Du « roi magique » au « roi divin »

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  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    1/32

    Laura Makarius

    Du roi magique au roi divin In: Annales. conomies, Socits, Civilisations. 25e anne, N. 3, 1970. pp. 668-698.

    Citer ce document / Cite this document :

    Makarius Laura. Du roi magique au roi divin . In: Annales. conomies, Socits, Civilisations. 25e anne, N. 3, 1970. pp.

    668-698.

    doi : 10.3406/ahess.1970.422250

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ahess_12656http://dx.doi.org/10.3406/ahess.1970.422250http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250http://dx.doi.org/10.3406/ahess.1970.422250http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_ahess_12656
  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

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    ANTHROPOLOGIE

    ET HISTOIRE

    Du roi magique au

    roi divin

    Depuis que

    Frazer

    a

    rapproch les premiers

    rois de Rome

    des

    potentats bar

    bares

    d'Afrique et d'Asie1,

    le problme

    pos par la nature

    du

    roi divin

    n'a

    gure

    avanc vers sa solution, malgr

    l'accumulation

    de

    donnes

    ethnologiques

    nouvelles. En

    tudiant

    l'ensemble des tabous qui rglementent

    le

    comportement

    des

    chefs,

    des

    rois et

    des

    prtres

    des

    socits tribales, ainsi que

    celui

    de leurs sujets

    leur gard,

    l'auteur

    du

    Rameau

    Or

    avait

    envisag

    le

    phnomne

    sous l'angle

    permettant d'en apercevoir

    les

    aspects

    les

    mieux dfinis et

    donc les

    plus aptes en

    livrer l'explication. Paradoxalement, toutefois, une telle approche, fconde en elle-

    mme,

    a contribu bloquer

    le problme

    : les

    comportements

    observs par les

    membres de la socit l'gard

    des

    souverains, qu'ils

    n'osent

    ni

    toucher

    ni

    regar

    der, omme si de leur prsence

    manait un inexprimable danger

    indiqueraient,

    selon les conceptions ethnologiques courantes, que ces personnages

    appartiennent

    la sphre distante et spare du sacr . On se contente alors

    de

    justifier les tabous

    par le caractre surnaturel

    des tres

    qu'ils investissent. Irstam, par exemple,

    auteur d'un

    ouvrage

    relativement rcent

    sur le roi

    sacr

    en Afrique,

    explique

    les

    interdits qui l'entourent par la nature divine ou sacre qui serait la

    sienne

    2.

    Or

    si

    c'est

    le

    tabou

    qui

    fait

    considrer

    le

    roi

    comme

    sacr

    ,

    son

    caractre

    sacr

    ne saurait

    tre

    invoqu pour expliquer le

    tabou

    :

    on

    s'enferme

    ainsi

    dans un cercle

    vicieux, le tabou vient participer du caractre mystrieux du sacr et le pro

    blme

    demeure entier.

    L'tude

    des tabous entourant

    les rois

    des socits

    tribales, par contre,

    est

    apte

    1.

    Frazer,

    V.

    The

    Golden

    Bough,

    vol. I et

    II

    et

    en particulier,

    vol. ,

    pp. 1-6

    et

    376-387. L'ex

    pression roi divin est employe, dans

    notre

    texte, dans son acception

    purement

    conventionn

    elle,

    our indiquer un

    type dtermin de souverain ou de

    chef.

    Le prsent

    article fait partie

    d'une

    srie

    de publications (1968-1970) dans lesquelles l'auteur reprend les

    tudes,

    ddies aux diverses

    catgories

    de violateurs d'interdit (jumeaux,

    forgerons,

    rois, tricksters et clowns

    rituels),

    cons

    tituant cinq

    chapitres

    d'un livre

    paratre

    prochainement.

    2.

    Irstam

    p. 78.

    668

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    DU

    ROI MAGIQUE

    AU

    ROI DIVIN L. MAKARIUS

    clairer le

    problme

    de la royaut primitive,

    parce

    qu'elle offre un

    point

    de

    dpart

    extrieur

    celle-ci

    et plus

    gnral.

    Ces tabous, en

    effet,

    ne

    sont

    pas

    particuliers aux

    rois. Ils s'appliquent

    galement

    des

    individus

    qui

    n'appartiennent pas la cat

    gorie

    des

    souverains

    et

    qui,

    de

    plus,

    n'ont

    rien

    de

    divin

    ou

    de

    sacr

    .

    Bien

    que

    redimensionns la mesure de la royaut,

    les

    interdits

    qui frappent les

    rois sont,

    ainsi

    que Frazer l'avait

    remarqu,

    de mme nature que ceux

    frappant

    les personnes

    qui

    saignent

    ou qui ont

    vers le sang

    x

    : femmes menstruantes

    ou accouches,

    jeunes

    filles

    la pubert, blesss portant des

    plaies

    ouvertes,

    meurtriers,

    etc.

    Or,

    ce

    qui

    explique

    la

    condition

    tabou de ces

    personnes

    peut expliquer

    aussi

    la

    condition

    tabou

    de ces

    rois.

    Le

    sang tant porteur du

    plus

    grand des dangers

    (quand

    il n'est

    pas investi d'une

    signification

    particulire

    tendant carter

    prcisment

    ce caractre dangereux),

    il est

    couvert

    par

    un

    tabou

    rigoureux qui

    en dfend le contact et parfois la

    vue

    2.

    Les

    personnes

    qui

    constituent une source de

    contagion

    sanglante soit qu'elles

    saignent elles-mmes, soit

    qu'elles

    soient

    venues en contact

    avec

    le

    sang,

    soit

    encore

    qu'elles

    aient

    enfreint,

    volontairement

    ou

    non,

    le

    tabou

    du

    sang

    sont

    soumises

    au mme ensemble d'interdits de contact et d'interdits sexuels et alimentaires,

    qui

    reprsentent autant de mesures de protection contre le danger sanglant.

    Le

    roi ne saignant

    pas

    et ne se caractrisant

    pas

    en tant

    que

    meurtrier, il

    faut

    prsumer

    qu'il se

    trouve

    sous

    le tabou du

    sang parce qu'il a

    enfreint

    de quelque

    manire ce

    tabou,

    et a

    donc

    ralis

    un

    contact

    avec

    le sang

    qui

    le

    rend aussi

    dange

    reux ue les femmes

    menstruantes

    et les meurtriers

    3. A la

    question de savoir

    quelle

    est la violation

    qu'il

    commet, la

    rponse

    se prsente immdiatement, car elle fait

    partie

    des

    donnes du

    problme

    : c'est la violation du

    tabou

    de l'inceste.

    Il

    est

    notoire, en

    effet, que

    les chefs et les

    rois des socits

    barbares ou archaques, que

    Frazer

    a

    appels

    rois divins , descendent de familles incestueuses et commettent

    rituellement

    l'inceste

    4.

    1. Entre ce que l'on appelle l'impuret des filles pubres et la saintet des hommes sacrs, il

    n'y

    a pas

    de

    diffrence

    matrielle

    dans

    l'esprit de l'homme

    primitif.

    1911-1915, vol. X,

    p.

    97

    ;

    vol.

    1,

    p. 224.

    2. Durkheim, p. 50 ; Makarius, 1961, p. 52 sq.

    3. L. Makarius, 1968, p. 29 sq. Pour le propos prcdent v. L. Makarius 1969 A, p. 19 n.2.

    4. Ainsi que nous le constaterons

    en

    nous

    livrant

    une

    analyse des matriaux concernant

    l'inceste

    royal

    en Afrique,

    ceux-ci nous prsentent

    un mlange

    de

    donnes

    prcises, de rfrences

    mythiques, de

    faits

    substitutifs, de manifestations symboliques et de situations exigeant un effort

    d'interprtation. Nous devons Luc de Heusch l'tude des expressions symboliques

    qui permettent

    la

    tradition de

    l'inceste

    royal de survivre

    sans heurter

    de front

    la

    prohibition de

    l'inceste.

    Les

    analyses

    de

    De

    Heusch

    dclent

    un

    symbolisme incestueux

    dans

    des

    cas

    o la pratique

    de

    l'inceste

    n'a

    plus lieu,

    ou

    n'est pas

    vidente.

    Il fait apparatre avec beaucoup de finesse la tradition de

    l in

    ceste

    maternel du

    roi,

    rvle par l'loignement dfinitif de la mre,

    comme

    chez

    les Nyoro,

    ou

    par

    sa mise mort lors de l'intronisation de son fils, comme chez les

    Yoruba.

    Dans

    ce dernier cas, le

    roi est

    nanti

    d'une mre officielle, la lya

    Oba, dont

    la

    prsence,

    lors

    d'un rite

    annuel, serait un

    rappel

    de

    l'inceste

    maternel

    des

    anctres mythiques

    (p.

    124 sq.). Chez les

    Nyoro,

    deux femmes, choisies

    dans le clan maternel du souverain, sont nommes ses

    petites mres

    ,

    charges de prendre

    soin

    de sa

    couronne

    et de garder son cordon ombilical et d'autres dchets organiques. Elles sont ainsi

    en quelque sorte

    identifies

    la mre, et

    comme

    elle ont accs la couche du souverain,

    elles

    ralisent

    manifestement

    au nom de la mre

    loigne,

    interdite, un inceste maternel substitutif

    (p.

    73 sq.).

    Ainsi

    s'claire la rgle, fondamentale, de

    l'loignement

    de la mre relle : elle

    est

    loi

    gne parce que

    rapproche

    ;

    rapproche

    intimement sur le plan symbolique o

    l'inceste

    apparat

    ncessaire ; loigne en ralit parce que

    cet

    inceste

    est

    en mme temps monstrueux

    (pp.

    74-75).

    Si la

    dmarche

    de

    De

    Heusch

    est

    particulirement efficace pour dbusquer

    l'inceste

    maternel,

    considr

    comme

    plus

    choquant

    que

    l'inceste avec la

    sur,

    et

    donc

    plus

    apte

    se

    rduire

    des

    669

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    4/32

    ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

    L'inceste

    fait

    partie des coutumes

    royales.

    Il

    est souvent pratiqu,

    ouvertement

    ou sous quelque forme dguise, lors des crmonies d'investiture, et

    trouve

    des

    rfrences

    dans les mythes d'origine

    des

    dynasties. Alors

    que

    les magiciens, certains

    expressions symboliques,

    il

    est

    toujours

    ncessaire

    de

    tenir

    compte d'une

    vritable

    volont

    de

    di

    ssimul tion

    (p.

    89) du

    phnomne incestueux. Dans l'examen des donnes

    africaines,

    sans faire

    ntres les positions psychologiques et mthodologiques de

    De

    Heusch,

    nous

    constaterons que des

    processus divers de symbolisation sont l'uvre, en mme temps pour maintenir et rduire, rvler

    et cacher, la tradition de

    l'inceste

    royal

    sous ses deux

    formes

    d'inceste maternel et

    fraternel.

