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1 K H A M S I N

Dossier Khamsin

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KHAMS I N

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SOMMAIRE

1 . Note d’intention

2 . Sur les traces de…

3 . Le projet

4 . Calendrier prévisionnel

5 . Les intervenants

- Luc Clémentin

- Sébastien Jarrousse

- Claire Serre-Combe

- Assistante de l’équipe : Natalie Maroun-Taraud

6 . Bibliographie

8 . La Compagnie Ultima Chamada

9 . Premières propositions textuelles

10 . Contact

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« Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les

civilisations. »

Octavio Paz

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NOTE D’INTENTION

KHAMSIN

En Egypte, vent de sable brûlant qui souffle du désert, en direction du Nord-Est.

L’une de nos dernières représentations de A Love Supreme s’est faite { Alger, après 130 représentations et 9 pays visités. Le texte du congolais Emmanuel Dongala – tiré de Jazz et Vin de Palme – redonne à entendre, à travers Coltrane, qu’art et enga-gement font parfois bon ménage et libèrent des sources qui permettent d’espérer en un monde plus juste. Mario Tronco avec l’Orchestra di Piazza Vittorio, Daniel Barenboïm avec le West-Eastern Divan Orchestra, ont, dans le passé, très simplement réuni des artistes pour expérimenter la richesse de l’échange. C’est sur ces traces que nous souhaitons por-ter ce projet de création, Khamsin. [Parenthèse : Et si nous faisions un rêve…que ce type d’expérience se fractalise à l’infini pour laisser des traces durables, artistiquement fortes, qui elles aussi génèrent d’autres rencontres…pour redonner quelques couleurs à certains mots, comme « fraternité », qui par moments apparaissent bien las et fatigués…] Dans l’esprit de ceux qui nous ont devancés, Khamsin souhaite réunir des artis-tes algériens et français qui joueront en arabe dialectal et en français, mêlant leurs ta-lents de comédiens et de musiciens. A partir d’extraits, adaptés pour la scène, d’œu-vres d’auteurs algériens et du monde arabe (Tahar Djaout, Kateb Yacine, Rafik Scha-mi, Naguib Mahfouz…), nous composerons une mosaïque où se mêleront les mots et les notes avec, comme fil conducteur, la réalité et les aspirations qui se dessinent dans les pays traversés. Ce tissage se fera, bien sûr, en collaboration avec les artistes qui proposeront également des textes et qui interviendront dans la composition de la partition musicale. Le dispositif scénique de départ sera simple : un cercle/plateau su-rélevé, autour duquel seront disposés les artistes, qui interviendront en entrant dans cet espace. Le public sera également disposé en cercle autour de ce plateau et de ces artistes. L’idée de ce projet a été lancée en 2010 et vient de rencontrer ce souffle qui s’est levé dans le monde arabe. Un souffle qui décuple notre envie de rassembler ces artis-tes qui parleront de ce monde arabe présent et à venir.

Luc Clémentin

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« C'est la voix de la sagesse qui s'expri-me par la bouche de notre appariteur. Et vous savez tous que la sagesse est par-fois implacable. Elle ne se préoccupe pas des moyens, gardant son intérêt pour les grands buts. Comme dit je ne sais quel proverbe ou tout simplement ma logique, lorsque la main est gangrenée, il ne faut pas hésiter à la couper afin de préserver la santé du reste du corps. »

Extrait de « Les Vigiles » de Tahar Djaout

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SUR LES TRACES DE...

West-Eastern Divan Orchestra

Le West-Eastern Divan Orchestra (Orchestre du Divan occidental-oriental) est un orchestre sympho-nique qui a la particularité de ré-unir chaque été environ 80 jeunes instrumentistes d'Israël, des États arabes voisins (Syrie, Liban, Égyp-te, Jordanie) et des Territoires pa-lestiniens, qui viennent en Europe se former et jouer ensemble. L'orchestre est le fruit d'une initia-tive du pianiste et chef d'orchestre juif israélo-argentin Daniel Baren-boïm et de l'écrivain chrétien amé-ricano-palestinien Edward Saïd pour promouvoir le dialogue et la paix entre Juifs et Arabes.

L’Orchestra di piazza Vittorio

L’Orchestra di piazza Vittorio, en-semble orchestral composé de sei-ze membres venant de onze natio-nalités différentes, joue une musi-que inclassable. Dirigée par l'italien Mario Tronco habitant bien enten-du piazza Vittorio Emanuele à Ro-me, cette formation produit de-puis neuf ans un mélange de sono-rités et de couleurs unique. L’Or-chestre de Piazza Vittorio, c’est surtout une expérience unique de dialogue entre les cultures par le biais de la musique.

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Oncle Salim m'a raconté une histoire qu'il a entendue récemment. Il

n'a pas précisé dans quel pays elle se passait, mais je crois qu'elle pourrait

se passer n'importe où.

Dans un bus qui approchait de la frontière, un passager se moquait

de ses compagnons. En plus, il était vêtu d'une manière inhabituelle : il ne

portait qu'une serviette autour des reins.

« Tu as du chocolat dans ta valise, disait-il à l'un, et toi une radio, et

toi un magnétophone. A la frontière, ils confisqueront tout. Je connais le

pays : il est interdit d'importer quoi que ce soit. »

L'homme agaçait les autres passagers, mais il n'en continuait pas

moins ses plaisanteries douteuses : « Et toi, qu'est-ce que tu as là ? Une

montre et une chemise ? Et toi, là-bas, tu crois pouvoir passer avec ce man-

teau ? »

Plus la frontière approchait, plus les passagers devenaient nerveux.

Ils commençaient à comprendre pourquoi l'importun n'avait qu'une ser-

viette autour des reins et encore, une serviette fabriquée dans le pays où

ils allaient.

Quand le bus arriva à la frontière, les douaniers se montrèrent enco-

re plus stricts que ne l'avait annoncé le passager à demi-nu. Celui-ci, tran-

quillement assis, riait en voyant les douaniers confisquer systématique-

ment chocolat, radios, montres et manteaux.

Lorsque ce fut son tour, il répondit avec assurance:

« Je suis nu, à part cette serviette fabriquée dans votre pays!

-Tu en sais long, n'est-ce pas ? fit le douanier, impassible.

-Oui, oui, je lis beaucoup ! se vanta l'homme.

-Et que lis-tu? » demanda le douanier.

L'homme énuméra de nombreux titres que le douanier nota avec

application, demandant même comment s'épelait le nom de tel ou tel au-

teur.

Quand le passager interrompit son énumération, le douanier deman-

da : « C'est tout? » L'interrogé, très fier, cita de nouveaux titres, que le

douanier nota sans désemparer.

L'homme à la serviette perdit peu à peu sa belle assurance et finit

par se taire.

« Alors, comme ça, lui dit le douanier, tu as deux cents livres en tête

et tu prétends les introduire en contrebande. Sans compter que plus de la

moitié de ces livres sont interdits dans notre pays. Vraiment très raffinée

comme combine ! » Et il renvoya l'homme d'où il venait.

Petite histoire (tirée de « Une Poignée d’étoiles » de Rafik Schami)

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LE PROJET

Le projet que la compagnie Ultima Chamada se propose de développer à Alger se divise en deux axes :

1 . Un axe artistique, par la création d’une nouveau spectacle « Khamsin », alliant lan-gue arabe et langue française, musique arabo-andalouse et musique jazz. Cette créa-tion se déroulera en trois étapes entre mai et novembre 2011 au Théâtre National d’Al-ger, pour aboutir à sa présentation à Alger fin novembre 2011. 2 . Un axe pédagogique, qui verra la compagnie transmettre son savoir-faire et son ex-périence à travers deux ateliers qui seront proposés aux artistes, au personnel admi-nistratif et aux techniciens de la scène algérienne. - un atelier de composition musicale (intervenant : Sébastien Jarrousse) : l’objectif de cet atelier est de transmettre aux musiciens intéressés les techniques de la compo-sition et de l’arrangement dans un style issu du jazz et de l’improvisation ; - un atelier de régie son et lumière : il s’agit d’initier/perfectionner les stagiaires { la conception de l’éclairage d’une pièce de théâtre, en définissant les besoins de lumi-nosité, les ambiances, les émotions propres { chaque œuvre. Pour cela, l’atelier d’é-clairage abordera les différents aspects techniques et esthétiques de l’éclairage : contrastes entre ombres et lumières, température de couleur, installation des projec-teurs, et manipulation des consoles. L’autre versant de l’atelier propose d’initier/perfectionner les stagiaires { sonoriser un petit lieu : concert, salle de spectacle, et de les guider dans les choix du matériel, ainsi que la manipulation des consoles et la disposition des microphones et des enceintes ; - un atelier d’ ingénierie et de management culturel (intervenante : Claire Serre-Combe) : cet atelier posera les bases de la gestion de projets propres au spectacle vi-vant : définition des étapes, organisation, mise en œuvre...

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CALENDRIER PREVISIONNEL

Première étape :

Mai - juin 2011

Intervenants :

- Du 23 mai au 1er juin : Luc Clémentin (metteur en scène)

- Du 31 mai au 3 juin : Sébastien Jarrousse (compositeur et saxophoniste)

Objectif :

Rencontre avec les acteurs culturels locaux et avec les artistes algériens qui participeront au projet

de création Khamsin.

Deuxième étape :

Du 19 septembre au 2 octobre 2011

Intervenants :

- Du 19 septembre au 2 octobre 2011 :

- Luc Clémentin (metteur en scène)

- Sébastien Jarrousse (compositeur et saxophoniste)

- Natalie Taraud (assistante à la mise en scène)

- Du 26 septembre au 2 octobre 2011 :

- Claire Serre-Combe (administratrice de la compagnie Ultima Chamada)

- Un technicien son

- Un technicien lumière

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CALENDRIER PREVISIONNEL

Participants :

- Pour la création :

- équipe algérienne : 6 comédiens et 3 musiciens

- équipe française : 2 comédiens et 2 musiciens

- Pour les ateliers de composition musicale, de régie son et lumière et d’ingénierie et de manage

ment culturel : 10 stagiaires par ateliers

Déroulement :

- Pour la création :

- Du 19 septembre au 2 octobre 2011 : 14 jours de création théâtrale

(intervenant : Luc Clémentin)

- Du 19 septembre au 2 octobre 2011 : 8 jours et 6 demi-journées de création musicale

(intervenant : Sébastien Jarrousse)

- Pour les ateliers :

- Du 26 septembre au 2 octobre 2011 : 6 demi-journées d’atelier de composition musicale

(intervenant : Sébastien Jarrousse)

- Du 26 septembre au 2 octobre 2011 : 6 demi-journées d’atelier de régie son et lumière

(intervenants : un technicien son et un technicien lumière)

- Du 26 septembre au 2 octobre 2011 : 6 demi-journées d’atelier d’ingénierie et de manage

ment culturel (intervenante : Claire Serre-Combe)

Troisième étape :

Du 14 au 27 novembre 2011

Intervenants

- Du 14 au 27 novembre 2011 :

- Luc Clémentin (metteur en scène)

- Sébastien Jarrousse (compositeur et saxophoniste)

- Natalie Taraud (assistante à la mise en scène)

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CALENDRIER PREVISIONNEL

- Du 21 au 27 novembre 2011 :

- Claire Serre-Combe (administratrice de la compagnie Ultima Chamada)

- Un technicien son

- Un technicien lumière

Participants :

- Pour la création :

- équipe algérienne : 6 comédiens et 3 musiciens

- équipe française : 2 comédiens et 2 musiciens

- Pour les ateliers de composition musicale, de régie son et lumière et d’ingénierie et de manage

ment culturel : 10 stagiaires par ateliers

Déroulement :

- Pour la création :

- Du 14 au 27 novembre 2011 : 12 jours de création théâtrale (intervenant : Luc Clémentin)

- Du 14 au 23 novembre 2011 : 4 jours et 6 demi-journées de création musicale

(intervenant : Sébastien Jarrousse)

- 24, 26 et 27 novembre 2011 : trois représentations de la création Khamsin.

- Pour les ateliers :

- Du 21 au 27 novembre 2011 : 6 demi-journées d’atelier de composition musicale

(intervenant : Sébastien Jarrousse)

- Du 21 au 27novembre 2011 : 6 demi-journées d’atelier de régie son et lumière

(intervenants : un technicien son et un technicien lumière)

- Du 21 au 27novembre 2011 : 6 demi-journées d’atelier d’ingénierie et de management

culturel (intervenante : Claire Serre-Combe).

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LES INTERVENANTS

Luc Clémentin crée la Compagnie Ultima Chamada en 2005 avec la reprise du spectacle Inconnu à cette adresse, qu’il adapte et met en scène pour la première fois dans le cadre du Festival d’Edimbourg, en version anglaise. Ce spectacle est ensuite présenté en version française au Colibri au Festival d'Avignon. Inconnu à cette adresse totalise plus de 130 représentations en France et à l'étranger (Canada, Italie). De 2003 { 2005, il s’investit au sein des "Plateaux Tournants", collec-tif constitué de 70 compagnies issues du mouvement social d'Avi-gnon de 2003. Aux côtés de l’auteur Gustave Akakpo, Luc Clémentin anime en 2006 un atelier d’écriture et de jeu { la Maison d’arrêt de Fresnes dans le cadre d’une convention entre le Tarmac de la Villette et le SPIP 94. En 2006, il adapte et met en scène A Love Supreme d’Emmanuel Don-gala au Tarmac de la Villette dans le cadre du Festival Jazz à la Villet-te. En 2007, à Confluences, la compagnie a proposé avec l’équipe du lieu la thématique pluridisciplinaire « ¡ Le travail c’est la santé ! », et a présenté L’Etourdissement, pièce adaptée et mise en scène par Luc Clémentin, d’après le roman de Joël Egloff (prix du livre Inter 2005). Dernièrement, il a mis en scène le triptyque RUS3IES dans le cadre de l’année France-Russie au Théâtre de Fontainebleau. Actuellement, il travaille à la mise en scène de BUG de Tracy Letts au Théâtre de Van-ves. Il a obtenu le soutien financier du programme européen Interreg Ca-raïbes IV pour la création de l’adaptation de La rage de vivre, biogra-phie du musicien de jazz Mezz Mezzrow. Il vient de terminer une pre-mière étape de travail avec des comédiens et musiciens algériens au CCF d’Alger, en vue d’une création, en français et en arabe, qui se fera en collaboration avec le Théâtre National d’Alger et l’ISMAS. Avant la création de la Compagnie Ultima Chamada, Luc Clémentin joue dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, mis en scène par Elisabeth Chailloux au Théâtre des Quartiers d'Ivry (puis tournée AFAA aux Etats-Unis, Canada, Hongrie). En 1995, il organi-se Le Banquet, festival pluridisciplinaire (théâtre, musique, cinéma, arts plastiques) à Montbard, en Bourgogne. Il a également été ad-joint au conseiller culturel à la Mission française de coopération de Moroni (Comores), logisticien pour M.S.F. au Kurdistan irakien (1991) et co-réalisateur du documentaire Commerce équitable : un commer-ce à visage humain (2004).

Luc Clémentin, adaptateur, metteur en scène et comédien

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LES INTERVENANTS

Né en 1974, Sébastien Jarrousse, saxophoniste ténor et soprano, compositeur et arrangeur, poursuit un riche parcours alliant depuis toujours sa passion de la scène à celle, plus intime, de l'écriture. Après des études de classique et de jazz, et un bac A3 musique en poche, ce breton d’origine intègre la classe de jazz de François Jean-neau au CNSM de Paris et obtient son prix en 2002. Habitué des scènes françaises et internationales du jazz, Sébastien Jarrousse s'est fréquemment produit dans le big-band du célèbre tromboniste allemand Albert Mangelsdorf. Il a participé en tant que sideman au Robin Notte Quintet et à son album « Première esca-le » (Suisse Color Music, 2001), et a également fait partie du septet de la chanteuse Cécile Verny, avec laquelle il a enregistré l'album « European Songbook » (Minor Music, 2005). Enfin, il est « invité » à enregistrer sur le premier opus « Electrology » du groupe d’electro-jazz Wise (Such Production/Naïve, 2006). Plus récemment, c’est sous le label Aphrodite Records que Sébas-tien Jarrousse sort deux albums avec le quintet qu’il co-dirige, Sébas-tien Jarrousse / Olivier Robin Quintet : « Tribulation » (2006) et « Dream Time » (2008), tous deux salués par la critique. En parallèle, Sébastien Jarrousse est le saxophoniste de la pièce de théâtre musical A Love Supreme, spectacle original - un comédien et un trio de jazz - créé en hommage à John Coltrane et mis en en scène par Luc Clémentin. Cette pièce connaît un succès international de-puis sa création en 2006. Sébastien Jarrousse travaille actuellement à différents projets en duo, quartet et tentet. Un troisième album, cette fois-ci en sextet qui s'intitule 'La Nuit des Temps' et dont le répertoire original se situe à la confluence du jazz et de la musique celtique, est sorti en le 27 Jan-vier 2009 et a été présenté lors d'un concert au New Morning à Pa-ris. Récompenses : · 2002 : Prix du Conservatoire national supérieur de musique de Pa-ris · 2003 : 1er prix de soliste aux Trophées du Sunside · 2004 : sélectionné parmi les dix solistes finalistes de la World Saxo-phone Competition de Londres · 2004 : 1er prix de composition, 2e prix d’orchestre et 2e et 3e prix de solistes au Festival international de Jazz de La Défense pour le « Sébastien Jarrousse Sextet », dont il est le leader et compositeur-arrangeur.

Sébastien Jarrousse, compositeur et saxophoniste

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LES INTERVENANTS

Administratrice de la compagnie Ultima Chamada, Claire intervient au niveau de la gestion quotidienne de la structure (suivi comptable, déclarations sociales et fiscales, communication…) et au niveau de ses créations, en amont (production, recherche de financements, montage de dossiers de subventions, négociation avec les partenai-res…) et en aval (diffusion, élaboration des contrats de vente des spectacles, des contrats de travail avec les intermittents…). Avant d’intégrer la compagnie, Claire a travaillé en tant que chargée de projets internationaux au sein d’une agence d’ingénierie culturel-le. Son goût pour la découverte d’horizons différents l’a ainsi conduit en Chine et aux États-Unis, pays dont elle a finement étudié les roua-ges en termes de politiques culturelles. Diplômée de Sciences Po Lyon (option politiques culturelles), elle est également titulaire d’un Master de Politique et Gestion de la Culture (spécialisé dans le spectacle vivant), obtenu à Sciences Po Stras-bourg. Dans ce contexte universitaire, elle a mené des recherches de politique comparée portant notamment sur le financement de la culture.

Claire Serre-Combe, administratrice

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ASSITANTE DE L’EQUIPE

Natalie Maroun-Taraud est née au Liban. Elle suit à Beyrouth des étu-des de lettres et de cinéma. Elle y travaille jusqu'à 2005 comme assis-tante à la réalisation pour diverses productions audiovisuelles avant de se consacrer à l'écriture de documentaires (Francofollies (2004), Vivre au camp (2005)). Elle y travaille aussi au sein de l'équipe du théâtre Monnot à la coordination des projets de co-production Fran-ce-Liban (avec le théâtre du Rond-Point) et Roumanie-Liban (Spectacle : La légende de Maître Manole). En 2005, elle s'installe à Paris pour y faire un doctorat en sciences de l'information et de la communication (Paris 8) consacré à l'écriture scénaristique des séries télévisuelles américaines. Elle soutient sa thèse en 2009 (publication prévue fin 2011 aux édi-tions du Cherche-Midi) et partage son temps entre l'enseignement supérieur (Université de Cergy Pontoise et Université Saint Joseph- Beyrouth), la recherche (au sein de l'équipe Fabula, Ecole Normale Supérieure- Ulm) et l'écriture audiovisuelle. En 2010 elle a écrit « Méditerranée: mer du dialogue » (réalisation Eric Cloué, co-production Bord Cadre Films/ Unesco) et a participé à la 5ème conférence Permanente de l'Audiovisuel Méditerranéen (Copéam) à Paris sous la présidence d'Emmanuel Hoog. Ses sujets de recherche portent sur les représentations identitaires dans les médias, notamment les minorités visibles dans les séries américaines et le mariage de l'écriture numérique et les formats et contenus télévisés. Elle a entamé l'écriture d'une série télévisée produite par France Té-lévisions et est sur le point d'achever son premier roman sur le milieu carcéral où elle intervient comme bénévole et anime des ateliers de nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Natalie Maroun-Taraud , assistante à la mise en scène

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BIBLIOGRAPHIE

- Tahar Djaout, Les Vigiles, Editions Points Seuil.

Les chercheurs d’os, Editions Points Seuil.

-Naguib Mahfouz, Le jour de l’assassinat du leader, Edition 10-18.

Le palais du désir, Edition Le livre de poche.

Son Excellence, Edition Babel.

-Yasmina Khadra, L’Attentat, Editions Pocket.

