Emmanuel Combe : La politique de concurrence : un atout pour notre industrie

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    Emmanuel COMBE

    LA POLITIQUE DECONCURRENCE :UN ATOUT POUR

    NOTRE INDUSTRIE

    Novembre 2014

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    LA POLITIQUE DE CONCURRENCE :UN ATOUT POUR NOTRE INDUSTRIE

    Emmanuel COMBE

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    La Fondation pour linnovation politique

    est un think tank libral, progressiste et europen.

    Prsident : Nicolas Bazire

    Vice Prsident : Grgoire Chertok

    Directeur gnral : Dominique Reyni

    Prsidente du conseil scientifique et dvaluation : Laurence Parisot

    La Fondation pour linnovation politique publie la prsente note

    dans le cadre de ses travaux sur la croissance conomique.

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    RSUM

    Alors que la France connat depuis quinze ans un dclin marqu de sa

    comptitivit, la politique de concurrence est parfois pointe du doigt,

    accuse de sacrifier notre industrie sur lautel du pouvoir dachat et de

    lintrt des consommateurs. Cette thse sduisante apparat pourtant peu

    fonde empiriquement.

    En premier lieu, la politique de la concurrence vite que certaines entreprises

    soient victimes des pratiques anticoncurrentielles de la part dautres

    entreprises. Il est par ailleurs rare que la Commission europenne bloqueaujourdhui les projets de fusion, tandis que les sanctions antitrust, si

    elles ont fortement augment depuis les annes 2000, ne paraissent pas

    disproportionnes, au regard de limpratif de dissuasion et de ce qui se

    pratique dans dautres pays dvelopps.

    En second lieu, la politique de concurrence stimule la productivit et

    linnovation des entreprises ; elle facilite galement le dveloppement de

    nouveaux champions industriels, qui sont la cl de la croissance de demain :en ce sens, la politique antitrust sapparente une politique doffre et de

    comptitivit.

    En troisime lieu, la politique de concurrence nest pas un obstacle une

    politique industrielle ambitieuse et peut mme en devenir un levier puissant :

    cibler des secteurs davenir nexclut pas de mettre les entreprises en

    concurrence entre elles, comme le dmontre lexemple japonais. En ralit,

    ce dont souffre lindustrie europenne aujourdhui ce nest pas tant dune

    politique de la concurrence trop forte que dune politique industrielle tropfaible. Il serait donc contre-productif, au motif que lEurope ne fait pas assez

    de politique industrielle, de dshabiller la politique de concurrence. Nous

    risquerions de perdre sur les deux tableaux.

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    Alors que la France connat depuis le dbut des annes 2000 un dclin

    marqu de sa comptitivit industrielle, nombre darguments plus oumoins fonds ont t mobiliss pour lexpliquer : cot du travail trop

    lev, faible niveau de gamme de notre production 1, concurrence suppose

    dloyale des pays mergents Parmi les thses invoques, il en est une

    qui est venue rcemment sur le devant de la scne : le primat de la politique

    de concurrence europenne, qui sacrifierait notre industrie sur lautel du

    pouvoir dachat et briderait les champions europens dans la comptition

    mondiale.

    Ainsi, en 2013, le rapport de MM. Jean-Louis Beffa et Gerhard Crommeintitul Comptitivit et croissance en Europeappelait un rquilibrage

    de la politique de concurrence afin de mieux prendre en compte

    lenvironnement international, qui connat de profonds bouleversements 2.

    Un an auparavant, le rapport Gallois, Pacte pour la comptitivit de

    lindustrie franaise, estimait galement que la politique de la concurrence

    doit tre davantage mise au service de lindustrie europenne et de sa

    comptitivit , aprs avoir donn la priorit au consommateur parrapport au producteur3.

    1. Voir notamment Emmanuel Combe et Jean-Louis Mucchielli, La Comptitivit par la qualit : http://www.fondapol.org/etude/combe-mucchielli-la-competitivite-par-la-qualite/, note de la Fondation pour linnovationpolitique, octobre 2011.

    2. http://fr.slideshare.net/lesechos2/rapport-beffacromme-sur-la-comptitivit-et-la-croissance-en-europe, p. 5.

    3. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000591/0000.pdf, p. 49.

    LA POLITIQUE DE CONCURRENCE :UN ATOUT POUR NOTRE INDUSTRIE

    Emmanuel COMBEProfesseur des Universits, Professeur affili ESCP Europe,

    Vice-Prsident de lAutorit de la concurrence

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    Dans la prsente note, nous voudrions montrer que la politique de

    concurrence, loin dtre un obstacle la comptitivit de nos entreprises,

    en constitue en ralit un levier prcieux en stimulant loffre, linnovation,

    la productivit et, in fine, lemploi. Plus fondamentalement, nous voulons

    montrer que la concurrence doit tre aujourdhui apprhende comme uningrdient fondamental permettant de btir un cosystme fond sur lentre

    de nouvelles entreprises et lclosion de nouveaux modles conomiques.

    Certes, la concurrence et la politique de concurrence nont pas rponse

    tout et nont pas vocation se substituer dautres initiatives publiques

    telles que la politique industrielle, mais, linverse, il serait contre-productif,

    au motif que lEurope na pas de politique industrielle, de dshabiller la

    politique de concurrence. vrai dire, ce dont souffre lEurope aujourdhui,cest moins dune politique de la concurrence trop forte que dune politique

    industrielle trop faible, quelle que soit lacception que lon donne cette

    seconde notion.

    Plus prcisment, nous dveloppons douze arguments en faveur du maintien

    dune politique de la concurrence affirme, arguments tays chacun par une

    approche empirique :

    Argument 1.La politique de concurrence, en luttant contre les cartels etles abus de position dominante, ne dfend pas seulement lintrt des

    consommateurs : elle vite aussi que les entreprises soient victimes de

    pratiques anticoncurrentielles manant dautres entreprises.

    Argument 2.Loin de se focaliser sur le seul intrt des consommateurs, laconcurrence et la politique de la concurrence participent aussi dune politique

    de loffre qui dope la productivit et lactivit conomique. lheure o

    le gouvernement Valls souhaite engager une rforme des professionsrglementes, il est important de rappeler que limpact dune ouverture ne

    se rduirait pas aux seuls gains de pouvoir dachat mais inclurait aussi une

    dynamisation de la croissance et une diversification de loffre.

    Argument 3.La politique de concurrence, en stimulant la croissance, exerceun effet positif sur lemploi, mais elle conduit aussi des raffectations

    demplois entre entreprises, secteurs dactivit et pays. Les raffectations

    demplois sont dautant moins douloureuses que les salaris auront t

    prpars en amont la mobilit, notamment au travers dune formationprofessionnelle efficace, ce qui nest pas le cas pour linstant en France.

    Argument 4.La politique de contrle des concentrations de la Commissioneuropenne bloque aujourdhui trs rarement les projets de fusion-acquisition

    et nempche pas la constitution de champions europens.

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    UNE POLITIQUE EN FAVEUR DES PRODUCTEURS

    Une critique parfois adresse la politique de concurrence est quelle serait

    tourne dabord, sinon exclusivement, vers lintrt des seuls consommateurs.

    Ainsi se ferait-elle indirectement au dtriment des producteurs et de lemploi.Cette vision sappuie sur lide dune opposition irrductible entre lintrt

    des consommateurs et celui des entreprises et de leurs salaris : par une sorte

    de ruse de la raison, le consommateur qui tire son Caddie le week-end serait

    ainsi devenu son propre ennemi, lui qui est aussi un salari la semaine. Mais

    cette vision, dapparence sduisante, ne rsiste gure lpreuve des faits :

    lexamen concret de la pratique des autorits de concurrence tout comme les

    tudes des conomistes amnent conclure que la politique de concurrencenest pas rductible une politique consumriste et quelle nest lennemi

    ni de lemploi ni des entreprises.

    Les entreprises, premires victimes des pratiques anticoncurrentielles

    Qui sont les premires victimes des pratiques anticoncurrentielles contre

    lesquelles luttent les autorits antitrust ? Contrairement une ide rpandue,

    ce sont le plus souvent des entreprises, dont la comptitivit se voit altre

    par le maintien de prix artificiellement levs ou par un accs restreint aumarch. En protgeant la concurrence, la politique antitrust vite ainsi que

    des entreprises soient victimes dautres entreprises, notamment dentreprises

    extra-europennes voluant en Europe.

    Ceci est particulirement vrai pour les abus de position dominante, dont

    lobjet premier est bien dexclure du march un concurrent (souvent de plus

    petite taille, mais peru comme une menace parce quil est plus agile ou

    plus innovant) ou encore dempcher quil ne se dveloppe selon ses propresmrites. En luttant contre les abus de position dominante, la politique de la

    concurrence permet des entreprises naissantes, en devenir et qui contribuent

    au renouvellement du tissu productif, dexploiter pleinement leur potentiel.

    Elle participe ainsi au dveloppement de nouveaux marchs et aux emplois

    de demain.

    Cest galement vrai pour les pratiques de cartel, dont la majorit se forme sur

    des marchs de produits intermdiaires et dont les clients sont principalement

    des entreprises : ciment, verre, acier, etc. Ainsi, au niveau franais, uneentente dans le domaine de la distribution de commodits chimiques

    a t sanctionne en 2013. Les commodits chimiques sont utilises dans

    des secteurs tels que lagro-alimentaire, lautomobile, lindustrie textile, la

    fabrication de peinture : la pratique dentente a donc affect de nombreuses

    entreprises, grands groupes industriels comme PME.

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    Certes, il arrive quun cartel porte sur des produits achets directement par des

    consommateurs finaux, comme lillustrent certaines affaires rcentes en France

    (farines, tlphonie mobile, lessives) ; il arrive galement que lentreprise

    victime du cartel reporte une partie du surprix sur le consommateur final, qui

    devient alors une victime collatrale. Mais il nen demeure pas moins que lamajorit des cartels affecte dabord des entreprises, notamment des PME qui

    reprsentent 90 % du tissu productif franais.

