Emile Pouget - La Grève générale

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    Le printemps 2003 nest pas si loin quonait dj oubli combien prsent fut,au sein des manifestations, le mot dordre degrve gnrale, repris par des dizaines de mil-liers de personnes qui, au mpris des porte-parole des grandes centrales syndicales,retrouvaient comme spontanment une

    consigne daction dont beaucoup ignoraientsans doute limportance quelle eut dans lacration du syndicalisme ouvrier franais,mme si nombre de ces manifestants ne luidonnaient pas, lvidence, le sens dontelle tait investie lorigine.

    La gense de lide de grve Un texte dEmile Pouget (1904)Prsentation et notes de Miguel Chueca

    Cest pourquoi il nous a paru utile de don-ner quelques repres indispensables laconnaissance de lhistoire de ce mot dordresous lequel se reconstitua, quelque vingt ansaprs lcrasement de la Commune, le mou-vement ouvrier de ce pays, et de voir com-ment ses principaux animateurs reprirent leur compte une stratgie daction dont lesplus lointaines origines remontent, de fait, la naissance mme de la classe ouvrire.Personne ntait plus indiqu pour le fairequmile Pouget (1860-1931),un des tout pre-miers reprsentants de cette gnration mili-tante qui, sur les traces de Fernand Pelloutier,inventa le syndicalisme rvolutionnaire, ougrve-gnralisme, tranger aux modles136

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    Ce document dat de 1904 (que nous repro-duisons en page 140) retrace la gense delide de grve gnrale, depuis son appa-rition au sein de la Premire Internationalejusqu sa prdominance dans le syndi-calisme rvolutionnaire franais du dbutdu xxe sicle, malgr lopposition des par-

    tisans de la voie parlementaire au socia-lisme. Pouget sefforce dy montrer que,loin dtre cette utopie anarchiste dnon-ce par ses adversaires sociaux-dmo-crates, lide de la grve gnrale estune cration issue du trfonds mme dela classe ouvrire.

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    allemand et anglais du mouvement corpo-ratif, et rival dun socialisme parlementairevou corps et me la conqute lgale despouvoirs publics 1.Lessai qui suit est tir de lenqute internatio-nale mene par la revue Le Mouvement socia-listeautour des rapports entre lide de grve

    gnrale et les partis socialistes: elle parat dansles numros de juin, juillet et septembre 1904de la revue,avant dtre reprise en volume,sousle titre La Grve gnrale et le socialisme(1905,Paris,douard Cornly et Cie,diteurs). ce moment-l,la revue anime par Hubert Lagardelle dontHenri Dubief a pu dire, dans son petit livre LeSyndicalisme rvolutionnaire, quelle a t sansdoute la meilleure revue franaise dextrme

    gauche jamais publie en France est le porte-parole intellectuel du syndicalisme rvolu-tionnaire, et elle va le rester quelques annesencore,jusqu la crise qui secoue la Confdrationgnrale du travail aprs les vnements de1908 Villeneuve-Saint-Georges.Non seulement Georges Sorel et son discipledouard Berth y font paratre des articles et desrecensions de livres et de revues, mais elleaccueille aussi des essais dintellectuels tran-gers de grande qualit,comme Roberto Michelsou Arturo Labriola, qui se font alors les inter-prtes du syndicalisme rvolutionnaire. Parailleurs, la revue bncie de la collaborationde nombreux animateurs de la CGT, laquellela fusion en 1902 avec la Fdration desBourses du travail vient de donner une forcenouvelle: son secrtaire gnral,lex-blanquisteVictor Griffuelhes, y crit rgulirement, ainsi

    gnrale

    1 La volont du syndicalisme rvolutionnaire de sup-planter le socialisme parlementaire explique que lundes thoriciens du nouveau syndicalisme, HubertLagardelle,nait pas hsit revendiquer pour lui le titrede mouvement politique, contre Jules Guesde qui,prcurseur en cela de Lnine,doutait des capacits rvo-lutionnaires du mouvement corporatif. Cest ce mmeGuesde qui, par drision, forgea ce terme de grve-

    gnralisme, que ses adversaires syndicalistes repri-rent bientt leur compte. 137

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    How the idea of the general strikewas bornThis document, written in 1904, shows how the idea

    of the general strike was born; from its appearancewithin the First International to its predominant rolein early twentieth century French revolutionary syn-dicalism, despite the opposition of proponents of theparliamentary road to socialism. Pouget makes thepoint that, far from being an anarchist utopia, as itssocial-democratic opponents contended, the idea of the general strike is a genuine creation, arising fromthe depths of the working class.

    La gnesis de la idea de huelga generalEste documento publicado en 1904 recuerda la gne-sis de la idea de huelga general,desde su aparicin enel seno de la Primera Internacional hasta su predo-minio en el sindicalismo revolucionario francs deprincipios del siglo XX, pese a la oposicin de los par-tidarios de la va parlamentaria hacia el socialismo.Pouget se esfuerza por demostrar que, muy lejos deser esa utopa anarquista denunciada por sus adver-sarios socialdemcratas, la idea de huelga general esune creacin surgida de lo ms profundo del almaobrera.

    La genesi dellidea di sciopero generaleQuesto documento,datato del 1904, ripercorre la genesi

    dellidea di sciopero generale, dalla sua apparizionein seno alla Prima Internazionale fino alla sua pre-dominanza nel sindacalismo rivoluzionario francesedellinizio del XX secolo, malgrado lopposizione deifautori della via parlamentare al socialismo.Pouget sisforza di mostrare che, lungi dallessere questuto-pia anarchica denunciata dai suoi avversari social-democratici, lidea di sciopero generale nata dalpi profondo della classe operaia.

