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(de Pétrarque à Descartes 32) -Platon Et Aristote à La Renaissance_ XVIe Colloque International de Tours-J. Vrin (1976)

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    DE PTRARQUE A DESCARTES Fondateur : PIERRE MESNARD

    Direction : Centre d'tudes Suprieures de la Renaissance -----'-------XXXII---------

    XVIe COLLOQUE INTERNATIONAL DE TOURS

    PLATON ET ARISTOTE A LA RENAISSANCE

    Ouvrage publi avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

    PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN

    6, PLACE DE LA SORBONNE, Ve

    1976

  • La loi du 1.1 mars 1957 n'au~orisant ?ux termes des alinas 2 et 3 de l'article 41, d'une part que les copIes ou reproductIOns strictement rserves l'usage priv du copiste et non

    d.est~nes une utilisation collective et, d'autre part, que les analyses et les courtes ~ltatlOns dans un _ but d'~xemple et d'illustrations, ({ toute reprsentation ou reproduction mtgrale, ou partIelle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants.droit ou ayants-cause, est illicite (alina 111r de l'article 40).

    Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles 425 et suivants du Code Pnal:

    Librairie Philosophique J. VRIN, 1976 Printed in France

    AVANT-PROPOS

    Le volume que nous prsentons au public, 32 de la Collection De Ptrarque Descartes , est constitu par les Actes du XVIo Colloque International d'Etudes Humanistes, organis en juillet 1973 par le Centre d'Etudes Suprieures de la Renaissance, sous la double direction de M. Maurice de GandiIlac, professeur de philosophie l'Universit de Pan-thon-Sorbonne, et de moi-mme. Actes du XVI' Colloque de Tours, l'exception toutefois de deux confrences, dont nous regrettons vive-ment l'absence, l'une de Mme Christine Martineau (de l'Universit de Nice) sur Brionnet et Marguerite de Navarre, l'autre du Prof. Paul Czar-toryski (de l'Acadmie des Sciences de Pologne). Selon l'habitude, les discussions, souvent trs animes et fort enrichissantes, qui ont suivi les communications, n'ont pas pu prendre place dans cette publication, pour des raisons d'ordre matriel.

    Le plan adopt a posteriori, mais prpar par les organisateurs du Colloque dans le choix qu'ils avaient fait des orateurs et dans les sujets de confrences qu'ils leur avaient suggrs, apparat dans la division du volume en sept grandes sections. Dans. une chronique publie en 1974 dans la Bibliothque d'Humanisme et Renaissance (t. XXXVI, 1, pp. 157-173), j'ai essay de dgager, au lendemain du Colloque, ses enseignements majeurs, soulignant les lignes de force, de convergence ou de divergence des 33 confrences principales. Je me permets d'y renvoyer le lecteur, me contentant de rappeler qu'en intitulant le colloque Platon et Aris-tote la Renaissance , et non pas Platonisme et Aristotlisme la Renaissance , nous voulions viter tout prix d'introduire d'entre de jeu des divisions catgorielles ou des concepts trop gnraux, impr-cis, problmatiques, aplatissant - au lieu de l'exalter - le relief histori-que et philosophique. C'est sous leur seule responsabilit et avec leurs propres grilles interprtatives que les auteurs des communications ont rintroduit les expressions - sans doute invitables, mme pour les auteurs du plan de l'ouvrage - de platonisme, de no-platonisme, d'aris-totlisme ou d'antiaristotlisme.

    Ni Platon ni Aristote ne sont rductibles l'unit, pas plus l'po-que de la Renaissance que dans leur pass historique. Ils ne cessent pas non plus de dialoguer entre eux d'un bout l'autre de la Renais-sance, et mme bien au-del. C'est quelques chos de ce dialogue que nous voulons convier le lecteur.

    J .-C. MARGOLIN dcembre 1975.

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    DU XV" AU XVI" SICLE: PLATONISME, ARISTOTLISME, CHRISTIANISME

    PLATONISME ET ARISTOTLISME CHEZ NICOLAS DE CUES

    En inaugurant ce colloque dans un local nouveau, s~gne du dvelop-pement promis au Centre d'Etudes Suprieures de la Renaissance, que notre pense aille d'abord Mgr Marcel, depuis le temps de Mesnard si troitement li la rue Nricault-Destouches. Son souvenir reste vivant ici, et douloureuse encore son absence.

    Et mon second devoir, fort agrable celui-ci, est de dire toute ma gratitude Jean-Claude MargoIin, car lui seul a port le poids d'une laborieuse prparation. Le thme retenu cette anne est si vaste qu'en deux semaines il ne saurait tre question de l'puiser. Les lacunes du pro-gramme tiennent sans doute la dfection de certains spcialistes dont nous avions souhait la collaboration. Mais tous les pressentis eussent-ils accept de venir cet t Tours, il aurait bien fallu qu'on limitt le nombre des exposs pour rserver un peu de place aux discussions officielles et aux entretiens privs.

    J'ajoute que notre propos mme ne va pas sans quivoque. Certes la Renaissance a possd plus de textes que le Moyen Age, et une meilleure connaissance du grec lui permettait un contact plus direct avec eux. Cependant le Platon et l'Aristote du xve et du XVIe sicles, malaisment spars de l'apport des interprtes et disciples (surtout latins et arabes, mais aussi hellniques), demeurent largement mythiques et symboliques. Et leur complexe influence, souvent marque de syncrtisme, reste en symbiose avec des thmes venus d'autres coles antiques, avec des traditions pseudo-zoroastriennes et hermtiques, avec des gnoses grecques et juives, sans oublier cet hritage mdival, souvent encore actif mme chez ceux qui le rcusent, et dont on aurait tort de limiter la survivance celle d'une scolastique tardive (et, en Espagne notamment, fort brillante).

    St tout cela est manifeste mme chez un Bruno et un Campanella, que dire alors du cardinal de Cues? Malgr des traits qui l'apparentent un ge nouveau, par d'autres aspects (comme ce latin raboteux dont il

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    priait que l'excusassent ses amis italiens) il relve de cet ge inter~ mdiaire (media tempestas) que son secrtaire Andr de Bussi devait dfinir, en 1469, dans un loge funbre qui est en mme temps l'acte de naissance rtrospectif du Moyen Age. Il reste que le Cusain >} (comme nous l'appellerons souvent, pour simplifier, sur le modle des Allemands qui disent en gnral (c Cusanus ) annonce un nouvel esprit scientifique, prpare un radical renversement de l'ancienne cosmologie et peut passer, par son analyse de l'esprit connaissant, pour un prcurseur de l'idalisme transcendantal. Sans tre lui-mme hellniste, il a particip la prpa-ration du concile de Florence, chec cumnique et politique, mais dcisive rencontre entre le monde latin et la tradition byzantine.

    Sous des rserves que nous aurons prciser, il n'est gure douteux que la pense cusaine soit dans la ligne d'un certain platonisme , mais qui est plus'prs pet-tre de celui des Chartrains que de l'Acadmie florentine. Dans le monde latin du Moyen Age, la connaissance du grec tait devenue rare, et des dialogues de Platon on ne possdait que le Time dans la version de Chalcidius. Mme lorsqu'on put lire en traduc-tion quelques autres dialogues, on ne les frquenta gure. Le Cusain mme les connat peine, les cite rarement, et de manire trs approximative (notamment le M1wn au chapitre 31 du De uenatione sapienti).' Capable la rigueur de dchiffrer quelques mots grecs, et fier de possder lui-mme quelques manuscrits byzantins, il ne peut les utiliser que dans des versions latines, qui quelquefois se font attendre longuement, par exemple celle de la Thologie platonicienne de Proclus, que Balbo ne traduira qu'en 1458. En revanche il semble qu'il ait possd assez tt le commen-taire du Parmnide et l'Elementatio theologica (dans les versions de Moerbecke), et ses exemplaires contiennent des annotations marginales qui rvlent une lecture attentive, mais les citations explicites dans les traits du cardinal apparaissent surtout aprs 1459; avec le Pseudo-Denys (qu'il lit. et relit dans la, version nouvelle de Traversari, compose, semble-t-Il, sa demande), Proclus est une de ses sources essentielles quant l'ensemble un peu composite de doctrines et de tendances qu'il

    at~ribue aux .platonici (on ne doit pas ngliger pourtant ce qui vient de samt Augustm et des Pres grecs). Dans ses toute dernires annes, il utilisera Diogne Larce (galement traduit par Traversari). Sa connais-sance d'Aristote est plus directe, surtout aprs 1450 lorsqu'il peut utiliser la traduction de Bessarion, mais mme l ses citations sont parfois imprcises ou inexactes et il ne craint pas les exgses accommodatrices. Ses modes d'exposition ne sont gure scolastiques, mais son vocabulaire reste en partie celui de l'Ecole, malgr force nologismes, ingalement heureux, et certaines imprcisions gnantes (. propos notamment de la concidence des opposs , qui sont tantt des contraires,)} tantt des ( contradictoires )}). '

    N Cues sur la Moselle en 1401, dans une famille de bourgeoisie aise protge 'par les comtes de:Manderscheid, Nikolaus Krebs (en latin Cance; de Cusa) fut-il Deventer l'lve des Frres de la Vie Commune, adeptes

    PLATON, ARISTOTE 'BT NICOLAS DB eUES 9

    de la deuotio moderna, mais diteurs aussi des -matres nomina,listes? Echafaude partir d'une clause de son testament, cette hypoth,ese. est aujourd'hui fort conteste. Du moins' on peut penser qu'en 1416, 1 umver sit de Heidelberg o il tudia le droit, le Cusa~n fut_ en co~tact a~ec. un milieu ockhamisant, o l'on avait rompu en faIt avec certams prmcIpes de la physique-aristotlicienne (primat du qualit.atif, coup~re .radical.e.e?tre la mcanique cleste et la mcanique sublunaIr~, parfaIte lmmobIlIte de la Terre au centre d'un univers fini), et par certains aspects de sa cosm~logie et de sa mcanique, Nicolas appartient la tradition des ,moderm. Et s'il ne suffit pas pour tre nominaliste)} de considrer les universaux in mente comme des entia rationis, il reste, significatif que le domaine o le cardinal sera le moins platonicien soit le refus d'un ralisme qui situe-rait dans le concret des formes intelligibles prexistantes.

    A P~doue o il continue ses tudes, -il ne semble gure marqu par l'influence av~rroste. A ct du droit, il s'intresse la 'mdecine, mais plus encore la mathmatique. Malgr cert~ines rfrenc~s l'astro~ogie arabe (sur,tout dans des sermons anciens), Il est fort lom du fatalIsme astral. Au demeurant il liminera vite de sa vision du monde le systme des sphres cristallines et, ds 1440, dans le De docta igno~antia" il va dcrire une, machina mundi dont le centre est partout, la CIrconference nulle part, o ni la Terre n'est astre vil ni le Soleil pure lumire. Lorsqu'il usera de cercles concentriques pour symbolis~r le double enveloppement du sensible par le rationnel, et du rationnel par rintellectuel (par e~emple dans son De eonieeturis, crit et remani de 1441 1445), ces Images n'auront aucun caractre cosmologique; au demeurant il les corrige par le 'schma de sa figure P (figura participationis) o l'on voit toutes les cratures recevant la double influence de la lumire et de l'ombre, dans le faisceau crois de deux pyramides ayant pour pointes respectives l'unit et l'altrit (ou encore Deus et Nihil). On sait, d'autre part, que des analyses gomtriques de la transmutatio l'aident suggrer la concidence des opposs )}, faisant ressortir l'identit du maximum et du minimUI~' qu.and la circonfrence devient par hypothse celle d'un cercle de rayon mfim ou quant le polygone dont crot le nombre des cts tend se confondre avec le cercIe circonscrit. Tout cela est fort tranger l'aristotlisme et se rattache plutt la rflexion eudoxienne sur les limites.

