inflexions, travailler la note, il aimait les altérations”. Alors j’ai joué BuddyBolden et le Duke m’a dit : “C’est tout à fait ça !” » (Jazz Hot, n° 335, p. 17).

La naissance puis l’épopée du jazz c’est aussi et encore celle de la collectivité qui assume etmarque les formes, les valeurs et les rythmes. En ce sens le jazz célèbre une survivance et unsurgissement, celui d’une conscience qui surmonte ce qui avait effet de l’anéantir, de laretirer sans rémission de la scène de l’histoire. Il célèbre par les ruses de l’improvisation unécart, un autre chant, un clair obscur. De sorte qu’il n’est pas de jazz sans rapport à la remiseen jeu d’un originaire, d’un noyau originaire qui serait parlé par le jazz.

Alors l’improvisation, ce maître mot qui fige les débats, qu’en dire encore ? Qu’on m’autoriseun parallèle avec ce que le surréalisme a su capter de la psychanalyse. Le jazz, parce qu’il y aTraduzir

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improvisation, trouvailles et déplacements de traces, renvoie à une traversée de l’épaisseurdes mémoires et des rêves. Un réel mémorial y insiste dans la célébration immémoriale dusurgissement du cri, de la fêlure, du rythme et du son. L'improvisation – qui est essentielle aujazz – a peu à peu évolué d'un jeu basé sur les harmonies d'un thème à l'intérieur d'un cadrerigoureux vers une liberté absolue qui peut l'identifier à une forme d’écriture automatiqueavec évidemment les risques de panne, de bavardage, de ressassement que contient ce genred’exercice. Les premiers improvisateurs jouaient davantage de l’ornementation et de laparaphrase (Oliver, Célestin, Rena, Dodds, Noone, Siméon). Le passage du musicien prenant unsolo au soliste de jazz à part entière fut décisivement accompli par Louis Armstrong, puis parBix Beiderbecke et Red Allen, tous trois trompettistes. C’est bien Louis Armstrong qui a ouvertla voie au jazz soliste dès 1926, dans ses enregistrements du Hot five (orchestre du studio) etqui lui a donné avec West end Blues et Thight like this une direction et une ampleur sansprécédent, deux années après.

8. Liberté libertaire sans du passé faire table rase

Là encore  les termes nous piègent. Il n’est pas jusqu’à la liberté du free jazz qui n’aille sansun souci affirmé et le plus souvent abouti de théories et de recherches La culture musicale deCécil Taylor, la rigueur théorique et la fertilité des expérimentations du saxophoniste AnthonyBraxton ne sont plus à souligner. Le lâcher‐prise du free‐jazz casse des codes esthétiquescontraignants, il n’invite pas au n’importe quoi. L’initiateur de ce courant fort important auplan de la déclaration esthétique et politique des communautés afro‐américaines, OrnetteColeman, a écrit une symphonie Skies of America pour grand orchestre avec sa théorie qu’ilbaptisa harmolodique et qui vise à étendreau plus les polyrythmies et les polytonalités. Il estclair que l’improvisation sans culture n’a jamais donné de résultats satisfaisants ni rien qui aitpu faire école et transmission au sein du continent jazz. que seuls des amas de préjugéspeuvent réduire à des happenings primitifs et spontanés. Aussi pourrions nous repérer desépisodes de l’improvisation en jazz qui feraient intervenir plusieurs paramètres dont les plusdécisifs seraient :

a) Le rapport aux théories musicales et à la culture musicale rythmique et harmonique del’improvisateur.

b) Le lien entre l’improvisation et l’écriture (encore une fois il faut insister sur le fait que lesmusiciens les plus inventifs peuvent être davantage inspirés en étant soutenus par une partitionsoignée, parfois taillée à leur intention, comme c’est le cas pour Duke Ellington ou Gil Evans,qu’en défiant pour la énième fois les mêmes collègues sur des standards éculés ou sur lagamme canonique du blues).

c) La valeur subjective de l’acte d’improviser, ce grand duel avec la partie la plus libre de soi‐même. Coltrane jouant My favorite thing, cette valse sympathique et éculée, en fit l’un de sesespaces sonores les plus intimes auquel il fut des plus fidèles, allant du chantant des premièresversions à la véhémence explosée des ultimes moutures.

Le saxophoniste J. L. Chautemps écrit  : «  Je vois la musique comme une exploration del'inconscient, une sorte de psychanalyse. Il faut couler toujours plus loin dans l'épaisseur durêve  ». (Jazz Hot, n°187, p. 18). Aussi bien voit‐on que les créateurs de jazz ne font pasassumer à cette musique la fonction de genre «  anti‐genres  » spécifique de l’idéologiepostmoderne du métissage généralisé, de l’absence de hiérarchisation des valeurs esthétiquesou artistiques, elle n’illustre pas une sorte de logique de l’instant contre le poids de l’héritageet de la tradition. Si leur combat a eu un sens c’est bien dans celui de rendre vivante unetradition en la faisant périodiquement émerger de dessous les travestissements commerciauxoù elle se reléguait au prix de ne se grimer que trop.