    Ainsi, au niveau communautaire, une tude empirique dEmmanuel Combe

    et Constance Monnier 4(2012) sur 111 cartels dtects et condamns par la

    Commission europenne au cours de la priode 1969-2009 montre que plus

    des deux tiers des cartels ont pris place dans des secteurs tels que la mtallurgie,

    la chimie, la fabrication de machines et dquipements ou les matriaux (voirtableau 1) qui sont des inputs utiliss par dautres industries. Si lon retient

    les dix plus grosses amendes infliges par la Commission jusquen 2013, le

    constat est le mme : seuls deux cartels (les crans LCD et les installations

    de salles de bain) ont affect de manire directe les consommateurs finaux.

    Tableau 1 : Rpartition sectorielle des cartels dtects en Europe

    Secteurs Nombre de cas en %

    Mtallurgie et produits minraux non mtalliques 18 16

    Fabrication de machines et quipements 13 12

    Industries du papier, carton, caoutchouc et plastique 12 11

    Textile, construction 5 5

    Industrie chimiquedont : industrie chimique de base industrie pharmaceutique autres produits chimiques

    31

    13811

    29

    12710

    Services (commerce, services financiers et transports) 18 16

    Produits alimentaires, boissons et tabac 13 12

    Total 111 100

    Source : Emmanuel Combe et Constance Monnier, Les cartels en Europe, une analyseempirique , Revue franaise dconomie, vol. XXVII, no2, 2012, p.7

    Argument 1. La politique de concurrence, en luttant contre les cartels etles abus de position dominante, ne dfend pas seulement lintrt desconsommateurs : elle vite aussi que les entreprises soient victimes depratiques anticoncurrentielles manant dautres entreprises.

    4. Emmanuel Combe et Constance Monnier, Les cartels en Europe, une analyse empirique , Revue franaisedconomie, vol. XXVII, no2, 2012, p. 187-226.

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    Une politique de loffre qui stimule la productivit

    La politique de la concurrence a certes pour effet dviter que les prix

    soient artificiellement levs, ce qui profite directement ou indirectement

    aux consommateurs et leur pouvoir dachat. Pour autant, elle nestpas rductible une politique de demande : elle constitue galement une

    politique qui vient dynamiser loffre.

    Pour bien apprhender ce second aspect moins connu de la politique de

    concurrence, il est ncessaire de revenir la nature mme de la concurrence.

    La concurrence se dfinit comme un processus permanent de rivalit entre

    les entreprises, qui vite le maintien ou la cration de rentes infondes, et

    rcompense les entreprises les plus mritantes. La concurrence a donc pour

    effet dliminer les surprix injustifis mais galement daccrotre la diversitdes produits en incitant les entreprises se diffrencier et explorer des niches

    de march donc des gisements potentiels de croissance. La concurrence

    exerce galement un effet positif sur la productivit des facteurs, au travers

    de deux canaux :

    elle joue le rle d aiguillon auprs des entreprises installes, en incitant

    en permanence les managers donner le meilleur deux-mmes pour

    conserver leur part de march et crotre ;

    elle permet lentre sur le march de nouveaux acteurs, qui disposent de

    modles conomiques plus efficaces ( limage du low cost dans larien)

    et incitent les business model existants se remettre en question et se

    renouveler.

    De nombreuses tudes empiriques confirment lexistence dune relation

    positive et forte entre concurrence et productivit au niveau sectoriel,

    quelle que soit la manire de mesurer lintensit de la concurrence (nombre

    dentreprises, parts de march, hauteur des barrires lentre). Ainsi,dans une tude sur lindustrie nord-amricaine dextraction de minerai de

    fer, James Schmitz 5montre que louverture la concurrence trangre au

    dbut des annes 1980 a conduit les oprateurs amricains raliser de trs

    forts gains de productivit, afin de rsister aux importations brsiliennes

    (voir figure 1 page 13). Un rsultat similaire est obtenu dans les travaux sur

    limpact de louverture la concurrence de secteurs rglements, limage de

    ltude de Kira Fabrizio 6sur llectricit aux tats-Unis.

    5. James A. Schmitz, What Determines Productivity? Lessons from the Dramatic Recovery of the U.S. andCanadian Iron-Ore Industries Following Their Early 1980s Crisis , Journal of Political Economy, vol. 113, no3,

    juin 2005, p. 582-625.

    6. Kira R. Fabrizio, Nancy L. Rose et Catherine D. Wolframn, Do Markets Reduce Costs? Assessing the Impactof Regulatory Restructuring on US Electric Generation Efficiency , American Economic Review, vol. 97, no4,septembre 2007, p. 1250-1277.

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    Figure 1 :volution de la productivit du travail dans le minerai de fer aux tats-Unis(1970-1995)

    Source : James A. Schmitz, What Determines Productivity? Lessons from the DramaticRecovery of the U.S. and Canadian Iron-Ore Industries Following Their Early 1980s Crisis ,Journalof Political Economy, vol. 113, no3, juin 2005.

    2.5

    2.0

    1.5

    1.0

    0.5

    0

    1970 1975 1980 1985 1990 1995

    Production

    United States

    Labor Productivity(Output per hour)

    1980=1

    De mme, au niveau macroconomique, les travaux empiriques concluent

    quun renforcement de la concurrence exerce un effet favorable sur la

    productivit dans les secteurs o lintensit concurrentielle est limite au

    dpart : ainsi, une tude de la direction gnrale du Trsor et de la Politiqueconomique7portant sur un chantillon de onze pays de lOCDE et une

    vingtaine de secteurs aboutit une relation dcroissante dans le secteur

    des services entre le markup8et le taux de croissance de la productivit. Ce

    type de rsultat, bien tabli par la littrature conomique, conduit dailleurs

    certaines organisations internationales, comme lOCDE, recommander

    au gouvernement franais dengager des rformes structurelles et

    proconcurrentielles sur le march des biens et services notamment des

    professions rglementes afin dy dynamiser la croissance. Lenjeu ici est

    moins de redonner du pouvoir dachat aux consommateurs que damliorer

    la comptitivit de notre industrie, qui utilise intensment les services dans

    son processus de production.

    Ce lien troit entre concurrence et productivit se retrouve-t-il au niveau

    de la politique de concurrence ? En effet, si la concurrence est favorable

    la productivit, il devrait galement exister une relation positive entrela vigueur de la politique de concurrence et la productivit. Une tude

    7. Concurrence et gains de productivit : analyse sectorielle dans les pays de lOCDE , Trsor-co, no 51,fvrier 2009 (https://www.tresor.economie.gouv.fr/file/326894).

    8. Le markupse dfinit comme le ratio entre le prix de vente et le cot marginal. Il constitue une mesure indi-recte du degr de concurrence dans un secteur.

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    empirique rcente mene par Paolo Buccirossi 9et son quipe vient confirmer

    cette intuition. Aprs avoir construit un indicateur composite de vigueur

    de la politique de concurrence dans douze pays de lOCDE, les auteurs

    mettent en relation cet indicateur avec les gains de productivit observs

    dans vingt-deux industries au cours de la priode 1995-2005, et observentque les gains sont dautant plus marqus que le pays dispose dune politique

    de concurrence forte : la politique de concurrence est donc bien lallie de la

    productivit.

    Politique de la concurrence efficace

    Maintien de la rivalit entre entreprises

    Gain de productivit

    Croissance conomique

    Argument 2. Loin de se focaliser sur le seul intrt des consommateurs, laconcurrence et la politique de la concurrence participent aussi dune politiquede loffre qui dope la productivit et lactivit conomique. lheure ole gouvernement Valls souhaite engager une rforme des professions

    rglementes, il est important de rappeler que limpact dune ouverture nese rduirait pas aux seuls gains de pouvoir dachat mais inclurait aussi unedynamisation de la croissance et une diversification de loffre.

    9. Paolo Buccirossi et al., Competition Policy and Productivity Growth: An Empirical Assessment , THE Reviewof Economics and Statistics, vol. 95, no4, octobre 2013, p. 1324-1336.

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    Une politique qui nest pas lennemi de lemploi

    Il est frquent dentendre que la concurrence et indirectement la politique de

    concurrence exercerait un impact ngatif sur le niveau de lemploi : ce que

    les consommateurs gagneraient en baisse des prix se paierait, en ralit, par

    des licenciements. Selon cette prsentation des choses, comme la concurrence

    entrane des baisses de prix, de marges et de gains de productivit, les

    entreprises installes ragissent en diminuant leurs effectifs. Cette ide, fort

    rpandue, nest pourtant confirme ni par les tudes empiriques, ni par le

    raisonnement conomique.

    Que montrent les tudes empiriques sur ce sujet ?

    En premier lieu, les mesures qui restreignent durablement la concurrence

    exercent, terme, un effet ngatif sur lemploi. Il suffit, par exemple, de relire

    les travaux sur limpact des lois Royer-Raffarin dans le commerce de dtail :

    selon Marianne Bertrand et Francis Kramarz, en labsence dautorisation

    dimplantation, lemploi dans le commerce de dtail aurait t de 7 15 %

    plus lev, soit entre 112 000 et 240 000 emplois supplmentaires 10. De leur

    ct, Philippe Askenazy et Katia Weidenfeld estiment quentre 50 000 et

    100 000 postes net ont t perdus en dix ans, suite la seule loi Raffarin11.