Les agneaux du seigneur, Editions Pocket.

L’olympe des infortunes, Editions Pocket.

Ce que le monde doit à la nuit, Editions Pocket.

Cousine K, Editions Pocket.

- Fouad Laroui, Les dents du topographe, Edition J’ai lu.

- Amin Maalouf, Samarcande, Edition Le Livre de Poche.

Les identités meurtrières, Edition Le livre de poche.

- Rafik Schami, Une poignée d’étoiles, Edition Médium.

- Wassyla Tamzali, Une éducation algérienne, Edition Témoins Gallimard.

- Hubert Haddad, Palestine, Edition Le livre de poche.

- Abdelkader Djemaï, Mémoires de nègre, Editions Points Seuil.

- Jabrâ Ibrâhîm Jabrâ, La Quarantième Pièce, Editions Langues et Mondes.

- Waciny Laredj, Le livre de l’émir, Edition Babel.

- Anouar Benmalek, Les amants désunis, Edition Le Livre de poche.

- Charif Majdalani, Histoire de la grande maison, Editions Points Seuil.

- Mustapha Benfodil, Clandestinopolis, L’Avant-scène théâtre.

- Rachid Boudjedra, La vie à l’endroit, Editions Le livre de poche.

- Sélim Nassib, Clandestin, Edition Balland.

- Amin Zaoui, La soumission, Editions Le Serpent à Plumes.

Sommeil du mimosa, Editions Le Serpent à Plumes.

Haras de femmes, Editions Le Serpent à Plumes.

- Farjallah Haïk , L’envers de Caïn, Editions Bibliothèque Cosmopolite.

- Saâdi, Le jardin des roses, Edition d’art H.Plazza.

- Gemma Saleh, Mes amis et autres ennemis, Editions Le Serpent à Plumes.

- Kateb Yacine, Nedjma, Edition Points Seuil.

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« Je ne souffre pas d'être retenu pri-sonnier, je ne redoute pas la mort pro-chaine. Ma seule cause de désolation est de constater que je n'ai pas vu fleu-rir les graines que j'ai semées. La tyran-nie continue d'écraser les peuples d'Orient, et l'obscurantisme d'étouffer leur cri de liberté. Peut-être aurais-je mieux réussi si j'avais planté mes grai-nes dans la terre fertile du peuple au lieu des terres arides des cours roya-les. »

Extrait de « Samarcande » de Amin Maalouf

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LA COMPAGNIE ULTIMA CHAMADA

AXES DE CRÉATION

Créée en 2005, la compagnie Ultima Chamada, dirigée par Luc

Clémentin, développe ses créations autour de deux axes : les

problématiques politiques et sociales contemporaines

(« Fauves », « L’Etourdissement », « Le Cinquième »), et l’asso-

ciation du texte et de la musique (« Inconnu à cette adresse »,

« A Love Supreme », « RUS3IES »).

La compagnie développe ses relations avec l’é-

tranger par des spectacles en tournée et des

ateliers de formations (Congo RDC, Algérie).

Luc Clémentin fonde « La Cinquième saison », avec le comédien

François Lequesne, qu’il rencontre sur la création de « Pour un oui ou pour un non » de Nathalie Sarraute. Ce texte,

mis en scène par Elisabeth Chailloux, sera jouée au Théâtre des Quartiers d'Ivry puis en tournée aux Etats-Unis, au

Canada et en Hongrie. Avec le souhait de s’installer en région, Luc Clémentin organise, en 1995, « Le Banquet », festi-

val pluridisciplinaire (théâtre, musique, cinéma, arts plastiques) à Montbard, en Bourgogne. Cette manifestation ob-

tient le soutien de la ville de Montbard, de la Drac et du Conseil Régional de Bourgogne. A la suite des élections de

1995 et d’un changement de majorité dans la municipalité, la compagnie suspend son activité.

BREF RETOUR DANS LE TEMPS...

Avec la création de « Inconnu à cette adresse » de Kressmann Taylor en

français puis en anglais { l’Institut français d’Edimbourg dans le cadre du Festival d’Edimbourg,

Luc Clémentin fonde Ultima Chamada. Il relance son activité de chef de troupe aux responsabili-

tés multiples, au sein de cette compagnie, avec le soutien de la Région Ile-de-France dans le ca-

dre de la Permanence Artistique et Culturelle, et du Département de Paris.

UN NOUVEAU DÉPART...

EN QUELQUES CHIFFRES, 5 ANS D’ACTIVITES

DE LA COMPAGNIE (2005-2010)

- 217 représentations en France et à l’étranger.

- 9 pays visités en tournée : Irlande, Italie, Belgique, Luxembourg, Liban, Niger,

Guinée, Burkina Faso, Algérie.

- 4 créations : « A Love Supreme » (2006), « L’étourdissement » (2007), « Au moins on se sera bien amusés» (2008),

« RUS3IES » (2010).

- 1 résidence d’écriture et de création : « Fauves » (2009).

- 1 reprise : « Inconnu à cette adresse » (2008).

- 2 ateliers de formation à l’étranger (Congo RDC, Algérie).

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LA COMPAGNIE ULTIMA CHAMADA

CRÉATIONS

Créé en 2001 au Festival d'Edimbourg (en version anglaise) puis repris au Colibri au Festival d'Avignon en 2002 (en version française), Inconnu à cette adresse a été présenté plus de 100 fois en France et à l'étranger (Canada, Italie).

LE POINT / « Une émotion certaine »

LA CROIX / « La compagnie Ultima Chamada nous conduit au cœur du mal absolu avec une élégance glaçante »

LE PARISIEN / « Inconnu à cette adresse : une réussite »

Créé en 2006 au Tarmac de la Villette dans le cadre du Festival Jazz à La Villette, puis joué en France et à l'étranger (Irlande, Italie, Belgique, Luxembourg, Liban, Algérie, tournée CulturesFrance : Niger, Gui-née, Burkina Faso), A Love Supreme, in memoriam John Coltrane totalise à ce jour plus de 130 représen-tations.

LE MONDE 2 / « John Coltrane n’est pas mort (…), ils nous font entendre jusqu’à l’émotion quelques-unes des plus belles partitions de Coltrane »

LES ECHOS / « Un spectacle rare »

NOUVEL OBS / « Il faut se précipiter pour voir ce spectacle »

D’après une idée originale et une recherche textuelle du journaliste Jean-Luc Porquet dans une mise en scène de Luc Clémentin, Au moins, On se sera bien amusés rejoue l’échange ayant eu lieu entre Laurent Joffrin et Nicolas Sarkozy au sujet de la « monarchie élective ». Ce spectacle a été présenté dans le ca-dre du festival « 360 » { Mains d’Œuvres en 2008.

En 2007, la compagnie a présenté à Confluences / Maison des Arts Urbains, L’Etourdissement, adapté et mis en scène par Luc Clémentin, d’après le roman éponyme de Joël Egloff, prix du livre Inter 2005. S’inscrivant dans le cadre de la thématique pluridisciplinaire « ¡ Le travail c’est la santé !», cette pièce traite du monde des travailleurs précaires en retraçant le quotidien d’un employé dans un abattoir.

LA TERRASSE / « Luc Clémentin adapte avec une efficacité scénique redoutable le roman de Joël Egloff et signe un spectacle remarquable [...] Monde à l'agonie où le haut-le-cœur le dispute en intensité au fou rire. »

LIBERATION / « Une pièce métaphore sur les conditions de travail, sordide et poétique.. à voir ! »

LE MONDE / « Peut-on mettre en scène des déchets humains [...], le travail brutal, l'absence d'humour, la pollution et...faire rire ? Luc Clémentin s'est penché sur ce vaste programme en mettant en scène à Confluences, une adaptation du roman de Joël Egloff, L'étourdissement ».

Projet d’écriture et de création engagé depuis 2006, Fauves questionne les stratégies de l’industrie pharmaceutique et la problématique de l’accès aux médicaments pour tous. La première phase de ce projet a consisté { collecter des informations auprès d’un groupe d’experts composé d’ex-salariés de Sanofi Aventis, de journalistes, de responsables de l’OMS et de Médecins Sans Frontières. Fauves a fait l’objet d’une résidence d’écriture et de création d’un mois en 2009, soutenue par le Conseil Régional de Poitou-Charentes.

Crée à Fontainebleau et joué à la fois au théâtre et dans des domiciles, le triptyque RUS3IES propose trois auteurs, représentant, chacun, trois aspects de la culture russe du XXème siècle : le journalisme engagé, avec Anna Politkovskaïa ; le cinéma, avec le cinéaste Andreï Tarkovski et la littérature, avec Vassili Choukchine. RUS3IES a reçu le label CulturesFrance dans le cadre de l’année France-Russie.

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LA COMPAGNIE ULTIMA CHAMADA

PROJETS

La compagnie Ultima Chamada a reçu le soutien de l'Union Européenne, via le programme

Interreg Caraïbes IV, pour un ensemble de quatre créations.

Le « Collectif Suprême » est un collectif d’artistes créé le 8 Novembre 2009. Ce collectif, dont

la compagnie est l’un des membres fondateurs, animera La Fabric’ Suprême, lieu de travail qui

sera ponctuellement ouvert au public pour présenter les créations du collectif.

La compagnie Ultima Chamada présentera une lecture de « BUG » de Tracy Letts (traduction

Luc Clémentin), le 29 avril 2011 au Théâtre de Vanves, en vue de sa création pour la saison 2012-

2013.

Suite { un atelier Théâtre Jazz proposé au Centre Culturel Français d’Alger aux comédiens et

musiciens professionnels algérois en février 2011, la compagnie Ultima Chamada s’associera au

Théâtre National d’Alger pour une nouvelle création prévue en novembre 2011.

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PREMIERES PROPOSITIONS TEXTUELLES

« L’Attentat » de Yasmina Khadra Editions Pocket

Dans un restaurant de Tel-Aviv, une femme se fait exploser au milieu de dizaines de clients. A l'hôpital, le docteur Amine, chirurgien israélien d'origine arabe, opère à la chaîne les survivants de l'attentat. Dans la nuit qui suit le carnage, on le rappelle d'urgence pour examiner le corps déchiqueté de la kamikaze. Le sol se dérobe alors sous ses pieds : il s'agit de sa propre femme. Com-ment admettre l'impossible, comprendre l'inimaginable, découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une personne dont on ignorait l'essentiel ? Pour savoir, il faut entrer dans la haine, le sang et le combat désespéré du peuple palesti-nien...

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PREMIERES PROPOSITIONS TEXTUELLES

Monologue pour un comédien tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 7 à 11) Je ne me souviens pas d'avoir entendu de déflagration. Un sifflement petit-être, comme le crissement d'un tissu que l'on déchire, mais je n'en suis pas sûr. Mon attention était détournée par cette sorte de divinité autour de laquelle essaimait une meute d'ouailles alors que sa garde prétorienne tentait de lui frayer un passage jusqu'à son véhicule. « Laissez passer, s'il vous plaît. S'il vous plaît, écartez-vous. » Les fidèles se donnaient du coude pour voir le cheikh de plus près, effleurer un pan de son kamis. Le vieillard révéré se retournait de temps à autre, saluant une connaissance ou remerciant un disciple. Son visage ascétique brillait d'un regard tranchant comme la lame d'un cimeterre. J'ai essayé de me dégager des corps en transe qui me broyaient, sans suc-cès. Le cheikh s'est engouffré dans son véhicule, a agité une main derrière la vitre blindée tandis que ses deux gardes du corps prenaient place à ses côtés... Puis plus rien. Quelque chose a zébré le ciel et fulguré au milieu de la chaussée, semblable à un éclair ; son onde de choc m'a atteint de plein fouet, disloquant l'at-troupement qui me retenait captif de sa frénésie. En une fraction de seconde, le ciel s'est effondré, et la rue, un moment engrossée de ferveur, s'est retrouvée sens dessus dessous. Le corps d'un homme, ou bien d'un gamin, a traversé mon vertige tel un flash obscur. Qu'est-ce que c'est ?... Une crue de poussière et de feu vient de me happer, me catapultant à travers mille projectiles. J'ai le vague sentiment de m'effilocher, de me dissou-dre dans le souffle de l'explosion... À quelques mètres – ou bien à des années-lumière le véhicule du cheikh flam-be. Des tentacules voraces l'engloutissent, répandant dans l'air une épouvantable odeur de crémation. Leur bour-donnement doit être terrifiant ; je ne le perçois pas. Une surdité foudroyante m'a ravi aux bruits de la ville. Je n'entends rien, ne ressens rien ; je ne fais que planer, planer. Je mets une éternité à planer avant de retomber par terre, groggy, démaillé, mais curieusement lucide, les yeux plus grands que l'horreur qui vient de s'abattre sur la rue. À l'instant où j'atteins le sol, tout se fige ; les torches par-dessus la voiture disloquée, les projectiles, la fumée, le chaos, les odeurs, le temps... Seule une voix céleste, surplombant le silence inson-dable de la mort, chante nous retournerons, un jour, dans notre quartier. Ce n'est pas exactement une voix ; ça ressemble à un friselis, à un filigrane... Ma tête rebondit quelque part... Maman, crie un enfant. Son appel est faible, mais net, pur. Il vient de très loin, d'un ailleurs rasséréné... Les flammes dévorant le véhicule refusent de bouger, les projectiles de tomber... Ma main se cherche au milieu du cailloutis ; je crois que je suis tou-ché. J'essaie de remuer mes jambes, de relever le cou ; aucun muscle n'obéit... Maman, crie l'enfant... Je suis là, Amine... Et elle est là, maman, émergeant d'un rideau de fumée. Elle avance au milieu des éboulis sus-pendus, des gestes pétrifiés, des bouches ouvertes sur l'abîme. Un moment, avec son voile lactescent et son re-gard martyrisé, je la prends pour la Vierge. Ma mère a toujours été ainsi, rayonnante et triste à la fois, tel un cierge. Lorsqu'elle posait sa main sur mon front brûlant, elle en résorbait toute la fièvre et tous les soucis... Et elle est là ; sa magie n'a pas pris une ride. Un frisson me traverse des pieds à la tête, libérant l'univers, enclen-chant les délires. Les flammes reprennent leur branle macabre, les éclats leurs trajectoires, la panique ses débor-dements... Un homme haillonneux, la figure et les bras noircis, tente de s'approcher de la voiture en feu. Il est gra-vement atteint pourtant, mû par on ne sait quel entêtement, il cherche coûte que coûte à porter secours au cheikh. Chaque fois qu'il pose la main sur la portière, une giclée de flammes le repousse. A l'intérieur du vé-hicule, les corps piégés brûlent. Deux spectres ensanglantés progressent de l'autre côté, essaient de forcer la portière arrière. Je les vois hurler des ordres ou de douleur, mais ne les entends pas. Près de moi, un vieillard défiguré me fixe d'un air hébété ; il ne semble pas se rendre compte que ses tripes sont à l'air, que son sang cascade vers la fondrière. Un blessé rampe sur les gravats, une énorme tache fumante sur le dos. Il pas-se juste à côté de moi, gémissant et affolé, et va rendre l'âme un peu plus loin, les yeux grands ouverts, com-me s'il n'arrivait pas à admettre que ça puisse lui arriver, à lui. Les deux spectres finissent par casser le pa-re-brise, se jettent à l'intérieur de la cabine. D'autres survivants arrivent à la rescousse. À mains nues, ils décortiquent le véhicule en feu, brisent les vitres, s'acharnent sur les portières et parviennent à extraire le

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PREMIERES PROPOSITIONS TEXTUELLES

corps du cheikh. Une dizaine de bras le transportent, l'éloignent du brasier avant de l'étaler sur le trottoir tandis qu'une nuée de mains s'escriment à éteindre ses vêtements. Une foultitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Mon pantalon a presque disparu ; seuls quelques pans calcinés continuent de me draper par endroits. Ma jambe repose contre mon flanc, grotesque et horrible à la fois ; un mince cordon de chair la re-tient encore à ma cuisse. D'un seul coup, toutes mes forces me désertent. J'ai le sentiment que mes fi-bres se dissocient les unes des autres, se décomposent déjà... Les ululements d'une ambulance m'atteignent en-fin ; petit à petit, les bruits de la rue reprennent leur cours, déferlent sur moi, m'abasourdissent. Quelqu'un se penche sur mon corps, l'ausculte sommairement et s'éloigne. Je le vois s'accroupir devant un amas de chair carbonisée, lui tâter le pouls puis faire signe à des brancardiers. Un autre homme vient prendre mon poignet avant de le laisser tomber... « Celui-là est fichu. On ne peut rien pour lui... » J'ai envie de le retenir, de l'obliger à revoir sa copie ; mon bras se mutine, me renie. Maman, reprend l'enfant... Je cherche ma mère dans le chaos... Ne vois que des vergers qui s'étendent à perte de vue... les vergers de grand -père... du patriarche... un pays d'orangers où c'était tous les jours l'été... et un garçon qui rêve au haut d'une crête. Le ciel est d'un bleu limpide. Les orangers n'en finissent pas de se donner la main. L'enfant a douze ans et un cœur en porcelaine. [ cet âge de tous les coups de foudre, simplement parce que sa confiance est aussi grande que ses joies, il voudrait croquer la lune comme un fruit, persuadé qu'il n'a qu'à tendre la main pour cueillir le bonheur du monde entier... Et là, sous mes yeux, en dépit du drame qui vient d'enlaidir à jamais le sou-venir de cette journée, en dépit des corps agonisant sur la chaussée et des flammes finissant d'ensevelir le véhicule du cheikh, le garçon bondit et, les bras déployés telles des ailes d'épervier, s'élance à travers champs où chaque arbre est une féerie... Des larmes me ravinent les joues... « Celui qui t'a dit qu'un homme ne doit pas pleurer ignore ce qu'homme veut dire », m'avoua mon père en me surprenant effondré dans la chambre mortuaire du patriarche. « Il n'y a pas de honte à pleurer, mon grand. Les larmes sont ce que nous avons de plus noble. » Comme je refusais de lâcher la main de grand-père, il s'était accroupi devant moi et m'avait pris dans ses bras. « Ça ne sert à rien de rester ici. Les morts sont morts et finis, quelque part ils ont purgé leurs peines. Quant aux vivants, ce ne sont que des fantômes en avance sur leur heure... » Deux brancardiers me soulèvent et m'entassent sur une civière. Une ambulance arrive en marche arrière, les portières grandes ou-vertes. Des bras m'attirent à l'intérieur de la cabine, me jettent presque au milieu d'autres cadavres. Dans un der-nier soubresaut, je m'entends sangloter... « Dieu, si c'est un affreux cauchemar, faites que je me réveille, et tout de suite... »

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Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 31 à 33) Personnages : AMINE/ NAVEED AMINE : Bon, je monte tout de suite me changer. NAVEED : Ce n’est pas la peine. A : Le patient a succombé ? N : Il n'y a pas de patient, Amine. A : Dans ce cas, pourquoi m'as-tu tiré de mon lit à une heure pareille s'il n'y a personne à opérer ? Va-t-on m'expliquer ce qui se passe, à la fin ? N : Est-ce que Sihem est à la maison ? A : Pourquoi ? N : Est-ce qu'elle est à la maison, Amine ? A : Elle n'est pas encore rentrée de chez sa grand -mère. Elle est partie, il y a trois jours, à Kafr Karma, près de Nazareth, rendre visite à sa famille... Où veux-tu en venir ? Qu'est-ce que tu es en train de me dire, là ? Qu'est-ce qu'il y a, bon sang ? Tu es en train de me préparer au pire ou quoi ? L'autocar, qui transport ait Si-hem, a eu un problème en route? Il s'est renversé, n'est-ce pas ? C'est ce que tu es en train de me dire. N : Il ne s'agit pas d'autocar, Amine. A : Alors quoi ? N : Nous avons un cadavre sur les bras et il nous faut mettre un nom dessus. Je crois qu'il s'agit de ta femme, Amine, mais nous avons besoin de toi pour en être sûrs.

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Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 40 à 46) Personnages : CAPITAINE MOSHE / AMINE CAPITAINE MOSHE : On peut causer un peu, en tête à tête, vous et moi ? Asseyez-vous, je vous prie. J’espère que ça ne vous dérange pas si je fume ? Elle vous en bouche un coin, pas vrai ? AMINE : Pardon ? M : Excusez-moi, je pense que vous êtes encore sous le choc. Comment peut-on renoncer à un luxe pareil ? A : Pardon ? M : Je pense { haute voix… J’essaie de comprendre, mais il y a des choses que je ne comprendrai jamais. C’est tellement absurde, tellement stupide… A votre avis, y avait-il une chance de la dissuader ?... Vous étiez sûrement au courant de son petit manège, non ? A : Qu’êtes-vous en train de me dire ? M : Je suis pourtant clair… Ne me regardez pas comme ça. Vous n’allez pas me faire croire que vous n’étiez au courant de rien ? A : De quoi me parlez-vous ? M : De votre épouse, docteur, de ce qu’elle vient de commettre. A : Ce n’est pas elle. Ca ne peut pas être elle. M : Et pourquoi pas elle ? Etes-vous pratiquant docteur ? A : Non. M : Et votre épouse ? A : Non. M : Non ? A : Elle ne faisait pas sa prière, si c’est ce que vous entendez par pratiquer. M : Curieux… Elle ne faisait pas sa prière ? A : Non. M : N'observait pas le ramadan ? A : S i .

