Mémoire

Effets objectifs du massage

Etude des variations de la pression artérielle,de la fréquence cardiaque, des réactionsau polyréactiographe, du taux d'acide lactiqueet de l'adaptation à l'effort

Ann. Kinésithér., 1980, 7, 415-425

M. FINE *, E. CHABUEL **

Si peu de kinésithérapeutes tentent une validation de leur métier pardes techniques de mesure réellement « scientifiques », c'est que l'expérienceest douloureuse et souvent décourageante. En effet, l'on a beau sepersuader qu'un résultat négatif est un résultat intéressant, on n'en est pasmoins découragé lorsque ledit résultat négatif nie précisément l'une desidées fondamentales de l'enseignement du métier. Dire que le massage((sédatif» maintient en éveil, à l'inverse de ce que nous avons cru? Oui,c'est inconfortable. Mais nous devons remercier les auteurs: plus lesprécisions s'accumulent, plus nous avançons vers une kinésithérapieintelligente.

Pour suivre une démarche rigoureuse, ilfautfaire beaucoup plus qued'afficher en gros caractères le mot ((scientifique ». Il faut passer par laporte étroite du travail sans gloire et veiller sans cesse à l'erreur deméthodologie, puis à l'erreur d'interprétation. Ce bref travail en est letémoin.

INTRODUCTION

Les effets du massage classique restent basés sur des donnéesempiriques ou subjectives; les auteurs sont anciens (1) (2). Depuis 1970,

* Kinésithérapeute, Centre des Massues, 92, rue E.-Locard, F 69005 Lyon.** Kinésithérapeute, C.H.R., F 38000 Grenoble.

Travail réalisé au laboratoire d'exploration fonctionnelle (Pr M. Tanche), 8.P, 217X, F 38043 GrenobleCedex,

Les auteurs remercient Madame le Professeur Agrégé ETERADOSSI, du Laboratoire de Physiologie, pourson aide et ses conseils éclairés.

415

Samuel demande que l'expérimentation fasse usage des méthodologiescontemporaines (4) (5); c'est précisément ce que nous nous sommesattachés à faire.

Nous nous sommes proposés d'étudier l'influence d'un massageclassique « lent et circulatoire» sur les variations de plusieurs paramètres:

la pression artérielle maximale et minimale,la fréquence cardiaque,le taux d'acide lactique après l'effort,la vitesse de réaction au polyréactiographe,la stabilisation de la fréquence cardiaque au palier correspondant à

un effort donné,- les incidences psychologiques, volet subjectif du travail: nous

avons demandé aux sujets leurs « impressions» après massage.

MÉTHODE

Tous les résultats seront évalués statistiquement (3).

Chronologie des mesures par séance

L'expérience, effectuée par deux opérateurs, se déroule sur deuxséances pour un même sujet (fig. 1)..

L'ordre des séances est aléatoire et l'effort est placé immédiatementaprès le massage ou après la période de repos qui lui correspond.

, I.e.-- p.a. ----, I.e.--,- -------I.e.---- p.a.---------+ •. ~l

Tt ~ R -, _----- - -- - M - ----- --- -- T2 - E-, ~ _------- --- R---- ---------- T4

S éanee AM t/ ',/ '1 't / 't" l ' 1 •

Il! 1 r 1 1 1 1

1 1 Iii 1 1 1 1 1

1 [ 1 1 1 1 1 [ 1 1

1 r t 1 1 1 1 ) 1 1

1 1 1 1. 1 1 1 1 1 1

__ Temps 0' -- 5' -- 10' -- 15'-- 20' - 25' -- 30' -- 35' - 40'-- 45't J 1 J 1 1 1 l '1 1

1 1 1 1 1 r 1 1 1 1

1 1 1 l, 1 1 1 1 1 1

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

Séance SM l, 1 ! 1 1 ~ ,1 \ 1 1 •

. -~T3"---------- R-------------T4lAl

A M avec massage

SM, sans "

f.c .. fréquence cardiaque

R : repos E: effort Al: acide lactique

M, massage T, test sur polyréaetiographe

p.iI.: pression artérielle

FI G. 1 -. Déroulement comparatif des 2 séances.

Séan~e avec massage (A.M.)

Le massage dure 10 mn sur chaque membre inférieur de la racinejusqu'au pied compris, pour une durée totale de 20 mn.

416

Les manœuvres utilisées sont dans l'ordre d'application: l'effleurage,les pressions glissées, le pétrissage profond. L'intensité est moyenne, lerythme lent, le but circulatoire et calmant.

De plus, il nous a paru nécessaire que ce soit toujours le mêmeopérateur qui effectue le massage. Ce massage est effectué entre lacinquième et la vingt-cinquième minute de l'expérience.