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    quAlphonse Merrheim et les libertaires PaulDelesalle,Georges Yvetot ou encore mile Pouget,le fameux Pre Peinard, secrtaire adjoint delorganisation syndicaliste rvolutionnaire et

    directeur de publication de son hebdomadaire,La Voix du peuple.Dans lenqute promue par Le Mouvement socia-listesur lide matresse du syndicalisme desBourses du travail puis de la CGT, Lagardellesemploie donner la parole au plus grandnombre possible de reprsentants de lide grve-gnraliste ainsi qu leurs adver-saires sociaux-dmocrates, qui, dans leur

    immense majorit, nont pas de mots assezdurs pour condamner ce quils regardent, linstar du socialiste nerlandais Henri VanKol, comme une fantaisie dangereuse dou-vriers mal organiss, une arme nuisible etmeurtrire pour la classe ouvrire, une uto-pie anarchiste enn, ce qui ne les empchepas dafrmer dans le mme temps, en rf-rence ses origines anglaises,que lide-force

    du nouveau syndicalisme est aussi vieilleque le socialisme lui-mme 2.

    Laissant dautres commencer par HubertLagardelle et Victor Griffuelhes le soin dedfendre la stratgie du grve-gnralisme fran-ais contre ses critiques,Pouget sattache,pour

    sa part, faire un bref historique de lidesyndicaliste,depuis sa renaissance au sein dela Premire Internationale jusqu sa prmi-nence au sein du mouvement ouvrier rvolu-tionnaire de France aprs les dbats qui met-tent aux prises la Fdration des Bourses dutravail (anime principalement par les anar-chistes et les allemanistes) et la Fdrationnationale des syndicats inspire par le Parti

    ouvrier franais de Jules Guesde.Ce ntait pasla premire fois quun des principaux anima-teurs du syndicalisme rvolutionnaire soc-cupait de faire lhistoire de lide syndica-liste: en septembre 1893, Fernand Pelloutieravait consacr un essai au mme sujet, lequelne serait publi quen 1895 dans le petit jour-nal La Grve gnrale, pisodiquement dit parla Commission dorganisation de la grve gn-

    rale 3. Toutefois, crit un moment o lidegrve-gnraliste ne faisait encore qumerger,lessai de Pelloutier est assez rudimentaire etil souffre, en particulier, de lexclusivisme 4

    de son auteur, lequel ne cite mme pas lenom du premier propagandiste en France dela nouvelle ide, louvrier anarchiste JosephTortelier.Linjustice est corrige par Pouget danslessai reproduit ci-aprs, qui reconnat lap-

    2Dans son avant-propos au volume La Grve gnrale etle socialisme, publi en 1905, Lagardelle explique lop-position brutale des sociaux-dmocrates europens tempre, chez les socialistes franais, par lobligationo ils sont de composer, bon gr mal gr, avec loppo-sition syndicaliste lide de la grve gnrale : Ilest facile de comprendre lhostilit des socialistes par-lementaires pour la grve gnrale. En y adhrant, laclasse ouvrire leur signie quelle se refuse attendreson mancipation dun groupe plus ou moins com-pact de parlementaires ou des dispositions plus ou moinsfavorables dun gouvernement : elle nentend puiserquen elle-mme les ressources de son action et elleafrme limplacabilit de la guerre quelle a dclare aumonde bourgeois. Par l mme, elle dtruit les illu-sions que tentent naturellement dentretenir dans son

    esprit politiciens et gouvernants: elle veut rendre impos-sible leur domination.

    3Larticle de Fernand Pelloutier, La grve gnrale ,sera repris en janvier 1910 par La Vie ouvrire, la revuesyndicaliste rvolutionnaire anime par Pierre Monatteet Alphonse Merrheim.4 Je reprends ici le jugement de Maurice Dommanget grand admirateur, par ailleurs, de lanimateur de laFdration des Bourses du travail qui se rfre, dansson ouvrage La Chevalerie du travail franaise(ditions

    Rencontre, Lausanne, 1967), lhabituel exclusivisme[de F. Pelloutier] touchant les militants de tte franais.138

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    port de ce dernier (avant Aristide Briand etFernand Pelloutier) la popularisation dunestratgie daction dont il dit trs bien que lacaractristique principale est dtre rguli-

    rement oublie et re-dcouverte en perma-nence par les travailleurs eux-mmes.La lecture de lessai qui suit montrera, tou-tefois, que si le directeur de publication deLa Voix du peuplesattache faire uvre dhis-torien, cet effort est sous-tendu par le dsirde montrer que, loin dtre lutopie anar-chiste quoi la rduisent ses adversaires,la grve gnrale est bel et bien une cration

    issue des entrailles mmes de la classe ouvrire.Deux ans plus tard, dans les colonnes duMouvement socialiste(n 173), douard Berthfera justice, son tour, de laccusation despoliticiens socialistes qui qualient volon-tiers lide de la grve gnrale dide anar-chiste . La vrit, crira-t-il, cest quecest une ide essentiellement proltarienne,ne de la pratique des grves, et vraiment

    spontane,par consquent, la classe ouvrire:ni anarchiste, ni socialiste 5.Cest en ce sens que, tout au dbut de sonessai, Pouget argue de lanciennet de lidepour en faire un argument de plus suscep-tible dattnuer les prventions contre lidesyndicaliste 6.Sil avait poursuivi sa rechercheen-de de la fondation de la PremireInternationale,Pouget aurait dailleurs trouv,

    dans le chartisme anglais, de quoi tayer plusfortement encore sa thse de lenracinementsculaire de lide de grve gnrale.Enfin, on verra que Pouget sattache gale-

    ment retracer les progrs raliss par lidegrve-gnraliste depuis son retour sur lascne ouvrire franaise sous la forme paci-ste et lgalitaire de la grve des bras croi-ss dont on a trouv lannonce dans lafameuse phrase de Mirabeau parlant de cepeuple qui produit tout,et qui pour tre for-midable, naurait qu tre immobile jusqu la publication, en 1901, dun docu-

    ment issu du Comit de la grve gnralede la CGT7, o on trouve lexpression presqueacheve des principales conceptions du syn-dicalisme daction directe : la grve gnralecomme autre nom de la rvolution socialeou le rle des minorits agissantes dans lac-tion rvolutionnaire.En publiant ce texte,nous souhaitons contri-buer de quelque faon une mise en pers-

    pective historique du thme de la grve gn-rale, et,partant, une meilleure connaissancede lhistoire du syndicalisme antrieur laPremire Guerre mondiale et la bolchevi-sation du mouvement ouvrier franais quisuccda lillusion doctobre 1917 laquellecdrent,temporairement ou dnitivement,