    Contre une certaine vision hirarchique du monde, le Cusain voque parfois les logoi spermatikoi du stocisme et, bien qu'il le fasse en termes aristotliciens mais utiliss d'une manire qui pose paradoxalement la simultanit de l'acte et de la puissance (unde aiebant ueteres stoici formas omnes in possibilitate actu esse, Doet. ign., II, 8), cette audace relative (les raisons sminales de saint Augustin peuvent lui servir de garants) sera confirme par les textes plus tardifs qui rhabilitent Epicure. Certes Nicolas de Cues est ici tromp par le texte dfectueux de la Lettre Hrodote dans la traduction latine dont il dispose; il s'imagine qu'un ordre providentiel prside au mouvement des atomes. On jugera pourtant signi~ ficatif que, dans le De uenatione sapienti (chap. 8 et 21), il ~e rf~e l'atomisme pour critiquer la thorie selon laquelle les clestta auraIent fonction rectrice l'gard de haec terrena, comme si tant d'astres

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    innombrables, plus grands que cette Terre , pouvaient avoir t crs pour ~e monde terrestre ). En fait, nous le verrons, Nicolas de Cues n'a pa~ touJour~ ?ens .que l'aristotlisme. ft incompatible avec J'ide d'une pUlssanc~ divme agIssant au cur mme du cosmos, et, dans sa propre perspective, les atomes d'Epicure n'auraient gure pu s'intgrer qu'en prenant plus ou moins figure de monades leibniziennes.

    A l'universit de Cologne, qu'il frquente en 1423, le Cusain est sans do~te ~n contact avec l'aristotlisme noplatonisant des albertistes ~~lS C est surtou: par Eckhart qu'il en subira l'influence. Aprs un bref epls~e humaruste , on le trouve prtre Coblence puis avocat au concIle de Ble, o il intervient d'abord pour dfendre la' cause d'un Man-dersch~i~ dont la dsignation comme vque tait fort conteste; par son talent Il Impose sa personnalit et bientt on lui confie des tches dlicates comme la ,r:go?iation av.ec les Hussites. Sa Concordantia catholica (1443) mo.ntre qu Il VOIt 'plus lom que ses amis du parti conciliaire . Dans ce ~rrut de canoniste et ~'hi~torien, il serait malais de dceler quelque lnfl~ence de Platon ou d Anstote; malgr certains emprunts au Defensor paCIS de Marsile dei Padoue, l'auteur ne peut gure passer pour un repr-sentant de l'averrosme politique. Sa th'orie du pacte social le montre plus proche d~ Duns Scot que de saint Thomas; si son attention significative tout l'orbts terrarum rappelle l'universalisme de Dante, l'imperium chez lui p~end. une forme nettement fdrative, sans privilge pour Rome. Patriarche d OccI~ent, l~ pape pour lui, malgr sa primaut, n'a pas pouvoir direct en O~Ient; Il devrait rgir l'Eglise latine aVec un conseil de cardi-naux elus par les communauts piscopales. L'accent est mis sur l'accord des partie~ et. ~u tout par immanence globale de l' esprit , par enracine-me~t d:s ,mdlvl~~S et des ,groupes dans un corps assurment hirarchis, malS ou 1 autonte venue d en-haut s'exerce selon le consensus des fidles f.ar to~t un systme de :( reprsentations . Qu'il s'agisse de l'Eglise ou d~

    Empu:e, ce .plan de reformes est pour une grande part utopique (cara~tere ,!-UI va se retrouver, d'autres manires, dans l'Idiota de statids expertmentls de 1450 et dans le De pace fidei de 1453), mais nullement a,: ~ens de More ou de Campanella et sans rfrence la Rpublique plato-mClenne. Par la suite l'auteur insistera davantage sur la notion de ( bien

    com~un )~ au ,se~s. ~'Aristote et de saint Thomas. C'est elle finalement qui le determ~ne ~ rejoIndre le ~~rti pontifical et dfendre en Allemagne la c~use. d ~~gene IV. A la Noel 1448, Nicolas V fera de lui un cardinal et pour le JubIle de 1450, son lgat itinrant travers les terres germaniques' des Pays-Bas la Bohme. '

    J?s ,143.1, r~menant~ de Constantinople les dlgus orientaux au con~Ile d umon, Il a noue des relations troites avec plusieurs d'entre eux A,mI. fidl~ de Bessarion, entre les purs platoniciens et les sectateur~ d.A~Is~ote Il.sou?ait~ la ~onciIiation. Au reste il a sa propre voie, qu'il doit, ~lt-Il,~ a une InSpIratIOn d en-haut. De la Docte ignorance au trait du Bryl Il pre.sente cette mthode comme un moyen de dpasser les oPposition~ doctrmales en rete?~nt de c~aq?e philosophie ce qui reprsente ses yeux une approche pOSItIve de 1 umque vrit, en soi d'ailIeurs inaccessible. Comme presque tous les hommes de son temps, il aime pourtant se dcou-

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 11

    vrir des prcurseurs. Ds ses sermons de jeunesse, on le voit invoquer les plus htroclites auctoritates. Celles qu'il retient dans ses uvres ult-rieures sont certes mieux tries, mais leur usage relve souvent de la pia interpretatia.

    . Sans suivre ici le cardinal dans sa vie difficile d'vque (en lutte Brixen avec son clerg comme avec le duc de Tyrol), ni dans son labeur des dernires annes la Curie romaine, et sans nous arrter aux textes de caractre surtout scientifique ou prdominance religieuse, on retiendra _ depuis le De dacta ignorantia de 1440 jusqu'au De venatione sapienti de 1463 - quelques-unes des rfrences les plus significatives au platonisme et l'aristotlisme. On verra que, si Platon parat souvent privilgi, si Aristote est parfois critiqu en termes assez svres, le Cusain refuse en gnral (comme l'idiota de ses dialogues) tout asservissement quelque secte que ce soit.

    A la diffrence de Ficin, il ne se rfre que rarement une antique tradition de caractre plus ou moins mystrieux, venue d'Egypte, d'Iran et de Chalde. S'il loue Platon d'avoir imit Pythagore, c'est pour avoir us _ au niveau de la ratio - d'une mthode numrique capable de lier l'un et le multiple (neque arbitror quemquam rationabiliorem philosophandi modum assecutum, quem quia Plato imitatus est, merito magnus habetur, De ludo globi, II). Le thme du progrs (dvelopp dans le Sermon Ubi est de 1456) exclut d'ailleurs l'ide d'une vrit originelle, plus OU moins obscurcie dans la suite des temps et que conserverait une ligne plus ou moins sotrique. Sans doute le dveloppement des arts (consolation offerte l'homme qui, comme tout autre animal, nat nu et dmuni) n'est pas rigoureusement unilinaire, et il ne s'agit pas davantage d'une succes-sion de cycles, mais plutt, semble-t-il, d'un devenir historique assez complexe, o Mahomet, par exemple, bien que venant aprs Jsus, a pour fonction positive d'adapter la vrit mosaque aux rudes Arabes et de les prparer ainsi une phase de dveloppement qui permette de mieux saisir le sens universel de la Trinit et de l'Incarnation. A la mesure de leur temps et des moyens dont ils disposent, de faon conjecturale, les sages tentent d'approcher le mystre vivant d'un Dieu cach et infini, unit pure qui cependant se dit elle-mme et revient elle-mme, l'imma-nence universelle d'un mouvement ternaire de l'un, de l'gal et du connexe, le rle de l'homme qui, par la puissance de la mens, mesure et cre (l'idiota du De mente qui, faisant des cuillers de bois, donne forme la matire, est plus proche de l'art divin que le peintre qui copie simplement le rel), la relation de l'infini absolu l'infini contract ou cosmique qui exige la mdiation christique de l'homo maximus, la fois ( microcosme , qua-litas essendi et Verbe incarn (Doct. ign., III, 3-4).

    Dans cette perspective, et bien que les oppositions entre Platon et Aristote soient quelquefois rduites des questions de vocabulaire, le platonisme correspond certainement, tel que le Cusain l'envisage, une meilleure approximation, un plus authentique pressentiment de la vrit. Ds la Docte ignorance, il qualifie Platon de divin, et la formule est reprise

  • 12 M. DE GANDILLAC dans l'A l' , po ogza, IDalS le contexte lnantre bien qu'il s'agt]' db' chose que le vrai platonisme d . a, e len autre pour sa tholo' . 1 es Dtalogues. Ayant lou, en effet, Avicenne Plato in Parm7::i:e gt~l:eJ 1 aut~ur ajoute: sed acutius ,ante ipsum diuinus adeo d' . . .a t modo zn Deum conatus est vtam pandere quem POSUfss:t;eUserf:;::;s~us imita!us _ est ut saepius Platonis uerba s~riatim Proclus no~ de PI' d, de BaIe, 1565, p, 66, Cette littralit est celle de saint P~ul (et 1'0 a~~:. Croyant encore que Denys est l'Aropagite de

    . il S e onne de cette attitude chez un homme ui fut It~Clde dev~nt les fausses Dcrtales et critiqua l'authenticl'te' dqe la dP1Us IOn attnbu' 'c . ona~ des formule ee. a ons~antm), le C~sain tr~uve normal de lire chez lui

    l, t d S qUI appartiennent au neoplatomsme tardif et dont 1'1 cre'd't au eur u Parm' 'd . . 1 e

    considrer le ci' entd

    e, Dmoms SOUCIeux que ne le sera Lefvre d'Etaples de

    ~ux 1 l~cubra:!O~:s~':e';~;s d~a~~:;~~:.,u::t~~a;:~:i~':'''n~~~r ;::t~P!~ser g::,:g~: chr~~i~~S~e!~n~a~~ ~~~~~~r:o~~%~t:a~:n ~malgam~nt jui~ auteurs suspects et mme condamns _ il ualifieml ses ~alt~es. des Philon d'AIxandrie (auquel il attribue l~ livre i~sPir ded~a s;ptentts)stmus re,:ommande d'une ligne qui, de Jean Scot dit l'Eri agesse et se Samt~Victor et Robert Grosseteste, conduit Matr; ~e,~ar t Hugues de Platon est moins ici l'auteur des Dialo 1" c. ar (p, 70-71). d'u~e longue: ~radition. Relatif cependant re;~::o~u~ri~~r~~t:ur sUPPo~, :o!~n~ei;~~~~s:as une confiance aveugle, et d'autres :hiios~~~~: :::

    Comme pre de Znon et {( grand' d schma transmis par Proclus '1 t -I?ere e Socrate - selon le

    , - l es vraI que Parm' 'd Pythagore, est bien l'aeul du diuinus Plato ' , em e, autant que quelque parent ue le C ' .' maIs c est sans rfrence dfend me 'me E ~ usam loue volontlers Anaxagore et Empdocle

    pIeure et pour sa do t' d l'h ' Protagoras, cela dans le' mme te t c ~ne b e omme-mesure, rhabilite grands adversaires de la SOPhistiq:: ~l et erY~I1r~hap, 36) o les deux deux princes de la philosophie e~x a ~m, e Istote, cependant tous sont accuss de la mme dficience' l q,Ul s acharnent contre Anaxagore, en toute clart) que Dieu est touiue Ul, ~~ute de compr~ndre (du moins d'ailleurs aucune philosophie qui ne en~em e acte et pU1ss~ce, Il n'est et le premier mrite des sages )} estrj~s~e:e~~: de la pa~faIte prcision, Parfois Platon est loue' comm Ile reconnaltre ces limites,

    e e seu )} qui d' autres se soit tonn' ,,, ' epassant un peu )} les

    , , ' e quon put trouver Dieu t d r7veler (Solus Plata aliquid plus aliis philosophis :'d' aVda~tabge encor~, l~ St Deus in " t l ' l ens tce at se mtrarz chap. 12), ~:~~rzr~st~t~S mtra~i. si inuentus. posset propalari, Ven, 'Sap., simus (au chapitre 8 d~ ~u~:~~i~a jf~~:e d~~nor~nce appela~t prfundis-acutissimus) a le mrite, nous le ve~rons d 1 seu ement Pertpetattc~rum cherche la quiddit de tout ,e prsenter comme toujours (Non aliud chap 18) Certes At '1 es .c~oses en tant que connaissable de la forn:.a et de la' materi~ eu -1 SaiSI comme troisime principe, ct actif comme inchoatio forma'rnon ~lne pr~tendue priuatio, mais le nexus

    um, 1 auraIt sans doute p '1 ' cette recherche (De beryllo chap 29) Il d , ouss,e pus. lom

    , " a u mOInS pressentI les limites

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 13

    de cette philosophie premire laquelle de lointains successeurs donneront seuls les qualifications de mtaphysique ou d'ontologie. De la part d'un impositor nominum peritissimus (que Lefvre d'Etaples dfinira comme thologien de la parole , ayant surtout le mrite de prparer la voie aux thologiens du silence ), cette modestie et cette gne tmoignent, comme malgr lui, que l'infini chappe toute saisie par signes sensibles et par concepts (De uenatione, chap, 33), Encore que Platon semble au total plus aisment rcuprable , c'est plus d'une fois -chez le philosophe du langage et de la raison que le Cusain trouve des intuitions qui, non seulement, rejoignent celles des platoniciens, mais, la seule condition de les bien entendre, semblent plus perspicaces.