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M : Ah !... Elle avait de la sympathie pour les brigades d’al-Aqsa, pas vrai ? Non, pas les brigades d’al-Aqsa. On ra-conte qu’elles ne privilégient pas les attentats suicides. Pour moi, tous ces fumiers se valent. Qu’ils soient du Jihad islamique ou du Hamas, ce sont les mêmes bandes de dégénérés prêtes { tout pour faire parler d’elles. A : Ma femme n’a rien { vois avec ces gens. Il s’agit d’un horrible malentendu. M : C’est étrange docteur. C’est exactement ce que disent les proches de ces fêlés lorsqu’on va les voir après l’at-tentat. Ils affichent tous le même air hébété que vous avez sur la figure, absolument dépassés par les événe-ments. Est-ce une consigne générale pour gagner du temps ou est-ce une manière culottée de se payer la tête des gens ? A : Vous faites fausse route, capitaine. M : Comment elle était hier matin quand vous l’avez quittée pour vous rendre au boulot ? A : Ma femme est partie à Kafr Kanna, chez sa grand-mère, il y a trois jours. M : Donc, vous ne l’avez pas vue ces trois derniers jours ? A : Non. M : Mais vous lui avez parlé au téléphone. A : Non. Elle avait oublié son mobile { la maison et il n’y a pas de téléphone chez sa grand-mère. M : Elle a un nom sa grand-mère ? A ; Hanane Sheddad. M : Vous l’avez accompagnée { Kafr Kanna ? A : Non, elle est partie seule. Je l’ai déposée mercredi matin { la gare routière. Elle a pris l’autocar pour Nazareth de 8h15. M : Vous l’avez vu partir ? A : Oui. J’ai quitté la gare routière en même temps que l’autocar. M : Revenons un peu à votre épouse, docteur Jaafari. A : Vous faites fausse route, capitaine. Ma femme n'a rien à voir avec ce que vous lui reprochez. Elle s'est retrouvée dans ce restaurant exactement comme les autres. Sihem n'aime pas cuisiner lorsqu'elle rentre de voyage. Elle est allée manger tranquillement un morceau... C'est aussi simple que ça. Ça fait quinze ans que je partage sa vie et ses secrets. J'ai appris à la connaître, et si elle m'avait caché des choses, j'aurais fini par met-tre le doigt dessus. M : J'ai été marié à une superbe femme, moi aussi, docteur Jaafari. Elle était toute ma fierté. Il m'a fallu sept ans pour apprendre qu'elle me cachait l'essentiel de ce qu'un homme doit connaître sur la fidélité.

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A : Ma femme n'avait aucune raison de me tromper. M : Docteur Jaafari, un homme aguerri n'est jamais tout à fait sorti de l'auberge. La vie est une perpétuelle vache-rie, un long tunnel miné de trappes et de crottes de chiens. Que l'on se relève d'un bond ou que l'on reste à terre n'y change pas grand-chose. Il n'y a qu'une seule possibi l ité pour al ler au bout des épreu-ves : se préparer tous les jours et toutes les nuits à s'attendre au pire... Votre femme ne s'était pas rendue dans ce restaurant pour casser la croûte, mais pour casser la baraque... A : Ça suffit… Il y a une heure, j'apprends que ma femme est morte dans un restaurant ciblé par un attentat terroriste. Tout de suite après on m'annonce que la kamikaze, c'est elle. C'est beaucoup trop pour un hom-me fatigué. Laissez-moi pleurer d'abord, ensuite achevez-moi, mais, de grâce, ne m'imposez pas l'émoi et l'effroi en même temps. M : Restez assis, docteur Jaafari, s'il vous plaît. A : Ne me touchez pas. Je vous interdis de poser vos mains sur moi. M : Monsieur Jaafari... A : Ma femme n'a rien à voir avec cette tuerie. Il s'agit d'un attentat suicide, bon sang ! pas d'une altercation de ménagère. Il s'agit de ma femme. Qui est morte. Tuée dans ce restaurant maudit. Comme les autres. Avec les autres. Je vous interdis de salir sa mémoire. C'était une femme bien. Très bien même. Aux antipodes de ce que vous sous-entendez. M : Un témoin... A : Quel témoin ? Il se rappelle quoi au juste. La bombe que ma femme transportait ou bien son faciès ? Ça fait plus de quinze ans que je partage ma vie avec Sihem. Je la connais sur le bout de mes doigts. Je sais ce dont elle est capable et ce dont elle ne l'est pas. Elle avait les mains trop blanches pour que la moindre tache sur elles m'échappe. Ce n'est pas parce qu'elle est la plus atteinte qu'elle est suspecte. Si c'est ça, votre hypothèse, il doit y en avoir d'autres. Ma femme est la plus atteinte parce qu'elle était la plus exposée. L'engin explosif n'était pas sur elle, mais près d'elle, probablement dissimulé sous son siège, ou sous la table qu'elle occupait... À ma connaissance, aucun rapport officiel ne vous autorise à avancer des choses aussi graves. Par ailleurs, les premiers éléments d'enquête n'ont pas forcément le dernier mot. Attendons les communiqués des com-manditaires. Faut bien que l'attentat soit revendiqué. Il y aura peut-être des cassettes vidéo à la clef, à votre attention et à l'attention des rédactions. Si kamikaze il y a, on le verra et on l'entendra. M : Ce n'est pas systématique, chez ces tarés. Parfois, ils se contentent d'un fax ou d'un appel téléphonique. A : Pas quand il s'agit de frapper les esprits. Et une femme kamikaze fait un tabac dans ce sens. Surtout si elle est naturalisée israélienne et mariée à un éminent chirurgien qui a souvent fait la fierté de sa ville et qui incarne la plus réussie des intégrations... Je ne veux plus vous entendre débiter de vos saloperies sur ma femme, mon-sieur l'officier. Ma femme est victime de l'attentat, elle n'est pas celle qui l'a commis. Il va vous falloir lever le pied, et tout de suite. M : Asseyez-vous !

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Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 50 à 54) Personnages : CAPITAINE MOSHE / AMINE CAPITAINE MOSHE : Le chauffeur de l'autocar a formellement identifié votre épouse, docteur. Il l'a tout de suite reconnue sur la photo. Il a dit qu'effectivement elle était montée à bord de son bus en partance pour Nazareth, le mercredi à 8 h 15. Mais qu'au sortir de Tel-Aviv, à moins de vingt kilomètres de la gare routière, elle avait demandé à descendre, prétextant une urgence. Le conducteur a été contraint de s'arrêter sur le bas-côté. Avant de repartir, il a vu votre épouse monter dans une voiture qui suivait derrière. C'est ce détail qui l'a interpellé. Il n'a pas relevé le numéro d'immatriculation de la voiture, mais il dit qu'il s'agit d'une Mercedes ancien modèle, de couleur crè-me... Cette description ne vous dit rien, docteur ? AMINE : Que voulez-vous que ça me dise ? J'ai une Ford récente, et elle est blanche. Ma femme n'avait aucune raison de descendre de l'autocar. Votre conducteur raconte n'importe quoi. M : Dans ce cas, il n'est pas le seul. Nous avons envoyé quelqu'un à Kafr Karma. Hanane Sheddad dit qu'elle n'a pas vu sa petite-fille depuis plus de neuf mois. A : C’est une personne âgée… M : Son neveu, qui vit avec elle dans la ferme, le confirme aussi. Alors, docteur Jaafari, si votre épouse n'a pas re-mis les pieds à Kafr Kanna depuis plus de neuf mois, où était-elle passée ces trois derniers jours ? Tout porte à croi-re que votre épouse n'a pas quitté Tel-Aviv le mercredi ni les jours d'après. A : Ça ne fait pas d'elle une criminelle pour autant. M : Vos rapports conjugaux étaient... A : Ma femme n'avait pas d'amant. M : Elle n'était pas obligée de vous le signaler. A : Nous n'avions pas de secrets l'un pour l'autre. M : Le vrai secret ne se partage pas. A : Il y a sûrement une explication, capitaine. Mais pas dans le sens que vous lui donnez. M : Soyez raisonnable une seconde, docteur. Si votre femme vous a menti, si elle vous a fait croire qu'elle se ren-dait à Nazareth pour retourner à Tel-Aviv dès que vous avez eu le dos tourné, c'est qu'elle ne jouait pas franc jeu avec vous. A : C'est vous qui ne jouez pas franc-jeu, capitaine. Vous prêchez le faux pour savoir le vrai. Mais votre coup de bluff ne prend pas. Vous pouvez me garder éveillé tous les jours et toutes les nuits, vous ne me ferez pas dire ce que vous voulez entendre. Il va falloir vous payer une autre tête pour lui faire porter le chapeau. M : Vous n'allez pas me faire avaler de force que vous n'aviez rien remarqué de curieux dans le comportement de

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A : Ma femme n'est pas une islamiste. Combien de fois faut-il vous le répéter ? Vous faites fausse route. Laissez-moi rentrer chez moi. Je n'ai pas dormi depuis deux jours. M : Moi non plus, et je n'ai pas l'intention de fermer l'œil avant de tirer cette affaire au clair. La police scientifique est catégorique : votre épouse a été tuée par la charge explosive qu'elle portait sur elle. Un témoin, qui était atta-blé à l'extérieur du restaurant et qui n'a été que légèrement blessé, certifie avoir vu une femme enceinte près du banquet qu'avaient organisé des écoliers pour fêter l'anniversaire de leur petite camarade. Cette femme, il l'a re-connue sur la photo, sans hésitation. Et c'est votre épouse. Or vous avez déclaré qu'elle n'était pas enceinte. Vos voisins non plus ne se souviennent pas de l'avoir vue enceinte une seule fois depuis que vous vous êtes installés dans le quartier. L'autopsie aussi est catégorique là-dessus : pas de grossesse. Alors qu'est-ce qui gonflait le ven-tre de votre épouse ? Qu'est-ce qu'il y avait sous sa robe, si ce n'est cette maudite charge qui a bousillé la vie à dix-sept personnes, à des gosses qui ne demandaient qu'à gambader ? A : Attendez la cassette... M : Il n'y aura pas de cassette. Personnellement, je m'en contrefiche, des cassettes. Ça ne me pose pas problème. Ce qui me pose problème est ailleurs. Et ça me rend malade. C'est pourquoi il faut impérativement que je sache comment une femme appréciée par son entourage, belle et intelligente, moderne, bien intégrée, choyée par son mari et adulée par ses amies en majorité juives, a pu, du jour au lendemain, se bourrer d'explosifs et se rendre dans un lieu public remettre en question tout ce que l'État d'Israël a confié aux Arabes qu'il a accueillis en son sein. Vous rendez-vous compte de la gravité de la situation, docteur Jaafari ? On s'attendait à des félonies, mais pas de cette nature. J'ai tout remué autour de votre couple : vos relations, vos habitudes, vos péchés mignons. Résultat : je suis bluffé sur toute la ligne. Moi qui suis juif et officier des services israéliens, je ne bénéficie pas du tiers des égards qui vous sont rendus tous les jours par cette ville. Et ça me chamboule comme c'est pas possible. A : N'essayez pas d'abuser de mon état physique et moral, capitaine. Ma femme est innocente. Elle n'a absolu-ment rien à voir avec les intégristes. Elle n'en a jamais rencontré, elle n'en a jamais parlé, elle n'en a jamais rêvé. Ma femme est allée dans ce restaurant pour déjeuner. Déjeuner. Ni plus ni moins... Laissez-moi tranquille, mainte-nant. Je suis crevé. M : Vous êtes libre, docteur. Vous pouvez rentrer chez vous et reprendre une vie normale si toutefois…

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Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 55 à 56) Personnages : AMINE / NAVEED NAVEED : Ils t'ont cogné ? AMINE : J'ai glissé. C’est la vérité. N : Je te dépose chez toi ? A : Je ne sais pas. N : Tu es dans un état lamentable. Il te faut prendre une douche, te changer et manger un morceau. A : Est-ce que les intégristes ont envoyé la cassette ? N : Quelle cassette ? A : Celle de l'attentat. Est-ce qu'on sait finalement qui est le kamikaze ? N : Amine… A : Si on m'a relâché, c'est qu'on a la certitude que ma femme n'y est pour rien. N : Il faut que je te dépose chez toi, Amine. Tu as besoin de prendre des forces. C'est ce qui compte dans l'immé-diat. A : Si on m'a relâché, Naveed, vas-y... si on m'a relâché, c'est qu'on a... Qu'est-ce qu'on a découvert, Naveed ? N : Que toi, tu n'y es pour rien, Amine. A : Seulement moi ?... N : Seulement toi. A : Et Sihem ?... N : Tu dois payer la knass pour récupérer son corps. C’est le règlement. A : Une amende ? Et depuis quand ce règlement est-il en vigueur ? N : Depuis que les kamikazes intégristes… A : Sihem n’est pas une kamikaze, Naveed. Tâche de t’en souvenir. Car j’y tiens plus que tout au monde. Ma fem-me n’est pas une tueuse d’enfants… Me suis-je bien fait comprendre ?

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Scène pour une comédienne et deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Kha-dra / Editions Pocket (Pages 88 à 96) Personnages : KIM / NAVEED / AMINE AMINE : Il me file ou quoi ? KIM : Ne dis pas de sottises. Il m'a appelée sur mon mobile pour prendre de tes nouvelles, et c'est moi qui l'ai invi-té à nous rejoindre ici. Ne laisse pas le chagrin fausser tes bonnes manières, Amine. A : De quoi tu parles ? K : Ça ne sert à rien d'être désagréable. N : Je faisais du footing dans le coin. A : Ce n'est pas interdit. N : Bon, si je dérange… A : Pourquoi tu dis une chose pareille ? N : C’est { moi que tu poses la question, Amine ? C’est moi qui t’évites ou toi qui rebrousses chemin dès que tu me flaires dans les parages ? Qu'est-ce qui ne va pas ? J'ai fauté vis-à-vis de toi sans m'en rendre compte, ou est-ce toi qui déconnes ? A : C'est pas ça du tout. Je suis content de te voir... N : C'est bizarre, ce n'est pas ce que je lis dans tes yeux. A : Pourtant, c'est la vérité. K : Et si on allait prendre un pot. C'est moi qui invite. Et c'est toi qui choisis l'endroit, Naveed. N : Depuis quand tu fumes ? A : Depuis que mon rêve est parti en fumée. Comment va Margaret ? N : Elle va bien, merci. A : Et les enfants ? N : Tu les connais, des fois ils s'entendent, des fois ils se font la gueule. A : Tu comptes toujours marier Edeet à ce mécanicien ?

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N : C'est elle qui le veut. A : Tu penses que c'est un bon parti ? N : Dans ce genre d'affaire, on ne pense pas, on prie. A : Tu as raison. Le mariage a toujours été un jeu de hasard. Ça ne sert à rien de faire des calculs ou de prendre des précautions ; il obéit à sa propre logique. N : Et ton poignet ? A : Un vilain coup, mais rien de cassé. Où en sont tes recherches ? N : Je ne veux pas me disputer avec toi, Amine. A : Ce n'est pas, non plus, mon intention. C'est mon droit de savoir. N : Savoir quoi au juste ? Ce que tu refuses de regarder en face. A : Plus maintenant. Je sais que c'est elle. N : Tu sais que c'est elle quoi ? A : Que c'est elle qui s'est fait exploser dans ce restaurant. N : Et depuis quand, tiens ? A : C'est un interrogatoire, Naveed ? N : Pas forcément. A : Alors, contente-toi de me dire où en sont les recherches. N : Au point mort. On tourne en rond. A : Et la Mercedes ancien modèle ? N : Mon beau-père a la même. A : Avec tous les moyens dont vous disposez et vos réseaux d'indics, vous n'êtes pas arrivés à... N : Il ne s'agit pas de moyens ou d'indics, Amine. Il s'agit d'une femme au-dessus de tout soupçon, qui cachait tel-lement bien son jeu que le plus fin de nos limiers, quelle que soit la piste qu'il emprunte, débouche invariablement sur la même impasse. Mais ce qui est rassurant, dans ces histoires, c'est qu'il suffit d'un indice, un seul, pour que la machine se remette à carburer ferme... Tu penses en détenir un ? A : Je ne pense pas. N : Tu sais au moins qui c'est la kamikaze, et c'est déjà un progrès.

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A : Et moi ? N : Toi ? A : Oui, moi ? Est-ce que je suis blanchi ou je reste un suspect ? N : Tu ne serais pas là en train de siroter ton café si on avait quelque chose à te reprocher, Amine. A : Alors pourquoi m'a-t-on tabassé dans ma propre maison ? N : Ça n'a rien à voir avec la police. Il est des colères qui, comme le mariage, n'obéissent qu'à leur propre logique. Tu as le droit de porter plainte. Tu ne l'as pas fait. A : Dis-moi, Naveed, toi qui as vu tant de criminels, de repentis et toutes sortes d'énergumènes déjantés, com-ment peut-on, comme ça d'un coup, se bourrer d'explosifs et aller se faire sauter au milieu d'une fête ? N : C'est la question que je me pose toutes les nuits sans lui trouver un sens, encore moins une réponse. A : Tu en as rencontré, de ces gens ? N : Beaucoup. A : Alors, comment ils expliquent leur folie ? N : Ils ne l'expliquent pas, ils l'assument. A : Tu ne peux pas mesurer combien ça me travaille, ces histoires. Comment, bordel ! un être ordinaire, sain de corps et d'esprit, décide-t-il, au détour d'un fantasme ou d'une hallucination, de se croire investi d'une mission divine, de renoncer à ses rêves et à ses ambitions pour s'infliger une mort atroce au beau milieu de ce que la bar-barie a de pire ? N : Que te dire, Amine ? Je crois que même les terroristes les plus chevronnés ignorent vraiment ce qu'il leur arri-ve. Et ça peut arriver à n'importe qui. Un déclic quelque part dans le subconscient, et c'est parti. Les motivations n'ont pas la même consistance, mais généralement, ce sont des trucs qui s'attrapent comme ça. Ou ça te tombe sur la tête comme une tuile, ou ça s'ancre en toi tel un ver solitaire. Après, tu ne regardes plus le monde de la mê-me manière. Tu n'as qu'une idée fixe : soulever cette chose qui t'habite corps et âme pour voir ce qu'il y a en des-sous. À partir de là, tu ne peux plus faire marche arrière. D'ailleurs, ce n'est plus toi qui es aux commandes. Tu crois n'en faire qu'à ta tête, mais c'est pas vrai. T'es rien d'autre que l'instrument de tes propres frustrations. Pour toi, la vie, la mort, c'est du pareil au même. Quelque part, tu auras définitivement renoncé à tout ce qui pourrait donner une chance à ton retour sur terre. Tu planes. Tu es un extraterrestre. Tu vis dans les limbes, à traquer les houris et les licornes. Le monde d'ici, tu ne veux plus en entendre parler. Tu attends juste le moment de franchir le pas. La seule façon de rattraper ce que tu as perdu ou de rectifier ce que tu as raté - en deux mots, la seule façon de t'offrir une légende, c'est de finir en beauté : te transformer en feu d'artifice au beau milieu d'un bus scolaire ou en torpille lancée à tombeau ouvert contre un char ennemi. Boum ! Le grand écart avec, en prime, le statut de martyr. Le jour de la levée de ton corps devient alors, à tes yeux, le seul instant où l'on t'élève dans l'estime des autres. Le reste, le jour d'avant et le jour d'après, c'est plus ton problème ; pour toi, ça n'a jamais existé. A : Sihem était tellement heureuse. N : C'est ce que nous croyions tous. Apparemment, on s’est plantés.