    5 Si les anarchistes ladmettent plus facilement,poursuit-il, cest que leur haine de ltat les y prdis-pose; les socialistes,au contraire, se sont tellement gou-vernementaliss, ils ont un tel got du pouvoir, une telletendresse pour ltat, quils voient dans lide de la grvegnrale comme une menace personnelle.6 Largument ne convaincra gure les adversaires dugrve-gnralisme, qui tendront considrer la grve

    gnrale la mode owniste comme une sorte de mala-die infantile du socialisme.

    7Ce texte est une rponse la longue critique faite par Jean Jaurs en 1901 des postulats du grve-gnralismefranais.Cet essai,paru dabord dans La Petite Rpubliquesous le titre Grve gnrale et rvolution, fut reprisdans les tudes socialistespublies chez Ollendorf en 1902.Sil constitue la premire critique de fond du syndica-lisme rvolutionnaire, ce texte ne sera videmment pasla dernire argumentation issue des rangs du socialismerformiste contre le grve-gnralisme : parmi cellesqui suivront, je citerai la brochure La Grve gnraled-tienne Buisson (Bibliothque socialiste,1905) ou lExamen

    de la doctrine syndicalistede Sidney et Batrice Webb, tra-duit par Les Cahiers du socialiste en 1912. 139

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    nombre des membres de la gnrationrvolutionnaire davant-guerre 8 , lpoqueo le syndicalisme daction directe, au plus

    fort de son dveloppement, tait encore richede toutes ses promesses, dont la plupart,hlas, ne seraient pas tenues.

    Rponse dEmile Pouget lenqute sur la grve gnraledu Mouvement socialiste

    Il me parat ne pouvoir mieux contribuer lenqute ouverte par le Mouvement socialistesur lide de grve gnrale quen recher-chant sa gense et notant rapidement sonprocessus historique.La constatation que cette ide nest pasaussi nouvellement apparue quon lima-gine trop, aidera faire tomber, ou tout au

    moins attnuer, bien des prventions contreelle. Dautant, qu cette constatation senajoute une autre dont la valeur est indniable: savoir que lide de grve gnrale surgit,logiquement et fatalement, quand la classeouvrire dlaisse lillusion politique pourconcentrer ses efforts dorganisation,de lutteet de rvolte sur le terrain conomique.

    I. La gense de la grve gnraleLide de grve gnrale na pas de blasonidologique. Elle vient du peuple et ne peutprtendre une noble origine. Ni socio-logues, ni philosophes nont daign lucu-brer sur son compte, analyser ses formules,doser sa thorie 1.

    Cette origine vulgaire explique en partie le discrdit dont jouit,dans certains milieux,

    8Nous ne nous mtendrons pas ici sur les causes deladhsion, aprs 1917, de nombreux militants du syn-dicalisme rvolutionnaire un mouvement si proche, de multiples gards, dun courant le guesdisme quiavait t pourtant leur ennemi jur, mais on peut aumoins faire tat de lhypothse selon laquelle la bol-chevisation du mouvement ouvrier rvolutionnaire fran-ais qui neut pas lieu en Espagne, par exemple,mal-gr la fascination quy exera, l comme ailleurs, larvolution dOctobre procde en grande partie de lin-capacit des syndicalistes faire vivre leurs mots dordreen 1914. Par ailleurs, les allusions au rle de certainsintellectuels dans llaboration idologique du syndi-calisme rvolutionnaire ne nous font videmment pasoublier la dconcertante destine de plusieurs dentreeux, Hubert Lagardelle et Roberto Michels au premierchef, lun terminant son volution politique dans leshabits dun ministre du Travail de Ptain, et lautre ensnateur du fascisme italien. Cela nenlve rien, nos

    yeux, de la valeur de ce quils ont pu crire entre lesannes 1905 et 1910.

    1 Dans son ouvrage La Chevalerie franaise du travail,M. Dommanget,pensant sans doute au rle de lide degrve gnrale dans le chartisme anglais,crit : Quandnat la CTF [la Chevalerie du travail franaise], findcembre 1893,la grve gnrale,nen dplaise Pouget,historiquement, se prsente avec un blason idologiqueet une exprience ouvrire dj remarquable. Ongardera aussi lesprit que le prsent texte est de1904, soit deux annes avant que Georges Sorel ne

    propose, dans les mmes pages du Mouvement socia-liste, sa thorie de la grve gnrale comme mythe social.140

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    o on se targue plus ou moins dintellectua-lisme, lide de grve gnrale: elle y est enddain et on ly considre comme tant uneexpression confuse et sans consistance,mer-

    ge des masses en fermentation et,par celamme, voue une disparition prochaine.Nul grand nom ne stant fait le thurifrairede la grve gnrale, on lui refuse tout cr-dit. Si cette attitude ddaigneuse envers lagrve gnrale tait particulire la bour-geoisie, il ny aurait pas lieu den faire cas.Malheureusement,ses dtracteurs sont lgiondans llite socialiste.