    Le

    roi des Shilluk

    du Soudan Nilotique (le Reth)

    est

    considr

    comme

    l'incarnation du hros

    mythique Nyikang et de son fils Dak ; Dak aurait pous sa

    demi-sur,

    Nyikang ayant impos

    cette

    rgle ses successeurs. Le Reth

    est

    pri d'pouser une de ses demi-surs

    non utrines

    (ou

    autoris

    le

    faire). (Hofmayr cit par De Heusch, p.

    107).

    Selon Irstam, la coutume de l'inceste

    royal

    serait galement en vigueur

    au

    Darfour, au

    Wadai, au Baguirmi et

    chez les

    Jukun

    (p.

    174).

    Luc de Heusch rapproche,

    sans

    doute avec

    raison,

    des deux petites

    mres

    du roi des Nyoro,

    deux personnages fminins

    qui

    se trouvent la cour

    du

    roi des Jukun, la Wakuku

    et

    la Angwu Tsi.

    La premire raliserait avec le roi une hirogamie incestueuse au moment de l'intronisation ;

    la seconde,

    considre

    comme

    le

    double

    femelle

    du

    roi,

    incarnerait

    le

    symbole

    maternel,

    la

    propre

    mre

    du

    roi,

    et

    est

    considre comme

    son pouse,

    tout en

    devant

    rester

    chaste

    (pp.

    128-130).

    Chez les

    Yoruba,

    le roi (Alafin) est considr

    comme

    le descendant du

    dieu Schango,

    n de

    l'union

    incestueuse de

    l'anctre

    mythique Ourangan avec sa mre Jemaja, elle-mme issue d'un

    inceste. D'aprs

    Frobenius,

    la srie

    des

    pouses du

    roi

    s'ouvrait

    par

    une premire femme

    recon

    nueomme telle par le protocole, qui partageait probablement la couche

    du souverain, et qui

    tait

    toujours

    sa

    sur, issue

    du mme pre et de

    la mme

    mre (Frobenius,

    1949, p. 174 ; 1936, p.

    32).

    Le Hriss affirme que les unions entre frres et demi-surs taient autorises dans la famille royale

    Yoruba, mais ne donnaient pas le jour

    l'hritier du

    trne

    (pp. 214-215). T

    Angbalin, premier

    roi du Dahomey (1688-1729), commettait l'inceste avec sa sur

    (Akindele

    et Aguessy, p. 26).

    Chez les

    Ashanti,

    la reine mre choisissait

    son frre ou son

    fils comme

    roi

    pour reprsenter le dieu

    de l'tat. Au

    cours

    d'un rite, le roi excutait un mariage sacr ; s'il tait le fils de la reine,

    on

    substi

    tuait celle-ci une

    autre

    femme, si,

    par

    contre, il tait son frre,

    originairement le

    mariage

    pouvait

    tre

    consomm.

    Le

    roi

    serait vu comme

    l'incarnation

    de

    Bosommuru,

    personnage

    mythique

    qui

    pousa

    la

    desse

    du

    mme

    nom,

    sa

    sur

    jumelle.

    Cette hirogamie

    est

    consomme

    chaque

    anne,

    au

    cours d'une crmonie

    solennelle (Meyerowitz,

    1960, p.

    30,

    n.

    3,

    196, n.l. 185, 63.) D'aprs

    les traditions des Mossi de la Haute-Volta,

    le

    fondateur de la

    dynastie

    de Ouagadougou, Naba-

    Oubri, eut

    des

    rapports sexuels avec

    une

    de ses filles.

    De

    cet inceste naquit Gning'mendo

    (Chair

    de la

    Chair),

    qui

    monta

    plus tard sur le trne

    comme

    Mogho-Naba. Cet

    illustre

    prcdent sert,

    dit-on,

    excuser les conduites des jeunes nobles et fils de Naba, qui sont les amants de leurs surs

    (Delob-

    son,

    pp.

    88-89, n. 2).

    De

    la naissance de

    Gning'mendo,

    Pageard donne

    une

    autre version qui

    en

    accentue encore le caractre impur.

    Gning'mendo

    serait issu des rapports

    d'un

    lpreux avec

    sa

    sur

    (pp.

    22-23).

    Le fondateur du clan Vungara, au sein

    duquel

    est

    choisi

    le

    roi des Zand, aurait t incestueux.

    Les

    membres

    de ce clan

    aristocratique pousent

    leurs surs (presque

    toujours

    des demi-surs).

    Le mariage entre

    pres

    et filles tait admis (Seligman, 1932, p. 515). Calonne-Beaufaict crivait

    que seule la famille

    des

    Avungura...

    n'admet pas

    la rgle

    exogamique,

    et l'endogamie y

    est pra

    tique

    frquemment,

    sans qu'aucun degr de consanguinit semble entraner la notion de l'inceste.

    Il

    est

    rare

    qu'un

    Avungura

    n'ait

    pas comme

    femme

    quelqu'une de

    ses

    propres

    filles...

    (pp.

    185-

    186).

    Chez

    les

    Dogon

    du Niger,

    qui n'ont

    pas

    de royaut, le

    chef

    religieux, le Hogon, reprsentant

    le peuple entier, est cens s'unir

    sa

    mre, l'instar

    du

    hros mythique Yourougou. Aussi, crit

    Griaule, est-il,

    ds son

    intronisation,

    spar d'elle. Il reste

    en

    relation avec elle, la

    nourrit,

    mais

    par l'intermdiaire de ses surs

    lui,

    lesquelles sont la fois ses

    filles,

    puisqu'il

    est

    le pseudo

    mari

    e leur mre, et ses pouses, car elles sont

    comme des

    jumelles auxquelles

    il

    devrait tre uni

    selon le

    mythe.

    Le mme

    interdit

    pse sur l'an

    des

    fils du Hogon :

    rplique

    de son pre, il

    est

    aussi le

    pseudo-mari

    de sa mre,

    c'est--dire

    de l'pouse du

    Hogon.

    (Griaule,

    1954,

    pp.

    44-45.

    Cf. db

    Heusch, p. 124.) Dans ce cas, on attribue au

    chef

    un inceste

    qui

    a

    dj

    une

    forme symbolique dans

    le mythe.

    En

    Ouganda,

    immdiatement aprs son lection, le roi doit

    pouser une

    demi-sur du mme

    pre, la

    Lubuga

    (Roscoe, 1911, p. 84).

    Celle-ci

    reprsente en mme temps la reine et la sur inces

    tueuse, bien

    qu'elle

    semble

    devoir rester chaste. Lors de l'intronisation du

    roi

    de Buganda, en

    1942, sa sur ane, fille

    d'une autre

    mre, fut dsigne pour tre Nalynia,

    une

    pouse spciale

    du

    Kabaka

    (roi)

    .

    Quand

    elle

    mourut,

    en

    1953,

    en

    apprenant

    que

    le roi avait

    t

    exil

    par

    les

    Anglais,

    670

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    5/32

    DU

    ROI MAGIQUE

    AU

    ROI DIVIN

    L. MAKARIUS

    chasseurs

    et

    certains

    artisans s'adonnent

    des

    actes

    incestueux

    sporadiquement

    et

    la drobe,

    les chefs et les rois

    commettent

    l'inceste comme s'ils

    y taient

    pouss

    s

    ar

    une obligation

    institutionnelle,

    en tant qu'acte ncessaire

    tablir

    leur

    une

    autre

    sur fut nomme Nalynia (Mutesa, pp. 86 et 145). Chez les Banyankole, la sur offi

    cielle

    du

    roi,

    qui doit

    se

    tenir

    toujours

    prs de

    lui

    et est magiquement

    responsable

    de son bien-

    tre,

    peut

    se

    marier un autre homme et avoir des

    enfants,

    et le roi s'unit d'autres surs, qui

    resteront

    toujours

    ses

    concubines (Roscoe, 1925

    (B), pp.

    56, 58,

    60.

    Au Nyoro, la

    reine

    ne

    pouvait tre qu'une demi-sur du roi ;

    ce

    mariage, qui tait

    consomm,

    tait le seul mariage du

    roi comporter une

    crmonie

    (Roscoe, 1923

    (A),

    p 136). Au Ruanda, o les membres

    du

    clan

    dynastique

    des

    Basindi ont

    l'autorisation

    de

    se

    marier

    l'intrieur de ce

    clan

    (Kagame, pp.

    96

    et

    115), on trouve un grand mythe sur l'origine de

    l'inceste

    royal

    (Lootias, pp. 1-13). Des indications

    rituelles et

    lgendaires d'inceste se

    notent

    aussi propos

    du

    Mugwe,

    chef

    de

    petites

    tribus

    Meru

    du Kenya central (Bernardi, pp. 120-123

    ;

    93 et n. 1

    ;

    94

    ; 139 ;79).

    Chez les Bushong du Kasa (Congo),

    le

    roi doit commettre un

    inceste. Peu

    aprs son couron

    nement,

    il

    doit

    avoir des

    relations sexuelles avec sa

    sur

    ou sa demi-sur et

    par la

    suite

    il se mariera

    une

    des petites-filles de ses surs... . Le roi vit en inceste avec sa cousine parallle... Il reprsente

    Woot,

    le

    premier anctre,

    hros

    civilisateur,

    dispensateur

    de

    la

    fertilit,

    qui

    commit

    l'inceste avecsa

    sur

    et

    dont

    les

    neuf

    fils,

    ns

    de l'inceste,

    ont

    cr le monde

    (Vansina,

    1964,

    p. 110

    ;

    1954,

    p.

    909

    ;

    1955, p. 144-150). Les Lele,

    autre

    peuple du Kasa,

    se

    rclament de Woto. Le

    chef

    commet,

    son

    investiture, un

    inceste qui sera

    une

    rptition rituelle de l'acte

    mythique ancestral

    (Douglas,

    1963, p. 199).

    Chez les

    Luba, le roi

    est

    investi du pouvoir surnaturel dans

    une

    hutte sans porte

    ni fentres, dite case des malheurs , qui

    est

    rige

    autour de

    lui

    et dans

    laquelle

    il accomplit l'union

    sexuelle

    avec sa nice, la Mfinga. Cette femme

    lui

    sera par la suite

    interdite,

    l'acte tant incestueux

    d'aprs les

    coutumes

    Luba (Burton, pp.

    21-23). De

    son ct, E. Verhulpen

    affirme

    qu' son cou

    ronnement

    le

    Mulowhe

    avait

    des

    relations avec sa

    mre

    et ses surs, suivant

    la

    tradition de

    Kon-

    golo,

    qui avait des rapports avec ses surs (pp. 183-184 ; V. aussi Theeuws, 1960,

    p.