    Ainsi, ds le dbut du De docta ignorantia (l, 1), aprs avoir rappel que Socrate disait ne rien savoir sinon qu'il. ne savait rien (nescience toute proche de celle de l'Ecclsiaste, l, 8), Nicolas de Cues voque la phrase de Mtaphysique u. (993 b) sur le regard humain qu'aveugle une vrit trop lumineuse comme l'clat du Soleil blouit l'oiseau nocturne. Plus curieusement, en l, 11, il loue Aristote de traduire sa doctrine en figures mathmatiques; le seul exemple cit est l'image, peu significative, de l'me infrieure incluse dans la suprieure comme l'est le triangle dans le quadrilatre (De anima B 3, 414 b), Est-ce appui suffisant pour insinuer que, malgr le got de la singularisation qui le rend injuste pour ses prdcesseurs (singularis uideri uoluit priores confutendo), le Stagirite se serait fait leur imitateur )}? Plus loin, se rfrant un autre texte du mme De anima qui concerne l'identification orphique de l'me un souffle (A S, 411 a), le cardinal tire visiblement vers sa propre philosophie l'argumentation selon laquelle, puisque ni les plantes ni mme les poissons ne respirent, l'animation ne peut se dfinir par un caractre qui ne vaut que pour certains vivants, Lorsqu'il crivait alors : C'est par le droit que nous connaissons le droit lui-mme et aussi le courbe, car la rgle est juge de l'un comme de l'autre , Aristote ne songeait certes pas l'infinitsimale ( transmutation de la courbe la droite, et d'ailleurs le Cusain lui fera reproche exprs de considrer curvum et rectum comme de vritables contraires (De beryllo, chap. 26). Et cependant, aprs avoir reconnu comme justifie, au niveau du ( monde , la division de toutes choses en substance)} et accident )}, c'est bien au Stagirite que l'auteur de la Docte ignorance ~e rfre pour appuyer une rflexion fort trangre, semble-t-il, l'aristotlisme : une fois ramene une droite finie, la curuitas minima renvoie indirectement la simplicior participatio de la droite infinie, en sorte que illa diversa -participatione non obstante, adhuc, ut ait Aristoteles, rectum est sui et obliqui mensura ; et du cas de la ligne infinie (dont Aristote ne faisait aucune mention) le Cusain de conclure alors l'Infini lui-mme comme mesure de tout ce qui diverse-ment y participe (sicuti infinita linea tineae rect et curv, ita maximum omnium qualitercumque diversimode participantium, chap. 18). La suite va prciser pourtant que l'adquatissima mensura, sans doute plus substantielle qu'accidentelle, transcende une distinction encore intra-mon-daine, en sorte que des deux adjectifs dionysiens supersubstantialis et non-sUbstantialis, renvoyant respectivement au superlatif et l'ablatif, le second reste le moins inadquat.

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    14 M. DE GANDILLAC

    De mme en II 8 t . " , Out en louant A . t d PUIssance dans la matire 1 C. riS ote e situer les formes e

    v 't bl ' e Usam le soupo d n rI a ement formel de 1 nne e sous-estimer le r"l

    ct 1 a cause productr' . '1 0 e , es platoniciens )} Ont tr ID' , lee, maIS 1 pense que, de leur

    nomme, pour sa part une possibit't aJ~re le caractre privatif de ce qu'il ment - titre d'aptftudo et d t as a. saluta et qu'il pose - insparable-le qualificatif d'animal appr ~ carentza. En II, 12, s'il semble approuver fo~mule clairante qu' con:~~:~ monde d~s le Time, il ne juge la anlm~ n:undi plus Ou moins identifiabie ~o~~::~r ,!~sque immersione Une

    AmsI, dans ce double jeu d'assimila . dIVIn. s7mb~e maintenir une sorte d' uTh tIans et de rectifications, le Cusain blentat, ~ivement attaqu par q 1 1 !e entre ~laton et Aristote. Mais contre lm du Stagirite, On le vOit~ ~altre de HeIdelberg qui se rclame ment, il est vrai, Un disciple }} i~~" da?s s~n Apologia (prte fictive~ les textes antrieurs et ' Igne), bIen plus svre que d do . . vemr, contre cette . l' ans . gme~ rehgIeux les limites de sa artstote lCa secta qui pose en I:r;tpossibles le dpassement de 1 . propre approche, rendant presqu gie m l' a rruson et l'ace' , e ys Ique : unde cum nunc ar' t . es a Une vritable {( tholo-f!Utat e~se oppositorum coincident;~ ote~lCa s~cta prualeat, qu heresim ln mystzcam theologiam in ea t m, ln CUlus admissione est ascens quasi . . 1 sec a enutritis h . us . . proposzlt contraria, ab eis . c uza ut penitus insipida

    SlCutz sect mutatio, reiecto Ari:rr~c~l pellttur, ut sit miraculo simile' p. 64-65). 0 e e, eos altius transt7ire (d. cite:

    , En dpit de ces gentillesses et 1 a une moindre altitude ses f~rm trsque le Cusain situe sa rflexion que fulminatrices. A pei~e post' . u es Sant en gnral plus conciliante !'Idiota insistent SUr le Principe ~~eur~ l'Apologia, les dialogues d= Ignorant (ou {( profane ), par une ~~a~:que /elon lequel n'importe quel ~~menc~ du vrai qu'il porte innes e:II:i ru t tho.de, peut faire crotre les

    mon )} que le pdant nourri de s .' e mIeux dchiffrer le {{ livre gnent assurment la valeur d'une aVOIrs tou: livresques; et ils souli~ des nombres et des fi ' pense attentxve d'abord l ' tou~e v~ine rhtoriq~:e~~ ~r~~ef~ondi~ de la mensura, SUP~i::~ees: saptentta biblique qui crie sur 1 1 quOI se concrtise en vrai savoir 1 ~~urra voir toutes les philosoPhie:s ! aces PU~~iques , mais l encore 0: tr::./:e fa~n plus prcise cet In~?OnCIh~r ds lors qu'on consi~

    1 IOns n ont pu que pressentir 1 que es penseurs des diverses dans le troisime dialogue (D en termes inadquats A cet' d Aristote la balance soit e' al e mente), peu s'en faut qU'e'ntre PI tegar , ,ge. aonet

    Des le chapitre 2 l' 'd' esp' , {( 1 lOt acco d

    eces ne Sont que des entia m' r e au Stagirite que e saisie du sensible (et d' dme~tts, postrieurs dans l'esprit' 1 g nres., et m' un a Irateur dia a prelUlere ~ce concession), mais c'est po . es p atoniciens ce n'est miste en co Ur cornger une f 1 pas celui d l' m~arant ensuite le labeur de la orr~lU e presque ockha_ topos no~t artIsan, lequel ne copie pas des for:::sns ~1lI. forge ses concepts inventive P:~t~~:a~~~~1,};:~~~~~ ta~le le bois, p;ef:7tst~P~:~i;~el:e

    a. ntre les deux princes de la Philo~

    1 !

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 15

    sophie , le chapitre 13 peroit une communaut d'intention sous des diffrences verbales; l'un parle, en effet, d' me du monde )}, l'autre de {( nature }). Et certes on peut entendre les deux expressions comme renvoyant dj cet {( Esprit universel , opration de Dieu faisant tout en tout }) et qu'claire la rflexion cusaine sur l'Unitrinit : Puto quod animam mundi vocavit Plato id quod Aristoteles naturam. Ego autem nec animam illam nec naturam aliud esse coniicio quam Deum omnia in omni-bus operantem, quem dicimus spiritum uniuersorum. Reste que l'erreur commune aux deux coles rivales est d'avoir cru ncessaire une sorte ou l'autre d' intermdiaire}) entre l'art divin et sa manifestation cosmique, pour avoir ignor que dans la toute-puissance velle concide avec exequi , puisque ars en Dieu est artifex et magisterium magister. La critique, on le voit, ne s'adresse pas moins aux diverses hirarchies platoniciennes qu' la conception d'Aristote imaginant un Acte pur qui par simple attraction mouvrait le premier ciel (et toutes les sphres incorruptibles) cependant qu'au niveau sublunaire la suite des gnrations et des corruptions n'obirait qu' la physis (elle-mme limite par la fortune et le hasard). A partir du ternaire omnipotentia, sapientia et nexus omnipotenti cum sapientia, le Cusain, au contraire, veut retrouver, dans les choses comme dans l'esprit, la participation active d'un spiritus uniuersorum.

    Entre les deux approches (positives et pourtant incorrectes) de cet esprit qui est connexion , la diffrence seraitelle purement ver~ baIe? Au.del d'Q problme de vocabulaire (ici anima mundi et l natura), l'auteur de la Docte Ignorance souligne deux dmarches en quelque sorte inverses. D'entre de jeu Platon cherche l' image }) de Dieu dans l'intel-lectibilitas ubi se mens simplicitati diuin conformat, situant ce niveau la substantia mentis capable d'chapper la mort, mais il lui faut ensuite dcrire la descente (ou degeneratio) de la pure intelligibilit}) en intel-ligence (lorsque l'me considre in se les choses distinctes et spares), et mme jusqu'au stade infrieur de la {( raison (l o l'ide n'est plus que {( forme dans la matire variable , chap. 14). Aristote, au contraire, part du {( sensible )} afin de le soumettre l'empire rationnel du langage, mais l' {( idiot du dialogue cusain le crdite ici hypothtiquement (forte) d'un dessein qui serait de parcourir dans l'autre sens la voie plato-nicienne et, par la discipline qui se dploie (( travers les mots , de s'lever jusqu' l'intelligentia, voire jusqu' l'intellectibilitas. Dans la pers-pective eusaine, les deux modi considerationis gardent leur place et leur valeur. Et l'on notera qu' la fin du dialogue, bauchant une uenatio de l'immortalit fonde sur la fonction gntique du ({ nombre , l' (( idiot renvoie la dfinition aristotlicienne du temps comme nombre du mouve-ment; il est vrai qu'il substitue ( mesure {(' nombre et, appliquant la formule tout motus (non pas seulement la cyclophorie cleste), pense y dcouvrir le signe d'une fcondit de l'esprit, capable de dvelopper l'infini son pouvoir crateur.