    Cette prvention est inexplicable. Il semblequon devrait donner toute son attention auxtactiques qui slaborent au profond des massespopulaires ; il semble quil ne peut tre demeilleur enseignement, de plus utile cole dervolution que cette tude de la vie. En effet,quand le peuple ne se laisse pas driver desa route par des directeurs de conscience,il est rare que son bon sens ne lui suggre la

    meilleure orientation.Dans le plan politique, tant dapptits ettant dambitions senchevtrent, que cetteclairvoyance, atrophie par les intrigueset les comptitions de tout ordre, ne peutse manifester.Il en va autrement dans le plan conomique.L, le salari et lemployeur se trouvent encontact dopposition,leurs intrts sont adverseset nulle manuvre nen peut obscurcir lan-tagonisme.Dailleurs,du ct des travailleurs,les comptitions y sont dautant moins sen-sibles quil ny a que des ennuis recueilliret non des prbendes.Donc, sur le terrain conomique, moins pro-pice que tout autre lpanouissement destendances dviatrices,la germination des tac-tiques et des aspirations des masses ouvriresseffectue sans quon ait trop redouter

    lentrave des ambitieux et des thoriciens,dog-matisant les uns sous la pousse dapptits,les autres au nom de formules abstraites.Le moyen de lutte logique qui,dans le milieu

    conomique, sindique tout dabord, cest lagrve,cest--dire le refus de travail le refus,au moins momentan, denrichir le patron des conditions trop draconiennes. Puis, parvoie de consquence, comme corollaire dugrandissement de lorganisation ouvrire,natet se prcise lide de gnraliser le mouve-ment de cessation de travail.

    II. La grve gnraledans lInternationaleLAssociation internationale des travailleursfut, la n du Second Empire,lexpression desrevendications conomiques de la classeouvrire.Aussi, trs rapidement,elle fut ame-ne,sous la pousse logique de la lutte sociale, envisager lventualit de la grve gnrale.Ds ses premiers congrs ds 1866 , la ques-

    tion des grves partielles se posa et lutilit deleur gnralisation fut examine.Au Congrs de Bruxelles,en 1868,il tait dclarque la grve nest pas un moyen daffranchircompltement les travailleurs, mais quellea souvent une ncessit dans la situationactuelle ; puis, on envisagea lventualitdune grve universelle, et il fut pos commeprincipe que le corps social ne saurait vivre,si la production est arrte pendant un cer-tain temps; quil sufrait donc aux produc-teurs de cesser de produire pour rendre impos-sibles les entreprises des gouvernementspersonnels et politiques.Peu aprs, en mars 1869, le journalLInternationale, qui se publiait Bruxelles,disait: Lorsque les grves stendent, se com-muniquent de proche en proche, cest quellessont bien prs de devenir une grve gnrale; 141

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    et une grve gnrale, avec les ides daf-franchissement qui rgnent aujourdhui, nepeut aboutir qu un grand cataclysme quiferait faire peau neuve la socit.

    Ainsi, au sein de LInternationale, se manifes-tait le phnomne signal plus haut: le grou-pement conomique des travailleurs favori-sait lclosion de lide de grve gnrale, laquelle tait attribue son but prcis etdnitif: lexpropriation capitaliste. Mais lesvnements de 1870 et de 1871, et laffaiblis-sement de lInternationale, allaient donnerune orientation plus politicienne au mouve-

    ment social.Cependant, en 1873, le Congrs de la sectionbelge, qui se tint Anvers, notiait aux fd-rations de tout prparer pour la grve uni-verselle, en renonant aux grves partielles,sauf dans le cas de lgitime dfense.Quelques semaines aprs,en septembre 1873,sur la proposition de la Belgique qui en avaitdemand la mise lordre du jour, la question

    de la grve gnrale tait discute au Congrsgnral de lInternationale,qui se tint Genve.Entres autres dlgus ce Congrs, se peu-vent citer les citoyens Andrea Costa et PaulBrousse2.La grve gnrale fut discute en sancesecrte 3 et les conceptions et objectionsqui se rent jour lpoque,ne diffrent gurede celles qui ont cours aujourdhui.Certainsconsidraient la grve gnrale comme tant

    lquivalent de la rvolution sociale et devantavoir pour corollaire lexpropriation capita-liste ; dautres, au contraire et de ceux-ltaient les Amricains , ne la tenaient que

    pour un mouvement dagitation en vue delobtention de rformes.Dans le rapport adress par le conseil fd-ral de lAmrique du Nord, il tait dit : Si les travailleurs aflis lAssociationvenaient xer un certain jour pour la grvegnrale,non seulement pour obtenir une rduc-tion dheures et une diminution [sic] de salaires,mais pour trouver le moyen de vivre dans des

    ateliers coopratifs, par groupes et par colo-nies, nous ne pourrions nous empcher deleur prter une aide morale et matrielle.Lopinion mise ci-dessus est celle de la grvegnrale but rformiste, et cest un mou-vement de cette catgorie que se dcidaientles travailleurs des tats-Unis pour, en 1886,conqurir la journe de huit heures.Pour ce qui est du Congrs de Genve, afin

    de ne pas donner prise une recrudescencede rpression, cest par la rsolution ci-des-sous qui ne rete nullement les ides dis-cutes la sance secrte quil cltura ledbat sur la grve gnrale:Le Congrs,considrant que dans ltat actuelde lInternationale, il ne peut tre donn laquestion de la grve gnrale une solutioncomplte, recommande aux travailleurs, dune faon pressante, lorganisation internationale descorps de mtier, ainsi quune active propagandesocialiste.La recommandation formule dans cette rso-lution,visant la constitution de groupementscorporatifs internationaux, est lindicationnette de la pense des internationalistes: ilscomprenaient que la grve gnrale reste-rait une abstraction sans valeur rvolution-naire tant que la classe ouvrire naurait pas142

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    2 Pouget ne cite pas ces deux noms par hasard : en effet,Andrea Costa et Paul Brousse avaient appartenu lailela plus extrme de lanarchisme, prnant la ncessitde la propagande par le fait, avant de rejoindre lesrangs du socialisme rformiste.3 Le procs-verbal de cette importante sance existeet il est du plus haut intrt quil soit publi (notedmile Pouget).