    168). Le

    rituel

    d'investiture

    du chef Lunda, crit

    De

    Sousberghe, comporte

    essentiellement,

    comme condition

    sine

    qua non,

    un rapport

    incestueux avec sa

    propre sur (de

    mme mre et de mme

    pre) avant

    que

    l'anneau cheffal lui

    soit

    pass au bras (1955

    (B),

    pp. 937-938). Ceci

    est

    confirm par McCulloch

    qui, au sujet de la

    tribu Chokwe

    (Lunda),

    affirme

    que la sur

    du

    roi

    (le

    Gangongd) tait

    sa

    femme

    favorite

    et prenait

    le

    titre de Lukonkesha

    (p.

    46).

    De Heusch

    crit, d'aprs de Sousberghe,

    que, dans

    le

    territoire

    de

    Tschikapa

    (Kasa),

    le

    chef

    Lunda

    devait

    commettre,

    au

    moment

    de

    l'intronisation,

    un inceste

    avec

    la sur

    du

    mme pre

    et

    de mme mre

    ou,

    dfaut

    de celle-ci,

    avec

    une

    demi-sur

    du mme pre. Chez

    certains

    chefs, et particulirement chez les chrtiens, le rite aurait

    t remplac

    par un geste impudique rapide, consistant soulever les vtements de la sur et

    regarder

    son

    sexe. Le chef cesse ds lors de considrer

    cette

    femme

    comme

    une sur et elle rgne avec

    lui

    (De

    Heusch,

    pp. 121-122).

    Auprs de

    certaines

    chefferies

    Pende, De Sousberghe a constat

    un

    ensemble

    de prescriptions

    dont le motif central

    est

    que le chef

    ne

    doit

    pas

    enfanter.

    Chez ls

    Moshinga, ce but

    est

    atteint

    en

    lui donnant

    pour pouse

    une

    vieille

    femme,

    qui ne

    doit

    avoir de rapport ni avec

    lui

    ni avec aucun

    autre homme, sous peine de

    faire avorter

    toutes

    les

    femmes. Les Nioka

    imposent au

    chef la

    conti

    nence

    pour le reste de sa vie. Il doit renvoyer toutes ses femmes,

    on lui fait

    revtir un

    tui pnien

    qu'il

    ne

    devra plus

    quitter,

    et

    on

    l'oblige

    absorber des

    drogues dprimantes.

    Chez les

    Njumba

    du Kasa,

    c'est

    la femme chef , ou la premire femme du chef, qui

    doit

    prendre des

    mdecines,

    si efficaces qu'elles provoquent

    non

    seulement une strilit radicale, mais la

    suppression

    complte

    des

    rgles

    (1955

    (B),

    pp.

    13-14

    et

    1954,

    pp. 216-217).

    Le

    caractre

    excessif

    de

    ces

    coutumes

    s'explique

    la lumire du conflit entre la tradition de

    l'inceste

    royal

    et la volont de ne pas

    admettre

    de brche

    l'interdit exogamique.

    Les

    Pende, en effet,

    manifestent

    une

    intolrance

    absolue

    l'gard

    de l in

    ceste

    des

    chefs.

    Un chef a t dmis de ses fonctions parce

    que,

    tant

    gurisseur, il avait soign sa

    sur d'un abcs l'aine. Tu

    as

    vu la nudit de ta sur

    lui

    fut-il dit tu

    ne

    peux plus tre

    notre chef

    (De Sousberghe, 1955

    (B),

    p.

    84).

    Chez les Wanianga, le

    chef

    commet avec la Mumbo, en prsence de ses

    conseillers,

    un mariage

    rellement

    ou symboliquement incestueux (Moeller, p.

    488).

    Chez les Bashi, il

    pouse

    toujours

    une

    femme de sa famille, de

    prfrence une

    sur agnatique. Ce mariage

    constitue

    la seule droga

    tiondmise Fexogamie. L'hritier,

    apparemment

    n de l'inceste, ne

    doit

    jamais connatre

    son

    pre

    ;

    les

    plus grands

    malheurs

    frapperaient

    le

    pays

    si le

    chef venait

    voir

    son

    fils (Moeller,

    p. 504).

    Le

    chef

    des Nyaniyeka

    de l'Angola

    devait dormir, la

    nuit de l'intronisation, avec

    une

    de ses

    cousines

    que par

    la suite

    il ne

    devait jamais plus revoir

    (Lang

    et Tastevin,

    p.

    56). L'inceste royal

    est

    galement

    traditionnel

    chez

    les

    Lozi

    de

    Rhodesie.

    Nuitamment,

    le

    candidat

    au

    trne,

    escort

    671

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    6/32

    ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

    qualit de

    souverains,

    sans toutefois que l'union interdite perde ses caractristiques

    de trs grave violation.

    par

    ses

    conseillers

    et

    par

    les princes, va rechercher la

    royaut

    Mikono, lieu d'origine et

    tombeau

    de Mbuyamwambiva,

    qui

    fut l'pouse et la fille du dieu, considre comme

    l'aeule

    de la famille

    royale.

    Le

    roi,

    qui

    descend

    de

    Mboo,

    fils

    de

    cette reine, grand

    magicien

    et

    premier

    souverain,

    accomp

    lit,ors de

    l'intronisation,

    un inceste avec

    sa demi-sur (Gluckman,

    1951,

    pp.

    21, 47,

    77).

    Chez

    les

    Shona de Rhodesie,

    la

    premire

    pouse

    du

    roi, dite la

    Mazarira, tait

    toujours,

    d'aprs

    Sche-

    besta,

    une

    de ses surs ;

    d'aprs

    Frobenius, elle tait

    soit

    sa

    vraie

    mre,

    soit une

    femme choisie

    pour remplir

    cette

    fonction (Irstam, p. 168).

    Le

    jeune chef Thonga

    (Mozambique)

    reoit pour

    pouse

    une

    cousine qui normalement devrait

    lui

    tre interdite. L'informateur de Junod commente

    ce

    fait en

    disant

    que rien n'est interdit au chef... . Junod prcise toutefois que sa propre sur

    ou sa

    propre

    fille

    lui

    seraient dfendues (I, 361 et 415).

    L'histoire lgendaire des Lovedu du Transvaal conserve le souvenir des descendants de Mono-

    motapa, qui avait

    comme

    premire pouse sa sur de pre et de mre (Frazer, 1938, p. 20, citant

    Theal). Le mme privilge s'tendait aux membres des familles aristocratiques. D'aprs Dos Santos,

    crivant

    en

    1601, la

    coutume

    ancienne des rois de Sofala

    tait

    d'pouser

    leurs

    propres surs et

    leurs

    filles,

    bien

    que cela ft considr comme un inceste au-del du cercle

    royal

    (Krige, 1943, p. 307).

    Vers

    le xvie

    sicle,

    les fils de Monomotapa se partagrent l'empire

    paternel et

    rgnrent en

    tant

    que

    chefs.

    L'un

    d'eux, M ambo,

    roi

    sacr

    qui d'aprs la

    tradition

    devait

    commettre

    le suicide

    rituel,

    rgnait sur

    la montagne

    de Malwi,

    en

    Rhodesie. Sa fille

    Dzugudini,

    ayant eu

    un enfant

    de son

    frre,

    s'enfuit vers le sud et s'tablit Ulovedu. Le frre de Dzugudini

    devint

    le Mambo,

    succdant

    son

    pre, alors

    que la princesse,

    sa

    sur-pouse,

    par

    la vertu de son inceste fit surgir un

    peuple

    nou

    veau.

    Leur descendant

    Muhale

    donna aux habitants le feu et les arts civilisateurs

    (Krige, op.

    cit.,

    pp. 5-6).

    D'aprs

    une

    autre tradition, Mugodo, descendant de Dzugudini, roi et faiseur de pluie,

    commit l'inceste rituel

    avec

    une

    de ses filles, afin d'engendrer

    une

    fille qui devait devenir

    reine.

    Sa

    fille-pouse, Mujajii

    II, en

    vertu

    de son inceste , devient

    une reine

    puissante

    et clbre, vers laquelle

    accourent visiteurs

    et

    trangers,

    attirs

    par

    sa grande rputation de faiseuse de

    pluie (Id., pp. 9-10).

    E.

    J. Krige et J. D. Krige observent que le

    thme

    de

    l'inceste

    prcde et valide

    d'abord

    la naissance

    de

    la tribu,

    puis l'accession d'une femme

    la

    royaut.

    Chaque

    cycle [de

    l'histoire des Lovedu]

    s'ouvre dans le

    mystre,

    le

    mystre

    de la conception incestueuse qui, au lieu de corrompre le monde,

    couronne le

    pcheur...

    C'est la justification rituelle d'un changement rvolutionnaire... Il y a des

    indications de ce qu'ils considrent,

    comme

    nous, tre le pch

    originel,

    mais qui effectue le salut

    et

    non la damnation

    de

    l'homme.

    Un

    acte de

    trahison

    prend

    la

    forme

    d'une

    glorieuse russite.

    Un

    usurpateur

    devient un

    hros. L'inceste royal, au lieu de menacer la scurit de la socit, renforce

    le droit divin

    rgner

    (Op.

    cit.,

    pp.

    12,

    15). Les

    auteurs affirment que les

    institutions

    Lovedu

    exigent que la reine,

    bien

    que ne

    pouvant

    avoir de

    mari,

    engendre l'hritier par un poux

    secret,

    un frre classificatoire royal. Ils

    considrent

    que ce choix se justifie par

    le

    dsir de maintenir la

    puret

    du sang royal (1954, p. 64).

    Le roi Swazi

    pouse

    ses surs ou ses demi-surs, relles ou classificatoires. En effet, Hilda Kuper

    crit :

    Les Swazi

    modernes

    dclarent

    : Nous

    sommes

    comme les Tembe

    (une tribu

    voisine) :

    leur

    roi, comme les

    ntres, pouse ses surs. Non seulement donc

    l'inceste fraternel

    du

    roi

    n'est

    pas cach, mais il est considr comme une caractristique nationale. L'inceste

    maternel,

    par contre,

    qui semble faire galement partie de la tradition royale, prend des formes symboliques. A ce propos,

    et pour

    tout le

    contexte rituel de l'inceste

    du

    roi Swazi, cf. Une interprtation de

    YIncwala Swazi

    du prsent auteur, de prochaine publication.

    L'inceste

    royal

    est

    galement pratiqu Madagascar

    (Frazer,

    1938, p. 531, citant d'Unienville,

    Paris, 1838,

    et

    A.

    et

    G. Grandidier

    ;

    v.

    aussi

    Grandidier,

    1932,

    p.

    183).