La fréquence cardiaque est mesurée au temps 0 min., 5 min., 10 min.,20 min., 25 min., puis toutes les 30 sec. pendant l'effort, puis toutes les 2min. pendant le repos.

La pression artérielle est mesurée au même moment que la fréquencecardiaque sauf pendant l'effort où elle n'est pas mesurée.

Le prélèvement sanguin pour le taux d'acide lactique (A.L.) esteffectué dans la minute qui suit l'effort.

Les tests au polyréactiographe sont effectués pour T1 à 0 min., pourT2 à 25 min., pour T3 dans la minute qui suit l'effort et pour T4 en fin deséance.

Les incidences psychologiques sont notées, pour le massage dans ladernière minute de celui-ci, pour l'ensemble de la séance une fois celle-citerminée.

Séance sans massage (S.M.)

Elle est identique à la précédente mais les 20 min. de massage sontremplacées par 20 min. de repos dans la même position.

Matériel utilisé

Pour les variables cardia-circulatoires:

- un électrocardiographe pour le pouls. Le comptage des picss'effectue plus tard à l'aide d'une réglette;

- un tensiomètre sur pied à colonne de mercure, plus un stéthoscopepour la mesure des pressions artérielles;

Pour l'épreuve d'habileté:

- un polyréactiographe programmable dont le programme choisi estde 50 stimuli, un toutes les deux secondes, de trois couleurs différentes;chaque couleur correspondant soit à la main gauche, soit à la main droite,soit au pied droit.

Le délai de réponse est imposé (80/1 ooe de seconde).

L'appareil enregistre le temps de réponse au stimuli visuels en 100ede seconde, le nombre d'erreurs (E) et le nombre d'oublis (0) par réponsedans le délai imparti. .

Pour l'épreuve d'effort:

- un cyclo-ergomètre médical à frein mécanique de type Monark sur

417

lequel le sujet effectue un effort de 1 min. 30 sec. à 50 w puis de 150 wjusqu'à l'arrivée en plateau du pouls.

- le matériel nécessaire au prélèvement d'un tube capillaire de sang.

Pour le massage:- un magnétophone dictant à l'opérateur les manœuvres de massage

à effectuer et leur localisation;- une table de massage à dossier réglable plus un coussin semi­

cylindrique placé sous les genoux.

Conditions d'expérimentation

La pièce est en lumière artificielle avec température stable à 22°(climatisation).

Les séances sont effectuées l'après-midi de 14 heures à 17 heures etrenouvelées pour un même sujet à 2 mois d'intervalle et à la même heure.La table de massage reste à la même place avec le dossier incliné à 30°sur l'horizontale. Un opérateur s'occupe du massage, du polyréactio­graphe, du réglage de l'effort sur bicyclette ergométrique et duprélèvement sanguin, le deuxième opérateur prend la pression et lafréquence cardiaque.

PopulationLes sujets sont tous élèves de 1re année de l'Ecole de Kinésithérapie

de Grenoble. Ils étaient au nombre de 16, mais 3 furent éliminés pourdaltonisme et traitement médical influençant la pression artérielle. Il restedonc 7 femmes et 6 hommes dont l'âge moyen se situe vers 20 ans.

RÉSULTATS

La fréquence cardiaque

A vant l'effort (fig. 2)

Pendant les 5 premières minutes la fréquence cardiaque chute endessous de 80 pulsations minute. Par contre, elle se maintient vers 78pulsations pour la séance A.M. alors qu'elle continue à baisser dans laséance S.M. pour atteindre 72 pulsations au bout de 25 minutes.

Implications en faveur du massage: le massage tel que nous l'avonspratiqué « entretient» la fréquence cardiaque, on peut donc postuler que lesujet est davantage en éveil que lorsqu'on l'abandonne à lui-même; cecivaliderait le désir de l'athlète qui demande qu'on le masse avant uneépreuve sportive, puisque son appareil cardia-vasculaire serait maintenuen état d'alerte.

418

F.C.

85-1+

80

AM

75

SM

705 10 15 20 25 Temps

170

150

130

110

o 1'

FIG. 2. - F.C. avant effort.

2' . 3' 4'

Temps effort

FIG. 3 a. - Variations de la fréquence cardiaque pendant l'effort.

Pendant l'effort (fig. 3 a)

La fréquence cardiaque au cours de l'effort après séance avecmassage est légèrement supérieure à la séance S.M. pendant 1 min. 30sec. correspondant à l'effort de 50 W. Par la suite, la fréquence cardiaque

419

o l' 2' 3' 4'Temps effort

FIG. 3 b. - Variations des différences de la fréquence cardiaque A.M. et S.M. pendant l'effort.

de la séance S.M. devient supérieure à la séance A.M. Ces variations senormalisent au bout de 3 min. (fig. 3 b).

