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Formation emploi Revue française de sciences sociales 105 | janvier-mars 2009 Pêle-mêle Discriminations dans l’accès au stage : du ressenti des élèves à l’intervention des enseignants Diskriminierungen beim Zugang zu Berufspraktika: Vom Eindruck der Schüler bis zum Einschreiten der Lehrer Discrimination in internship acceptance: from student perceptions to teacher support Discriminaciones en el acceso a las pasantías : de la vivencia de los estudiantes a la intervención de los docentes Nicolas Farvaque Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1803 DOI : 10.4000/formationemploi.1803 ISSN : 2107-0946 Éditeur La Documentation française Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2009 Pagination : 21-36 ISSN : 0759-6340 Référence électronique Nicolas Farvaque, « Discriminations dans l’accès au stage : du ressenti des élèves à l’intervention des enseignants », Formation emploi [En ligne], 105 | janvier-mars 2009, mis en ligne le 01 mars 2011, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1803 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.1803 © Tous droits réservés

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Formation emploiRevue française de sciences sociales 105 | janvier-mars 2009Pêle-mêle

Discriminations dans l’accès au stage : du ressentides élèves à l’intervention des enseignantsDiskriminierungen beim Zugang zu Berufspraktika: Vom Eindruck der Schülerbis zum Einschreiten der LehrerDiscrimination in internship acceptance: from student perceptions to teachersupportDiscriminaciones en el acceso a las pasantías : de la vivencia de los estudiantes ala intervención de los docentes

Nicolas Farvaque

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1803DOI : 10.4000/formationemploi.1803ISSN : 2107-0946

ÉditeurLa Documentation française

Édition impriméeDate de publication : 1 mars 2009Pagination : 21-36ISSN : 0759-6340

Référence électroniqueNicolas Farvaque, « Discriminations dans l’accès au stage : du ressenti des élèves à l’intervention desenseignants », Formation emploi [En ligne], 105 | janvier-mars 2009, mis en ligne le 01 mars 2011,consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1803 ; DOI :https://doi.org/10.4000/formationemploi.1803

© Tous droits réservés

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Formation

Discriminations dans l’accès au stage : du ressenti des élèves à l’intervention des enseignants

par Nicolas Farvaque*

L’article souligne les difficultés propres à ces premières confrontations avec le marché du travail que représentent les stages pour les lycéens en lycée

professionnel, et les modalités de réponse des enseignants. Les facteurs liés à l’origine et au milieu social se cumulent pour expliquer le sentiment de difficulté

et le recours à l’aide de l’établissement.

Les stages en entreprise ont une fonction reconnue deformation professionnelle et de signal sur le marchédu travail1. Les entreprises peuvent recourir à cesstages de diverses façons, des stages pouvant êtreformateurs ou se substituer à des emplois plus clas-siques (Domingo, 2002). Dans ce dernier cas,certaines dérives dans l’utilisation des stages enentreprise ont récemment été dénoncées. Il s’agissaitprincipalement des stages effectués par les étudiantsaprès le baccalauréat.

Les stages interviennent toutefois bien plus tôt dansles parcours scolaires. Nous nous intéresserons ainsiaux stages réalisés dans l’enseignement secondaire,

essentiellement dans les filières professionnellesmises en place au niveau des lycées, tout en considé-rant en contrepoint le cas de certaines formationspost-bac organisées au niveau des lycées (BTS –brevet de technicien supérieur). Pour ces lycéens etétudiants, l’accès au stage est une question centrale,la qualité du stage intervenant grandement sur la

1 L’article est issu d’une recherche réalisée par l’ORSEU et finan-cée dans le cadre du projet Transfert (« Transfert de pratiques pourun Accès Non Discriminatoire au Stage et à la Formation profes-sionnelle – Éducation en Réseau pour la Tolérance ») du pro-gramme européen Equal (Fonds social européen), coordonné parla Fédération nationale Léo Lagrange et l’Union nationale des syn-dicats autonomes (UNSA).

* Nicolas Farvaque est directeur du pôle « Territoires etEmploi – Recherche et études » à l’ORSEU (Office européende conseil, recherche et formation en relations sociales),Lille. Ses travaux portent sur la socio-économie du travail etde l’emploi, les relations sociales en entreprise et la justicesociale. Il a récemment publié : « Animateurs vacataires etpermanents : regards sur la qualité de l’emploi », AgoraDébats/Jeunesses, n° 48, 2008 ; avec J.-P. Yonnet, « Lesattentes des salariés à bas salaires envers les syndicats :résultats d’une enquête par questionnaire », La Revue del’IRES, n° 56, 2008 ; avec J.-M. Bonvin, Amartya Sen. Unepolitique de la liberté, Paris, Michalon, 2008.

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qualité de la formation mais aussi, d’un point de vueplus psychologique, sur la représentation du mondedu travail (Forner et al., 1996). Leurs démarches derecherche de stage et leurs éventuelles difficultés àtrouver une période de formation en entreprise ontjusqu’à présent été peu étudiées2.

Notre étude visait à identifier les difficultés ressen-ties par les élèves dans leur recherche de stage, enpartant de leur point de vue, pour le comparer ensuiteavec celui des personnels enseignants et responsablesde stage dans les établissements.

Deux hypothèses ont été posées. La première consis-tait à vérifier l’existence d’inégalités d’accès au stagepour les lycéens et étudiants professionnels, enessayant d’identifier les élèves concernés. Laseconde hypothèse postulait que les acteurs scolairesont des modes spécifiques d’intervention ou desuppléance pour aider dans leur recherche ces élèvesles plus en difficulté. Comment les professeurs adap-tent-ils leur aide en fonction des difficultés ressentiespar les élèves ? Comment considèrent-ils justementces difficultés exprimées ?

Dans un premier temps, nous revenons ainsi sur ladiversité des difficultés rencontrées par les lycéensprofessionnels dans l’accès au stage et nous posonsla question de la présence de mécanismes discrimina-toires, à partir du ressenti des élèves. La constructiondu questionnaire permet d’analyser la nature desdifficultés ressenties ; en effet, il distingue desfacteurs habituels de difficulté d’accès au marché del’emploi pour les jeunes d’autres éléments attribués(par les élèves eux-mêmes) à des caractéristiquespersonnelles potentiellement discriminantes.

Le croisement avec le point de vue des enseignantspermet d’approfondir la problématique et de tester laseconde hypothèse. Dans quelle mesure un raisonne-ment en termes de difficultés ou de discrimination les

conduit-il à modifier leur action ? En effet, larecherche du stage est un moment pédagogique del’année scolaire : il s’agit d’un apprentissage desréalités du marché du travail, à côté des autresapprentissages fondamentaux et/ou techniques effec-tués en classe, directement liés au métier en tant quetel. L’élève professionnel « apprend » les rudimentsde la confrontation avec le marché du travail. Cettelogique pédagogique n’est pas sans poser problème.Si certaines difficultés sont propres à un processusd’apprentissage (ou d’essais et d’erreurs), et consti-tuent donc un terrain d’action pour ces personnels,d’autres formes de difficultés sont le signe, pour lesenseignants, de mécanismes discriminatoires surlesquels ils n’ont pas prise.

Nous nous proposons, dans une deuxième partie,d’interroger ces difficultés d’accès au stage au regardde la logique pédagogique défendue par la plupartdes équipes enseignantes ou responsables des stagesdans les lycées. En quoi l’existence de discrimina-tions à l’entrée en stage remet-elle en question cespréceptes pédagogiques ? Quelle est la capacité desporteurs de ces derniers, c'est-à-dire les enseignantsou responsables de formation, à trouver une solutionau problème de l’accès au stage ?

