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L’AMOUR du LIVRE L’édition au Québec, ses petits secrets et ses mystères Denis Vaugeois Extrait de la publication

Denis Vaugeois L’ AMOUR du LIVRE…aux magnifiques bibliothèques du Grand Toronto qui ont inspiré les promoteurs du développement des bibliothèques publiques au Québec. En superposition,

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De la table de l’écrivain à celle du lecteur, quel est le parcours d’un livre ? À quoi ressemble cette fameuse chaîne du livre ? Quelles en sont les composantes ? Est-il vrai que, proportionnellement aux populations encause, il se publie davantage de livres au Québec qu’en France, au Canadaanglais ou aux États-Unis ?

Au cours des 25 dernières années, le territoire québécois s’est couvert de bibliothèques publiques et de librairies.Le coup d’envoi a été donné pendant le premier mandat du Parti québécois (1976-1981). Où en sommes-nousactuellement ? Quel est l’avenir du livre face au support numérique et à Internet ? Des voix de plus en plus nombreuses réclament l’accès libre et gratuit aux œuvres ; faut-il en déduire que le respect de la propriété intellectuelle est sérieusement menacé ?

À partir de son expérience d’auteur et d’éditeur, Denis Vaugeois, à qui l’on doit la Loi sur le livre de 1980 (Loi 51) etle plan de développement des bibliothèques publiques, nous entraîne dans le monde de l’édition et lève le voile surses « petits secrets et ses mystères ». Il le fait en toute franchise, animé de son amour du livre.

Denis Vaugeois fut membre de l’équipe du Journal Boréal Express et cofondateur des éditions dumême nom. Après un épisode politique, il prend la direction du Centre éducatif et culturel (CEC)et crée, en 1988, avec son collègue Gaston Deschênes, les éditions du Septentrion. Pendant troisans, il quittera cette maison pour procéder à la réorganisation des Presses de l’Université Laval.De 2000 à 2004, il sera président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). En tantqu’auteur, il est membre de l’Union nationale des écrivains du Québec (UNEQ) et fier de l’être.

L’AMOUR du LIVRE L’édition au Québec, ses petits secrets et ses mystères

Denis Vaugeois

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L’AMOUR du LIVRE L’édition au Québec,

ses petits secrets et ses mystères

Denis Vaugeois

www.septentrion.qc.ca

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« Que voudra donc dire aimer quand il n’y

aura plus de livres ? »

Extrait de la publication

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L’AMOUR DU LIVRE

Tout est prétexte à livre : événements culturels,politiques ou sportifs, faits divers. Les éditeursproduisent beaucoup plus que les lecteurs ne peuventabsorber. La production de titres augmente, le nombred’exemplaires vendus chute, les tirages baissent. L’actede publier s’exerce non seulement par des éditeurs bienétablis mais aussi de façon ponctuelle par desinstitutions, des associations, des entreprises et desimples particuliers.

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Le nom Diderot rime avec encyclopédie, avec austérité. Derrièrel’érudit se cache toutefois un auteur dramatique d’une verveéblouissante. Tantôt sérieux, tantôt cabotin, il a tâté de tous les petitsmétiers associés au livre, un produit comme les autres, a-t-on cru,dans certaines officines québécoises sous l’influence d’un Pierre Fortinou d’un Jean-Roch Boivin. « Bévue », soutient le philosophe dansune longue lettre écrite à un magistrat en 1763. J’en fais mes délicesà la page 101 et je reviens sur la question aux pages 161 et 183.

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L’Amour du livreL’édition au Québec, sespetits secrets et ses mystères

Denis Vaugeois

SEPTENTRION

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Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société dedéveloppement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordéà leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programmede crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons également l’aide financièredu gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement del’industrie de l’édition (Padié) pour nos activités d’édition.

Illustrations de couverture : Bibliothèque Thomas Fisher, Université de Toronto. Un clind’œil de l’auteur à cette superbe bibliothèque de livres anciens et, par la même occasion,aux magnifiques bibliothèques du Grand Toronto qui ont inspiré les promoteurs dudéveloppement des bibliothèques publiques au Québec. En superposition, Loïc Herman.

Quatrième de couverture : Un cœur se livre, sculpture d’Alain Stanké.

Mise en pages : Gilles Herman.

Maquette de la couverture : Bleu Outremer.

Révision : Solange Deschênes.

Collaboration : Gaston Deschênes, Gilles Herman, Sophie Imbeault, Josée Lalancette,Dominique Lemay.

© Les Éditions du Septentrion1300, avenue MaguireSillery (Québec)G1T 1Z3

Diffusion Dimedia Ventes en Europe :539, boul. Lebeau Distribution du Nouveau MondeSaint-Laurent (Québec) 30, rue Gay-LussacH4N 1S2 75005 Paris

France

Dépôt légal – 2e trimestre 2005Bibliothèque nationale du QuébecISBN 2-89448-425-9

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION

vous pouvez nous écrire au1300, avenue Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978Catalogue Internet : www.septentrion.qc.ca

L'Amour du livre 8/04/05, 10:094

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Préface

Denis Vaugeois se promène d’opinions personnelles enprotestations justifiées ; de la disparition de la bibliothèque

municipale de Montréal – valeur sentimentale et historique s’il enest – à l’état d’appauvrissement du réseau des bibliothèquesscolaires, du respect des contrats à l’homme d’affaires qu’estl’éditeur, d’Internet à l’affaiblissement du droit d’auteur. Il montrecombien son attachement au livre est profond. Le livre l’a toujoursfasciné. Enfant, dans son imaginaire, il connaissait déjà, pourrait-on dire, la chaîne du livre : « Dans mes plus lointains souvenirsd’enfance, j’écris des romans et je fabrique des livres. Je lescollectionnais, les assemblais, les reliais et les échangeais. Peut-êtremême que j’en vendais. » Aujourd’hui, est-ce toujours le même jeu ?Ce livre, en tout cas, rappelle, à travers les secrets et les mystères del’édition au Québec, l’itinéraire intellectuel de Denis Vaugeois. Cesont les livres qui, sur le plan intellectuel, ont mis au monde et lefutur politicien et le futur éditeur. Déjà, une grande idée guiderases engagements publics : la consolidation de la chaîne du livre auQuébec.

Cette idée sous-tend la structuration du marché. Denis Vaugeoisen fera l’un des fondements de la Loi 51 qu’il fera adopter par songouvernement. Élu député péquiste du comté de Trois-Rivières le15 novembre 1976, Denis Vaugeois deviendra ministre des Affairesculturelles le 28 février 1978. Le nouveau ministre avait bien retenu laleçon de Guy Frégault qu’il cite : « Dans nos sociétés contemporaines,

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6 L’Amour du livre

la situation du livre semble être un bon indicateur de l’état générald’une communauté culturelle. » Ainsi, l’un des effets de la Loi 51aura été de professionnaliser le milieu du livre. Mais c’est le plande développement des bibliothèques publiques qui aura la faveurdu ministre. « Les bibliothécaires m’ont mis au monde », écrit-il.Le jour où il a trouvé le financement, « ce jour-là, rappelle-t-il, citantson collègue à l’Assemblée nationale, Jean Garon, la culture a passéavant l’agriculture. » L’intérêt de L’Amour du livre, voilà ce quifascinera le lecteur, réside dans le rappel et la mise en contexte del’évolution du milieu du livre au Québec. Livre accompagné – labelle valeur ajoutée – par des documents d’archives, des illustrationsd’époque, des tableaux statistiques, des photos, voire des fichestechniques.

L’œuvre est belle. En effet, il y a une euphorie chez Vaugeoisqui s’explique. Ce qui ne l’empêche pas de recourir à la formule del’actuel président de l’Association nationale des éditeurs de livres(ANEL), Gaston Bellemare : « Le Conseil des Arts et le Padié sub-ventionnent Postes Canada. » Tout n’est donc pas idéal. Ce quiexplique que Denis Vaugeois ait écrit L’Amour du livre avec unobjectif précis : mieux faire connaître la chaîne du livre. Et dansl’allégresse, si possible. En effet, il y a dans ce livre une indiscutablegénérosité dont le corollaire repose, chez l’éditeur qu’il est, sur unerelation sincère avec l’auteur.

La question se pose alors : Denis Vaugeois a-t-il toujours prispartie en faveur des auteurs ? Lui, il n’en doute certainement pas.Alors qu’il était ministre des Affaires culturelles – père de la Loi 51qui exigeait, entre autres, le paiement des droits d’auteur et unepropriété québécoise à 100 % –, on lui reprochera d’avoir « pignonsur rue comme éditeur ». Nombre d’éditeurs, aussi, alors qu’il étaitprésident de l’ANEL, l’accuseront de s’être trompé d’association.« Tantôt, écrit-il, je défendais les librairies, les auteurs et l’UNEQ[Union des écrivaines et des écrivains québécois], tantôt je plaidaispour les bibliothèques. » Voici donc un livre écrit avec la sincéritéd’un militant et la conviction d’un combattant dans lequel alternentla parole d’un auteur et la rigueur d’un historien. Les idées del’éditeur Vaugeois sont dans l’ensemble généreuses : « L’éditeur poursa part, affirme-t-il, doit s’effacer derrière son auteur et son œuvre. »

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Préface 7

Toutefois, la vision que l’éditeur Vaugeois a de l’écrivain faitque ce dernier dépend fortement de son éditeur sans qui, a-t-onl’impression, l’auteur a moins de talent, qu’il est un peu paresseux,qu’il a l’appétit du gain, etc. ; bref, que « l’éditeur est toujours surprisdes attentes des auteurs. […] Ils sont presque toujours frustrés ».En ce cas, comment ne pas penser que, dans la chaîne du livre,l’éditeur a le beau rôle : c’est lui qui permet l’épanouissement del’écrivain. Quel éditeur n’en doute pas ? Denis Vaugeois, profitantde sa propre expérience d’éditeur, peut se permettre de parler ainsi.Peut-être est-il trop imprudent lorsqu’il se met à parler au nomdes auteurs, lesquels pourraient fort bien ne pas partager son pointde vue. Ainsi, écrit Denis Vaugeois, « un livre existe par la volontéd’éditeur ». L’écrivain pourrait rétorquer : « Sans l’auteur, il n’y apas de volonté de l’éditeur. » Même quand il y a commande del’éditeur, sans auteur, il n’y a pas de livre. Imaginer alors quand unéditeur parle de contrat à un auteur : « Avec ou sans avocat, l’auteurest rarement en position de force en face de l’éditeur et ce dernierpréfère mettre du temps sur le livre plutôt que sur le contrat.[…] Qu’on se le dise, les vraies raisons de publier ne sont pas denature financière. » Pourtant, selon Vaugeois, voici la réalité : « Lelivre devient avant tout une carte d’affaires, un passe-partout. » Bref,l’éditeur doit aussi se comporter en homme d’affaires !

Autre réalité qu’aborde Denis Vaugeois : celle de la notion dedroit d’auteur qui se dilue. La diffusion des œuvres sur Internet,son accès libre et gratuit, a un effet réel sur les revenus des écrivains.Du copyright (le droit d’auteur) au copyleft (l’autorisation) en passantpar le No copyright (l’abandon des droits), les pratiques internautessoulèvent de nouveaux questionnements. Sans compter qu’il n’y apas que la question économique. En matière de propriétéintellectuelle, l’accès démocratique au savoir soulève cette autrequestion fondamentale du respect des sources et de l’intégralitédes œuvres.

Sur la question des contrats, autre réalité, Denis Vaugeois a desvues qui lui sont personnelles et que partagent nombre d’éditeurs.À titre de président de l’ANEL, il s’était inquiété du ton agressifadopté par les représentants de l’UNEQ : « Le climat entre les deux

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associations était malsain. » Des rencontres ont eu lieu, mais n’ontpas amené l’ANEL à accepter l’idée du contrat-type souhaité parl’UNEQ.

Lorsque Denis Vaugeois écrit que « les litiges entre auteur etéditeur sont extrêmement rares », ce genre de phrases pourrait ledisqualifier. Si ce n’est pas le cas, c’est que ces propos concernentl’éditeur qu’il est. Il parle de lui et on a envie de le croire. Je le citeencore : « Malgré ses hauts et ses bas, la relation entre auteur etéditeur repose essentiellement sur la confiance. Ce pourrait être lapremière clause de tout contrat d’ailleurs : se promettre uneconfiance indéfectible. » Mais « y a-t-il moyen de prévoir par contratle monde idéal ? » se demande l’ancien président de l’ANEL. Oui,à mon avis. Pour répondre à cet idéal, l’UNEQ avait proposéd’inscrire des « conditions minimales » dans un contrat-type queles éditeurs ont refusées. « Soyons de bonne foi », écrit toujoursDenis Vaugeois. Pour l’amour du livre, bien sûr.

Le lecteur comprendra que le présent ouvrage ouvre la porte àune discussion réelle qui n’a pas encore eu lieu, selon moi,nonobstant la bonne volonté de l’ancien président de l’ANEL. Sonlivre demeure fort utile pour comprendre les enjeux et l’évolutiondu milieu québécois du livre. Il met à jour des erreurs de parcourssous formes de souvenirs personnels et des luttes qu’a menées avecconviction son auteur. Ce dernier nous parle, avec compétence, detoutes les composantes de la chaîne du livre. Chaque maillon y estdécrit avec une connaissance jamais dissociée de l’expérience.

Si donc l’amour du livre a guidé l’éditeur du Septentrion dansses choix et ses engagements, cela ne veut pas dire que ses proposferont l’unanimité. À la limite, on s’en fout. Si le livre n’obéit àaucune règle, comme le pense l’éditeur, lui, Denis Vaugeois, il obéitau rêve de son enfance : faire de beaux livres en réinventant le métierd’éditeur. Restent à d’autres éditeurs, s’ils s’en sentent inspirés, del’imiter avec le même amour du livre, et qui fait de Vaugeois unéditeur heureux.

Bruno Roy, écrivain(Roxboro, le 21 mars 2005)

Extrait de la publication

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Préface 9

Ce livre est dédié :

À mes collègues du Journal Boréal Express, Jacques Lacoursière, LévisMartin et Claude Bouchard, mes premiers guides en édition.

À la petite équipe des éditions Boréal Express dont Hélène Bousquet futl’âme pendant plus de dix ans.

À Antoine Del Busso et Pascal Assathiany qui, chacun à sa manière, ontsu faire fructifier l’héritage et démontrer qu’il n’était pas nécessaire d’être desouche pour animer et porter à des sommets une maison d’édition orientée versl’épanouissement d’une population, prolongement de l’Amérique française.

Aux employés du Centre éducatif et culturel, syndiqués et cadres, auxpropriétaires également, Hachette et Quebecor, qui m’ont permis de me recycleren édition dans un contexte quasi idyllique.

À Josée Lalancette et Gaston Deschênes qui m’ont secondé dès les débutsdes éditions du Septentrion.

À Claude Dufresne, maître imprimeur et exceptionnel pressier, Réald’Anjou, homme d’un raffinement exquis, imprimeur et éditeur, Marc Veilleux,travailleur acharné et imprimeur visionnaire, qui m’ont tous trois inculquéun profond respect pour leur métier.

À cette équipe reconstituée des Presses de l’Université Laval qui, sansfaire de bruit, dirige maintenant une des maisons d’édition les plus productivesau Québec.

Aux merveilleux collègues de la maison Larousse, François Demay, YvesGarnier, Mady Vinciguerra, Chantal Lambrechts, Bruno Durand et combiend’autres dont les connaissances et la compétence n’ont jamais cessé dem’éblouir.

À l’actuelle équipe du Septentrion, pleine d’énergie et d’enthousiasme,qui se prépare à prendre la relève sous la houlette de Gilles Herman, passétout naturellement de l’énergie nucléaire à la puissance du livre.

À mon ami Gaston Bellemare qui m’a succédé à la présidence de l’ANELavec un brio qui me fait regretter de ne pas être parti plus tôt.

À tous mes collègues éditeurs, membres de l’ANEL ou pas, y compris les scolaires.À ce millier d’auteurs qui m’ont fait confiance.Aux libraires et aux bibliothécaires qui partagent avec moi l’amour du livre.Aux lectrices et lecteurs qui m’ont toujours encouragé comme éditeur et

aussi comme auteur.

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L’illustration choisie était celle du bas.Elle est conservée au BarbadosMuseum. Après plusieurs semainesd’attente et de nombreux échanges,nous avons reçu une illustration dontle cadrage et la couleur étaientpassablement différents. À gauche, ilmanquait une légère lisière et, à droite,les enfants sont absents. Nous avonsappliqué la méthode de la diagonale.Cette situation est rare car nous devonsplus souvent composer avec le problèmeinverse et plaider pour un nouveaucadrage. Quand nous le faisons, nousreproduisons en quatrième de cou-verture l’œuvre complète. Pour unconservateur de musée, l’illustrationest une œuvre dont il doit assurer lerespect ; pour l’éditeur, elle est parfoisun document dont certains élémentsseulement sont pertinents.

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Avant-propos

Un éditeur est comme un chef d’orchestre. Il est bien possiblequ’il ne maîtrise lui-même aucun instrument en particulier,

mais il doit savoir en apprécier l’exécution, il doit aussi être capablede les faire jouer simultanément en parfaite harmonie.