    Au niveau du commerce international, limpact sur lemploi des restrictionsdimportations a fait galement lobjet de plusieurs tudes empiriques. titre

    dexemple, Gary Hufbauer et Ben Goodrich montrent que les limitations

    dimportation dacier dcides en 2001 aux tats-Unis ont certes permis de

    sauvegarder 3 500 emplois au sein des grands conglomrats de la sidrurgie,

    mais ont conduit dans le mme temps, en augmentant les prix, dtruire

    quatre douze fois plus demplois chez les entreprises clientes, soit entre

    12 000 et 43 000 emplois12!

    En second lieu, les expriences douverture la concurrence de secteursrguls montrent que le volume de lemploi tend en rgle gnrale,

    augmenter aprs louverture. Il suffit de voir ce qui sest pass en France

    dans le transport routier de marchandises suite la libralisation de 1986 :

    le niveau de lemploi est pass de 200 000 en 1986, plus de 350 000

    la fin des annes 1990. De mme, au niveau europen, la libralisation du

    transport arien aprs 1993 a conduit lentre de compagnies low cost et

    de forts gains de productivit (de lordre de 40 50 %), ce qui aurait d se10. Marianne Bertrand et Francis Kramarz, Does Entry Regulation Hinder Job Creation? Evidence from theFrench Retail Industry , The Quarterly Journal of Economics, vol. 117, no4, juillet 2000, p. 1369-1413.

    11. Philippe Askenazy et Katia Weidenfeld, Les Soldes de la loi Raffarin. Le contrle du grand commerce alimen-taire, Paris, ditions Rue dUlm, 2007.

    12. Gary C. Hufbauer et Ben Goodrich, Steel Protection and Job Dislocation, Washington, Institute forInternational Economics, 12 fvrier 2003 (http://www.citac.info/study/job_dislocation.html).

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    traduire par une forte baisse du niveau de lemploi. Or, on constate que ce

    dernier est rest assez stable aux alentours de 420 000 emplois et a mme

    t lgrement orient la hausse sur la priode 1998-2007, selon une tude

    de la Commission europenne 13.

    Ces rsultats empiriques nont vrai dire rien de trs surprenant au regardde lanalyse conomique. Si la concurrence, notamment lorsquelle se traduit

    par lentre doprateurs plus efficaces, peut entraner dans un premier

    temps des destructions demplois au sein des entreprises installes, lanalyse

    conomique invite ne pas sarrter ce seul effet et prendre en compte

    trois autres effets :

    leffet demande : lorsquun nouvel oprateur entre sur le march en baissant

    les prix, la demande sur le march va augmenter (en fonction de llasticitprix), ce qui va soutenir lemploi et contrebalancer en partie leffet direct

    chez les nouveaux entrants, mais galement chez les entreprises installes, si

    celles-ci prennent le train en marche et se renouvellent. Le cas de larien

    est, cet gard, symptomatique : les baisses de prix engendres par larrive

    des low cost ont conduit une vritable explosion de la demande sur

    certaines lignes. De mme, lentre de Free Mobile sest traduite par une forte

    dynamique des volumes, que ce soit en nombre dabonns (+ 1,8 million en

    2012) ou de consommation (+ 11 % pour la voix, + 28 % pour les SMS,+ 70 % pour la data en 2012) ;

    leffet de rallocation intrasectorielle : une partie des emplois dtruits chez

    les insidersest transfre vers les nouveaux entrants ;

    leffet de rallocation intersectorielle : la baisse des prix va amliorer le

    pouvoir dachat des mnages, qui vont alors engager de nouvelles dpenses

    et stimuler lemploi dans dautres secteurs. Par exemple, selon une tude

    dODIT France, lessor de larien en France au cours des annes 2000aurait conduit la cration de plus de 100 000 emplois dans les rgions,

    principalement dans les mtiers du tourisme (htellerie, restauration, etc.)14.

    Le dbat sur la concurrence et lemploi a rcemment resurgi en France,

    loccasion de lentre de Free Mobile sur le march en 2012. Bruno Deffains

    estime que larrive de Free Mobile a entran une baisse totale du chiffre

    daffaires de 6,5 milliards deuros dans le secteur des mobiles, conduisant

    des destructions demplois en cascade : chez les oprateurs (10 600 emplois),

    mais aussi chez les partenaires de premier rang (35 200 emplois) et,indirectement, dans lconomie, par le biais dun effet multiplicateur (15 800

    13. Commission europenne, Impact Assessment of the Single Aviation Market on Employment and WorkingConditions for the Period 1997-2007, Commission Staf Working Document, Bruxelles, 26 avril 2010.

    14. ODIT France, Transport arien et dveloppement touristique, 2008.

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    emplois). En prenant en compte les emplois crs par laugmentation de la

    qualit des rseaux et les emplois dtruits par la dlocalisation, Deffains

    aboutit un solde ngatif de lordre de 60 000 emplois 15. Cette approche

    ne prend toutefois pas en compte leffet de demande induite par le gain de

    pouvoir dachat ralis par les consommateurs.Augustin Landier et Davis Thesmar estiment cet impact macroconomique

    de lentre de Free Mobile sur la base dune baisse des prix des forfaits de

    10 % et obtiennent un gain annuel de pouvoir dachat de lordre de 1,7

    milliard deuros 16. Les auteurs analysent limpact de ce gain de pouvoir

    dachat sur lemploi dans les autres secteurs, laide de deux modles

    macroconomiques :

    un modle keynsien de demande17

    , dans lequel le gain de pouvoir dachatsapparente un choc positif sur la consommation des mnages, choc qui va

    se diffuser ensuite dans lensemble des secteurs de lconomie franaise pour

    aboutir la cration de 17 000 emplois ;

    un modle doffre, qui est plus pertinent sur le long terme : lentre de Free

    Mobile, en diminuant les prix, rend lconomie franaise plus comptitive,

    ce qui se traduit par une augmentation de loffre, qui cre plus de 30 000

    emplois dans lensemble des secteurs.

    Au-del de ces deux tudes empiriques et du cas franais, on peut constaterquaux tats-Unis la forte concentration du march mobile autour de

    deux principaux acteurs (ATT et Verizon) se traduit non seulement par un

    prix lev des forfaits (comparativement la France) et une faible qualit

    de service, mais galement par un dclin assez marqu de lemploi dans le

    secteur : 27 % en dix ans, contre 11 % en France sur la mme priode.

    Afin dapprcier les effets de la concurrence sur lemploi, il est donc

    ncessaire de prendre en compte lensemble des effets indirects, conduisantnotamment les consommateurs reporter les gains de pouvoir dachat vers

    dautres secteurs.

    Faut-il en conclure pour autant que la concurrence nexerce aucun effet ngatif

    sur lemploi ? Srement pas. La concurrence, en dplaant continuellement

    les parts de march entre entreprises, cre une certaine instabilit de lemploi

    et entrane une rallocation frquente des postes entre entreprises dun mme

    15. Bruno Deffains, Choc sur le march des communications mobiles : limpact sur lemploi , document derecherche Erms/Universit Paris 2, avril 2012.

    16. Augustin Landier et David Thesmar, LImpact macroconomique de lattribution de la quatrime licencemobile , document de travail, 25 novembre 2012 (http://www-gremaq.univ-tlse1.fr/perso/landier/pdfs/FreeComplete5.pdf). Ce gain de pouvoir dachat provient la fois de lconomie ralise par les clients qui ontrejoint Free, mais galement par lconomie ralise par les clients doprateurs concurrents, contraints debaisser leurs prix.

    17. Le modle tient compte dun taux dpargne (fix 14 %) et du fait quune partie de la consommation vapartir en importations.

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    secteur, entre secteurs dactivit, et entre rgions. Mais cet impact ngatif de

    la concurrence sur lemploi nest pas une fatalit : il peut tre attnu ds

    lors que les salaris ont t prpars en amont aux mutations de lemploi.

    Les bons leviers consistent miser sur la formation initiale et continue pour

    favoriser les reconversions, dvelopper une vritable flexi-scurit qui protge les personnes plus que les emplois, favoriser la fluidit sur le

    march de limmobilier, etc. La concurrence sur le march des biens nest

    donc acceptable socialement qu partir du moment o elle saccompagne

    dune protection la fois forte et incitative sur le march du travail. Nous

    voyons ici, la forte complmentarit entre la concurrence sur le march des

    biens et dautres politiques conomiques et sociales.

    Argument 3. La politique de concurrence, en stimulant la croissance, exerceun effet positif sur lemploi, mais elle conduit aussi des raffectationsdemplois entre entreprises, secteurs dactivit et pays. Les raffectationsdemplois sont dautant moins douloureuses que les salaris auront tprpars en amont la mobilit, notamment au travers dune formationprofessionnelle efficace, ce qui nest pas le cas pour linstant en France.

    Une politique en faveur de tous les championsLa politique de la concurrence est parfois accuse dempcher la constitution

    de grands groupes europens, notamment cause dun contrle des

    concentrations jug trop tatillon . Nous voudrions montrer que cet

    argument nest gure fond empiriquement et que la politique de concurrence

    permet, en ralit, aux anciens champions de se renouveler et doprer des

    consolidations, mais galement de nouveaux champions dmerger. La

    politique de concurrence prsente lavantage de soutenir tous les champions,ceux dhier comme ceux de demain.

    Une politique trop svre en matire de concentrations ?

    Dans un monde globalis, il est fondamental que les entreprises europennes

    puissent disposer dune taille critique suffisante afin de faire jeu gal avec

    leurs concurrents trangers, que ce soit en termes de cot de production

    ou de capacit daccs des marchs gographiques denvergure, limage

    des pays mergents. La croissance externe, par sa rapidit, constitue cetgard, un outil prcieux la disposition des entreprises europennes. Mais

    les oprations de fusion-acquisition sont galement susceptibles daltrer

    la concurrence, en faisant monter les prix ou en rduisant la varit des

    produits ; cest pourquoi elles sont soumises lapprobation pralable des

    autorits de concurrence, au travers du contrle des concentrations.