LES DIFFICULTÉS À TROUVER UN STAGE

Nous nous basons ici sur une recherche effectuée lorsde l’année scolaire 2006-2007 sur les difficultés etles discriminations à l’entrée en stage pour les lycéensprofessionnels et étudiants de BTS (Farvaque et al.,2007). Cette enquête s’est appuyée sur un question-naire adressé directement aux élèves et sur une séried’entretiens auprès des enseignants ou responsablesdes stages3.

La méthode s’appuie sur la question des difficultés àtrouver un stage, pour cerner l’existence éventuellede discriminations ressenties par certains élèves.L’enquête part donc du ressenti des élèves. La

2 Tous les enseignements professionnels comportent un stage ouune période de formation en entreprise obligatoires, conformémentà la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989. L’accès austage figure au même titre que toute procédure d’embauche dans lecadre de la loi de lutte contre les discriminations de 2001 (art.L. 122-45 Code du Travail). En ce qui concerne la situation deslycéens, voir le rapport de Dhume et al. (2006). Les travaux deLandrieux-Kartochian et Guillot-Soulez (2005) posent la questionplus spécifique de la discrimination sexuelle dans le cadre desstages dans l’enseignement supérieur (universitaire).

3 Le rapport final inclut également des entretiens auprèsd’employeurs des bassins d’emploi.

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Encadré 1

L’enquête

L’analyse a d’abord porté sur le vécu des élèves, au moyen d’un questionnaire distribué à 2 244 lycéenset étudiants dans 22 lycées de 5 départements, avec la répartition suivante : Ain (20 %), Loire-Atlantique(4 %), Marne (5 %), Nord (44 %) et Pas-de-Calais (27 %). Les lycées ont été contactés par courriel dansun premier temps. Une relance importante auprès des lycées professionnels de la région explique que lesdépartements du Nord et du Pas-de-Calais soient majoritaires. Le département du Nord est représentédans sa diversité, avec 12 lycées différents (grandes et petites villes, zones rurales, diversité géogra-phique). L’échantillon inclut au total des lycées différents du point de vue de la réussite scolaire, en utili-sant comme indicateur les taux bruts de réussite au baccalauréat et des taux attendus par établissement(*). La présence des départements de l’Ain, de la Loire-Atlantique et de la Marne a été motivée par l’exis-tence préalable de zones-pilotes de mise en œuvre du projet Transfert (programme EQUAL financé parl’Union européenne) de sensibilisation à la question des discriminations. L’étude présentée ici constituaitle premier volet (diagnostic) de ce programme. Le questionnaire comportait trois grandes parties. Une première portait sur l’état civil, où était incluse –originalité du questionnaire – une question concernant le lieu de naissance des parents. La secondeabordait la scolarité des élèves, en interrogeant notamment les motivations à l’orientation vers une filièreprofessionnelle et des questions subjectives concernant les perspectives futures (sentiment que la forma-tion offre des débouchés ou non, perspectives d’emploi futures jugées bonnes ou mauvaises), demanière à obtenir une première indication du jugement des élèves sur leur formation. La dernière partieportait sur l’expérience individuelle en matière de recherche de stages professionnels. Nous noussommes intéressés à la recherche de stage la plus récente, qu’elle concerne le stage pour l’année sco-laire en cours, le cas échéant, ou le dernier stage effectué. On demandait aux élèves si ce stage avaitété facile ou difficile à obtenir, avant de proposer une série de raisons dans le cas où une difficulté étaitexprimée. Les méthodes de recherche, le nombre de candidatures et de refus, et enfin l’appréciation sub-jective du stage (quand il a déjà été réalisé), étaient interrogés. La construction générale du question-naire visait à aborder le parcours de recherche de stage en partant des difficultés ressenties, pouréventuellement relever des motifs, attribués par les élèves eux-mêmes, d’ordre discriminatoire.

Par ailleurs, nous avons effectué 35 entretiens téléphoniques avec des enseignants ou chefs de travauxdans différents lycées de ces départements (n’ayant pas nécessairement participé au questionnaire). Lagrille d’entretien portait sur l’appréciation, par les enseignants, des caractéristiques sociologiques desélèves (quel milieu, quels parcours, pourquoi une orientation vers les filières professionnelles ?), avantd’aborder la place des stages dans leur formation et les méthodes de recherche utilisées par les élèves.Une place importante dans l’entretien était ainsi consacrée aux élèves qui ne trouvent pas de stage :quel est le rôle de l’établissement dans ce cas ? Pourquoi ces difficultés ? Y a-t-il des élémentsdiscriminatoires ? Quelles sont les relations entre l’école et les entreprises ?, etc. La seconde partie de cetarticle reviendra plus longuement sur le point de vue des acteurs scolaires, que l’on comparera aveccelui des élèves tel qu’il ressort du questionnaire.

Composé d’un peu plus de garçons (54 %) que de filles (46 %), âgés en moyenne d’un peu plus de18 ans, l’échantillon des lycéens professionnels se répartit en trois tiers entre les niveaux CAP (Certificatd’aptitude professionnelle) et BEP (Brevet d’études professionnelles), les 1re/Terminale Bac pro, et enfinles BTS (**). Les trois principales filières représentées sont comptabilité/secrétariat (21 %), commerce/vente (17 %) etindustrie (17 % également), suivies des métiers de l’électro-technique, de l’hôtellerie-restauration ou de lasanté et du social (entre 7 et 10 %) (***).

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méthodologie utilisée n’est pas de même nature queles enquêtes dites d’audit par couples ou « testing »,basées sur l’envoi de séries de curriculum vitaeincluant une modification, toutes autres choses étantégales par ailleurs, concernant un élément biogra-phique pouvant être discriminatoire (nom, adresse,etc.). Étant donné que la recherche de stage reposetrès peu sur l’envoi de CV, la méthode, pourtant plusobjective, s’avérerait peu opérationnelle pour leprésent objet d’étude.

La démarche subjective n’en reste pas moins infor-mative car elle renseigne sur le vécu, par de jeunesélèves, des premiers pas dans le monde du travail.Comme l’indiquent de nombreux résultats qui serontcommentés plus bas, ce vécu témoigne de difficultésressenties importantes, attribuées dans certains caspar les élèves eux-mêmes à des caractéristiquespersonnelles de nature discriminatoire. En aucun casle questionnaire ne peut donc prétendre apporter lecaractère de la preuve d’éventuelles discriminations(la parole des enseignants venant cependant souvent

corroborer leurs impressions de discriminations, ourelativiser certaines difficultés – nous y reviendronsdans la deuxième partie).

Nous présentons ci-dessous les principaux résultatsdu questionnaire, qui montrent des variations impor-tantes du ressenti des difficultés entre les lycées et lesfilières. La nature même des difficultés varie selonles étudiants, avec une influence forte de l’originedes parents cumulée au milieu social. Or, c’est biensouvent le réseau social qui permet d’accéder facile-ment aux stages : pour les jeunes connaissant desdifficultés d’accès au stage, l’école intervient endernier recours.