S’il fallait que chacune des tâches qui permettent la publicationd’un livre soit exécutée l’une après l’autre, le processus, au lieu deprendre environ six mois, en prendrait le double et même le triple.Si l’éditeur attend que la mise en pages soit terminée et réviséepour se mettre à la recherche d’une idée pour la couverture, il vientde créer un délai qui peut être long. On ne trouve pas l’idée d’unecouverture en claquant des doigts, on n’obtient pas l’illustrationsouhaitée en 24 heures ; la recherche des droits peut être égalementcompliquée et finalement jugée trop coûteuse. Il faut alors repartirà zéro.

Même si plusieurs tâches sont menées de front, il n’est pas ditque tout ira sur des roulettes. En septembre 2004, le Septentrionpubliait Les Nouvelles-Frances de Philip P. Boucher. C’était l’aboutis-sement d’un projet vieux de trois ans. Tout a été long, comme c’estsouvent le cas pour une traduction, mais l’étape la plus déroutantefut l’obtention de l’illustration de la couverture. Après bien desrecherches, notre choix s’était porté sur Agostino Brunias, un artisted’origine italienne qui a travaillé aux Antilles dans la deuxièmemoitié du XVIIIe siècle. Ses œuvres sont conservées en divers endroitsdont la John Carter Brown Library qui est l’éditeur de la versionanglaise de l’essai de Boucher et le Barbados Museum. Notre choixs’est finalement arrêté sur une gravure conservée à cet endroit. Uncontact avec le personnel du musée a vite été établi et la procédure,rapidement suivie. Pendant des semaines, nous avons attendu et

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fait de multiples rappels. Enfin, un cédérom est arrivé. Le cadragede l’œuvre ne correspondait pas au tableau repéré sur Internet.Malgré notre déception, nous avons jugé que l’attente avait étéassez longue et nous avons publié l’ouvrage avec, sur la couverture,l’illustration fournie par le musée, mais en quatrième, pour notresatisfaction, nous avons présenté celle qui se trouvait sur Internet.Celle-ci était à 72 dpi, comme c’est généralement le cas, alors qu’ilfaut un minimum de 300 dpi, au format choisi, pour avoir unedéfinition acceptable. En la réduisant au format de notrereproduction en quatrième de couverture, nous avons atteint cetterésolution minimale.

Une fois cette décision prise et la date de parution fixée, il nousrestait à conclure un accord avec un partenaire français, les Pressesde l’Université de Paris-Sorbonne, qui était intéressé à une coédition.Il manquait toutefois de petits détails techniques comme leur ISBN(International Standard Book Number). Or, en août, les bureaux deParis-Sorbonne sont fermés. Joint chez lui, le directeur nous arépondu laconiquement : « Tout le monde est en vacances ».

Voilà un exemple parmi bien d’autres des difficultés qui peuventsurgir. Des délais imprévus et même imprévisibles incitent naturel-lement à vouloir se rattraper et à brûler des étapes pour finir unouvrage. Dans le cas de ce livre très original de Philip P. Boucher,le Septentrion a fait indûment patienter l’auteur et l’éditeur initial enplus de frustrer son partenaire français qui aurait pu assurer unediffusion appropriée en France. Cerise sur le gâteau, la précipitationfut telle qu’une faute est restée dans le texte de la quatrième decouverture. Voltaire y parle de « le France » ! Consolation, l’intérieurest impeccable, l’iconographie très originale, la traduction de qualitéet une attentive révision a permis d’apporter des précisions au textede base. Celui-ci apporte vraiment du neuf et permet de mieuxcomprendre cette lettre de Voltaire de 1762 (Canada-Québec,Septentrion, 2000 : 155) adressée au ministre Choiseul dans laquelleil le remerciait d’avoir conclu cette paix par laquelle la Francerenonçait au Canada. « Je suis comme le public, écrivait le cyniquephilosophe, j’aime beaucoup mieux la paix que le Canada : et jecrois que la France peut être heureuse sans Québec. » PhilipP. Boucher montre à quel point Voltaire avait raison. Hélas.

Extrait de la publication

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Avant-propos 13

Debout devant son orchestre, le maestro est bien visible, maisde dos. À la fin de la représentation, il salue le public et recueille lesapplaudissements. L’éditeur pour sa part doit s’effacer derrière sonauteur et son œuvre. Il reste un personnage entouré de mystère etd’une indéniable aura, mais seul l’auteur profitera naturellementde toute l’importance qu’on accorde au livre, cet objet quasi sacré.

On dira que les gens lisent peu, que près de la moitié de lapopulation québécoise (43 %) ne lit pas un livre par année et peut-être même pas un seul livre dans toute leur vie. Et puis après ?

La vedette de télévision ou de cinéma qui ne lit jamais attacherabeaucoup d’importance au livre qu’on prépare sur elle (ou sur lui ;subtilité de la langue française). C’est vrai pour l’homme d’affairesqui a réussi ou l’homme politique au faîte de la gloire. C’est le casactuellement pour Roland Désourdy qui a signé la réalisation degrands travaux et qui voudrait bien en retrouver l’essentiel dans unlivre.

René Lévesque était un grand liseur. Il paraissait humble etdésintéressé. Le jour où l’historien Jean Provencher lui a fait savoirqu’il souhaitait écrire sa biographie, M. Lévesque s’est montrédisponible et a largement contribué. En 1986, Pierre Péladeau avaittout réussi. Il n’attendait plus grand-chose de la vie sauf le plus

Si je ne voulais que faire entendrema voix, monseigneur, je me tairaisdans la crise des affaires où vousêtes mais j’entends les voix debeaucoup d’étrangers, touttes disentqu’on doit vous bénir si vous faittesla paix à quelque prix que ce soit.permettez moy donc monseigneurde vous en faire mon compliment.je suis comme le public, j’aimebeaucoup mieux la paix que lecanada : et je crois que la francepeut être heureuse sans quebec.vous nous donnez précisément cedont nous avons besoin. nous vousdevons des actions de grâces.recevez en attendant avec votrebonté ordinaire le profond respectde voltaire - (À Choiseul, 6.9.1762)

Avant-propos

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d’années possibles sans doute. Il collabora volontiers à cettebiographie complaisante préparée par Colette Chabot. L’annéesuivante, Paul Desormiers ripostait dans un livre publié à compted’auteur. En fait un livre sur soi, c’est une façon de se prolonger,de survivre. Écrire un livre également. C’est acheter un peud’éternité!.

Tous les jours, les éditeurs reçoivent des manuscrits. Combienont été écrits par de grands liseurs ? À mon avis, un tout petitnombre. Tout petit. Infime.

Lorsqu’un auteur en puissance me demande conseil pour setrouver un éditeur ou qu’il insiste pour discuter de notre refus, jejoue le jeu : « Savez-vous à quel éditeur vous devriez d’abord songer ?Celui qui serait le plus approprié pour votre ouvrage ? » Évidemment,mon interlocuteur est vivement intéressé. Un peu excité même.Enfin, on trouvera ! Question donc : « De quel éditeur principal sontles derniers livres que vous avez lus ? » Il est très rare qu’on puisseme répondre à cette question. Ou bien mes interlocuteurs, ces futursauteurs, ne remarquent pas le nom des éditeurs des ouvrages qu’ilslisent, ou bien ils ne lisent carrément pas.

J’ai lu quelque part – dans In Search of Excellence si je me souviensbien – l’effet produit par l’arrivée d’un éditeur dans une réceptionde gens riches et célèbres. Il était le plus pauvre de tout ce beaumonde, mais le plus entouré. Un peu comme le journaliste dansune réception réunissant des politiciens.

Le métier d’éditeur profite aussi de la notoriété de quelquesgrandes figures d’hier (Gallimard, Grasset) ou d’aujourd’hui(Robert Laffont) ou plus près de nous comme Pierre Tisseyre, AlainStanké, etc. L’habitude se perd de nommer une maison d’éditiondu nom de son fondateur mais le nom des grands éditeurs est connu,du moins dans un certain cercle d’initiés.

L’éditeur tient un peu du magicien. Il sait transformer unmodeste manuscrit en un objet raffiné et agréable. En effet, un

! À cet égard, rares sont les gens blasés. Robert Laffont raconte (1992 : 201)l’empressement du grand Jean Monnet, l’initiateur de l’Europe unie, à l’idéed’un livre de lui ou sur lui. En France, les présidents de la République françaiseont tous eu « leur » livre ces dernières années.

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Avant-propos 15

livre est un bel objet en soi. Acheter un livre est un geste qui rassure.On le lira plus tard. Avez-vous lu le dernier Umberto Eco, le dernierGaëtan Soucy ? Non mais je l’ai acheté !

Il y a aussi les collectionneurs. Passe pour les amateurs de beauxlivres ou de livres anciens, mais que dire de ceux qui convoitentdes pièces pour leurs erreurs.

C’est elle ! Dieu que je suis aise !Oui, c’est la bonne édition ;Voilà bien, pages neuf et seize,Les deux fautes d’impressionQui ne sont pas dans la mauvaise.

Robert Pons de Verdun!

Le monde à l’envers ! Pour le bibliomaniaque, la bonne éditionest celle où se trouvent deux fautes, deux coquilles. Cette anecdoteest de l’époque où le livre était l’œuvre d’artisans. Aujourd’hui, ilfaut plutôt collectionner les livres dans lesquels il n’y aurait pas defautes.

L’éditeur intervient sur plusieurs plans : trouver la matièrepremière, la transformer en livre et provoquer la demande. Voilàun des grands paradoxes du métier d’éditeur : le plus souvent il necherche pas à combler des besoins mais plutôt à en créer denouveaux. Et c’est toujours à recommencer, du moins en littérature.

Il existe en fait plusieurs types d’éditeur. L’éditeur scolairecherche généralement à répondre à une demande, à satisfaire unbesoin même s’il ne se prive pas d’aller au-delà et d’inventerconstamment de nouveaux outils pédagogiques. L’éditeur scolairea aussi la caractéristique d’être en compétition avec ses collègues.Ses investissements sont lourds, il cherche la plus grande part dumarché visé, sinon tout le marché, et il pratique des ventes directes.La chaîne du livre le gêne et il la boude.

! Dans le petit ouvrage d’Eugène Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes(1883) réédité en 1979 (p. 114), je trouve la précision suivante : en tête de sabelle édition du Nouveau Testament, Robert Estienne a une préface où ontrouve pulres au lieu de plures. Boutmy écrit au 3e vers « Les voilà » qui suit unpoint au lieu d’un point-virgule.

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16 L’Amour du livre

L’éditeur de livres pratiques se situe quelque part entre l’éditeurde livres scolaires et l’éditeur de littérature ou d’essais. À l’Associationnationale des éditeurs de livres (ANEL), ce groupe a décidé de sedésigner sous l’appellation d’édition générale. En fait, cette sectionréunit tout ce qui n’est ni scolaire ni littéraire. Les cloisons ne sontévidemment pas étanches. Les scolaires ont tenu à s’associer les livresdits techniques et scientifiques. Ils l’auraient fait pour élargir leursection aux ouvrages du collégial et de l’université avec l’espoir de sesoustraire à certains impératifs de la loi du livre et de pratiquer desremises inférieures au fameux 40 % prescrit.

Autant le scolaire exige d’importants investissements, autantl’édition littéraire peut se faire pratiquement sans ressourcesfinancières. Combien d’éditeurs ont commencé dans leur sous-solou dans leur salon ? Combien y sont demeurés d’ailleurs ? Le faitde pouvoir éditer avec peu de moyens ne signifie pas qu’on réussira.À quoi tient la réussite ? Assez curieusement, elle diffère pourl’auteur et l’éditeur. Alfred de Musset disait que tout écrivain est àla recherche de la gloire, qu’il écrit pour s’occuper et qu’il espèredes résultats financiers. Cet ordre peut être modifié, mais les troismobiles sont toujours présents, ajoutait-il. Sans doute a-t-il raison.L’éditeur est parfois surpris des attentes de ses auteurs. En réalité,un livre devient avant tout une carte d’affaires, un passe-partout. Ilouvre des portes et jette les bases de bien des carrières. Par dis-crétion, je ne donnerai pas d’exemples, mais bon nombre de nomsaffluent à mon esprit. Les auteurs en général finissent par lecomprendre et troquent l’espoir d’un succès financier pour unsuccès d’estime. Le milieu universitaire a consacré, si besoin était,l’importance de publier.

Dans tout ça, l’éditeur reste sagement un généraliste. Il s’instruit.Avant tout, il travaille sur les contenus. Il est plus à l’aise avec lemonde de l’imprimé même s’il est généralement prêt à passer aunumérique. C’est le numérique qui n’est pas prêt. Le sera-t-iljamais ? Pour l’instant, l’éditeur en a vite compris toutes les pos-sibilités d’articulation entre texte, image et son ; il pressent aussil’obligation d’une approche éditoriale totalement différente, surtoutsi l’on songe aux renvois possibles et aux liens hypertextes. En

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Avant-propos 17

Une remise de 30 % est prévue pour les ouvrages techniques etscientifiques quand « la forme et la présentation en font un instrumentdidactique ». Autrement la remise doit être de 40 %. Au moment de larédaction de la loi, les mots avaient été choisis avec soin. Nous étionsconscients des enjeux d’autant que les manuels scolaires n’étaient pasinclus dans la loi. Nous avions préféré un plan de développement desbibliothèques scolaires et des achats dirigés vers les librairies agréées.J’y reviendrai plus loin. Pour l’instant, je ne peux m’empêcher derappeler le comportement de l’ineffable Thomas Déri qui, en tantque directeur des Presses de l’Université du Québec, avait décidéd’accorder une remise de 30 % sur l’ensemble de son fonds et qui,devenu libraire à Paris, demandait une remise de 50 %.

Voici le règlement en question qui continue hélas d’être allégrementcontourné :

Règlement sur l’agrément des distributeurs au Québec et le mode de calcul du prix de venteLoi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livreAnnexe B.Le distributeur doit accorder à une librairie agréée les remisesminimales suivantes :CATÉGORIES DE LIVRES1. Tout livre non mentionné à la catégorie 2 [celle qui suit] : 40 % ;2. Dictionnaires, encyclopédies, livres de droit ou de médecine,

ouvrages présentant les éléments d’une science ou d’unetechnique, incluant les sciences humaines, dont la forme et laprésentation en font un instrument didactique : 30 %.

général, il se contente de développer un produit numérique quiaccompagne l’imprimé. Ce dernier garde la primauté : il alimentele Web et s’en nourrit. À ce propos, il est bien évident que lesinnombrables sites documentaires de la toile devront tôt ou tard setrouver l’équivalent d’un éditeur (ou de plusieurs) pour valider lescontenus de leurs auteurs. Présentement, l’utilisateur a fort à faire,côtoyant le meilleur et le pire.

L’éditeur, qu’il le veuille ou non, et même s’il a un autre gagne-pain, ce qui est le cas de 40 % des éditeurs québécois, doit secomporter en homme d’affaires. Sans chercher le profit pour leprofit, il lui faut de temps à autre de bons résultats pour faire tourner

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la roue. Tous les éditeurs d’expérience savent très bien qu’ilsperdront de l’argent avec la majorité des livres qu’ils publient. Ilssavent aussi qu’un seul titre peut faire toute la différence sur lesrésultats d’une année. Tous les éditeurs, du moins ceux de littératureet d’essais, s’en contentent.

Un éditeur (de littérature, i.e. l’archétype du métier) estforcément un homme d’intuition qui accepte de prendre des risques,donc parfois de perdre. Il est un peu joueur. Bon an mal an, il faitplus ou moins 50 % de son chiffre d’affaires avec des nouveautés,c’est-à-dire avec des livres dont il sait fort peu de choses au débutde son année. Il pratique quotidiennement l’humilité. Il se trompesans cesse. Pour un livre qui deviendra un énorme succès de librairie,il aura le plus souvent procédé à un faible tirage et, à l’inverse, ilaura tiré beaucoup trop pour un titre qui ne décollera pas. Et mêmela vie d’un best-seller est difficile à suivre. À la fin, quand les ventescessent, l’éditeur constate souvent qu’il lui reste ou lui revient d’unpeu partout plus d’exemplaires que la quantité commandée lorsde la dernière réimpression.

Enfin, l’éditeur est essentiellement un être actif et bien informé.Une machine à idées, à projets. Pour survivre, il doit obligatoirementpartager son programme éditorial entre « la commande et latrouvaille ». Quelques-uns s’en tiennent à la commande, mais aucunne peut survivre seulement avec les trouvailles, c’est-à-dire à partirdes découvertes qu’il fait parmi les manuscrits reçus. Et Dieu saitqu’il en reçoit ! C’est d’ailleurs un des premiers points de frictionentre auteurs et éditeurs. Pour sauver sa peau et son entreprise,l’éditeur se sent obligé de se tourner vers « la commande » : trouverun bon sujet, un bon auteur ou encore inciter ses meilleurs auteursà reprendre le collier et à produire de nouveau. Combien de grandsauteurs ont été à une étape ou l’autre des « salariés » de leur éditeur ?Bien sûr, c’est un lieu de surenchère, mais les gros comme les petits(éditeurs) doivent y recourir, selon leurs moyens et leurs objectifs.

Voilà bien des aspects du métier d’éditeur trop rapidementesquissés. Il faut y regarder de plus près. L’objectif est de mieuxconnaître la chaîne du livre au Québec.

