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Colloque International OH 2 « Origines et Histoire de l’Hydrologie », Dijon, 9-11 mai 2001 International Symposium OH 2 ‘Origins and History of Hydrology’, Dijon, May, 9-11, 2001 Entre hydrologie et géologie : le débat italien sur l’origine des sources au début du XVIII e siècle Between hydrology and geology: the Italian debate on the origin of springs in the early XVIII th Century Ezio VACCARI Centro di studio sulla Storia della Tecnica, C.N.R. c/o Università di Genova, via Balbi 6, 16126 Genova (Italia) [email protected] Résumé Au XVIII e siècle, différentes causes orientent l’attention des naturalistes vers l’observation de la structure géologique des montagnes, qui devient le sujet de nombreuses études sur la distinction morphologique et lithologique des couches. Dans ce contexte, en Italie, le débat sur l’origine des sources (en particulier entre 1715 et 1730) était très important pour l’étude détaillée des roches stratifiées. Bernardino Ramazzini (1633-1714), professeur de médecine théorique à l’Université de Padoue, affirmait que la source des puits artésiens d’eau douce, souvent trouvés autour de la ville de Modène, était un réservoir placé au-dessous des Apennins et joint à la mer. La formulation de cette théorie (dans le traité De Fontium Mutinensium Admiranda Scaturigine, 1691, 1713) est fondée sur une description lithologique détaillée des couches observées au-dessous de la plaine de Modène. Aussi, Antonio Vallisneri (1661-1730), professeur de médecine à Padoue, utlisa beaucoup de données d’observations du livre de son collègue Ramazzini, mais offrit une théorie tout à fait différente, basée sur l’origine météorique des sources, confirmée par la structure des couches des montagnes et par le degré de leur perméabilité et leur composition lithologique. Pour illustrer sa théorie (dans la Lezione accademica intorno all’origine delle fontane, 1715, 1726), Vallisneri édita une planche importante tirée d’un croquis que lui avait communiqué le naturaliste suisse Johann Scheuchzer, au sujet des couches observées en Suisse autour du lac Uri. Après la première édition de la Lezione Accademica de Vallisneri, la controverse sur l’origine des sources impliqua plusieurs savants, tels que Niccolò Gualtieri, Gaston Giuseppe Giorgi, Jacopo Riccati, Sebastiano Pauli, Giuseppe Antonio Pujati, Niccolò Ghezzi, Ludovico Barbieri. Leurs travaux supportaient ou rejetaient la théorie de Vallisneri, mais la Lezione Accademica les encourageait, de toute façon, à prêter une attention nouvelle à l’étude géologique des montagnes, des roches et des couches. © Université de Bourgogne 1

Entre hydrologie et géologiehydrologie.org/ACT/OH2/actes/17vaccari.pdf · Antonio Vallisneri, took much information from his colleague Ramazzini, but offered an opposite theory based

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Colloque International OH2 « Origines et Histoire de l’Hydrologie », Dijon, 9-11 mai 2001 International Symposium OH2 ‘Origins and History of Hydrology’, Dijon, May, 9-11, 2001

Entre hydrologie et géologie : le débat italien sur l’origine des sources

au début du XVIIIe siècle

Between hydrology and geology: the Italian debate on the origin of springs

in the early XVIIIth Century

Ezio VACCARI Centro di studio sulla Storia della Tecnica, C.N.R.

c/o Università di Genova, via Balbi 6, 16126 Genova (Italia) [email protected]

Résumé

Au XVIIIe siècle, différentes causes orientent l’attention des naturalistes vers l’observation de la structure géologique des montagnes, qui devient le sujet de nombreuses études sur la distinction morphologique et lithologique des couches. Dans ce contexte, en Italie, le débat sur l’origine des sources (en particulier entre 1715 et 1730) était très important pour l’étude détaillée des roches stratifiées.

Bernardino Ramazzini (1633-1714), professeur de médecine théorique à l’Université de Padoue, affirmait que la source des puits artésiens d’eau douce, souvent trouvés autour de la ville de Modène, était un réservoir placé au-dessous des Apennins et joint à la mer. La formulation de cette théorie (dans le traité De Fontium Mutinensium Admiranda Scaturigine, 1691, 1713) est fondée sur une description lithologique détaillée des couches observées au-dessous de la plaine de Modène.

Aussi, Antonio Vallisneri (1661-1730), professeur de médecine à Padoue, utlisa beaucoup de données d’observations du livre de son collègue Ramazzini, mais offrit une théorie tout à fait différente, basée sur l’origine météorique des sources, confirmée par la structure des couches des montagnes et par le degré de leur perméabilité et leur composition lithologique. Pour illustrer sa théorie (dans la Lezione accademica intorno all’origine delle fontane, 1715, 1726), Vallisneri édita une planche importante tirée d’un croquis que lui avait communiqué le naturaliste suisse Johann Scheuchzer, au sujet des couches observées en Suisse autour du lac Uri.

Après la première édition de la Lezione Accademica de Vallisneri, la controverse sur l’origine des sources impliqua plusieurs savants, tels que Niccolò Gualtieri, Gaston Giuseppe Giorgi, Jacopo Riccati, Sebastiano Pauli, Giuseppe Antonio Pujati, Niccolò Ghezzi, Ludovico Barbieri. Leurs travaux supportaient ou rejetaient la théorie de Vallisneri, mais la Lezione Accademica les encourageait, de toute façon, à prêter une attention nouvelle à l’étude géologique des montagnes, des roches et des couches.