Des variations importantes selon le lycée et la filière

Un jeune sur quatre de l’échantillon déclare avoirconnu des difficultés pour obtenir un stage. La ques-tion était : « Ce stage a-t-il été facile ou difficile àobtenir ? » Nous parlerons de taux de difficultés

(encadré 1 : suite)Le niveau d’études des parents de ces élèves est en grande majorité inférieur au baccalauréat. Environtrois parents sur quatre sont nés en France métropolitaine. Le quart restant de parents nés hors Francemétropolitaine vient principalement du Maghreb (12-13 %), d’un autre pays européen (3 %) ou d’unpays africain hors Maghreb. Nous utiliserons par la suite un indicateur synthétique distinguant les élèvesdont les deux parents sont nés en France métropolitaine (70 % des élèves) et ceux dont au moins unparent est né hors France métropolitaine (30 %) (****). L’origine est une cause de discrimination pos-sible mais ce n’est pas la seule. Si une attention particulière est accordée à cette variable ici, il convientde ne pas négliger l’analyse d’autres formes de discriminations, liées à l’âge, au sexe, au handicap, àl’orientation sexuelle, etc.

(*) : En distinguant les résultats pour les filières « Services » et « Industrie », on constate ainsi qu’une moitié des établissementsobtient des taux de réussite supérieurs au taux attendu par académie, et une autre moitié des taux inférieurs.(**) : Les étudiants de BTS ont été incorporés à l’analyse car ils sont rattachés à des lycées (d’enseignement général ou profession-nel), même s’ils font partie de l’enseignement supérieur. On parlera donc des « lycéens » de façon générale et par extension, en yincluant les étudiants de BTS. Ceci conduit donc à avoir un échantillon spécifique, intégrant des niveaux d’étude très différents, dontil faudra tenir compte au moment des interprétations. En termes de représentativité de l’échantillon, on notera que la répartition filles/garçons est identique à la répartition nationale (54,6 % de garçons en 2005-2006 pour l’ensemble des établissements publics et pri-vés, soit 724 000 élèves ; 56,8 % si l’on ne prend en compte que les établissements publics, soit 569 000 élèves). Chiffres du minis-tère de l’Éducation nationale. Cf. « Les élèves du second degré », in Repères et références statistiques – 2006, disponible sur : http://www.education.gouv.fr/pid316/reperes-et-references-statistiques.html.(***) : Par ailleurs, en ce qui concerne les filières professionnelles, la population est globalement représentative de la populationnationale en enseignement professionnel. Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale (Ibid.), on compte 43 % d’élèvesdans les spécialités de production et 57 % dans les spécialités de services. Les proportions initiales de notre échantillon sont respecti-vement de 35 % et 65 %. Nous avons redressé les données en fonction de la proportion nationale.(****) : Nous n’avons pas connaissance de données nationales à ce sujet permettant de juger la représentativité de notre échantillon.

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ressenties en rapportant le nombre d’élèves indiquantavoir eu des difficultés dans leur recherche de stage àl’ensemble des élèves. Les garçons sont plusnombreux que les filles à déclarer avoir ressenti desdifficultés (28 % contre 23 %). De même, la propor-tion de réponses positive à cette question augmenteavec l’âge et le niveau de diplôme préparé.

Ainsi des variations frappantes apparaissent entre les22 lycées où le questionnaire a été diffusé : deslycées affichent des taux de difficulté supérieurs à40 %, d’autres aux alentours de 15 % seulement, cequi pourrait témoigner de stigmates portés parcertains lycées, hypothèse qui nécessiterait d’autresmatériaux empiriques pour être approfondie. Le tauxde difficulté varie en fonction de la filière, de façontrès significative (graphique 1). Les élèves desfilières de spécialité production (30 %) sont plusnombreux à déclarer avoir connu des difficultés queles élèves des filières services (23 %). Plus précisé-ment, c’est dans la filière électrotechnique que lesjeunes disent être dans ce cas (1 sur 3), suivie desfilières santé-social, industrie (30 %) et comptabilité/secrétariat (28 %)4.

L’activité et le niveau d’études des parents sont signi-ficatifs (plus le niveau scolaire est bas, plus les diffi-cultés sont grandes). Par exemple, 35 % des élèvesdont la mère n’a pas suivi d’études font état de diffi-cultés. Si aucun des parents ne travaille, le taux dedifficulté est de 30 %, contre 23 % si les deux parentstravaillent.

Le lieu de naissance des parents apparaît égalementtrès significatif : 22 % des enfants dont les parentssont nés en France métropolitaine ont ressenti desdifficultés, contre 33 % des enfants dont un parent aumoins est né hors France métropolitaine (tableau 1).Les enfants d’un parent né au Maghreb ou dans unautre pays africain sont presque deux fois plusnombreux que les enfants dont les parents sont nésen France métropolitaine à déclarer avoir rencontrédes difficultés (39 % contre 22 %). Le fait d’être

Taux de difficultés ressenties : nombres d’élèves ayant déclaré avoir eu des difficultés à trouver un stage/ensemble des élèves (Question : « Cestage a-t-il été facile ou difficile à obtenir ? ». Modalités : Très facile, plutôt facile, plutôt difficile, très difficile). Lecture : 33 % des élèves de la filière électrotechnique disent avoir éprouvé des difficultés à trouver un stage. Source : enquête ORSEU ; champ : 2 244 lycéens de 22 lycées.

Graphique 1Taux de difficultés ressenties par filière, en %

33,329,5 30,4

27,525,3 24,4

22,4 2320,2

16,913,6 13

0

5

10

15

20

25

30

35

40

électr

o-tec

hniqu

e

santé

-socia

l

indust

rie

compta

-secré

tariat

moyen

ne

mécan

ique

autre

agric

ulture

commerc

e-ven

te

hôteller

ie-res

tau.

coiffu

re-esthé

tique

artisa

nat

4 La filière « autre » regroupe des formations tertiaires : informa-tique, assurance, etc. La filière « artisanat » concerne ici principa-lement les métiers de bouche (boucherie, boulangerie, etc.) et lesfleuristes.

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une fille ou un garçon conduit également à desvariations importantes dans ces réponses ; ainsi, lesgarçons d’origine étrangère sont en proportionnombreux à avoir ressenti des difficultés. Ainsi,45 % des garçons d’origine maghrébine et 53 % desgarçons d’origine africaine hors Maghreb ontressenti des difficultés.

L’influence de l’origine est double. Elle témoigne dedifficultés plus grandes liées à l’apparence ou aunom ou prénom, c’est-à-dire des difficultés liées àdes motifs discriminatoires. Elle renvoie aussi à lasituation sociale des familles de notre échantillonoriginaires de l’étranger, en particulier de l’Afrique,où le niveau d’études des parents est plus bas (encore

Tableau 1Difficultés ressenties en fonction de l’origine des parents

Lecture : 45 % des élèves dont un des deux parents au moins est né dans un pays du Maghreb disent avoir eu des difficultés à trouver un stage.Source : enquête ORSEU.

Lieu de naissance des parents Pourcentage de jeunes déclarant avoir eu des difficultés

Ensemble Garçons Filles

Père et mère nés en France métropolitaine 22 24 20

Père ou mère né(e) hors France métropolitainedont : 33 37 28

– Père ou mère né(e) au Maghreb 39 45 (*) 33

– Père ou mère né(e) dans un autre pays africain 39 53 26

– Père ou mère né(e) dans un pays asiatique 27 31 22

– Père ou mère né(e) dans un pays européen autre que la France 24 23 25

Tableau 2Régression logistique sur la difficulté ressentie pour obtenir un stage

Le seuil de significativité des probabilités est de 5 %, sauf* (10 %) ; (ns. : non significatif).Lecture : par rapport à un élève dont le père est né en France métropolitaine, un élève dont le père est né hors France métropolitaine a, touteschoses égales par ailleurs, une probabilité supérieure de 29 % d’avoir ressenti des difficultés à trouver un stage. Source : enquête ORSEU.