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C H A P ITRE I

Ma passion du livreUne longue histoire

Gérald Godin s’était installé à Montréal, moi à Québec. Tousdeux, nous étions devenus éditeurs, un peu par hasard. Notre

jeunesse à Trois-Rivières avait été marquée par le livre et l’édition.Le père de Gérald était médecin et tâtait de la poésie. Lui commemoi, nous étions sous l’influence de Jean-Marie Houle, le HenriTranquille de la place, de Clément Marchand, poète reconnu,journaliste et éditeur, d’Albert Tessier, historien et éditeur. Et decombien d’autres.

Surtout, Gérald avait comme voisin la Bibliothèque des jeunes.Elle était située rue Hart, sur le chemin de mon école, d’abord leJardin de l’enfance des admirables Filles de Jésus, puis du Séminaire.Pour ma part, je m’y arrêtais tous les jours. Je faisais le plein pourmoi et pour quelques pensionnaires, grands liseurs!. Les deux

! Il me fallait tous les jours passer au bureau du directeur pour faire approuvermes livres de lecture. Marc Lebel, dans un intéressant article sur les « Livres etbibliothèques dans les collèges d’autrefois » (Gallichan, 1998 : 137), rappelleles rafles et « inspections de pupitres ». Avec André Bureau, Jean-Guy Farrier,Gérald Godin et quelques autres, nous avions créé une troupe de théâtre, LesTriboulets. Un de nos choix s’était porté sur Le Bal des voleurs de Jean Anouilh,une pièce rose. Le maître de salle (chargé d’inspecter les pupitres) avait JeanAnouilh sur sa liste des auteurs défendus. Moment de panique. Heureusement,l’abbé Léo Cloutier, notre extraordinaire professeur de littérature et de cinéma,fit reconnaître la distinction entre les pièces roses et les pièces noires d’Anouilh.Chaude alerte tout de même.

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bibliothécaires dont je me souviens particulièrement, mesdemoisellesGodbout et Johnson, me consolaient parfois : « M. Vaugeois, ceux-là, il y a longtemps que vous ne les avez pas lus ! » Combien de foisai-je relu Karl May, Léon Ville, Jules Verne et, Dieu merci, AlphonseDaudet. Beaucoup plus tard, j’ai réalisé l’influence de Karl May quim’a mené patiemment dans le Mid-West américain. Aujourd’huiencore, cet auteur allemand me fascine, mais l’influence la plusprofonde fut celle des livres en eux-mêmes. Dans mes plus lointainssouvenirs d’enfance, j’écris des romans et je fabrique des livres. Jecollectionnais les bandes dessinées de Tarzan, Mandrake, du sergentRoy, les assemblais, les reliais et les échangeais. Peut-être même quej’en vendais.

Au moment de la « prise des rubans », une cérémonie tenue àl’issue d’une retraite de trois jours au cours de laquelle les finissantsdu cours classique annonçaient leur choix de « vocation », trois demes meilleurs amis, que rien ne destinait à la prêtrise, annoncèrent« Grand Séminaire ». Trois fois dans la salle, on entendit un petit cri(féminin) incrédule, suivi de sanglots. Comme on procédait parordre alphabétique, Vaugeois était loin dans la file. J’étais le plussage du groupe. Plutôt timide, sportif et bon élève. Si mes troisconfrères – il y en eut seize en tout – avaient plié devant leconvaincant prédicateur, il paraissait bien évident que j’annoncerais« Jésuite » ou « Père blanc d’Afrique » ! Mon tour vint : « Pédagogie-Lettres ». Cette fois, le petit cri d’étonnement vint de mesprofesseurs.

À cette époque, l’enseignement était réservé aux prêtres, auxreligieux ou aux femmes. L’année précédente, il y avait toutefoiseu un précédent : André Marchand et Paul-Étienne Langlois avaientopté pour la pédagogie et les lettres alors que le Séminaire venaitd’engager deux laïcs : un professeur d’éducation physique et unmathématicien qui avait fait un bout de Grand Séminaire.

Plusieurs prêtres s’employèrent à me faire changer d’idée. Leursprières m’enveloppaient ; mon professeur de philo entreprit poursa part de construire un syllogisme pour prouver que l’enseignementsupérieur ne pouvait être l’affaire des laïcs. Je résistais grâce à monami Jean-Guy Béliveau, un éternel premier de classe, dont on

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acceptait le choix vers la pédagogie étant donné sa position d’aînédans une grosse famille. Il devait entrer le plus tôt possible sur lemarché du travail.

Notre choix se porta sur l’École normale Jacques-Cartier, situéerue Sherbrooke, plutôt que sur l’École normale secondaire del’Université de Montréal. Jean-Guy se trouva une chambre rueDavidson et moi sur Sherbrooke même, tout juste à l’est dePapineau. Chère madame Beaulieu ! Je fis mon année davantagecomme suppléant que comme étudiant. Le soir, c’était ballon-panierou tennis, après quoi, immanquablement, je m’installais dans lamagnifique bibliothèque municipale située en face de l’Écolenormale!. Soir après soir. J’y fis la connaissance d’Edna Hall, àqui j’offris mes premiers poèmes inspirés de Jean-Christophe deRomain Rolland.

Parfois, le beau Jean-Guy venait m’y rejoindre. Edna en parla àson amie Jocelyne. Cette dernière deviendra la femme de Jean-Guy.

Pendant ce temps, la réflexion des prêtres du Séminaire évoluaitrapidement. Dès Noël, ils proposaient à Jean-Guy de venir y enseigner.Quelques semaines plus tard, on me fit la même proposition. Aumoment de signer mon contrat, le supérieur Mgr Ouellet me fitremarquer que je n’avais pas 21 ans, que le Séminaire ne m’engageaitque pour un an, etc. On m’offrait d’enseigner les mathématiques –

! J’ai étudié le latin pendant onze ans. Je l’ai enseigné pendant un an. Je souhaitaisque mes enfants fassent un peu de latin. Au début des années 1970, cetenseignement était en voie d’extinction. Les collèges qui auraient voulu lemaintenir se plaignaient de l’absence de manuels. À l’École normale, l’excellentRoland Piquette nous avait fait découvrir la méthode de Roger Gal publié parOCDL à Paris. Je me souviens de ma visite à cet éditeur parisien installé dansle Quartier latin. On me céda gracieusement les droits pour le Québec. Lorsquej’ai remis le Boréal à Antoine Del Busso, j’avais insisté pour qu’il s’occupe deslivres de latin. C’était une bonne affaire dans tous les sens du terme. Déjà, jepratiquais l’impression à la demande avec succès. Ce fut ma seconde négociationde droits. En effet, j’avais fait mes premières armes chez Maisonneuve et Larosedétenteur des droits d’un ouvrage d’Émile Salone intitulé La Colonisation de laNouvelle-France. Études sur les origines de la nation canadienne-française(Guilmoto, c1905). J’avais créé un certain émoi : on venait de pilonner cetouvrage. Guy Frégault accepta de préparer une préface et Salone fit une bellecarrière au Québec (Boréal, 1970). Elle était bien méritée.

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c’était moins risqué – et le latin. Je devins un propagandiste de laméthode Roger Gal avant d’en devenir l’éditeur à succès.

Un an. J’étais bien d’accord. Je ne voulais pas m’installer dansle confort d’un salaire régulier, fût-il de seulement 3 000 $ par année,tout de même le salaire de dix prêtres, nous faisait-on remarquer.

J’hésitai entre Laval et Montréal. J’optai pour une licence èslettres classiques à Montréal. Ce qui signifiait latin et grec. JuanDe Groot me prit en mains. J’appris à travailler aux cris des Ya ! Ya !Merci, monsieur De Groot. Les cours de littérature me décevaient.Le chanoine Arthur Sideleau et Jean Houpert ne répondaient pasà mes attentes. Les pères P. Angers et E. Gagnon étaientremarquables, mais c’était du réchauffé pour moi, comme pourquelques autres. Je bifurquai vers l’histoire et tombai dans les pattesde Guy Frégault, Michel Brunet et Maurice Séguin. Ce dernieracheva le travail de De Groot. À Trois-Rivières, les abbés LouisMartel et Herman Plante avaient préparé le terrain. Mgr AlbertTessier avait fait sentir son influence. Séguin sema. Il devint monmaître, puis mon ami. Je deviendrai son éditeur.

Maurice Séguin n’écrivait pas. Ou n’écrivait plus. J’ai eul’original de sa thèse de doctorat entre les mains. Mille pages d’uneécriture fine et tassée. On lui demanda de la réduire au tiers. C’estle texte que j’éditerai plus tard sous le titre La Nation « canadienne »et l’agriculture (1760-1850) (Boréal Express, 1970). Grâce à Séguin,l’éditeur Vaugeois connut un premier succès de librairie avec L’idéed’indépendance au Québec. Génèse et historique (Boréal Express, 1968),un petit livre de 66 pages, issu de trois conférences commandéespar Marc Thibault de Radio-Canada. Séguin avait besoin d’argentpour un voyage qu’il projetait au Mexique. Il avait accepté deuxconférences dont les cachets répondaient à ses besoins, mais il enlivra trois pour tout dire ce qu’il avait à dire (18 et 25 mars, 19 avril1962). Dans la revue Laurentie, Raymond Barbeau en publia unetranscription. Séguin n’avait pas de texte complet et, surtout, pasde notes de références. Les années passèrent. Les trois conférencesde Séguin étaient devenues un classique. André Lefebvre, ancienélève de Séguin, en reconstitua les sources. Avec cette édition destextes de Séguin, les éditions du Boréal Express venaient de naître

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sur les dépouilles glorieuses du journal du même nom et d’unesynthèse intitulée d’abord Histoire 1534-1968 (Renouveaupédagogique, 1968) qui allait devenir, dès l’année suivante, Canada-Québec, synthèse historique.

Cet ouvrage destiné au grandpublic, tout comme le JournalBoréal Express, a été sponta-nément adopté par un grandnombre de professeurs dusecondaire. La première éditionest parue en octobre 1968 auxéditions du Renouveau péda-gogique sous le titre Histoire1534-1968 qui devenait, l’annéesuivante, Canada-Québec, synthèsehistorique. En 2000, l’ouvragerecevait une toute nouvelletoilette et commençait unenouvelle carrière au Septentrionoù il est vite devenu le titre leplus populaire. À l’époque,chaque réimpression était l’oc-casion d’un bon dîner ChezBardet à l’invitation des édi-teurs Pierre Tisseyre et AndréDussault. Après quelques an-nées, nos souvenirs sur nosprédictions de ventes étaientdevenus assez vagues. Un de cesmidis, nous en avions discutésans trop nous entendre. Deretour au bureau, M. Dussault sedirigea silencieusement vers unclasseur, sortit une chemise etmit sous nos yeux nos pré-dictions de 1968. Il avait toutnoté, il était le seul à l’avoir fait.Ce jour-là, André Dussaultm’avait donné une leçon quim’a beaucoup servi.

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À l’époque, Gérald Godin et moi, nous avions tous deux un gagne-pain ; le reste de notre temps allait à l’édition. Nos rencontres étaientfréquentes. Tous deux amateurs de Saab et de Volvo, nous nousdonnions rendez-vous là où nos activités d’éditeur nous conduisaient.

Quelque part dans l’année 1976, nous nous retrouvons dans leVieux-Québec chez un ami commun, André Escojido. Robert Clicheet Madeleine Ferron sont là. On discute politique. Gérald en agros sur le cœur contre Trudeau et Bourassa. Il n’a jamais acceptél’emprisonnement dont il fut victime avec Pauline Julien et desdizaines d’autres personnes en octobre 1970. Il leur réserve « unchien de sa chienne ». Gravement malade, il dira devant les camérasde télévision ses réserves sur l’euthanasie. Lui-même veut vivre !« Assez vieux pour assister aux funérailles de Trudeau », avait-il lancécomme un cri du cœur.

Ce jour-là, chez Escojido, le ton monte. C’est le moment desdéfis. D’un commun accord, Gérald et moi, nous décidons de nousporter candidats pour le PQ aux prochaines élections. Pour nousdeux, Trois-Rivières serait un comté tout naturel. C’est Gérald quitranche : « Je suis plus bohème que toi. Je suis trop non-conformistepour les gens de Trois-Rivières. Tu iras dans Trois-Rivières contreGuy Bacon, j’irai dans Mercier. » C’est le comté du premier ministre,Robert Bourassa. Décision suicidaire. Pas du tout. Gérald Godinest déterminé. Lui, qui est parfois débonnaire et plaisantin, a desflammes dans les yeux. On a dit souvent qu’il avait plongé parbravade. Il a plongé pour gagner.

Nous étions donc décidés à gagner nos comtés respectifs, maispersuadés que le PQ resterait dans l’opposition. « Parfait, disaitGérald, on pourra corriger nos épreuves de presse en paix enattendant notre tour. »

Le 15 novembre 1976, le PQ dirigé par René Lévesque accèdeau pouvoir. Nous ne comptons pas parmi les bonzes du parti. Nousne serons pas du premier cabinet. Il s’écoulera une année de pur-gatoire, presque d’enfer. Il faut être sage, s’exprimer avec réserve.Dire comme les ministres !

Le 28 février 1978, un premier remaniement ministériel a lieu.On en parle depuis quelque temps. « Je serai le remaniement. » Les

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journaux titrent : « La montagne a accouché d’une souris. » Je suisla souris. Avec toute la prétention dont je suis capable, j’écris aujour-d’hui que cette souris réservait quelques surprises dont la loi dulivre et un ambitieux plan de développement des bibliothèquespubliques. Elles changeront le visage du Québec. « Prétention » n’estpas un mot assez fort, vous dites-vous ? Laissez-moi vous raconter.Tous ces événements sont assez lointains et j’ai donc pris le tempsd’en reconstituer les faits et les circonstances.

La création de la Société de développementdes industries culturelles (SDIC alias la SODIC)Monsieur Lévesque m’avait préféré à Gérald Godin pour leministère des Affaires culturelles. J’étais plus rassurant, croyait-il.Après un an de dur labeur, je lui demandai de me nommer unadjoint parlementaire. M. Lévesque m’aimait beaucoup et m’aimad’ailleurs de plus en plus jusqu’au jour de ma disgrâce en avril1981. « Vous avez besoin d’un adjoint ? » L’affaire l’amusait, lui quiallait ajouter à mes fonctions la responsabilité de la Mauricie, unsecond ministère, celui des Communications (21 sept. 1979 -6 nov. 1980), le Conseil du Trésor et même la vice-présidence decet organisme tout-puissant. Trop puissant.

« Le monde culturel est avant tout concentré à Montréal. Lesprovinciaux y sont suspects. » – « Où voulez-vous en venir ? » –« J’aimerais que vous nommiez Gérald Godin adjoint parlementairedu ministre des Affaires culturelles. » Ce fut fait le 17 mai 1979.

Depuis mon arrivée au ministère, je jouais au pompier. Il yavait des feux à éteindre partout. Les attentes étaient innombrables.La victoire du PQ était celle des milieux culturels. Il fallait livrer lamarchandise. Les uns et les autres avaient des besoins urgents, ilsétaient impatients. Or, je ne pouvais guère compter, pour lequotidien, sur les grands manitous qui entouraient le Dr CamilleLaurin, installé sur le trône de ministre d’État au développementculturel. Ceux-là se réservaient pour le long terme.

Au moment de mon assermentation, monsieur Lévesquem’avait donné deux brèves consignes : « Jetez donc un coup d’œilau projet de Livre blanc du docteur Laurin et occupez-vous du

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dossier Luxir. Ça n’a pas de bon sens l’extravagance des coûts desrestaurations ! » D’une part, M. Lévesque se méfiait un peu del’approche envahissante (aux yeux de plusieurs collègues) quesemblaient prendre les réflexions du ministre d’État audéveloppement culturel (Picard, 2003 : 312-313) ; d’autre part, sonami, Luc Cyr (Luxir pour illustrer mon ignorance à ce moment),avait dénoncé avec succès certaines pratiques fort coûteuses, signéesLe Barbenchon, du ministère de Louis O’Neill. Ce dernier en avaitfait les frais et avait été forcé de se replier sur le ministère desCommunications. L’affaire Luc Cyr fut vite réglée!. Le projet deLivre blanc sur le développement culturel m’occupa quelques jourset me mit en présence du docteur Laurin et de deux de sesconseillers : Fernand Dumont et Guy Rocher. J’étais ministre ! Maisj’étais tout petit devant eux. Maurice Séguin vint à ma rescousse.Je me lançai dans un exposé sur l’interaction des facteurs politique,économique et culturel. Rocher avait déjà entendu ce discours dansles corridors de l’Université de Montréal. Dumont écoutait avecintérêt. On m’ouvrit les pages du Livre blanc et vous en trouverezl’essentiel dans la présentation du docteur Laurin (p. 3-4).