    La

    coutume

    de

    l'inceste

    royal De

    se

    limite

    pas

    l'Afrique. On en

    trouve des

    exemples

    clbres

    en

    Egypte, chez

    les

    Pharaons

    comme

    chez

    les Ptolmes,

    ainsi que chez

    les

    Perses, chez

    les Incas

    et, de nos jours, en

    Mlansie.

    Il a t spcialement

    bien

    tudi Hawaii o, dans un pass rcent,

    les chefs tiraient

    leur

    haut

    rang et leur

    pouvoir de l'union incestueuse de

    laquelle

    ils taient

    issus

    et du mariage incestueux qu'ils contractaient eux-mmes. Les

    Hawaiiens

    avaient une

    vritable doc

    trine

    du mariage incestueux des

    familles

    de l'aristocratie. Us reconnaissaient ces unions divers

    degrs de

    sacr

    selon la proximit des

    personnes

    qui

    les

    contractaient, et

    les

    honneurs

    qu'on

    tait tenu de rendre aux chefs taient mesurs

    au

    degr de consanguinit de leur mariage et de

    celui

    de

    leurs ascendants. Le

    mariage du premier degr

    tait celui entre un

    frre et

    une sur

    de mme

    pre et mme mre, eux-mmes de haut rang. Ce mariage tait dit pVo, d'un mot qui signifie con

    traignant

    s'incliner

    , se

    courber, et

    tait symbolis

    par

    l'image

    d'un

    arc. L'enfant n

    d'un

    mariage

    pi'o

    tait un akua, un dieu. II

    est

    si sacr qu'on en

    parle comme

    d'un feu,

    d'une

    flamme,

    d'une

    chaleur ardente... II ne pouvait adresser la parole aux gens que la

    nuit,

    et d'ailleurs ne sor

    tait

    qu'aprs

    le

    coucher

    du

    soleil,

    de crainte

    que

    son

    ombre

    ne

    tombt

    sur

    une

    maison,

    la

    rendant

    672

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    7/32

    DU

    ROI

    MAGIQUE AU ROI DIVIN L.

    MAKARIUS

    Si,

    comme Durkheim le pensait, la prohibition de l'inceste est motive

    par

    la

    crainte qu'inspirent les

    coulements

    sanglants

    des femmes

    consanguines1, l'inceste

    reprsente

    une

    violation du tabou du sang nettement caractrise. L'incestueux, en

    effet,

    est

    entr

    en

    contact

    avec

    le

    sang de

    ses

    consanguines,

    qui

    est

    le

    sang

    le

    plus

    dangereux,

    ayant

    le pouvoir de faire couler le sien et celui de

    tout

    son

    groupe

    d ap

    parents.

    Nous

    avons eu

    l'occasion d'indiquer, au

    sujet

    du forgeron d'Afrique

    et

    du

    trickster amrindien, ocanien

    et africain, que

    les

    violations

    dlibres du tabou

    du sang (manipulations

    sanglantes,

    meurtres, et en particulier meurtres consang

    uins,

    nceste) sont censes dclencher

    un pouvoir magique de

    haute efficacit.

    Au pouvoir du

    sang,

    conu comme

    une

    force dangereuse et

    malfaisante,

    utile parce

    que apte

    loigner ce

    qui

    est nuisible

    (on met, par

    exemple, des linges menstruels

    au

    cou

    des

    enfants

    pour

    tenir distance

    les

    maladies),

    on

    prte ensuite la vertu de

    dispenser,

    non

    seulement ces biens

    ngatifs

    que sont

    la

    protection

    contre le

    mal

    ou

    la

    dfaite

    des ennemis,

    mais

    aussi

    des

    biens

    positifs,

    la

    chance,

    la

    richesse, des

    conqutes,

    la prosprit. Le pouvoir

    du

    sang

    subit

    donc

    une

    surdtermination, mais,

    parce

    que cette laboration

    psychologique est oublie,

    ou

    bien n'a pas affleur la

    conscience,

    le

    pouvoir magique

    du

    sang qui

    est le

    pouvoir magique tout

    court

    s'empreint

    d'une

    ambivalence aigu : il donne,

    indiffremment, tout

    le mal et

    tout

    le bien, restant dangereux l'extrme dans l'un comme dans l'autre cas 2.

    L'inceste est en quelque manire le protoype

    de

    la violation de tabou, parce

    qu'il

    enfreint l'interdit

    qui, en prohibant l'union entre consanguins, impose le systme

    exogame rgissant l'ordre social. Durkheim,

    bien

    qu'il

    n'ait pas

    parcouru

    toutes

    les tapes

    du cheminement

    logique que nous

    avons

    retrac,

    avait

    saisi le caractre

    en mme temps dangereux et

    efficace

    de cet acte violateur. Quiconque viole

    cette

    loi

    [de

    l'exogamie],

    crit-il,

    se trouve

    dans

    le

    mme

    tat

    que

    le

    meurtrier.

    Il

    est

    entr

    en

    contact

    avec

    le sang, et

    les vertus

    redoutables

    du

    sang

    sont

    passes

    sur lui.

    Tl est devenu un

    danger

    et pour lui-mme et pour les autres.

    Il

    a viol un

    tabou.

    3

    La

    dfinition durkheimienne du

    statut

    entran par la violation du tabou de

    l'inceste adhre

    exactement

    la situation et aux fonctions

    du roi

    dit

    divin

    .

    Parce

    qu'il

    est devenu

    un

    danger et pour lui-mme

    et pour les

    autres ,

    son

    tat est

    li

    un

    ensemble

    de tabous, qui sont autant de

    mesures de

    prcaution dont nous ver

    rons

    plus loin

    le

    caractre

    de rciprocit. Parce

    que les vertus

    redoutables du

    sang

    sont passes sur lui , il est devenu apte obtenir magiquement

    des

    rsultats favo

    rables qui,

    s'agissant

    d'un souverain,

    seront

    aux

    dimensions du royaume et rpon

    dront la tche essentielle du

    roi

    dit

    sacr

    : le maintien et l'accroissement de la

    fertilit des champs, de la fcondit du

    btail

    et de

    tout

    ce

    qui

    est propre assurer

    la

    prosprit des sujets.

    Ces

    rsultats

    magiques

    sont

    relis

    l'inceste

    royal

    par

    le

    mme lien de cause

    effet

    qui

    fait

    que

    le

    chasseur bantou, par l'inceste qu'il com-

    inhabitable. Une

    personne

    profanant mme accidentellement un chef sacr tait en danger de

    mort.

    Les rejetons

    des

    unions

    pVo

    avaient

    droit au tabou de

    prostration,

    ceux

    d'unions

    moins proches

    n'avaient droit

    qu'au tabou

    imposant aux gens de s'accroupir en leur prsence. Ces chefs taient

    objet

    d'une vnration

    extraordinaire. Un long pome, le Kumulipo, ddi l'un d'eux,

    dcrit

    comme

    chaud du plus ardent

    des

    tabous ,

    exalte son droit

    imposer

    les

    tabous

    les

    plus

    stricts.

    De

    tels chefs taient considrs comme des

    dieux

    parmi les hommes

    (

    Cf. Beckwith, 1951, pp.

    12-

    13) ; v. aussi Rivers, 1914, I, 382 sq.)- L'inceste

    royal

    se

    retrouverait

    chez les Kwakiutl de la cte

    nord-occidentale des

    tats-Unis

    (Boas, 1913-1914, part. I, p. 779).

    1. Durkheim,

    1897, p.

    50 sq ; Makarius, 1961,

    p.

    64 sq.

    2. L. Makarius,

    1968,

    p. 33 sq. ; 1969

    (A),

    p. 19 sq ; (B), p. 234 ; 1970, p. 59 sq.

    3.

    Durkheim,

    p. 50.

    673

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    8/32

    ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

    met, s'assure le succs la chasse de

    l'hippopotame, que l'acte

    de sang du forgeron

    garantit

    la

    russite de la fonte, et que l'intervention rituelle d'une

    femme

    mens-

    truante entrane la

    capture

    des

    aigles

    chez

    les Hidatsa, ou provoque

    la venue

    de

    la

    pluie

    *.

    Pour

    la

    plupart

    des

    auteurs qui

    se sont

    penchs sur le problme, l'inceste

    des

    rois rpond l'exigence de maintenir la puret du sang royal 2.

    Le fait que

    souvent

    en

    Afrique

    les unions incestueuses

    doivent

    rester

    striles

    suffirait montrer que le

    but de l'inceste

    des

    rois n'est pas d'assurer une descendance au sang pur. En ralit

    l'inceste

    royal

    n'a rien

    voir

    avec

    la procration, mais est

    un

    acte

    magique,

    ritue

    llement accompli dans l'intention de

    garantir

    la prosprit du royaume ; loin d'tre

    dict par un souci

    de

    puret,

    cet acte

    marque celui qui le commet de

    la

    plus forte

    impuret

    concevable.

    Comme nous

    l'avons

    indiqu,

    les

    processus

    de

    symbolisation

    et

    de

    sur

    dtermi

    nation ui aboutissent la

    violation

    magique de tabou ne

    semblent

    pas

    tre

    clair

    ement perus

    par les membres des socits

    que

    nous

    tudions.

    Les motifs

    profonds

    de l'inceste

    royal,

    impos par

    la

    tradition,

    chappent sans doute

    tout

    autant

    celui

    qui le commet et

    son

    entourage qu'

    la

    masse des sujets. A leur rflexion, comme

    celle des

    ethnologues, l'inceste royal

    se prsente

    en tant que

    phnomne

    aux

    mult

    iples aspects contradictoires. Une contradiction particulirement droutante est

    le

    fait

    qu'alors que

    le souverain

    accomplit un

    acte

    d'union

    sexuelle

    cens promouvoir

    la fcondit

    des

    humains et

    des animaux

    et

    la fertilit des champs,

    cette

    union est

    un

    accouplement

    interdit et abhorr,

    qui

    souvent doit rester sans progniture.

    Une

    telle contradiction

    n'est

    pas

    susceptible

    d'tre ponge et rcupre par quelque

    rationalisation

    ;

    les

    rationalisations

    sont

    gnralement inspires

    par la

    magie

    sym

    pathique (ou imitative) qui, dans ce cas, est brutalement nie.

    La relation entre l'inceste du

    roi

    et

    la

    prosprit

    du royaume

    tant

    hautement

    contradictoire, il est comprhensible

    que

    la littrature

    ethnographique

    offre

    peu

    d'exemples

    la

    mettant explicitement en vidence.

    Bien

    que

    la

    nature de cette rela

    tion lui

    chappe

    totalement, Luc de

    Heusch

    indique un cas d'inceste de fertilit :

    il concerne le

    roi du

    Nyoro qui, comme nous l'avons

    vu,

    a le

    devoir

    d'pouser

    sa

    demi-sur

    tout

    de suite aprs son intronisation.