Modalité Probabilité Effectifs

Lieu naissance pèreFrance métropolitaineHors France métropolitaine

Réf.+ 29 %*

1 491516

Lieu naissance mèreFrance métropolitaineHors France métropolitaine

Réf. (n.s.)

1 538469

Activité pèreTravailHors travail (inactif, chômeur ou retraité)

Réf. (n.s.)

1 545462

Activité mèreTravailHors travail (inactif, chômeur ou retraité)

Réf. (n.s.)

1 095912

Langue

Le français est ma langue maternelleLe français n’est pas ma langue maternelle mais je le maîtrise correctementJ’ai des difficultés à parler le français

Réf.

+ 37 %+ 108 %

1 752

2 3817

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plus en ce qui concerne le niveau d’études maternel),où la part des parents qui ne travaillent pas augmente,ainsi que la taille des familles (nombre de frères etsœurs). Ces différents facteurs rendent la rechercheplus difficile, essentiellement par manque de capitalsocial, culturel et économique des parents.

Ainsi, l’influence de l’origine sur cet indicateursubjectif de difficulté est importante. En outre, plusencore que le lieu de naissance des parents (surtout lelieu de naissance du père), la maîtrise de la langueexplique largement le fait de déclarer avoir ressentiou non des difficultés (tableau 2). Les variablessocio-économiques concernant les parents (activitéprofessionnelle, niveau d’études, etc.) jouent un rôleplus significatif pour expliquer les méthodes derecherche que le ressenti des difficultés, comme on leverra plus loin.

Les types de difficultés ressenties varient en fonctiondes caractéristiques individuelles et de la famille,comme on le voit ci-dessous. L’exploration des résul-tats du questionnaire permet de poser l’hypothèse dela discrimination, à partir du ressenti des élèves.

Des difficultés différentes selon le milieu social et l’origine des parents

24 % des élèves déclarent avoir rencontré des difficultés

Environ 540 élèves sur l’ensemble des2 244 déclarent avoir connu des difficultés plus oumoins grandes dans la recherche du stage. Un peumoins (435) ont précisé les obstacles rencontrés(avec en moyenne 2,3 motifs donnés par individu).

Nous avons choisi de proposer, dans le questionnaire,des motifs renvoyant de façon générale aux diffi-cultés probables en matière de recherche de stagepour un public jeune et avec peu d’expérience (timi-dité, ne pas connaître d’employeurs, absence demoyen de transport, etc.), en les mêlant à des motifsliés plus directement à des critères sélectifs basés surl’âge, l’apparence (tenue vestimentaire, poids), maisaussi à des motifs possibles de discrimination (sexe,couleur de peau, nom et prénom comme critèresdiscriminants sur une lettre de candidature, lieu derésidence comme stigmate, etc.).

Le graphique 2 présente les motifs de difficultéidentifiés par les jeunes eux-mêmes (en ne retenantque les jeunes ayant déclaré avoir ressenti des diffi-cultés), en distinguant selon le sexe. Les motifsretenus pour la population totale sont comparés avecceux choisis par la sous-population des jeunes ayantune origine étrangère réelle ou supposée.

En ce qui concerne l’ensemble des jeunes ayantressenti des difficultés dans leur recherche de stage(graphique à gauche), la première raison, invoquéedans plus d’un cas sur deux, est le fait de ne pasconnaître d’employeur. Les deux obstacles quisuivent sont l’absence de moyen de transport et latimidité (qui sont plus fréquemment cités par lesfilles). La problématique des transports et des dépla-cements est en effet importante, mentionnée par denombreux professeurs et chefs de travaux dans lesentretiens (élèves trop jeunes ou pas assez fortunéspour avoir le permis de conduire, insuffisance destransports en commun en zone rurale). Les motifsdiscriminatoires apparaissent ensuite : le lieu de rési-dence est cité par un jeune sur cinq ayant connu desdifficultés, puis la couleur de peau et le nom ouprénom. Dans l’ensemble, les trois premiers motifsdonnés renvoient à des éléments assez classiquespour un public jeune et inexpérimenté, comme on l’adit plus haut.

Les choses changent assez nettement quand onregarde le sous-échantillon des jeunes dont un parentau moins est né hors France métropolitaine.

Avec un parent au moins né hors de France : des difficultés ressenties liées à la couleur de peau ou au nom

Ces jeunes sont sur-représentés dans la part desjeunes ayant eu des difficultés. Comme on l’a montréci-dessus, 33 % d’entre eux disent avoir rencontrédes difficultés, contre 67 % qui estiment que le stagea été facile ou très facile à obtenir (contre 22 % et78 % pour les jeunes dont les parents sont tous deuxnés en France).

La partie droite du graphique 2 montre l’ordred’importance des différents obstacles rencontrés dansla recherche du stage. Pour les jeunes dont un parentest né hors France métropolitaine et qui déclarent

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avoir rencontré des difficultés à obtenir un stage, lacouleur de peau et la consonance du nom ou prénomviennent en premier. Plus de 40 % d’entre eux disentdevoir leurs difficultés à l’un de ces motifs (et plusfréquemment en ce qui concerne les garçons). Le faitde ne pas connaître d’employeur vient compliquer larecherche. Les motifs qui apparaissaient plus haut dansla hiérarchie pour l’ensemble de l’échantillon (commel’absence de moyen de transport ou la timidité) sontmoins souvent cités : le problème ne réside plus à ceniveau, selon les lycéens et étudiants interrogés.

Par ailleurs, plus l’obstacle concerne un élément denature discriminatoire, plus le degré de difficultéressenti est grand (réponses « très difficile » plusfréquentes). Pour les autres obstacles, le degré de

difficulté exprimé est moins fort (réponses « plutôtdifficile »).

Rechercher un stage : le réseau et l’école comme recours

De l’étude du nombre de candidatures à un stage etdu nombre de refus, il ressort que l’origine des élèvessemble constituer un facteur de difficulté. Dansl’ensemble, un lycéen ou étudiant sur deux s’estcontenté d’une ou deux demandes auprès d’entre-prises pour trouver un stage. Une forte majorité desélèves (42 %) n’a subi aucun refus, ce qui témoigned’une recherche bien ciblée et efficace. Les jeunesdont un parent est né hors France métropolitainedoivent envoyer plus de candidatures aux entreprises,

Pourcentages supérieurs à 100, les répondants pouvant donner plusieurs motifs.Note de lecture : Parmi les élèves ayant ressenti des difficultés pour accéder à un stage, 53 % déclarent que c’est parce qu’ils ne connaissentpas d’employeur (respectivement 51 % pour les filles et 54 % pour les garçons) ; parmi les jeunes ayant un parent au moins né hors de Francemétropolitaine, ils ne sont plus que 37 % à évoquer ce motif (respectivement 37 % pour les filles et 35 % pour les garçons). Champ : élèves déclarant avoir ressenti des difficultés (N = 539) et élèves dont un parent au moins est né hors France métropolitaine et décla-rant avoir ressenti des difficultés (N = 208).