! Luc Cyr, entrepreneur en construction, connaissait bien M. Lévesque. Ils’était plaint auprès de ce dernier d’être évincé d’un chantier de restaurationdu ministère des Affaires culturelles. Il avait aussi dénoncé les coûts excessifsde certains travaux. La restauration de la chapelle Cuthbert à Berthier, grandecomme ma main, avait coûté plus de 300 000 $ selon mon souvenir. À la placeRoyale, on dénonçait la restauration exemplaire qui y était pratiquée. Il pouvaiten coûter jusqu’à un million pour une seule maison et on ne savait pas quoi enfaire une fois les travaux achevés. M. Lévesque avait été sensible aux démarchesde Luc Cyr et révolté d’apprendre que sa plus basse soumission dans le cas detravaux à l’île aux Moulins à Terrebonne avait été repoussée. Le hasard avaitplacé Luc Cyr sur ma route aux lendemains des élections de 1976. Il avait étéchargé de remettre en état des HLM construits dans le secteur Adélard-Dugréà Trois-Rivières. Ces HLM étaient un bien triste cas de patronage, hérité duprécédent gouvernement, dont faisaient les frais des familles déplacées par laconstruction de l’autoroute 755 en plein cœur de la ville. Nommé quelquestemps plus tard à la Société d’habitation du Québec, Luc Cyr fera les manchetteset la Sûreté du Québec tentera de coincer M. Lévesque (Le Devoir, 31 octobre1981 ; Journal des Débats, 10-11-17 novembre 1981). En février 1978, c’estLouis O’Neill et son sous-ministre par intérim, Pierre Boucher, qui sont dansla mire du premier ministre.

Extrait de la publication

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La pensée de Maurice Séguin m’a beaucoupmarqué. Je me reconnaissais dans ses énoncéssur « la substitution dans l’agir » et « l’interactiondes facteurs politique, économique et culturel ».Peu à peu, je me suis rapproché de son constatprovocateur présentant le Québec comme unesociété coincée entre deux solutions impos-sibles : l’indépendance ou l’assimilation. Macontribution au Livre blanc s’est traduite parune insistance sur l’interaction (p. 3 ci-dessous)et sur les besoins et les possibilités des industriesculturelles (tome 2 : 311ss et 333 ss).

Plus tard, Fernand Dumont lancera JeanLamarre sur les traces de Frégault, Brunet etSéguin. En 1993, Lamarre publiait au SeptentrionLe Devenir de la nation québécoise selon MauriceSéguin, Guy Frégault et Michel Brunet (1944-1969). Cet ouvrage obtiendra le prix Richard-Arès.

Extrait du Livre blanc

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Dans l’ensemble toutefois, mon discours était plus pratiqueque théorique. Je pensais aux travailleurs si vulnérables du mondeculturel. Pour moi, la culture, c’était aussi les affaires culturelles et,pourquoi pas, des industries culturelles. Les sommets étaient à lamode. Nous aurions le nôtre. Le 22 novembre 1978, je dépose unprojet de loi qui prévoit la création de la Société de développementdes industries culturelles. Le sommet qui s’ouvre le 3 décembre estun succès!. M. Lévesque jubile. La loi sera adoptée avant Noël.Cette nouvelle société, la SODIC ou SDIC, l’ancêtre de l’actuelleSODEC, me sera fort utile. Encore plus que je ne l’aurais cru.

! Dans son intéressante biographie, Camille Laurin (Boréal, 2003 : 316-317),Jean-Claude Picard fait jouer un rôle déterminant au ministre Laurin et à YvonLeclerc qualifié de « cheville ouvrière de ce sommet » sur les industries culturelles.Rappelons que Gilles Châtillon (à ma droite sur la photo) fut le principalorganisateur du Sommet et que Yvon Leclerc joua le rôle de secrétaire. « Ledépôt du projet de loi est suivi, écrit Picard, quelques semaines plus tard à Québec,d’un grand sommet de la culture où quelque deux cents artistes et producteurssont invités à débattre de la question. » En réalité, le dépôt du projet de loi a lieule 22 novembre et le sommet s’ouvre le 3 décembre. Quelques semaines ouquelques jours ? De toute évidence, Picard est un peu loin des sources et bienprès d’Yvon Leclerc. Je l’avoue : le rôle d’estafette que m’attribue Picard m’a unpeu agacé. Je garde un souvenir ému du docteur Laurin. Il a toujours étéimpeccable. On se complétait bien. La Culture, c’était son fort, les affaires (sic)culturelles, le mien. Je viens de ce milieu, celui des affaires, et j’y suis retourné.

Extrait de la publication

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Il s’en réservait quelques-unes pour sa propre satisfaction : le théâtre, lamusique et surtout la relance de l’opéra. Il gagnera son pari, mais auprix de sa santé. Noël Vallerand est décédé le 30 juillet 1985. On asouvent cru que la relance de l’Opéra de Montréal avait été l’initiativedu maire Jean Drapeau. Le maître d’œuvre fut Noël. Au moment (1978)de régler le déficit laissé par l’Opéra du Québec en 1975, plusieursministres avaient laissé échapper : « J’espère qu’on n’en entendra plusparler. » C’était compter sans les Jacques Parizeau, Jacques-Yvan Morinet Camille Laurin. Il s’agissait de savoir comment s’y prendre. Lastructure de financement a résisté au temps et aux extravagances.

Pour la petite histoire, je rappelle que Noël et moi avons étépropriétaire d’un magasin de disques sur la rue Maguire, Le Mélomane.Il fut cédé à Charles Grenier et Roch Veilleux en 1978. Aujourd’hui, ilsurvit chez Melomag où se côtoient disques neufs et usagés, journauxet périodiques. Les disquaires indépendants sont à peu près tousdisparus, les gens du livre ne doivent pas l’oublier (voir p. 184). Quantà la collection personnelle de Noël, elle a été confiée à l’UniversitéMcGill par sa conjointe, Diane Wilhelmy, en mai 2000. Le fondsdiscographique Noël Vallerand compte plus de 3600 microsillons dont302 des œuvres de Mahler. La relance de l’opéra fut décidée par l’arrêtéen conseil 79-227 du 17 octobre 1979. Il prévoyait l’engagement deJean-Paul Jeannotte à titre de directeur artistique et de Guy Savardcomme directeur de production. Le ministre était prié de faire lenécessaire pour « respecter l’échéancier de la saison 1980-1981 ». Cettedécision faisait suite au mémoire du 27 août 1979 et à des mois detumultueuses rencontres avec des membres du Mouvement de l’artlyrique du Québec (MALQ) qui s’évertuaient à prêcher à plus con-vaincus qu’eux. Noël a eu ses premiers malaises cardiaques à cetteépoque. Personne ne s’est souvenu de lui au moment du 25e anni-versaire de l’Opéra de Montréal.

J’étais arrivé au ministère des Affaires culturelles avec desobjectifs précis. Mais le printemps 1978 avait été employé àl’organisation. Principalement à recruter un, sinon des sous-ministres.Je proposai une direction de Conservatoire à Noël Vallerand, il seproposa pour le poste de sous-ministre. Il en avait l’envergure. Avait-il l’expérience appropriée ? M. Lévesque reçut ma suggestion vers14 h en Chambre, le soir même il me rejoignait à l’Université Laval :« Je ne connais pas votre Vallerand, je ne sais ce qu’il a de si exceptionnel,mais c’est d’accord. » Noël jouissait d’une forte réputation. Lespremières consultations du premier ministre avaient suffi. Noëladhérait à mes deux priorités : les bibliothèques et les musées.

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Où en était le ministère à cet égard ? Il vaut la peine de faire unsurvol depuis sa création en 1962.

Les années perdues de Guy Frégault ?Guy Frégault avait été le choix de Georges-Émile Lapalme commesous-ministre des Affaires culturelles. En 1976, ce dernier fait sonbilan. Il dresse la Chronique des années perdues (Leméac, 1976).M. Lapalme voyait la culture comme le prolongement de l’édu-cation et de l’instruction. Il se désolait de constater que le budgetdu ministère des Affaires culturelles n’était que 1 % de celui del’Éducation. « Pour développer harmonieusement l’homme qui serale produit de l’éducation, concluait-il, je dis que l’on construit uneroute qui nous conduit nulle part, c’est-à-dire à la stagnation del’état primaire, du primaire lui-même » (Frégault, 1976 : 52).

Sous Lapalme et son successeur, Pierre Laporte, Guy Frégaultrêve de doter le Québec de musées et de bibliothèques. Du côtédes musées, il resta impuissant et contempla avec tristesse un Muséedu Québec, « cabinet de débarras ». Les circonstances lui permirentquelques espoirs du côté du livre.

En décembre 1963, Maurice Bouchard, professeur audépartement des sciences économiques de l’Université de Montréal,déposait, à titre de président, le Rapport de la Commission d’enquêtesur le commerce du livre dans la Province de Québec. Celui-ci portaitaussi la marque de Clément Saint-Germain, fonctionnaire duministère des Affaires culturelles depuis 1962 et spécialiste fortrespecté du monde du livre.

Les dénonciations du rapport firent la manchette. On insistaitsur certains abus. Le Centre de psychologie et de pédagogie (CPP)fut emporté dans la tourmente ; on constata tout de même lesdifficultés des libraires malmenés par une concurrence provenantautant des « marchands généraux » que des importateurs qui ven-daient directement aux institutions.

Le Rapport recommandait un régime d’agrément des librairesseuls autorisés « à bénéficier de la clientèle des institutions subven-tionnées : maisons d’enseignement, bibliothèques scolaires,bibliothèques publiques ».

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Maurice Bouchard avait été clair : « Dans l’optique d’unepolitique vigoureuse en faveur de la librairie, il est inadmissibleque des garagistes et des barbiers s’imposent deux mois par annéecomme intermédiaires entre les bibliothèques scolaires et leursfournisseurs ; que des commerces religieux à buts non lucratifs […]aient, comme les libraires, l’avantage d’approvisionner les biblio-thèques et les institutions d’enseignement ; que les communautésenseignantes, profitant du fait qu’elles dirigent bon nombre demaisons d’enseignement situées dans le secteur public ou tout aumoins subventionnées par l’État, importent le livre ou l’achètentdirectement de l’éditeur canadien, par-dessus la tête des libraires,via des procures essentiellement axées sur l’approvisionnement desmaisons d’enseignement. »

Une loi de l’agrément des librairies fut votée en 1965. Lesinstitutions publiques continuèrent pourtant à s’approvisionnermassivement auprès de commissionnaires ou de fournisseurs établisà l’étranger. Des règlements d’application furent adoptés en 1971et en 1972. Ils eurent un effet réel, mais insuffisant. De nouvelleslibrairies ouvriront tout de même en région et de nouvelles agencesde distribution feront leur apparition. Au début de 1974, le milieuréclamait pourtant une « loi cadre ». Le Livre blanc du Dr Laurin yfit écho rappelant l’urgente nécessité d’une telle législation (I:1-8).

Il avait fallu près de sept ans pour que s’élaborent les règlementsdécoulant des recommandations du rapport Bouchard. Un trainde mesures avait finalement vu le jour : « la politique du livre ».

« Il n’est de solution que globale », écrit Guy Frégault (1976 : 69)qui précise que la collaboration des milieux est essentielle. Or,plusieurs mesures furent boudées et demeurèrent inopérantes.

Malgré tous les obstacles créés par le Conseil du Trésor aucours des ans, le ministère avait réussi à faire progresser les sommesconsacrées aux bibliothèques publiques. Un premier déblocage eutlieu en 1963-1964, un second en 1972-1973. Des augmentationsde 30 % en deux ans ne provoquèrent toutefois qu’une augmen-tation de 6 % du nombre de prêts aux lecteurs. Les collectionsétaient en piteux état : les vraies bibliothèques (autres que les biblio-thèques d’associations) étaient rares.

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À mon arrivée au ministère des Affaires culturelles, Montréalcompte une seule bibliothèque digne de ce nom sur la rueSherbrooke!, mon refuge du temps de l’École normale, une

! Au moment où ces lignes sont écrites, la Bibliothèque centrale de Montréal– celle de Michel Tremblay – est condamnée à disparaître alors qu’elle vientd’être restaurée au coût de quatre millions. Si j’ai tenu à lui réserver une petiteplace dans mon texte, c’est pour faire entendre encore une fois mes protestations.Pour régler une sombre histoire de déficit, le gouvernement (péquiste) duQuébec a proposé d’acheter la collection de cette bibliothèque pour la remettreà la future Grande Bibliothèque. Prix proposé : environ 35 millions. Le coût dela Grande Bibliothèque vient d’augmenter d’autant et, par ricochet, la dette duministère de la Culture. Montréal aura une bibliothèque de moins, la seule,digne de ce nom, qui était en place au moment où nous lancions notre plan dedéveloppement des bibliothèques publiques.

MM. Drapeau et Lamarre avaient mis un certain temps à réagir d’ailleurs àce plan. Ils m’avaient finalement demandé s’ils pouvaient s’en servir pourdévelopper des « maisons de la culture ». Ils voulaient l’argent mais en faisantmine de prendre leur distance. Bons joueurs, ils m’inviteront personnellementà l’ouverture des premières maisons de la culture. Chaque fois, j’y retrouvaisun autre de mes anciens élèves de Trois-Rivières, Jacques Panneton, qui futresponsable d’une bonne partie de l’application du plan Drapeau-Lamarre.

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succursale sur l’Esplanade et quelques dépôts de livres ici et là. ÀQuébec, l’Institut canadien tient une vétuste bibliothèque ouverteau public. Rien à Beauport, Charlesbourg, Sillery, etc. Dans lagrande région de Québec, seule la ville de Sainte-Foy a unebibliothèque publique. Trois-Rivières et Shawinigan en ont aussiune, mais, de façon générale, il faut « aller chez les Anglais » pourtrouver de vraies bibliothèques.

« Dans nos sociétés contemporaines, écrit Frégault (1976 :75),la situation du livre semble être un bon indicateur de l’état générald’une communauté culturelle. Elle permet de mesurer à la fois uneproductivité intellectuelle, l’importance de certains équipementsessentiels, l’efficacité d’une organisation collective et lespréoccupations que peut inspirer à un groupe humain le partageéquitable des biens de l’esprit. Qu’une part relativement consi-dérable de l’industrie et du commerce du livre n’échappe à uncercle de privilégiés que pour tomber sous la dépendance d’ungroupe d’intérêts, voilà qui peut être symptomatique de la placequ’occupent les oligarchies dans une collectivité qui supporte lapersistance d’un tel phénomène. On peut aboutir à la mêmeconclusion lorsque, à l’autre bout de la chaîne, du côté desconsommateurs, la diffusion du livre s’accommode de fortesinégalités économiques et géographiques. »

La diffusion du livre doit s’appuyersur un réseau de librairies et debibliothèques publiques. Au Québec,parler d’un « réseau » de librairies,c’est adopter le style noble, et c’estpratiquer l’emphase que de faireallusion à un « réseau de bibliothèquespubliques », souligne Frégault.

Avions-nous lu cet essai de GuyFrégault ? Sans doute, je ne m’ensouviens pas, mais Gérald et moin’avions pas besoin de ce discourspour avoir l’intention d’agir. Nosfonctionnaires non plus.

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À l’époque, le ministère comptait un corps d’élite. Dans tousles secteurs ou presque, les fonctionnaires étaient particulièrementcompétents. On les avait gavés de rapports, d’études, de livres blancs,d’un livre vert. Ils étaient sur la ligne de départ. Il ne manquaitqu’un signal et une volonté ferme d’écarter tous les obstacles dèsleur apparition. Les deux amateurs de Saab maîtrisaient ledémarreur et savaient trouver l’accélérateur!.

Une loi du livre ?Consultations et négociations (1978-1979)

À l’été 1978, j’étais en contrôle. Notre raisonnement était simple.Le livre rejoint le public par la bibliothèque ou par la librairie.Notre décision était de les rendre complémentaires. J’ai qualifié decorps d’élite les effectifs du ministère des Affaires culturelles d’alors.Je ne me souviens pas des fonctions précises de chacun, mais jeretiens qu’ils avaient pour la plupart une longue expérience et unesolide préparation. Guy Boivin et Clément Saint-Germain comptentparmi les premiers. Tous deux dotés d’un calme olympien, ils étaientcompétents et déterminés. Boivin, avocat de formation, avait étésecrétaire général du Conseil supérieur du livre et avait servi avecJ.-Z.-Léon Patenaude, Pierre Tisseyre, André Dussault, ClaudeHurtubise. Pour sa part, Clément Saint-Germain, autrefois adjoint

! Je me souviens d’une mission de quatre jours au Smithsonian de Washingtonavec Laurent Bouchard et André Juneau, du secteur des musées, deux membresde mon cabinet dont mon expert, René Milot, Gérald Godin bien sûr et unjournaliste du Soleil, Louis-Guy Lemieux. Il fut beaucoup question de muséesà l’époque. Un projet de nouveau musée à Québec soulevait des protestationsà Montréal. Lise Bissonnette leur ouvrait généreusement les pages du Devoir.Le soir de l’inauguration du Musée de la civilisation, elle viendra vers moi toutsourire : « Tu avais raison. » Son compagnon, pour sa part, avait hérité de ladirection du Musée du Québec qui n’en finissait plus d’être revampé. Cesdébats sur les projets de musées furent éprouvants, mais les résultats sont là.René Milot qui avait travaillé avec Georges-Henri Rivière au Musée des arts ettraditions populaires de Paris calmait mes impatiences en me rappelant toujoursl’avis de son maître : « Il faut au moins dix ans pour établir un nouveau musée. »

Extrait de la publication

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au père Paul-Aimé Martin chez Fides, attendait le grand jour depuisplus de quinze ans. Roland Sasseville et Jean-Paul Sylvestrecomplétaient la troupe des seniors tandis que le jeune GhislainRoussel piaffait d’impatience, fin prêt à faire la démonstration deses capacités. Il y avait aussi Claude Trudel, jeune sous-ministreadjoint qui avait été mon élève à l’Externat classique d’Outremont.Je pouvais compter sur lui malgré des allégeances politiquesdifférentes. Enfin, les procès-verbaux de l’époque me révèlent unGeorges Cartier, alors directeur général des Arts et des Lettres auministère des Affaires culturelles, comme un homme tourmenté,inquiet, mais bien éloigné des difficultés vécues par les« commerçants ». Frégault lui rive sévèrement son clou dans saChronique des années perdues (Frégault, 1976 : 137).