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Scène pour une comédienne et un comédien tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 103 à 110) Personnages : AMINE / KIM AMINE : Il faut que j’aille { Bethléem. KIM : Tu plaisantes ? A : Ai-je l'air de plaisanter, Kim ? K : Bien sûr que tu plaisantes. Qu'est-ce que tu vas faire à Bethléem ? A : C'est de là-bas que Sihem a posté la lettre. K : Et alors ? A : Et alors, je veux savoir ce qu'elle y fabriquait pendant que je la croyais chez sa grand-mère à Kafr Kanna. K : Tu es en train de disjoncter, Amine. J'ignore ce qui te trotte dans la tête, mais là tu exagères. Tu n'as rien à foutre à Bethléem. A : J'ai une sœur de lait, l{-bas. C'est sûrement chez elle que Sihem s'était retirée pour accomplir sa mission in-sensée. Le cachet de la poste est daté du vendredi 27, c'est-à-dire un jour avant le drame. Je veux savoir qui a endoctriné ma femme, qui l'a bardée d'explosifs et envoyée au casse-pipe. Il n'est pas question, pour moi, de croiser les bras ou de tourner une page que je n'ai pas assimilée. K : Tu te rends compte de ce que tu dis ? Je te rappelle qu'il s'agit de terroristes. Ces gens-là ne font pas dans la dentelle. Tu es chirurgien, pas flic. Tu dois confier cette tâche à la police. Elle a les moyens appropriés et le per-sonnel qualifié pour mener ce genre d'enquête. Si tu veux savoir ce qu'il est arrivé à ta femme, va trouver Na-veed et parle-lui de la lettre. A : C'est une affaire personnelle... K : Foutaises ! Dix-sept personnes ont été tuées, et des dizaines d'autres blessées. Cette affaire n'a rien de per-sonnel. Il s'agit d'un attentat suicide, et son traitement relève exclusivement des services compétents de l'État. À mon avis, tu es en train de perdre le nord, Amine. Si tu veux vraiment te rendre utile, remets la lettre à Naveed. C'est peut-être le bout de piste que la police attend pour lancer sa machine. A : Il n'en est pas question. Je ne tiens pas à ce que quelqu'un d'autre se mêle de mes affaires. Je veux me rendre à Bethléem, et seul. Je n'ai besoin de personne. Je connais du monde, là-bas. Je finirai bien par provoquera des indiscrétions et forcer certains à cracher le morceau. K : Et après ? A : Après quoi ? K : Admettons que tu parviennes à faire cracher le morceau à certains, c'est quoi la suite du programme ? Leur

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tirer l'oreille ou leur demander des dommages et intérêts ? Ce n'est pas sérieux, voyons. Sihem avait sûrement un réseau derrière elle, toute une logistique et tout un parcours. On ne se fait pas exploser dans un lieu public sur un coup de tête. C'est l'aboutissement d'un long lavage de cerveau, d'une minutieuse préparation psycholo-gique et matérielle. D'énormes mesures de précautions sont prises avant de passer à l'acte. Les commanditaires ont besoin de protéger leur base, de brouiller les pistes. Ils n'élisent leur kamikaze qu'une fois absolument sûrs de sa détermination et de sa fiabilité. Maintenant, imagine-toi débarquer sur leurs plates-bandes et fouiner au-tour de leurs planques. Tu crois qu'ils vont attendre gentiment que tu remontes jusqu'à eux ? Ils te régleront ton compte si vite que tu n'auras même pas le temps de réaliser le caractère imbécile de ton initiative. Je te jure que j'ai la pétoche rien qu'à l'idée de t'imaginer rôdant autour de ce nid de vipères. Ce n'est pas une bonne idée, Amine. A : Peut-être, mais je ne pense qu'à ça depuis que j'ai lu la lettre. K : Je comprends, sauf que ce n'est pas pour toi, ce genre de chose. A : Ne te fatigue pas, Kim. Tu sais combien je suis têtu. K : Bon... Remettons le débat à ce soir. D'ici là, j'espère que tu vas recouvrer un peu de ta sobriété. (Un temps) On dirait que ça t'amuse de jouer avec mon taux de glycémie. A : Mets-toi à ma place, Kim. Il n'y a pas que le geste de Sihem. Il y a moi aussi. Si ma femme s'est donné la mort, c'est la preuve que je n'ai pas su lui faire préférer la vie. Je dois certainement avoir une part de responsabilité. C'est la vérité, Kim. Il n'y a pas de fumée sans feu. Elle a fauté, d'accord, mais lui faire porter le chapeau ne fera pas de l'ombre à ma conscience. K : Tu n'y es pour rien. A : Si. J'étais son mari. Mon devoir était de veiller sur elle, de la protéger. Elle a sûrement essayé d'attirer mon attention sur la lame de fond qui menaçait de l'emporter. Je mettrais ma main au feu qu'elle a essayé de me faire un signe. Où avais-je la tête, bon sang ! Pendant qu'elle tentait de s'en sortir ? K : Avait-elle tenté de s'en sortir vraiment ? A : Et comment ? On ne va pas à sa perte comme on va au bal. Inévitablement, au moment où l'on se prépare à franchir le pas, le doute s'installe en soi. Et c'est cet instant précis que je n'ai pas su déceler. Sihem a sûrement souhaité que je l'éveille à elle-même. Mais j'avais la tête ailleurs, et ça, je ne me le pardonnerai jamais. (Un temps) Ça ne m'amuse pas de t'angoisser. J'ai perdu le goût des plaisanteries. Depuis cette maudite lettre, je ne pense qu'à ce signe que je n'ai pas su décoder à temps et qui, aujourd'hui encore, refuse de me livrer ses secrets. Je veux le retrouver, tu comprends ? Il le faut. Je n'ai pas d'autre choix. Depuis cette lettre, je ne fais que remuer les souvenirs pour le retrouver. Que je dorme ou que je veille, je ne pense qu'à ça. J'ai passé en revue les mo-ments les plus forts, les mots les moins clairs, les gestes les plus vagues ; rien. Ce lit blanc me rend fou. Tu ne peux pas mesurer combien il me torture, Kim. Je n'en peux plus de lui courir après et de le subir en même temps... K : Elle n'avait peut-être pas besoin de t'adresser un signe. A : C'est impossible. Elle m'aimait. Elle ne pouvait pas m'ignorer au point de ne rien me communiquer. K : Ça ne dépendait pas d'elle. Elle n'était plus la même femme, Amine. Elle n'avait pas droit à l'erreur. Te mettre

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dans le secret aurait offensé les dieux et compromis son engagement. C'est exactement comme dans une secte. Rien ne doit filtrer. Le salut de la confrérie repose sur cet impératif. A : Oui, mais il était question de mort, Kim. Sihem devait mourir. Elle était consciente de ce que ça signifie pour elle, et pour moi. Elle était trop digne pour me fausser compagnie comme un faux-jeton. Elle m'a fait un signe, il n'y a aucun doute là-dessus. K : Aurait-il changé quelque chose ? A : Qui sait ? (Une temps) Je suis malheureux comme c'est pas possible. Mon père me disait garde tes peines pour toi, elles sont tout ce qu'il te reste lorsque tu as tout perdu... K : Amine, je t'en prie. A : Ce n'est pas évident, pour un homme encore sous le choc - et quel choc ! - de savoir exactement où finit le deuil et où commence son veuvage, mais il est des frontières qu'il faut outrepasser si l'on veut aller de l'avant. Où ? je l'ignore ; ce que je sais, c'est qu'il ne faut pas rester là à s'attendrir sur son sort. Je ferai très attention. Je n'ai pas l'intention de me venger ou de démanteler de réseau. Je veux juste comprendre comment la femme de ma vie m'a exclu de la sienne, comment celle que j'aimais comme un fou a été plus sensible au prêche des autres plutôt qu'à mes poèmes. (Un temps) Tu es quelqu'un de formidable, Kim. K : Je sais. A : Je n'ai pas besoin de te dire que sans toi je n'aurais pas tenu le coup. K : Pas ce soir, Amine… Peut-être un autre jour. A : Merci.

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Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 120 à 123) Personnages : AMINE / Yasser YASSER : Ça, alors ? Notre chirurgien, en chair et en os. Pourquoi tu ne nous as pas annoncé ta venue ? J'aurais envoyé quelqu'un t'accueillir à l'arrivée. Rentrons à la maison. Leila sera ravie de te revoir... À moins que tu l'aies vue avant. AMINE : Yasser, ne tournons pas autour du pot. Je n’ai pas le temps ni l’envie. Je suis venu dans un but précis. Je sais que Sihem était chez toi, { Bethléem, la vieille de l’attentat. Y : Qui te l’a dit ? A : Sihem me l’a dit ce jour-là. Y : Elle n’était pas restée longtemps. Juste un passage éclair pour nous saluer. Leila était chez notre fille, { En Ke-rem, elle n’a pas voulu prendre une tasse de thé et est partie un petit quart d’heure après. Elle n’était pas { Be-thléem pour nous. Ce vendredi-l{, cheikh Marwan était attendu { la Grande Mosquée. Ta femme voulait qu’il la bénisse. Ce n’est qu’après avoir trouvé sa photo sur le journal qu’on a compris. Nous sommes très fiers d’elle. A : Fiers de l’avoir envoyée { la casse ? Y : A la casse ?... A : Ou au charbon, si tu préfères… Y : Je n’aime pas ces formules. A : D’accord, je reformule ma question : Quelle fierté peut-on tirer lorsqu’on envoie des gens mourir pour que des autres vivent libres et heureux ? (Un temps) Et puis, pourquoi ? Y : Pourquoi quoi ? A : Pourquoi, pourquoi sacrifier les uns pour le bonheur des autres ? Ce sont généralement les meilleurs, les plus braves qui choisissent de faire don de leur vie pour le salut de ceux qui se terrent dans leur trou. Alors pourquoi privilégier le sacrifice des justes pour permettre aux moins justes de leur survivre ? Tu ne trouves pas que c'est détériorer l'espèce humaine ? Que va-t-il en rester, dans quelques générations, si ce sont toujours les meilleurs qui sont appelés à tirer leur révérence pour que les poltrons, les faux-jetons, les charlatans et les salopards conti-nuent de proliférer comme des rats ? Y : Amine, je ne te suis plus, là ? Les choses se sont toujours déroulées de la sorte depuis la nuit des temps. Les uns meurent pour le salut des autres. Tu ne crois pas au salut des autres ? A : Pas lorsqu'il condamne le mien. Or, vous avez foutu ma vie en l'air, détruit mon foyer, gâché ma carrière et ré-duit en poussière tout ce que j'ai bâti, pierre par pierre, à la sueur de mon front. Du jour au lendemain, mes rêves se sont effondrés comme des châteaux de cartes. Tout ce qui était à portée de ma main s'est évanoui. Pfuit ! que du vent... J'ai tout perdu pour rien. Avez-vous pensé à ma peine lorsque vous avez sauté de joie en apprenant que

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l'être que je chérissais le plus au monde s'était fait exploser dans un restaurant aussi bourré de gosses qu'elle de dynamite ? Et toi, tu veux me faire croire que je dois m'estimer le plus heureux des hommes parce que mon épou-se est une héroïne, qu'elle a fait don de sa vie, de son confort, de mon amour sans même me consulter ni me pré-parer au pire ? De quoi j'avais l'air, moi, alors que je refusais d'admettre ce que tout le monde savait ? D'un cocu ! J'avais l'air d'un misérable cocu. Je me couvrais de ridicule jusqu'au bout des ongles, voilà de quoi j'avais l'air. De quelqu'un que sa femme trompait de long en large pendant qu'il se défonçait comme une brute pour lui rendre la vie aussi agréable que possible. Y : Je crois que tu te trompes d'interlocuteur. Je n'ai rien à voir avec cette histoire. Je n'étais pas au courant des intentions de Sihem. J'étais à mille lieues de la croire capable d'une telle initiative. A : Tu m'as dit que tu étais fier d'elle ? Y : Que veux-tu que je te dise d'autre ? J'ignorais que tu n'étais pas au courant. A : Tu crois que je l'aurais encouragée à se donner en spectacle de cette façon si j'avais décelé la moindre lueur de ses intentions ? Y : Je suis vraiment confus, Amine. Pardonne-moi si j'ai... si j'ai... enfin, je ne comprends plus rien. Je... Je ne sais quoi dire. A : Dans ce cas, tais-toi. De cette façon au moins tu ne risques pas de dire des sottises.

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Scène pour une comédienne et un comédien tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 142 à 145) Personnages : KIM / AMINE KIM : Ca a été ? AMINE : Quoi ? K : Ta journée ? A : Ils ne s’attendaient pas { me voir débarquer. Maintenant qu'ils m'ont sur les bras, ils ne savent où donner de la tête. K : Tant que ça ?... Et c'est quoi au juste ta tactique ? A : Je n'en ai pas. Ne sachant par où commencer, je fonce dans le tas. K : Tu penses qu'ils vont se laisser faire ? A : Je n'en ai pas la moindre idée. K : Dans ce cas, où veux-tu en venir ? A : C'est à eux de me le dire, Kim. Je ne suis ni flic ni journaliste d'investigation. J'ai de la colère et elle me bouffe-rait cru si je croisais les bras. Pour être franc, je ne sais pas exactement ce que je veux. J'obéis à quelque chose qui est en moi et qui me pilote à sa guise. J'ignore où je vais et je n'en ai cure. Mais je t'assure que je me sens déjà mieux maintenant que j'ai donné un coup de pied dans la fourmilière. Il fallait les voir quand ils me retrouvaient en travers de leur chemin... Est-ce que tu vois ce que je veux dire? K : Pas vraiment, Amine. Ton manège n'augure rien de bon. À mon avis, tu te trompes sur la personne. C'est un psy qu'il te faut, pas un gourou. Ces gens-là n'ont pas de comptes à te rendre. A : Ils ont tué ma femme. K : Sihem s'est tuée, Amine. Elle savait ce qu'elle faisait. Elle avait choisi son destin. Ce n'est pas la même chose. Si tu ne sais pas ce que tu veux, pourquoi t'obstiner à foncer dans le tas ? Ce n'est pas la bonne direction. Admettons que ces gens-là daignent te rencontrer, que comptes-tu leur soutirer ? Ils te diraient que ta femme est morte pour la bonne cause et t'inviteraient à en faire autant. Ce sont des gens qui ont renoncé à ce monde, Amine. Rappelle-toi ce que te disait Naveed ; ce sont des martyrs en instance, ils attendent le feu vert pour partir en fumée. Je t'as-sure que tu fais fausse route. Retournons chez nous et laissons faire la police. A : J'ignore ce qu'il m'arrive. Je suis parfaitement lucide, mais j'éprouve un besoin terrible de n'en faire qu'à ma tête. J'ai le sentiment que je ne pourrai faire le deuil de ma femme qu'après avoir eu en face de moi le fumier qui lui a usurpé la tête. Il m'importe peu de savoir ce que j'aurai à lui dire ou à lui balancer à la figure. Je veux juste voir la gueule qu'il a, comprendre ce qu'il a de plus que moi... C'est difficile à expliquer, Kim. Il se passe tellement de

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choses dans mon esprit. Des fois, je m'en veux à mort. Des fois, Sihem m'apparaît pire que toutes les salopes ré-unies. Il faut que je sache qui, de nous deux, a fauté vis-à-vis de l'autre. K : Et tu penses trouver la réponse chez ces gens-là. A : Je n'en sais rien ! Je te demande pardon... Toute cette histoire me dépasse, c'est évident. Mais il faut me laisser faire ce que j'ai envie de faire. S'il m'arrive quelque chose, c'est peut-être ce que je cherche après tout. K : Je m'inquiète pour toi. A : Je n'en doute pas une seconde, Kim. J'ai honte parfois de me conduire de la sorte, pourtant je refuse de m'as-sagir. Et plus on essaie de me raisonner, et moins j'ai envie de me ressaisir... Est-ce que tu me comprends ? K : J'ai connu quelqu'un, il y a longtemps. C'était un garçon ordinaire, sauf qu'il m'a tapé dans l'œil dès que je l'ai vu. Il était gentil, et tendre. J'ignore comment il a fait, mais au bout d'un flirt il a réussi à être le centre de l'univers pour moi. J'avais le coup de foudre toutes les fois qu'il me souriait, si bien que lorsqu'il me faisait la gueule quel-quefois il me fallait allumer toutes les lampes en plein jour pour voir clair autour de moi. Je l'ai aimé comme c'est rarement possible. Par moments, au comble du bonheur, je me posais cette question terrible : et s'il me quittait ? Fout de suite, je voyais mon âme se séparer de mon corps. Sans lui, j'étais finie. Pourtant, un soir, sans préavis, il a jeté ses affaires dans une valise et il est sorti de ma vie. Des années durant, j'ai eu l'impression d'être une envelop-pe oubliée après une mue. Une enveloppe transparente suspendue dans le vide. Puis, d'autres années ont passé, et je me suis aperçue que j'étais encore là, que mon âme ne m'a jamais faussé compagnie, et d'un coup, j'ai recou-vré mes esprits... Ce que je veux dire est simple. On a beau s'attendre au pire, il nous surprendra toujours. Et si, par malheur, il nous arrive d'atteindre le fond, il dépendra de nous, et de nous seuls, d'y rester ou de remonter à la surface. Entre le chaud et le froid, il n'y a qu'un pas. Il s'agit de savoir où mettre les pieds. C'est très facile de déra-per. Une précipitation, et on pique du nez dans le fossé. Mais est-ce la fin du monde ? Je ne le pense pas. Pour re-prendre le dessus, il suffit juste de se faire une raison.

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Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 147 à150) Personnages : L’IMAM / AMINE L’IMAM : Ce n'est pas un moulin, ici. AMINE : Je suis désolé, mais c'est le seul moyen de vous approcher. I : Ce n'est pas une raison. A : J’ai besoin de m'entretenir avec vous. I : A quel sujet ? A : Je suis le docteur... I : Je sais qui vous êtes. C'est moi qui ai demandé que l'on vous tienne éloigné de la mosquée. Je ne vois pas ce que vous espérez trouver à Bethléem, et ne pense pas que votre présence chez nous soit une bonne idée. Vous n'êtes pas le bienvenu parmi nous, docteur Jaafari. Vous n'avez pas, non plus, le droit d'entrer dans ce sanctuaire sans ablutions et sans vous déchausser. Si vous perdez la tête, gardez au moins un semblant de correction. Ici, c'est un lieu de culte. Et nous savons que vous êtes un croyant récalcitrant, presque un renégat, que vous ne prati-quez pas la voie de vos ancêtres ni ne vous conformez à leurs principes, et que vous vous êtes désolidarisé depuis longtemps de leur Cause en optant pour une autre nationalité... Est-ce que je me trompe ? (Un temps) Par consé-quent, je ne vois pas de quoi nous pouvons discuter. A : De ma femme ! I : Elle est morte. A : Mais je n’ai pas encore fait son deuil. I : C’est votre problème, docteur. A : Je n'aime pas la manière dont vous me parlez. I : Il y a énormément de choses que vous n'aimez pas, docteur, et je ne pense pas que ça vous dispense de quoi que ce soit. J'ignore qui s'est chargé de votre éducation ; une certitude : vous n'avez pas été à la bonne école. D'un autre côté, rien ne vous autorise à prendre cet air outré ou à vous situer au-dessus du commun des mortels ; ni votre réussite sociale ni la bravoure de votre épouse qui, soit dit en passant, ne vous élève aucunement dans notre estime. Pour moi, vous n'êtes qu'un pauvre malheureux, un misérable orphelin sans foi et sans salut qui erre tel un somnambule en pleine lumière. Vous marcheriez sur l'eau que ça ne vous laverait pas de l'affront que vous incarnez. Car le bâtard, le vrai, n'est pas celui qui ne connaît pas son père, mais celui qui ne se connait pas de repè-res. De toutes les brebis galeuses, il est la plus à plaindre et la moins à pleurer. Maintenant, allez-vous-en. Vous portez le mauvais œil sur votre demeure. A : Je vous interdis…

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I : Dehors ! (Une temps) Encore une chose, docteur : entre s’intégrer et se désintégrer, la marge de manœuvre est si étroite que le moindre excès pourrait tout fausser. A : Espèce d’illuminé ! I : Eclairé. A : Vous vous croyez investi d’une mission divine. I : Tout brave est investi. Autrement, il ne serait que vaniteux, égoïste et injuste. A : Je ne quitterai pas Bethléem avant d'avoir rencontré un responsable de votre mouvement. I : Sortez de chez moi, s'il vous plaît.

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PREMIERES PROPOSITIONS TEXTUELLES Scène pour deux comédiens tirée de « L’Attentat » de Yasmina Khadra / Editions Pocket (Pages 189 à 193) Personnages : AMINE / NAVEED AMINE : Tiens, mon bon génie. Comment as-tu su que j’étais au trou ? Tu as tes gars à mes trousses ou quoi ? NAVEED : Rien de tout ça. Je suis soulagé de te voir sur pied. Je m’attendais au pire. A : Comme quoi, par exemple ? N : Un enlèvement ou bien un suicide. Je te cherche depuis des jours et des nuits. Dès que Kim m'a appris ta dispa-rition, j'ai communiqué ton signalement et ta filiation aux postes de police et aux services hospitaliers. Où étais-tu passé, bon sang ? A : Ca n’a pas d’importance… N : Où tu vas comme ça ? A : Me dégourdir les jambes. N : Il se fait tard. Tu ne veux pas que te je dépose chez toi ? A : Mon hôtel n'est pas loin... N : Comment ça, ton hôtel ? Tu ne retrouves plus le chemin de ta maison ? A : Je suis très bien { l’hôtel. N : Il est où, ton hôtel ? A : Je prendrai un taxi. N : Tu ne veux pas que je te raccompagne ? A : C'est pas la peine. Et puis, j'ai besoin d'être seul. N : Dois-je comprendre que... A : Y a rien à comprendre. J'ai besoin d'être seul, un point, c'est tout. C'est pourtant clair. N : Ce n'est pas bien ce que tu fais, Amine, je t'assure. Si tu voyais dans quel état tu t'es mis. A : Est-ce que je fais quelque chose de mal, hein ? Dis-moi où je suis en train de fauter ?... Tes collègues ont été in-fects, si tu veux savoir. Ce sont des racistes. C'est l'autre qui a commencé, mais c'est moi qui ai le faciès approprié. Ce n'est pas parce que je sors d'un commissariat que je suis répréhensible. J'en ai assez vu pour ce soir. Mainte-nant, je veux juste retourner dans mon hôtel. Je ne demande pas la lune, bordel ! Quel mal y a-t-il à vouloir être seul ?