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    cr une solide organisation conomique.Cette recommandation peut tre tenue pourla pense testamentaire de lInternationale;dsormais, la grande Association, dj scin-

    de en deux aprs le Congrs tenu La Hagueen 1872,allait dcliner pour, aprs deux autrescongrs, faire place dautres modes de grou-pement.Les thories social-dmocrates allaient,pourun temps, acqurir la prdominance; lorien-tation conomique allait tre dlaisse au pro-fit des agitations parlementaires et, cons-quence inluctable, lide de grve gnrale

    allait tomber dans loubli.Ainsi en est-il souvent des ides nouvelles:une gnration les labore,puis,sous la pres-sion des perscutions bourgeoises,ou dautrescauses dprimantes, elles seffacent desmmoires humaines et ne sont pas trans-mises la jeune gnration ; celle-ci, danslignorance du travail accompli antrieure-ment, est oblige de recommencer au point

    de dpart llaboration des ides oublies.Cest ce qui sest produit pour la grvegnrale.

    III. Renaissance de lidede grve gnraleElle reparut aux tats-Unis, et ce,quand dansce pays se fut constitue, sur le terrain co-nomique, une puissante fdration de syn-dicats. Elle reparut, avec lesprit que notaitau Congrs de Genve, en 1873, le conseilfdral de lInternationale pour lAmriquedu Nord: la grve ntait considre que sousson aspect rformiste un moyen dactionpour conqurir une amlioration partielle.La plate-forme de ce premier mouvementde grve gnrale fut la conqute de la jour-ne de huit heurs.Il est inutile dobserver quece fut,non par un recours lintervention lgis-

    lative, mais simplement par une vigoureuseaction directecontre les patrons,par une leveen masse des travailleurs une date xe lavance, que les Amricains tentrent dar-

    racher (et arrachrent en partie) aux exploi-teurs cette rduction de la dure du travail.Linitiative de ce mouvement fut prise par laFdration des chambres syndicales qui,dansson congrs, en novembre 1885, choisit lePremier mai 1886 pour une action densemble:il fut convenu de cesser le travail cette date, jusqu lobtention de la rduction huit heuresde la journe de travail.

    Ainsi, il apparat que les internationalistes deGenve taient clairvoyants quand ils prco-nisaient lorganisation syndicale comme tantle terroir ncessaire pour la oraison de lidede grve gnrale.La gigantesque agitation amricaine pourles huit heures fut rellement la consquencedune forte organisation conomique et ellene fut appuye que par les groupements met-

    tant au premier plan les proccupationsconomiques. En effet, ce fut en rechignant,et la main force, que les Chevaliers du tra-vail4 participrent lagitation.Au contraire,le jeune parti anarchiste, qui avait son foyerdaction Chicago, se jeta dans la mleavec ardeur, tandis que le parti socialiste,imprgn des thories europennes, laissaitfaire lagitation sans presque y participer.

    4 Le Noble Ordre des chevaliers du travail (Noble Orderof the Knights of Labor) fut fond en 1869 Philadelphie.La fameuse Mother Jones appartint cette organisation,ainsi quAlbert Parsons, un des martyrs de Chicago.Lorganisation connut son apoge en 1885, quand seseffectifs montrent plus de 700000 membres. 143

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    IV. La grve gnrale en France

    Des tats-Unis, lide de grve gnrale fcon-de par le sang des anarchistes pendus

    Chicago, la suite des manifestations duPremier mai 1886 simporta en France.Ici,il fut comme aux tats-Unis: lide de grvegnrale, considre comme peu scienti-que, laissa froids les thoriciens, tant socia-listes quanarchistes; elle sduisit seulementles travailleurs et les militants qui puisaientleurs inspirations plus dans les faits sociauxque dans les livres.

    Le compagnon Tortelier, un des militants dela premire heure du syndicat des menuisiers,orateur la parole chaude et frustre, fut undes premiers, Paris, propager lide de grvegnrale, dans son intgrale conception rvo-lutionnaire.Dlgu au congrs ouvrier inter-national qui se tint Londres,en novembre1888,il y dveloppa sans grand cho lide nou-velle.

    En cette mme n danne, Bordeaux,se tintun Congrs national des syndicats,et la grvegnrale y fut prconise et adopte.Ce congrstait organis par la Fdration des syndicatsqui,quelques annes plus tard,allait se poseren adversaire de la grve gnrale ; cettedernire attitude lui fut dailleurs funeste: elledisparut peu peu aprs la scission au congrsde Nantes de 1894.Cette Fdration tait imprgne de lespritdu Parti ouvrier franais 5; aussi,la rsolutiongrve-gnraliste adopte ce congrs a t

    souvent rappele aux socialistes appartenant cette fraction. La voici: Considrant:Que la monopolisation des instruments et des

    capitaux entre les mains patronales donneaux patrons une puissance qui diminue dau-tant celle que la grve partielle mettait entreles mains des ouvriers;Que le capital nest rien sil nest mis en mou-vement;Qualors, en refusant le travail, les ouvriersanantiraient dun seul coup la puissancede leurs matres.