Je connaissais tout ce beau monde, en particulier pour les avoircôtoyés comme membre du comité consultatif du livre où m’avaitnommé Jean-Paul L’Allier, le ministre libéral des Affaires culturellesd’août 1975 à novembre 1976.

Il ne me fallut pas grand temps pour ajuster mes flûtes. Surl’essentiel, il y avait consensus. Dès juin 1978, nous tenions les« États généraux du monde du livre ». Nous avions nos objectifs.Le comité consultatif du livre fut renforcé. J’appelai ClémentMarchand, un peu dilettante en ces matières, à la présidence etlançai un appel à quelques leaders du monde du livre : AndréConstantin, Jacques Fortin, Yvon-André Lacroix, Pierre Lespérance,Jacques Martin, Jean-Pierre Montpetit et Guy Saint-Jean. Tousfurent volontaires. Paule Delorme, Marielle Durand et HélèneOuvrard vinrent les rejoindre. L’écrivain Jean-Pierre Guay futrégulièrement absent.

Le Sommet sur les industries culturelles avait été un succès. Jel’ai rappelé plus tôt. L’atmosphère était à l’optimisme. Le « docteur »était ravi et monsieur Lévesque encore davantage. Le timing étaitbon. Dès le 12 décembre, une semaine tout juste après la fin duSommet, les membres du comité consultatif prenaient appui sur leconsensus qui s’y était dégagé pour m’expédier le télégrammesuivant :

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13 décembre 1978

À : Honorable Denis VaugeoisMinistre des Affaires culturelles955, chemin St-LouisQuébec

Vu les travaux actuels du Comité consultatif du Livre sur l’éventuellelégislation sur le livre ;

Vu les recommandations de ce Comité sur la propriété entièrementquébécoise des éditeurs, des distributeurs et des libraires pour avoir accèsà tout programme gouvernemental d’aide ;

Vu le consensus dégagé lors de la Conférence sur les industriesculturelles concernant l’exigence de la propriété entièrement québécoisedes éditeurs, des distributeurs et des libraires pour avoir accès à toutprogramme gouvernemental d’aide ;

Le Comité consultatif du livre donne avis au Ministre des Affairesculturelles :

1° - Qu’il fait totalement sien le consensus dégagé lors de la Conférencedes industries culturelles concernant l’exigence de la propriété entièrementquébécoise pour avoir accès à tout programme gouvernemental d’aide ;

2° - Qu’il recommande que ledit consensus soit intégré sans réservedans la future législation sur le livre et ses règlements ainsi que dans lesrèglements de la Société de développement des industries culturelles ;

3° - Que le ministre des Affaires culturelles saisisse au plus tôtl’Honorable Premier ministre et ses collègues des ministères des Affairesintergouvernementales et du Développement culturel du contenu duprésent télégramme.

Adopté à l’unanimité par le Comité consultatif du Livre lors de saséance du 12 décembre 1978 tenue à Montréal.

M. Clément Marchand, PrésidentComité consultatif du Livre

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Mon équipe avait su saisir la balle au bond. Les membres ducomité consultatif avaient fait bloc. Au Sommet, il y avait euconsensus, mais non unanimité sur une exigence de propriétéquébécoise à 100 % (voir la note de la p. 49 et aussi p. 43). La loiprécédente (1965) se contentait de 50 %. On racontait que lepremier ministre Robert Bourassa avait ramené à ce niveau uneproposition qui recommandait plutôt 80 %.

De 1968 à 1976, j’avais occupé divers postes dans le secteurinternational. Presque chaque année, j’étais appelé en renfort auprèsdu premier ministre obligé d’accueillir des émissaires français dumonde du livre, généralement de la maison Hachette!.

Je savais que monsieur Lévesque aurait tôt ou tard de la visite.Le comité consultatif du 12 décembre 1978 s’enlisa toutefois

dans des questions de détail et renonça même à définir ce qu’estune librairie. On discuta du nombre minimal de titres dans 8catégories pour être admissible à l’agrément ; on s’entendaittoutefois sur une définition du manuel scolaire et plusieursinsistèrent sur la volonté ferme des libraires d’en conserver la venteen exclusivité. Au moins une voix osa dire qu’il serait « préférabled’accepter le commerce du livre de bibliothèque sans remise auxcollectivités », peut-on lire dans le procès-verbal. Qui avait osé ?Sans doute Clément Saint-Germain.

En conclusion, le comité demandait une rencontre avec leministre. Elle eut lieu le 23 janvier 1979 à Québec. Je mis cartessur table. « Aucune loi n’est parfaite. Il faut franchir des étapesessentielles, répondre à des besoins actuels, légiférer à partir deconcret, etc. »

! Au bureau du premier ministre, on prenait ces visites très au sérieux. Encoulisse, on se moquait toutefois de Hachette dit « Achète », des émissaires quis’appelaient M. Marchandise ou un autre du nom de L’Épargnant ouL’Économe. Les professionnels québécois du livre dénonçaient à qui mieuxmieux la pieuvre Hachette. Voir La Bataille du livre au Québec : oui à la culturefrançaise non au colonialisme culturel publié par Pierre De Bellefeuille encollaboration avec Alain Pontaut (Montréal, c1972). J.-Z.-Léon Patenaude,secrétaire général du Conseil du livre, avait préfacé cet ouvrage qui fit grandbruit.

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Chacun fut invité à réagir. L’essentiel du projet de loi étaitdevenu un secret de polichinelle. « Ce qui me plaît, c’est l’ensemble ;la loi et les règlements vont professionnaliser l’industrie », lanceGuy Saint-Jean comme premier intervenant. Deux voix exprimèrentdes réserves : Marielle Durand et Yvon-André Lacroix. Pour eux,bibliothécaires de profession, les institutions subventionnées feraientencore les frais de la politique du livre. Il était en effet questiond’abolir la remise de 15 % consentie traditionnellement auxbibliothèques par les libraires.

Michel De Celles du ministère de l’Éducation était présent àtitre d’observateur. Il fut positif, c’était dans son caractère, mais ils’inquiéta d’une recommandation de hausser la remise aux librairesde 15 % à 20 % sur les manuels scolaires. Le MEQ se montraittout de même bien disposé, mais comment le faire bouger ? DeCelles comprenait les enjeux et son ministre, Jacques-Yvan Morin,adhérait totalement à nos objectifs. Mais j’étais habité d’un certainsentiment d’urgence. Pour mettre moins de pression sur le sort desmanuels scolaires, il fallait trouver autre chose. Morin convint defaire préparer un plan quinquennal de développement desbibliothèques scolaires. Celles-ci achèteraient au prix courant chezle libraire agréé. Cette perspective me plaisait davantage que demaintenir l’obligation d’acheter les manuels scolaires en librairie.La remise était faible de toute façon et cette activité, extrêmementexigeante, détournait le libraire de son rôle premier : offrir le meilleurservice possible au grand public.

Quelques années plus tard, j’aurai à régler ce problème à laLibrairie des Presses de l’Université Laval. Il est indéniable que larentrée universitaire engendre annuellement un fabuleux chiffred’affaires, mais qu’en reste-t-il pour le fonctionnement normal quivient en outre d’être perturbé tant à la rentée de septembre qu’àcelle de janvier ?

À l’époque, le journaliste Bernard Descôteaux me demanderasi, en vérité, je n’avais pas cédé devant le MEQ et les commissairesscolaires. En politicien que j’étais parfois, je le renvoyai à ClémentSaint-Germain dont les idées étaient claires à ce sujet.

Qui a perdu ? À mon avis, c’est le monde scolaire. Si le contexteavait été plus favorable, on aurait pu convenir d’agréer des librairies

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spécifiquement pour le scolaire. Actuellement, il n’y a pas de vitrinespour la production pédagogique. C’est une lacune. Lesreprésentants des éditeurs scolaires, qualifiés pudiquement deconseillers pédagogiques, sont en réalité au service d’un éditeur. Ilmanque un intermédiaire pour présenter un choix.

À la fin de janvier 1979, je savais où étaient mes appuis et où setrouvaient les résistances. Le 27 février, j’acheminai un mémoireau comité ministériel permanent du développement culturelconcernant « la politique sur l’industrie du livre au Québec ».Évidemment, je prenais appui sur la politique québécoise dedéveloppement culturel contenue dans le Livre blanc du ministred’État au Développement culturel.

L’étape du « Comité ministériel permanent du développementculturel » était cruciale. Y siégeaient, outre M. Laurin, le ministreJacques-Yvan Morin, Louis O’Neill, Claude Charron et moi-même.

Les relations entre l’équipe du ministre Laurin et lesfonctionnaires du ministère des Affaires culturelles (MAC) étaientsouvent tendues. Au comité ministériel toutefois, l’atmosphère étaitbonne. Mes liens personnels avec les cadres facilitaient les choses.Le Trifluvien André Lacombe était un ancien confrère de l’Écolenormale, Yves Préfontaine, un vieil ami, Gérard Lapointe, une bonnenature, et Guy Rocher, le bras droit du ministre, un homme justeet raisonnable.

Le 28 février 1979, j’envoyai à chacun des membres une longuelettre à l’appui du mémoire mentionné ci-dessus.

Le comité ministériel fit ses devoirs. Les objections en questionprovenaient surtout du MEQ. Je m’y attendais. J’étais prêt. Ancienfonctionnaire du MEQ, j’avais l’heure juste sur ce partenaireimpossible. Je savais également que je ne pouvais compter sur laCentrale de l’enseignement du Québec (CEQ). Hélas! !

! Dans mon propre comté, on mettra fin à une grève des enseignants par uneloi spéciale. Raymond Johnston, un de mes anciens élèves, un type fougueux etbrillant, menait les troupes syndicales d’une main de fer. Des professeurssauvèrent leur poste sans avoir d’affectation. Pour équilibrer son budget, lacommission scolaire des Vieilles Forges ferma des postes de bibliothécaires oud’agents d’orientation, etc.

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Les fonctionnaires du MAC trouvèrent rapidement les réponsescapables de rassurer ceux du MEQ. Dès le 8 mars, MM. Laurin etRocher nous confirmaient l’accord du comité ministériel surl’ensemble du mémoire du 27 février 1979 et nous autorisaient àpréparer un projet de loi en ce sens.

L’adoption d’une loi est une véritable course à obstacles. Ilfaut savoir respirer profondément. Le 29 mars, notre enthousiasmefut gravement refroidi.

Les observations du comité ministériel sur le projet de loi, cettefois, étaient sérieuses. Il vaut la peine de citer intégralement leshuit premiers commentaires :

L’étude du mémoire et du projet de loi qui l’accompagne a suscité,de la part des membres, les commentaires qui suivent.

1- On fait remarquer que la facture du présent projet de loi n’est pasen concordance avec les principes et la méthodologie du mémoire,lequel est bien structuré par ailleurs.

Le projet de loi apparaît même contraire aux objectifs poursuivispar le ministre d’être le moins interventionniste et le moinscontraignant possible.2- On observe une différence dans le style entre le présent projet etl’avant-projet qui était plus dépouillé, plus limpide, moins dirigiste.Le vocabulaire employé reflète un caractère plutôt contraignant.3- On signale le trop grand nombre d’articles qui constituent desredondances, des redites ou jugés inutiles. Il y aurait avantage àregrouper, à contracter et à reformuler dans un texte plus concis etdans un langage plus clair.4- On déplore la liste considérable des pouvoirs reconnus au ministretout au long de la loi ainsi que la liste non moins importante despouvoirs de réglementation accordés au gouvernement.5- Une ambiguïté apparaît dans le titre du projet de loi qui annonceplus que ce qui est effectivement compris dans la loi. Il s’agit en faitd’un projet de loi visant à instaurer un système d’agrément plutôtqu’à favoriser la lecture.

On peut se demander, par ailleurs, si les responsabilités généralesdu ministre ne lui permettent pas, dans la situation actuelle, deconcevoir une politique de la lecture sans que nécessité y soit delégiférer.

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6- Il y aurait lieu dans le cas d’une loi-cadre (c’est le cas présent) dejoindre la réglementation lors de la présentation de la loi.7- Le manuel scolaire : plusieurs questions restent en suspens et n’ontpas reçu de réponses adéquates.

a. L’entente intervenue entre le MEQ et le MAC constitue-t-elle lecompromis le plus rationnel et le plus avantageux pour le biencommun ?

b. La vente du manuel scolaire ne serait-elle pas plus importantepour le libraire en région, alors que le manuel scolaire refait surface ?

c. Tout en aidant le développement professionnel du libraire par lavente du livre de bibliothèque, la politique actuelle de vente libre dumanuel scolaire ne diminue-t-elle pas le prestige du marché (chiffred’affaires) que donne la vente du manuel scolaire ?

d. Comment favoriser l’édition du manuel scolaire – en évitant lemonopole d’État ou le monopole de centrale d’édition ?8- N’y aurait-il pas lieu de songer à établir une politique de l’éditionscolaire ?

On signale les difficultés rencontrées dans la distribution du livreet du périodique entre les libraires et les autres points de vente « trèsoccupés » par les gros distributeurs.

Même si des efforts ont été déployés pour abolir les conséquencesmalheureuses de la distance, pour les libraires en région, il y auraitlieu de porter une attention plus poussée au secteur de la distributionet notamment revoir les politiques concernant la messagerie.

Dans une lettre personnelle au ministre Laurin datée du 24 avril,je revenais sur l’abandon du manuel scolaire. Pour atteindre sesobjectifs, le MAC pouvait s’en passer, mais tout de même il nousparaissait extrêmement utile de connaître la politique du ministèrede l’Éducation en ce qui concerne le manuel scolaire au titre tantde l’édition que de la distribution et la vente. Je rappelais les craintesde voir naître des « monopoles particulièrement dangereux du côtédu manuel scolaire ». Je terminais en souhaitant « une harmonisationde la politique du manuel scolaire avec notre politique du livre ». Jele souhaitais, mais je n’étais pas prêt à attendre.

Le 31 mai, le ministre Laurin transmettait au Conseil desministres l’approbation d’une nouvelle version du mémoire du 27février. (Ces deux documents sont déposés aux ANQ.)

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Deux semaines plus tard, le secrétaire général du Conseil exécutifme transmettait la décision du Conseil des ministres. Ce documentest également présent dans le fonds Denis Vaugeois aux ANQ.

Dépôt d’un projet de loiEnfin, le grand jour est arrivé. Le 19 juin 1979, Telbec, l’agence dugouvernement, émet le communiqué suivant :

TELBEC CODE :1EMBARGO :12H30LE MINISTRE DENIS VAUGEOIS DÉPOSE LEPROJET DE LOI SUR LE LIVRE

QUÉBEC, le 19 juin 1979 – Un an après la parution du Livre blanc surle développement culturel et suite aux nombreuses consultations desmilieux concernés, le ministre des Affaires culturelles, monsieur DenisVaugeois, a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 51 qui vise ledéveloppement des industries du livre au Québec.

Ce projet de loi, qui se présente comme un élément essentiel d’unevéritable politique de la lecture, sera complété de règlements applicablesà chaque catégorie d’entreprises et à la politique d’achat du Gouvernementdu Québec et des institutions qui en dépendent.

La législation favorisera l’accès au livre, au moindre coût possible, danstoutes les régions du Québec.

La politique du livre et de la lecture s’appuie sur la nécessité deconsolider et de développer les entreprises et institutions entièrementquébécoises afin de garantir à nos créateurs, ainsi qu’à l’ensemble de lapopulation, l’accès au livre.

Une politique du livre et de la lecture ainsi conçue se base donc surl’expansion de deux moyens de diffusion disponibles : les librairies d’unepart et les bibliothèques publiques, d’autre part.

La politique d’achat du Gouvernement du QuébecAinsi le Gouvernement, ses ministères et organismes à l’exception desuniversités cependant, les organismes municipaux et scolaires, les cégepset institutions privées, les bibliothèques publiques, les établissements régispar la loi sur les services de santé et les services sociaux, tous devront,sauf exceptions prévues à la loi, faire l’achat de leurs livres chez les librairiesagréées, prioritairement de la région où sont situés ces organismes et celaau prix réel du marché.

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Pour bien comprendre l’impact de ces mesures, il convient de rappelerles données suivantes :

1- Le marché du livre de bibliothèques au Québec est actuellement del’ordre de $24,710,566.00 selon les statistiques compilées parl’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de ladocumentation (ASTED) dans son mémoire soumis à la conférence socio-économique sur les industries culturelles les 3, 4 et 5 décembre 1978 ;

2- La loi de l’agrément des librairies (1965) permet aux institutionspubliques décrites plus haut d’obtenir une remise de 15 % sur leurs achats.Avec le projet de loi 51, cette remise de 15 % sera abolie. Cependant, leministre des Affaires culturelles a donné l’assurance que les budgetsaffectés aux acquisitions seront majorés d’au moins 15 % et davantagedans la plupart des secteurs.Ainsi, il est d’ores et déjà acquis que le ministère de l’Éducation mettrasur pied un plan quinquennal pour l’achat de livres de bibliothèques deson réseau préscolaire, primaire, secondaire et collégial. Pour sa part, leministère des Affaires culturelles doit déposer à l’automne un plan dedéveloppement des bibliothèques publiques dans lequel une large placesera faite à l’accroissement des budgets d’acquisitions.