9. De l’inactuelle urgence, actuellement  nécessaire ou bref hommage aux « passeurs »

Aussi bien voit‐on que les créateurs de jazz ne font pas assumer à cette musique la fonctiontriste d’un genre «anti‐genres» spécifique de l’idéologie postmoderne du métissage généralisé,de l’absence de hiérarchisation des valeurs esthétiques ou artistiques, l’improvisation en jazzn’illustre pas une sorte de logique de l’instant contre le trésor de l’héritage et de la tradition.Si leur combat a eu un sens c’est bien dans celui de rendre vivante une tradition en la faisantpériodiquement émerger de dessous les travestissements commerciaux où elle se reléguait auprix de ne se grimer que trop.

Et les passeurs, s’ils ne sont pas légion, traversent pour certains toute l’histoire du jazz qu’ilsportent sur leur dos et évoquent dans leur souffle. Tel un Atlas noir, Coleman Hawkins porte laTraduzir

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planète jazz de Fletcher Hendersons à Sonny Rollins, en passant par Miles, Monk, Bud Powel ouFats Navarro. Mais déjà King Oliver ce n’est plus tout à fait cette Nouvelle‐Orléans que l’onentend encore en 1927 chez Papa Célestin ou Louis Dumaine. En fondant le jazz enregistré ilrend crépusculaires les fanfares louisianaises et s’envole pour un solo serré, véhément, dansson Dippermouth Blues, solo qui ne trouve à la même époque d’équivalent que dansl’inquiétude lyrique d’un Tommy Ladnier sculptant ses phrases, lui aussi à la trompettebouchée, dans un Play that thing de légende. Le pianiste, compositeur et chef d’orchestre,Jelly Roll Morton réinvente la Louisiane et fait danser en elle le poivre de l’Espagne et rougir lesucre de la culture créole. Bix Beiderbecke, cet enfant de l’immigration allemande (le jazz atoujours été accueillant aux exilés),  pleure de joie, d’émotion et de ferveur devant BessieSmith et Armstrong, et se passionne également pour Debussy, Ravel et Grofé. Il invente ce quisera plus tard le jazz cool, celui du second Miles et de Chet Baker – et nous ne sommes pasencore en 1930.

Le jazzman est un producteur d’innovations, d’où la réalité de cette musique trop souventréduite à la mécanique de son supposé pré‐carré (improvisation et ancrage sur le blues), maisde fait musique de musiciens pour musiciens toujours à la tâche de repenser la tradition etd’inscrire cette création continuée dans un dialogue avec les autres bouleversements musicauxque connaissent les musiques de la planète.

Cette aventure du jazz en dialogue date depuis près de quatre‐vingt ans. La nouveautéprofonde du Sacre de Stravinsky et les quasi émeutes qui suivirent la première présentation decette œuvre à Paris, en 1913, aidèrent sans doute à l’acceptation et à la compréhension dujazz en France. Darius Milhaud, que son amie Yvonne Georg emmène à Harlem, y achète là lesdisques de la première compagnie phonographique d’importance destinée au public noir, lesBlack Swann (on y trouvait les enregistrements du père des grands orchestres de jazz, FletcherHenderson et ceux de la chanteuse Ethel Waters). On connaît la suite.

Je pense que ce dont le jazz a le plus besoin est cette confrontation renouvelée avec lesexpérimentations musicales les plus actuelles. Il s’étiolerait à se fondre dans une world musicoù, réduit à ses stéréotypes, il se figerait dans une actualité de mode sans épaisseur, sansmémoire et sans enjeu.

L’aspect bien pensant de cette dérive qui a toutes les faveurs d’un public amnésique ouinaverti permet  au moins de poser une problématique essentielle. On supposera que chaqueépoque a pu donner naissance à des expressions abouties, des synthèses admirables de ce quiétait antécédent ou épars dans la contemporanéité où elle se sont produites, ce pourrait êtrele « cas » de Bach en classique ou de Fats Waller, ce pianiste de jazz qui a produit la synthèse

la plus riche du blues, du ragtime, du « stride »[5]