    Au moment

    o cette

    princesse est prsente

    au

    roi

    qui, assis sur

    le

    trne, lui

    tend les

    mains

    baiser, une

    vache

    et un

    veau,

    provenant

    de

    l'ancienne

    demeure

    de

    1.

    Junod, II,

    pp.

    60-62

    ;

    L.

    Makarius,

    1968,

    p.

    31

    sq.

    ;

    1969

    (B),

    p.

    234

    ;

    Hodgson,

    p.

    267.

    2. Westermarck affirme qu'on

    ne

    peut douter que de tels mariages soient

    effectus

    dans le but

    de maintenir

    la

    puret du

    sang

    royal (II,

    p. 202) ;

    Rivers

    voit galement dans cette exigence le motif

    des

    mariages incestueux qui

    sont

    le privilge spcial

    des

    chefs

    mlansiens

    (I,

    p.

    382). Mauss

    est

    du

    mme

    avis,

    (p. 116). Lowie crit que les mariages incestueux pratiqus dans les

    familles

    royales ou

    aristocratiques, comme Hawaii, dans

    l'ancienne Egypte ou

    au Prou, taient dus une

    fiert

    du sang telle qu'elle

    se

    prsente

    dans des socits

    sophistiques

    l'extrme (p.

    55).

    Lagerkrantz

    exprime la

    mme opinion en ce

    qui concerne

    l'Afrique.

    (Cit par Van Bulck, 1955,

    p.

    123.) Darmes-

    teter,

    se

    rfrant dans son

    tude

    sur

    l'inceste des

    Parsis

    Catulle

    et Philon, crit que ce n'est

    qu'

    un

    sang pur et

    sacr

    qu'il importe de

    se

    renouveler

    en s'alimentant

    ses

    propres sources

    (p.

    374). Les Rrige

    justifient

    le mariage incestueux de la reine Lovedu par la ncessit de sauvegarder

    la

    puret du sang royal

    (1954, p.

    64).

    La mme

    ide

    est parfois exprime

    par

    les

    intresss.

    Un

    membre

    du clan Vungara (Azand)

    fait

    remarquer

    au

    visiteur qui s'tonne de leurs mariages endogames,

    avec une

    lgitime

    fiert

    ...

    que

    du

    sang aussi

    illustre

    que

    le

    leur ne

    pouvait que

    dgnrer en

    se

    mlangeant

    (Calonne-Beaufaict,

    pp.

    185-186).

    674

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    9/32

    DU

    ROI

    MAGIQUE

    AU

    ROI DIVIN L. MAKARIUS

    l'pouse, sont prsents sur le seuil de la porte, et le roi leur

    jette

    un regard.

    De

    Heusch en dduit que

    l'on peut admettre ds

    lors

    que l'union

    incestueuse

    est

    requise pour

    ses

    vertus rgnratrices et fcondantes x.

    Nous

    conviendrons

    avec

    lui

    que

    le regard

    rituel

    jet

    sur

    les

    animaux

    ne peut

    tre

    dpourvu

    de

    signification.

    Vansina

    observe

    avec

    plus de prcision

    que les

    relations

    incestueuses

    du roi

    de Kuba

    sont destines

    rehausser son

    pouvoir

    fcondateur exactement

    comme

    le sorcier en transgressant

    les tabous

    acquiert

    un surcrot

    de

    force magique. Le

    roi

    est

    le dispensateur

    de

    la

    fcondit...

    Il possde au moins

    une certaine

    forme de

    con

    trle sur la fcondit

    de

    la terre

    et

    des humains

    qui

    l'habitent 2.

    Chez les Swazi, le

    roi

    crache une puissante mdecine de fertilit travers

    les trous

    pratiqus dans

    les

    parois

    de

    la hutte

    rituelle,

    lors

    de

    son mariage

    symbo

    liquement

    incestueux

    avec la matsebula ; par la

    suite,

    ce rite sera rpt priodique

    ment

    u

    cours des grandes

    crmonies de

    YIncwala,

    dans un

    contexte violateur

    trs

    net. Le thme

    incestueux

    revient

    aussi

    dans le rituel de la pluie, le plus

    import

    ant

    ituel

    national

    Swazi,

    prrogative

    du

    roi

    et

    de

    sa

    mre,

    o

    le

    roi

    semble

    accomp

    lirn inceste symbolique

    avec la

    reine

    mre,

    en s

    'asseyant,

    nu, sur les pieds de

    celle-ci,

    galement

    dvtue

    3.

    Certains peuples

    tendent

    mettre l'inceste royal en relation

    avec

    la venue de la

    pluie, condition premire de

    la

    fertilit,

    ce

    qui

    attnue

    le caractre

    contradictoire

    de l'inceste royal en le rattachant la tradition violatrice des

    faiseurs

    de pluie 4.

    1.

    De

    Heusch, pp.

    67-68.

    D'un rite

    accompli six

    mois plus tard,

    au cours

    duquel

    la reine boit

    du lait provenant

    d'une

    vache qu'elle a

    apport

    en prsent au roi, cet auteur dit :

    Les

    dons pral

    ables, en particulier

    le don

    de la vache,

    symbolisent

    trs vraisemblablement les richesses que l'union

    incestueuse de la reine

    est

    appele

    prodiguer au royaume

    (pp. 69-70).

    2.

    1964,

    pp. 111, 99.

    3. Pour

    les Swazi,

    nous renvoyons

    l'tude

    cite de

    Fauteur.

    Cf.

    De Heusch, p. 110.

    Chez

    certains

    Pende tudis

    par

    De

    Sousberghe,

    le chef doit obligatoirement dormir

    dans la

    case

    de sa premire femme du moment

    des

    semailles du

    millet, des arachides,

    du

    mas, jusqu'

    l ap

    parition des

    premires

    petites pousses vertes de ces plantes. Aprs la germination, il peut reprendre

    sa

    ronde polygame . En ces circonstances,

    le chef et sa

    premire

    pouse

    couchent

    sur

    des nattes

    spares. Du chef dpend la fertilit de la terre et des femmes ; ainsi, dit l'auteur, toute sa vie et celle

    de son

    pouse

    est

    soumise des interdits (1954, pp. 215,

    216).

    Un rapport indubitable existe, donc,

    entre l'union

    conjugale

    du chef et

    la premire pouse,

    et

    la fertilit des champs. Pourquoi, alors,

    doivent-ils

    coucher

    part ? Ce contresens ne s'explique

    qu'

    la lumire du conflit entre la tradition

    de

    l'inceste

    royal

    et le respect

    de

    la prohibition de l'inceste. Ce

    qui

    est

    considr ncessaire au moment

    de la germination n'est

    pas

    l'union rgulire du chef avec sa premire pouse, mais un acte

    inces

    tueux, symbolis par sa prsence dans la case de

    cette

    pouse (dont il n'est toutefois

    pas

    dit qu'elle

    soit rellement

    ou symboliquement

    incestueuse) et,

    d'autre part, rendu

    impossible par

    la

    sparation

    des

    nattes.

    4. Pour obtenir le succs de leurs rites, les faiseurs de pluie Anyanja

    du'Nyassaland

    font compar

    atre ne

    femme enceinte ou menstruante, qui enlve son

    vtement

    (Hodgson, p.

    267).

    Chez les

    Ashanti,

    lors de la

    crmonie

    annuelle de Apo, deux belles jeunes

    filles,

    nues et

    poudres

    d'or,

    sont

    portes

    rituellement travers les rues,

    et

    les gens touchent

    leur

    sexe pour assurer des pluies

    abon

    dantes et la fertilit

    des moissons, des btes

    et des humains pour l'anne qui

    vient

    (Meyerowitz,

    1951, p. 162). Chez les Bakitara,

    le

    faiseur de pluie auquel

    le

    roi a ordonn

    d'accomplir

    ses rites, dit

    sa

    femme,

    si

    celle-ci

    a ses rgles : Tu

    es

    ma bndiction. Ce qui

    ne

    l'empche pas de s'loigner

    d'elle, en

    allant coucher

    dans la fort pour deux nuits avant de commencer ses rites (Roscoe, 1923

    (A), p.

    32). Trs intressant

    est

    le

    cas

    suivant,

    observ

    chez

    les

    Boschimans du Kalahari.

    Quand une

    jeune fille devient pubre,

    on lui montre

    toutes

    les

    plantes alimentaires et

    on

    simule

    une

    averse.

    Cela

    attirera

    elle

    de bonnes averses,

    elle sera toujours approvisionne en

    eau potable et

    on la trou

    vera attrayante

    (Silberbauer,

    pp. 12-24).

    Le fait

    de montrer

    une

    fille

    pubre les

    plantes aliment

    aires eprsente la violation symbolique

    du tabou

    fondamental qui spare l'alimentation de la

    menstruation

    et,

    plus

    gnralement,

    du

    sang

    (Makarius,

    1961,

    pp.

    98

    sq.).

    Cette

    violation

    toute

    symbolique

    est

    considre comme

    suffisante

    pour

    garantir la pluie.

    675

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    10/32

    ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

    Ainsi, Frobenius a not chez

    les Yoruba

    le rapport

    tabli

    entre

    le mariage incestueux

    des rois et la venue de la

    pluie,

    afin

    que

    la

    rcolte

    soit

    bonne1. Le

    cas d'une

    reine

    incestueuse,

    magicienne

    et faiseuse de pluie, responsable

    de la prosprit du

    royaume,

    est tudi sous

    ses

    divers angles

    par les Krige

    chez les Lovedu du

    Transvaal

    2.

    C'est aussi par

    rapport

    au

    roi

    en tant que

    promoteur de

    la

    fertilit

    de

    la

    nature

    qu'clate une autre contradiction inhrente son inceste, contradiction

    qui

    a sa

    source

    dans l'ambivalence

    du

    pouvoir magique qu'il possde.

    L'ambivalence

    de

    la

    force

    manant

    de

    la

    personne

    royale trouve

    dans ce contexte

    des

    expressions extrmement frappantes.

    Le

    roi

    des

    Jukun (Nigeria),

    par

    exemple,

    est

    accueilli par ses sujets,

    prosterns devant lui, aux

    cris de Nos

    rcoltes

    ,

    Notre

    bl

    , Nos fves ,

    Nos noix

    , Notre pluie , Notre richesse ,

    Notre sant

    3.

    On donne ces appellations au

    souverain

    parce

    qu'on

    l'identifie

    rellement

    ces biens ; cependant,

    on

    ne lui permet pas de

    visiter

    les champs o

    pointent

    les

    pousses de

    bl,

    parce

    que les

    Jukun sont

    persuads que les

    rcoltes

    seront

    ravages

    s'il

    s'en

    approchait.