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    cet gard, la Commission europenne est parfois accuse dtre trop svre

    dans son contrle et de brider la constitution de champions europens

    de taille mondiale. Il est vrai quau cours de la priode 1990-2002, la

    Commission na pas hsit bloquer dix-huit projets de concentration : par

    exemple, linterdiction de la fusion Schneider-Legrand en 1999 a donn lesentiment dun interventionnisme excessif, et ce dautant que cette dcision

    a t annule par le Tribunal de premire instance en 2002 18.

    Mais la situation a grandement chang depuis dix ans : en effet, au cours

    de la priode 2003-2013, sur 3 278 oprations de concentration notifies

    la Commission europenne, six projets ont t interdits, soit seulement

    0,18 % du total des notifications (voir tableau 2 page 20). Ces interdictions,

    intervenues pour moiti dans le transport arien de passagers19

    , nont pasdonn lieu des controverses semblables celles dil y a quinze ans. Si lon

    considre que les retraits de notification ont t motivs par la crainte dun

    rejet et quon les prend en compte, le constat ne change gure : 2,4 % des

    projets ont t bloqus ou dcourags. A contrario, on peut relever que 92 %

    des oprations ont t acceptes par la Commission europenne sans aucune

    condition, et 5,6 % avec des engagements manant des entreprises. Au vu de

    ces statistiques, il parat donc difficile de parler aujourdhui dune rigueur

    excessive de la Commission en matire de contrle des concentrations.On peut noter en revanche que la Commission a contrl de nombreux

    projets de concentration initis par des entreprises non europennes mais qui

    taient susceptibles daltrer la concurrence sur le march europen. Ainsi,

    en juin 2013, la Commission a soumis conditions le projet de fusion entre

    American Airlines et US Airways, deux compagnies ariennes amricaines

    qui voluent sur le sol europen, afin de prserver une certaine concurrence

    sur plusieurs routes transatlantiques au dpart de Londres.

    18. Ainsi que deux autres dcisions en matire de concentration : First Choice/Airtours et TetraLaval/Sidel.

    19. EDP/GDP (2004), Ryanair/Aer Lingus (2007), Olympic Airways/Aegean (2011), NYSE Euronext/DeutscheBorse (2012), TNT/UPS (2013) et Ryanair/Aer Lingus (2013).

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    Tableau 2 : Dcisions de la Commission europenne en matire de concentrations

    Anne 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

    Nombre decas notifis 211 247 313 356 402 347 259 274 309 283 277

    Autorisationsansconditions

    205 222 278 327 373 316 225 254 303 255 254

    Autorisationavecengagements

    17 16 18 19 22 24 16 16 6 15 13

    Interdiction 0 1 0 0 1 0 0 0 1 1 2

    Retrait denotification

    0 5 9 9 7 13 8 4 10 5 1

    Source : site : http://ec.europa.eu/competition/mergers/statistics.pdf

    Au niveau franais, il est galement difficile de soutenir que le contrle des

    concentrations constitue un frein au regroupement dentreprises. En effet, si

    lon prend la priode post-NRE (2001) et qui se termine avec la cration de

    lAutorit de la concurrence en 2009, 50 oprations sur 987 ont donn lieu

    des engagements, soit un taux dintervention de 5 %. De mme, au cours de

    la priode 2009-2013, 34 dcisions de concentration sur 832 ont fait lobjetdune autorisation sous rserve dengagements des entreprises, soit un taux

    dintervention de 4 %. Quant aux dcisions dinterdiction pure et simple, la

    dernire opration bloque remonte lanne 2000, avec linterdiction

    par le ministre de lconomie du rachat dactifs de Benckiser par Sara Lee.

    cet gard, on peut noter que la situation franaise contraste avec

    celle qui prvaut en Allemagne, o le Bundeskartellamt se rvle plus

    interventionniste : au cours de la priode 1999-2012, pas moins de 58oprations de concentration ont t interdites. Pour autant, lAllemagne

    dispose de grands champions industriels mondiaux et dun tissu dense et

    dynamique de grosses PME.

    Argument 4. La politique de contrle des concentrations de la Commissioneuropenne bloque aujourdhui trs rarement les projets de fusion-acquisitionet nempche pas la constitution de champions europens.

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    Une politique favorable tous les champions

    La politique industrielle a longtemps revtu en Europe, et tout particulirement

    en France, la forme dune politique cible sur des secteurs ou des entreprises :

    il sagissait pour les pouvoirs publics de slectionner quelques secteursjugs prioritaires et de favoriser le dveloppement dentreprises qui en

    deviendront les leaders. Cette politique a connu plusieurs succs retentissants

    dans les annes 1970, notamment en Europe avec Airbus, dans un contexte

    de rattrapage technologique de lEurope par rapport aux tats-Unis : lenjeu

    tait moins de dfricher de nouveaux secteurs ou de nouveaux marchs

    que de combler notre retard dans un secteur dj existant (par exemple, la

    construction davions gros porteurs dans le cas dAirbus). Mais le contexte

    conomique et technologique a radicalement chang depuis trente ans et

    invite sinterroger sur la pertinence des politiques sectorielles et cibles :

    lEurope a opr son rattrapage et se situe prsent sur ce que les

    conomistes nomment la frontire technologique : lenjeu aujourdhui

    est moins dimiter des technologies dj existantes que de favoriser la

    naissance de technologies et de marchs qui nexistent pas encore. Or il

    est difficile pour les pouvoirs publics de connatre ex anteles secteurs qui

    seront porteurs demain et de les soutenir par des politiques trop ciblessans courir le risque de se tromper. Il est donc plus pertinent de mener des

    politiques horizontales et gnriques plutt que verticales ;

    linnovation nest plus lapanage de quelques secteurs de haute

    technologie mais peut merger et se diffuser dans tous les secteurs

    dactivit. vrai dire, il ny a pas de secteurs dpasss mais simplement des

    technologies et des produits dpasss. Lexemple de la firme franaise SEB

    en est lillustration : au sein dun secteur dit traditionnel , SEB a russi

    dynamiser son offre par le biais de nombreuses innovations de produits ; linnovation nest plus rductible la recherche-dveloppement et une

    dimension uniquement technologique, mais elle est susceptible dmerger

    sous des formes trs diverses, limage des innovations dusage ou de

    modle conomique. Lexemple de lentre du low cost arien est cet gard

    symptomatique : il sagit bien dune vritable innovation commerciale et

    organisationnelle, qui ne relve pourtant pas de la sphre de la technologie

    proprement dite mais qui a boulevers la manire de faire du transportarien sur le segment du court/moyen-courrier. Les politiques industrielles

    traditionnelles, plus volontiers tournes vers la composante technologique

    de linnovation, risquent de laisser de ct ces innovations organisationnelles

    et commerciales ;

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    la littrature empirique montre que la croissance dun secteur est aussi

    porte par lentre de nouvelles entreprises qui lancent des innovations de

    rupture et exploitent de nouveaux gisements de productivit. Lentre de

    nouvelles firmes exerce, en retour, un effet de contestabilit sur les firmes

    installes, en les incitant devenir plus productives et renouveler leur

    business model : Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta

    montrent ainsi que plus le taux de renouvellement des entreprises est lev

    dans un secteur, plus la productivit des entreprises installes est forte (figure

    2)20.

    Figure 2 : La relation entre productivit des firmes installes et taux de renouvellementdes entreprises (par secteurs et par pays)

    Source :Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta, Microeconomic Evidence ofCreative Destruction in Industrial and Developing Countries , dcembre 2004, p. 43.

    1.5

    1.0

    0.5

    0.0

    -0.5

    -1.0

    0.0 0.5 1.0 1.5

    Note: Excluding Brazil and Venezuela. Outliers Excluded.

    Incum

    ben

    ts

    Pro

    duc

    tiv

    ity

    Grow

    th

    Firm Turnover Rate(f)

    Correlation Coefficient: 0.3349***

    Lentre sur le march et lessor rapide de nouvelles entreprises constituentdonc un enjeu tout aussi important pour le dynamisme conomique que

    la croissance des grandes entreprises. Tel un organisme vivant, la vie dun

    secteur nest pas un long fleuve tranquille mais sapparente davantage un

    processus permanent de renouvellement, avec des rallocations dactivits et

    demplois entre entreprises installes, mais aussi en direction des nouveaux

    entrants.

    Or force est de constater quen Europe, tout particulirement en France,les leaders daujourdhui sont souvent les leaders dhier : dans le domaine

    dInternet par exemple, o sont les Google, Facebook, Amazon et autres

    20. Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta, Microeconomic Evidence of Creative Destructionin Industrial and Developing Countries , document de travail, dcembre 2004 (http://elibrary.worldbank.org/doi/book/10.1596/1813-9450-3464).

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    Yahoo europens ? Une analyse de la pyramide des ges des leaders vient

    confirmer ce constat : elle comprend en Europe assez peu de champions ns

    aprs 1950, comparativement au cas amricain (voir figure 3).

    40 20 0 20 40

    Figure 3 :Pyramides des ges des entreprises leaders en Europe et aux tats-Unis

    Source : Thomas Philippon et Nicolas Vron, Financing Europes Fast Movers, Bruegel Policy Brief,janvier 2008.

    Horizontal bars show the number of companies in each age category

    Date of creation

    Before 1775

    1776 - 1800

    1801 - 1825

    1826 - 1850

    1851 - 1875

    1876 - 1900

    1901 - 1925

    1926 - 1950

    1951 - 1975

    1976 - 2000

    United States Europe

    Pourtant, la France se caractrise par un fort taux de renouvellement des

    firmes, avec un taux dentre et de sortie similaire celui observ dans les

    autres pays de lOCDE ; le problme est donc moins celui de la cration

    dentreprises que celui de leur croissance rapide et forte. Ainsi, ltude deBartelsman, Haltiwanger et Scarpetta montre que les entreprises qui ont

    survcu, ont vu leur taille tre multiplie par 60 aux tats-Unis en lespace

    de sept ans, par 40 au Royaume-Uni, par 30 en Italie tandis que leur taille

    est reste constante en France (voir figure 4 page 24).