Graphique 2Obstacles rencontrés dans la recherche du stage par les élèves de lycée professionnel

(élèves ayant ressenti des difficultés)

jeunes échantillon total

0 10 20 30 40 50 60

handicap

façon de parler

religion

tenue vestimentaire

manque de motivation

sexe

autre

nom ou prénom

couleur de peau

lieu de résidence

timidité

absence de moyen de transport

ne connaît pas d’employeur

0 10 20 30 40 50 60

Total FillesGarçons

jeunes ayant un parent au moins né hors France métropolitaine

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et ce de façon très significative. 52 % des enfantsdont les parents sont tous les deux nés en Francemétropolitaine ne font qu’une ou deux candidatures ;en comparaison, les enfants d’un parent au moins néhors France métropolitaine ne sont plus que 41 %dans ce cas. Seuls 13 % des premiers font plus de10 candidatures ; ils sont plus de 21 % pour lesseconds. De même, la probabilité de subir des refusaugmente pour les jeunes dont un parent est né horsFrance métropolitaine. En particulier, ils sont près de11 % à avoir subi plus de dix refus, contre un peuplus de 6 % pour les jeunes dont les deux parentssont nés en France métropolitaine.

Nos données confirment que les jeunes d’origineétrangère doivent contacter plus d’entreprises, pourdes résultats pourtant moins souvent positifs5. Ceciest lié au plus faible réseau parental, et donc à l’obli-gation de se débrouiller soi-même, sans que l’on nepossède nécessairement les bons « codes » de larecherche. Ceci semble également témoigner del’incorporation, dans le comportement de recherchede stage, de l’appartenance à une catégorie subissantrégulièrement des discriminations dans l’accès auxentreprises, et en conséquence d’une exigence dedevoir en faire plus.

L’activation du réseau familial (contacts personnels)facilite la recherche de stage, tandis que les recher-ches basées sur l’envoi de candidatures spontanéessemblent plus ardues. Le fait que l’un des parents aumoins ne travaille pas réduit les chances d’obtenir lestage par des contacts personnels (tableau 3). Lesvariables socio-économiques, essentiellement l’acti-vité professionnelle des parents, apparaissent ici trèssignificatives, alors que les variables concernant lelieu de naissance des parents ne le sont plus6.

Dans le cas où les deux parents travaillent, 38 % desélèves ont obtenu leur stage grâce à des contactspersonnels ; ce taux chute à 25 % quand les deuxparents ne travaillent pas. Il est en revanche plusprobable que les jeunes dont les parents ne travaillentpas aient obtenu leur stage par l’entremise de l’écoleou d’un professeur : ils sont 25 % dans ce cas, contremoins de 15 % seulement pour les élèves dont lesdeux parents travaillent. Il semble bien que l’écoleintervienne comme dernier recours pour les élèvesayant eu des difficultés.

Le fait d’obtenir son stage grâce à l’intervention del’établissement scolaire témoigne ainsi de la difficultéà l’obtenir par des canaux plus directs, comme ledémarchage, et peut également signaler l’absence d’unréseau personnel et familial. En proportion, les jeunesd’origine étrangère réelle ou supposée passent plussouvent par l’intermédiaire de l’école ; à l’inverse, lesenfants dont les parents sont nés en France métropoli-taine ont plus souvent recours aux contacts personnels.Le facteur véritablement significatif est ici moinsl’origine que le milieu social des parents.

Ainsi, l’inactivité parentale a un effet significatif surle fait de passer par l’école, toutes choses égales parailleurs (probabilité supérieure de 25 %). Les profes-seurs sont sollicités à mesure que le nombre de refusaugmente.

L’aide des professeurs semble donc bénéficier enpriorité à ceux qui déclarent avoir des difficultésliées au manque de capital social familial et àl’origine des élèves. Quel est le point de vue desenseignants sur cette logique de suppléance ?Comment perçoivent-ils les difficultés que ressententles élèves, et de quelle façon interviennent-ils pouraider ces élèves ?

TROUVER UN STAGE : QUELS PRINCIPES D’INTERVENTION DES ACTEURS SCOLAIRES ?

Plus d’une trentaine d’entretiens téléphoniques ontété réalisés avec des personnels des établissementsscolaires (chefs de travaux, enseignants, proviseurs,etc.). Souvent placés à l’interface entre les élèves et

5 On retrouve un résultat mis en avant par Viprey et Deroche(2000). Les auteurs observaient que la durée d’obtention d’uncontrat en alternance était beaucoup plus courte chez les jeunesFrançais ou Européens que chez les jeunes des autres catégoriesd’origine. Cf. aussi Viprey (2002)6 Le rôle du réseau personnel dans l’accès au stage pour les étu-diants du supérieur a été étudié par Landrieux-Kartochian etGuillot-Soulez (2006) sur un échantillon d’étudiants de Licence 3et Mastère 1 de la Sorbonne. Les auteurs montrent que l’activationdu réseau est le moyen de recherche le plus efficace si l’on consi-dère un certain nombre d’indicateurs (rapidité d’obtention, confor-mité des stages avec le projet professionnel, etc.). Cette étudemontre également que les jeunes femmes ont une capacité de solli-citation du réseau inférieure aux jeunes hommes. Notre régressionva dans le même sens.

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les entreprises, les enseignants et surtout les chefs detravaux7 ont un rôle crucial. Quelles sont les straté-gies employées par ces acteurs pour réduire les diffi-cultés des élèves dans leur recherche et faire en sorteque chacun trouve un stage ?

Deux principales logiques d’action émergent desentretiens menés : une logique pédagogique et unelogique de placement. La logique pédagogique vise àinculquer aux jeunes la démarche de recherched’emploi via ces premières initiations et confronta-tions aux exigences du monde de l’entreprise. Aucours de cette logique individualisée, l’ampleur et lanature des difficultés ressenties et exprimées par lesélèves sont ainsi évaluées ; de cette évaluationdécoulent les modalités d’intervention de l’établis-sement. La logique de placement, ensuite, vient encomplément. Elle vise à ne laisser aucun élève sans

Tableau 3Régression logistique sur l’obtention du stage via les contacts personnels

Le seuil de significativité des probabilités est de 5 %, sauf * (10 %) ; (n.s. : non significatif).Lecture : par rapport à un garçon, une fille a, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité inférieure de 24 % d’avoir trouvé son stagegrâce à des contacts personnels.Source : enquête ORSEU.

Modalité Probabilité Effectifs

Sexe Masculin Féminin

Réf.– 24 %

983858

Lieu naissance père France métropolitaineHors France métropolitaine

Réf. (n.s.)

1 361480

1 408Lieu naissance mère France métropolitaine

Hors France métropolitaineRéf.

(n.s.)433

1 414Activité père Travail

Hors travail (inactif, chômeur ou retraité)Réf.

– 24 %*427

1 000

Activité mère TravailHors travail (inactif, chômeur ou retraité)

Réf.– 28 %

8411 610

Langue Français langue maternelleFrançais pas langue maternelle, mais maîtriseDifficultés à parler français

Réf. (n.s.)

1 610231

Études actuelles BTS (Brevet de technicien supérieur)BEP (Brevet d’études professionnelles)/CAP (Certificat d’aptitude professionnelle)BAC pro

Réf. (n.s.)

– 30 %

673593572

Filière ProductionServices

Réf.– 27 %

6131 228

Nombre de demandes de stage

1-2 demandes3-5 demandes5-10 demandes+ de 10 demandes

Réf. (n.s.)

– 54 %– 94 %

903367288283

Nombre de refus Aucun refus 1-2 refus3-5 refus+ de 5 refus

Réf.– 53 % (n.s.) (n.s.)

762412292375

7 Dans les lycées techniques et professionnels, le chef de travauxjoue un double rôle d’organisateur et de conseiller du chef d’éta-blissement, tant pour l’enseignement initial que pour la formationcontinue. Il est généralement en charge des relations avec lesentreprises (pour trouver des lieux de stage, vérifier que l’appren-tissage en entreprise se passe correctement, etc.). Il peut conserverune activité d’enseignement. C’est généralement vers eux quenous avons été orientés lors de l’enquête.