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N : Il n’y en a pas. Sauf que tu peux te faire du mal en t'isolant. Il faut te reprendre, voyons. Tu es en train de dis-joncter. Et tu as tort de croire que tu es seul. Tu as encore des amis sur qui tu peux compter. A : Est-ce que je peux compter sur toi ? N : Bien sûr. A : Je veux passer de l’autre côté du miroir, de l’autre côté du Mur. N : En Palestine ? A : Oui. N : Je croyais que tu avais réglé ce problème. A : Je le croyais aussi. N : Et qu'est-ce qui t'a remis sur le gril ? A : Disons que c'est une question d'honneur. N : Le tien est intact, Amine. On ne se rend pas coupable du tort que l'on nous fait, mais seulement du tort que nous faisons. A : Dure à avaler, la pilule. N : Tu n'es pas obligé. A : C'est là que tu te trompes. N : Ce ne serait pas une bonne idée. A : Je n’en ai pas d’autres. N : Tu veux te rendre où exactement ? A : Janin. N : La ville est en état de siège. A : Moi aussi… Tu n’as pas répondu { ma question. Est-ce que je peux compter sur toit ? N : Je suppose que rien ne te ferait entendre raison. A : C’est quoi, la raison ?... Est-ce que je peux compter sur toi, oui ou non ? Est-ce que je peux compter sur toi ? N : Je ne vois pas comment. Tu vas sur un territoire miné où je n'exerce aucun pouvoir et où ma baraka n'a pas cours. J'ignore ce que tu cherches à prouver. Il n'y a rien pour toi, là-bas. Ca canarde de partout, et les balles per-dues causent plus de dégâts que les batailles rangées. Je te préviens, Bethléem est une station balnéaire par rap-

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port à Janin. A : Kim m’a promis de ne rien dire, et elle a toujours tenu parole. Si ce n’est pas elle qui a parlé, comment sais-tu que j’ai été { Bethléem ? N : Qu’aurais-tu fait à ma place ? La femme de mon meilleur ami est une kamikaze. Elle nous a tous pris de court, son mari, ses voisins, ses proches. Tu voulais savoir comment et pourquoi ? C’est ton droit. Mais c’est aussi mon devoir.

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« Les dents du topographe » de Fouad Laroui

Editions J’ai lu

Après des études à la Mission de Casablan-ca, le fils de Kader parle mieux le français que l'arabe. Et quand il regarde les bateaux partir pour l'Europe, il se prend à rêver d'embarquer. Il est vrai que certaines cou-tumes lui pèsent... Mais bientôt victime d'un malentendu, il est envoyé en tant qu'infirmier dans un village où l'on magouil-le autant qu'à la capitale. Ne trouvant tou-jours pas sa place dans cet univers trouble, il décide de quitter son pays pour Paris.

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les dents du topographe » de Fouad Laroui / Edi-tions J’ai lu. (Pages 112 à 119) Personnages : FOUAD / RAOUF. Un homme, RAOUF, hurle sur une place. Arrive FOUAD. RAOUF : Ça alors ! Ils t'ont laissé sortir? FOUAD : Qu'est-ce que tu as à hurler ici ? R : Où puis-je le faire ailleurs ? F : À Casablanca, on t'entendra mieux ! R : Casa ? Je ne pourrais même pas y soupirer, j'y suis fiché. Asslane veut ma peau. F : C'est fini, tout ça. R : Ce n'est jamais fini. Une fois fiché, c'est pour la vie. « Pour la vie, pour tout le temps qui vous demeure Plus n'importe qu'on vive ou meure... » Tu connais ? F : Non. Mais dis-moi pourquoi tu hurles sur la place publique. R : C'est-à-dire qu'avant je hurlais dans ma chambre de bonne, dans le XIVe. Mais un jour, des voisins ont appelé Police secours. Ils ont défoncé ma porte et m'ont embarqué en moins de jouge. J'ai échappé au cabanon, de jus-tesse. Mais depuis je me méfie. At home, je me tais. Dehors, je hurle, un peu partout : place de la Contrescarpe, palais de Chaillot, parvis de Notre-Dame. J'ai un faible pour la Contrescarpe : l'acoustique est extraordinaire, c'est un théâtre naturel. Une télé hollandaise a fait un reportage sur moi. La seule chose qu'ils n'arrivaient pas à admet-tre, c'est que mes hurlements ne veulent rien dire. Non, messieurs, ce n'est pas de l'arabe, ce n'est pas du berbè-re, ce n'est pas de l'hébreu. Vous voulez du texte? Allez voir Khaïr-Eddine, chez Lipp ! Il y a son rond ! Quelques verres de bordeaux et il vous hurlera Le Bateau ivre, à l'envers, à l'endroit ! J'ai même un disciple ! Un Japonais qui assistait à presque toutes mes séances. Un jour, je le retrouve devant l'église Saint-Eustache: il hurlait à pierre fen-dre... F : À pierre fendre ? R : Exactement ! En plus, il a introduit une variation : il module, le salaud ! Il brame ! Il y aurait des cerfs à Paris, il se serait fait encorner, sinon pis ! Tu comprends, moi, le hurlement, c'est linéaire, c'est droit, c'est honnête. C'est une note ! On n'est pas là pour plaire. Le Jap, lui, s'en va chatouiller l'octave. C'est baroque ! Il prostitue le hurlement. D'ailleurs, il y a toujours une blondasse d'Amérique ou d'ailleurs qui passe le chapeau, comme ils disent. J'y ai cra-ché dedans, leur chapeau, moi. F : Qu’est-ce t'as fait d'autre ?

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R : Rien. J'ai hésité. Puis je l'ai laissé braire. Paris est vaste, y a de la place pour tout le monde. Tant qu'il n'y va pas au mégaphone... De toute façon, et que cela reste entre nous, j'vais t'dire : le hurlement sur la place publique est condamné ! L'avenir, l'avenir est au ricanement ! Je m'y entraîne. Parfois, je ricane comme un bidon, mais y a du progrès. Regarde ! Il émet une sorte de couinement. Qu'est-ce t'en penses ? F: Parfait. Mais moins impressionnant qu'un hurlement, tout de même. R : Exact ! ça oblige le pékin à tendre l'oreille. Il fait un effort, il veut donc le rentabiliser. Alors il t'applaudit ! Il croit t'applaudir mais, en réalité, il applaudit l'effort qu'il a consenti pour t'entendre. Tiens, je travaille à un scéna-rio de film ; j’ai déj{ noté les deux premières scènes sur un petit carnet. Écoute! scène 1 : un homme se précipite dans la rue en hurlant. Agite-t-il les bras, s'arrache-t-il les cheveux? Absolument pas. Il se précipite, certes, mais tout en élégance, en sobriété. Il hurle, certes, mais sa voix est belle et harmonieuse. C'est un journaliste. Scène 2 : une femme se précipite par la fenêtre de son appartement, du dix-huitième étage. C'est une Casablancaise, mais ça ne se voit pas, on n'a pas le temps. Dans sa chute, elle reste très digne, à peine devine-t-on de l'inquiétude dans ses yeux. Hein ? Qu'en penses-tu ? Il sort une reproduction en couleurs, toute fripée, de sa poche. Tu connais ? L'Astronome, de Vermeer ! L'an dernier, j'avais décidé d'enlever David de Roth-schild pour l'extorquer à son père. F : Extorquer David de Rothschild à son père ? R : Non, idiot. Extorquer le tableau! Regarde ! C'est une merveille ! Y a pas de raison que seule une poignée de mil-liardaires puisse le regarder ! Pour cet astronome-là, j'ai passé des heures à épier les allées et venues des Roth-schild... Les beaux quartiers, j'en connais un rayon, maintenant ! Des heures sous la pluie, parfois, le vent, la grêle. Dans mon immeuble, j'ai fait la connaissance d'un Tchèque prêt à tout. Il était d'accord pour l'enlèvement, mais il voulait une rançon, pas un tableau ! J'ai laissé tomber. La copine du Tchèque, une Chilienne, m'a proposé de m'ai-der, mais elle voulait organiser une espèce de procès international, ameuter la presse de gauche, enfin, tu vois le tableau, si j'ose dire. J'en étais là de mes préparatifs quand un beau matin, qu'est-ce que je lis dans le journal ? L'Astronome est donné à l'État par les Rothschild, une vague histoire d'héritage, de droits de succession, que sais-je ! En tout cas, il sera dans un musée et tout le monde, toi, moi, pourra aller s'esbaudir devant la toile. F : Qu'est-ce que ça veut dire, s'esbaudir? R : Et voilà comment mon aventure a tourné court! Ni les Rothschild ni Vermeer n'en sauront rien. Or, considère que tous les jours des milliers, que dis-je, des milliards de plans s'échafaudent un peu partout, des expéditions se préparent qui ne mèneront à rien, des coups d'État se trament et se noient dans le whisky... F : Pas toujours ! R : ... et la vie continue, imperturbable, chaque instant au milieu de milliards d'autres possibilités qui ne se réalise-ront jamais, qui voguent sur l'axe des y alors que tu parcours l'axe des x. Il y a toujours au moins une possibilité qui porte en elle ta mort. À chaque instant, tout peut basculer ! C'est à hurler! Ça ne t'angoisse pas, toi ? F : Je n'y ai jamais pensé, à vrai dire. R : Eh bien, penses-y!

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F : Merci bien! Pour me retrouver à hurler sous la lune, en montrant mon cul au peuple ! R : Mais tu ne comprends rien, c'est un happening, c'est de l'art, mon cochon ! Ce que t'es réac! F : Pourquoi tu ne rentres pas ? R : Rentrer où ? F : Chez toi, dans ton pays. R : Quel pays ? Il sort des feuillets de sa poche qu’il donne à F. Pas de problème, j'en ai plusieurs copies. F (au public) : Puis il se leva et s'éloigna en sifflotant. Je n'ai jamais jeté son manifeste. Je le relis de temps en temps. Le voici : Ce texte, je le dédie à tous ceux qui sont morts dans des guerres imbéciles. Je ne dirai rien des vies gâchées, des jeunes hommes décapités avant d'avoir vingt ans ou de ceux qu'on a pendus pour s'être rebellés. Qu'on lise la chronique de toute débâcle. Qu'on dépouille les minutes des cours martiales. Qu'on interroge ceux qui sont revenus de l'enfer. Non, il n'y a pas lieu d'être pathétique. Mais simplement honnête. Reconnaissons que la haine est d'abord en nous. Que nous lui donnons des noms sanctifiés par notre perversité. Ici, la haine prendra le nom de nationalisme. Je ne voudrais pas rester à un niveau d'abstraction tel qu'on pourrait me faire dire autre chose que ce que je dis. Alors, très violemment et très calmement, je dis que sera ici examinée la phrase « Le Maroc est ton pays », phrase qui a le don de me plonger dans la stupéfaction chaque fois qu'une brute croit clore une discussion en me l'asse-nant. Quelques secondes durant, alors que les vibrations de la phrase « le Maroc est ton pays » flottent encore dans l'air, je jouis d'un sentiment assez comparable à celui qui doit s'emparer de l'individu auquel on annonce soudain qu'il a gagné à une loterie, car je crois lire dans cette phrase ce qui n'y est pas, à savoir : VOICI LES CLÉS, VOUS AVEZ GAGNÉ LE MAROC. FÉLICITATIONS. IL EST A VOUS! Et puis très rapidement me reviennent dans la gorge le goût âcre du thé et celui, douceâtre, de l'huile d'olive, tous deux indissociables de mon adolescence chiche. Et je me souviens que j'ai été pauvre et qu'il y a une mystification abjecte dans ce possessif : ton pays. Alors l'engourdissement cède la place à la fureur. Je me tais, toutefois, car le belluaire qui me fait face combat au nom d'une perversion qui l'englobe et qu'il ne comprend même pas. Il ne sert à rien de lui dérouler l'histoire des crimes commis au nom de ce malentendu qu'est le nationalisme. De la rage muette que suscite en moi le nationalisme, cet appel au meurtre, je veux ici tirer quelques propositions que je défie moustachus du nationalisme et barbus ultras de réfuter. Proposition première, votre nationalisme est sans objet. Le Maroc, pas plus que le Pérou ou la Roumanie, ça n'existe pas. Il existe en revanche une entité géographique qu'on désigne sous le nom de Maroc, altération du mot Marrakech. Mais il s'agit là d'une convention adoptée par les géographes. Ces gens-là donnent des noms à des ensembles physiques : la péninsule Ibérique, le sous-continent indien, l'île de Pâques. Il est évident que de tel-les dénominations n'engagent { rien. La phrase « le Maroc est ton pays » (puisque c’est cette obscénité que j'en-tends ici démolir) ne signifie, à ce niveau, strictement rien. Je suis né à Casablanca. Et alors ? Tiens, c'est au Ma-roc ? Et alors? C’est également en Afrique, également dans le Monde. Citoyen d'un mot ! D'une convention de lan-gage adoptée par un congrès de géographes, forgée par un cuistre asthmatique qui n'arrivait même pas à finir ses mots, pauvre diable, incapable d'articuler: Marrakech ! Il existe un État, c'est-à-dire une bande d'hommes armés, et cet État, les niais le nomment : Maroc. Figure de rhé-

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torique bien connue, mais erreur de logique sans aucun doute. Un État, c’est-à-dire une structure de domination et de répression, ne peut s'appeler autrement qu'État. Un œil, une bicyclette se nomment respectivement œil et bicyclette. Bien entendu un œil est logé dans son orbite, laquelle est située dans le crâne d'un individu, lequel peut se nommer Jean. C’est pourquoi on dit : l'œil de Jean, et non pas Jean, en parlant de l’œil de Jean. Par consé-quent, on est fondé à dire : l'État du Maroc, étant entendu qu'on assigne par là des limites géographiques, spatia-les, à l'aire dans laquelle peuvent s'exercer les fonctions répressives dudit État. Il est clair, alors, que la phrase « le Maroc est ton pays » ne signifie pas autre chose que : l'État du Maroc a quelque chose à voir avec toi. Exact! Cet État-là s'est arrogé le droit de me mettre en fiches, de me surveiller, de soumettre mes déplacements au bon vouloir de ses fonctionnaires. Voilà ce que j'ai à voir avec cet État-là : je subis son agres-sion depuis que je suis né. La phrase scandaleuse « le Maroc est ton pays » n'est donc qu'une sorte de constat de cette agression. Ce constat met en cause un État et un individu, il se lit : l'État dont les exactions s'exercent à l'in-térieur de ce que les géographes nomment le Maroc, cet État-là t'opprime et te tient { l'œil. Nous voil{ donc reve-nus, en définitive, à cette notion géographique qui, on l'a vu plus haut, ne mène à rien. Et surtout pas à ce que les propagandistes du « le Maroc est ton pays » ont en vue lorsqu'ils me proposent leur marchandise avariée : que j'aille me faire trouer l'abdomen sur les champs de bataille, au prétexte que l'ennemi viendra, qui en veut à nos fils et nos compagnes.

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Scène pour quatre comédiens tirée de « Les dents du topographe » de Fouad Laroui / Edi-tions J’ai lu. (Pages 97 à 100) Personnages : Le Chafouin / l’Inspecteur / Zahri / le Commissaire . Zahri attend dans la salle d’attente du commissariat puis entre dans un bureau. Deux hommes entrent : l’Inspecteur et le Chafouin. CHAFOUIN : C’est lui. Le Chafouin sort. INSPECTEUR : Asseyez-vous. ZAHRI : Qu’est-ce qui se passe ? I : Ce qui se passe ? Trois fois rien : vous avez écrasé un homme, de surcroît un policier, puis vous avez pris la fuite. Voilà ce qui se passe. Z : Pardon, il y a erreur. Je n'ai jamais eu d'accident. I : Renault 18, plaque 319-5-2, ça vous dit quelque chose ? Z : C'est ma voiture, mais... I : Vous avez entendu la victime. Elle vous a reconnu. Z : Mais c'est insensé ! I : Vous mettez en doute la parole d'un policier assermenté ? Z : Mais enfin, je sais ce que j'ai fait et ce que je n'ai pas fait. I : Si je comprends bien, vous ne reconnaissez pas les faits ? Z : C'est justement parce que je reconnais les faits que je vous répète que cette histoire est un malentendu. I : Dommage. Ce policier n'est pas un méchant homme, il était prêt à s'entendre avec vous. Vous n'auriez eu qu'à le dédommager des frais d'hôpital et de la frayeur que vous lui avez causée. Mais libre à vous de vous compliquer la vie. L'affaire suivra son cours. Un temps. Changement de lieu. Z : Monsieur le commissaire, il y a eu une méprise. On m'accuse d'avoir écrasé un policier, le 10 mai dernier. Or, le 10 mai dernier, j'étais au Canada où j'assistais à un séminaire de logique à l'université de Montréal. Voici mon pas-seport, qui en fait foi.

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Le commissaire prend le passeport, l'étudie longuement, essaie de décoller le visa canadien, puis le repose soigneuse-ment devant lui. COMMISSAIRE : Votre femme utilise-t-elle parfois votre voiture ? Z : Je suis effectivement marié, dit le logicien. Mais ma femme ne sait même pas conduire. COMMISSAIRE : En somme, la situation est claire. Nous avons un policier assermenté qui a été écrasé par une voi-ture dont vous reconnaissez être le seul à vous servir. D'autre part, nous savons que le jour de l'accident, votre passeport se trouvait au Canada. Ce passeport, vous l'avez récupéré puisque le voici sur mon bureau. On ne vous l'a pas volé. Alors je vais vous poser une question, une seule. Si vous me répondez franchement, je ferai de mon mieux pour vous sauver la mise. Si vous faites le malin, ça ira très mal. Compris ? La question, la voici : à qui avez-vous prêté votre passeport pour qu'il quitte illégalement le pays ? Z : … COMMISSAIRE : Vous ne voulez pas répondre ? Alors foutez-moi le camp ! On se reverra, l'ami, cette affaire ira loin ! Quant à ce passeport qui voyage tout seul, je lui coupe les ailes : je le garde ici. Un temps. Changement de lieu. CHAFOUIN : Nous sommes tous frères. Dans quelques années, nous nous retrouverons autour d’un couscous et nous rirons de bon cœur de cette histoire. Z : Combien ? Chafouin : Cinq cent mille?

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les dents du topographe » de Fouad Laroui / Edi-tions J’ai lu. (Pages 85 à 87) Personnages : Stewart / Rahmouni STEWART : La Moitié des employés de l’organisation portent le même nom que le secrétaire général, c’est-à-dire vous, Rahmouni ! RAHMOUNI : Et alors ? Tous les Suédois s'appellent Johansson. Ici, tout le monde s'appelle Rahmouni. On ne va pas en faire une pendule ? S : Un pendule ? Comprends pas ! Mais il n'est pas question que je ferme l'œil sur cette scandale ! Dites donc ! Vous vous êtes fabriqué un beau vache à lait, là, tout seul dans votre petit coin ! R : Restez poli, espèce d'écossais à la noix. D'abord, je la partage avec d'autres, la vache à lait. On ne peut pas en dire autant de ceux qui toquent à votre porte. Parce que, permettez, j'en vois passer des pèlerins chez vous, des verts et des pas mûrs ! Mais c'est que c'est la procession des gueux, ici, tous affligés des cent mille plaies de l'Égypte ! On me dit que même la Caisse de Bienfaisance pour les Ouvriers du Sahara émarge à votre budget : z'avez déjà vu un ouvrier dans le Sahara, vous ? Qu'est-ce qu'ils foutent dans les ergs, vos ouvriers ? Ils réparent les mirages, ils soudent les palmiers ? Ou bien peut-être s'installent-ils à leur compte maréchal-ferrant des expédi-tions Zagora-Tombouctou ? S : Pas un sou ! R : Cet écossais veut ma mort ! Il y a du Mossad là-dessous ! Voilà ce que c'est que d'aimer son prochain ! Ah ! la! la! L’ingratitude sera le salaire de mon dévouement. Et dire que j'aurais pu me contenter de faire fortune ! Parce que, holà ! l'écossais, c'est que j'aurais pu épouser la fille aînée de Kettani, moi ! Hein ? Qu'est-ce t'en penses, McDo-nald ? la fille aînée de Kettani ! C'est pas du pipi de chat, non? Je roulerais en BM, moi, aujourd'hui, l'été sur la Côte, l'hiver en Suisse, avec des Ray-Ban sur le nez ! Hein ? qu'est-ce t'en dis, McAdam ?