et du swing., mais aussi à des créateurs qui,explorateurs de l’intermédiaire et de l’encore indécis, sont des passeurs vers un autre mondeesthétique. Là me vient à l’esprit l’œuvre d’une Barbara Strozzi ou d’un Orlando Gibbons, eten jazz, la musique jungle de Duke Ellington, l’itinéraire d’un Eric Dolphy ou d’un OrnetteColeman, et l’œuvre entière de John Coltrane. Ce qui est mortel en musique est la réductiond’une création à des recettes et des formules qui sont ressassées jusqu’à l’usure sans lemoindre souci de dépassement. Le jazz souffre beaucoup de sa réduction à des procédés et àdes clichés. Combien de sous‐Miles Davis ! combien de copiste besogneux sans souffles et sansélans ! Et là oui il y a une hiérarchie à faire entre la création et la redite. Penser l’actualité dujazz c’est aussi ne rien vouloir distendre du lien exigeant et amoureux entre expérimentationet improvisation, entre ombre et lumière, entre écriture et événement. Certaines créationssont‐elles encore promises à la longue durée ? Je compterai pour ma part encore beaucoup surles effets en musique des théoriciens comme Ornette Coleman et Anthony Braxton, je l’ai assezdit. Il me semble aussi que la grande leçon du risque improvisé en promesse déjà chez KingOliver, portée à son incandescence chez Ayler peut se continuer chez le saxophoniste David S.Ware.

10. Repères

Henry « Red » Allen (1908‐1967)

Fils d’un fameux leader d’orchestre de parade de la Nouvelle‐Orléans, ce trompettiste, repérépar King Oliver, s’affirme dès la fin des années 1920, comme un novateur de premier plan,jouant sur des sonorités contrastée, des stridences aux murmures, et usant de rythmesasymétriques. Il fut aussi un chanteur expressif. (Patrol Wagon Blues, 1930, I cover theWaterfront, 1957, Tuxedo Junction – avec Kid Ory, 1959). A redécouvrir d’urgence.

Louis « Satchmo »  Armstrong (1901‐1971) Traduzir

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La jeunesse agitée de ce  trompettiste lui doit d’avoir été éduqué aux subtilités des arts deparade par un instrumentiste émérite et professeur dans un Institut de rééducation de jeunesdélinquants  ; il a ensuite été formé par King Oliver aux fondamentaux du Jazz Nouvelle‐Orléans. Louis Armstrong a fondé la dimension de l’improvisation en jazz. Il apparaît d’embléecomme extrêmement en avance sur son temps dès ses rares solos enregistrés au sein du CréoleJazz Band de son maître Oliver (Chimes, Riverside Blues, 1923). Il enrichit son langagerythmique et harmonique chez Fletcher Henderson, en 1924, comme le firent aussi ColemanHwakins pour le saxophone et Jimmie,Harrison pour le trombone. Magnifique accompagnateurde chanteuses de blues (Saint Louis Blues avec Bessie Smith, 1925), il prend le risque de mettreen places deux petits ensembles de studios les Hot Five, puis les Hot Seven, de 1925 à 1927(Cornet Chop Suey, 1926, West end Blues et Thight like this, 1928) dans les cadres desquels ils’invente comme soliste de jazz. Passera ensuite par de longs séjours dans des grandsorchestres dont celui de Luis Russel avant de recomposer en 1947 un petit combo, ses All‐Starsoù brillent des individualités qu’on ne saurait cantonner dans le seul registre du jazz classiquede la Nouvelle‐Orléans (Earl Hines, Barney Bigard, Trummy Youg, ou Big Sid Cattlet, ce dernierest le parangon du batteur swing) et au sein duquel il grave quelques concerts d’anthologie(Boston, 1947). Il fut un des chanteurs les plus émouvants de toute l’histoire de la musiqueafro‐américaine (Back  O’ Town Blues, 1946). Un des vrais fondateurs du jazz.

Albert Ayler (1936‐1970)

Amplement nourri des traditions blues et rythm’and blues,  ce saxophoniste météorite, salué àses débuts par un des plus classiques instrumentistes qui soit : Don Byas, est le souffle mêmedu jazz free. En son jeu coagulent et renaissent la musique des églises noires, des orchestresde parade, des premières improvisations Nouvelle‐Orléans. Poignant, créatif et sincère, son artrécapitule sans emphase encyclopédique toute l’histoire et la préhistoire du jazz, emportantavec lui cet héritage vivant dans des risques où jamais la spiritualité et l’élan vital ne setrouvent mis en arrière‐plan. Sans doute un des musiciens le plus nécessaire pour entendre lesmusiques qui ont fait le jazz et pour pressntir ce que pourrait être un futur possible pour cettemusique Tout chez lui est à écouter, on pourra commencer à faire connaissance avec sasonorité formidable en entendant Bells (1965). A en la personne du français Daunik Lazro undisciple de premier ordre, intransigeant et lyrique.