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    Source :Eric Bartelsman, John Haltiwanger et Stefano Scarpetta, Microeconomic Evidence ofCreative Destruction in Industrial and Developing Countries , dcembre 2004, p. 27.

    Figure 4 :Taille des firmes survivantes en fonction de leur ge

    Finlan

    d

    WestG

    erm

    any

    Slov

    enia

    Portu

    gal

    Colom

    bia Uk

    Arge

    ntin

    a

    Fran

    ce

    Ne

    therlan

    ds USA

    Italy

    Chile

    Rom

    ania

    Esto

    nia

    Hung

    ary

    Mexic

    o

    Latvia

    160

    140

    120

    100

    80

    60

    40

    20

    0

    -20

    age=2 age=4 age=7

    Lenjeu dune politique industrielle aujourdhui nest donc plus seulement

    de conforter nos champions existants, en leur permettant datteindre une

    taille critique au niveau mondial, mais dtre aussi en mesure den crer de

    nouveaux. Ces nouveaux champions ne se dcrtent pas lavance ; ils se

    construisent deux-mmes, sur la base dun terreau favorable. cet gard, lapolitique de concurrence peut jouer un rle primordial :

    en luttant contre les abus de position dominante et en contrlant les

    concentrations, la politique de concurrence favorise lentre et lessor de

    nouveaux acteurs sur le march. En effet, lorsquune entreprise en position

    dominante commet un abus, lobjet mme de son abus est bien de limiter

    la croissance voire de compromettre lexistence dune firme de petite

    taille mais menaante. De mme, en matire de concentration, une entreprisedominante peut dcider de racheter une start-up, non pas pour en dvelopper

    le potentiel mais pour lempcher de lancer sur le march une innovation qui

    viendrait remettre en cause sa position tablie ;

    en ne ciblant aucun secteur en particulier, la politique de concurrence

    constitue une politique gnrique qui sadresse lensemble des acteurs du

    march : elle court donc moins le risque de se tromper ; elle est galement

    moins sujette au risque de capture du rgulateur par les entreprises

    installes. En effet, la politique industrielle nchappe pas au risque defavoriser dans ses choix les entreprises disposant dj dune forte visibilit

    mdiatique, dune capacit mieux profiter des effets daubaine et dun

    rseau dinfluence important auprs des pouvoirs publics. A contrario,

    les secteurs naissants et en devenir, composs pour lessentiel de start-up,

    disposent dun accs moins ais la dcision publique.

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    On peut toutefois objecter cette neutralit de la politique de concurrence

    quil est justement du ressort des pouvoirs publics de cibler et de promouvoir

    certains secteurs industriels, au nom de considrations qui ne relvent pas

    ncessairement dune stricte logique conomique. Par exemple, lobjectif de

    lutte contre le rchauffement climatique peut conduire un gouvernement vouloir privilgier, par une politique industrielle cible, le dveloppement

    de technologies propres , que ce soit dans lautomobile ou les nouveaux

    matriaux. Mais, mme dans ce cas de figure, la concurrence peut jouer un rle

    utile : dans un article rcent, Philippe Aghion et son quipe montrent ainsi que

    les politiques de ciblage sectoriel savrent dautant plus efficaces que le secteur

    est concurrentiel ou que le ciblage porte sur un grand nombre dentreprises

    qui vont devenir concurrentes21

    . Les auteurs testent cette hypothse sur unchantillon dentreprises chinoises au cours de la priode 1998-2007, et

    trouvent une relation positive entre les gains de productivit et des mesures

    de soutien lindustrie lorsque ces dernires sont alloues des secteurs trs

    concurrentiels ou renforcent la concurrence dans un secteur. Loin de sopposer,

    concurrence et politique industrielle apparaissent ici comme complmentaires.

    Argument 5. En luttant contre les ententes et abus de position dominante, la

    politique de concurrence permet lentre de nouveaux acteurs sur le marchqui contribuent renouveler le tissu productif et stimulent la productivitdes firmes installes.

    Une politique favorable linnovation

    Il est parfois affirm quune concurrence trop forte sur le march vient limiter

    les capacits dinnovation des entreprises, en contractant leurs marges : le gainen termes de prix bas serait alors compens terme par un manque dincitation

    innover. Sur cette question, la position des conomistes apparat contraste

    depuis toujours et, de manire schmatique, deux thses sopposent :

    dans la ligne des travaux de Kenneth Arrow, la concurrence et les faibles

    marges qui en rsultent sont propices linnovation en incitant les entreprises

    se diffrencier pour chapper la tyrannie des prix bas . linverse,

    les situations de faible concurrence seraient dfavorables linnovation,

    dans la mesure o lentreprise dominante bnficie dj dune rente desituation ; autrement dit, une entreprise en situation de monopole a peu

    intrt innover, puisquelle risque de se remplacer elle-mme (ce quArrow

    dnomme l effet de laurier ) ;

    21. Philippe Aghion et al., Industrial Policy and Competition , document de travail, 24 avril 2012 (http://scholar.harvard.edu/files/aghion/files/industrial_policy_and_competition.pdf).

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    dans la ligne des travaux de Joseph Schumpeter, les situations de monopole

    et de pouvoir de march sont perues comme propices linnovation, en

    permettant aux entreprises de disposer de ressources internes pour financer

    leur effort de R&D, lequel est difficile financer en externe.

    Philippe Aghion et son quipe tentent de concilier ces deux thses, enmettant en vidence une relation en U invers , entre innovation et degr

    de concurrence, linnovation tant mesure par les citations de brevet (voir

    figure 5) 22. Les situations de forte concentration industrielle apparaissent

    dfavorables linnovation, tout comme les situations de trs forte

    concurrence. Il existerait ainsi une sorte d optimum de concurrence du

    point de vue de lincitation innover.

    Ce constat empirique mitig doit-il pour autant nous conduire conclureque la politique de concurrence nest pas un bon vecteur dinnovation ?

    Figure 5 : La relation entre innovation et concurrence

    20

    15

    10

    5

    0

    .85 .9 .95

    1 - Lerner

    Citationweighted

    patents

    Source :Philippe Aghion et al., Competition and Innovation: an Inverted-U Relationship , TheQuarterly Journal of Economics, vol. 120, no2, mai 2005, p.706.

    En ralit, ce que montre ltude de Philippe Aghion, cest quune trop forte

    concentration nuit linnovation. Or lobjectif mme de la politique de

    concurrence nest pas de rguler le niveau de concurrence lorsque celle-ci est

    dj significative, mais dempcher que des situations de position dominante

    se renforcent, soit loccasion dun mouvement de concentration industrielle,soit dans le cas dun abus de position dominante. De mme, la lutte contre

    les cartels vise empcher quun secteur concurrentiel se transforme en une

    situation proche du monopole.

    22. Philippe Aghion et al., Competition and Innovation: an Inverted-U Relationship , The Quarterly Journal ofEconomics,vol. 120, no2, mai 2005, p. 701-728.

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    linverse, sur des marchs trs concurrentiels, rien nempche que

    les firmes fusionnent entre elles ou cooprent en R&D. Rappelons,

    cet gard, que les textes europens voient dun il assez favorable la

    coopration technologique entre concurrents. Le rglement n 1217/2010

    de la Commission europenne du 14 dcembre 2010 mentionne ainsi quelUnion europenne doit encourager les entreprises, y compris les petites et

    moyennes entreprises, dans leurs efforts de recherche et de dveloppement

    technologique de haute qualit, et soutenir leurs efforts de coopration .

    Pour ce faire, les textes communautaires, et plus particulirement larticle 101

    du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (TFUE), noncent,

    depuis le trait de Rome, un principe fort et constant : toute entente qui a

    des effets anticoncurrentiels peut toujours tre sauve si les entreprisesdmontrent que cette entente contribue au progrs conomique . Ce

    principe sest appliqu de nombreuses reprises. Ainsi en 1999, lorsque

    General Electric (associ au franais Snecma) et Pratt & Whitney dcident

    de crer ensemble la socit Engine Alliance pour dvelopper le moteur du

    futur A380, la Commission europenne donne son feu vert lopration, en

    dpit dune forte concentration du march des motoristes autour de trois

    acteurs, au motif que cette entente permettra aux deux socits de mettre

    au point un moteur de trs haute technicit, en moins de temps et pourmoins dargent quil nen aurait fallu autrement .

    Pour autant, si la politique de concurrence ne constitue pas un obstacle

    linnovation, elle ne saurait constituer elle seule lalpha et lomga dune

    politique technologique. Elle na pas vocation remplacer les instruments

    usuels que sont les grands programmes de recherche, les incitations fiscales

    de type Crdit dimpt recherche (CIR), le renforcement des brevets, les

    politiques de comptitivit, etc. En dautres termes, lenjeu aujourdhui nestpas de mettre en sommeil la politique de concurrence, mais de doter lEurope

    dune vritable politique industrielle, la hauteur des dfis de linnovation,

    comme le soulignent les rapports Gallois et Beffa-Cromme.

    Argument 6. La politique de concurrence constitue un aiguillon pourlinnovation des entreprises en les incitant en permanence se renouveler.Elle reconnat pleinement le rle de linnovation, notamment en autorisant

    sous conditions les ententes technologiques entre concurrents. De surcrot,la politique de concurrence nexclut pas la mise en place de politiquestechnologiques ambitieuses.