3- Le projet de loi 51 ne s’applique pas au manuel scolaire. Ce marchédevient dorénavant libre au sens où les institutions d’enseignementpourront s’approvisionner par voie de soumissions chez les libraires-éditeurs ou distributeurs intéressés.

L’agrément : propriété québécoise à 100 % et moratoire de deux ansLa nouvelle législation propose d’étendre la notion de l’agrément deslibrairies aux entreprises d’édition et de distribution.

Les conditions pour l’obtention de l’agrément sont la propriétéquébécoise à 100 % et le respect de normes de qualité qui serontdéterminées par règlement après consultation des milieux concernés. Estassocié à l’agrément le privilège d’être éligible aux programmes desubventions du Gouvernement et dans le cas des librairies, de profiter dumarché protégé du livre de bibliothèques.

Par ailleurs, un moratoire de deux ans sera exercé pour permettre auréseau de librairies de s’ajuster aux nouvelles conditions de l’agrément.Plusieurs choix s’offrent en effet aux commerces de propriété conjointequébécoise et étrangère. Les propriétaires québécois pourraient parexemple devenir propriétaires uniques et se prévaloir pour cela des facilitésqui seront mises à leur disposition par la Société de développement desindustries culturelles, sinon, privilégier avec leurs partenaires le commerceau détail ou celui du manuel scolaire.

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Bref, comme je l’écrivais au ministre Laurin dans ma lettre du28 février 1979, dorénavant il y aura un régime d’agrément nonseulement pour les libraires, mais aussi pour les éditeurs et lesdistributeurs. Dans tous les cas, la propriété québécoise devra êtrede 100 %. Les éditeurs auront l’obligation de faire la preuve qu’ilsont acquitté les droits d’auteur. Les distributeurs devront accepterd’établir des tabelles, c’est-à-dire des taux de change justifiables,pour marquer le prix du livre étranger dont ils auront obtenu l’exclu-sivité. Le libraire devra avoir pignon sur rue en plus de remplircertaines conditions nouvelles liées au service qu’on attend de lui.Par ailleurs, l’obligation d’acheter le manuel scolaire chez un libraireagréé disparaît (perte de 15 %) et, en contrepartie, obligation est

Évidemment, il fallait définir « manuels scolaires ». Aussi longtempsqu’il s’agit d’ouvrages destinés aux niveaux élémentaire et secondaire,le problème ne se pose guère. Pour les niveaux collégial et universitaire,c’est d’autant plus nécessaire que les étudiants achètent les ouvragesqu’on leur recommande en librairie. En outre, il n’y a pas à proprementparler de « manuels ». En rédigeant l’article cité en page 17 du présentouvrage où je rappelle qu’une remise de 30 % (au lieu de 40 %) estprévue pour les « ouvrages présentant les éléments d’une science oud’une technique, incluant les sciences humaines, dont la forme et laprésentation en font un instrument didactique », nous avons cherchéà rendre justice à tout le monde : étudiants, libraires et éditeurs. Sil’ouvrage est un « outil pédagogique » ou « un instrument didactique »,il se vendra en quantité. Éditeurs et libraires sont à l’aise avec uneremise de 30 % et l’étudiant n’est pas oublié.

La bonne foi des éditeurs n’a pas toujours été au rendez-vous.Marc Ménard dans une note de son étude évoque que « la variabilité,et parfois l’arbitraire, de ces pratiques [ à propos des remises] est sourcede friction entre libraires et éditeurs ». Non seulement a-t-on déjouéla volonté du législateur par du maquillage « à caractère didactique »pour justifier une remise de 30 %, mais certains éditeurs se sont mêmeparfois alignés sur des remises de 20 %.

On dit souvent que la loi est bonne mais qu’elle n’est pas appliquéeavec assez de rigueur. Cette loi était fondée sur un juste partage, unerépartition aussi équilibrée que possible. Son application n’était pasconfiée à une police, même si des pénalités étaient prévues, elle reposaitessentiellement sur la solidarité interprofessionnelle et sur unecomplémentarité des rôles. Après 25 ans, on en connaît les faiblesses.Il faut y remédier. Peu, très peu suffirait. J’y reviendrai en conclusion.

Extrait de la publication

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faite aux bibliothèques tant scolaires que municipales d’acheterleurs livres au prix courant chez un libraire agréé de sa région.Celui-ci devra respecter les ententes de distributions exclusivesnégociées par les distributeurs ; les libraires ne pourront donc plusles contourner en achetant directement en Europe. Bien entendu,les bibliothécaires ne pourront plus le faire non plus.

Périodiquement, des bibliothécaires québécois faisaient leur petitvoyage en France aux « frais de la princesse » ou à l’invitation descommissionnaires. Voir Marc Lebel in Gallichan, 1998 : 131. Plussérieusement, notons que les bibliothécaires ont toujours regretté laremise de 15 % qui est disparue avec la Loi 51. En général, ils admettentque l’essor pris par les bibliothèques publiques à partir de 1980 acompensé. Je crois qu’ils acceptent aussi cette complémentarité avecles libraires. Ce fut une des conclusions à laquelle est arrivée lacommission Sauvageau (1987-1988). Les librairies agréées répondentà des normes précises qui assurent la qualité de leurs services etl’accessibilité au grand public. Après tout, l’objectif de la loi est derendre « le livre présent partout et pour tous » comme le proposait ledocument publié par le ministère des Affaires culturelles au1er trimestre de 1980 en annonçant un programme d’aide au dévelop-pement des bibliothèques publiques (voir p. 188). Pour que la loi aitle maximum d’effet, il fallait et il faut en respecter l’esprit et la lettre.Les achats doivent être bien répartis et les librairies ne doivent pasavoir deux niveaux de service, l’un pour les collectivités, l’autre pourle grand public. Le rôle premier d’une librairie agréée est d’offrir unservice au public. Si son chiffre d’affaires révèle une proportion tropélevée de ventes aux institutions, la loi est déjouée.

Dans son étude, Marc Ménard (2001) souligne que l’agrémentdes distributeurs « est sans grand effet ». C’est plus ou moins juste, carc’est la distribution qui a le plus gagné avec la Loi 51. D’abord, lenombre de libraires a considérablement augmenté, leur part du marchéest élevée et ils sont tenus de respecter les accords d’exclusivité négociéspar les distributeurs. Ceux-ci ont maintenant d’importants inventaireset des structures de fonctionnement efficaces. En 1980, les délais pourobtenir quantité d’ouvrages étaient de six semaines, aujourd’hui ilssont de 3 ou 4 jours dans des cas équivalents. Si un jour les librairesperdent leur part du marché, les distributeurs seront sérieusementmenacés. Les acheteurs des chaînes et des grandes surfaces feronttout pour les contourner, exactement ce qu’ont tenté les éditeursfrançais en renégociant leurs contrats de distribution ces dernièresannées.

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Je déposais un projet de loi conforme en tous points à ce quej’annonçais. Celui-ci appartenait maintenant au public, c’est-à-diresurtout aux professionnels du livre. Il y aurait une commissionparlementaire. Il fallait la préparer. Outre les fonctionnaires, jepouvais compter sur une équipe de cabinet absolument impeccable.Gaston Harvey, Claude Beaulieu, Mariette Bélanger, PierreLampron connaissaient le projet de loi à la perfection et à peu prèstous les intervenants du monde du livre.

Parmi les mémoires! reçus à l’été 1979, je retrace le plus pathétique :celui de messieurs André et Roger Dussault, respectivementprésident et vice-président des librairies Dussault-Garneau.

Rares étaient ceux que le projet de loi ne dérangeait pas, aumoins un peu. Mais, sur l’essentiel, il y avait consensus. Lesbibliothécaires étaient inquiets même s’ils me manifestaient leurconfiance. Tout de même, j’étais inquiet moi aussi. Je savais oùj’allais, mais tout n’était pas joué. À vrai dire, à part mes prochesconseillers, seul monsieur Parizeau était dans le coup. J’y reviendrai.

Pour les Dussault, le projet de loi n’avait qu’un défaut :l’exigence d’une propriété québécoise à 100 %. André Dussaultavait joué un rôle important dans la loi de 1965 et la réglementationde 1971-1972. Il était le plus habile de tous. Méthodique, travailleur,affable, il était apprécié. Il pouvait être combatif à sa façon, mêmes’il se plaçait le plus souvent dans l’ombre de Pierre Tisseyre ou deJ.-Z.-Léon Patenaude.

En 1977, les librairies Garneau, devenues propriété de la Sociétégénérale de financement (SGF) et de Hachette, et les librairiesDussault avaient amorcé un processus de fusion qui plaça les deuxfrères Dussault en position de contrôle. Ils détenaient 51 % desactions de la nouvelle entreprise. André Dussault qui avait étémembre du comité consultatif sous Louis O’Neill se doutait que lanorme de 50 % risquait de passer à 51 %. Il en avait convaincu leurpartenaire Hachette qui détenait au départ 50 % du capital de laLibrairie Garneau. Jamais les Dussault n’auraient cru que l’exigencepasserait à 100 %.

! Le mémoire le plus étonnant fut cependant celui du Syndicat national del’édition (de France). J’y reviendrai plus loin (voir p. 50).

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André Dussault avait été l’éditeur, avec Pierre Tisseyre, deCanada-Québec, synthèse historique. Je le respectais profondément, demême que M. Tisseyre bien sûr. Tous deux étaient devenus des amis.

En commission parlementaire, André Dussault fut impeccable.Le sous-ministre, Noël Vallerand, l’avait rencontré peu avant. J’aidevant moi ses notes écrites de sa main ferme. Dussault avait toutessayé. Vallerand aussi. « La SDIC vous aidera à racheter Hachette!. »C’était l’essentiel du message.

Monsieur le Président, de répondre M. Dussault en commissionparlementaire, je ne peux pas envisager sérieusement une telle solution.Ni mon frère, ni moi ne sommes des jeunes gens et j’ai subi l’andernier une grave opération. Mes fils sont trop jeunes pour me donnerimmédiatement le support indispensable pour mener une affaire decette taille. D’autre part, je ne suis pas homme à profiter descirconstances pour éliminer un associé à qui je n’ai rien à reprocher.Notre association avec Hachette, qui dure depuis 19 mois déjà, estun modèle de cette collaboration franco-québécoise dont on fait étatpartout mais que l’on trouve réussie dans un tout petit nombred’entreprises.

Enfin, oubliant toute modestie, je me sens obligé de vous dire quedans la profession du livre au Canada et à l’étranger, j’ai acquis, aucours des années, une réputation que je ne voudrais pas ternir, pourmoi et mes collègues, en renversant des accords deux ans à peineaprès leur signature.

! Le réseau Garneau-Dussault fut démantelé par la SDIC ou SODIC qui enavait pris charge. Outre le problème de la propriété, ce mariage n’était pas trèsréussi : les librairies Dussault étaient très orientées vers le marché institutionnel,tandis que les librairies Garneau, à part la maison-mère de la rue Buade àQuébec, s’étaient beaucoup développées dans les centres commerciaux. Ellesn’étaient pas assez homogènes pour fonctionner sur un même modèle. C’estd’ailleurs ma conviction qu’un réseau de librairies gagne à être très décentralisé,particulièrement pour les achats. La Loi 51 a favorisé l’apparition de plusieursnouvelles librairies. Hélas, les plus grosses se sont faits la guerre des prix. Aprèsavoir frôlé la faillite, les librairies Renaud-Bray ont redémarré avec l’aide de laSODEC et du Fonds de Solidarité de la FTQ. En 1999, les librairies Renaud-Bray, Garneau et Champigny ne faisaient qu’un. À force d’énergie et dedétermination, Pierre Renaud se retrouve aujourd’hui à la tête d’un réseau deplus d’une vingtaine de librairies. Le milieu observe les choix qui seront faits.Expansion ou consolidation? Les libraires indépendants sont inquiets, plusieurséditeurs également. Concentration et convergence dominent la scène.

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Le 8 novembre, le projet de Loi 51 franchissait l’étape de ladeuxième lecture. L’opposition s’opposa peu ! Le 21 décembre1979, les dés étaient jetés.

Réactions au Québec et à l’étrangerLes membres du comité consultatif du livre étaient convoqués parle ministre dès le 9 janvier 1980 pour l’examen du projet derèglement. Il faudra une longue année pour passer à travers cettedifficile étape. Au début de 1981, les règlements étaient enfin prêts.

Ici et là, on rouspéta. La Société de développement du livre etdes périodiques (SDLP) tenait son congrès au début de février1981. Ses membres auraient approuvé l’envoi d’un télégramme deprotestation au ministre pour n’avoir pas respecté « la promesse deconsulter les associations avant de mettre au point les règlements ».Claude Trudel, devenu patron du Centre éducatif et culturel(CEC) dont Hachette était actionnaire, était le président de ce

regroupement. En fait,un télégramme fut adresséà Guy Boivin et, le jourmême, un article parais-sait dans Le Devoir. PierreRenaud, président del’Association des libraires deQuébec, dénonça l’articleet nia que l’assemblée dela SDLP ait décidé del’envoi d’un tel télégramme.Non seulement aucunvote de blâme n’avait étéproposé mais on avaitplutôt demandé « d’accé-lérer la présentation desrèglements », affirmaitPierre Renaud.

Sans attendre cettemise au point de Pierre

Extrait de la publication

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Renaud, je ripostais par voie de communiqué le 11 février. J’avaisappris qu’Yves Dubé, président de l’Association des éditeurs,m’avait attaqué lors de l’assemblée de la SDLP. Je le visaidirectement!.

Yves Dubé, éditeur chez Leméac, avait des idées qui medéroutaient constamment. Il revenait toujours à la charge pour quele gouvernement achète des lots massifs de livres afin de lesdistribuer gratuitement. J’étais plutôt porté à tout faire pour inciterles éditeurs à vendre le plus possible. Indirectement, Dubé seraresponsable de l’actuel programme d’aide à l’édition de la SODECqui constitue au contraire une forme de prime au succès. J’avaispris cette idée dans un article de Jacques Godbout, laquelle me semblaitpassablement plus juste. Par ailleurs, Leméac avait des difficultés àpayer ses droits d’auteur. Or, la loi était impitoyable à cet égard.

Au moment de mon retour à la « vie normale », je voulus fairel’acquisition des Presses laurentiennes de Simone Bussières. YvesDubé s’interposa comme mandataire de Guérin.

Les critiques les plus vives étaient toutefois venues d’Europe.Les Belges avaient dénoncé notre projet de loi. Les Français les avaientimités. L’affaire était montée jusqu’à l’Union internationale deséditeurs. Évidemment, on n’avait pas compris la loi. On lui donnaune portée tout à fait fausse comme si elle avait fermé nos frontièresou restreint les possibilités commerciales des Européens au Québec.

! Le milieu du livre avait été consulté à plusieurs reprises. Il était bien évidentqu’un consensus sur chaque point était impossible. C’était le cas pour lapropriété québécoise à 100 % (une des principales recommandations duSommet de décembre 1978 pilotée par Jacques Godbout et Jacques Fortin, LeDevoir, 6 décembre 1979 : 2), ce l’était aussi pour le paiement des droits d’auteur.Le communiqué émis par Hélène Pagé de la Direction des communicationsportait le titre « La loi 51. Le milieu du livre a été consulté. » Après avoir rappeléles consultations depuis juin 1978 à mai 1980, le communiqué précisait : « Ilest évident que les organismes intervenants avaient souvent des intérêts et despoints de vue fort différents et que le Ministère a dû prendre certainesdécisions. » L’une concernait l’obligation d’acquitter ses droits d’auteur pourêtre admissible à l’agrément donc à l’aide de l’État. « Pour M. Vaugeois, il n’y aqu’une explication. M. Dubé n’a jamais accepté notre position sur le paiementdes droits d’auteur. Il est vrai que nous avons pris partie en faveur des auteurs.N’est-il pas normal pour un éditeur de payer des droits d’auteur, n’en déplaiseà M. Dubé qui aurait voulu, dit-il, d’ultimes consultations sur cette question. »

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Un précédent redoutable dans le monde entier« Il n’y a pas d’exemples, en dehors des pays à régime socialiste,que la fourniture des livres étrangers aux établissements publicssoit réservée aux seules entreprises dont les nationaux sontpropriétaires. » Les auteurs du mémoire du Syndicat national del’édition n’en finissent pas d’aligner les dangers de la Loi 51 qui« crée un précédent redoutable dans le monde entier ». Si les paysen développement s’avisaient d’imiter le Québec, on assisterait « àune réelle régression du commerce international du livre ». Exigerque les « dirigeants soient canadiens » (sic), « c’est se priver de lacompétence des cadres techniques étrangers à des niveauxessentiels » osent-ils ajouter.