Leon Bismark « Bix » Beiderbecke (1903‐1931)

Issu de l’immigration allemande et né dans une famille de musicien, ce pianiste précoces’invente à 15 ans une technique de cornet à piston peu orthodoxe. Vite saisi par le virus dujazz nouvelle‐orléans,, à l’écoute des musiques  jouées sur les bateaux  à  aubes qui remontentle Mississippi, il fera ses classes musicales  à l’Académie militaire de Lake Forrest. Dès sespremiers enregistrements au cornet à piston  avec un groupe d’étudiants Les Wolverines, il faitvaloir ses principales qualités et caractéristiques : jeu doux, vibrant, sensible (Jazz me blues,Tiger rag, 1924). Auditeur passionné des grands jazzmen noirs du Chicago, il aurait participé àune improvisation collective de légende avec Louis Armstrong. Son grand commensal etpartenaire musical est le saxophoniste Frank Trumbaueur. A eux deux, dès 1926, ils préfigurentle jazz « cool » (Singin’ the blues, 1927) qui fut plus tard revendiqué par Lester Young. Il asouvent enregistré, excellemment entouré de musiciens blancs qui, tous, ont contribué àd’essentielles évolutions stylistiques et techniques de leurs instrument, Eddie Lang, pour laguitare, Joe Venuti pour le violon, Don Murray pour la clarinette, Bill Rank pour le trombone, Lennie Hayotn pour le piano et les arrangements,  Jimmy Dorsey pour la clarinette (Sorry,1927, Bessie couldn’t help it, 1930). Sera engagé dans l’orchestre de jazz symphonique quedirige Paul Whitheman, figure chaleureuse et humaniste d’un jazz ampoulé et accommodé danstoutes les séductions syncrétiques et commerciales possibles, mais accouchant de raresréalisations belles et rigoureuse où l’écriture de l’arrangeur Bill Challis brille dansd’opportunes miniatures pour trompette et grand orchestre qui permettent à Bix de livrer lemeilleur de lui‐même (Lonely melody, 1928). Passionné des harmoniques qu’apportent lesmusiques européennes de son temps (Debussy), il a enregistré, pour le piano, un manifesteesthétique d’avant‐garde (In a Mist, 1927).

Leon Albany Barney Bigard (1906‐1980)

Clarinettiste.  Après des débuts vaseux chez King Oliver se révèle chez Duke Ellington dès 1927.Grave en 1929 des trios de légende avec le pianiste Jelly Roll Morton (dont Turtlle Twist).Flexibilité, émotion, jeu bluesy, swing… , Bigard est  sans doute avec Bechet et Dodds un desmeilleurs clarinettistes de jazz dont tout le talent a été mis en valeur par de mini concertosarrangés par le génie d’Ellington (Clarinet Lament, 1936). Ce qu’il a enregistré après avoirquitté la phalange ellingtonienne est très inégal, mis à part son premier passage rayonnantTraduzir

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chez Louis Armstrong, de1947 à 1955 (Do you Know what it means to miss New‐Orleans, 1947).

Anthony Braxton

Ce compositeur et musicologue, jouant de tous les saxophones est né en 1945. Avec CécilTaylor il représente la pointe extrême et nécessaire du dialogue entre jazz et musiqueoccidentale d’avant‐garde, au point que devant une telle exigence les étiquettes chutentd’elles‐mêmes. Une haute idée de l’improvisation servie par une culture musicale colossale.Loin des modes et des esbroufes, son art  est une exploration rigoureuse des combinatoires desespaces sonores, des interlocutions de timbres et d’harmoniques. (Composition n° 147, 1898)

Ornette Coleman

Ce compositeur, saxophoniste et violoniste est né en 1930. Lyrique et animée d’une énergieirrésistible, son art généreux faits de petits airs qui s’enchevêtrent dans des tapisseriesmusicales audacieuses, révèle une passion pour la liberté impatiente qui fulgurait déjà chezCharlie Parker. Amateur et promoteur de nombreuses rencontres musicales, avec des musicienstraditionnels, des stars du Rock, etc. il a en 1960 tenté une expérience fort probanted’enregistrer deux quartets se répondant entre eux, chacun formé d’un saxo, d’unetrompette,d’une basse  et d’une batterie. C’est Free‐Jazz, paru chez Atlantic. Indispensable.

William John Coltrane (1926‐1976)

Ancien sideman de Johnny Hodges et Miles Davis, ce saxophiniste et chef d’orchestre s’imposecomme le plus important musicien de l’après‐bop. Par de grandes improvisations tonales etmodales il bouleverse le langage du jazz. Adepte d’une communication avec d’autres musiquesdont, surtout la musique indienne, il est le musicien de la quête et de l’absolu. (My favoritethings, versions de 1960 et de 1967 – the Olatunji concert, Ascencsion, 1965, Expression, 1967)

Dewey Miles Davis (1926‐1991)