    Considrant:Que la grve partielle ne peut tre quun moyendagitation et dorganisation;Le Congrs dclare:Que seule la grve gnrale, cest--dire la ces-sation complte de tout travail,ou la Rvolution,peut entraner les travailleurs vers leur man-cipationIl est noter qu ce congrs o pourtant

    la pense du Parti ouvrier franais dominaitles dbats , une motion fut vote, invitantles syndicats constitus,ou en voie de se consti-tuer, ne sinfoder aucun parti politique,quel quil soit, seul moyen de rallier lunani-mit de la corporation.Ainsi,tandis que ce congrs se prononait pourle moyen daction essentiellement conomiquequest la grve gnrale, il mettait en gardeles travailleurs contre les dangers de linfo-dation politique.Ne peut-on infrer de ces deux votes carac-tristiques que si les socialistes du Parti ouvrierfranais ne se fussent pas loigns de lorien-tation quindiquait ce congrs, ils eussentt les bons ouvriers de la forte organisationconomique, qui mit six ans merger au-dessus des luttes intestines entre groupementsaux tendances divergentes et qui ne fut un

    5 Il sagit, bien sr, du parti fond par Jules Guesde etPaul Lafargue,qui restera,mme aprs lunit socialistede 1905, le courant politique le plus oppos au grve-gnralisme. Sur lhistoire du syndicalisme franaisde lpoque, on se reportera lindispensable Histoire

    des Bourses du travail, de Fernand Pelloutier, rdite en2001 par les ditions Phnix.144

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    fait accompli que lorsque la scission de Nantes,en 1894, eut prpar la naissance de laConfdration gnrale du travail, Limoges,en 1895.

    Il nen fut pas ainsi! Les propagandistes duParti ouvrier franais rprouvrent vite lidede grve gnrale.Cependant,avant den venir la condamner catgoriquement, ils sarr-trent une thorie intermdiaire, la grvegnrale par industries.En mai 1890, Jolimont, en Belgique, se tintun congrs international des mineurs o,sur la proposition du citoyen Keir Hardie 6,fut

    adopt le principe de la grve gnralepour assurer le triomphe de la journe de huitheures Au congrs suivant, dcid pour1891, devait tre xe la date de ce mouve-ment gnral dans tous les charbonnagesdEurope.Quelques mois aprs, en octobre 1890, aucongrs du Parti ouvrier franais tenu Lille,la rsolution ci-aprs tait adopte:

    Considrant que la grve gnrale propre-ment dite, cest--dire le refus concert etsimultan du travail par tous les travailleurssuppose et exige pour aboutir un tat despritsocialiste et dorganisation ouvrire auquelnest pas arriv le proltariat; que la seulegrve qui,dans ces conditions,ne soit pas illu-soire ou prmature est celle des mineursde tous les pays le Congrs dcide: dap-puyer la grve internationale des mineurs,aucas o elle serait vote.Comment le Parti ouvrier qui, au Congrs deBordeaux,stait prononc pour la grve gn-rale rvolutionnaire et, au Congrs de Lille,pour la grve gnrale par professions,en vint-il se faire un systmatique adversaire dece moyen daction rvolutionnaire?

    Observons seulement que la thorie du Partiouvrier franais,mettant en premire ligne laconqute du pouvoir politique,ne pouvait quedifcilement saccommoder de lide de grve

    gnrale, qui posait au premier plan lactionconomique.Outre ce motif, il en est un autre qui sembleavoir inu sur lui: la conception pacistedela grve gnrale,qui,sous le bonasse vocablede grve des bras croiss, fut un moment trsen vogue, devait peu lui sourire.Cette thorie tait plus particulirement pro-page par des militants du POSR 7 ; ils consi-

    draient la grve gnrale comme devant seborner une suspension de tout travail, detout transport dobjets ou de denres de pre-mire ncessit.Rsultat rapide: affamementdes capitalistes, cest vrai; mais aussi, et parricochet, affamement des travailleurs. Il estvrai que,pour obvier ce dernier inconvnient,certains militants prconisaient la crationde magasins de rserve devant parer lali-

    mentation populaire, en cas de grve gn-rale.Cest sur ces conceptions confuses parcequembryonnaires et que nul ne fait siennesaujourdhui, que les dtracteurs actuels delide de grve gnrale se basent pour senproclamer adversaires. Ils seraient mieux avi-ss en recherchant dautres arguments; enbasant leurs critiques sur des billevesesdsutes, ils font preuve dun regrettablemanque de documentation,autant que de peudesprit scientique.

    6Socialiste cossais, fondateur de lILP (IndependentLabour Party) en 1893.

    7 Parti ouvrier socialiste rvolutionnaire, anim par lex-communard Jean Allemane. Trs attachs au principede la grve gnrale, ses militants furent, avec leslibertaires, les principaux artisans de la cration du syn-dicalisme rvolutionnaire franais. Sur le sujet, on sereportera aux chapitres II (Les partis ouvriers et les

    syndicats) et III (Naissance des Bourses du travail)de LHistoire des Bourses du travailde F. Pelloutier. 145

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    V. La grve gnrale devant lescongrs corporatifs

    Trs rapidement, lide de grve gnrale che-mina et se rpandit, principalement au seindes organisations corporatives.En 1892, le congrs des Bourses du travailqui se tint Tours et celui des syndicats quise tint Marseille adoptrent le principe de lagrve gnrale. Marseille, le citoyen Briandfut le champion de lide nouvelle. Lannesuivante, au congrs corporatif qui se tint Paris,la grve gnrale fut discute et approu-ve avec enthousiasme.Malgr cela, sa conception manquait de pr-cision: elle sduisait les militants, par sa puis-sance,attractive et rayonnante,qui fait delleun merveilleux ferment dagitation; on aimaitsa force gnratrice de solidarit.Mais combien confuse encore la dfinitionquon en donnait! Beaucoup ne voyaient dansla grve gnrale quun efcace moyen pour

    raliser des amliorations de dtail; moinsnombreux taient ceux qui attendaient dellece dont elle est lexpression cest--dire larvolution sociale.Ce vague et cette imprcision des formulesgrves-gnralistes sexpliquaient dailleurspar un manque de sufsante propagande.Onput le constater au congrs corporatif qui setint Paris, en 1893. Ctait au lendemain de

    la fermeture de la Bourse du travail; lexal-tation et lesprit combatif taient si grandsque la discussion sen ressentit.La grande majorit des dlgus se prononapour la grve gnrale,considre comme suc-cdan de lexpression Rvolution sociale.Mais, malgr cela,ses partisans ne donnrentpas limpression dune imposante unit devues.Une proposition fut formule et qui futrefuse de dcrter la grve gnrale imm-diatement.