Implications en faveur du massage: les résultats sont mitigés: lesujet débute son effort avec une F.C. plus élevée s'il vient d'être massé, cequi est le résultat de ce que nous venons de lire plus haut. Par la suite, lesujet massé voit sa F.C. augmenter moins que celle du sujet contrôle. C'estun avantage, puisqu'on recherche une fréquence basse au cours del'exercice physique. Cependant la différence reste peu importante.

Après l'effort (fig. 4)

La fréquence cardiaque dans les séances A.M. et S.M. se normaliseprogressivement mais compte tenu de la méthode de mesure assezimprécise, les résultats ne sont pas significatifs.

Implications en faveur du massage: en dépit de résultats peusignificatifs, il est intéressant d'observer les courbes: celle « en hachuré»qui correspond aux sujets massés reste inférieure à celle du groupe destémoins. Cela s'applique de manière assez évidente pour les valeurs de laPression Artérielle et reste beaucoup plus fugace (entre la 32e et la 3geminute) pour la Fréquence Cardiaque.

420

FC

110

PAJ20 100

1918i 9017

16~ 80

15

14 ~ 70

13

12 ~ 60

11

10i 509

8 ~ 40

7l":-x x~x/X~x/X PAm;,;"'-/V -------~----~----- /~

h_~/ ------//

6i 305

31' 35' 40' 45' Temps

FIG. 4. - Variations de la fréquence cardiaque et des pressions artérielles au cours de larécupération.

La pression artérielle

La pression artérielle maximale avant l'effort (fig. 5)

Elle est de 14,2 mm de Hg au début de la séance. Elle chute trèsprogressivement pendant les 25 min. de repos de la séance S.M. pouratteindre 13,2 Hg. Par contre, dès le début du massage elle augmentepour atteindre un écart maximal de 0,9 mm de Hg à la vingtième minute.

La pression artérielle minimale avant l'effort

Elle reste à peu près constante. Les variations sont faibles etmaximales à la 10e et à la 15e minute. Le massage maintient toutefois lapression artérielle minimale à un niveau légèrement plus élevé dans laséance A.M. que dans la séance S.M. (tableau 1).

421

P.A.

16115

13

12

11

x AM • SM

P.A.maxi.

x--------x·----- x---- -.--- ----- -----------

---+--- ----- ----.

10

P.A.mini.x:------ x ~-- ~I~- __ ~- __+_ ----

10 15 20 Temps 25

FIG. 5. - Pression artérielle avant l'effort.

TABLEAU 1. - Différence de P.A. pour chaque sujet avec et sans massage.

A.M.S. M.d!A.M.-S.M.)

8.9

8,7 0,2

8.8

8,5 0,3

9

8,3 0,7

8,8

8,2 0,6

8,9

8,5 0,4

8,6

8,4 0,2

Pression artérielle minimale - mm de Hg

A.M.S.M.d(A.M.-S.M.)

14,2

14,2 0

13,9

13,9 0

14,1

13,5+ 0,6

14,1

13,4+ 0,7

14,2

13,3+ 0,9

13,9

13,2+ 0,7

Pression artérielle maximale - mm de Hg

Implicafjons en faveur du massage: de même qu'il entretenait la F.C.,le massage conserve la Pression Artérielle à un niveau un peu plus élevéque celle enregistrée sur le groupe de témoins.

Les pressions artérielles au cours de la récupération (fig. 4)

Elles retrouvent progressivement leurs valeurs de départ mais avecdes variations trop importantes pour que les courbes soient significativesstatistiquement.

Les tests sur polyréactiographe

Les sujets ont tous bénéficiés d'une minute d'apprentissage.Rappelons que les stimuli étaient des affichages de couleurs différentes,

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chaque couleur correspondant à une extrémité différente (trois couleurs,trois actions possibles avec la main droite, la main gauche, le pied droit) ..

L'amélioration au cours d'une même séance (tableaux 1 et /1) avecune moyenne pour la séance AM. de 47,4 à T1 contre 43,81 à T4 et pourla séance S.M. de 46,64 à T1 contre 41,90 à T4.

Implication: Meilleure performance globale pour les sujets nonmassés (tableaux /1 et /II).

TABLEAU Il et III. - Moyennes des réponses justes à chaque test.

10 11 12 13

TI

T2

T3

T4

49,2839,2150,647,7356,5850,642,8149,238,9350,6546,8448,3647,78----------------~-------------------------------------------

43,146,352,740,7753,4548,5237,9847,3637,4146,8338,5746,9349,96----------------------- --------------- ------------------------

39,8444,149,8339,450,0545,2639,1242,8738,6547,0238,1943,1851,42--~----- -------- ----------~-----------------------------

38,8340,6451,0239,9746,8147,9543,3241,6837,5844,7341,8744,7551,18

_ B _ Sê.ance A.M.