    Meek

    rapproche

    ces

    observations

    faites

    au

    Nigeria d'autres

    qui

    concernent

    la Mlansie, o l'on trouve la croyance que l a

    pprov i s i onn ement

    alimentaire dpend du chef, et

    aussi

    qu'un contact

    de celui-ci

    avec les

    plantations risque de les dtruire. De sorte que le chef (par exemple

    Suva)

    ne

    doit

    pas aller dans les

    champs,

    de

    crainte

    de

    faire

    prir les

    rcoltes 4.

    Les effets destructeurs

    du

    pouvoir

    du roi

    sont ceux attribus l'inceste, en

    con

    tradiction avec

    la

    croyance qui prte l'inceste

    une

    efficacit

    bienfaisante.

    L'ethno

    graphie confirme, d'autre part, que les effets destructeurs

    de

    l'inceste sont, en

    der

    nire analyse, ceux provoqus

    par

    le sang, et en particulier par le sang

    des

    fonctions

    gnratrices

    fminines

    5.

    1. Frobenius a

    dcrit une

    fte Yoruba au cours de

    laquelle

    les gens s'accouplaient dans les bois,

    afin que la

    pluie ne

    manqut

    pas

    et que la rcolte ft bonne.

    Cette

    fte,

    lui dit

    un vieillard, tait

    clbre

    en souvenir du mariage incestueux d'Oranja et de Jemaja, parents du

    dieu Schango,

    dont

    le

    roi

    est l'incarnation. L'auteur

    ayant

    fait observer

    une vieille

    prtresse

    qu'il y avait assez de

    femmes

    en lgitimes noces pour

    satisfaire

    aux exigences de VOrischa (le dieu) , elle lui rpondit

    que

    c'est

    dans un

    bois et

    sans lgitimes noces que la desse Jemaja

    conut le

    dieu

    Schango

    (1949, pp. 204-205). Ce qui indique que pour les Yoruba ce sont les unions incestueuses, l'instar

    de celle dont devait natre

    Schango

    (

    son

    tour incestueux avec sa mre), et non les unions lg

    itimes

    ,

    qui ont le pouvoir de faire tomber la

    pluie.

    2.

    Chez les

    Lovedu, le

    mythe

    lie

    l'inceste

    de la

    princesse

    Dzugudini aux charmes de pluie, qu'elle

    emporte dans

    sa

    fuite (Krige, 1943, pp. 5-6). La reine incestueuse

    Mujajii

    est une clbre

    faiseuse

    de pluie. A la

    mort

    de la reine mre, les Lovedu prlevaient et

    conservaient

    les parties du cadavre

    considres comme les

    ingrdients

    du rainmaking : la peau du front et la

    salet

    du

    corps

    (Id.,

    pp. 9-10

    et

    167-168). Une

    lgende

    parallle

    celle

    de

    Dzugudini

    existe

    chez

    les

    Swazi.

    3. Meek,

    1931

    (A),

    p.

    129 et

    p.

    137.

    4. Meek,

    id.,

    pp. 130 et 322. A propos de l'ambivalence du roi

    des Jukun,

    cf. Young, pp.

    147-

    148.

    5. Pour

    les Batta

    de

    Sumatra,

    par

    exemple, le

    crime d'inceste, s'il n'est

    pas promptement

    rachet,

    ruine les moissons. Avant d'pouser

    une

    cousine (mariage

    qui

    enfreindrait leurs coutumes exo

    games), les Dayak de Borno excutent un

    rite

    dans

    le

    but d'carter les

    dangers d'une

    union trop

    proche qui pourrait,

    disent-ils,

    affecter

    la terre et en particulier la croissance du riz. Les Macassar

    et les Buginese des Celebes du Sud ont a croyance quel 'inceste tarit les rivires et

    rduit le

    nombre

    des poissons...

    Quand

    la rcolte

    est

    insatisfaisante, quand le btail

    est malade, les

    gens croient

    que l'air et la

    terre

    ont t souills

    par

    un

    contact

    incestueux

    (Frazer,

    1911-1915,

    II,

    p. 115).

    A

    ces

    exemples,

    Frazer en

    ajoute d'autres, emprunts

    aux civilisations

    archaques. Il rappelle

    que,

    d'aprs Sophocle, l'ancienne Thbes a

    souffert

    sous

    le

    rgne

    d'dipe

    de ravages, de pestilences

    et

    de

    la

    strilit

    des

    femmes

    et

    du

    btail

    ;

    l'oracle

    de

    Delphes avait

    dclar

    que la

    seule

    manire de

    676

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    11/32

    DU

    ROI MAGIQUE AU ROI DIVIN L. MAKARIUS

    Nous

    constatons

    donc

    que

    la croyance aux

    pouvoirs

    dvasteurs

    du roi inces

    tueux

    est un aspect ncessaire de la croyance

    aux

    pouvoirs

    bnfiques

    qu'il exerce

    sur la

    nature, au

    moyen de la

    force

    ambivalente du sang dangereux,

    force qu'il

    a

    conquise

    en

    effectuant

    une

    violation dlibre du

    tabou

    du

    sang.

    Ainsi, la

    thse

    affirmant

    que la

    fonction violatrice

    du

    roi

    est V

    essentiel

    de

    la royaut nous aura per

    mis d'aller au cur du problme, en reconnaissant

    la

    nature du pouvoir dont le

    roi divin

    est investi.

    L'inceste,

    violation majeure,

    n'est

    pas toujours l'unique violation que commet

    le roi.

    Soit qu'aux fins magiques poursuivies ainsi, d'autres violations paraissent

    tre des

    adjuvants utiles ou ncessaires, soit que l'on considre que toutes

    les

    vio

    lations

    s'apparentent

    aux

    violateurs,

    soit encore

    que

    l'on veuille

    par l souligner

    le caractre exceptionnel du

    briseur

    de

    tabou, nous

    constatons que souvent le

    roi

    commet

    d'autres violations

    que l'inceste.

    Elles

    font

    parfois partie des

    rites

    d'intro

    nisation.

    Chez les Bushong, par exemple, o les rats

    sont

    nyec (dgotants) et cons

    tituent un tabou

    national,

    le roi

    se voit offrir,

    lors de

    son couronnement,

    un panier

    plein de ces rongeurs1.

    Au

    cours

    du

    rite

    d'investiture du

    chef

    Luba

    a lieu

    une violation dlibre

    des

    tabous

    alimentaires.

    Le chef, qui vient de commettre l'inceste avec sa nice, est

    conduit dans la

    cuisine

    de sa nouvelle

    rsidence,

    et

    l

    on

    le fait manger de la mme

    faon que l'initi,

    la

    veuve, etc. , c'est--dire qu'on le soumet

    aux

    mmes

    tabous

    et comportements alimentaires imposs aux

    personnes places

    sous le tabou du

    sang.

    On lui

    fait

    toucher tous

    les

    ustensiles

    qui

    lui

    seront

    dornavant exclusivement

    rservs,

    puis,

    en un repas

    rituel,

    on fera

    manger au chef au moins une

    fois tous les

    mets

    dfendus

    2.

    rtablir

    la prosprit tait de bannir le pcheur,

    dont

    la prsence provoquait le fltrissement des

    plantes,

    des animaux

    et

    des

    femmes. Mais

    Colone,

    dipe se dira porteur d'une

    grce" et de

    bienfaits.

    D'aprs la lgende, quand l'Irlande, au

    sicle, fut afflige d'une disette due

    aux

    rcoltes

    dsas

    treuses et d'autres

    malheurs, on

    dcouvrit que le

    roi

    commettait

    l'inceste

    avec sa sur. Les deux

    fils ns de cette

    union

    furent condamns tre brls. Frazer conclut en affirmant que la croyance

    au

    pouvoir dvastateur de

    l'inceste est trs

    rpandue et remonte

    des

    temps

    trs

    reculs ; elle pourr

    ait

    mme, son

    avis,

    avoir

    prcd l'essor

    de

    l'agriculture. L'auteur, qui

    explique cette croyance

    par

    le

    raisonnement

    que l'inceste serait considr comme nuisant la

    reproduction

    des

    tres vivants

    et des plantes, parce qu'il

    est

    vu comme

    subvertissant

    le processus naturel de la reproduction,

    envi

    sage la possibilit

    d'attribuer

    une

    telle croyance l'horreur de

    l'inceste

    (Id.).

    Les

    effets

    destructeurs attribus

    l'inceste sont les

    effets

    destructeurs attribus

    au sang,

    et

    en

    particulier

    au

    sang

    des

    fonctions

    gnratrices fminines.

    Il

    suffit

    de rappeler

    la

    croyance

    Maori

    sur

    les

    effets dsastreux

    que

    produit sur

    les sources de l'alimentation l'approche des

    femmes

    saignantes

    (cit par Makarius, 1961, pp. 130-131). Ou encore les deux surs du mythe australien, les Wawa-

    lak

    (l'une

    pubre et l'autre accouche), laissant

    sur leur

    chemin une

    trace

    sanglante, faisant

    fuir

    le

    gibier

    et tomber

    en

    cendres

    les

    ignames (Id.).

    Ces effets dvastateurs de l'inceste

    expliquent

    les

    cas

    o seul le caractre

    destructeur

    du roi

    parat avoir t retenu. Ainsi Williamson crit : Le roi deTutuila... devait toujours

    regarder

    le

    sol, parce que si son regard tombait sur les arbres et les animaux et sur les autres choses, il les

    aurait

    fait mourir. Il n'y a ici aucune suggestion d'un processus faisant prosprer les choses, mais il

    est

    plutt question d'un tabou infectieux produit

    par

    un contact

    indirect

    avec un grand

    chef...

    (III,

    p. 321). Vansina crit du

    roi

    de

    Bushong

    qu'il ne

    doit

    pas

    s'asseoir

    terre

    ou traverser un champ

    parce que

    le sol

    serait

    brl

    par ce contact direct

    avec le souverain

    (1964, p.

    100).

    Nous

    avons

    pour

    tant

    vu le mme

    auteur

    dclarer que le roi

    est

    le dispensateur de la fcondit .

    1.

    Vansina,

    1955, pp.

    149-150.

    2. Theeuws,

    1960,

    pp. 172-173. L'auteur continue : Reste un rite parfaire pour faire mordre

    677

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    12/32

    ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

    Parfois

    ces

    actes violateurs sont accomplis lors

    de

    clbrations priodiques,

    comme chez

    les

    Ashanti,

    o le

    roi,

    pendant

    la

    fte dite Odwira, frappe

    rituellement

    un

    buf de son pe

    en

    or

    Bosommuru, qu'un

    tabou imposerait

    de

    tenir

    radical

    ement

    pare

    des bufs

    et

    des

    taureaux1.