    La commission qui eut mandat de prsenterun rapport sur la question,sexprimait ainsi:La dclaration dune grve gnrale est grave;pour russir, il ne suft pas que tous accep-

    tent lide. Une majorit suft. Quelquefoismme une corporation ou deux,comme celledes mineurs ou des employs de chemin defer, si la traction est du mouvement.Quinze jours darrt dans ces deux corpo-rations, ou mme parmi les mineurs seule-ment, et toute la vapeur sarrteOn peut faire observer quaprs la russite,le mouvement pourra tre recommenc pourune autre partie. Il y a dans cette objectionun dfaut: qui sait o peut sarrter une grvegnrale?On nous dit quil ny a rien de plus facile faire : il suffit de rester une semaine lesbras croiss et nos exploiteurs seront bienforcs de mourir de faim mais on ne nousdit pas comment nous ferons nous-mmes

    pour manger.Il faudra donc que nous nous emparions desboulangeries, des boucheries, et que nousassurions la vie de tous ceux qui produisent.Si on ne fait pas ainsi, le grve gnrale nestpas possible : si on va jusque-l,pourquoi nepas aller plus loin? Sachons o nous voulons aller et, quandnous le saurons,si nous commenons, allons

    jusquau bout.La grve gnrale des mtiers,cest la Rvolution sociale. tes-vous prts la faire? Deux cas spciaux peuvent entraner lagrve gnrale des mtiers. Le premier, cestpour lmancipation complte des travailleursen abolissant la salariat. Le deuxime, cestpour empcher une guerre fratricide entrepeuples. Dans ce dernier cas,elle ne peut trequinternationale146

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    Pour sanctionner ce rapport,une commissionde neuf membres fut nomme. Elle reut lemandat dtudier et de propager lide de grvegnrale.Elle prit le nom de CommissionDOR-

    GANISATIONde la grve gnrale, sans aperce-voir linconsquence dune telle appella-tion: il est logique quon prpare la grvegnrale et trs prtentieux de prtendrelorganiser.Cette Commission sest,avec les modicationsquindiqua lexprience,continue depuis lors,sous le titre mieux appropri de Comit de pro- pagande de la grve gnrale.

    Ce prtentieux qualicatif: CommissionDOR-GANISATION servit les adversaires de la grvegnrale.Ils eurent largumentation facile pourdmontrer la navet dun tel titre; ils objec-trent, avec beaucoup de raison, quon peutesprer faire la grve gnrale, mais nonlorganiser lavance.Ce fut dailleurs une des thses soutenuesau congrs des syndicats, Nantes, en 1894,

    par les dirigeants du Parti ouvrier franais quise retirrent du congrs an, disaient-ils,den nir une bonne fois avec cette utopie,ce brandon de discorde de la grve gnrale.La question de la grve gnrale dominatout ce congrs ; suivant quelle allait trerepousse ou accepte, lorientation dessyndicats se ferait avec prdominance des pr-occupations parlementaires ou avec prdo-minance des proccupations conomiques.La discussion dura trois jours pleins et, duconsentement du congrs,elle nit par se cir-conscrire entre Raymond Lavigne 8, contre lagrve gnrale, et A. Briand, pour.

    Ce dernier montra les travailleurs acculs laction de la rue,devenue impossible grceaux perfectionnements introduits dans lar-mement militaire; de sorte quil ne leur res-

    tera plus qu diminuer la force du pouvoir engnralisant les foyers de rvolution rsul-tat que parat seule susceptible de produire lagrve gnrale.On passa au vote et 65 voix se prononcrentpour la grve gnrale et 37 contre.Il est ncessaire dobserver que la discus-sion porta sur la grve gnrale, considrecomme quivalent de la Rvolution sociale.

    Outre cette observation, il est aussi utile denoter que ce vote,qui aiguillait dnitivementles organisations syndicales dans la vie co-nomique fut mis au plus fort de la rpres-sion anarchiste de 1894. Cest la meilleurepreuve de limportance de ce courant.Depuis lors,pas un congrs corporatif ne sestcltur sans quun vote ne vienne affirmerle principe de la grve gnrale. En 1897, au

    congrs de Toulouse, une motion fut adop-te stipulant que la grve gnrale est syno-nyme de rvolution.Au congrs de Paris, en 1900, un large dbatsouvrit sur la question et il sufra, pour enindiquer lampleur et la porte, de quelquescitations:Si vous voulez la grve gnrale, disait undlgu, il faut que vous ayez rchi lau-del de votre action immdiate et actuelle,que vous ayez convenu quel sera le rle devotre corporation dans la socit au jour de lavictoire. Il faut que, par exemple, les ouvriersboulangers sachent, dans leur rgion res-pective, les besoins de la consommation, lesmoyens de production, etc.Un autre dlgu sexprimait comme suit:Si nous faisons la grve gnrale, cest pournous emparer des moyens de production, pour

    8 Militant connu du parti guesdiste.Au cours du Congrsde Nantes, il afrme que la grve gnrale na quunbut vague,elle ressemble un voyage quon entreprend

    sans connatre le point vers lequel on se dirige (cit in:Les Congrs ouvriers (1876-1897)de Lon de Seilhac.) 147

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    dpossder les possdants actuels qui, cer-tainement, ne se laisseront pas faire facile-ment; il est ncessaire que cette grve revteun caractre rvolutionnaire, que dailleurs

    les vnements dicteront eux-mmesEt ce dernier dlgu ajoutait avec raison: De la conception dune grve gnrale,ainsi comprise, une grve gnrale de la cor-poration, il y a un abmeLes citations ci-dessus,nettes et typiques,quilserait dailleurs facile dallonger et de multi-plier, sont lexpression de lopinion dominantau congrs.