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    La concurrence comme politique industrielle : le cas japonais

    Les partisans dune politique industrielle cible font souvent rfrence au

    cas du Japon, qui est parvenu, en un temps trs court (1950-1990) et sous

    limpulsion du ministre de lconomie japonais (MITI), se hisser parmi

    les grandes nations industrielles et technologiques. En ralit, une analyse

    minutieuse du miracle japonais montre que ce succs rsulte dabord de

    lintense concurrence qui rgne sur le march intrieur du pays, comme lont

    expliqu Michael Porter et Mariko Sakakibara dans un article clbre 23. Les

    auteurs distinguent deux types dindustrie dans ce pays :

    celles qui ont russi simposer lexportation et se caractrisent par

    un niveau lev de productivit et dinnovation, limage de lautomobile,

    des produits lectroniques ou de la robotique. Ces industries font face une forte concurrence interne et un faible interventionnisme industriel et

    protectionniste. Le cas de lautomobile est cet gard rvlateur : dans les

    annes 1960, le MITI a tent en vain de consolider lindustrie japonaise

    autour de trois groupes, dont chacun se serait spcialis sur un type de

    vhicule, mais les entreprises ont refus cette politique interventionniste et

    une concurrence redoutable sest alors dveloppe, avec lentre de nouveaux

    comptiteurs comme Honda, Subaru ou Mazda ;

    celles qui ne sont pas parvenues simposer linternational et sont restes

    pour lessentiel, confines lintrieur du territoire japonais avec de faibles

    niveaux de productivit, limage de laronautique, des dtergents, de la

    chimie, du logiciel (hors jeux vido), de la banque et des tlcommunications.

    Ces secteurs se caractrisent par des restrictions lentre, une intervention

    frquente du gouvernement et un faible nombre de concurrents.

    lissue de leur analyse factuelle, les auteurs parviennent une conclusion

    sans appel : In fact, those industries in which competition was restricted tobe those where Japan was not successful internationally. In the internationally

    successful industries, internal competition in Japan was invariably fierce 24.

    23. Michael E. Porter et Mariko Sakakibara, Competition in Japan ,Journal of Economic Perspectives, vol. 18,no1, hiver 2004, p. 27-50.

    24. Ibid., p. 28.

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    Tableau 3 : Industrie : les deux Japon (1950-1990)

    Secteurs Situation du secteurau Japon en 1998

    Caractristiques du secteur(concurrence, rle du gouvernement)

    Aronautique civile 1 % des exportationsmondiales. Faible concurrence entre les constructeursdavions et de moteurs ; systme de licence.

    Chimie 6 % des exportationsmondiales.

    Intervention gouvernementale sur les capacitsde production ; ptrochimie : entre sur lemarch soumise autorisation, nombreuxcartels de rcession dans les annes 1970.

    Dtergents Aucune prsenceinternationale.Forte implantationsur le marchdomestique.

    Concurrence limite 2 entreprises (Kao, Lion) ;restrictions linvestissement tranger et prix derevente imposs jusquaux annes 1970.

    Logiciels Aucune firmejaponaise dans letop 20 mondial.

    Concurrence faible entre les diteurs sur lemarch domestique (sauf jeux vido) ; forteintervention du MITI.

    Jeux vido Leader mondial lexportation.

    Trs forte concurrence sur le marchdomestique : plus de 500 dveloppeurs (pourle compte de Sony) ; aucune interventiongouvernementale.

    Automobiles Leader mondial lexportation

    9 constructeurs sur le march japonais ;tentative infructueuse dinterventiongouvernementale (consolidation du secteur).

    Pneus pour camionset bus

    Position de leader lexportation, avecles tats-Unis.

    Concurrence interne forte entre 5 entreprisesjaponaises ; cartel de rcession en 1965.

    Camras Domination lexportation(80 % du marchmondial).

    15 concurrents japonais en 1987 et 13 en 1997 ;forte turbulence des parts de march entreacteurs, signe dune forte concurrence.

    Sauce soja Leader mondial lexportation.

    Intense concurrence locale : plus de2 500 producteurs ; aucune interventiongouvernementale.

    Source : partir de larticle de Michael E. Porter et Mariko Sakakibara, Competition in Japan ,Journal of Economic Perspectives, vol. 18, no 1, hiver 2004, p. 27-50.

    Argument 7. Lexprience du Japon et de sa politique industrielle volontaristedmontre que les industries japonaises ayant russi simposer au niveaumondial sont celles qui taient aussi soumises une intense concurrence sur

    leur march domestique.

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    Une politique de sanction excessive ?

    Depuis le dbut des annes 2000, le montant des sanctions infliges par la

    Commission europenne lencontre des cartels a fortement augment (voir

    figure 6). Cette hausse est la consquence directe dun changement de cap initi

    par Mario Monti et poursuivi par ses successeurs (Neelie Kroes, puis JoaqunAlmunia). Pour autant, doit-on considrer que la Commission a franchi la

    ligne rouge et est passe du ct de la surdissuasion, handicapant ainsi la

    comptitivit des entreprises ? De mme, alors que la crise conomique fait

    rage, ne doit-on pas considrer que les sanctions antitrust doivent sadapter

    la situation financire des entreprises, sous peine de les acculer la faillite ?

    Ne faut-il pas galement autoriser les cartels de crise ? Cest ces trois

    questions que nous proposons dapporter des rponses empiriques.

    540 293

    3,463

    8,8179,414

    Figure 6 : Lvolution du montant des sanctions en matire de cartels (1990-2014)

    Source :site : http://ec.europa.eu/competition/cartels/statistics/statistics.pdf

    10,000

    9,000

    8,000

    7,000

    6,000

    5,000

    4,000

    3,000

    2,000

    1,000

    0

    Amountinmillions

    1990 - 1994 1995 - 1999 2000 - 2004 2005 - 2009 2010 - 2014

    Surdissuasion ou svrit accrue ?

    Rappelons demble quune sanction dite leve doit toujours tre

    mise en regard du dommage (potentiel ou rel) que la pratique a elle-

    mme caus lconomie dans son ensemble : dommage lev, sanction

    leve. En particulier, on a parfois tendance sous-estimer lampleur relle

    du dommage, notamment lorsquune pratique de cartel se traduit par unehausse de prix limite mais affectant un trs grand nombre de clients.

    Il peut tre intressant destimer ex postle degr de svrit de la Commission,

    en partant dune approche conomique de la sanction :

    afin de dissuader les entreprises denfreindre les rgles de concurrence, le

    montant de la sanction devrait tre au moins confiscatoire, pour que le profit

    net retir de linfraction soit nul ;

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    dans la mesure o tous les cartels ne sont pas dtects, le montant de la

    sanction devrait intgrer cette faible probabilit de dtection.

    Dans cette perspective, la sanction optimale serait gale au gain illicite

    divis par la probabilit de dtection. Par exemple, si le gain illicite est de

    10 millions deuros et la probabilit de 20 %, la sanction optimale devraitatteindre 50 millions deuros. En pratique, le calcul du gain illicite et de la

    probabilit de dtection savre complexe compte tenu de la multiplicit des

    paramtres qui entrent en jeu et de la difficult de les estimer. Pour autant,

    plusieurs auteurs se sont livrs ces dernires annes cet exercice, sans

    nanmoins parvenir un consensus.

    Ainsi, Emmanuel Combe et Constance Monnier ont compar les sanctions

    infliges par la Commission europenne 64 cartels au cours de la priode1969-2009 avec leur propre estimation des sanctions optimales 25. Le

    gain illicite a t recalcul pour chaque cartel sur la base de paramtres

    conomiques estims (hausse du prix, lasticit de la demande, niveau de

    marge) ou observs (dure de vie du cartel). Les auteurs constatent que, dans

    la moiti des cas, le montant de la sanction savre infrieur lestimation

    du gain illicite la plus favorable aux entreprises. Ils intgrent galement, le

    fait que tous les cartels ne sont pas dtects, en retenant une probabilitde 15 %. Dans ce second cas de figure, lcart entre les sanctions infliges

    et les sanctions optimales apparat encore plus marqu : 1 amende sur

    64 apparat surdissuasive . Combe et Monnier en concluent que si la

    Commission est certes devenue plus svre au cours du temps, elle na pas

    franchi pour autant aujourdhui la ligne rouge de la surdissuasion : treplus

    svre ne signifie pas ncessairement tre tropsvre.

    Ces rsultats ont toutefois t contests par Marie-Laure Allain, Marcel Boyer

    et Jean-Pierre Ponsard qui mettent notamment en avant la surestimation du surprix inflig par les cartels, pour conclure que le niveau des sanctions

    en Europe est suffisamment dissuasif, voire mme excessif26.

    Argument 8. Si la politique antitrust inflige parfois des sanctions levesaux entreprises, ces sanctions sont la condition dune dissuasion efficace despratiques illicites car elles garantissent le maintien dune concurrence par les

    mrites, favorable la croissance.

    25. Emmanuel Combe et Constance Monnier, Fines Against Hard Core Cartels in Europe: the Myth of OverEnforcement , The Antitrust Bulletin, vol. 56, no 2, t 2011, p. 235-275 ; Quelle est lampleur de la sous-dissuasion des cartels en Europe ? Complments sur nos rsultats , Concurrences, no1-2013, janvier 2013,p. 16-37

    26. Marie-Laure Allain, Marcel Boyer et Jean-Pierre Ponsard, The determination of optimal fines in cartelcases: theory and practice , Concurrences, n 4-2011, dcembre 2011, p. 32-40.

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    tats-Unis/Europe : qui est le plus svre ?