    Reste que, surtout, semblet-il, dans ses uvres plus tardives, sans renoncer toute exgse accommodatrice, le Cusain souligne fermement l'insuffisance commune ses prdcesseurs (et non aux seuls adeptes de la {( secte aristotlicienne }). Dans le mme chapitre 25 du De beryllo, o il refuse la priuatio comme troisime principe joint la forma et la mate-

  • 16 M. DE GANDILLAC

    ria- (car seul peut tre priv de contrarit }) le nexus actif qui lie .:les contraires), au~del du Stagirite et conjointement avec lui il semble bien viser tous les philosophes ; arbitrar ipsum, quamuis super omnes dili~ gentissimus atque acutissimus habeatur discursor, atque omnes in uno maxime deficisse. Car c'est en accord avec tous, omnes philosophas concorM dando (sans exception reconnue -ici en faveur des platoniciens), que, sur la base du premier principe, lequel nie que les contradictoires soient vrais en mme temps , Aristote veut dmontrer similairement que les contraires ne puissent tre en mme temps , mconnaissant par l que les opposs concident effectivement in principio connexivo ante dualita-tem, avant qu'il y ait deux contradictoires , ainsi qu'on le comprend en concevant le point-limite o se confondent le minimum du froid et du chaud; du lent et du rapide, le passage de l'arc la corde, mais plus simplement encore l'angulus' rectus, minime acutus et minime obtusus. Certes, ajoute le cardinal, les' platoniciens ont, eu quelque notion, comme le dit saint Augustin, du Pre et du Fils (qui correspondent l'unitas et l'aequalitas), mais, n'ayant pas connu l'Esprit, vrai principium connexionis, ils n'ont pas pu saisir l'uvre, dans le devenir intra-mondain, le principe actif de l'inchoatio formarum in materia.

    L'un des textes o Nicolas de Cues suit de plus prs le commentaire proclien du Parmnide, dveloppant,en particulier la note marginale qu'on lit sur son exemplaire (unum et multitudo non in intellectu sunt, sed est intellectus,. hic omnia unum et multitudo, cod. eus. '186, fol. 33, rect.), est le trait De principio (pris par Lefvre pour un serinon et publi par lui sous le titre Tu quis es). Dans cet expos trs mtaphysique, crit un an aprS le De beryllo, retrouvant, travers ProcIus, le Platon du Parmnide, mais aussi du Philbe et du Sophiste, celui qui met l'accent sur la mutuelle participation des formes, l'auteur voque l'universelle coniunctio de l'unitas et de la multitudo, et cette dyade fconde dont on peut dire qu'eUe n'est ni unit ni multiplicit (dans le De coniecturis de 1440, il remarquait dj que l'unit ne s'atteint jamais que mediante alteritate, et l'altrit mediante unitate, II, chap. 16). Or, s'il s'accorde ici avec le commentateur de Platon pour critiquer un Premier Moteur spar qui ne mouvrait qu' titre de fin, il refuse aussi l'image d'un dmiurge qui, contemplant Un monde tout fait de formes intelligibles, produirait, travers des hirarchies descendantes, un rseau d'ides capables de finir la matire indter-mine et confuse (De principio, d. de Ble, p. 355). C'est bien, sous une autre formulation, la mme dficience qui interdisait aux philosophes (mme dans la ligne la moins inapte au dpassement de la ratio) un authentique saisie de la connexio. Ce qui leur a chapp, c'est que, ({ en toute considration, on ne trouve que l'infini . Malgr sa thorie des mixtes, Platon admet toujours la supriorit du peras sur l'apeiron; ainsi ne voit-il pas que la dyade authentique est celle de deux infinitates, la finibilis (qui est post omne ens), mais aussi la finiens (c'est~-dire Deus ante omne ens). Et-il pu lire les Ennades, le Cusain y aurait trouv, en termes parfois embarrasss, quelques pressentiments de l'Acte-Puissance (qu'il appellera lui-mme, en 1460, le Possest ), par exemple l o. Plotin suggre que,' situ pour ainsi dire, au-del de l'energeia (VI, 7, 17), l'Un

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 17

    uissance de tout (pantn dynamis, V, 3, 15) et est en quelque sorte . PIf rmule difficile traduire, l'tre de

    fent mme en lUI, se on une 0 h VI 5 9) En c,?n 1 d 1 multiplicit (to einai apeiron kai plt os, ',' :. 1 mfinl et e a d influences judo-chrtiennes cette rehablhta-partie sans d.oute so~s es l'a eiron est discernable dans un vaste secteur tion'}), au moms partIelle,.de P . ent en 1461 lorsqu'il compose 1 . tardif maIS assez cuneusem, ' du p.ato~Isme l ;. (ou'De non aliud), c'est chez le Stagirite mme q.ue sa Dzrectw specu an lS. 'rtus infinita immanente au PremIer 1 dinaI pense dcouvrIr, une ur. ff t e car f articipe par l'univers entier. Aristote, en e e,

    Moteur et en quelque, aon, ~ . finI'e ne saurait se parcourir (recte dicebat d 't ec raison qu une sene III Isal av ',' .. osse ertransiri), mais cette formule concerne Aristoteles zn lmftnttu:;~=l:n qu: l'esprit la conoit ) et, mme pour son seulement ({ a q~an 1 1 vritable infini ({ tel qu'il est, avant

    ouvrut donc exc ure e auteur, ne P . t t tout en toutes choses . La preuve ~ la quantit et tout ce ~Ul" est ~u re~:ibUs articipata, cette puissance est que, ({ voyant IUl-mee\mle, ~n: 01 non alfud) Aristote Y a rfr toutes ( N'lsdeCuesappeiCle, 10) que lCO da , motore quem uirtutis reperit infinit (chap. . choses ut e pnmo , ,

    Exgse assimiIatric~ et conCOrd!S~e;:ic~~~::e~de~~~:~~:;~~:t~~~ la dcouvre dans. ,:n te:r~logu;e l?;istotlisme. Lefvre d'Etaples avait derechef une CrItlqu~ se~ere 1 t" ui ne fut publie (par Uebinger)

    h h en vain la Dtrectw specu an tS, q , bl c erc 1 d' 1 ne l'et pas retenue dans l ensem e qu'en 1888. I~ sem~~elqu:ei~ec~: ~~a mort il destinait l'impression; c'est des manuscrIts qu a. t non seulement par le rle qu'il attri~ue ~ei::~~~~i:, t;:~~i~~~~~~~io~~a;riniftfi r::;::~ ~;i~e a~~~r~~! :~o;~:s:~tU~ d aliud c'est--dIre par une a . . . u non, . f' l' 1t 'rit mme qu'elle nIe, maIS ausSI qui l en n:me t~r;;fts~~~~=r!:~: a~~c l~a:teur trois de ses familiers, dont parce q:r on pY t Balbo le mdecin portugais Ferdinand Matim (avocat l'humanIste le ro, . t t'attentif aux des thses pripattici:nn~s, dfre~.t nan~m:e :ecr~~~ire mme de objections et aux exPhcatlOns

    d cu~aln~s), u~ dans l'ptre ddicatoire

    Nicolas, ce Ioannes Andreas e ,uss: q "il dcI ra ue son matre Paul II de l'dition d'Apule (1469), la meme ou , are, q mme medi

    , . d histori non seulement prtsc malS gardait memOIre es,. ' futateur d'Aristote et plus curieux tempestatis, va d~ !efi':;:di~~:um:;hagorico-platonicienne : philosophi que personne. . f 't, [ ] at Platonis nostri et Pythago-aristotelic acernmus dtsputator Ut, .:. . 'lf scienti reorum dogmatum ita cupidus atque studtosus, ut nemo m;gl~.t z du Non putaretur intendisse (texte cit par Wilpert dans sa tra uc Ion aliud, Hambourg 1952, p, 191102), ,

    Or au dbut du chapitre 18, Ferdinand insiste pou:- que le cardm~~, "1 '1 loisir dise ce qu' son avis le trs subtil Anstot~, tant sa t~

    SIen a e , ontrer Wilpert qUI rend tanta citudinis philosophus, a voulu nous m '. ~vre la rponse sollicitudo par {( un si vif apptit de recherch~ , .i~ge , ? rpondre' du Cusain Certes quand on lui demande: ({ Qu a-t-I rouve )}, . . . . A piarler~ franc je ne le sais pourrait paratre impertinent; maIS ~a suIte

    ;envoie prcis~ent ' ces textes de la Mtaphysique .qu'.voquera : ~~~: veau le De beryllo (chap, 12) et qui prsentent la qUiddit comme

  • 18 M. DE GANDILLAC

    jours cherche, jamais trouve . Avoir soulign l'extrme difficult du problme ontologique est dj signe d'une lucidit qui mrite estime, et dans le trait de 1463, la rfrence Aristote se trouvera entre l'loge de l'Indien qui, interrog par Socrate, aurait dclar, selon Eusbe, que le meilleur savoir sur Dieu est la conscience d'un non~savoir, et, d'autre part, des renvois ProcIus concernant ce qui est de toutes choses le plus difficile trouver , c'est--dire l'immanence du multiple au sein de l'unit pure. Peut-tre sans le savoir lui-mme, le Stagirite appartiendrait d'une certaine manire cette tradition de la docte ignorance , selon laquelle quanta quis melius sciuerit hoc sciri non passe, tanto doctior. Ainsi rien de trs surprenant que, dans la Directio speculantis, Ferdinand paraisse prendre en bonne part la rponse ngative du Cusain et, propos des textes aristotliciens qui viennent d'tre cits par lui (Met., B 1, 996 a et Z 1, 1028 b), dclare d'abord: Verba haec magni philosophi ubique sunt esti manda . Se heurter un mur est moins erreur que paralysie, et Aristote cet gard partage le sort commun ({{ non errauit,. sed ibi, sicut aUi homi-nes, cessauit ).

    Sa faute pourtant est d'avoir cru pouvoir constituer une science relle en de de la limite corresp'ondant l'exclusion mutuelle des opposs, c'est--dire sur le seul terrain de la ratio. Il faut convenir ici que les fonnules de la Directio, sans faire appel une foi rvle, voquent un oculus mentis acies qui appartient plutt au langage de la mystique qu' celui de la philosophie (et l'impression est confirme par la place que tient, dans le ttralogue, le corpus areopagiticum, comment et cit au long de quatre chapitres). A la logique laborieuse et incomplte du Stagirite, Nicolas de Cues, qui clbre la facilit du difficile , oppose la simplicit d'une vision qui saisirait les ({ contradictoires (ici l'auteur ne parle plus seulement de contraires) la racine mme de leur future opposi-tion. Regrettant sans doute tout aussi bien la longue fatigue de ses propres tudes que la peine perdue par Aristote, Ferdinand imagine que le Stagi-rite, et-il lui-mme dcouvert ce {( secret , aurait su le transmettre facillimis, clarissimis ac paucissimis uerbis (chap. 19), ce qui n'est gure le cas, convenons-en, de Nicolas de Cues, toujours en qute jusqu' ses dernires uvres de nouvelles formulations, qui ne sont ni faciles, ni claires, ni brves, et qui, de toute manire, n'ont pu se substituer l'ancien organon dans la pratique des philosophes et des savants.