Ce trompettiste qui débuta aux côtés de Charlie Parker (Donna Lee, 1947) reste une star, sonjeu, pourtant, est encore mal connu. Prestidigitateur pudique ou grandiloquent, maître dessilences, des dérapages et des fulgurances, cet artiste a tenté de nombreuses expériencesmusicales en échappant à toute réduction taxonimique. Avec cela qu’il ressemble un peu à cestrains de théâtre qui donnent l’illusion du mouvement du moment que bouge, derrière eux, ledécor. Il lui arrivait d'utiliser les modes grecs pour composer.. Il préférait, par exemple, auxgammes mineures (mélodique et harmonique) le mode Dorien élaboré à partir du 2ème degréde la gamme majeure. Sa sonorité feutrée et séduisante sera durcie par la réverbérationqu’apportent les électrisations. Véritable créateur du jazz‐rock et seul, avec le batteur TonyWilliams, a donné quelque élan à ce courant  vite épuisé, Miles a passé son temps à se chercheret à  nous séduire… sans que son retour, dans les années 1980, au‐devant d’une scène conquised’avance n’ait apporté quoi que ce soit de décisif. Son parcours avec Gil Evans est de toutesubtilité et de toute séduction, mais c’est dans  les albums Britches Brew (1969) et Agharta(1975), qu’on le sent le plus concerné, le plus indispensable et le plus libre. 

Johnny Dodds (1892‐1940)

Clarinettiste. Débute ses classes en 1920 avec King Oliver. Est de toutes les formationsmajeures du jazz Nouvelle‐Orléans recomposé et mûri à Chicago  :  King Oliver Creole JazzBand, King Oliver Syncopators, Jelly Roll Morton Red Hot Peppers, Louis Armstorng Hot Five etHot Seven. Son jeu se caractérise par un profond sens du blues, un lyrisme  pudique et fier, uneattaque décisive dans les aigus et une sonorité profonde dans les graves. Indépassable dansl’art du contrepoint lors des improvisations collectives. (à écouter Perdido Street blues, 1926,Wild man Blues avec le trompettiste Charlie Shavers, 1938)

Edward  Kennedy « Duke » Ellington (1899‐1974),

Pianiste et chef d’orchestre, Compositeur. Créateur de l’esthétique du  grand orchestre dejazz, pianiste influencé par l’école de Harlem des années 1920 (James P. Johnson, Fats Waller,Willie Smith «  the Lion  ») et évoluant vers un style plus sobre et plus incisif, davantageaudacieux harmoniquement. On se reportera aux morceaux cités, témoignages de sa premièrepériode, dite «  jungle » caractérisée par un alliage entre la raucité des cuivres que vocalisel’usage omniprésent de sourdines en caoutchouc et la douceur des  saxophones. Une périodeplus tardive (1939‐1941) est considérée comme l’apogée de l’art de Duke Ellington, périodemarquée par une plus grande flexibilité( Ko‐Ko, Jack the Bear, Bleu Serge). Dès le milieu desannées 1950, le Duke revient sur sa carrière et met à jour son répertoire. Il a su appeler prèsTraduzir

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de lui des figures d’avant‐garde (A. Shepp ou E. Jones) ou enregistrer avec d’autres dont JohnColtrane.

Ian Elmore Gil Evans (1912‐1988)

Ce pianiste arrangeur et chef d’orchestre , autodidacte a émancipé la traditionnelle et efficaceorganisation par sections de cuivres et d’anches du grand orchestre de jazz due à FletcherHenderson et Don Redman. Il a de plus inventé des alliages sonores en mettant en valeur desinstruments jusqu’à lui inusité en jazz  : cor hautbois, tuba. Ses toiles sonores, hautementintelligentes et sophistiquées, sont des écrins quiaident les improvisateurs à aller de plus enplus loin dans la prise de risque et le dialogue avec la masse orchestrale, tout autant. Alongtemps prêté main forte à Miles Davis (albums « Miles ahead », 1957, « Sketches of Spain »,1959). Très beau travail avec Steve Lacy à la toute fin de sa vie (Reincarnation of a love bird1987)

Coleman  « Bean » Hawkins (1904‐1969)

Saxophoniste. Muni d’un très bon bagage musical, fait partie de l’orchestre de son collège.Membre régulier de l’orchestre de Fletcher Henderson  de 1922 à 1934. Divers séjours enEurope où il rencontre Django Reinhardt et enregistre avec lui (Honeysuckle Rose, 1937). Deretour aux USA bouleverse tous les jazzman  par son interprétation de Body and Soul (1939) oùsa sonorité achève de devenir pulpeuse au service d’un lyrisme impérieux. Il saura entendre larévolution bop et l’accompagner, en enregistrant, par exemple, un duo avec Sony Rollins, en1963 (dont Just Friends et Summertime)

Fletcher Henderson ( (1897‐1952)