    Certaines

    de ces violations

    se

    prtent

    tre

    rationalises par

    des interprtations

    de

    sens

    commun :

    ainsi

    le fait que

    le

    roi de

    Ghanda faisait

    saccager les

    temples des

    divinits qui

    l'avaient offens actes

    pour

    lesquels toute autre personne aurait

    t

    immdiatement mise

    mort

    par la

    garde du

    sanctuaire tait

    considr

    comme

    une manifestation de la puissance royale 2. Au

    dbut

    du xvine

    sicle,

    le

    premier

    roi du

    Dahomey, Te

    Angbalin,

    dfiant

    la

    coutume

    qui l'interdisait, fit excuter

    un

    couple

    de jumeaux

    pour

    prouver sa

    toute-puissance

    sur

    les

    hommes

    et

    les

    vaudouns

    de

    son territoire

    ;

    ayant

    accompli

    ce haut fait,

    audacieux

    pour son

    poque,

    il consi

    dra

    qu'il n'avait plus rien craindre

    des mnes des

    simples mortels, qu'il

    pouvait

    dsormais

    faire tuer impunment 3. Dans ces deux cas, le motif originel

    qui

    porte

    le roi

    violer le

    tabou

    est

    recouvert par les considrations

    pratiques

    auxquelles

    ces

    violations

    donnent

    lieu.

    Mais

    la nature

    essentielle

    de

    ces

    actes

    apparat

    de

    certains

    le

    bulopwe (la

    royaut). Le

    premier ennemi tu

    au combat

    ou

    dans un meurtre

    rituel

    est dcapit.

    On jette la tte

    contre

    la poitrine du chef. La tte

    roule

    par terre et

    le chef

    enfonce

    le

    grand orteil

    dans l'il. Il crase la tte. On garde le sang de la victime. Les chasseurs

    s'abstiennent

    pendant

    une

    nuit

    et partent la chasse. Ils cherchent

    des

    feuilles

    d'arbre

    trs dures. Ils cuisent ces feuilles.

    Ils y

    ajoutent

    un peu de la viande de chaque

    antilope

    dfendue

    par les tabous,

    un peu de poisson

    noir, galement

    dfendu, du sang

    humain

    et de la

    poudre

    racle de l'os

    frontal d'un mort. Le

    chef

    se met la

    plume

    rouge

    du boucan

    (porte seulement

    par ceux qui ont

    vers

    du sang

    humain) dans

    les cheveux. Il

    mange.

    Le bulopwe mord. Il est vraiment

    chef

    au mme titre que ses collgues

    investis (Id.).

    Un autre observateur des Luba, Burton,

    fait

    le rcit suivant : quand le chef

    sort, en

    propht

    isant

    t

    en

    dansant,

    de

    la

    hutte

    dans

    laquelle

    il

    vient

    de commettre

    l'inceste

    avec

    sa

    nice,

    il

    se

    passe

    une scne

    inhumaine de boucherie...

    Un

    village

    vassal est

    choisi pour tre

    ananti... Un nou

    veau

    chef doit

    tre oint avec du sang humain, et il

    doit

    mettre ses

    orteils

    dans les orbites de ceux

    qui ont t

    tus par des

    guerriers...

    Ainsi le mudyavita,

    le

    commandant en

    chef de ses

    forces, jette

    aux pieds du

    chef

    les

    crnes

    des tus, l'oignant de la tte aux pieds de leur sang, et jetant des poignes

    de

    sang sur

    les spectateurs.

    De

    plus,

    on

    prpare

    des

    aliments avec l'eau de la source sacre et

    on

    les mlange

    au

    sang des

    tus.

    Pendant

    que le chef mange cela, le ncromancien en

    chef

    lui

    enjoint

    de manger dsormais

    seul et de

    ne pas se

    laisser

    voir en train

    de manger et de boire, sous peine de perdre son pouvoir

    et de mourir

    (1961, pp.

    23-24). Pour

    les nombreuses violations

    de tabou

    commises par

    le

    roi

    Swazi

    lors de

    YIncwala, v.

    l'article

    cit

    de L. Makarius.

    1. Rattray, 1927, pp. 136-137.

    L'Italien

    Cavazzi

    da

    Monte Cuccolo, crivant la fin

    du xviie

    sicle,

    raconte qu'un guerrier,

    qui

    avait rassembl

    une

    bande de brigands pour ranonner

    les passagers au guet

    du Kwango, commit un meurtre sur la personne de sa

    tante,

    qui allait

    avoir

    un enfant.

    A

    la

    suite

    de ce haut

    fait,

    il

    fut

    proclam

    chef, mutinu.

    Il

    envahit

    une

    province,

    fonda

    une

    capitale

    et y

    organisa

    son rgne

    (p.

    237).

    Cavazzi

    voque ainsi

    le

    premier

    roi

    du

    Congo,

    dont Balan-

    dier

    situe le

    rgne

    dans la seconde moiti du

    xive

    sicle, connu sous le nom de Ntinu Wn. Une

    double

    violation de tabou,

    le

    meurtre d'une

    parente et d'une femme enceinte,

    l'a qualifi

    pour

    la

    royaut. C'est

    cette violation

    qui explique

    le

    tabou qui

    l'entoure.

    Les habitants du

    pays

    portrent

    un si grand respect, un endroit de la fort o... il fit sa

    demeure,

    que ceux qui passaient aux

    envi

    rons

    n'osaient

    pas

    tourner la tte de ce ct. Ils taient persuads

    que, s'ils

    le faisaient, ils

    mourr

    aient sur-le-champ.

    (Balandier,

    citant un texte de

    Cuvelier,

    qui

    se

    rfre Cavazzi.) Et encore :

    ses armes et son contact tuent . (Balandier,

    p.

    24.)

    L'auteur que

    nous venons de

    citer

    voit

    toute

    l'importance

    qu'il

    faut

    attacher ces faits : ...

    les

    donnes de la tradition

    kongo

    concernent

    moins une

    histoire singulire qu'une

    conception

    gnrale

    des

    fondements

    archaques

    du

    pouvoir

    ancien.

    Une

    thorie que l'Afrique ancienne connut largement, mais dont elle ne fut pas la dtentrice

    exclusive (p.

    25).

    2.

    Roscoe,

    1911,

    pp. 301,

    273.

    3. Akindel et Aguessy,

    p.

    47.

    678

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    13/32

    DU

    ROI MAGIQUE

    AU

    ROI DIVIN

    L. MAKARIUS

    textes

    ethnographiques,

    par exemple

    du

    texte

    suivant concernant le

    chef

    des Lele

    (Kasai),

    qui

    rclame le droit exclusif de tuer

    des

    tres humains, droit qui aurait t

    acquis par l'anctre

    mythique

    Woto en dfiant

    la

    prohibition de l'inceste.

    (Woto

    eut

    comme

    punition

    la

    lpre,

    et

    comme rcompense

    la

    vertu

    divine

    de

    contrler

    la vie

    .)

    Un chef, crit Mary Douglas, peut briser

    les

    rgles ordinaires de la vie

    sociale sans tre pour cela considr comme un animal. L'inceste rituel est partie

    essentielle des rites d'intronisation. Un jeune

    chef

    est cens tuer

    un frre

    de clan

    chacun des rites de transition

    de

    son adolescence. Ces transgressions

    du code

    normal

    sont,

    pour

    les

    chefs,

    une

    source

    de pouvoir magique,

    bien

    que pour

    toute

    autre

    personne elles

    entraneraient une

    punition divine. Le symbolisme normal

    est

    ici

    inverti,

    donnant un pouvoir

    sinistre

    la notion

    de

    souverainet.

    Tuer un

    homme

    du clan, commettre un inceste avec une femme du clan, ce sont l

    les

    deux crimes

    majeurs contre la solidarit

    clanique, deux

    crimes

    considrs comme dignes

    des

    btes.

    Sur le

    plan social,

    objectif,

    ces

    deux

    crimes

    majeurs,

    l'inceste

    et

    le

    meurtre

    d'un

    homme

    du

    clan, reprsentent la

    violation des

    deux interdits fondamentaux

    du

    groupe,

    l'interdit qui

    en rgit

    l'ordre

    social, et celui

    qui

    garantit l'intgrit de

    ses

    membres.

    Leur

    violation porte

    atteinte de la mme

    manire

    la

    solidarit

    clanique.

    Sur le plan magique,

    subjectif,

    ils reprsentent deux actes de mme nature et

    d'efficacit

    quivalente.

    L'un et l'autre

    permettent de

    raliser le contact

    avec le sang

    consanguin qui, tant le sang le plus dangereux (parce qu'il lui est attribu le pouv

    oir de faire couler le sang

    des

    membres du groupe), est considr comme le

    plus

    dou

    d'efficacit

    magique. Il

    n'est

    donc pas surprenant de

    voir

    ces deux interdits

    fondamentaux viols

    par

    le chef,

    qui

    associe l'inceste le meurtre consanguin,

    ces

    deux violations

    criminelles

    tant

    sa prrogative

    suprme

    2.

    Chez

    les

    Ashanti,

    la

    reine

    n'tait

    considre comme

    apte

    rgner

    que

    si

    elle

    con

    senta it

    au

    sacrifice d'un de ses proches, l'immolant

    pour

    assurer la

    prosprit

    d'une

    ville fonder, ou

    pour loigner

    un malheur

    frappant le

    pays.

    Elle

    devait

    sacrifier

    de prfrence une de ses filles arrives la pubert, sinon un fils, ou encore une de

    ses

    surs

    ou de

    ses nices.

    Il tait

    essentiel

    que

    la victime

    ft

    du lignage

    de

    la

    reine

    mre.

    Ce

    sacrifice consanguin tait considr comme indispensable,

    au

    point que

    lorsque, au

    xvnie

    sicle, tous les enfants d'une reine mre

    refusrent

    de

    se

    laisser

    immoler (le consentement des victimes tant ncessaire), le

    roi

    fut exil et la ligne

    fut maudite et

    dclare

    tombe au rang

    des

    gens

    du

    commun. Un homme d'une

    autre ligne fut

    lu,

    sa nice s 'tant

    spontanment offerte pour

    le sacrifice 3.

    Cet exemple

    montre que le meurtre

    des

    frres et d'autres

    parents

    qui accompagne

    souvent

    l'investiture

    d'un

    roi n'est

    pas

    toujours explicable

    par

    les

    raisons politiques

    et

    dynastiques

    qui

    sont

    gnralement

    proposes

    pour

    les

    justifier

    4.

    S'il

    est

    compr-

    1.

    Douglas,

    1963, p. 202. Vansina affirme

    que,

    exactement

    comme

    le sorcier

    transgresse

    toute

    une srie de tabous

    et

    en acquiert un surcrot de force

    malfique,

    le roi transgresse les

    interdictions

    les

    plus sacres et

    en retire une

    force supplmentaire

    (1964, p.

    111).

    2. Sur le meurtre

    consanguin,

    voir L. Makarius, 1969, (A), pp. 23-24 ; 1969 (B), p. 238 sq. ;

    (C), pp. 627-628.