    Laissons ici le problme scientifique . Certes la rflexion mathma-tique est un des points d'appui de la coincidentia, mais les suggestions du De staticis experimentis portent surtout sur l'emploi systmatique de la mesure et de l'observation. Quant aux philosophes , encore que la formule de la Directio soit moins affirmative que celle du De beryllo, ils semblent tous viss par la critique de l'aristotlisme: uerum idem fartasse de omnibus speculatiuis dici philosophis posset (et, cette fois-ci, c'est Nicolas qui parle, non Ferdinand). Puisqu'il s'agit de conduire la vrit les speculantes, speculatiui dans cette phrase surprend un peu. Hegel ' rservera l'pithte (toujours logieuse) de spekulativ ceux qui dpassent le plan de la Vernunft, et il comptera dans leur nombre Aristote lui-mme,

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE eUES 19

    non certes pour sa logique, mais par rfrence certains passages de sa Mtaphysique (notamment le texte de A 12, 1072 b qu'il cite en grec comme couronnement final de l'Encyclopdie). Le Cusain prend le mot dans un sens plus gnral, voulant indiquer qu.'on trouverait sans doute :une dficience analogue celle du Stagirite chez les speculantes qui ne furent que philosophes et qui, par consquent, ne mritent pas le qualificatif de diuini, parce qu'ils restent au. niveau de la ratio et de ses art es, inca-pables de comprendre le paradoxe de l'aliud qui est la fois lui-mme et non aliud quam aUud, c'est~-dire d'atteindre - comme le disait le cardinal dans sa cinquime Lettre l'abb de Tegernsee - la fonne d'union abso-lument simple, ubi ablatio coincidit cum positiane (in Vansteenberghe, Autour de la Docte ignorance, Mnster 1914). Contre eux cependant le cardinal ne se rfre aucune exprience mystique, mais une argumen-tation de caractre dialectique. Si Aristote, dit~il, refuse de s'lever jusqu' un principii prineipium (ou substanti substantia), c'est parce que son extension abusive du principe de contradiction l'empche de poser la eontradictionis eontradietio, c'est~-dire de concevoir unitairement les opposs, anterioriter, sieut causam ante effectum. Et dans le florilge de textes dionysiens des chapitres 14-17, s'il est vrai que figurent quelques extraits des Hirarchies et de la Thologie mystique, les plus nombreux viennent des Noms divins " sous diverses formulations, ils concernent l'unum supersubstantiale, innommable racine de toutes choses ~t qui d'avance les contient toutes, sans tre jamais cependant autre que lui~mme (ce qui, transpos dans le vocabulaire du ttralogue, devient, selon une annotation marginale Theol. plat., II, 3, unum est nihil aliud quam unum, - cod. cus. 185, in Wilpert, lac. cit., p. 203-204). Mais puisque Denys, nous l'avons vu, rpte Platon, et que plus tard (d'aprs la chronologie encore admise par le Cusain), Proclus rapporte son tour la mme doctrine, nt' faut-il pas penser que l'auteur du Parmnide (rapproch, au chapitre 24, de Mose lui-mme) chapperait entirement la tare commune des philosophes spculatifs ?

    C'est bien ce que suggreraient les dernires pages de la Directio. Cette ascension jusqu' l'intellectibilitas (qu' en croire, l'idiota du De mente Aristote lui-mme avait peut-tre envisage), il semble que Proclus l'ait russie; du moins, passant du sensible l'me et de l'me l'intellect, il a compris qu'il fallait remonter jusqu' un principe qui ft vraiment premier (le Cusain, naturellement, ignore les sources plotiniennes du schma, cf. Enn., V, 1, 3 et 6, VI, 7). La lumire qui rayonne de ce principe ressemble la rvlation de Dieu dans ses uvres, telle que l'voque saint Paul en Rom., 1, 19 (chap. 20). Et, ne doutant pas que la Thologie de Platon mrite vraiment son titre, c'est au matre de l'Acadmie que Nicolas attribue, reuelationis uia, la perception in mente de l'authen-tique rerum substantia (chap. 21). Vrit pourtant secrte, que Platon ne communiqua jamais qu~ mots couverts car elle reste de soi inaccessible omni uisionis modo, ft-ce mme (dira le Cusain au chapitre 22) travers la personne et l'enseignement du Christ. Le terme rvlation ne renvoie donc pas ici au dpt de foi au sens o les thologiens l'entendent communment, mais une dcouverte supra-intellectuelle dont la

  • 20 M. DE GANDILLAC mthode de concidence fournit la cl. Malgr des diffrences trs videntes, ces formules font dj songer la geoffenbarte Religion de Hegel. En tout cas les textes rvls de saint Paul relvent, dans la Directio, du mme traitement exgtique que ceux de ProcIus, et sont traduits semblablement dans le vocabulaire du non aliud.

    C'est dire que, par eux-mmes, ils restent inadquats ; en sorte que les chapitres terminaux du ttralogue, quelque niveau qu'ils situent le diuinus Plata, ne contredisent aucunement les rserves dj souvent exprimes par le cardinal, et reprises de manire expresse au chapitre 10 de la Directio. Quelle qu'ait t son intuition premire, Platon, dans le Time, a eu tort de situer, entre Dieu et les choses, un monde de purs modles. On peut mme penser, nous le savons, qu'en faisant dpendre tout le cosmos d'un seul moteur, de puissance infinie , Aristote, sur 'ce point, s'approchait mieux de la vrit. Interrog, au chapitre 17, sur David de Din-ant qui appelait Dieu Hyl, Nous et Physis et dfinissait le monde lui~mme comme Dieu visible , Nicolas reconnat la valeur positive de toutes ces formules, leur tort tant seulement 'de se tenir encore au plan du quid et d l'aliud. Ainsi l'on peut penser que, si les mystiques platoni-ciens ont mieux pressenti que les autres ({ spculatifs la secrte unit du principium connexionis, aucun' pourtant, comme le disait expressment le Cusain au chapitre 25 du De beryllo, n'a pleinement compris le rle du spiritus, ni au niveau de l'Unitrinit, ni dans le monde mme comme lien actif du mme et de l'autre.

    Perspective confirme par le De uenatione sapienti, l'un des quatre traits crits par le cardinal l'anne avant sa mort, le dernier o il reprenne (avec nombre de rfrences d'autres philosophes) le parallle entre Platon et Aristote. Dans le ({ prologue , l'auteur, qui se sent vieillir, renvoie significativement deux de ses ouvrages anciens, le De quaerendo' Deum et le De coniecturis (l'un rdig, l'autre repris et corrig en 1445, donc

    dix~huit ans plus tt); le simple rapprochement des titres rsume tout le projet cusain. Mais, alors que le -Compendium (galement de 1463) ne contient peu prs aucune rfrence historique, la (c Chasse de la sagesse est inspire d'une lecture de Diogne Larce, et, sur un ton moins cIairon~ nant que dans le De beryllo (o il prsentait son bryl comme un moyen sr de {( diriger le faible intellect de chacun pour qu'il ({ approche davantage de la vrit , chap. 1), c'est ici de faon timide et rserve que Nicolas joint, dit~il, ses propres uenationes celles des divers philo-sophes .

    Ayant rappel, comme dans les premiers dialogues de 1'1 diota, que la sagesse est la pture de l'intellect (compare au souffle vital des Pytha-goriciens, au pneuma du Portique, voire aux exhalaisons de l'Ocan dont la mythologie nourrissait les astres diviniss), le Cusain souligne que l'instinct naturel des vivants les oriente vers la nourriture qui leur convient, ce que Platon attribue la prexistence des ids. Mais faudrait-il pour autant faire de ces ides des exemplaires extrieurs aux choses indivi-duelles ? On sait cet gard quelle est la position constante de l'auteur. Ce qui lui importe, dans sa perspective prsente, est surtout l'information transmise par Diogne (Vies des philosophes, III, 64) selon laquelle l'idea

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 21

    platonicienne est la fois unum et multa, quies et motus (ce qui renvoie videmment aux genres du Sophiste, 250 a sq.), et l'exgse de cette doctrine qui permet Proclus d'crire (Theol. plat., IV, 34) que, de par sa connexion l'ide, la ralit singulire se trouve en liaison directe avec le divin. Certes, de c< mchants interprtes voient en tout cela un grand pril doctrinal (les attaques de Wenck ne sont pas oublies), mais le Cusain affirme que, si bene intelliguntur, ces formules s' approchent beaucoup du vrai (chap. 1).

    Elles n'ont pas cependant une valeur exclusive et il ne s'agit plus d'excommunier par reprsailles l'aristotelica secta. Lorsqu'Aristote pr-sente la logique comme exactissimum instrumentum ad uenationem tam ueri quam uerisimilis, son assertion se justifie dans la mesure o, non seulement la sagesse in uariis rationibus lucet, qu ipsam uarie participant, mais o cette ratio (ainsi rhabilite) cherche d'abord dans le sensible le pabulum qu'elle offre ensuite l'intellectus. Ainsi, la lumire de la logique)} qui lui est ({ inne , chacun recherche, avec toutefois de grandes diffrences }), la mme vrit. Et il est significatif que, dans un trait qui fait tant de place la dialectique du posse facere, du posse fieri et du posse factum (ternaire d'inspiration certainement luIlienne), le Cusain renvoie d'abord la phrase du Stagirite disant que rien n'advient qui soit impossible (Phys., H 9, 241 b), et d'o se doit infrer que le pouvoir tre fait , antcdent tout ce qui est fait , renvoie l'acte pur, comme cause absolue , mais contient lui-mme, en tant qu'aeuum creatum et pourtant perpetuum, l'tat de complication , la ({ nature)} de tous les singuliers qui se dploient >) dans le temps selon la Providence divine (chap.2 et 3). Certes cette transposition augustinienne du plotinisme nous loigne fort d'Aristote. Et, dans la suite du trait, les exemples gom-triques, primordiaux dans le De docta ignorantia, retrouveront leur rle (notamment au chap. 5). Cependant, au chapitre 4, c'est la cration mme de l' {( art syllogistique que prend le cardinal comme exemple de la fcondit intellectuelle, telle qu'elle s'exprime dans la liaison de deux propositions au sein d'une troisime, et il souligne qu'un raisonnement de cette sorte contient ncessairement trois termes et ne les associe que selon trois figures. C'est cette mme triplicit )} qu'il pense trouver analogiquement dans une ars creatiua constituant l'harmonie du monde partir de trois termes insparables : tre, vie, intelligence.

    Au chapitre 8 (Quomodo Plato et Aristoteles uenationem fecerunt), le Cusain met en vedette (et sur le mme plan) les deux cc princes de la philosophie . Si le premier est dit miro modo circumspectus, pour avoir vu que les choses suprieures sont dans les infrieures participatiue, celles-ci dans celles-l excellenter (d'aprs Diogne, III, 13), le second est qualifi d'acutissimus parce qu'il a discern en chaque processus physique la n~cessit d'un recours ultime la cause premire, contenant eminenter tout ce qui agit en ses effets (ici encore, la source est Diogne, V, 32). Et le projet conciliateur s'impose assez pour que l'auteur, oubliant ce qu'il a dit ailleurs quant au refus aristotlicien d'un principii principium, crdite au mme titre les deux philosophes d'avoir ouvert la voie au dpassement simultan de l'tre, de la vie et de l'intelligence, par rf

  • 22 M. DE GANDILLAC rence, au moins implicite une causa causarum qui soit tout ensemble ens entium, uita uiuentium et intellectus intelligentium. Il s'agit l, bien entendu, d'un Stagirite fortement platonis (selon une exgse qui remonte au noplatonisme, qui est manifeste chez les Arabes et chez Albert le Grand et dont on trouve encore plus d'une trace chez l'Aquinate), mais la contamination joue tellement dans les deux sens que l'expos mme du platonisme est riche ici en termes aristotliciens, comme le montrent aisment ces quelques lignes : Plato autem [."J considerabat omnia entia atque etiam nondum actu entia, sed tantum potentia, partici-patione unius boni bona dici. Processus enim de potentia in actum, et omne actu exsistens non caret boni participatione. [ ... ] Omne enim eligibile sub ratione boni est eligibile, etc.