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stage. Il s’agit donc d’une intervention en dernierressort. Ces deux logiques, qui s’articulent parfoisdifficilement, sont successivement abordées dans lesdeux prochaines sous-parties.

Elles s’inscrivent dans une séquence égalitariste.Celle-ci se fonde d’abord sur un principe d’égalitédes moyens, sous-tendant la logique pédagogique etentretenu par une démarche de responsabilisation« positive » des élèves, sauf dans certains cas rares8.Le second temps de la séquence se fonde sur uneaction supplémentaire d’égalisation des résultats, endonnant priorité aux élèves les plus en difficulté oudiscriminés. Les intermédiaires agissent alors dansune logique de placement, dont l’objectif est d’éviterqu’un élève ne se retrouve sans stage.

Une logique pédagogique La logique pédagogique se base donc sur une logiqued’égalité de moyens (fournir les mêmes moyens àtous) et une démarche de conseils, d’activation de larecherche, d’individuation. On peut parler de respon-sabilisation pédagogique, à l’image de ce que l’onobserve dans les instances d’insertion des jeunes endifficultés comme les missions locales (Farvaque,2005) : la confrontation avec le marché du travail estun processus d’apprentissage ; l’institution reste ensoutien et s’appuie sur les leçons de cette confron-tation pour apprendre au jeune à améliorer sesdémarches. Le moment du stage, dans les lycéesprofessionnels, institue autour du jeune unedémarche d’insertion professionnelle qui emprunteselon nous à cette logique de responsabilisation ;celle-ci comporte toutefois une grande part de péda-gogie, basée sur l’idée qu’il n’y a d’apprentissagequ’actif, en situation. L’immaturité de certainsélèves, leur naïveté, ou encore leur méconnaissancede la réalité du monde du travail peuvent êtrecombattues par cette confrontation pédagogique,l’ambition du personnel scolaire étant alors de leurinculquer certains codes (présentation de soi, notam-ment vestimentaire), ce qui s’apparente à un appren-

tissage par l’expérience. À un niveau individualisé,l’évaluation de la motivation et du caractère actif dela recherche est centrale.

La croyance en l’individu reste forte ; elle peut toute-fois s’avérer complètement inadéquate en cas dediscriminations, en particulier fondées sur l’originedes jeunes. Parfois, comme le dit un conseiller péda-gogique interrogé, le cas de ces jeunes qui ne trou-vent pas de stage alors qu’ils n’ont « aucune raisonmanifeste » de ne pas en trouver témoigne dediscriminations :

« Il ne faut pas nier la réalité qui est là : on a pleinde Noirs, d’Arabes, d’Asiatiques, qui ne trouvent pasde stage, quelle que soit leur motivation. On trouvetoujours pour eux, on arrive toujours à les caser, iln’y en a pas un qui reste sur le carreau, mais leproblème est réel. C’est sûr, il y a ceux qui necherchent pas sérieusement, qui s’habillentn’importe comment, et pour eux ce n’est pas lacouleur de peau qui compte. Le vrai problème estqu’il y a plein d’élèves qui n’ont pas de raison mani-feste de ne pas trouver de stage, et qui se retrouventsans rien. Ce sont des élèves qui ont cherché sérieu-sement, mais qui n’ont rien trouvé. Si j’en ai 20 quisont dans ce cas, il y en a 16, 18, qui sont d’origineétrangère ou de couleur… » (Conseiller principald’éducation, Loire-Atlantique).

Ici, les difficultés de recherche ne sauraient être attri-buées au comportement de recherche de l’élève ou àsa responsabilité individuelle. Parler de « difficultés »euphémise considérablement la situation et masqueles structures de contraintes9. Encore que, convaincusdu bien-fondé de l’approche pédagogique, et voulantainsi maintenir un territoire professionnel d’inter-vention légitime, certains responsables enseignantssoulignent qu’il n’est pas toujours évident dedémêler la part de responsabilité individuelle de celleattachée à des facteurs extérieurs à la personne, surlesquels on ne peut agir. En d’autres termes, pourconserver une intervention possible sur l’élève –l’intervention à un niveau plus global (inégalitéssociales, représentations des employeurs, comporte-ments racistes, etc.) étant exclue, car soit impossible,8 On parlera de responsabilisation « positive » au sens d’action de

l’institution sur les personnes en vue d’accroître leur capacitéd’action, leur autonomie (c’est en ce sens que la démarche estpédagogique), par opposition à une démarche de responsabilisa-tion « négative » qui correspondrait à une vision punitive, qui n’apas été rencontrée dans l’étude.

9 Cette notion (Folbre, 1994) renvoie au biais d’inégalité systéma-tique ou permanente que subit un groupe dans la société. Cf. aussiTinker (1990).

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soit trop lourde, perdue d’avance, ou hors du corpsde métier de ces acteurs –, certains responsablescherchent à ne pas dédouaner totalement les élèvesd’une certaine responsabilité dans leur recherche. Unchef de travaux d’un lycée de la métropole lilloiseinsiste bien sur les difficultés plus grandes pour lesjeunes d’origine étrangère et pense qu’on peut eneffet parler dans certains cas de discriminations :« ça doit arriver malgré tout, il n’y a pas de raisonqu’on échappe à la règle… » Toutefois, selon lui,« on fait face à des attitudes pas très claires decertaines entreprises, mais on a aussi des jeunes quine sont pas toujours très coopératifs ». Une chef detravaux d’un autre lycée nordiste va dans le mêmesens : « Oui, c’est vrai que certains ont des diffi-cultés, mais d’autres n’en ont pas du tout. Donc onne peut pas dire. Les entreprises, elles ne nousdonnent pas le motif quand elles refusent unedemande, donc on ne peut pas savoir si c’est pourcela ou autre chose. Parfois, on peut se demander.Mais on ne peut pas dire que les difficultés sontspécifiquement liées au nom ou prénom, ou à lacouleur de peau. Le problème, c’est surtout unproblème de manque d’énergie pour trouver unstage. » Le fait que certains jeunes ne subissent pasde difficultés particulières pour obtenir un stageprouve au moins, à écouter ces responsables desstages, que la discrimination n’est pas totale, maisqu’il n’est pas possible de nier le problème. Uneinterprétation de ces propos pourrait être qu’avec dela bonne volonté (de « l’énergie »), on s’en sorttoujours. Cette vision « responsabilisante » reposesur une grande confiance en l’individu10. Le fait quela discrimination ne fonctionne pas à cent pour centcrée l’espace nécessaire pour que surgissent descroyances en la capacité des jeunes à vaincre lephénomène.

Une logique de placement Que font les enseignants et responsables d’éducation ?Comme on l’a dit plus haut, après la logique selonlaquelle les jeunes sont guidés dans leur recherche(obligation de moyens), survient une logique deplacement, où la responsabilité des établissements

devient prégnante, et la (pseudo) responsabilité desélèves est délaissée. Cette seconde logique estindépassable : elle renvoie à l’obligation qui est faiteaux personnels enseignants de trouver un stage (etdonc de se comporter comme « placeurs ») et nonplus seulement de développer une pédagogie de lapremière confrontation avec le monde du travail11.