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Scène pour une comédienne et un comédien tirée de « Les dents du topographe » de Fouad Laroui / Editions J’ai lu. (Pages 77 à 79) Personnages : Fadma / Fouad On gratte à la porte. FADMA : Laisse-moi entrer. Je ne sais où aller, mes parents m'ont chassée de la maison. FOUAD : Pourquoi t'ont-ils chassée ? FADMA : Ils voulaient me donner à Miloud, tu connais l'affreux Miloud, le type qui n'a pas de nez ? Celui qui rem-plit la chaudière du hammam ? Moi, je ne voulais pas. Moi, Miloud, je ne peux pas le voir, en plus il pue. Alors j'ai juré par Dieu que je ne l'épouserais jamais. Mon père a piqué une colère terrible et m'a jetée dehors. Je ne voulais pas aller chez mon oncle ou chez mon frère aîné, alors je suis venue chez toi. FOUAD : Pourquoi moi ? Écoute, tu ne peux pas rester ici. Va chez ton oncle, restes-y le temps que ton père se cal-me. Ensuite, tu pourras rentrer chez toi. FADMA : Mais je ne veux pas rentrer chez moi! Demain, je descendrai jusqu'à la route et je prendrai le car pour Casablanca. Ma tante y habite. C'est là-bas que je veux vivre. Laisse-moi dormir ici cette nuit. FOUAD : Pas question. Je ne veux pas d'histoires. FADMA : Personne ne m'a vue entrer. Je m'en irai très tôt, à l'aube. Personne ne me verra sortir. Je te le jure. Je te le jure. Tu sais, je suis une femme, je ne suis plus une jeune fille...

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les dents du topographe » de Fouad Laroui / Edi-tions J’ai lu. (Pages 73 à 75) Personnages : Le Chef de Village / Fouad Le chef entre dans la salle d’attente d’un dispensaire, et frappe de sa canne sur le sol. Fouad le fait pénétrer dans la salle de consultation. FOUAD : Asseyez-vous ! LE CHEF DE VILLAGE : Non ! Il sort un Coran de sous son vêtement et le plante sur la poitrine de Fouad. CdV : Jure ! F : Je jure ! CdV : Suppose qu'un homme n'ait plus de souffle... Qu'est-ce que tu lui donnes ? F : Il vaut mieux ne rien donner, chef. Un homme d'un certain âge... n'est plus un jeune homme. C'est la nature... Il n'y a là rien de... de déshonorant. CdV : Qui te parle de ça ? Il y a des gamins qui n'ont pas de souffle! F : Oui, mais vous... CdV : Moi ? moi ? Dieu merci, je dresse la tente quand je le veux ! Trois fois par nuit si ça me chante ! Louanges à Dieu l'Unique ! Je n'ai pas eu neuf garçons et je ne sais combien de filles en soufflant dans une outre ! Tu ne crois tout de même pas que je sois venu pour moi! Je te parle des autres ! Il y en a bien qui n'ont pas de souffle, ou qui en ont peu! Les malheureux ne peuvent obéir à la volonté divine. Récite avec moi : Vos femmes sont un champ pour vous Labourez votre champ comme il vous plaira. Alors ! c'est qu'ils voudraient bien labourer, mais ils ne peuvent plus! Le champ est là, mais le soc, hein ? Plus de soc! Émoussé, le soc ! Fini ! Pauvres diables ! Disons qu'ils viennent te voir, la nuit tombée. Qu'est-ce que tu leur donnes ? F : À vrai dire, rien. Nous n'avons rien pour cela. CdV : Rien ? Il n'y a rien dans tous ces flacons ? (en montrant une étagères où sont alignés des flacons) Il sort une bouteille de Coca-Cola, qu’il dépose sur la table. CdV : Tu sais ce que c'est? F : Oui, bien sûr. C'est du Coca-Cola.

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CdV : Des savants de Mirikane ont découvert que kouka-koula donne du souffle aux hommes ! Gloire à Dieu le Très-Haut ! C'est mon frère qui me l'a dit, juste avant de partir. Qu'est-ce que tu en dis? F : C’est bien possible. CdV : Comment, « c'est bien possible? » Mais c'est sûr et certain! Tu n'en sais quand même pas plus que les savants de Mirikane ? Mon frère m'a apporté une caisse de kouka­-koula. Si quelqu'un veut du souffle, tu sais ce qu'il te reste à faire. Et n'oublie pas que tu as juré. Tu peux aussi recommander kouka-koula pour toutes les autres mala-dies. On s'entendra sur le partage des bénéfices. Moitié-moitié ? Mais non, je suis plus âgé que toi, les deux tiers pour moi et le reste pour toi. Mais, holà! tu n'as pas d'enfants, toi ? Disons alors : trois quarts pour moi!

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les dents du topographe» de Fouad Laroui / Edi-tions J’ai lu. (Pages 40 à 43) Personnages : Le Guide / Fouad LE GUIDE : Je suis guide pour touristes. Je peux! Regarde! Il montre une plaque et tire un portefeuille d’une poche de sa veste et en sort une espèce de palimpseste, son titre de guide pour touristes. FOUAD : Visitons. G : Je te vends vingt-cinq kilos de haschisch pour quelques dirhams, mon oncle te montrera à domicile, un poisson { tête d’homme. Je peux intervenir { la préfecture pour te faire obtenir un passeport. T’as besoin de cuir ? De bi-joux en plastique de Mauritanie ? F : Dis-moi, en quelle année fut construite la Koutoubia ? G : Quelle importance ? F : Et le Grand Vizir, quel était son nom? G : On s'en fout. Cela dit, je peux te dire quel était le prénom de sa femme. F : Laquelle ? Il en a eu une vingtaine. G : Heureux homme. En tout cas, je peux te dire comment s'appelait une de ses femmes. Ma grand-mère connaît une de ses petites-nièces, elle lui a frotté le dos un jour au hammam. Tu veux vraiment entrer là? Il n'y a plus rien. Le harem est vide. Pas la moindre femme. Rien à voir, rien à manger. Il n'y a que des vieilles pierres. F : Je veux voir les pierres. G : Paie-moi d'avance. F : Tu ne m'as encore rien montré. G : Paie-moi et je te montrerai quelque chose d'extraordinaire. C'est là ! F : Quoi donc ? G : Churchill a dormi là! F : Churchill ? Dans ce lit ? G : Parfaitement ! D'ailleurs, c'est ma grand-mère qui lui fournissait son haschisch. Il possédait un cheval nommé Agar-Agar. Il ne dormait jamais, il passait ses nuits à jouer aux cartes avec le diable. Ma grand-mère a vu le diable

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chez Churchill : il avait une tête de loup. Ma grand-mère a eu tellement peur qu'elle n'est plus jamais revenue ici. F : Et le haschisch ? G : Elle l'envoyait par la poste. F : Mais, bon Dieu, qui était ce Churchill ? G : Je ne sais pas. Un Anglais, probablement. Je ne veux pas que ma grand-mère ait des ennuis, tu comprends ? F : Compte sur moi, le rassurai-je. Mais, dis-moi : en quelle année es-tu devenu guide ? G : L'année de Maroc-Zaïre 4-0. F : Tu te rends compte, cette année-là, moi, j'ai échoué au concours de guide. G : Quel concours ? Mais d'où tu sors, toi ? De la Lune ? Du Portugal? Un concours, ha! Trois cents dirhams à Bou-fous, oui ! Tu connais pas Boufous ? Le type qui tient la pompe à essence, sur la route de Sraghna ? Son frère est chaouch au ministère ! T'es pas très malin, mon frère. Je parie que t'es un fils de la Mission. T'es pas d'ici. Va plutôt vivre chez les chrétiens.

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les dents du topographe» de Fouad Laroui / Edi-tions J’ai lu. (Pages 18 à 20 et 29 à 30) Personnages : Asslane / Fouad ASSLANE : Toi, tu n’y coupe pas ! Tu es organisé ! FOUAD : Organisé ? A : Ta gueule ! Oui, organisé ! On a reçu des ordres ! Et ça vient d'en haut, petit con. Tous les organisés, au gnouf ! Suppôt de coup d'État ! Au violon, en attendant l'enquête ! Et l'enquête, c'est moi qui la mène. F : Un député qui mène une enquête de police? A : Ça suffit ! Ta gueule ! C'est moi qui parle ! Encore un mot et j'appelle Zaouïa! Non mais, tu te crois en France, fils d'eunuque borgne, à me répondre, à poser des questions ? Je mène l'enquête si je veux, toutes les enquêtes que je veux ! D'ailleurs, je n'ai pas de comptes à te rendre, bâtard de mule hébraïque ! Un organisé qui me nargue, on aura tout vu! Tu as fait partie d'un groupe international ! Tout est là! Il y avait un Français parmi vous ! Et même un miteux d'Espagnol, tu entends un Espagnol, nom de Dieu! Pourquoi pas un Tunisien? Vous n'étiez pas très regar-dants, révolutionnaires en jonc, fouteurs de merde à la gomme arabique ! D’ailleurs, toi-même, maintenant que j’y pense, tu n’es pas d’ici, non ? Avec ta sale gueule de nasrani et ces petites lunettes de Juif ? Et tout ça, pour quoi ? La politique ! La boulitik ! Mais c’est que vous n’avez rien compris ! Le monde comme il va, je m’en vais te l’expli-quer, moi, petit crétin de l’Atlas ! Il se met face à lui. A : Voilà ce qui fait tourner le monde ! F : Dix dirhams et …ça ? A : Ta gueule ! Pour la dernière fois : c’est moi qui parle ! Raouf L. ; Jabari ; Nagi... Je vais maintenant te poser une question. Une seule. Si tu réponds, je parlerai au commissaire, il sera peut-être indulgent. Si tu refuses d’y répondre, tu restes dans cette cave et Zaouïa viendra te tenir compagnie. Il adore co-gner les petits malins de ton espèce, ceux qui vont au lycée français. Alors écoute-moi bien, vermine. Où est Nagi ? F : Nagi ? Mais il est en France depuis l'an dernier ! A : Ah! Il est en fuite ! F : Non, non. Il a passé son bac. Il est allé poursuivre ses études. A : Des études de chimie pour faire la bombe, j'en mettrais ma main au feu! C'était lui votre chef ? F : Si on veut. A : Que signifie le PAP ?

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F : Parti Anti-Publicité. A : Quels sont vos objectifs ? F : Comment ça nos objectifs ? C'était une plaisanterie, un canular ! On était contre la publicité, la réclame... On a brûlé quelques affiches... A : Pourquoi ? F : Mais... pour rien ! A : Et qui vous payait ? F : Personne!

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« Les Vigiles » de Tahar Djaout Editions Points Seuil

Dans une paisible localité de la banlieue d'Alger, un jeune professeur, bricoleur à ses heures, invente une machine. D'inextri-cables difficultés surgissent lorsqu'il décide de la faire breveter. Jugé suspect, voire dangereux, l'inventeur devient l'objet des tracas les plus éprouvants. Jusqu'au jour où l'on reconnaît en haut lieu l'utilité de la ma-chine... Pour endosser l'erreur commise, il faudra trouver un bouc émissaire.

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Scène pour trois comédiens tirée de « Les Vigiles » de Tahar Djaout/ Editions Points Seuil. (Pages 38 à 42) Personnages : Mahfoudh / Le Secrétaire Administratif / Le Secrétaire Général. Mahfoudh : C'est une petite machine, un modeste métier { tisser. J’en ai ici le dossier descriptif et un modèle. Te-nez, jetez-y un coup d’œil. C’est pour obtenir un brevet. Il y a certaines formalités dont je dois m’acquitter auprès de votre administration. Je ne suis citoyen de votre petite ville que depuis une quinzaine de jours et je ne saurais dire pour combien de temps encore. Mais c’est ici que j’ai mis au point ma machine et c’est pourquoi je veux que le modeste prestige de cette invention rejaillisse sur votre localité. Le Secrétaire Administratif se lève et disparaît . Il finit par revenir et s’assied à sa place. M : Je peux finalement voir quelqu'un ? Le Secrétaire Administratif : Votre requête est tout à fait inhabituelle et demande une réflexion de la part de no-tre administration. Vous êtes prié de revenir plus tard. M : Dans combien de temps exactement ? S.A : Pas trop tard. Deux jours ou trois. M : Comment deux jours ou trois ? Je pensais que c'était une question d'heures ou même de minutes. Je ne peux pas attendre plus longtemps. L'autre continuant à lui accorder autant d'attention qu'à une bouse de dromadaire, Mahfoud entre dans une bruyan-te colère. (Le comédien jouant Mahfoudh improvisera en lien avec la situation et l’état –colère- du personnage). Un homme (le secrétaire général) apparaît. SECRETAIRE GENERAL : Que voulez-vous ? M : Je viens pour quelques formalités avant de déposer une demande pour un brevet d'invention. J'ai déjà expli-qué cela au guichet des renseignements. S.G. : Ce n'est pas tous les jours que nous avons affaire aux inventeurs. C'est pourquoi il faut comprendre nos ré-actions. Vous n'ignorez pas que dans notre sainte religion les mots création et invention sont parfois condamnés parce que perçus comme une hérésie, une remise en cause de ce qui est déjà, c'est-à-dire de la foi et de l'ordre ambiants. Notre religion récuse les créateurs pour leur ambition et leur manque d'humilité ; oui, elle les récuse par souci de préserver la société des tourments qu'apporte l'innovation. Vous savez en outre, comme moi, que nous constituons aujourd'hui un peuple de consommateurs effrénés et de farceurs à la petite semaine. Des combi-nards, oui, il en existe, des bricoleurs aussi qui font dans le trompe-l'œil et l'immédiatement utilitaire. Mais l'inven-teur -auquel se rattachent des notions aussi dé­paysantes que l'effort, la patience, le génie, le désintéressement- relève d'une race encore inconnue chez nous. Vous venez perturber notre paysage familier d'hommes qui quê-tent des pensions de guerre, des fonds de commerce, des licences de taxi, des lots de terrain, des matériaux de construction; qui usent toute leur énergie à traquer des produits introuvables comme le beurre, les ananas, les légumes secs ou les pneus. Comment voulez-vous, je vous le demande, que je classe votre invention dans cet uni-

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vers œsophagique ? Le mieux que je puisse vous conseiller est de rentrer sereinement chez vous afin de nous oc-troyer un temps de réflexion et de nous permettre, si le Très-Haut daigne nous assister, de contenir et digérer no-tre émotion. Nous sommes très honorés de compter dans notre modeste commune des hommes qui travaillent de la tête au lieu de travailler du ventre. Mais je ne vois pas pourquoi je vous cacherais que vous nous désorientez et nous posez un sérieux problème.

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les Vigiles » de Tahar Djaout / Editions Points seuil. (Pages 67 et 68) Personnages : Mahfoudh / Younès. MAHFOUDH : Je me demande, si ce n'est pas cette société mécréante qui vient de me mettre des bâtons dans les roues. YOUNES : Cela m'étonnerait. Cette société est la tienne, c'est la société sans entraves et sans ordre moral dont tu souhaites l’établissement. Mais quel genre de problème as-tu ? M : Tu te rappelles mes talents de bricoleur. Eh bien, j'ai inventé une petite machine. J'allais pour la faire breveter, m'attendant à être au moins congratulé. Mais j'ai buté contre un mur de plomb. Je crois même que je suis, depuis, devenu suspect aux autorités de Sidi­-Mebrouk qui postent des sentinelles sur mon chemin. Y : Comment des sentinelles ? J'espère que tu n'es pas atteint par un délire de persécution. M : Je t'assure que j'ai surpris des personnes en train de m'épier. Y : Que peut-on attendre d'autre de la société policière sans scrupules, que vos idées ont aidé à asseoir ? M : Et la société gouvernée par la loi religieuse, dont tu souhaites l'avènement, serait donc plus incorruptible et plus humaine ? Y : La loi religieuse purifie l'homme de ses bas instincts. Elle abolit tous les écarts, prêche l'honnêteté, le respect du vis-à-vis, le secours du faible. M : Ne risquons-nous pas plutôt d'être ramenés des siècles en arrière et de perdre des valeurs que les hommes ont édifiées au prix du sang et de la sueur, comme la démocratie, l'égalité des sexes, la liberté individuelle, la liber-té d'opinion, la liberté confessionnelle ? Y : Et tu crois peut-être que tous ces beaux concepts que tu vantes ont cours dans le monde occidental qui t'ob-nubile? Tu crois que la volonté de l'individu y est prise en compte ? Que la femme y est respectée ?

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les Vigiles » de Tahar Djaout / Editions Points Seuil. (Pages 106 à 108) Personnages : Mahfoudh / Le journaliste. MAHFOUDH : C'est la même chose pour moi. J'ai un minable studio sans cuisine. Il m'y est quasiment impossible de travailler, de ranger de la documentation. Ma première demande de logement date d'à peu près onze ans. LE JOURNALISTE : Cela ne m'étonne pas. M : Tu vois pourtant ce qui se construit, des cités qui émergent de partout, jusque sur les terres agricoles. J : Mais les gens du pouvoir sont là pour tout intercepter: tout ce que le pays produit est pour eux. Il leur faut des appartements à eux, à leurs enfants, à leurs frères, à leurs neveux, à leurs cousins, à leurs parents par alliance, à leurs multiples maîtresses. Comme ce sont des gens aux appétits énormes et aux familles très nombreuses, tu devines un peu les dégâts que cela provoque. Mais il ne leur faut pas uniquement des appartements et des gar-çonnières, il leur faut aussi des pharmacies, des cabinets médicaux, des bureaux d'études, des salons de coiffure, des pâtisseries et des pressings, sans compter les appartements qu'ils ne prennent pas eux-mêmes mais qu'ils monnaient. Alors, tu comprends, le simple citoyen sans appui, qui a fait sa demande de logement il y a quinze ans, peut encore attendre quinze autres années et mourir avec l'espoir que ses petits-enfants seront logés. M : Pour revenir à autre chose, mais toujours dans le chapitre des abus, j'ai eu de sérieux embêtements ces der-niers temps et je me demande s'il est possible de recourir à votre journal. J : De quoi s'agit-il exactement? M : J'ai inventé une petite machine que j'ai cherché à breveter, j'ai été refoulé puis traqué comme un terroriste. Et, maintenant, on me refuse même le renouvellement de mon passeport. J : L’interdiction de passeport est monnaie courante. C'est une manière de chantage qu'exerce la police sur cer-tains. Nous recevons au journal beaucoup de lettres de citoyens victimes de cette mesure. M : Je voudrais vous faire une lettre qui sera sans doute très virulente. Tu penses qu'elle a des chances d'être pu-bliée? J : Cela dépend de ce que tu mettras en cause. Il ne faut pas toucher au pouvoir et à ce qui le représente. En de-hors de cela, tu peux y aller. Tu peux dénoncer tous les abus, tu peux désigner tous les affreux, mais quand ils ne sont pas au pouvoir. Tu as déjà vu une lettre de lecteur parlant du passage à tabac dans les commissariats ou de la mauvaise gestion d'un ministre ou des sévices dans les prisons ? Les corps d'État sont sacrés et, à ce titre, indé-nonçables.

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les Vigiles » de Tahar Djaout/ Editions Points Seuil. (Pages 126 à 128) Personnages : Le Commissaire / Mahfoudh Lemdjad. LE COMMISSAIRE : Asseyez-vous donc, je vous en prie, monsieur Lemdjad. Je crois que vous avez des embarras de passeport. MAHFOUDH : Tout à fait, et je serais bien curieux de savoir d'où vient le problème. C : Mais il n'y a pas de problème. C'est une simple négligence bureaucratique à laquelle nous allons remédier tout de suite. M : J'étais convaincu qu'il s'agissait d'un blocage. C : Qu'est-ce qui vous fait croire à un blocage ? M : J'en ai eu la conviction en venant ici il y a un mois. Et puis mon précédent passeport aussi a été difficile à obte-nir. Je crois qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Vous n'ignorez sans doute pas que je viens de subir un interrogatoire. C : J'avais pourtant demandé que l'on vous introduise directement dans mon bureau ; votre trajectoire a été dé-viée par erreur. Vous ne pourrez jamais savoir ce que c'est que de travailler avec des gens dont l'intelligence n'est pas la caractéristique principale. M : Permettez-moi de ne croire ni à l'erreur ni à la négligence. Je demeure convaincu que c'est plus intentionnel et plus grave que cela. C : Mais pourquoi donc ? Vous vous reprochez quelque chose ? Vous avez des antécédents judiciaires ? M : Rien de vraiment sérieux, à part une condamnation il y a douze ans, mais dont l'invalidité a été ensuite établie et reconnue. C : Et quel était le chef d'accusation ? M : Atteinte à la sûreté de l'État. C : Comment! Qu’avez-vous fait exactement ? M : J'ai juste été surpris au dernier rang d'une manif d'étudiants. C : Tout ceci ne m'intéresse pas. Pour cette fois-ci, vous pouvez aller à la sous-préfecture chercher votre passe-port. Il sera prêt dans deux jours ou trois.