    Sans doute Platon a mieux discern, non seulement que Dieu gouverne tout l'univers et non exclusivement les clestia (chap. 8), mais que cet univers est engendr )} et que le temps nat avec lui (chap. 9). Aristote pourtant a ses mrites propres : outre sa juste critique des ides spares, et sa description de l'intellect comme producteur de concepts, en enseiM gnant le cara,ctre convertible des transcendantaux, il a reconnu de faon implicite le principe suprieur qui est en mme temps causa unius et entis et boni (chap. 8). Il est vrai que Mose, parlant avant les philosophes }) - et pour qui sait dchiffrer les figures nigmatiques du ciel , de la terre et de la lumire )}, - a mieux saisi que personne la relation principielle entre les trois posse; et que, sans avoir lu la Gense, plato-niciens et stociens}) ( la suite d'Anaxagore) ont su nommer logos, mens et apifex ce Verbum Dei ad quod natura respicit ut fiant omnia, et qui est IuiMmme Deus (chap. 9). Et cependant c'est encore l'actus purissimus du Stagirite que renvoie ce mme texte pour dsigner le posse facere de l'omnipotentia.

    Rien d'tonnant ds lors qu'au chapitre 29 (ou Epitogatio), runissant une fois de plus les dires des platniciens et des pripatticiens , le cardinal rpte qu' la seule condition de les bien entendre quant au principe et la cause on y trouvera le pressentiment du possest, unit primordiale de l'tre et du povoir. Mais on n'est pas surpris non plus - car le balancement ne cesse gure entre les deux attitudes - qu'il souligne avec un soin particulier le table~u de chasse des platoniciens , rappelant que pour eux (selon Proclus, Theal. plat., III, 9) tout est fait de fini et d'infini , mais aussi quelle place ils ont faite l'image du Soleil, qui est la meilleure similitude de la sagesse . En sorte qu'en compagnie du magnus Dionysius, tout prs du theologus Gregorius (Gr-goire de Naziance, non Grgoire de Nysse comme le croit Wilpert) et mme du diuinus Paulus, notre magnus Plato retrouve sa primaut; atteignant avec lui son apex, la philosophie spculative rejoint alors la sagesse thologique. Mais, nous le savons bien (et le Compendium, contemporain du De uenatione, le rpte), mme dans les textes sacrs et chez leurs commentateurs les plus autoriss, les signes demeurent inadquats et foncirement conjecturaux. En prsentant la Docte Ignorance le Cusain parlait de ses inepti c'estMMdire de formulations inaptes" dire l'indicible). Il termine prsent son discours sur un nouvel aveu d'humilit

    PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 23

    et sur l'appel ceux qui, le lisant, iront plus que lui (et qu~ ses propres matres) sur une voie rellement sans fin : Per haec arbltror mearu.m.

    enationum rudem et non plene depuratum conceptum, quantum m.lhl ;ossibile fuit, explicasse, omnia submittens melius haec alta speculant!.

    Maurice de GANDILLAC, Universit de Panthon..sorbonne.

  • RENAISSANCE PLATONICIENNE ET CONTROVERSES TRINITAIRES A BYZANCE .AU XV, SICLE

    Au x~ sicle la controverse trinitaire connait une recrudescence, en raison des dbats du concile d'union de Ferrare-Florence (1438-1439). L'influence de la Renaissance s'y fait sentir, et parfois de faon notable l, Mais, de prime abord du moins, rien, dans les discussions ou les crits des Pres et docteurs du concile, ne semble dborder des limites de l'rudition thologique ou humaniste 2, La question qui se pose au_ssitt est alors celle-ci : la renaissance des tudes platoniciennes et aristotli-ciennes aurait-elle t incapable de renouveler les arguments philoso-phiques d'une .controverse, depuis trop longtemps sclrose peut-tre?

    Un examen attentif de l'opuscule que Jean Argyropoulos consacra justifier le Dcret d'union de Florence, m'a permis de remarquer, ct des thmes et des lieux )} traditionnels, le recours un argument nouveau, emprunt au noplatonisme que l'cole de Mistra s'efforait alors de faire revivre 3. Argyropoulos devait devenir partir de 1456, au Studio de Florence prcisment, le pionnier de la restauration de l'hellnisme et plus particulirement de la connaissance de l'Aristote et du Platon grecs 4. Mais Constantinople, dix ans plus tt - ses dbuts donc -, il entendait simplement soutenir par son crit surIe Filioque la politique de l'empereur Jean VIII, au service duquel il venait de remplacer Georges Scholarios, pass au 'parti de Marc Eugenikos et des ennemis de l'Union 5.

    Cette initiative de son disciple appelait une mise au point de la part de Georges Gmiste dit Pltholl, d'autant plus que celui-ci s'tait toujours dclar en faveur de la neutralit entre l'Est et l'Ouest 6. La situation exigeait du tact, car le matre de Mistra n'entendait videmment pas se djuger aux yeux de ses lves : il n'tait donc pas question de rfuter le principe philosophique qu'il leur avait inculqu et sur lequel il avait difi toute sa philosophie 7. Il recourut un procd plus habile : il feignit de rfuter l'argument d'Argyropoulos en montrant son incompatibilit avec les dogmes fondamentaux de la thologie chrtienne et ses attaches avec la tradition hellnique, c'est--dire paenne. Plthon apparaissait ainsi aux yeux du grand public comme un dfenseur du christianisme et plus particulirement de l'Orthodoxie byzantine, la fois contre la thse des Latins et contre le noplatonisme paen, alors qu'en ralit, aux yeux d'Argyropoulos comme de tous ses disciples et lecteurs avertis, il confir-mait simplement le platonisme de Mistra 8.

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    26 F. MASAI Cette subtile rfutation de la politique et des corollaires thologiques,

    plutt que de la philosophie d'Argyropoulos, ne pouvait duper Georges Scholarios. Ce thologien aristotlicien et antil~tin tait trop bien inform des relations, en ralit amicales, des deux auteurs apparemment en conflit, comme des dessous arianisants, voire consciemment polythistes de leur pense 9. Aussi le futur patriarche de Constantinople et juge des uvres de Plthon s'empressa-t-il de verser une troisime pice au dbat, tout en mnageant le puissant courtisan de Mistra et feignant (lui aussi) de louer son zle pour l'Orthodoxie. Cette Lettre Plthon entendait tre une authentique mise au point orthodoxe cette fois et surtout une condamnation du platonisme renaissant. D'o l'aspect, premire vue assez paradoxal, du trait qui est consacr moins dmontrer l'orthodoxie de la procession a solo Patre que l'inanit du polythisme 10.

    Sans doute ne serait-il pas impossible de trouver, dans le sillage de ces premiers, d'autres crits byzantins contenant comme eux des indica-tions intressant l'histoire du dbat Platon-Aristote au XVC sicle. Mais force tait de nous borner. L'tat o se trouve encore notre connaissance de la littrature byzantine, malgr des ditions et plusieurs ouvrages d'ensemble dont on ne saurait assez louer les mrites 11, serait dj une excuse suffisante pour limiter notre investigation. Ces trois opuscules prsentent entre eux des liens si troits qu'il fallait les tudier ensemble, et les limites d'une communication risquaient dj d'tre dbordes par leur seule tude. A dire vrai, pouvions-nous mme songer entreprendre ici une analyse srieuse de ces trois crits? Il paraissait lgitime d'insister surtout sur l'intrt qu'ils prsentent pour l'histoire de la philosophie l'poque de la Renaissance. Mais comment y parvenir? Pareilles uvres ne sont accessibles de plain pied qu' de bien rares spcialistes. Il n'est pas expdient de vouloir faire l'conomie d'un tat pralable de la question, lorsqu'il s'agit d'un problme aussi complexe, aussi subtil que le problme trinitaire. Tout bien pes, on a jug finalement prfrable de laisser une publication mieux adapte le soin de prsenter compltement les doctrines des trois uvres en question 12, pour se contenter ici de les replacer dans une double perspective historique : celle des controverses trinitaires et celles des renaissances du platonisme, aux III~ et xV" sicles.

    Jamais l'Orthodoxie chrtienne ne transigea avec le premier dogme de la tradition religieuse, hrite du judasme: Ecoute Isral, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur 13 . En revanche, sans se dpartir d'une grande circonspection, elle se montra plus accueillante que le monothisme juif aux investigations de la gnose . Elle ne se borna point, comme le feront par raction Plotin et plus tard surtout l'Islam, rpter l'affir-mation simple, commode, mais somme toute agnostique , de l'existence d'un seul Dieu, en soi totalement impntrable. Ds les temps apostoliques, l'un des traits distinctifs de la foi de la grande Eglise fut son monothisme trinitaire, proclam dans les formules et les symboles tripartites du baptme 14. Il en rsulta une position doctrinale trs difficile tenir mais,

    CONTROVERSES TRINITAIRES BYZANCE 27 par le fait mme, trs fconde parce que trs exigeante dans les domaines de l'exgse, de l'histoire ecclsiastique et de la philosophie. D'un ct, contre l'Orthodoxie juive, mais galement contre divers essais timors ou plus subtils de compromis - tels l'adoptianisme, le doctisme et le modalisme -, l'Eglise dut dfendre la distinction et la divinit relles du Pre, du Fils et de l'Esprit, sans sacrifier l'unicit divine. D'autre part, contre les extravagances du gnosticisme, contre toutes les formes de polythisme, de dualisme et de syncrtisme, il lui fallut limiter strictement les principes et les processions divines, arrter trois le nombre des hypostases dans le plrme divin, tout en affirmant simultanment la distinction des personnes )} et leur consubstantialit, pousse jusqu' l'unicit numrique, c'est~-dire individuelle.

    L'orthodoxie chrtienne trouva une premire formule quilibre dans la thologie construite avec l'aide philosophique du stocisme. Grce la forte expression que la puissante personnalit de Tertullien sut lui donner, cette doctrine ne cessera plus ensuite d'influencer la pense occidentale, mme lorsqu'une autre mtaphysique se sera substitue au matrialisme du docteur africain.

    En face du monothisme des Juifs et des modalistes, o les attributs reconnus Dieu par les Ecritures taient ramens de stricts synonymes, de pures figures de style, ici une signification propre et une distinction relle furent du moins accordes' trois ({ noms divins , ceux prcis-ment de la formule trinitaire du baptme : le Pre, le Fils, l'Esprit-Saint. Quant aux autres {( noms divins , des distinctions y furent opres :_ la plupart furent regards, ainsi que le voulait le Judasme, comme des attributs divins, dcernables donc la divinit comme telle. Quelques~uns, au contraire, notamment ceux de Sagesse ou de Parole, reurent une appropriation , ils furent rservs une personne ) divine de pr-frence aux deux autres. Bref, le divin se trouva en quelque sorte structur , tout en conservant l'unicit rigoureuse qu'exigeait la tradition, mais en excluant toutefois le modalisme de la personnification purement rhtorique, auquel se rallia en dfinitive l'orthodoxie juive et vers lequel penchait le stocisme, foncirement mon'iste et par suite syncrtiste.

    Cette conception structure de la divinit, la fois une et trine , fut relativement facile concevoir et maintenir dans l'ambiance stocienne de pense qui rgna en Occident jusque fort avant dans le IV'" sicle, soit aussi longtemps que Dieu -put tre envisag, la faon de Tertullien, comme un vivant corporel, prsentant donc des parties inter-dpendantes, organises, ou, pour employer les termes techniques de cette thologie, disposes selon une conomie 15.

    Une crise devait forcment affecter cette expression de l'Orthodoxie si son support mtaphysique venait disparatre. C'est ce qui se produisit lorsque, au III" sicle, la renaissance du platonisme rendit de plus en plus insoutenable la forme matrialiste du spiritualisme, lorsque les thologiens comprirent la suite d'Origne 16 que l'vidence de Tertullien (Quis negabit Deum corpus esse ?) devait faire place une nouvelle certitude: la nature absolument incorporelle d'un Dieu immatriel 17.