    Sil pouvait,prcdemment,exister encore unlger doute sur la conception que les organi-sations ouvrires se font de la grve gnrale,dsormais, ce ntait plus possible: ces cita-tions ont fait la pleine lumire elles ont li-min toute possibilit dquivoque, en indi-quant,avec une brutale prcision,que la grvegnrale doit tre rvolutionnaire et expro-priatrice.

    Les congrs qui ont suivi (Lyon, 1901, etMontpellier, 1902) nont fait que confirmerla manire de voir exprime au congrs deParis.

    VI. Le Comit de la grve gnraleCe serait sortir du cadre de cette tude quedanalyser luvre propagandiste du Comitde la grve gnrale,de mme que de vouloir indi-quer ses successives modications.Actuellement,il est form dun certain nombre de dlgusau comit confdral.Sa mission pratique estdentrer en relation avec les sous-comitsde lagrve gnrale existant dans de nombreusesvilles et qui sont constitus raison dundlgu par syndicat adhrant au principe dela grve gnrale. Sa propagande se concrteen des runions,en des manifestes inspirs parles vnements, en des brochures, etc.

    Au nombre des publications du Comit, il enest une : Grve gnrale rformiste et grvegnrale rvolutionnaire, laquelle jempruntequelques extraits, dont la prcision mvitera

    des redites thoriques:Dans les circonstances actuelles, y est-il dit,si lon se borne limiter les hypothses auxpossibilits ralisables dans le milieu prsent,la grve gnrale rvolutionnaire apparatcomme lunique et seul efcace moyen pourla clase ouvrire de smanciper intgrale-ment du joug capitaliste et gouvernemental.La grve gnrale,mme restreinte la conqute

    damliorations de dtail est, pour les tra-vailleurs parce quelle est une arme co-nomique autrement fconde en heureuxrsultats que les efforts tents, par les voiesparlementaires, pour acculer les pouvoirspublics une intervention favorable aux exploi-ts.La grve gnrale quelle ait le caractre rvo-lutionnaireou purement rformiste est la cons-

    quence de leffort de minorits conscientesqui, par leur exemple, mettent en branle etentranent les masses.On trouvera plus loin les principaux passagesde cette brochure 9, dont la porte nchap-pera personne. Jarrte ce trop long expos de la grve gn-rale souhaitant que les documents dont jai tenu laccompagner veillent la rexion

    9 En effet, quelques pages plus loin, Le Mouvementsocialistepubliait une partie de ce texte, paru en sep-tembre1901 dans lhebdomadaire de la CGT,en rponse deux articles de Jean Jaurs que La Petite Rpubliqueavait donns quelques semaines auparavant. La revuede Lagardelle avait galement repris une partie delessai de Jaurs, o celui-ci, aprs avoir quali la grvegnrale dillusion funeste, dobsession maladiveet de tactique de dsespoir, concluait en affirmant

    quil ne restait plus au socialisme quune mthode sou-veraine: conqurir lgalement la majorit.148

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    des militants que dautres proccupations ont jusquici dtourns de son examen.Lheure nest-elle pas propice? Un peu par-tout sindique un faiblissement lectoral du

    socialisme politique: il y a eu des dfaites lgis-latives en Belgique et, en France, des muni-cipalits ont fait retour aux bourgeois.Cependant, les ides sociales sont en pro-grs certain en progrs aussi lide rvolu-tionnaire. Une cause secondaire doit doncexpliquer ce recul apparent.Cette cause ne rsiderait-elle pas dans lemcanisme mme du suffrage universelqui entrane ngliger la besogne duca-tive et dducation ouvrire,pour se trop limi-ter rallier une majorit?Nen faudrait-il pas conclure que le suffrageuniversel na pas la valeur dynamique quecertains lui ont attribue et que rien de d-nitif ne peut tre di sur le sable mouvantque constituent les masses lectorales?

    Sur ces points, on peut diffrer dapprcia-tion Mais il en est un sur lequel laccordde tous est possible:Cest de reconnatre que, sur le terrain co-nomique, le bon grain germe toujours ; l,sur cette base stable, nulle dception nest redouter, tout progrs acquis est dnitif.Parconsquent, tant donn que la Rvolution engestation doit tre sociale, cest (sans proc-cupations politiques daucune sorte) dans lesmilieux conomiques et en acceptant lesmoyens daction qui leur sont adquats quedoit se prparer luvre libratrice.

    N.B.: Si nous avons opt pour corriger certaines des curiosi-ts typographiques du texte paru dans Le Mouvement socia-liste, nous avons nanmoins souhait garder quelques-uns

    des choix de lauteur: mots en italique, en caractres gras ouen majuscules.

    Bibliographie sommaire(livres non cits en notes):

    Brcy, Robert,La Grve gnrale en France, di-tions EDI, Paris, 1969.Goustine, Christian de, Pouget, les matins noirsdu syndicalisme, ditions de la Tte de feuilles,Paris, 1972.Hirou,Jean-Pierre,Parti socialiste ou CGT? (1904-1914).De la concurrence rvolutionnaire lUnionsacre, ditions Acratie, LEssart, 1995. Julliard, Jacques, Fernand Pelloutier et le syndi-calisme daction directe, ditions Le Seuil,1971. Julliard, Jacques,Clemenceau briseur de grves.Laffaire de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges,di-tions Julliard, Paris, 1965.Perrot, Michelle, Jeunesse de la grve, ditionsLe Seuil, 1984.Pouget,mile,La CGT, suivi deLe Parti du Travail,ditions CNT-RP, Paris, 1997.Sorel,Georges,Rexions sur la violence,ditionsLe Seuil, Paris, 1990. 149

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