    Afin de souligner le suppos excs de zle de la Commission europenne,

    il est parfois fait rfrence au cas amricain, en mobilisant largument selon

    lequel les autorits antitrust outre-Atlantique seraient moins svres que

    leurs homologues europens. Il est vrai que lon constate une progressionmoins forte du montant des sanctions antitrust aux tats-Unis au cours des

    annes 2000 (figure 7), ainsi quune stabilisation du niveau des sanctions

    imposes par le dpartement de la Justice aprs 2007 ( lexception de

    lanne 2009) : entre 500 et 700 millions de dollars chaque anne, alors

    mme que le nombre dinvestigations est en constante progression.

    Figure 7 : volution des sanctions antitrust aux tats-Unis et en Europe

    Source : John Connor, confrence Antitrust fines : what is the right amount ? , organise par la revueConcurrences, 2012.

    40

    30

    20

    10

    0

    ECtotal $22.6 billion

    UStotal $10.7 billion

    1990

    2000

    1991

    2001

    1995

    2005

    1999

    2009

    2010

    2011

    1993

    2003

    1997

    2007

    1992

    2002

    1996

    2006

    1994

    2004

    1998

    2008

    Pour autant, la comparaison des sanctions entre lEurope et les tats-

    Unis mrite dtre affine. En premier lieu, dans le cas des grands cartels

    internationaux condamns rcemment la fois aux tats-Unis et en Europe,

    le niveau des sanctions antitrust apparat plus lev du ct amricain. Si

    lon suppose que les marchs affects ont t de mme taille et le dommage

    caus au march similaire, on obtient les chiffres suivants : 1,4 milliard de

    dollars pour le cartel des tubes cathodiques (contre 648 millions deuros

    en Europe) ; 1,7 milliard de dollars pour le cartel du fret arien (contre

    799 millions deuros), et 729 millions de dollars pour le cartel des DRAM(contre 331 millions deuros).

    Deuximement, les cartels de grande dimension font systmatiquement

    lobjet de poursuites pnales aux tats-Unis. Toute comparaison, pour

    tre pertinente, doit donc prendre en compte cette tendance marque la

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    criminalisation des cartels qui nexiste pas ou trs peu, en Europe 27.

    Noublions pas, en effet, quaux tats-Unis les sanctions pnales sont

    devenues lourdes : le plafond de sanction lencontre des individus en cas

    de violation du Sherman Antitrust Acta mme t accru depuis 2004, 1

    million de dollars et 10 ans de prison. La justice amricaine a galementlargi le champ de la responsabilit pnale en nhsitant plus demander

    lextradition de dirigeants trangers : ce jour, on compte 40 cadres non

    amricains qui ont effectu des peines de prison aux tats-Unis dans des

    affaires de cartels internationaux ! Au cours de la seule priode 2010-2011,

    le nombre total de jours de prison pour cartel sest lev 18 295, avec des

    peines moyennes de 24 mois.

    En troisime lieu, aux tats-Unis, les entreprises poursuivies par les autoritsantitrust doivent systmatiquement affronter les demandes en rparation de

    leurs victimes, qui peuvent entreprendre des class action et sappuyer sur

    le mcanisme redoutable des triples dommages , consistant rclamer

    trois fois le dommage subi. Si lintervention publique des autorits antitrust

    est dune nature juridique diffrente des actions prives en rparation, il

    nen demeure pas moins quil est possible dadditionner les montants pays

    au titre des rparations avec les sanctions antitrust : le systme amricain

    apparat alors beaucoup plus svre que son homologue europen (voirfigure 8).

    Figure 8 : volution du montant des sanctions antitrust et des rparations aux Etats-Uniset en Europe

    Source : John Connor, confrence Antitrust fines : what is the right amount ? , organise parla revue Concurrences, 2012.

    50

    40

    30

    20

    10

    0

    UStotal $49 billion

    ECtotal $34 billion

    1990

    2000

    1991

    2001

    1995

    2005

    1999

    2009

    2010

    2011

    1993

    2003

    1997

    2007

    1992

    2002

    1996

    2006

    1994

    2004

    1998

    2008

    27. Dans le cas du Royaume-Uni, leffectivit des sanctions pnales, introduites en 2002, reste ce jour trslimite : une seule condamnation des peines de prison ferme a t prononce en 2008.

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    Il est vrai que la mise en place prochaine de mcanismes daction de groupe

    dans les pays dEurope ( limage de la France) pourrait faire craindre un

    alignement progressif sur le systme amricain. Il est toutefois peu probable

    que lon assiste une explosion des montants de rparation semblable

    celui observ aux tats-Unis. En effet, afin dviter les drives du modleamricain, certains mcanismes comme les triples dommages nauront

    pas cours en Europe.

    Plus encore, il nexiste ce jour aucun consensus scientifique dmontrant

    que les actions de groupe exerceraient un impact ngatif sur la comptitivit

    de lconomie, y compris dans le cas extrme des tats-Unis. Ainsi,

    ltude souvent cite du cabinet Towers Perrin 28, qui value le montant des

    rparations 2 % du PIB amricain, ninforme en rien sur les pertes de bien-tre que subirait lconomie amricaine du fait de ces actions collectives. Une

    tude empirique mene pour le compte de la Commission europenne en

    2008 sur limpact des actions collectives existantes en Europe conclut de son

    ct : There is no evidence indicating an impact of the existing collective

    redress mechanisms on the competitive position of EU firms in comparison

    with their non-EU rivals 29.

    On peut cet gard, noter quaucune tude ne montre pour linstant queles Pays-Bas et le Royaume-Uni, qui disposent dun systme dactions

    collectives, ont connu une perte de comptitivit de leur conomie du fait de

    lintroduction de ces nouvelles dispositions juridiques.

    Argument 9. La politique antitrust amricaine nest pas moins svre quecelle mene en Europe, ds lors que sont prises en compte les sanctions

    pnales et les actions en rparation.

    Antitrust : faut-il lever le pied en priode de crise ?

    Alors que lEurope connat une priode de faible croissance conomique et

    de profondes restructurations industrielles, plusieurs voix se sont leves en

    faveur dun assouplissement de la politique antitrust.

    Un premier discours en appelle la modration dans la politique de

    sanctions, arguant du fait que de fortes amendes ne feraient quaccrotre

    28. Cabinet Towers Perrin, 2008 Update on U.S. Tort Cost Trends, 2008 (http://www.fljustice.org/docs/Towers2008study.pdf).

    29. Commission europenne, Evaluation of the Effectiveness and Efficiency of Collective Redress Mechanismsin the European Union. Final report, 2008, p. 12.

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    les difficults financires auxquelles les entreprises sont confrontes du fait

    de la rcession. Il serait en effet paradoxal que les autorits antitrust, au

    travers de sanctions trop leves par rapport aux capacits de paiement

    des entreprises, acculent ces dernires la faillite, ce qui aurait pour effet

    de rduire lintensit de la concurrence sur le march. Pour autant, lesautorits antitrust mconnaissent-elles la situation financire des entreprises

    lorsquelles dterminent le montant des sanctions ? Non. En effet, au niveau

    communautaire, les lignes directrices pour le calcul des amendes (2006)

    prvoient que, dans des circonstances exceptionnelles, la Commission

    puisse rduire la sanction dune entreprise si cette dernire lui fournit des

    lments suffisamment clairs et objectifs dmontrant que cette amende est

    susceptible de mettre irrmdiablement en danger la viabilit conomiquede lentreprise concerne , au-del de la seule constatation dune situation

    financire dfavorable ou dficitaire . De mme, dans le cas franais, le

    communiqu sur le calcul des sanctions (2011) stipule quune entreprise peut

    demander le bnfice dune rduction de sanction, charge elle de justifier

    lexistence de difficults financires particulires au moment de la dcision.

    Il est galement possible en France, au stade du paiement de la sanction,

    quune entreprise puisse bnficier dun chelonnement ou dun moratoire.

    Ces principes ont-ils trouv sappliquer au cours de la priode rcente ? loccasion de plusieurs dcisions, la Commission na pas hsit diminuer,

    parfois trs fortement, le montant de la sanction inflige une entreprise

    pour tenir compte de sa situation financire critique (voir tableau 4 page

    36). Le cas le plus emblmatique est sans doute celui du cartel des tubes

    cathodiques, o lun des participants, la firme franaise Technicolor, a

    bnfici dune rduction damende de 85 %, portant sa sanction de 219

    millions deuros 38 millions.

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    Tableau 4 : Rductions de sanction au titre de la capacit payer

    Cartel Sanction totale(en millionseuros)

    Rduction de sanctionsobtenue par certainesentreprises au titre de la

    capacit payerCartel des tubes cathodiques (2012) 1 400 85 % 1 entreprise

    (Technicolor)

    Cartel des quincailleries de fentre (2012) 86 45 % 1 entreprise

    Cartel des installations sanitaires de salles de bain(2010)

    622 25 % 2 entreprises et50 % 3 entreprises

    Cartel de lacier de prcontrainte (2010) 269 25 %, 50 %, 75 % 3entreprises

    Cartel des producteurs de phosphate (2010) 175 70 % 1 entreprise

    Cartel des dmnagements internationaux (2008) 32,7 70 % 1 entreprise

    De mme en France dans plusieurs affaires rcentes, lAutorit de la

    concurrence a accord des rductions de sanctions, parfois substantielles,

    des entreprises ayant fait la preuve de leur fragilit financire. titre

    dexemple, nous pouvons citer la rduction de 80 % octroye GAD dans

    lentente sur le porc breton (2013) ou encore la rduction de 35 % pour les

    Grands Moulins de Strasbourg dans le cartel des farines (2012).

    Argument 10. Les sanctions infliges par les autorits antitrust aux entreprisestiennent compte de leur capacit payer et peuvent donc tre rduites si lesentreprises dmontrent lexistence de difficults financires particulires.

    A contrario, demander que les sanctions ne soient pas leur juste niveau au

    seul motif de la crise conomique cest dire, en creux, que lon accepte que lespratiques anticoncurrentielles perdurent ou fleurissent durant ces priodes.