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    28 F. MASAI

    Origne et bientt les vques d'Alexandrie, notamment Denys et Alexandre, celui-l mme qui devait s'opposer l'arianisme, commencrent d'prouver des difficults unir les exigences du dogme et celles de la philosophie. Le malaise fut surtout ressenti par les Pres grecs au IV" sicle, car le premier thologien qui poussa, jusqu'en ses ultimes consquences, l'application la thologie des principes de la nouvelle mtaphysique fut Arius, prtre d'Alexandrie dans le premier quart du IV" sic1~ 18. On n'apercevait plus le moyen de concilier l'unicit ncessaire de Dieu avec la multiplicit des hypostases, dans l'hypothse d'une divinit immatrielle : comment une mme forme aurait-elle pu se trouver multiplie en plusieurs individus, sans intervention d'un principe d'individuation tranger la forme, c'est~dire sans la matire 19 ? Mais ce n'est point, semble-t-il, cette ncessit mtaphysique qui frappa d'abord les doctrinaires, ce fut plutt le fait que, Dieu tant incorporel , la gnration de son fils ne pouvait plus Tien avoir de commun avec la gnration des vivants connue par l'exprience. Celleci se ramne toujours, en effet, une division, un partage de matire entre le gnrateur et l'engendr, processus qui implique quantit, divisibilit, corps en un mot. Ce type de gnration tant exclu dans les tres immatriels, restait alors concevable une production par les seules facults compatibles avec l'tre intellectuel, savoir l'intelli-gence et la volont. Mais l'uvre de ces facults, c'est cela mme que l'on entend par le terme de cration . Le Fils de Dieu, il fallait bien accepter cette conclusion, n'tait donc proprement parler qu'une crature, ,mme si on devait le concevoir, son tour, comme transcendant toutes les autres cratures, comme tant leur crateur et donc en un sens, mais mojns propre, leur Dieu 20.

    Ce subordinatianisme, choquant pour la tradition sculaire de l'Ortho-doxie, ,ne parait pas avoir trop vivement mu le thologien d'Alexandrie, alors qu'il avait rendu hsitants bien des orignistes avant lui, commencer par son propre vque Alexandre. C'est que sa tournure d'esprit le rendait sans doute plus sensible aux implications logiques de la doctrine qu'aux revendications du sens chrtien . Par l, il se trouvait expos verser dans l'hrsie. Au demeurant, la philosophie n'tait pas l'unique source de la confiance d'Arius en ses raisonnements: certains textes sacrs eux-mmes paraissaient lui donner effectivement le droit de passer outre aux objections de la tradition, en particulier un passage fameux des Proverbes, traditionnellement appliqu la personne du Fils 21. Au surplus bien des vques, et non des moindres, n'taient pas d'un avis fondamentalement diffrent du sien. Alexandre luimme semble d'ailleurs avoir t fort hsitant, et logiquement du reste, en vertu de l'orignisme qui dominait alors tous les docteurs gl'ecs clairs 22.

    Le premier concile cumnique, runi Nice en 325, put raffirmer solennellement la tradition orthodoxe de la consubstantialit du Pre et du Fils; il n'expliqua point - ce n'tait du reste pas son rle - comment la chose, tait philosophiquement concevable. Dans la perspective nouvelle de la procession noplatonicienne des hypostases (dont la plupart des Pres du concile n'avaient sans doute nulle connaissance), le dogme de'l'unicit et de l'galit des personnes divines, conues comme d'authentiques

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    CONTROVERSES TRINITAIRES BYZANCE 29 hypostases, c'est-dire l'exclusion de toute forme de modalisme, devenait un mystre dfiant vritablement la nouvelle philosophie grecque. Si le Fils tait un tre rel, mais immatriel, soit b, issu du Pre comme d'un autre tre immatriel, premier celui-l et inengendr, soit a, comment ne pas conclure qu'entre ces tres a et b se situait un abme- ontologique, toute l'ingalit qui justement peut opposer l'tre absolu un tre caus, dpendant, relatif?

    Ces notions, retournes en tout sens par les esprits les plus subtils du Ive sicle, mais aussi, hlas! par des hommes passionns et au service d'intrts antagonistes, parfois peu avouables, devaient tre fcondes en divers champs de l'activit intellectuelle, mais accumuler aussi bien des ruines irrparables dans les domaines politiques et ecclsiastiques. Ce n'est ni le lieu ni le moment d'insister sur ces consquences, proprement incom mensurables, des luttes trinitaires et christologiques 23. Bornonsnous au strict minimum de considrations, exig pour l'intelligence de notre propos actuel.

    A partir dti VC sicle, l'Occident disposa d'une thologie rpondant aux impratifs, qui avaient d'abord paru inconciliables, de l'idalisme platoni-cien et de l'orthodoxie trinitaire.

    Le Dieu du monothisme devait tre une substance unique, absolument immatrielle et toute en acte selon les exigences du plus strict idalisme grec. Pour faire droit, d'autre part, la tradition chrtienne, tant celle des Livres sacrs que celle des thologiens anciens, la nouvelle thologie devait proscrire toute rduction des personnes divines un simple modalisme ou, ce qui revenait au mme, devait rcuprer la disposition )} interne des parties en Dieu, l' conomie de la thologie matrialiste d'un Irne ou d'un Tertullien. C'est Augustin qui dcouvrit une issue cette impasse en mditant sur les conditions de la vie d'une substance immatrielle. Etre intelligent, la divinit devait, estimaitil, prsenter quelque analogie avec l'esse, le nosse et le velle de notre esprit. La notion de Logos, mise en vidence par le IV" Evangile, l'encouragea d'ailleurs singulirement chercher dans cette voie. Donnant au Fils le nom de Verbe, c'est~dire de concept, de produit de l'esprit, Jean paraissait cautionner aux yeux du thologien la valeur analogique de son explication. Celleci prsentait en outre le singulier avantage apologtique d'adopter le schma de la philo-sophie en vogue, celui des trois hypostases plotiniennes, mais en vitant le subordinatianisme des Ariens : ceux-ci, en effet, n'avaient pu concevoir la procession des hypostases la manire d'activits vitales intrinsques un seul et mme tre, mais seulement comme une action transitive, ,passant d'un individu un 'autre. Ds lors, l'obstacle leur tait apparu comme insurmontable: il leur avait fallu accepter l'ide d'un Dieu unique, incommensurablement transcendant au Fils et l'Esprit, comme tous les autres tres procdant du 'premier, lequel seul tait par hypothse sans principe, inengendr et, pour tout dire, absolu. Pareille doctrine avait t et, somme toute, lgitimement dnonce par l'vque d'Alexandrie comme

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    30 F. MASAI

    ramenant les chrtiens au judasme 24 ou du moins, une sorte de judo-christianisme du genre de l'bionisme que connatra encore plus tard Epiphane de Salamine aux confins de l'Arabie 25,

    On pouvait d'autre part - ce qui fut srement la tendance personnelle d'Arius et plus encore celle de toute sa postrit spirituelle - attribuer un caractre divin aux trois hypostases, mais en ce cas une hirarchie s'instituait forcment entre elles, et cette ingalit des invididus divins les multipliait de toute vidence, de sorte que l'arianisme chappait diffici~ lement au reproche de polythisme, fait l'manatisme plotinien. Si l'empe-reur Julien aboutit l'apostasie et restaura le polythisme noplatonicien que l'on sait, ne serait-ce point dan~ la,logique mme des convictions qui lui furent inculques autant par ses prcepteurs ariens que par sa culture classique 26 ?

    Quoi qu'il en soit de l'arianisme et de ses affinits avec la restauration platonicienne et polythiste des lIIe et IV"- sicles, l'analyse psychologique conduisit pour sa part Augustin la dcouverte de multiples analogies trinitaires entre les facults suprieures de l'homme et leurs activits 27. Comme on l'a dit, cette conception avait sur celle de la procession des tres, que ce ft par manation ou par cration, l'avantage de porter sur des actions intrieures, immanentes une mme substance, un seul esprit, et non de concerner l'action transitive, l'activit d'un tre agissant sur un autre. Le schma rectiligne )} des processions noplatoniciennes, accept par les Pres, subsistait dans cette thologie, mais ,le subordina-tianisme tait supprim, en sa racine mme, par l'intriorisation du pro-cessus dans un tre unique et donc substantiellement homogne.

    Identifier toutefois, la'suite d'Augustin, la personne de l'Esprit-Saint avec l'amour que se portent les personnes divines n'allait pas non plus sans quelque pril. La rciprocit caractristique de cet amour obligeait en quelque sorte donner un double principe la procession de l'Esprit : le Pre certes, mais aussi le Fils. Plus moyen pour les disciples d'Augustin de simplement concevoir une thologie n'impliquant pas ncessairement le Filioque 28. Et ceci constituait long terme une menace pour l'unit ecclsiastique.

    Selon le Ive Evangile, l'Esprit procde du Pre 29. Cette formulation sacre du dogme, attribue par Jean Jsus lui-mme, n'avait t incorpore dans le credo qu' partir du V"-VIC sicle et l'Eglise universelle commena de la rciter dans ses solennits liturgiques 30. D'o la notorit et l'autorit exceptionnelles d'une telle profession de foi. Une premire faute, incontes table celle-l, des Latins fut de complter par l'expression Filioque le texte sacr ({ qui a Patre procedit . C'tait, en effet, retoucher un document sacro-saint, et de surcrot un symbole qu'on s'tait accord reconnatre dsonnais intangible 31. Le plus grave toutefois n'tait point cet aspect de l'affaire. Vintroduction du Filioque dans le credo, contrastant avec la citation johannique que contenait seule le symbole grec, signifiait forc-ment que, pour les Latins, la doctrine d'Augustin et de ses disciples avait une autorit comparable celle de l'Evangile et des conciles cumni-ques, qu'elle en constituait une explicitation et mme la seuIe interprta-tion acceptable par l'Orthodoxie. Or c'est ce que les Byzantins, en vertu de

    CONTROVERSES TRINITAIRES BYZANCE 31

    leurs propres traditions et des principes mmes de leur thologie, n'taient pas enclins admettre, abstraction faite de toutes les autres raisons qui pouvaient leur rendre antipathiques l'arrogance et l'imprialisme des Latins.

    Sans doute l'assertion de l'Evangile n'avait-elle en soi rien d'exclusif : Jsus n'avait' pas dit que l'Esprit procdait du Pre seul) a solo Patre, comme, depuis Photius au moins, l'assuraient presque unanimement les docteurs byzantins. Pourtant, si l'Esprit procdait effectivement du Fils et pas seulement du Pre, pourquoi- Jsus s'tait-il born nous rvler la moiti du dogme, en parlant de l'Esprit comme procdant du Pre ?

    Il tait non moins vrai, d'autre part, que les Pres grecs, ceux du IV" side en particulier, avaient dcIar- l'envi que l'Esprit procdait du Pre par le Fils, et Cyrille d'Alexandrie s'tait mme une fois risqu formuler la double procession du Pre et du Fils 32. Les thologiens latins attachent beaucoup de prix ces textes, et on les comprend 33. Mais ont-ils raison d'y chercher une stricte quivalence de leur propre doctrine? Ont-ils surtout le droit de dnoncer Photius et ses disciples comme infidles l'Orthodoxie, parce qu'ils refusent d'accepter le schma rectiligne des processions trinitaires? L'historien, me semble-t-il, doit ici redoubler de circonspection.

    -Gardons-nous d'obir aux impulsions d'un certain cumnisme qui, de nos jours, effacerait volontiers, dans le pass comme dans le prsent, toute cause de luttes fratricides entre chrtiens. L'intention est sans conteste gnreuse, mais elle risque de faire mconnatre les droits de la critique et de l'objectivit. En l'occurrence il incombe l'historien d'tablir, aussi exactement que possible, ce qui relve d'une simple diffrence de point- de vue et ce qui appartient une relle divergence de doctrine entre les- penseurs de Byzance et ceux de l'Occident. Comme on va le voir, l'tude - des trois opuscules qui retiennent plus spcialement ici notre attention, peut y aider, et de faon non ngligeable.