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Scène pour cinq comédiens tirée de « Les Vigiles » de Tahar Djaout / Editions Points Seuil. (Pages 161 à 166) Personnages : Le MAIRE/ Le VAGUEMESTRE/ Le SECRETAIRE GENERAL /SKANDER BRICK/ Le RESPONSABLE des PROJETS. LE MAIRE : Comment justifier, lorsqu’il nous sera demandé des comptes, notre comportement peu édifiant { l’en-droit d’un inventeur qui vient d’être cité dans les journaux ? Je fais appel à votre jugement, votre intelligence et votre sens stratégique. LE VAGUEMESTRE entre. SKANDER BRICK : Ce qu'il nous faudra pour nous tirer d'affaire, c'est un bouc émissaire.

LE MAIRE : C'est la voix de la sagesse qui s'exprime par la bouche de notre appariteur. Et vous savez tous que la sagesse est parfois implacable. Elle ne se préoccupe pas des moyens, gardant son intérêt pour les grands buts. Comme dit je ne sais quel proverbe ou tout simplement ma logique, lorsque la main est gangrenée il ne faut pas hésiter à la couper afin de préserver la santé du reste du corps. Je vous laisse donc réfléchir, mais je ne doute pas un instant que votre décision est déjà prise avec la lucidité, l'unanimité, la cohésion et la combativité qui nous ont caractérisés en toute circonstance déterminante.

LE SECRETAIRE GENERAL : Comme nous nous y attendions, monsieur le maire a, une fois de plus, parlé avec l’effi-cacité et la gravité requises par la situation. Oui, il s’agit d’une tâche d’envergure : préserver la santé de notre mu-nicipalité, de notre ville, de notre pays. Et, pour cela, je mêle mon humble voix à celle de monsieur le maire : il ne faut pas s’apitoyer sur les membres malades qui peuvent contaminer tout le corps.

LE RESPONSABLE DES PROJETS : Il nous faut chercher, si j'ai bien compris, un coupable commode qui ne pourra pas nous éclabousser. Il nous faudra surtout le trouver si nous voulons tirer notre épingle du jeu. LE VAGUEMESTRE (qui n’arrive pas à ouvrir la bouche) : … SKANDER BRICK : J'ai, à vrai dire, déjà pensé à celui qui nous tirera d'affaire. Il 'agit de Menouar Ziada. LE MAIRE : A-t-il le profil nécessaire ? Y a-t-il des arguments contre lui ? SKANDER BRICK : Bien sûr, sinon je ne l'aurais pas choisi. LE VAGUEMESTRE : Je…Je…Je ne manque…manque pas d'être surpris. Je…Je…Je m’attendais { un coupable plus évident, un…un…un con…un contre-révolutionnaire notoire, un libertaire déclaré, quelqu'un qui ait voté…qui ait voté…qui ait « non » aux élections -car les enveloppes sont quasi transparentes et on voit très bien la cou-leur des bulletins qui s'y trouvent-, un riche non orthodoxe qui a eu le malheur de s’enrichir par ses propres combi-nes et non pas, comme les gens honnêtes, en puisant dans les caisses de l’Etat. Menouar Ziada me paraît une figu-re pâlotte, une proie ingrate qui n’offre pas beaucoup de prise. LE RESPONSABLE DES PROJETS : Que pourrons-nous lui reprocher ? SKANDER BRICK : Beaucoup de choses.

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LE VAGUEMESTRE : Il faut alors établir les griefs pour asseoir l’accusation. SKANDER BRICK : Ce qu’il nous faut, c’est quelqu’un qui n’opposera de résistance ni par lui-même ni par l’intermé-diaires d’alliés, c’est quelqu’un qui n’alignera pas ses arguments en face des nôtres, qui disparaîtra même proba-blement avant qu’il ne nous soit demandé d’argumenter et de démontrer. LE RESPONSABLE DES PROJETS : N’oublions tout de même pas que Menouar Ziada est un ancien combattant. SKANDER BRICK : Justement, c’est un épisode de sa vie qui n’est pas très reluisant. Je connais des détails peu flat-teurs là-dessus. Menouar Ziada a même failli laisser un jour sa peau, exécuté par les nôtres comme un traître ; Il y a, j’en suis certain, beaucoup de choses de cette période l{ dont il n’aimerait pas qu’on parle. LE SECRETAIRE GENERAL : Mais qu’est-ce qu’il a { voir avec notre histoire ? SKANDER BRICK : N’est-ce pas lui qui s’est rendu compte de la présence de Mahfoud Lemdjad dans notre ville ? Il a, au lieu de nous avertir, gardé le secret pour lui seul. De là à ce qu'il soit responsable des désagréments causés à l'inventeur, le pas n'est pas difficile à franchir. Mon choix s'est porté sur Menouar Ziada, non seulement parce qu'il ne nous opposera pas de résistance, mais aussi parce qu'il est un membre peu utile de notre société. Il n'a même pas fait d'enfants pour le défendre ou tout au moins le regretter. Nous sommes d'accord sur un point : tou-tes nos actions doivent avoir pour objectif la santé de notre société. La perte de Menouar Ziada sera un élagage et non une amputation; c'est une perte qui n'affligera personne. Il disparaîtra comme une lettre à la poste. Je crois même que tout le monde y gagnera.

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Scène pour deux comédiens tirée de « Les Vigiles » de Tahar Djaout / Editions Points Seuil. (Pages 168 à 176) Personnages : SKANDER BRIK / MENOUAR ZIADA/ LA FEMME SKANDER BRIK : J’ai des choses très sérieuses { t’apprendre. MENOUAR ZIADA : … S.B. : Pas ici. On pourrait aller ou bien chez moi ou bien dans un endroit retiré, à la périphérie du village. Mais, tout compte fait, je préfère chez moi : c'est le seul endroit où nous ne courons pas le risque d'être vus ou écoutés par des gens indiscrets. (changement de lieu, un temps) S.B. : (à la femme, vers les coulisses) Femme, prépare-nous donc du café ! L'État est comme Dieu. Tous deux demandent notre respect et notre soumission. En outre, leurs desseins à tous deux sont impénétrables et justes. L'affaire Mahfoudh Lemdjad a eu des développements inattendus. Il faudra, mon brave ami, expier les entraves que tu lui as créées et la suspicion que tu as fait peser sur lui. M. Z. : Mais je n'ai rien fait de tout cela. Je ne lui ai pas créé la moindre entrave... Je ne l'ai même jamais vu. S.B. : C'est là une version fantaisiste qui, je le crains bien, n'aura pas d'autre adhésion que la tienne. La femme entre apportant deux tasses de café sur un plateau. S.B. : Ce que tu dis là est étonnant. Tout le monde en haut lieu parle de cette affaire. Même si les journaux ne s'en sont pas encore emparés, ils ne tarderont pas à le faire si nous n'y veillons scrupuleusement. Pour le maire, pour le secrétaire général de la mairie, pour le responsable de la cellule du Parti et surtout pour le commandant Si Ab-denour Demik à qui nous devons tout, tu es le responsable des problèmes rencontrés par Mahfoudh Lemdjad. M. Z. : C'est là une regrettable erreur. Il faudra que je leur explique à tous. S.B. : Ils n'ont pas besoin d'explications. Ils ont déjà tout décidé ; et ce que tu peux faire de mieux, pour ton inté-rêt et pour le leur, c'est de te rendre à leur décision. M. Z. : Une injustice va se produire. A qui peut profiter une injustice ? S.B. : Ils sont au courant de tout. Et leur décision, crois-moi, n’a pas été prise { la légère ni de gaieté de cœur. M. Z. : Ils veulent que je me sacrifie ? S.B. : Telle est notre destinée. Il faut savoir répondre présent chaque fois que l’intérêt du pays nous sollicite. Nous avons la chance d'avoir affaire à des hommes valeureux. Ils nous ont orientés durant notre glorieuse guerre et ils nous orientent aujourd’hui. M. Z. : Mais tu te rends compte de ce qu'on me demande ? Et si je ne marche pas ?

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S.B. : Je vais être franc avec toi. On exhumera la période de la guerre, on ressortira certains épisodes p e u avantageux, on en inventera d'autres encore plus… M. Z. : On en inventera d’autres ? S.B. : Oui. Ton nom sera sali à jamais. Tous les avantages dont tu jouis te seront retirés, tes biens te seront confis-qués. L’opprobre sera jeté sur toi. M. Z. : Que dois-je faire? S.B. : Il faut que tu disparaisses. Ton suicide sera présenté comme un geste de remords, comme un acte de pro-fonde lucidité, le rachat { prix d’or d’une malencontreuse erreur commise { l’adresse d’un grand inventeur. Ton nom, comme celui de notre municipalité, sera associé { cette invention au lieu qu’il soit traîné dans la boue. M. Z. : … S.B. : La mairie donnera une impressionnante réception le jeudi pour honorer, en présence de beaucoup de res-ponsables, l'inventeur Mahfoudh Lemdjad. Tu as donc quatre jours devant toi. Tu peux choisir - ultime délai - la veille de la réception. C'est un service inestimable que tu rendras au pays. Beaucoup de nos compagnons ont don-né leur vie durant la lutte libératrice. Mais il n'est jamais trop tard pour le vrai patriote, même si la guerre est finie.

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« Samarcande » de Amin Maalouf Editions Le Livre de Poche

Samarcande, c'est la Perse d'Omar Khayyam, poète du vin, libre-penseur, as-tronome de génie, mais aussi celle de Has-san Sabbah, fondateur de l'ordre des Assas-sins, la secte la plus redoutable de l'Histoi-re. Samarcande, c'est l'Orient du XIXe siècle et du début du XXe, le voyage dans un univers où les rêves de liberté ont toujours su dé-fier les fanatismes. Samarcande, c'est l'aventure d'un manuscrit qui, né au XIe siè-cle, égaré lors des invasions mongoles, est retrouvé des siècles plus tard.

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Scène pour une comédienne et un comédien tirée de « Samarcande » de Amin Maalouf / Editions Le Livre de Poche. (Pages 208 à 210) Personnages : Benjamin-Omar / Chirine. BENJAMIN-OMAR : Je pensais que vous alliez me conduire à ma légation.

CHIRINE : J'aurais effectivement pu vous conduire chez le ministre américain, vous auriez été à l'abri, mais on n'au-rait eu aucun mal à savoir comment vous y étiez arrivé. Même si j'ai quelque influence de par mon appartenance à la famille kadjare, je ne peux tout de même pas en user pour protéger le complice apparent de l'assassin du shah. J'aurais été embarrassée, de moi on serait remonté aux braves femmes qui vous ont accueilli. Et votre légation n'aurait été nullement enchantée d'avoir à protéger un homme accusé d'un tel crime. Croyez-moi, il vaut mieux pour tout le monde que vous quittiez la Perse. Je vais vous conduire chez l'un de mes oncles maternels, un des chefs des Bakhtia­ris. Il est venu avec les guerriers de sa tribu pour les cérémonies du quarantième. Je lui ai révélé votre identi-té et démontré votre innocence, mais ses hommes ne doivent rien savoir. Il s'est engagé à vous escorter jusqu'à la frontière ottomane par des routes qu'ignorent les caravanes. Il nous attend au village de Shah­Abdol-Azim. Avez-vous de l'argent ? B-O : Oui. J'ai donné deux cents toumans à mes salvatrices, mais j'en ai gardé près de quatre cents. C : Ce n'est pas assez. Il vous faudra distribuer la moitié de votre avoir à vos accompagnateurs et garder une bonne somme pour le reste du voyage. Voici quelques pièces turques, elles ne seront pas de trop. Voici également un texte que je voudrais faire parvenir au Maître. Vous passez bien par Constantinople ? B-O : Oui C : C'est le procès-verbal du premier interrogatoire de Mirza Reza, j'ai passé la nuit à le recopier. Vous pouvez le lire, vous devez même le lire, il vous apprendra bien des choses. En outre, il vous occupera pendant votre longue traver-sée. Mais que personne d'autre ne le voie. Je vous laisse en de bonnes mains, comme vous le voyez ; ils vous protége-ront mieux que les faibles femmes qui vous ont pris en charge jusqu'ici. B-O : J’en doute. C : J'en doute aussi. Mais ils vous mèneront quand même jusqu'en Turquie. B-O : Je sais que le moment est peu propice pour en parler, mais sauriez-vous par hasard si l'on a trouvé dans les bagages de Mirza Reza un vieux manuscrit ? C : Le moment est effectivement mal choisi. Ne prononcez plus le nom de ce fou avant d’avoir atteint Constantino-ple ! B-O : C’est un manuscrit de Khayyam ! C : Je ne sais rien. Je vais m'informer. Laissez-moi votre adresse, je vous écrirai. Mais, de grâce, évitez de me ré-pondre. B-O + C (ensemble) : Sait-on jamais, nos chemins pourraient se croiser !

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Scène pour deux comédiens tirée de « Samarcande » de Amin Maalouf / Editions Le Livre de Poche. (Pages 213 à 215) DJAMALEDDINE : On vient de m'apprendre que Mirza Reza a été pendu le mois dernier. Dieu lui pardonne ! Bien entendu, il connaissait son sort, seul peut surprendre le délai qu'on a mis à l'exécuter. Plus de cent jours après la mort du shah ! Sans doute l'ont-ils torturé pour lui extorquer des aveux. Je n'arrive pas encore à croire que ce pauvre garçon que j'ai fait soigner ici même, à Constantinople, dont la main tremblait sans arrêt et sem-blait incapable de soulever une tasse de thé, ait pu tenir un pistolet, tirer sur le shah et l'abattre d'un seul coup. Ne croyez-vous pas qu'on a pu profiter de sa folie pour lui coller le crime d'un autre ? Mirza Reza, enfant perdu de la Perse ! Si tu pouvais n'être que fou, si tu pouvais n'être que sage ! Si tu pouvais te contenter de me trahir ou de m'être fidèle ! Si tu pouvais n'inspirer que tendresse ou répulsion ! Comment t'aimer, comment te haïr ? Et Dieu lui-même, que fera-t-il de toi ? T'élèvera-t-Il au paradis des victimes, te reléguera-t-il à l'enfer des bour-reaux ? Les mots que j'ai lus sont bien de Mirza Reza. Jusqu'à présent, j'avais encore des doutes. Je n'en ai plus, c'est certainement lui l'assassin. Et il a probablement pensé agir pour me venger. Il a peut-être cru m'obéir. Mais, contrairement à ce qu'il prétend, je ne lui ai jamais donné aucun ordre de meurtre. Lorsqu'il est venu à Constantinople me raconter comment il avait été torturé par le fils du shah et ses acolytes, ses larmes cou-laient. Voulant le secouer, je lui ai dit : « Cesse donc de te lamenter ! On dirait que tout ce que tu recherches, c'est qu'on te plaigne ! Tu serais même prêt à te mutiler pour être sûr qu'on te plaindra ! ». Je lui ai raconté une vieille légende : lorsque les armées de Darius affrontèrent celles d'Alexandre le Grand, les conseillers du Grec lui auraient fait remarquer que les troupes des Perses étaient beaucoup plus nombreuses que les siennes. Alexan-dre aurait haussé les épaules avec assurance. « Mes hommes, aurait-il dit, se battent pour vaincre, les hommes de Darius se battent pour mourir ! » C'est alors que j'ai dit à Mirza Reza : «Si le fils du shah te persécute, détruis-le, au lieu de te détruire toi-même ! » Est-ce vraiment un appel au meurtre ? Et croyez-vous réellement, vous qui connaissiez Mirza Reza, que j'aurais pu confier une pareille mission à un fou que mille personnes ont pu rencontrer ici même dans ma maison ? BENJAMIN OMAR : Vous n'êtes pas coupable du crime que l'on vous attribue, mais votre responsabilité morale ne peut être niée. DJ : Cela, je l'admets. Comme j'admets avoir souhaité chaque jour la mort du shah. Mais à quoi bon me défendre, je suis déjà condamné. Ce matin, j'ai écrit mon testament. B-O (à haute voix, pour lui-même) : « Je ne souffre pas d'être retenu prisonnier, je ne redoute pas la mort prochai-ne. Ma seule cause de désolation est de constater que je n'ai pas vu fleurir les graines que j'ai semées. La tyrannie continue d'écraser les peuples d'Orient, et l'obscurantisme d'étouffer leur cri de liberté. Peut-être aurais-je mieux réussi si j'avais planté mes graines dans la terre fertile du peuple au lieu des terres arides des cours royales. Et toi, peuple de Perse, en qui j'ai placé mes plus grands espoirs, ne crois pas qu'en éliminant un homme tu peux gagner ta liberté. C'est le poids des traditions séculaires que tu dois oser secouer. » DJ : Gardez-en une copie, traduisez-le pour Henri Rochefort, L'Intransigeant est le seul journal qui clame encore mon innocence, les autres me traitent d'assassin. Tout le monde souhaite ma mort. Qu'ils soient rassurés, j'ai un cancer, un cancer de la mâchoire ! Cancer, cancer, cancer. Les médecins des temps passés attribuaient toutes les maladies aux conjonctions des astres. Seul le cancer a gardé, dans toutes les langues, son nom astrologique. La frayeur est intacte.

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«Une Poignée d’étoiles » de Rafik Schami

Editions Médium

Pendant près de trois ans, le fils d'un bou-langer de Damas tient son journal. Il fait ainsi la chronique d'un vieux quartier de la capitale syrienne, véritable mosaïque de nationalités réunies par les hasards de l'histoire. Il trace aussi le portrait d'une fou-le de personnages attachants : sa mère, d'abord, à laquelle l'unit une complicité ex-ceptionnelle ; son vieil ami Selim, qui mêle sans cesse dans ses récits le mythe et la ré-alité ; Nadia, la jeune fille qu'il aime, et bien d'autres encore. Mais surtout, il découvre peu à peu la situation politique de son pays, marquée par l'injustice, l'absence de liberté et la répression de toute opposition. Pour témoigner de cette réalité - et la dé-noncer - il n'a qu'une ambition : devenir journaliste.

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Monologue pour un comédien tiré de «Une Poignée d’étoiles » de Rafik Schami / Editions Médium. (Pages 133 et 134) La nuit après l'arrestation de mon père, personne n'a réussi à dormir. Ma mère pleurait. Les voisins sont venus à tour de rôle pour veiller avec elle. Ils ne voulaient pas la laisser seule. Oncle Salim non plus n'a pas dormi. Le matin, à quatre heures, il m'a accompagné sans mot dire à la boulangerie. Il s'est installé au comptoir et a servi les clients avec l'aide des ouvriers. Aussitôt ma tournée terminée, je suis rentré à la boulangerie. Je ne sentais pas ma fatigue. Je ne voulais pas laisser mon vieil ami seul trop longtemps. Il a soixante-quinze ans et il est très myo-pe. Mais il n'a pas arrêté de plaisanter et de rassurer les clients en leur promettant que mon père reviendrait bien-tôt. Ils ont battu mon père pendant quatre jours entiers. Par deux fois, ils ont appuyé sur sa tempe le canon d'un revolver et ont menacé de tirer s'il ne disait pas la vérité. Comme mon père leur répétait pour la centième fois qu'il ne savait même pas ce qu'on lui voulait, ils ont appuyé sur la détente. Le revolver n'était pas chargé, mais mon père s'est évanoui. En revanche, quand on l'a passé à tabac, il n'a pas versé une larme ni crié grâce ! Ce n'était pas le cas des autres prisonniers. «Dis-nous qui tu es ! » a hurlé un jour un policier à un vieux paysan. Le pauvre homme a dit son nom, mais le policier l'a battu jusqu'à ce qu'il donne la réponse souhaitée : «Je suis un chien! je suis un traître ! » Et quand il a laissé échapper un «Pour l'amour de Dieu! » son tortionnaire a redoublé de coups en ricanant : «Le voilà, l'amour de Dieu! » En racontant cela, mon père pleurait comme un enfant. Oncle Salim l'a embrassé sur les yeux et sur la main. Ils ont frappé mon père pendant quatre jours, les criminels, avant de s'apercevoir qu'ils l'avaient confondu avec un avocat, un opposant au régime qui porte, par hasard, le même nom que lui. Oncle Salim ne croit pas à cette explication: «Ils t'ont battu, toi, mais c'est pour que tout le monde tremble ! Ils savent parfaitement que ton père et ta mère ont un autre nom et que tu es boulanger.» Et il a maudit le gou-vernement.