    Il faut alors dmontrer quune conomie dans laquelle prosprent cartels

    et autres abus de march est une conomie qui prpare mieux lavenir, le

    rebond, la sortie de crise, quune conomie qui mise sur les vertus de la

    concurrence. Il nexiste pas ce jour dtude empirique qui dmontre cela.

    En revanche, plusieurs tudes ont t menes sur les consquences de la mise

    en sommeil des lois antitrust durant la Grande Dpression aux tats-Unis,

    et les rsultats sont clairs : ces mesures ont prolong la rcession. Rappelonsen effet que lobjectif affich du National Industrial Recovery Act(NIRA)

    de 1933 tait de soutenir le niveau des prix et des salaires en acceptant que

    les entreprises limitent la concurrence entre elles, en contrepartie de hausses

    de salaires ngocies avec les syndicats. Le Code of Fair Competitionmettait

    ainsi purement et simplement entre parenthses les lois antitrust : ds 1934,

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    plus de 500 industries lavaient accept, sengageant dans des pratiques

    de prix de revente imposs, de prix minimum et de cartels. Bien que le

    NIRA ait t dclar inconstitutionnel par la Cour suprme en 1935, les

    autorits antitrust ont continu aprs cette date fermer les yeux sur

    les pratiques de collusion, et ce jusquen 1939. Quel bilan peut-on dresserrtrospectivement de cette politique ? Harold Cole et Lee Ohanian ont

    mesur limpact du NIRA 30 sur la persistance de la crise conomique au

    cours de la priode 1933-1939 31en comparant la situation observe (data)

    celle qui aurait prvalu si lconomie amricaine tait reste concurrentielle

    (competitive model). Ils concluent que plus de la moiti de lcart entre la

    production observe et la production simule sexplique par la cartellisation

    de lconomie et les hausses de salaires qui en ont rsult (voir figure 9). Diten dautres termes, loin de faciliter la sortie de crise, le NIRA na fait que la

    prolonger en retardant les ajustements ncessaires.

    Figure 9 : volution de la production observe et simule aux tats-Unis

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    Competitive Model

    Cartel Model

    Data

    1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940

    Year

    Indices

    Source :Harold E. Cole et Lee E. Ohanian, New Deal Policies and the Persistence of the Great Depression:a General Equilibrium Analysis ,Journal of Political Economy, vol. 112, no4, aot 2004, p. 809.

    Argument 11. Lexprience amricaine de mise en sommeil de lantitrustdurant le New Deal montre que cette politique na fait que prolonger ladure de la crise, en retardant les restructurations.

    30. Harold E. Cole et Lee E. Ohanian, New Deal Policies and the Persistence of the Great Depression: a GeneralEquilibrium Analysis ,Journal of Political Economy,vol. 112, no4, aot 2004, p. 779-816.

    31. Rappelons que le PIB par tte (en valeur relle), qui tait infrieur de 39 % par rapport son trend en 1933,tait encore infrieur de 27 % en 1939.

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    Un second discours milite pour que les autorits antitrust adaptent leur grille

    de lecture au contexte de crise, notamment en permettant la constitution

    de cartels de crise . Certains conomistes vont mme jusqu demander

    la ractivation du trait instituant la Communaut europenne du charbon

    et de lacier (CECA) et de son article 58, lequel autorisait, en cas de crise

    manifeste dans la sidrurgie, linstauration de quotas de production par

    entreprise32.

    Rappelons quun cartel de crise consiste, pour des firmes concurrentes,

    se coordonner entre elles, en priode de faible demande, dans le but de

    rduire leurs surcapacits. Les cartels de crise prennent souvent place dans

    lindustrie lourde, marque par lampleur des cots fixes : ces derniersncessitent dassurer un niveau de production minimal dans chaque usine,

    afin datteindre le seuil de rentabilit. Plutt que dassainir le march au

    travers dun jeu non coopratif de guerre des prix et de faillite de certains

    acteurs, le cartel de crise organise la diminution concerte des capacits entre

    acteurs.

    Dun point de vue thorique, un cartel de crise exerce deux effets contraires

    sur le niveau des prix :

    il permet de rationaliser la production en fermant les units les moinsrentables et en concentrant la production dans celles qui sont les plus efficaces,

    ce qui permet dviter une hausse des cots unitaires et donc des prix ;

    il saccompagne dune rpartition des quantits entre concurrents sous la

    forme de quotas, voire dune fixation des prix en commun, ce qui a pour

    effet de figer toute concurrence lintrieur du secteur.

    Limpact final dun cartel de crise sur le niveau prix est donc indtermin : tout

    est affaire de cas par cas. cet gard, lhistoire conomique nous enseigneque les cartels de crise peuvent parfois se rvler bnfiques pour lconomie.

    Ainsi, face la rcession de la fin du XIXe sicle en Allemagne, lindustrie

    sidrurgique sest largement cartellise. Selon Janice Rye Kinghorn, cette

    politique a eu pour effet de stabiliser la demande et de rduire les prix 33.

    Mais pour que les cartels de crise puissent tre bnfiques pour lconomie,

    encore faut-il que les gains defficacit soient dmontrs et suffisants. cet

    gard, lapproche europenne est particulirement claire : il nest pas exclu,

    en thorie, quune entente qui organise la rpartition des capacits puisse

    32. Voir par exemple Christian Stoffaes, Mittal et les cartels de lacier , La Tribune, 4 janvier 2013.

    33. Janice Rye Kinghorn, Kartells and Cartel Theory: Evidence from Early 20th Century German Coal, Iron, andSteel Industries , The Cliometric Society, 2010 (http://cliometrics.org/conferences/ASSA/Jan_96/kinghorn.shtml).

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    tre sauve par la Commission europenne au titre de sa contribution

    au progrs conomique 34 , mais il appartient aux entreprises dexpliquer

    la ralit et lampleur des gains defficacit gnrs par le cartel de crise,

    ainsi que leur caractre ncessaire et proportionn. Il existe en effet dautres

    solutions, moins restrictives de concurrence, pour parvenir restructurerun secteur en proie des surcapacits : par exemple, les entreprises peuvent

    procder des fusions pour atteindre la taille critique.

    Si ces conditions ne sont pas cumulativement runies, alors un cartel de crise

    sera simplement considr comme un cartel, cest--dire une restriction de

    concurrence par objet, tombant logiquement sous le coup de la prohibition35.

    Argument 12. Si les cartels de crise peuvent tre un moyen de rationaliserles capacits de production, il appartient aux entreprises de dmontrer que cescartels sont ncessaires et proportionns pour raliser des gains defficacit.

    CONCLUSION

    La prsente note a voulu dmontrer que la politique de concurrence, loindtre un obstacle la comptitivit de nos entreprises, en constitue en ralit

    un levier prcieux, en stimulant linnovation et la productivit. Plus encore,

    en fixant des rgles du jeu qui simposent tous les acteurs, la politique

    de concurrence redonne aux pouvoirs publics un rle central et renouvel

    dans le pilotage dune conomie de march : celui dun arbitre qui encadre

    le jeu concurrentiel, qui prvient et sanctionne les abus de march, afin de

    permettre aux entreprises les plus mritantes de valoriser pleinement leurs

    atouts (prix bas, produits innovants).Certes, la politique de concurrence ne saurait, elle seule, se substituer

    une politique industrielle ambitieuse. linverse, il serait contre-productif,

    au motif que lEurope ne fait pas assez de politique industrielle, de

    dshabiller la politique de concurrence. Les deux politiques sont en ralit

    complmentaires. vrai dire, ce dont souffre lEurope aujourdhui, cest

    moins dune politique de la concurrence trop forte que dune politique

    industrielle trop faible.Nous avons jusquici laiss de ct un argument plus institutionnel

    quconomique mais fondamental : pourquoi lEurope simposerait elle-

    34. Comme le prvoit le paragraphe 3 de larticle 101 du TFUE.

    35. Comme la rappel la Cour de justice dans laffaire du buf irlandais en 2008.

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    mme des rgles de concurrence, alors que ses partenaires extra-europens,

    au premier rang desquels les pays mergents, ne se les appliquent pas eux-

    mmes ? Pourquoi ne pas attendre lavnement dune politique mondiale de

    concurrence avant de nous contraindre nous-mmes ? Cet argument est en

    effet sduisant, mais il se heurte plusieurs critiques.En premier lieu, nous avons montr que la politique de concurrence,

    en stimulant la productivit et en favorisant le renouvellement du tissu

    productif, tait un vecteur de croissance et demplois pour lEurope. En

    mettant en sommeil la politique de concurrence, nous nous priverions nous-

    mmes dun ingrdient de croissance et de comptitivit.

    En deuxime lieu, noublions pas que la politique de concurrence europenne

    porte sur lensemble des entreprises prsentes sur le sol europen, quelle quesoit leur nationalit. La politique de concurrence nous protge donc aussi

    contre les agissements anticoncurrentiels de firmes extra-europennes, pour

    peu que la Commission europenne puisse accder aux preuves de leurs

    pratiques. Par exemple, si des firmes non europennes mettent en place

    un cartel en Europe au dtriment des consommateurs et des entreprises

    europennes, la Commission dispose de la comptence pour les poursuivre

    et les condamner. Tel est bien le cas du cartel des tubes cathodiques, qui a vu

    la Commission europenne condamner en 2012, outre Philips et Technicolor,des entreprises japonaises et corennes. De manire symtrique, les firmes

    europennes, lorsquelles voluent hors dEurope, ne sont pas soumises aux

    rgles europennes de concurrence.

    En dernier lieu, plutt que de sen remettre la naissance improbable dune

    politique de la concurrence mondiale, il parat plus judicieux dinciter nos

    partenaires des pays mergents poursuivre et renforcer leurs efforts en

    matire de politique de concurrence. Nomb