Le père incontesté de tous les grands orchestre de jazz. Ce pianiste discret, subtilaccompagnateur des grandes  chanteuses de jazz et de blues de son époque (E. Waters, C.Smith, B. Smith),  a formé son premier grand orchestre au début des années 24. La plupart desgrands solistes des années 20 et 30 fréquentèrent ses phalanges : Louis Armstrong après avoirquitté King Oliver, Rex Stewart, Red Allen Roy Eldridge, Tommy Ladnier, Joe Smith, mais aussiet encore Benny Carter, Don Redman et Coleman Hawkins, jusqu’au bopper Art Blakey.  Saphalange était un lieu d’expérimentation au sein de laquelle les instrumentistes, stimulés parle fait de jouer en sections importantes, eurent à cœur de faire évoluer leur techniqueinstrumentale et le rôle même de leur instrument, que ce soit les saxophonistes  ColemanHawkins et Benny Carter,  le tromboniste Jimmie Harrison, les trompettistes  Louis Armstronget Rex Stewart  ou le batteur Kaiser Marshall. A côté de Duke Ellington, et un peu avant lui,Henderson a inventé, avec ses sidemen Don Redman et Benny Carter  les arguments classiquesde l’arrangement jazz : jeu en section, préparation des solos par un tissus orchestral ad hoc. (Copenhagen en 1924 montre comment le langage orchestral proposé permet à Louis Armstrongde faire évoluer rapidement son bagage rythmique), les chefs d’œuvre abondent au seindesquels nous indiquerons Figety Feet (1926), Queer notions (1933), Christopher Colombus(1934). Une foule immense suivit son cercueil, à Harlem (New York City)

Paul Gonsalves (1920‐1974)

En 1956, lors du festival de jazz de  Newport, le saxophoniste ténor Paul  Gonsalves qui jouaitavec l’orchestre de Duke Ellington  donnant pleine extension à son rapport au temps détaché etfluide, semblant parfois pressentir ce qui pourra se dérouler un paquet de mesures à l’avance,a confié à la cire une des improvisations les plus libres, les plus fluides  et les plus lunaires detoute l’histoire du jazz (The diminuendo and the Crescendo in Blues) . L’oreille attentivepourra entendre, dans le lointain de cet enregistrement, les grommellements approbateurspuis enthousiastes du Duke lui‐même. Cité par le saxophoniste de free jazz David Murraycomme une de ses influences majeures.

Fred Guy (1897‐1971)

Ce banjoïste a vécu toute sa carrière dans l’orchestre du « Duke ». A contribué par son temposolide et plein d’allant a la réussite des premiers climats jungle de l’orchestre.

Eleonora Billie Holiday (1915‐1959)

Chanteuse, de loin la  plus envoûtante de toutes les conteuses jazz. Sensualité, fragilité,expressivité souveraine font de son art l’exemple même de la force émotionnelle en jazz. Billie qui était plus le blues qu’elle ne l’a chanté a trouvé dans le saxophoniste Lester Youngson plus digne chevalier servant, à hauteur d’inspiration  l’un de l’autre. Bien qu’elle ne l’aitTraduzir

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pas créée, elle a su s’approprier une composition d’un réalisme poignant à propos du lynchagepublic de noirs aux USA par les racistes blancs du Sud du pays (Strange fruit, 1939, thème quisera bien repris aussi par S. Bechet accompagné du pianiste Willie Smith « The Lion », deux ansplus tard).

Thomas « Tommy » Ladnier (1900‐1939)

Avant de confirmer sa classe dans l’orchetre de Fletcher Henderson de 1926 à 1928, cetrompettitte joue avec  Olie Powers, Fate Marable et King Olivier.  A voyagé à la toute fin desannées 1920 et au début des années 1930 en Europe, notamment à Moscou, Londres et Paris.Redécouvert au tout début du mouvement « revival » du jazz Nouvelle‐Orléans, Ladnier a laissél’empreinte d’un  jeu dépouillé, nourri de blues, où le poids de chaque note compte.  (Playthat Thing, 1923,  Dyin’ by the Hour –avec Bessie Smith, 1928, Really  the Blues, 1938)

James Bubber Miley (1903‐1932)

Ce trompettiste accompagne dès l’âge de 18 ans la chanteuse Mamie Smith. L’écoute du KingOliver Creole Jazz Band lui procure une révélation. Il se passionne pour les sourdines etenregistre en solo (accompagne par un orgue) en 1924. Sera par la suite engagé par DukeEllington de 1924  à 1929, avec qui il grave les plus impressionnants morceaux de style jungle(The Mooche, Black and Tan Fantasy, Creole love call, Blues I love to sing). Sa grandeimprégnation du style et du tempo des musiciens de la Nouvelle‐Orléans se conjugue à un styledroit issu du voicing des prédicateurs noirs du Sud des U.S.A. Après son départ de l’orchestredu «  Duke  » est engagé dans diverses formations dont celle de Léo Riesmann, où, pour desraisons de ségrégation, il est astreint à jouer derrière le rideau, lors que tous jouent sous leplein soleil des projecteurs  ; il n’en gravera pas moins un ultime chef d’œuvre What is thisthing called love ? avec cet orchestre en janvier 1930.