10 11 12 13

TI

T2

T3

T4

48,82 48,3452,2647,6348,7543,9251,8843,814147,2439,3142,6950,86---------------------------------- ------__ n_--- ------

42,1644,7748,2433,6658,3442,7042,3245,3632,9156,3439,7649,749,79------------------- -------------- ------------------

44,3440,5639,4034,5148,8843.2242,5639,5227,7847,4438,5546,6751,73-- --

43,3141,9544,2233,2649,4642,6341,4140,8831,8541,3343,9747,3444,42

_C_Séance S.M.

Résultats équivalents entre T1 et T2 pour les séances AM. et S.M. :S.M. (Tl-T2) = 2,02 AM. (T1-T2) = 1,61.

Implication: Très nette amélioration après l'effort pour les deuxgroupes avec une supériorité pour les sujets non massés:

S.M. (T2-T3) = 3,35 AM. (T2-T3) = 1,59

Implication: Equivalence des résultats entre T3 et T4 mais avec unediminution du nombre d'erreurs et d'oublis pour les sujets non massés(tableau IV).

E A.M.

E S.M.

Tl

35

29

T2

25

14

T3

25

17

14

16

17

E: erreur

0: oubli TABLEAU IV. - Total des erreurs et oublis.

o A.M.I 14

o S.M. 1 17 13

16

16

Implications: L'effort apporte donc une nette amélioration desperformances par rapport au massage et au repos. Par contre, il n'y a pasd'amélioration notable entre les tests après repos et les tests aprèsmassages.

423

Acide lactique

Chez 6 sujets, le taux d'acide lactique après effort baisse dans laséance S.M. La disparité des résultats montre qu'il aurait fallu un nombrebeaucoup plus important de sujets pour affirmer, statistiquement, la baissedu taux d'Acide Lactique.

Incidences psychologiques

- Pour 11 sujets sur 13 une impression de légèreté et de chaleuraprès le massage (2 sujets n'ont ressenti aucune différence).

- Pour 13 sujets sur 13 l'impression d'effectuer l'effort plus aisémentaprès le massage.

DISCUSSION

Au vu des résultats significatifs statistiquement, nous pouvonsaffirmer que le massage maintient la fréquence cardiaque et les pressionsartérielles maxima et minima à un niveau plus élevé que le repos. Selonnous, ceci est dû à la mise en jeu des réflexes à points de départ cutanés(réflexe d'axone, ouverture des shunts capillaires, etc.) qui dans un premiertemps provoquent un afflux sanguin suffisant pour faire varier pressionartérielle et fréquence cardiaque. Par la suite, l'organisme réagit, s'adapte,et finit par ne plus répondre aux stimuli cutanés.

Par contre, cette redistribution sanguine momentanée sous l'effet dumassage améliore quelque peu les tests sur polyréactiographe par rapportau repos dans les mêmes conditions. L'effort bref (5 minutes) améliore parcontre très nettement les facultés de réponses au polyréactiographe àcondition que le test soit fait immédiatement après.

Il faut noter que le massage à rythme lent au niveau des deuxmembres inférieurs ne calme pas le sujet mais le maintient dans un relatiféveil. Les paramètres utilisés ne confirment pas le caractère « apaisant»généralement attribué à ce massage.

Le point le plus important paraît toutefois être la discordance entre lesrésultats chiffrés à variations faibles et l'unanimité des sujets qui déclarentressentir une amélioration subjectiv'e de leur capacité à l'effort grâce aumassage.

Ceci semble montrer clairement que d'autres paramètres sont modi­fiés par le massage et que les incidences psychologiques ne sont que latraduction de la somme de variations individuelles des différentsparamètres.

CONCLUSION

Au terme d'une longue série de travaux longs et fastidieux, nousretenons bien peu d'effets « positifs» à porter au crédit du massage. Il est

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intéressant pourtant de voir se dessiner une validation en faveur du« massage tonifiant »; masser un athlète avant la compétition se justifiedonc si l'on désire le garder en éveil. Ceci, malheureusement, ne se traduitpas par une habileté manuelle accrue.

Bibliographie

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petites séries de mesures. Revue de l'aluminium, 1974, n° 427 et n° 428, 1-27.4. SAMUEL (J.). - Effets physiologiques du massage. Cours E.C.K. Bois Larris 1969.5. SAMUEL (J.). - Le massage, E.M.C. 1976, Tome 2 - 26100 A 10 à 26125 A 10.