Plus encore que le contenu de ce mémoire de mai 1979, le gestedes éditeurs français souleva la colère du Conseil supérieur du livre.Le président, Philippe Falardeau, ne mâche pas ses mots dans unelettre adressée à son homologue français Jean-Luc Pidoux-Payot,le 3 octobre 1979. « Si le Québec constitue déjà pour vosexportations une terre d’élection, les éditeurs québécois en revanchesont souvent réduits à la portion congrue », souligne-t-il au passage.L’occasion était trop belle.

Une réponse de Paris ne tarda pas. On m’en adressa copie. Ellese voulait sarcastique. On croyait à Paris que le Conseil supérieurétait « tombé en sommeil ». « Plus que la moitié du chiffre d’affairesdans cette province est effectuée avec des livres français, au moinsen ce qui concerne la littérature générale », on ne peut nous « reprocherde nous ingérer » et, si ce n’est indiscret, ajoute du même soufflePidoux-Payot, qu’avez-vous répondu au secrétaire général del’Union internationale des éditeurs à la suite de sa lettre adressée àM. Lévesque ?

Le 5 septembre 1979, M. Koutchoumow, ledit secrétaire général,avait en effet, dans une longue lettre, prévenu le premier ministrede « mesures et projets qui, s’ils étaient adoptés, causeraient ungrave préjudice au développement éducatif, scientifique et écono-mique de votre pays ».

On ne rit pas. L’apocalypse est annoncée. Cette loi « reviendraà isoler le Québec des grands courants intellectuels et scientifiques

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qui traversent notre monde, en cette fin du XXe siècle ». Aujourd’hui,on peut se moquer. À l’époque, c’était sérieux. La tourmente étaitforte. Noël Vallerand, le sous-ministre, eut de graves problèmes desanté. Gérard Frigon fut appelé à la rescousse. Avec l’aide de ClaudeBeaulieu, directeur de cabinet, et de Guy Boivin, responsable de ladirection du livre et l’un des principaux artisans de la Loi 51, lesous-ministre par interim prépara une réponse fort complète quiviendra s’ajouter à toutes ces lettres préparées depuis la fin d’aoûtà l’intention de Jean-Marc Léger, délégué général du Québec àBruxelles, et de Yves Michaud, son homologue à Paris.

Le président de la Fédération des éditeurs belges, J.J. Schellens,avait été un des premiers étrangers à s’inquiéter du projet de loi.« Mesures protectionnistes incompatibles », menace de « censureindirecte », représailles sont évoquées. « Ne faut-il pas se demander,écrit-il le 9 août 1979, si c’est par des mesures protectionnistes [...]que l’industrie du livre d’un pays se sauve ou bien par la qualitéintrinsèque de ses produits ou de ses services ? »

À Paris, l’émoi atteignit vite le niveau politique. J’ai entre lesmains le compte-rendu d’un entretien de Claude Morin, ministredes Affaires intergouvernementales, avec monsieur Jean François-Poncet, ministre des Affaires étrangères de France, le lundi 8 octobre1979. Philippe Cuvillier, directeur des affaires d’Amérique au Quaid’Orsay, et Yves Michaud, délégué général du Québec, étaientprésents.

L’entretien commence en douceur. Le ministre français annonceun changement de consul à Québec : le rappel de Marcel Beaux etla nomination de Henri Rhétoré. Le ministre Morin passe au pointcrucial de l’entretien : l’appel aux urnes référendaires devrait setenir entre le 15 mai et le 15 juin 1980. Les dates seront annoncéesplus tard au Québec. Comment se présente le référendum : les forcesen présence, les objectifs et les démarches ultérieures. Le ministrefrançais s’inquiète des réactions américaines, dont celles duprésident Carter. Il est aussi question « des tentatives de discréditdu gouvernement québécois effectuées par les lobbies juifs deMontréal et de Toronto, lesquels […] comprennent mal ou neveulent pas comprendre les politiques du gouvernement québécois ».

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Puis la réunion est élargie pour passer aux choses sérieuses :« le problème du livre ». Six hauts fonctionnaires viennent s’ajouterà la rencontre : quatre Français et deux Québécois (Louise Beaudoinet Paul Asselin). Mon sort est entre bonnes mains. Les Françaissont peu à peu rassurés. Roger Vaurs, directeur général des relationsculturelles, scientifiques et techniques, n’a finalement qu’unedemande : que les encyclopédies soient comprises dans la définitiondes manuels scolaires. Le MEQ avait déjà fait la même demande.Comme quoi les grands esprits se rencontrent.

Tout est vraiment clair ? Pas tout à fait. La Maison Hachette craintd’être exclue du commerce du livre scolaire au Québec. Le consulMarcel Beaux s’en est ouvert au sous-ministre des Affairesintergouvernementales Robert Normand, qui prie, par écrit, sonministre de faire pression auprès de son collègue des Affaires culturellespour que ce dernier reçoive le consul. Claude Morin souhaite unetelle rencontre. « Je pourrais te dire de vive voix, m’écrit-il, pourquoi jepense que c’est nécessaire » (13-12-1979). Le 4 janvier 1980, jel’informe que Claude Trudel a reçu M. Beaux. En post-scriptum, jeprécise : « Le choix de Claude Trudel pour porter ce message rassuranttient compte du fait qu’il a été chargé ces dernières années du dossierdu livre et qu’il passe prochainement au CEC comme pdg. » En 1985,ce sera à mon tour de passer au CEC où Hachette, toujours propriétaireà 50 %, m’accueillera de façon princière. On m’avait même préféré àun sous-ministre de l’Éducation!.

Le point le plus chaud de toute cette saga fut sans doute atteintle jour où Jean-François Revel, directeur de L’Express, informa Paul

! Le Centre éducatif et culturel (CEC) se relevait tant bien que mal de 22 moisde grève. Il appartenait maintenant en parts égales à Hachette et Quebecor, cedernier partenaire ayant remplacé la SGF. Les représentants d’Hachette onttoujours été impeccables à mon endroit malgré l’émotion qu’avait suscitée laLoi 51 en France. Ils avaient plaidé en ma faveur auprès du chasseur de têtes.Je l’ai su plus tard tout comme j’ai compris que M. Péladeau n’avait pas peurd’un ancien ministre péquiste. J’y suis resté deux ans, dans le confort total,informatisant l’entreprise, agrandissant les locaux, lançant de nouveaux produits,distribuant les bonus et plus d’un million de dollars en droits d’auteur sur unebase annuelle. Malgré le long conflit, le climat de travail était revenu au beaufixe et les affaires étaient excellentes. Dans mon héritage, il y a un magnifiquedictionnaire, Le Français Plus, qui a hélas été abandonné.

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Gros d’Aillon du service d’information de la Délégation généraleque, à la suite des explications fournies par le ministre Claude Morin,sa revue venait de renoncer à publier, pour l’instant, un « encadré »destiné au numéro du 13 octobre (voir p. 54-56). Ce texte se terminaitpar une attaque personnelle : « Ajouter que M. Vaugeois, ministre dela Culture du Québec qui a défendu ardemment la loi 51, a aussipignon sur rue comme éditeur!… » C’était signé T.D.W.

! ! !

J’en ai entendu parler longtemps. Trois souvenirs me reviennent.Au milieu des années 1990, j’accompagne Alain Baudry, éditeurde Klincksieck, chez Boussac qui songe à se retirer. M. Boussacdirige une importante société d’exportation et de distribution delivres. Les présentations sont faites. Je n’ai aucun intérêt dansl’affaire, c’est la curiosité qui m’a incité à accompagner Baudry. Levieux Boussac me toise. « Vaugeois, c’est vous l’ancien ministrequébécois. Vous connaissez le chiffre d’affaires que vous m’avezfait perdre ? » Je n’eus pas le temps de répliquer qu’il ajoutait : « Vousavez eu raison. Ce n’était pas normal que Boussac soit le plus groslibraire québécois à partir de Paris. »

Il y a deux ou trois ans, à Francfort, à la réunion annuelle del’Union internationale des éditeurs, je fais la ronde avec Jean-LouisFortin, directeur général de l’Association nationale des éditeurs delivres (ANEL). Nous croisons un éditeur français, un certainBourgois, le frère de l’autre. Nous sommes du Québec ? Il en a uneà nous raconter. Très actif au Syndicat national de l’édition, il avaitjadis secondé son président Pidoux-Payot pour bloquer unedangereuse loi québécoise. Il nous donne sa version de ladite loi

! Les éditions du Boréal Express dont j’avais été l’éditeur appartenaient depuisplusieurs mois à Antoine Del Busso dont j’avais apprécié le travail en 1968 lorsde l’édition de Canada-Québec. Je lui avais cédé aussi mes anciennes actionsdans Dimedia. L’Imprimerie Saint-Patrice que je possédais conjointement avecun extraordinaire pressier, Claude Dufresne, décédé en février 1977, avait étévendue et, depuis 1975, j’avais renoncé à toute participation dans la LibrairieVaugeois en faveur de ma femme et de mes quatre enfants. Bref, l’entrée enpolitique m’a coûté passablement cher puisque tout fut négocié pour dessommes symboliques. En plus, j’ai failli y laisser un peu de ma réputation.

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Le 8 octobre 1979, Jean-François Revel transmettait à son « ami » Paul Grosd’Aillon, conseiller à l’information de la Délégation générale du Québec à Paris,un projet d’encadré destiné à sa revue L’Express. « Par souci d’une informationexacte qui doit néanmoins voir le jour, pourriez-vous me communiquer vosobservations sur cet article non paru, avec toutes précisions nécessaires, pourque nous puissions éclairer impartialement nos lecteurs. » Le 10 octobre, YvesMichaud, délégué général, écrivait à M. Revel pour lui apporter lesrenseignements souhaités. "

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Le tout fut envoyé à mon bureau.Outré, mon directeur de cabinet,Claude Beaulieu, mit rageusementen marge ses commentaires. Voir lesinitiales CB 21.10.79.

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québécoise et fait allusion à ce ministre, dont le nom ressemble ausien. Je souris. Jean-Louis est mal à l’aise et, finalement, il réussit àl’interrompre pour lui dire. « Vous avez cet ancien ministre devantvous ! » Jean-Manuel Bourgois était incrédule. On s’expliqua, onrigola. Il devint notre allié.

Un jour, je mets la main sur une Histoire du Québec publiée enFrance par Marc Durand chez Imago. Je note des passages aveclesquels je suis plus ou moins d’accord. Finalement, je tombe surune dénonciation de notre loi du livre qui empêcherait lesentreprises françaises de faire affaire au Québec. Je fais cadeau demon exemplaire annoté à Thierry Auzas, l’éditeur. Je recevraiquelques mois plus tard une nouvelle édition de l’essai de Durandavec un mot de remerciements dans le livre et une nouvelleinterprétation de la loi du livre!.

À l’assaut du Conseil du TrésorLe plan de développement des bibliothèques publiquesCette loi est importante, mais elle aurait été de peu de valeur sansle plan de développement des bibliothèques publiques. Lesbibliothécaires m’ont mis au monde, intellectuellement parlant ;beaucoup plus tard, ils m’ont fait confiance pendant l’élaborationde la Loi 51, j’ai livré la marchandise à Noël 1979.

Comment ? L’histoire est assez longue, elle remonte même àl’époque de Lapalme et de Frégault. Tous deux ont eu l’occasionde raconter les ennuis que connaissait le MAC avec le Conseil du

! Avec les années et un peu de bonne foi, les Français ont fini par comprendreet par accepter la Loi 51. Elle est bonne pour les Québécois et elle est bonnepour eux. Le marché est mieux structuré, tout le monde y gagne. Pour préparercet essai sur l’édition, j’ai souvent consulté un ouvrage de Nathan (2003) signéde Christian Robin et intitulé Le livre et l’édition. Habilement construit etexceptionnellement bien documenté, il m’a été fort utile en plus de me réserverune agréable surprise lorsque l’auteur jette un regard sur « l’édition dans lemonde ». La page 133 est consacrée à l’édition québécoise, « fruit d’une volontépolitique ». « Une édition québécoise vivante existe malgré un marchérelativement restreint de sept millions de francophones en Amérique du Nord,la concurrence de l’édition française, et l’indifférence des Français pour laproduction éditoriale québécoise. » Robin met les pendules à l’heure.

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Trésor. Dans Chronique des années perdues, Frégault (1976 :145)rappelle un commentaire de son ministre : « À qui cela sert-il d’avoirdes spécialistes qui sont venus à nous parce qu’ils avaient la foi ? Ilsuffira que Dolbec ou le Conseil de la Trésorerie, après cinq minutesd’étude, dise non. »

À peine arrivée au MAC, j’ai retrouvé le fantôme de Dolbec.Les C.T., c’est-à-dire les demandes adressées au Conseil du Trésor,étaient régulièrement refusées. Jean-Paul Desbiens a déjà racontéqu’il est plus difficile, dans l’administration publique, d’engagerune dépense de 5000 $ qu’une autre de 500 millions. La Centralenucléaire de Gentilly lui avait donné raison ; aujourd’hui c’est lemétro de Laval. Évidemment, j’étais aussi révolté que lesfonctionnaires du MAC par les refus des analystes du Conseil duTrésor.

À titre de directeur général des relations internationales (1970-1973), j’avais eu constamment à traiter avec le Conseil du Trésor.Nous avons ouvert en trois ans une dizaine de « maisons du Québec »à l’étranger, recruté des dizaines de fonctionnaires, etc. Je ne mesouviens pas d’un refus du Conseil du Trésor, sauf peut-être ceuxque télécommandait Oswald Parent, ministre d’État, chargé de noussurveiller.

Il m’apparaissait que le MAC était le jouet des fonctionnairesdu Trésor. La procédure de l’époque était la suivante : quand unedécision qui implique une dépense est prise dans un ministère, legestionnaire responsable indique le poste budgétaire concerné,vérifie la disponibilité des fonds, prépare une description du projet,établit sa conformité, etc., et transmet le « C.T. » à son supérieur etainsi de suite jusqu’au sous-ministre qui le remet au cabinet duministre pour approbation et recommandation.

Comment les analystes du Conseil du Trésor pouvaient-ilssemaine après semaine préparer des avis défavorables ? Aprèsdiverses démarches, je pris une décision toute simple. Je refusai designer les C.T. qui m’étaient soumis. Le sous-ministre fut prévenuque je signerais, le cas échéant, une fois obtenu l’accord du Conseildu Trésor. La première fois, les analystes crurent à un oubli. L’affaireremonta jusqu’au secrétaire du Conseil du Trésor, Jean-Claude

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Lebel, puis au secrétaire général du Conseil exécutif, Louis Bernard.L’un et l’autre me connaissaient bien. Jean-Claude fut chargé dem’expliquer. C’était un homme charmant, intelligent et cultivé. Ilfut très gentil. Je fus inflexible. On parla de tout et surtout deresponsabilité ministérielle. Militant NPD, il avait déjà tenté de sefaire élire. Je jouai cette carte. J’avais été élu, j’étais le ministreresponsable. Je le rassurai à demi en lui promettant d’examineravec soin les C.T. qui seraient approuvés par le Conseil du Trésor.Il m’appartiendrait alors de déterminer lesquels j’approuverais moi-même.

Jean-Claude Lebel avait compris que j’étais sérieux. Il auraitsans doute fait comme moi à ma place. L’affaire se rendit vite aubureau du ministre d’État, M. Laurin, qui jubilait. Il avait ses raisons.Elle se rendit chez le premier ministre.

Je fus nommé membre du Conseil du Trésor.Quelques mois plus tard, M. Lévesque me téléphonait pour

me proposer la vice-présidence du Conseil du Trésor, lequel compteen tout cinq membres. Bien que débordé avec mes deux ministères(Affaires culturelles et Communications), j’étais évidemment portéà dire oui. Oui avec enthousiasme. Poliment, je demandai toutefoiscomment réagirait le président du Conseil, M. Jacques Parizeau.« C’est sa suggestion », me répondit M. Lévesque.

J’étais un bon élève et M. Parizeau adorait jouer au professeur.Il ne s’en privait pas et chaque séance était l’occasion de pénétrertoujours un peu plus les mystères des finances publiques. Il y a fortpeu de marge de manœuvre dans un budget de l’État. Mais il y ena tout de même. Les ententes fédérales-provinciales, toujourspéniblement négociées, dégageaient des montants dont il fallaitdéterminer les affectations.

Ces ententes étaient particulièrement importantes en matièremunicipale. Passionné par les questions d’aménagement, je leur portaisun intérêt tout particulier. Je dénonçais, chaque fois que je pouvais,l’étalement urbain, exigeais des « critères de localisation » pour les écoles,les édifices publics, etc. M. Parizeau adorait mon zèle. Il adorait lemonde de la culture, appuyait tous nos projets. Je l’avoue aujourd’hui :j’étais à la tête d’un petit ministère avec un petit budget, mais j’avais la

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plus importante marge discrétionnaire, 50 000 $, et surtout j’avaisappris à faire main basse sur les budgets des autres!.

Pour les bibliothèques publiques, la question était simple : oùtrouver les fonds nécessaires ? Était-il possible que les bibliothèquesmunicipales soient admissibles aux programmes découlant desententes fédérales-provinciales en matière d’infrastructuresmunicipales ?

Un mémoire fut préparé en ce sens. Les fonctionnaires du MACavaient eu instruction d’être gourmands. Le plus possible. Il merestait à le faire approuver par le Conseil du Trésor. Je me méfiaisdes analystes et c’était réciproque.