Charles Jr. « Charlie » Mingus (1922‐1979)

Ce pianistes délicat et contrebassiste puissant, admirateur de Jelly Roll Morton et de DukeEllington, dans l’orchestre duquel il a brièvement joué,  a eu comme plus proches partenairesEric Dolphy et Fats Navarro. Homme noir en colère contre les injustices qui oppriment sonpeuple, Charles Mingus est un musicien engagé. C’est un formidable catalyseur d’énergie, et unaccompagnateur extrêmement stimulant, sensible, audacieux. Nul n’a fait comme lui « parler »la contrebasse. (Blues and roots, 1959, Goodbye Porkpye Hat, 1977).

Ferdinand Joseph « Jelly Roll » Morton (1885‐1941)

Pianiste issu du ragtime et créole attentif à  toutes les musiques de sa ville de Nouvelle‐Orléans, Jelly Rol, personnage de légende, autant inventé par le jazz qu’il ne l’a inventé acomme principal fait d’armes et titre de  gloire d’avoir complètement repensé et orchestré lejazz de la Nouvelel Orléans dans ses enregistrements des 1926 et 1927. (cf article). Le pianistea du charme, une main gauche encore pataude mais des talents infinis pour border et ciseler àla main droite. (Fat Frances, 1929). Le musicologue Alan Lomax le sort d’un anonymat injurieuxen 1938 et lui laisse évoquer, pour le Bibliothèque du Congrès,  seul devant son piano, sa façonde se souvenir du jazz naissant et de sa ville natale. Ce document irremplaçable est depuis peusoigneusement repiqué sur CD. 

Joseph Irish « Joe Tricky Sam » Nanton (1904‐1946)

Ce tromboniste restera fidèle au Duke de 1926 jusqu’à sa mort. Il fut l’un des plus grandscréateurs et stylistes du style jungle, usant d’une sourdine en caoutchouc, il tire de soninstrument des sons proches de la voix humaine. Très grand sens de la construction des solos, àpartir de formules mélodiques simples issues droites du blues. A marqué de son style les deuxépoques les plus décisives de la musique de Duke Ellington : la période jungle (1916‐1931) et legrand classicisme de l’année 1940 (Ko‐Ko, Jack the Bear)

Joseph « King » Oliver (1885‐1938)

Le grand ancêtre de tous les trompettistes de jazz. Il a su, unifier toutes les composantesdiverses des musiques de la Nouvelle‐Orléans en en proposant dans ses enregistremetns duCreole jazz Band, en 1923, secondé par son cadet et respectueux disciple Louis Armstrong, unesynthèse nostalgique qui a ouvert  le jazz à l’âge des improvisations et des improvisateurs.Trompettiste et cornettiste sensible et lyrique (Dippermouth Blues, 1923), il fut unremarquable meneur d’improvisations collectives. Très juste accompagnateur des chanteurs etchanteuses de blues (dont Sarah  Martin et Texas Alexander) Soliste de belle envergure il aTraduzir

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12/06/2016 De l’acte « jazz » : improviser/interpréter - OLIVIER DOUVILLE

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confié à la cire des improvisations pudiques et sensibles (dont Aunt Haggar’s Blues 1928, Bozo,1928). Un des pionniers aussi du grand orchestre jazz (Nelson Stomp, 1930). Délaissé puisignoré ce fondateur admirable est mort dans la misère la plus cruelle.

Charles Christopher « Charlie »  Parker (1920‐1955)

Se reporter à l’article. Avec Armstrong et Coltrane un des plus grands improvisateurs (sinon lepus grand) en jazz. Co‐fondateur avec Dizzy Gillespie du be‐bop, mouvement révolutionnaireen musique que ce soit au plan des rythmes que des harmoniques.(Hot House, 1945, Lover Man,1946,  Scrapple from the Apple, 1947, Leap Frog, 1950)

Jean‐Baptiste « Django » Reinhardt (1910‐1953)

Sans nul doute avec Charlie Christian et Wess Montgomery, un des trois meilleurs guitaristes dejazz. L’originalité du manouche  Django est d’avoir réussi la fusion entre la musique afro‐américaine et les traditions tziganes, sans folklorisme de circonstance. Archétype du musicienjouant d’oreille sans se repérer dans l’écriture (figure de ces musiciens d’instinct qui ne furentpas légion) sa mémoire musicale et sa culture harmonique sont confondantes. Improvisateurintarissable il s’est plutôt émancipé des ritournelles du jazz manouche qu’il ne lesaccompagnées ou escortées. Très apprécié des musiciens noirs américains, grand rythmicien,accompagnateur infaillible, il a enregistré des faces de toute beauté avec Coleman Hawkins,Benny carter ou Eddie South. Le grand « découvreur » de la guitare jazz. (Minor Swing, 1937,I’ll see you in my dreams, 1939, Blues for Ike, 1953)

William « Rex » Stewart (1907‐1967)

Cornettiste. S’il a joué d’abondance avant et après son passage chez Duke Ellington, c’est biendans cet orchestre qu’il a jeté le meilleur de ses feux et a contrôlé sa virtuosité bavarde. Sessolos où il joue de notes mates et étranglées sont de toute logique et de toute beauté (Boymeets Horn, 1938 et plusieurs versions de concert de ce même thème).