La logique de placement est celle de l’« obligation ».Ce terme est revenu à de nombreuses reprises etpossède un double sens : à la fois une obligationlégale et bureaucratique (les intervenants évoquent le« Bulletin officiel », « les textes », etc.), mais égale-ment, semble-t-il, une obligation morale, qui dictel’action. « On n’a pas le choix », dit une chef detravaux tertiaires du Nord. « Le stage est obligatoiredans le cursus, donc on est obligé de leur trouver unterrain de stage ». Notons que cette obligation est leplus souvent évoquée pour les lycéens, moins pourles étudiants après le bac (les étudiants en BTSdemeurant dans le périmètre d’action du lycée). Ladivision des responsabilités est claire pour un chef detravaux : « Pour les BEP et les Bac pro, le stage estde la responsabilité de l’équipe pédagogique : aubout du compte, nous devons fournir le terrain destage. Pour les BTS, la recherche est plus de laresponsabilité des étudiants, c’est une démarched’étudiant, plus de lycéen. On se doit quand même defournir les moyens, mais il n’y a plus la même obli-gation de résultats ».

Cette obligation de trouver un stage implique donc,pour les acteurs scolaires, d’intervenir auprès desélèves qui n’en ont pas trouvé, pour une raison ouune autre, dans le sens d’une obligation de résultats.Mais comme le disent certains, ils se mobiliserontplus pour l’élève discriminé que pour l’élève qui n’apas fait d’efforts. « Pour (…) ceux qui se sont décar-cassés mais qui n’ont rien trouvé, c’est pour eux

10 Une fiction nécessaire, en quelque sorte, comme le dit Dubet(2004).

11 Un lycée situé dans un quartier sensible a refusé de diffuser lequestionnaire au motif que les élèves ne connaissent pas de diffi-cultés, car ils n’ont pas à chercher de stage par eux-mêmes (lalogique « pédagogique » étant ici inexistante). Une formation pro-fessionnelle est garantie avec un stage « clés en main », comme ledit le proviseur. La logique de placement est proposée sans détour,afin d’éviter les effets négatifs d’une recherche autonome quin’aboutirait pas. « On n’a jamais laissé un gosse tout seul, onconnaît très bien les humiliations au début, au moment de larecherche de stage », explique le proviseur : « Le but de l’école,c’est de leur donner une formation, de leur montrer qu’ils sontcapables. On leur évite le passage par l’humiliation ».

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qu’on va travailler en premier, pas pour lesautres… » (chef de travaux tertiaires et enseignanteen secrétariat, Nord). Ce mode d’interventionn’intervient de toute façon, se justifient certains chefsde travaux interrogés, qu’« en dernier recours ».

Le premier principe de responsabilisation pédago-gique continue de produire ses effets, car nombreuxsont les personnels scolaires qui mettent en avant lacapacité des élèves à trouver par eux-mêmes unstage, quand bien même l’expérience montre qu’ilscumulent des facteurs généralement sources de diffi-cultés plus grandes dans leurs relations avec lesentreprises. Cette analyse se base sur les discours desacteurs, ce qui ne signifie pas que les actes repro-duisent parfaitement ces discours. En d’autrestermes, on peut penser que l’insistance récurrente surcette première phase pédagogique, que nous quali-fions également de responsabilisante et d’éducative,remplit une fonction de légitimation d’un territoireprofessionnel de la part de ces acteurs (profs, chefsde travaux, etc.), quand on les interroge sur le sujetdes discriminations. Pour eux, dire qu’il n’y a rien àfaire face aux inégalités d’accès au stage, voire faceaux comportements discriminants, serait inconcevable,voire un aveu d’échec.

Quelle obligation de résultats ?L’obligation de résultats supplante au final l’obliga-tion de moyens, laquelle risquerait de montrer seslimites devant la sélectivité à l’embauche et les diffi-cultés évoquées jusqu’ici. L’approche égalitaire etrépublicaine de l’école conduit les enseignants à agirselon le principe d’une justice non pas méritocratiquemais bien de résultats. Ils doivent s’assurer quepersonne ne reste « sur le carreau ».

La logique d’égalité des résultats varie égalementselon ce que l’on entend par obligation de résultats :s’agit-il que chacun ait un stage, quel qu’il soit ? Oubien que chacun puisse obtenir un stage qui corres-ponde à son projet professionnel et qui lui offre unenvironnement d’apprentissage propice ? La secondealternative, qualitative, est idéalement celle qui estpréférée, mais en pratique, il est difficile de ne pas sereplier sur une logique quantitative, surtout quand ily a urgence (par rapport au calendrier de l’annéescolaire).

Pour les acteurs scolaires, placer les jeunes en entre-prise ou leur trouver un stage ne va pas de soi. Cettequasi-obligation qui leur est faite exige la constitu-tion d’un réseau d’entreprises, sur la base de garan-ties et de « contrats de confiance », pour ainsi dire,offerts par les établissements. Enseignants et chefs detravaux se doivent, outre leurs activités scolaires,d’établir des liens avec le tissu économique local(c’est l’une des tâches centrales du chef de travaux).Il s’agit notamment d’anticiper le moment où ilfaudra suppléer les élèves dans leur recherche destage ; dès lors, le maintien d’un réseau où les rela-tions sont bonnes est primordial (Dhume, Sagnard-Haddaoui, 2006).

Tous les lycées fonctionnent avec un réseau d’entre-prises qui constituent autant de lieux de stage. Ceréseau est activé au cas par cas, selon les problèmesrencontrés par les jeunes et le diagnostic posé parl’enseignant. L’activation de ce réseau répond parfoisà une logique d’excellence (par exemple, des restau-rants gastronomiques huppés vers lesquels pourrontêtre orientés certains élèves talentueux), mais le plussouvent à une logique quantitative (trouver un stage àtous les élèves). L’action s’inscrit ici dans un soucid’égalité sur les résultats, parfois dans l’urgence(quelques jours avant la date de début des stages). Ils’agit cependant d’une solution provisoire à unproblème temporaire (l’accès au stage d’une promo-tion particulière de lycéens) qui ne permet pas decombattre les mécanismes permanents de discrimina-tions et d’inégalités d’accès au stage. Il est mêmepossible qu’elle les renforce indirectement. Si laconservation du réseau est primordiale en effet, alorsles intermédiaires peuvent indirectement reproduirede la sélectivité dans leurs « choix » d’orienter tel outel jeune vers telle ou telle entreprise du réseau. Unedes craintes exprimées à plusieurs reprises par leschefs de travaux interrogés est le risque qu’un élève« flingue » le stage (en se comportant mal avecl’employeur, en abandonnant le stage, etc.), ce quiremet en cause toute la stratégie des chefs de travaux.« J’ai un réseau d’entreprises sous le coude, mais jene veux pas leur mettre n’importe qui entre lesmains ; je veux garder ma crédibilité ! » avoue unchef des travaux de l’Ain. Un réseau réduit d’uneou plusieurs entreprises anciennement partenairessignifie évidemment, dans un contexte marqué par la

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rareté des relations durables avec le tissu écono-mique local, plus de difficultés pour les placeurs.