À l’automne 1979, plus précisément le 17 octobre, tout étaitprêt. Mon mémoire était déposé. Il avait été précédé d’échangesavec le ministère des Finances et le ministère des Affairesmunicipales durant l’été précédent. Ces réunions avaient permisde « trouver l’argent ». Le 27 septembre, j’avais profité du Congrèsde l’Union des municipalités pour présenter les grandes lignes duplan en préparation ; déjà plusieurs maires avaient été contactésindividuellement. L’accueil avait été chaleureux. Au moins 57 mairesavaient fait connaître officiellement leur intérêt. De ce nombre, 25

! Au moment de la création d’un programme spécial pour favoriser l’emploi,appelé OSE, je m’aperçus que tout avait été concocté sans le MAC. Je fis unemini-crise au Conseil des ministres. Le monde du travail était-il fermé auxtravailleurs de la culture ? Mes propos étaient de la musique aux oreilles dupremier ministre. Il me donna deux semaines pour préparer quelque chose.Trois fonctionnaires extraordinaires furent conscrits : André Garon, CyrilSimard et Michel Noël. OSE-ARTS vit le jour. Nos troupes étaient si fébrilesque, le temps de le dire, elles firent main basse sur des sommes considérables.Les ministres Pierre Marc Johnson et Pierre Marois qui se surveillaient nenous avaient pas vus venir.

Un détournement plus significatif, parce qu’il était de longue durée, futréalisé avec l’élargissement de la politique dite du 1 %. Ce programme duretoujours. Dans la nouvelle édition de Canada-Québec (Septentrion, 2000 : 511),je me suis fait plaisir. Qu’on en juge par la page suivante. Outre les édificespublics, le ministère avait fait une percée du côté du ministère des Transportsgrâce à la complicité du sous-ministre Hugues Morrissette. Des fouillesarchéologiques étaient prévues dans les budgets des tracés de route. Même laSociété de la Baie-James avait été sympathique à notre plaidoyer en faveur du1 % et avait financé des fouilles dans le Nord-du-Québec.

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n’avaient aucune bibliothèque publique, tandis que les autres yvoyaient l’occasion de rénovation ou d’agrandissement.

Parallèlement, la loi du livre franchissait les dernières étapeslégislatives. À quelques occasions, j’héritai de la présidence duConseil du Trésor, M. Parizeau étant retenu par des négociations àl’extérieur. Était-ce le bon moment pour mettre à l’ordre du jourmon mémoire ? Je n’en étais pas certain. Mes collègues réglaientmon dilemme en insistant pour soumettre leurs propres demandes.Les semaines passaient. Noël approchait. C’était ma date limite.

Le matin où je me décidai, Jean Garon se présenta dansl’antichambre. Impatient comme toujours. Nous étions amis. Jesortis de la salle pour lui parler et lui expliquer mon intention. Ilgrogna un peu. Je lui promis mon appui. Il savait qu’il pouvaitcompter sur moi. J’étais un des rares inconditionnels de sa loi surle zonage agricole. « O.K. Denis, on racontera que, ce jour-là, laculture a passé avant l’agriculture ! »

Les analystes avaient, comme toujours, résumé le mémoire, faitleur évaluation, ajouté leurs commentaires et aligné leursrecommandations. Ils concluaient ainsi : « Notre volonté deconserver au moins les grandes lignes du plan quinquennals’explique par le fait qu’il s’agit d’un plan déjà partiellement connuet accepté avec beaucoup d’intérêt par les parties concernées. Déjàplus du tiers des municipalités de 5 000 habitants et plus se sontmontrées intéressées à profiter des avantages de ce plan. » Des sixrecommandations de notre mémoire, trois dites accessoires avaientpourtant été écartées : l’aide à la promotion, aux études et aurecrutement de bibliothécaires. Je tenais mordicus à la troisième.En 1977, les bibliothèques publiques du Québec comptaientun bibliothécaire pour 44 322 habitants comparativement à 8 183habitants en Ontario.

Un des trucs des analystes consiste à résumer le mémoired’origine. Évidemment, cette façon de faire est appréciée desmembres du Conseil, mais en même temps ils risquent d’être privésde certains arguments qui peuvent avoir leur importance. Je fisvaloir mon point de vue sans trop de difficultés et on introduisit« une aide financière pour l’amélioration des conditions de

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fonctionnement ». C’était parfait. Le plan de développement desbibliothèques publiques était sauf. On pourra le constater enconsultant le document de promotion du programme qui seradiffusé dès le début de 1980 sous le titre « La bibliothèque publique.Le livre partout et pour tous ». Il est clairement dit que « la moitiédes salaires et des indemnités des employés affectés principalementà la bibliothèque » (p. 7) et de bien d’autres dépenses de fonction-nement serait remboursée pendant les deux premières années. Parla suite, la contribution du MAC était directement proportionnelleà la contribution de la municipalité. Autrement dit, plus lacontribution de la municipalité était élevée, plus la subvention l’était,oscillant entre 20 % et 35 % (p.16). Je note aussi un autre élémentdu programme qui incitait fortement à la rénovation plutôt qu’à laconstruction. L’écart varie de 10 % à 15 %. Je favorisais en effetl’intégration des bibliothèques à l’intérieur du tissu urbain et

réprouvais ouverte-ment tout emplace-ment en périphérie.

Le 27 février1980, Louis Bernard,secrétaire général duConseil exécutif ,m’avait confirmél’accord du Conseildes ministres. Cettevictoire à elle seulejustifie à mes yeuxles neuf années quej’ai consacrées à lapolitique. Je ne suispas peu fier desmusées qui ont surgidans les années quiont suivi, de larelance de l’Opérade Montréal, de la

Extrait de la publication

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Le coup d’envoi pour le développement des bibliothèques publiques avait étédonné par un nouvel élan au développement des Bibliothèques centrales de

prêts (BCP). Dès ma nomi-nation, j’avais fait signe à PhilippeSauvageau qui avait été associéà l’ouverture de la première BCPen Mauricie en 1962. « Où ensommes-nous avec les BCP ? »Ensemble, nous faisons le compte.Cinq en quinze ans. « Est-ilpossible de compléter le réseauen un an ? » Sauvageau se met àrire. Le réseau fut complété en4 ans : Montérégie (1978), Côte-Nord (1979), Bas-Saint-Laurent(1980) et Laurentides (1981).Par la suite, Sauvageau signeraune fameuse réalisation avec laBibliothèque Gabrielle-Roy àQuébec.

Nous étions complices. Jeprofitai d’un intérim comme ministre de l’Éducation pour régler une affaire deterrain qui appartenait à la commission scolaire. Ensemble, nous nous sommesbagarrés avec les inspecteurs du ministère du Travail. La salle de spectaclesdevint un auditorium pour réduire les exigences, les murs vitrés autour del’atrium furent remplacés par des lignes de gicleurs. Amusés, nous parlions derideaux d’eau. Conscients que l’eau est l’ennemi des livres, ces gicleurs doiventêtre rebranchés par une opération volontaire et manuelle ; il en est de mêmepour les inévitables portes-panique. La plus remarquable réalisation de PhilippeSauvageau reste le Centre de conservation de la rue Holt à Montréal. Aujour-d’hui directeur de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, il continue de créeren Afrique des Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC) directementinspirés des BCP. Sur un autre plan, on lui doit un important rapport (1987)qui contribuera à relancer le programme de développement des bibliothèques.Depuis 1980, bon an mal an, grâce aux efforts de nombreuses personnes, ycompris des élus municipaux, le territoirequébécois s’est enfin couvert de bibliothèquespubliques. À deux reprises, l’élan fut freiné. En1986, sous les libéraux et en 1995 avec lespéquistes. On ne fera pas de petite politique ici.Les arguments de la commission Sauvageaupermirent de récupérer les 4 millions qui avaientété perdus. En 1995, le gouvernement péquistese ravisera de lui-même.

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relocalisation de la cinémathèque, de OSE-ARTS qui a permis ledémarrage de combien de galeries d’art et d’ateliers, de l’élargis-sement de la politique du 1 % en matière d’intégration des œuvresd’art, etc. (voir p. 60-61) Mais le plan de développement desbibliothèques publiques est signé Denis Vaugeois et aussi del’excellent Pierre Matte et de son jeune collègue Jean-GuyDesrochers. Au niveau politique, j’avais eu l’appui inconditionnelde MM. Lévesque, Parizeau et Laurin.

Vingt-cinq ans plus tard, je cherche encore une façon deressusciter le plan quinquennal de développement des bibliothèquesscolaires enterré jadis. Le MEQ souhaitait, sans trop savoir

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René Lévesque fait l’école buissonnière à Toronto/Levesque playshookey in Toronto, peut-on lire à la une du journal The Gazette du 23mars 1979, sous la plume de Graham Fraser. Le 22, M. Lévesqueétait à Toronto pour des séances de signature de son ouvrageMy Quebec (Methuen, 1979) et une conférence devant quelque 500membres de l’International Studies Association réunis à l’hôtel RoyalYork. À deux reprises durant la journée du 22, M. Lévesque s’écartadu programme officiel, d’abord pour visiter la magnifique MetropolitanReference Library située à quelques pas de son hôtel, le Windsor Arms,puis pour se faire conduire au Science Center. « We had heard hemight come but no one knew when said John Fowles head of theeducation department of the museum. Soon after nine he actuallycame. » Il eut droit à « a special guided tour » de près d’une heure.

Quelle mouche avait piqué M. Lévesque ? La veille, explique Fraser,il avait soupé avec son ministre des Affaires culturelles, Denis Vaugeois,un inconditionnel des équipements culturels de Toronto. « Venir fairela promotion de l’idée d’indépendance frise un peu la provocation,pourquoi ne pas les surprendre en vous intéressant à leurs biblio-thèques et à leurs musées », avait été l’essentiel de mon propos. J’avaissenti que l’idée souriait à M. Lévesque et je m’arrangeai pour eninformer les responsables des deux institutions visées.

« Qu’êtes-vous venu faire à Toronto ? », lui demande un premierjournaliste dans une rencontre de presse avant son départ. « Défendrevotre projet d’indépendance ? » La tête légèrement inclinée et avec unsourire taquin, il répondit sur un ton un peu désinvolte : « Je suis venuvisiter certains de vos équipements culturels. Mon ministre des Affaires

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pourquoi, la libéralisation du manuel scolaire, ce qui fut fait malgrél’opposition de plusieurs libraires. Ce ministère par ailleurs proposaitle développement intensif des bibliothèques scolaires dans le respectde la loi du livre. Pendant ma présidence de l’ANEL (2000-2004),ce fut un de nos objectifs constants, un des rares points d’unanimitéavec les membres de la section scolaire. Le ministre de l’ÉducationSylvain Simard s’engagea en ce sens et fit inscrire près de 70 millionsdans ses prévisions budgétaires. Elles disparaîtront avec la défaitedu PQ en 2003. Alerté, le ministre Pierre Reid laissa entendre qu’ilserait éventuellement prêt à renouer avec les engagements de ses

culturelles n’arrête pas de les citer comme des modèles », etc. La radioet la télé de Toronto tenaient leur nouvelle. De toute façon, partoutl’accueil fait au premier ministre avait été impeccable. Il n’y avait pasde punch de ce côté. Le lendemain, Gratia O’Leary, l’attachée de presse,me téléphonait pour me transmettre l’extrême satisfaction du premierministre. Il était déjà acquis à mes rêves de bibliothèques et de musées,mais à partir du 23 mars 1979 c’est souvent lui qui me poussa dans ledos. Après sa visite du Science Center, il avait laissé échapper : « It’sincredible. I came out of there quite envious. » Le Québec ne peut sepermettre l’équivalent mais il doit « make a start with a smaller centerand we will » (Globe and Mail, 23 mars 1979, p. 5, Robert Sheppard).Si le musée de la science ne s’est jamais fait, ce n’est certes pas de safaute, ni de la mienne. Dieu merci, tous les autres projets de muséesont vu le jour tout comme notre plan de développement desbibliothèques publiques.

À l’époque, je cherchais à faire l’unanimité autour de mes objectifs.Les gens de l’Ontario passaient pour être sérieux et pratiques. Desgens d’affaires. Ce qui était bon pour eux devait bien l’être aussi pourle Québec. En septembre, la Commission des Affaires culturellessiégeait à Toronto. Une première. Nous étions réunis dans un salondu Windsor Arms quand Fernand Lalonde, député de Marguerite-Bourgeoys, rentre et se dirige vers Harry Blank, député de Saint-Louis :« On te demande dans le hall. » Harry croit à une blague et Fernandinsiste. Harry n’est pas sorti de la salle que Fernand éclate de rire. Lafemme d’Harry était là. Ce dernier, élu en 1960, était un vétéran de lavie parlementaire. « Nous siégeons à Toronto », avait-il lancé avant departir de la maison. C’était louche.

Dans toute cette affaire, les libéraux ont été parfaits. C’était d’ailleursun de mes problèmes que Jean Garon, député de Lévis et voisin debanquette, avait résumé ainsi : « Il faut que tu te fasses haïr del’adversaire, autrement tu es suspect ! »

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prédécesseurs. Si seulement les enseignants eux-mêmes se mettaient dela partie. Pourquoi apprendre à lire ? Et comment s’il n’y a rien à lire ?

Au moment de terminer ce livre (janvier 2005), le ministre del’Éducation Pierre Reid est dans la tourmente des subventions auxécoles privées juives. De toute évidence il n’a pas lu le bel essaid’Arlette Corcos, Montréal, les Juifs et l’école (Septentrion, 1997). Iljustifie sa décision en évoquant l’incendie d’une bibliothèquescolaire juive. Méchamment, je me suis dit que le ministre réglaitla question en favorisant un contrat d’association entre les écolesjuives et des commissions scolaires. Le modèle de celles-cis’appliquant, il n’y aurait plus de bibliothèques à brûler. Le contraireétait vrai. Tout juste avant de quitter le ministère de l’Éducation, ila annoncé 60 millions sur trois ans pour l’achat de livres dans lesbibliothèques scolaires. A-t-il prévu des bibliothécaires ? Des locaux ?Il appartiendra à son successeur, Jean-Marc Fournier, de le préciser.En mars 2005, un comité est formé pour orienter une nouvellepolitique du livre et de la lecture. Il y a donc de l’espoir.

Le tableau est blanc. C’est délibéré, il n’y a rien à montrer. Hélas ! Trois fois hélas !Depuis 1980, le plan préparé par le ministre Jacques-Yvan Morin dort toujours surles tablettes. La situation, déjà très pénible, n’a cessé de se détériorer. Moins de livres,moins de bibliothécaires, moins de locaux. Le plus souvent, il faudrait dire : ni personnelni locaux.

Évolutiondes bibliothèques scolaires

1980 2005

Nbre de livresPieds carrésBibliothécaires

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L’Amour du livre a été composé enPlantin, caractère qui tient sonnom de Christophe Plantin. Cedernier l’a indirectement inspiréau créateur Frank H. Pierpont en1913. Relieur à l’origine et installéà Anvers à partir de 1551, Plantiny devient imprimeur à la suited’une blessure grave à l’épaule. Iln’a pas créé de caractères maisétait constamment à la recherche

des plus beaux. À sa mort, son atelier disposait de quatre-vingt-dixtypes de caractères qui avaient servi à quelque 2450 ouvrages (1555-1589). Prenons le temps d’imaginer le travail d’un typographe quiplaçait les caractères un par un et à l’endroit comme à l’envers selonle format d’imposition des pages. Le tirage moyen chez Plantin sesituait entre 1 000 et 1 250 exemplaires. On raconte que c’est sa Bibleen hébreu qui, en 1566, connut le plus fort tirage, soit 7 800 pour lePentateuque et entre 5 200 et 6 700 pour les autres volumes.

Christophe Plantin est né en France vers 1520. Il rencontrera safuture femme Jeanne Rivière à Caen où il travaille comme apprentichez le relieur et imprimeur Robert Macé. Homo plebeius comme ilaime se désigner, il sait pourtant s’exprimer dans la langue de l’élite,le latin. Il meurt en 1589. Déjà son gendre, Jean Moerentorf, Anversoisde naissance et qui latinise son nom en Moretus, est à ses côtés à latête de l’atelier.

Les Moretus sont riches et Plantin lui-même laisse une grandefortune à sa mort. Vers 1576, Plantin s’était installé dans une superbedemeure, plusieurs fois agrandie, où loge sa famille et son atelier appeléle Compas d’Or représenté, comme il se doit, par un compas autourduquel se glisse sa devise Labore et Constantia.

Le Musée Plantin-Moretus d’Anvers compte 154 incunables, descentaines de manuscrits allant du IXe au XVIIe siècle, quelque 25 000reliures anciennes, d’extraordinaires collections typographiques, dumatériel de fonte, des plaques de cuivre, des blocs de bois, etc., sanscompter les pièces de cuir, les tapisseries et une vingtaine de tableauxde Pierre Paul Rubens (1577-1640) qui travailla régulièrement pourle Compas d’Or. À lui seul, ce musée justifie le détour par Anvers.

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COMPOSÉ EN PLANTIN CORPS 11ET ACHEVÉ D’IMPRIMER EN AVRIL 2005SUR PAPIER NOUVELLE VIE SATIN 140M

SUR LES PRESSES DE AGMV-MARQUIS

À CAP-SAINT-IGNACE, QUÉBEC

POUR LE COMPTE DE GILLES HERMAN

ÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION

Extrait de la publication