    Les thologiens de l'poque proprement byzantine, apparaissent gns quelquefois par le reproche fait Photius et son Eglise d'avoir abandonn la tradition authentique des Pres grecs pour innover. Ce qui serait assu-rment la plus paradoxale et la plus incommode des situations pour une Eglise qui se targue de dfendre les traditions orthodoxes contre les tm-rits doctrinales des Latins 34. Mais l'quit comme l'objectivit historique fious font un devoir cependant de nous reprsenter la situation o se trou-vait la pense grecque vers le moment o Augustin rdigeait son De Trini-tate. Le schma rectiligne de la procession des hypostases divines avait susCit toutes- les formes d'hrsies dont les glises de l'Empire d'Orient soffraient alors depuis plus d'un sicle. Le moyen de couper le mal la racine ne devait-il pas tre naturellement cherch dans le rejet de ce schma, dans la considration de la divinit du Pre comme principe unique il la fois du Fils (gnration) et de l'Esprit (spiration), bref dans une double procession parallle? C'tait sans doute se dtourner d'une tradition, dj sculaire, qui prsentait la procession de l'Esprit partir du Pre par le Fils, mais cette tradition avait-elle, en dfinitive, d'autre autorit que celle d!Qrigne? Ce matre avait t, sans doute, celui des Pres grecs du

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  • 32 F. MASAI

    IV" sicle; mais ensuite il avait t condamn en Orient, et au moment mme o Augustin parvenait rendre son subordinatianisme inoffensif 35. En tout cas, ces formules patristiques, pour respectables qu'elles fussent, ne pouvaient tre mises en balance avec celles de l'Evangile et des sym~ boles conciliaires., On comprend donc que leur abandon ait pu paratre aux thologiens byzantins comme une sauvegarde de l'Orthodoxie, c'est~~dire comme le moyen de' rcuprer la Trinit conomique , impose dj par le concile de- - Nice et raffirme par ceux de _Constant~nople. Seulement, comme toujours en pareil ca's, on avait, tendance dissimuler QU, tout -au moins" camoufler .J'abandon

  • 34 F. MASAI substances )} en question, sont en ralit les Ides platoniciennes, sont cratrices et, de ce fait, peuvent apparatre comme des dieux, ,quoique subordonns un Dieu suprme, l'Un ou Etre absolu. Ce qui n'est pas, on en conviendra, sans ressembler au subordinatianisme d'Arius, avec son Logos crature, mais crateur en second.

    D'ailleurs, continue Plthon, la thologie hellnique appelle dieux ou enfants de Dieu les uvres de Dieu, car elle estime n'avoir pas distinguer une cration et une gnration divine, pas plus qu'il n'y a lieu de distinguer en Dieu volont et nature ni, pour tout dire, essence et action 47, D'o une conclusion, bien diffrente de celle que prtendait tirer Argyropoulos : Les enfants du Dieu suprme, la thologie hellnique les fait par cons-quent d'une divinit autre et d'une substance infrieure la sienne , et cela en vertu prcisment d'un principe qui n'est autre que celui invoqu, savoir que les tres dont les puissances sont diffrentes sont diffrents aussi par leurs substances )} 48. Et Plthon livre alors une rflexion qui semble bien constituer l'ultime fondement de son polythisme, comme il avait jadis t celui du subordinatianisme d'Arius : la thologie des Hellnes juge qu'il n'y a pas de plus grande diffrence de puissance que la diffrence existant entre l'tre qui est par soi et l'tre qui est par un autre)} 49.

    Le plus parfait commentaire de ces lignes se trouvait dans les Lois de Plthon. Il suffit, en effet, de jeter un coup d'il sur les fragments qui en subsistent, pour comprendre que cette uvre tait un essai de restauration du paganisme de l'empereur Julien et autres noplatoniciens, fond prci-sment sur l'axiome ici interprt 50.

    Mais il y a plus encore : la suite de l'opuscule contre Argyropoulos permet de souponner que le fameux axiome dut tre une des raisons dterminantes de l'apostasie personnelle de Plthon. L'Eglise, d'aprs lui, ne pouvait accepter la valeur de ce principe (incontestable pourtant sur le plan scientifique) et professer, d'autre part, son dogme trinitaire. Son avis est formel cet gard: L'Eglise fait bien voir qu'elle n'admet pas cet axiome, car, si elle l'acceptait, elle ne pourrait affirmer que le Fils est gal au Pre, ni qu'il est de la mme substance. De fait comment le Pre n'aurait-il pas une puissance diffrente, puisqu'il a la puissance d'tre et existe par lui-mme, tandis que le Fils n'est nullement par Iui-mme mais par le Pre? De mme encore: si l'un est capable d'engendrer un tre gal soi, tandis que l'autre n'est pas capable d'engendrer un tre gal ni mme ingal, ne devrait-il pas en rsulter qu'ils ne seraient pas de la mme essence, si les tres dont les puissances sont diffrentes sont eux-mmes d'essences diffrentes? )} 51.

    Plthon a beau montrer ensuite que les Latins pas plus que les Grecs n'difient leur doctrine sur ce principe, quiconque avait connaissance des uvres sotriques de Plthon - et c'tait le cas de Scholarios - ne pouvait se mprendre: le platonicien de Mistra renvoyait dos dos toutes les thologies trinitaires. A ses yeux, elles avaient toutes un ;ice originel ;

    . celui de contrevenir l'un des premiers principes de la ra~son, l'un des fondements mmes de la science en gnral et, plus particulirement, de la th~ologie naturelle 52.

    **.

    CONTROVERSES TRINITAIRES BYZANCE 35

    Plus d'un lecteur de Plthon a d s'abuser sur les intentions et les opinions vritables du critiqIJe d'Argyropoulos. Scholarios, pour sa part, possdait des informations complmentaires qui lui permirent de les pntrer, et mieux peut-tre que n'est en mesure de le faire actuellement l'historien, avec le dossier mutil dont il dispose, en raison mme des destructions opres par Gennade, devenu patriarche 53.

    L'appui que l'opuscule de Plthon apportait la politique de Scholarios recommandait celui~ci de mnager l'auteur, de le remercier mme d'une aide qui tait d'autant plus prcieuse qu' l'poque peu de personnalits osaient se dclarer contre la politique impriale 54. Nanmoins l'Orthodoxie lui paraissait rclamer des mises au point et surtout une dfense efficace contre l'apologie sournoise d'une doctrine bien plus dangereuse que le Filioque, savoir le platonisme paganisant que tentait de restaurer la socit secrte dont Plthon tait l'me 55 Telle est la tche complexe et dlicate que Scholarios s'est assigne dans son Eptre Plthon. Nous n'avons pas le loisir d'analyser ici une uvre qui n'occupe pas moins de

    trente~cinq pages du tome IV des Opera omnia, raison d'une quarantaine de lignes la page 56. Le document est donc long, inutilement prolixe mme 51. De temps autre pourtant, il ne manque pas d'intresser puissamment, et souvent il instruira beaucoup ceux qui auront la patience de le mditer.

    Comme, dans son crit, Plthon prenait la dfense de la doctrine byzantine traditionnelle contre le Filioque, il n'y aura pas lieu de s'tonner si l'effort principal de Scholarios ne porte pas sur ce point. Pour l'essentiel il se contente cet gard d'avaliser les arguments fonnuls contre ArgyropouIos, en soulignant volontiers leur pertinence et leur force per~ suasive. II feint donc d'accepter l'expos de Plthon comme une authentique profession d'attachement la tradition ecclsiastique de Byzance. Or, nous l'avons dj dit, l'axiome dnonc comme on ne peut plus hostile la thologie de l'Eglise , parce qu'il aurait pour corollaire oblig le poly-thisme hirarchis du noplatonisme, constitue en ralit la justification de'rnire des critiques adresses la thse d'Argyropoulos et des Latins. Le platonicien de Mistra fait, en effet, valoir que, dans l'hypothse du Filioque, l'Esprit-Saint aura, bon gr mal gr, deux principes, mme si l'on prtend rduire le rle du Fils celui de co-principe, de cause auxiliaire, instrumentale. Effectivement si le Fils confre quelque chose de propre, d'original, l'tre de l'Esprit~Saint, il jouera son gard le rle de cause vritable, de principe. C'est quoi mne logiquement la thologie latine, avec, comme consquence soit le dualisme des principes soit le subordina-tianisme, sinon du Fils comme chez Arius, du moins de l'Esprit, comme

    d~s l'hrsie de Macdonius 58, Si, en revanche, le Fils est un simple ,canal, comme semble l'indiquer la fonnule des Pres grecs ( l'Esprit procde du Pre par le Fils), le Fils ne peut passer pour co-auteur de

    l~i;troisime personne de la Trinit: elle procde donc du Pre seul, comme gffirme la thologie byzantine avec une insistance particulire depuis l);hotius. Au reste, et pour la raison philosophique qu'on vient d'allguer, cette "xpression par le Fils )} ne vise absolument pas la spiration pro-prment dite de l'Esprit, c'est--dire sa position dans l'tre, puisque le

  • 36 F. MASAI

    Fils n'y peut avoir aucune part, mais l'envoi de l'Esprit aux cratures par le Fils, les missions ) de l'Esprit, comme disent les thologiens, non sa procession 59.

    Telle est, fidlement rsume, l'argumentation de Plthon contre le Filioque. Et, il faut en convenir, elle est de nature impressionner. A la rflexion toutefois une question se pose : les raisonnements du disciple de Plotin ne prsupposent~ils, pas justement la valeur de l'axiome, dont il a commenc par dclarer que l'Eglise n'en avait cure? En fait, tout comme jadis chez Arius, les hypostases divines, sont conues par Plthon comme des tres distincts, individualiss, et c'est pourquoi, ses yeux, si le Fils intervenait dans la production de l'Esprit, sa causalit devrait obligatoi-rement faire nombre avec celle du Pre et nullement s'identifier avec elle, comme le veut le monothisme rigoureux de l'Orthodoxie.

    On pourrait lgitimement s'tonner de ne rencontrer aucune rserve sur les prsupposs de pareille critique du Filioque, dans l'Eptre de Scholarios,. car celui-ci, comme Argyropoulos d'ailleurs, connat saint Augustin et apprcie tout particulirement la pense de saint Thomas d'Aquin. En ralit, on relve bien quelques rserves, mais elles concer-nent uniquement des aspects secondaires de l'opuscule. L'ensemble est hautement vant, et jamais la valeur de l'argumentation philosophique n'est mise en question. Scholarios prouvait-il, lui-mme, des difficults rfuter le Filioque partir du principe d'immanence, reu d'Augustin et de Thomas? Il tait assurment plus ais d'affirmer le caractre traditionnel de la doctrine byzantine que d'en dmontrer philosophi-quement le bien-fond, en vitant tout subordinatianisme.

    La dmonstration par l'absurde offrait peut-tre, en somme, l'arme la plus efficace dont disposaient les adversaires du Filioque : si l'unicit de Dieu et la consubstantialit des personnes divines formaient, depuis Nice, la base intangible de l'Orthodoxie en matire trinitaire, si tout ce qui relevait de l'essence, de la substance mme de Dieu, tait strictement commun aux trois hypostases, toute proprit ds lors ne pouvait tre que l'apanage d'une seule personne, jamais de deux, sous peine d'enfreindre le principe et de retomber dans le dualisme ou le subordinatianisme 60, Pas possible non plus de concevoir la facult de produire l'Esprit tendue l'Esprit lui-mme, car rien n'est cause de soi. Il ne reste donc qu'une solution : faire de la procession de l'Esprit une proprit personnelle du Pre.

    Autre raisonnement, par l'absurde galement : si la procession de l'Esprit doit tre attribue au Fi