La place des intermédiaires (ici, les enseignants ouchefs de travaux) et leur possible participation au« système » de la discrimination sont ainsi interro-gées. La prise en compte, par anticipation, des préfé-rences des entreprises, peut conduire les responsablesdes stages dans les établissements à renforcer defaçon « systémique » les discriminations. En effet,les représentants des établissements scolaires ne sontpas en position de force pour négocier avec lesentreprises : « il existe une acceptation tacite de ladiscrimination du fait de la position de faiblesse desintermédiaires. Le contexte de pénurie d’emploisfavorise la position de force des entreprises sur lemarché du travail. Il est difficile pour un intermé-diaire de résister aux exigences des employeurs car ilrisque de priver d’un emploi un autre jeune. Lesorganismes de formation en alternance sontconfrontés aux mêmes difficultés » (Viprey, Deroche,2000). Un chef de travaux déclare ainsi : « Quandune entreprise me dit qu’elle ne veut que des gensblancs, je souris gentiment, j’accepte. J’ai pas lechoix, je dois trouver des lieux de stage, je ne vaispas me priver d’une entreprise qui accepte desstagiaires… (…) [Enquêteur : que peut-on faire ?]Nous au lycée on ne peut rien faire… Mais quand unmagasin me dit qu’ils ne veulent pas qu’on leurenvoie des jeunes de couleur, je laisse tomber, jepréfère placer une petite blanche… On a environ15 % de gens de couleur dans l’établissement,surtout d’origine maghrébine, mais ça veut dire queles autres il faut bien aussi leur trouver desstages… ». Le rapport de force entre intermédiairespublics et entreprises conduit à une acceptation de ladiscrimination, voire à une co-production.

L’approche quantitative des stages, consistant àéviter qu’un élève ne « reste sur le carreau », doit êtreinterrogée du point de vue de la qualité (profession-nelle, éducative, etc.) du stage lui-même. L’obliga-tion juridique, exprimée dans les textes officiels, nese limite pas à l’obtention d’un stage quel qu’il soit :tout stage doit correspondre à un référentiel précis.C’est ce que rappelle ce chef de travaux du Pas-de-Calais, tout en confirmant le dilemme qui peutétreindre certains enseignants : « Le stage doit êtrevalidé par le prof de toute façon ; dans la convention

du BO [Bulletin officiel], le stage doit correspondreau référentiel. Mais c’est vrai que quand le stage atendance à ne pas arriver, on va avoir tendance àaccepter plus ou moins tout et n’importe quoi… Il estévident qu’il y a des stages plus ou moinsintéressants. »

Par rapport à un stage obtenu par relations person-nelles, un stage obtenu, en dernier ressort, parl’établissement, a toutes les chances d’être demoindre qualité. L’évaluation de cette qualité peut sebaser sur des éléments objectifs, comme le niveau derémunération, mais il s’agit d’un indicateur pluspertinent pour les stages du supérieur que pour lesstages lycéens. Des éléments subjectifs inclus dansnotre questionnaire permettent de pointer desniveaux de satisfaction différents en ce qui concernedes aspects précis du stage, selon la méthoded’obtention. Ces aspects concernent par exemplel’adéquation du contenu du stage avec la formation(« ce stage m’a permis de mettre en pratique maformation »), le sentiment d’avoir été « bien suivi »ou encore « bien intégré à l’entreprise ». Il estpossible de montrer (régression logistique nonreprise ici) que le fait d’avoir ressenti des difficultésd’accès au stage et d’être passé par l’intermédiaire del’école pour finalement obtenir ce stage conduit à unjugement négatif sur la période en entreprise. Parexemple, toutes choses égales par ailleurs, être passépar l’école augmente de 39 % la probabilité de s’êtresenti mal intégré dans l’entreprise. Les résultats dumodèle de régression logistique montrent ainsi lasignificativité des difficultés ressenties et du passagepar l’établissement (mais également de l’origine)pour expliquer le sentiment de ne pas avoir été bienintégré dans l’entreprise. De valeur illustrative, ilappelle des compléments empiriques pour analyserplus précisément la qualité des stages dans le secon-daire et le supérieur post-baccalauréat.

* **

L’article a souligné les difficultés propres à cespremières confrontations avec le marché du travailque représentent les stages pour les lycéens profes-sionnels, et les modalités de réponse des enseignants.Bien que subjectives, les informations recueillies

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concernant les difficultés d’accès au stage donnent àvoir, avec une grande régularité, une concentrationde difficultés chez les élèves de certains milieuxsociaux. L’accès au stage diffère selon l’originesociale. Les facteurs liés à l’origine et au milieusocial se cumulent pour expliquer le sentiment dedifficultés et le recours à l’aide de l’établissement(par opposition aux élèves pouvant activer le réseaufamilial). Les logiques d’action des professionnels scolairesont été évoquées en interrogeant leur sens ; ellespermettent de trouver un stage pour tout le monde àdéfaut de trouver des stages de qualité pour chacun.La séquence égalitariste retenue (égalité de moyensmâtinée de responsabilisation pédagogique, puiségalité des résultats en termes d’obtention d’un stage,quel qu’il soit ou presque) mérite d’être débattue.À tout le moins, elle doit s’inscrire dans uneréflexion plus générale sur l’enseignement profes-sionnel (et sa dévalorisation), les relations école-entreprises et cet objet difficilement identifiable quesont les stages pour les lycéens professionnels. Unedes questions centrales et non réglées tient à l’isole-ment des enseignants ou chefs de travaux : livrés àeux-mêmes devant des demandes de tri préalable oude présélection des stagiaires de la part de certainsemployeurs, sans outils et mal équipés dans cettenégociation, ils sont fréquemment conduits, tant bienque mal, à reproduire des mécanismes « systémiques »de discrimination. Leur territoire légitime d’action selimite ainsi souvent à la pédagogie de la motivation

et de la responsabilisation, quand les difficultésd’accès au stage découlent de facteurs plus sociaux.

Il reste à dépasser cette approche du ressenti qui peutposer parfois le problème de la délimitation entrereprésentations individuelles et contraintes effec-tives. Ces données subjectives restent toutefois unmatériau important et intéressant pour l’analyse,d’autant plus que c’est en partie à partir de ce maté-riau – ce que disent les élèves – que travaillent effec-tivement les acteurs scolaires. En partie seulementtoutefois, car ce qui leur est dit est systématiquementcroisé avec d’autres variables ; comme le déclare unresponsable scolaire, nombre d’étudiants n’ont pasde « raison manifeste » de ne pas trouver de stage, cequi implique donc d’aller au-delà des facteurs indivi-duels (motivation, etc.) pour interroger les facteurssociaux, tant en termes d’influence du milieu socialfamilial que de la prévalence de contraintes supplé-mentaires et de mécanismes discriminatoires dansl’accès à l’entreprise. À ce titre, l’analyse des rela-tions entre école et entreprises mérite d’autres appro-fondissements. L’alternance entre deux mondes régispar des règles aussi distinctes ne se décrète pas ; ellese construit progressivement, à un niveau local, dansune logique précaire. Les logiques de constructiondes besoins des entreprises en matière de stagesprofessionnels, d’un côté, les logiques de construc-tion des besoins des établissements scolaires enmatière d’insertion en stage, de l’autre, et surtout lacoordination de ces besoins, peuvent constituerautant de pistes de recherche.

Bibliographie

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Discriminations dans l’accès au stage : du ressenti des élèves à l’intervention des enseignants

Nicolas Farvaque

L’accès au stage en entreprise pour les lycéens et étudiants professionnels en France est ici étudié à partird’une enquête auprès des élèves et des enseignants. Dans un premier temps, l’analyse se concentre surles types de difficultés rencontrées par les élèves dans leur recherche et aux discriminations éventuellesque certains d’entre eux pensent subir. Ces difficultés ressenties sont ensuite interrogées au regard deslogiques d’intervention des équipes enseignantes ou responsables des stages dans les lycées : unelogique pédagogique, soutenant les efforts de chaque élève dans sa recherche de stage, et une logiquede placement, visant à suppléer ceux pour qui cette recherche n’a pas abouti.

Mots clés

Lycée professionnel, inégalités, stage de formation, données statistiques

Journal of Economic Literature : I 29, J 71

Résumé

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