    3. Meyerowttz, 1958, p. 27, n. 2. Ayagba, roi des

    Igala,

    dont

    on

    situe le rgne

    vers

    la fin du

    xvne

    sicle,

    dut

    sacrifier une

    fille

    qui

    lui tait trs chre, la belle Enekpe

    (ou

    Inikpi), pour

    viter

    d'tre battu

    par les

    Jukun. Les rois d'Igala rendent un culte

    au

    tombeau de la jeun esacrifie (Clif

    ford, p. 399 ; Boston, p.

    232).

    V. aussi A.

    Lebeuf,

    1969, pp. 57, 65, 67, 70, 71,

    74.

    4.

    Par

    exemple,

    chez

    les

    Nyoro

    (Roscoe,

    1923

    (A),

    p.

    123),

    au

    Nkole

    (Oberg,

    1948,

    pp.

    157-

    158), chez les Luba (Burton, p. 20). Irstam crit que l'ide inspirant ces meurtres

    est naturellement

    679

    Annales

    25*

    anne,

    mai-Juin 1970, n* 3)

    8

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    14/32

    ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE

    hensible

    que

    des

    luttes

    politiques aient lieu entre frres

    d'une

    famille royale, ou

    encore

    entre les deux

    lignes du

    souverain, et

    qu'elles

    entranent

    combats

    et assas

    sinats, ces conflits recouvrent parfois le thme rituel au point

    qu'il

    est difficile

    de

    le

    reconnatre, mais ne l'excluent pas. Nous

    voyons l

    un exemple de la

    convergence

    de

    la

    raison

    magique

    et

    de

    la

    raison

    politique,

    de l'imbrication de

    celle-l

    dans

    celle-ci,

    ce

    qui

    permet la conservation

    d'usages

    ayant trouv,

    dans de

    nouvelles

    conditions sociales, une justification

    diffrente

    de leur raison d'tre originaire.

    L'arme

    magique,

    traditionnelle,

    du meurtre consanguin

    sert

    liminer lgitim

    ement

    des

    rivaux potentiels ou rels

    \

    Le

    meurtre consanguin, accompli dans un but magique,

    n'est

    certainement

    pas absent

    de

    l'enchevtrement

    d'instigations au

    meurtre

    qui accompagnent

    l av

    nement

    d'un

    roi tribal.

    Le

    meurtre politique recouvre ce thme

    magique

    original,

    tout

    comme dans certaines

    socits,

    par

    exemple

    Hawaii, la sauvegarde de la puret

    du

    sang aristocratique

    recouvre le thme

    de l'inceste magique. Pourtant,

    si

    l'inceste

    royal

    avait

    vraiment

    un

    tel

    but,

    il

    serait trange

    que

    ce sang

    prcieux

    ft

    vers

    avec

    tant

    de

    dsinvolture par

    un membre

    de

    la

    famille

    royale.

    Le

    roi se prsente

    sous un

    nouvel

    angle, mais toujours sous

    le mme clairage,

    en tant que dtenteur

    des

    mdecines

    et

    des

    talismans

    qui

    constituent

    les attri

    buts essentiels de la royaut. Chefs et souverains

    s'identifient

    ces objets, ces

    mdecines, qui sont

    censs

    assurer

    la

    victoire sur l'ennemi et

    la

    prosprit et le

    bon

    heur

    du

    royaume, et qui reprsentent en mme temps les insignes de leur statut, les

    symboles

    de

    leur

    puissance magique

    et

    les instruments

    par

    lesquels

    elle s'exerce.

    Le

    roi des

    Makalaka

    du Bchuanaland, Mambo, prophte rput, chef de tous

    les

    le

    dsir de prvenir

    une

    guerre civile (p.

    74).

    De

    Heusch, par contre,

    pressent

    l'existence d'un lien

    entre

    le meurtre des frres et

    l'inceste

    du

    roi.

    Il

    crit

    :

    Le

    rituel incestueux doit tre mis

    en

    corr

    lation... avec la lutte des frres

    ennemis

    ; ces deux lments traduisent

    en

    actes

    passionns

    une

    ontologie

    base sur

    la

    puissance

    vitale (p.

    123).

    Mais dire

    que

    l'inceste

    et

    le

    meurtre sont

    des

    actes passionns (ce qui

    est d'ailleurs

    le contraire de la

    vrit, rien n'tant

    plus exempt de pas

    sion que ces actes accomplis en hommage la tradition) ne

    nous

    claire pas

    sur

    la

    relation qui

    les

    unit l'un

    l'autre

    et tous les deux la puissance , que

    nous

    n'appellerons pas vitale , mais

    simplement magique .

    Relation qui

    se dcouvre la lumire de la violation de tabou,

    l'inceste

    et le meurtre tant deux moyens violateurs de raliser un but

    identique,

    le contact avec le sang

    consanguin qui,

    tant

    le

    sang

    le

    plus dangereux,

    est

    aussi

    le

    plus

    efficace

    dans

    la magie.

    1.

    Une

    autre

    circonstance rend difficile l'tude

    du

    meurtre consanguin

    dans

    le cadre des

    vio

    lations

    royales.

    On

    constate

    que

    certains rites

    de sang, qui

    ont

    lieu

    l'investiture

    et

    qui

    comportent

    la mise mort d'un

    consanguin,

    sont interprts

    comme

    des

    rites

    de rachat. Chez les Bakitara, un

    jeune

    frre du

    roi, trait en

    mock

    king, est

    tu

    au

    moment de l'intronisation du souverain pour

    tromper la

    mort

    , et afin que le roi soit libr de tout le mal qui pourrait s'attacher sa per

    sonne

    (Roscoe,

    1923

    (A), pp.

    129-130).

    L'intention d'effectuer un

    rachat

    sanglant (V., pour

    la signification

    prcise de ce

    terme,

    Durkheim,

    op.

    cit., pp. 49-50)

    est

    clairement

    exprime, mais

    il n'est pas impossible qu'un meurtre magique

    de

    consanguin ait t interprt en ce sens. La cou

    tume du roi des

    Amaponda,

    de

    se

    laver, lors de l'acession au

    trne,

    dans le sang d'un proche parent,

    gnralement d'un frre

    (Frazer,

    1938,

    p. 51, citant

    Gardiner, 1836) peut

    se classer

    dans

    l'une

    ou l'autre de ces catgories, ou dans

    les

    deux la

    fois.

    La

    situation de danger, sinon de

    culpabilit, cre

    par

    l'inceste royal, fait

    appel

    au

    rachat san

    glant

    visant effacer le danger de sang dclench par l'inceste. (Pour la relation

    tablie entre

    inceste

    et danger

    de sang, ainsi que pour les rites de sang

    tendant

    racheter

    le

    danger

    sanglant de

    l in

    ceste cf. Makarius, 1961, pp. 69-73). Dans ces conditions, il

    est

    fort possible qu'un rite homicide

    dont

    le

    but

    premier tait

    la violation

    du

    tabou

    sur

    le

    sang

    consanguin,

    soit compris

    comme

    un

    rite,

    de

    rachat

    et devienne effectivement tel.

    680

  • 8/10/2019 Du roi magique au roi divin

    15/32

    DU

    ROI MAGIQUE AU

    ROI DIVIN L MAKARIUS

    magiciens du

    territoire, tait

    l'homme

    capable de

    procurer

    toutes les

    mdecines

    pour la chance et tous

    les

    charmes importants... ,

    l'homme

    charg des

    cornes

    contenant les

    charmes

    .

    D'aprs l'auteur,

    ces cornes taient les sacra de la tribu,

    et

    elles confraient le

    pouvoir de

    rgner

    celui

    qui

    les

    possdait1.

    Le

    kiragu est

    ce

    qui

    fait

    le

    Mugwe

    , disent

    les

    Imenti en

    parlant

    du pot rempli

    d'un

    liquide

    mystrieux qui est

    l'attribut du

    pouvoir de leur chef. Comme

    il tient le

    kiragu de sa main gauche, cette main doit toujours

    tre

    couverte et cache ; il est

    dfendu d'y jeter un regard, et celui

    qui

    la verrait mourrait sur le champ.

    Il

    suffit

    au Mugwe de lever

    cette

    main

    gauche pour

    repousser

    une

    arme ennemie, he kiragu

    lui donne

    le

    pouvoir de bnir et celui de

    tuer.

    Il

    est

    donc

    une mdecine

    hautement

    ambivalente, de mme qu'est ambivalent

    le

    pouvoir

    du

    Mugwe, magiquement

    responsable

    du bien-tre du

    peuple,

    mais pouvant

    aussi

    faire mourir les arbres

    et

    lancer des

    maldictions dvastatrices, et dans tous les

    cas

    inspirant

    la

    terreur 2.

    La plus

    grande

    des mdecines nyakyusa est employe

    exclusivement

    par le

    chef. Le pouvoir de

    cette

    drogue

    terrible

    est dangereusement

    pareil

    celui

    des

    sorciers.

    Associe

    aux

    sang

    et

    aux

    excrments

    et

    compose,

    dit-on,

    du

    sang

    d'un

    python

    qui

    aurait march sur

    les

    lames d'un rasoir, elle est si terrible que si le

    roi

    tait

    bless

    tout

    son

    peuple mourrait. La mdecine

    est

    place dans de petites cornes,

    rattaches

    aux

    objets ports

    comme regalia la guerre.

    Elle est

    une

    chose qui tue

    les

    gens. 3

    Les

    pouvoirs du roi des

    Bushong

    sont

    dus, dans

    la croyance de leurs

    sujets, aux

    charmes

    et

    aux mdecines

    qu'il possde. S'il les porte sur

    lui,

    il ne tra

    verse

    pas un champ

    par le milieu, car s'il

    passe, les

    rcoltes priront toutes. 4

    Chez

    les Ambo de

    Rhodesie

    du

    Nord, les chefs connaissent

    la

    mdecine de famine ,

    ou busibungu,

    qui contient du sang menstruel et est prsume

    pouvoir

    dvaster le

    pays 5.

    Destructrices, mortelles, effets nfastes, foudroyants, ces

    mdecines

    sont

    nanmoins

    l'apanage

    des

    tres

    desquels

    dpendent

    la

    prosprit

    et

    le bien-tre

    du

    royaume

    et de

    ses

    habitants. Ambivalentes comme

    leurs

    dtenteurs, elles sont,

    comme eux, dangereuses et terrifiantes autant sous leur aspect

    bienfaisant

    que sous

    leur aspect malfique.

    C'est

    qu'elles sont de mme nature

    que les

    chefs et

    les

    rois,

    1.

    Sebin, pp. 82-96.

    2. Bernardi,

    pp.

    100-104. Cf. R. et L. Makarius, 1968,

    pp.

    208 sq.

    3. Wilson, 1959,

    pp.

    58-60.

    4.