Clark Terry

Ce trompettiste, né en 1920, a fait ses classes chez le vibraphoniste Lionel Hampton, puis chezCount Basie (Katy, 1949) avant d’être engagé par Duke Ellington (A drum is a Woman, 1956,Lady Mac, 1957). A su conseiller Miles Davis qui lui vouait, en retour, une admiration sansfailles. Beaucoup de swing, d’invention et de musicalité,  Clark Terry a su plus que quiconqueallier tradition et modernisme. Son album «  Color Changes  » (1960) le montre tout à sonavantage : pudique, inventif, exigeant et prodigieux bâtisseur d’ambiances.

Lennie Tristano (1919‐1978)

Ce pianiste d’une agilité contrapunctique hors du commun et compositeur novateur a été unimmense enseignant. Il a donné au jazz cool quelques unes de ses plus fortes exigences derigueur et d’invention rythmique et harmonique (Requiem –for Charlie Parker, 1955). Il y a uneécole Tristano où brille notamment le saxophoniste Warne Marsh.

Lester Willie Young (1909‐1959)

Saxophonitse et aussi clarinettiste. Ce natif de la Nouvelle‐Orléans fut engagé dès 1936 parCount Basie où il bénéficie d’un environnement favorable en raison de la qualité des solistes etde la fluide solidité de la section rythmique. Se liant d’amitié avec Teddy Wilson puis BillieHoliday, il enregistre avec cette dernière (Travlin’ all alone‐ 1937) dont il estl’accompagnateur le plus attentif et le plus stimulant. Son jeu, élaboré lors de son passagedans le grand orchestre de Count Basie (1936‐1940 puis 1943) puis dans celui de Dizzy Gillespie(1943)    est libre, cool, effaçant les différences entre temps fort et temps faible, ets’affranchissant, dans ses improvisations,  de la graduation programmée des accords. Cetartiste a eu une grand influence sur le ajzz des années 1950, dit «  jazz‐cool  ». Sonenregistrement de These Foolish Things  (1945) est un des plus remarquables exemplesd’improvisation en jazz, le musicien prend appui sur les harmoniques mais s’éloigne trèsrapidement de la pourtant très jolie mélodie retenue.

Olivier Douville

[1] Harry Wills, boxeur noir de très haut niveau actif dans les années 1910 et 1920 doit combattre Jack Dempsey pourle championnat des poids lourds, mais le match fut annulé, de crainte qu'après Jack Johnson on consacre à nouveau unTraduzir

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boxeur afroaméricain. Les préjugés de race étaient aussi très présents dans le monde sportif. On se souviendra que lavictoire de Jack Johnson sur Burns fut marquée par des agressions de meutes racistes blanches contre les noirs, et quece formidable champion, qui commit le "crime" d'avoir épousé une femme blanche dut,pour éviter de faire de laprison pour cela, fuir au Canada, puis en France.

[2] Un album (avec donc de grandes parties écrites).

[3] Surnom de Clark Terry,  surnom d’autres  trompettistes  également dont Harry Sweets Edison chez Count Basie,puis Franck Sinatra

[4] Considéré comme l’un des premiers  improvisateurs de jazz, né en 1877, ce trompettiste n’a pas laissé de tracesenregistrées d’une musique sans doute intermédiaire entre le ragtime et le jazz NouvelleOrléans, il était réputé poursa puissance sonore, son sens du blues, son inspiration. Il est mort « fou » et a passé les vingtquatre dernières annéesde sa vie dans l’asile psychiatrique de la Nouvelle Orléans. À quoi pensait le grand trompettiste Red Allen lorsqu’illui rendit visite, et à quoi pensait aussi Louis Armstrong lorsqu’il retrouva un bref moment, à la fin des années trente,un King Oliver ruiné et les dents tellement déchaussées qu’il ne pouvait plus jouer de trompette ? Les débuts du jazzsont traversés par la mort et la folie, la ruine. Rien de la sinistre rigolade de fanfare que de misérables analphabètesaiment à produire en se croyant neworléanais dans l’âme.

[5] Art pianistique propre à Harlem où la main gauche joue les fondamentaux de la base sur les temps pairs et unaccord avec beaucoup  de brisures et  de variétés harmoniques (en dixième) sur les temps pairs. La main droitejouissant d’une liberté virtuose 

Archie Shepp blase

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