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Monologue pour une comédienne ou un comédien tiré de « Une Poignée d’étoiles » de Rafik Schami / Editions Médium (Pages 174 à 176) Les sévices infligés à Habib pendant ces trois semaines semblent sortis tout droit d'un film d'horreur. On l'a enfermé avec une quinzaine de prisonniers dans une cellule prévue pour cinq au grand maximum. Pour que cinq d'entre eux puissent s'étendre, à tour de rôle, pendant quelques heures, les dix autres restaient debout dans un coin, serrés comme des sardines. Il n'était pas toujours facile de maintenir l'entente entre les prisonniers, car l'épuisement les rendait agressifs; mais au bout d'un moment ils ont réussi à s'organiser. Habib était dans une situation particulièrement pénible. Il est membre, en effet, du parti gouvernemental. Au début, ses compagnons de cellule refusaient de lui parler, le soupçonnant d'être un mouchard chargé de les espionner. Ensuite, ils lui ont reproché toutes les exactions commises pas son parti. Pour Habib, cela a été bien plus dur que les tortures qui ont suivi.

Pendant trois jours, on l'a laissé tranquille et il a pu ainsi se préparer aux interrogatoires. Ça ne lui a pas servi à grand-chose, car l'officier ne voulait pas savoir pourquoi Habib avait écrit l'article, mais qui l'avait payé pour dis-créditer le gouvernement. Habib a mis hors de cause tous ses collègues et même le rédacteur en chef, mais cela n'a rien arrangé. Le cinquième jour, on l'a torturé sauvagement. Il s'est effondré sans connaissance et ne s'est ré-veillé qu'après avoir été reconduit dans sa cellule. Ses compagnons, entre-temps, avaient surmonté leur méfiance et il est devenu un des leurs. Ils lui ont procuré des cigarettes introduites en cachette et chacun a raconté pour quelle raison il se trouvait là. Tous les partis, les métiers et les populations de Syrie étaient représentés dans cet espace minuscule. Parmi les prisonniers, se trouvait un vieux fou accusé d'espionnage. Il parlait sans arrêt de son moineau et de ceux qui l'avaient tué. Souvent, il chantait, et ses chansons étaient tristes. Il s'affaiblissait de jour en jour; bientôt, il est tombé malade. Et puis quelque chose d'extraordinaire s'est produit. Un matin, un moineau est venu se poser sur le rebord de la fenêtre et s'est mis à chanter à plein gosier. Les prisonniers ont essayé d'abord de le chasser, mais le vieux fou s'est levé, tout joyeux, et lui a donné quelques miettes de pain. Le moi-neau est revenu chaque matin, mais le troisième jour, l'état du fou s'est aggravé et il a fallu le transporter à l'infir-merie. Quant au moineau, il n'est plus jamais revenu. J'ai demandé à Habib de me décrire le fou. Je suis sûr qu'il s'agit de l'homme que je connais. Quand j'ai pris congé, Habib m'a dit : «Il n'y a plus de journalisme possible dans ce pays. »

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Monologue pour une comédienne ou un comédien tiré de « Une Poignée d’étoiles » de Rafik Schami / Editions Médium. (Pages 230 à 232) C’est le jour le plus triste de ma vie. Oncle Salim, cet homme si noble, si courageux, est mort.

Quelle perte pour nous tous ! Moi, j'ai perdu mon meilleur ami. Il était là quand j'avais besoin de lui et pre-nait toujours ma défense contre les adultes. Il pouvait aussi être très sévère, quand j'avais fait une grosse bêtise, mais jamais il ne m'humiliait devant les autres, comme mon père ou mes professeurs. Non, il me prenait à part et m'enguirlandait de belle manière, mais sans élever la voix.

La maison est pleine à craquer et tout le monde pleure, enfants et adultes. Il est mort pendant la nuit, sans bruit, et nous a quittés pour toujours. Sa petite chambre est parsemée de

fleurs apportées par ses amis. Mon père a fermé la boulangerie et a préparé du café amer, comme c'est la coutu-me. Bien que le couvre-feu ne soit toujours pas levé, il est allé avec quelques amis chercher un cercueil tout sim-ple. Maman a aidé à faire la toilette mortuaire. De temps en temps, elle sortait dans la cour, s'asseyait dans un coin et pleurait. Nadia et sa mère sont restées ici toute la journée. Nadia m'a caressé tendrement la tête et m'a pris la main, sans crainte, pour soulager ma détresse.

Dès son arrivée, le curé nous a exhortés à la prudence. Un cortège funèbre serait trop dangereux; il a pro-posé de demander une autorisation spéciale pour transporter le corps au cimetière en voiture. Mon père, pour la première fois de sa vie, a insulté un prêtre. J'étais très fier de lui. Il a hurlé au curé que l'Église se préoccupait plus des chauffeurs de Mercedes que des pauvres, et que Jésus avait toujours pris le parti des persécutés, mais que l'Église d'aujourd'hui se mettait à genoux devant le premier officier venu.

« On n'enterrera pas oncle Salim à la sauvette, comme un malfaiteur ! s'est-il écrié devant l'assemblée muet-te. C'était un homme exceptionnel, et son cortège funèbre le démontrera! »

Hommes et femmes, tout le monde l'a approuvé et a décidé de passer outre au couvre-feu. Le curé est de-venu très pâle et a essayé de se défiler, disant qu'il avait un baptême et qu'il allait envoyer son vicaire.

« Toi, tu restes là, s'est écriée la fille d'oncle Salim en l'agrippant par la manche. Je t'interdis de partir.» Et le curé est resté. Ne voulant pas laisser les hommes seuls face au danger, les femmes ont décidé, contrairement à l'usage, de suivre le cortège funèbre jusqu'au cimetière.

On n'avait jamais vu un cortège funèbre pareil dans notre quartier. Plusieurs centaines de personnes sui-vaient le cercueil porté par six hommes. J'étais juste derrière le cercueil avec Habib et Mahmud, au beau milieu de la bousculade. Arrivés dans la rue principale, les porteurs ont tourné trois fois sur place avec le cercueil, pour qu'oncle Salim puisse prendre congé de sa rue. Puis le cortège a continué jusqu'à l'église. Elle était pleine à cra-quer. Je suis resté à l'extérieur avec Habib. Mahmud a tenu à accompagner le cercueil avec son père. Joseph est arrivé en retard et s'est joint à nous sans rien dire. Le sermon du curé était très bien.

Au sortir de l'église, le cortège s'est déployé dans la rue, les femmes en tête, et a pris la direction de la porte ouest. Là, il a tourné à droite et s'est brusquement arrêté après une centaine de mètres. Comprenant que quelque chose se passait, nous nous sommes précipités, prêts à intervenir. Une jeep barrait la route et quatre soldats poin-taient leurs armes sur les femmes. Les femmes refusaient de faire demi-tour et insultaient les soldats. La fille d'on-cle Salim a dégrafé son corsage noir et s'est écriée : « Tirez sur moi si vous voulez, mais laissez passer le cortège ! » Et elle s'est élancée vers les soldats tandis que ses compagnes ramassaient des pierres et s'avançaient d'un air menaçant. «Nous sommes vos sœurs et vos mères ! » a crié une femme et j'ai vu quelques soldats, honteux, baisser les yeux. L'officier qui commandait la patrouille a donné l'ordre de se replier et la jeep a démarré en trombe. Je me suis retourné et, à mon grand étonnement, j'ai vu que Habib avait le pistolet au poing. Il l'a désarmé et remis dans sa poche. Jamais je n'aurais pensé qu'il possédait une arme. Je savais en revanche que mon père et deux de nos voisins avaient apporté leurs pistolets. Je les avais entendus en parler dans l'escalier. Mais ce sont les femmes qui ont fait reculer les soldats avec leurs pierres.

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Scène pour deux comédiens tirée de « Une Poignée d’étoiles » de Rafik Schami / Editions Médium. (Pages 107 à 109) Personnages : Salim / Rafik SALIM : Vas-tu partir sans dire au revoir à ton vieil ami? RAFIK : Laisse-moi, je veux partir. S : Bois d'abord un thé. Après, tu pourras partir où tu voudras, en Alaska si ça te fais plaisir. R : D’accord. S : Tu deviendras un excellent journaliste. Et tel que je te connais, tu feras un article sur moi et mes pauvres histoi-res. Je le sens dans mon cœur, tu deviendras journaliste. R : Mais la boulangerie me rend fou. S : C'est vrai. C'est un métier terrible. Autrefois, j'enviais les boulangers, mais depuis que tu es mon ami, je les plains. Mais qu'auras-tu de plus à Alep ? Tu peux me le dire ? Non que je défende Damas. Non, vraiment, je n'aime pas Damas. Mais qu'auras-tu de plus à Alep ? Si tu veux partir, alors émigre en Arabie Saoudite. Là-bas, tu gagne-ras beaucoup plus, mais à Alep ? Ce n'est pas mieux qu'ici. R : Mais je n'ai que quinze ans, on ne me laissera pas sortir du pays ! S : C'est vrai. Quel gouvernement stupide ! Et as-tu pensé à me trouver un ami de remplacement avant de ficher le camp ? J'ai deux enfants et treize petits-enfants, mais aucun ne m'est est plus cher que toi. Et toi, que fais-tu? Tu t'en vas et tu me laisses seul. Comme je déteste les boulangeries ! R : Je ne t'oublierai jamais. Je t'écrirai. S : Écrire ! Je ne sais même pas lire ! Il faut toujours que je demande aux gens de me lire les lettres et je ne peux pas leur demander de te répondre, parce qu'ils trahissent toujours ma pensée ! R : Mais ici, j'étouffe! S : Tu étouffes parce que tu as renoncé à te battre. Salim n'a jamais renoncé ! Quand je grelottais, mourant de faim, dans la montagne, et vivais comme un chien, parce que je ne voulais pas faire mon service militaire, j'ai pen-sé plus d'une fois abandonner et me rendre. Mais j'ai tenu bon et j'ai cherché le moyen de m'en sortir. Au prin-temps, un berger est passé par là. Il m'a donné à manger et m'a proposé de travailler pour lui. Il m'a procuré de faux papiers, et pendant cinq ans je me suis appelé Mustafa. Comme berger, je ne vivais pas trop mal. Beaucoup de mes amis qui s'étaient moqués de moi au début l'ont bien regretté par la suite, quand la guerre a éclaté, en 1914. Plusieurs ont été blessés, d'autres ont disparu ou sont morts. Les bergers, en revanche, n'ont jamais connu la faim. Trouve un moyen d'échapper à la boulangerie sans ficher le camp. Tu n'es pas idiot. Tu connais Damas comme ta poche. Réfléchis, et nous pourrons établir un plan en commun. Tu peux compter sur Salim. Et toi, mon ami, tu deviendras journaliste. J'en suis sûr. Essaye de tenir encore six mois. Nous sommes aujourd'hui le 26 fé-

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PREMIERES PROPOSITIONS TEXTUELLES

vrier. Dans six mois, nous en reparlerons, et si rien ne s'est arrangé d'ici là, tu partiras où tu veux et je porterai moi-même ton baluchon jusqu'à l'autobus. Est-ce trop te demander ? Six mois ? R : D'accord, j'essaierai. Et si ça ne marche pas, dans six mois je fiche le camp. S : C'est promis ? R : Promis !

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PREMIERES PROPOSITIONS TEXTUELLES

« Le jour de l’assassinat du leader » de Naguib Mahfouz

Editions 10-18

Un vieil homme, son petit-fils, la fiancée de celui-ci : le drame qui va bouleverser le des-tin de ces trois personnages se noue insi-dieusement dans ce roman à trois voix avec, en point d'orgue, le reportage radio-phonique de la célébration de la Victoire. Ou comment l'affairisme et la corruption nés de l'Ouverture économique, prônée par le président Sadate, ont rongé les cœurs les plus purs et brisé même les plus belles amours...

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Scène pour une comédienne et trois comédiens tirée de « Le jour de l’assassinat du lea-der » de Naguib Mahfouz / Editions 10-18. (Pages 112 à 120) Personnages : Il / Elle / l’Homme 1 / l’Homme 2. IL : Bienvenue au nouveau logis, ma chère ELLE : Bienvenue à toi, mon amour. I : Pas besoin de demander qui a arrangé l'appartement : ta mère a tant de goût ! E : Et mon goût à moi, tu le comptes pour rien? I : Merveilleuse affaire, en plus. E : C'est vrai. I : Dis-moi, où est Umm Abdallah? E : Dans la cuisine, peut-être, ou la salle de bains. I : Tu penses qu’on peut avoir confiance en elle ? E : Absolument. Depuis l'âge de dix ans, elle n'a pas quitté maman. I : Elle passera ici plus de temps que nous, elle va tenir notre maison, tandis que nous, nous ne profiterons de cet appartement que pour nous y reposer et dormir... E : Il y a peu de gens, mariés et travaillant, comme nous, qui ont la chance d'avoir quelqu'un pour tenir la maison, et quelqu'un d'aussi bien qu' elle. I : Ah ! quel bonheur ce serait, un bel appartement comme le nôtre, mais sans domestique ! E : Tu as raison, et c'est vrai qu'il y a un problème, mais... Tu ne sens pas une odeur bizarre ? I : Une odeur bizarre ? C’est vrai, il y a une drôle d'odeur. E : Une odeur de cuisine. I : Il y a du matériel de cuisine, sous le canapé ! E : Du matériel de cuisine ? I : Du matériel de cuisine, dans le salon ! E : Et de la cuisine rance encore ! Qu'est-ce que cela veut dire ?

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I : Ça défie le bon sens... E : Umm Abdallâh ! Un homme entre. E : Qui êtes-vous ? I : Qui êtes-vous ? L’Homme : Je suis le fils d'Umm Abdallâh. I : Et qui vous a permis d'entrer chez nous? H : Ma mère m'a appelé, pour que je la remplace pendant son absence. E : Elle n'est pas ici? H : Elle est allée à Tanta, assister aux fêtes de l'anniversaire du Seigneur. I : Quand est-elle partie? H : Ce matin. E : Mais elle ne nous a pas demandé la permission. Elle ne nous a même pas prévenus... I : Et quand revient-elle? H : Je ne sais pas. I : Que faisiez-vous ? H : Rien. E : Et que savez-vous faire, dans une maison ? H : Rien. I : Vous avez un métier, dont vous vivez? H : Non. E : Et comment vivez-vous ? H : Je mange, je bois, je dors. I : Pourquoi votre mère vous a-t-elle appelé si vous ne savez rien faire de bon? H : Pour que je la remplace pendant son absence.

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E : Mais elle fait tout, ici ! H : Elle m'a dit de rester ici jusqu'à ce qu'elle revienne. I : N'avez-vous pas déjà vu tout ceci? H : Je ne m'en souviens plus. E : Vous avez mangé du chou, non? H : C'est vrai. E : Dans cette pièce même, n'est-ce pas? H : Je ne sais plus. I : Et après, vous avez poussé le tout sous le canapé! Il ne sert à rien de parler. Partez maintenant, je vous prie, avant qu’on vous chasse ! H : Cette porte donne sur l'extérieur! I : Je le sais. H : Vous me chassez? I : Nous n'avons pas besoin de vous. H : Elle m'a dit de rester jusqu'à ce qu'elle revienne. I : C'est moi le maître, ici ! H : Et moi, je ne connais que ma mère. E : Vous voulez rester de force? H : Je resterai jusqu'à son retour. E : Mais nous ne voulons pas de vous. H : Je resterai jusqu'à son retour. I : Partez tout de suite ! H : Elle m'a dit de rester jusqu'à ce qu'elle revienne. I : Disparaissez de ma vue sans discuter. H : Je ne partirai pas. Partez, vous, si vous le voulez !

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La colère l'aveugle, il se précipite sur l'homme, veut l'écarter, de toutes ses forces, mais l'autre, pas impressionné le moins du monde, repousse son adversaire d'un petit coup d'épaule qui le précipite à l'autre bout de la pièce, le faisant heurter en chemin une table qu'il entraîne dans sa chute. Il se remet debout vivement, maudit l'homme, mais sans essayer ses forces une nouvelle fois. Sa femme se précipite à la fenêtre qui donne sur la rue, l'ouvre toute grande et se met à crier, le plus fort qu'elle peut, appelle à l'aide. Des voix s'élèvent alors, des malédictions et des cris de colère, cependant que la fenêtre est bombardée de briques dont quelques-unes arrivent jusque dans la pièce. E : Mais qu'ont-ils donc ? Ils nous lancent des briques au lieu de nous porter secours ! L’homme fait quelques pas, se saisit de la table renversée, la tire vers la fenêtre, la lance au-dehors de toutes ses for-ces et, enfin, referme la fenêtre. I : Mais qu'avez-vous fait ? H : Nous passons notre temps à nous battre. I : A vous battre? H : Et c'est moi qui gagne toujours. I : Mais vous prenez mon appartement pour un champ de bataille ! H : Ils ont tort. Chaque fois que je me montre à une fenêtre, ils m'accueillent par toutes sortes de tracasseries. J'ai été forcé de leur jeter des assiettes, et eux, ils me jettent des briques. E : Mais vous nous faites des ennemis, avec les gens de la rue ! H : Ne vous inquiétez pas. E : Vous agissez comme si vous étiez le propriétaire des lieux ! H : Ils ont tort, je vous l'ai dit. I : Vous lancez aux quatre vents des choses qui ont de la valeur ! Vous allez nous ruiner ! H : Est-ce ainsi qu'on me remercie de défendre votre maison? I : Bon, merci, Monsieur. Mais tout ce que nous voulons, c'est que vous partiez sans histoires. L’homme gagne l’intérieur de l’appartement. E : Appelle { l’aide ! Son mari va au téléphone, décroche. I : Pas de tonalité ! E : Seigneur !

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I : Il a peut-être joué avec. Qui sait ? Il a peut-être joué aussi avec la radio et la télévision. E : Quelle catastrophe ! Dans notre maison, notre maison toute neuve ! Il faut faire quelque chose ! I : Allons au commissariat ! E : Il se vengera sur l'appartement, pendant que nous ne serons pas là. I : Pas moyen de faire autrement. Ils vont à la porte d'entrée, reviennent : elle est fermée à clef. I : Ce butor n'est pas aussi bête que je l'avais cru. E : Il nous tient prisonniers. I : Jusqu'à quand allons-nous rester enfermés, à la merci de son bon plaisir? E : Ça ne peut pas se passer ainsi! C'est inimaginable! L’Homme rentre en se battant avec un autre, il a le dessus. L’Homme crie « Viva Villa ! » puis se relève, suivi par l'autre. Ils se serrent la main, comme deux adversaires à la fin d'un combat loyal. Puis ils remarquent les deux époux, se mettent à les regarder, d'un air froid et borné. Le silence s'installe, lourd, oppressant. A la fin, le jeune homme, sortant de sa stupéfaction et désignant le nouveau venu, de-mande : I : Qui est-ce ? H : Un ami. I : Il était déjà là, avec vous ? H : Oui. I : Votre mère était au courant ? H : Non. E : Et vous l’invitez chez autrui ! H : Je l’ai invité parce que je n’aime pas être seul, et qu’il nous fallait poursuivre l’entrainement… E : Est-ce que vous avez tout votre bon sens ? H : Nous luttons pour les fêtes, et nous ne pouvons rien sans un entraînement continu. I : Vous vous croyez, par hasard, propriétaire ici ? H : Je n’aime pas rester { l’intérieur d’une maison.

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E : Alors quittez la nôtre, et bon vent ! H : Elle m’a dit de rester ici jusqu’{ son retour. I : Nous sommes prêts à partir mais pourquoi avez-vous fermé la porte à clef ? H : Jusqu’{ ce que ma mère revienne de la fête. E : Mais nous voulons nous en aller ! H : Et où donc ? I : La belle question ! Nous sommes libres, non ? H : Comment savoir que vous êtes bien les occupants de cet appartement ? I : Vous avez un doute à ce sujet ? H : Vous devez rester avec nous jusqu’{ ce que ma mère revienne des fêtes de l’anniversaire du seigneur. I : Au moins faudrait-il que vous ne mettiez pas le désordre ici ! H : Il a voulu essayer sa force avec moi, et vous voyez par vous-même le résultat ! E : Vous avez assez fait de tapage et de dégâts ! H : C'est fini. Nous ne vous donnerons maintenant que de la musique. I : Ce que je veux, c'est le calme total, complet. H : Vous n'aimez pas les chansons, la danse? E : Des chansons, de la danse ! H : Il y a avec nous, à la cuisine, une danseuse et un petit orchestre. I + E : Que dites-vous ? H : Ce sont des amis, des gens très sûrs. I : Vous prenez notre maison pour un lieu de fête ? H : Pourquoi compliquer les choses sans raison ? I : Sans raison, dites-vous, avec tout ce qui se passe ici ? H : Je n'imaginais pas qu'il pouvait se trouver des gens qui détestent si fort le monde et la musique.

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