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Abstract

During the XVIIIth century, the trend of observing the geological structure of the mountains was determined in Italy by an association of different causes, which contributed in focusing many studies on the morphological and lithological distinction of the strata. Within this context, the Italian debate on the origin of springs (in particular between 1715 and 1730) was probably the most important for the detailed study of the rock-strata. Bernardino Ramazzini, professor of theoretical medicine at the University of Padua, believed that the source of the artesian wells of fresh-water which were often found around the city of Modena, was a reservoir placed under the Apennines and connected with the sea. The formulation of this theory (De Fontium Mutinensium Admiranda scaturigine, 1691, 1713) led him to an accurate lithological description of the strata observed under the plain of Modena. Another professor of medicine in Padua, Antonio Vallisneri, took much information from his colleague Ramazzini, but offered an opposite theory based on the meteoric origin of the springs, which was confirmed by the structure of the mountain strata and by the degree of permeability in their lithological composition. As an illustration of his theory (Lezione accademica intorno all’origine delle fontane, 1715, 1726) Vallisneri published an important plate which had been taken from an original sketch given to him by the Swiss naturalist Johann Scheuchzer about the strata observed around Lake Uri in Switzerland. The Italian debate on the origin of springs followed the first edition of Vallisneri’s Lezione Accademica and involved scholars such as Niccolò Gualtieri, Gaston Giuseppe Giorgi, Jacopo Riccati, Sebastiano Pauli, Giuseppe Antonio Pujati, Niccolò Ghezzi, Ludovico Barbieri, and others. Their writings supported or rejected the theory of Vallisneri, but the confrontation with the Lezione Accademica also stimulated them to pay a new attention to the geological study of mountains, rocks and strata.

* * *

En 1710, le naturaliste italien Antonio Vallisneri (1661-1730) (Figure 1), professeur de médecine pratique à l’université de Padoue (Rappaport, 1991), présentait, à l’académie de Ricovrati de la même ville, une conférence, la Lezione Accademica intorno all’origine delle fontane (Leçon académique sur l’origine des sources).

Cette conférence qui démontrait l’origine météorique des sources. C’était le

résultat de plusieurs années de voyages scientifiques à travers toute la partie nord de la chaîne de montagnes des Apennins, en Italie : il s’agissait d’une recherche entreprise de 1704 à 1708, principalement consacrée aux observations lithologiques et stratigraphiques, mais toujours attentive à la présence des sources et des eaux chaudes ou thermales (Vallisneri, 1710, 1728 ; Perrucchini, 1722, 1726 ; Di Porcia, 1986 (pp. 80-84) ; Guagnini, 1986 (pp. 45-51, 323-324).

Comme Vallisneri lui-même le précisait au début de sa conférence, la théorie de l’origine météorique des sources n’était pas nouvelle. Il rappelait, par exemple Aristote, qui avait supposé, dans le Meteorologica (lib. 13), que les montagnes, comme de grandes éponges, retenaient l’air dans leurs cavités internes, où il se refroidissait et se transformait en eau, jaillissant enfin de la source. D’ailleurs, Vallisneri faisait référence aussi aux résultats des études

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hydrographiques et pluviométriques de Pierre Perrault (1608-1680), d’Edme Mariotte (1620-1684) et autres scientifiques qui travaillaient à l’Académie des Sciences de Paris (Vallisneri, 1715, pp. 7-8).

Figure 1 - Portrait de Antonio Vallisneri

Pourtant, les nouvelles preuves qu’apportait la Lezione Accademica provenaient des nombreuses données d’observation rassemblées sur le terrain au cours des voyages dans les Apennins, de l’Émilie à la Toscane jusqu’aux Alpes apuanes. Selon Vallisneri, chaque source provenait de la pluie et des réservoirs de neige et de glace placés sur les plus hautes parties des montagnes. Par conséquent, les eaux des sources tombaient toujours du dessus des couches rocheuses et n’allaient jamais vers le haut, par exemple depuis le fond des cavités internes des montagnes (Vallisneri, 1715, p. 9).

Cette hypothèse était suggérée par une des prétendues théories

« marines » des sources, théories qui étaient dominantes avant le XVIIIe siècle (Magnaghi, 1911 ; Biswas, 1972). En général, ces théories, rejetées par Vallisneri, soutenaient qu’un système de circulation des eaux souterraines était joint à la

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mer par un réseau souterrain de canaux situés sous les plaines et les montagnes, d’où, parfois, jaillissaient les eaux douces formées principalement par les différents phénomènes de filtration, d’évaporation et de condensation.

Plus tard, le texte de la Lezione Accademica fut augmenté de quarante-

huit notes détaillées pour la publication de 1715 (Figure 2).

Figure 2 - Texte de Vallisneri, 1715.

Dans une des notes, Vallisneri déclarait que « ces couches et la structure impressionnante des montagnes, trop négligée jusqu’à notre siècle, contiennent le secret de l’origine des sources » (Vallisneri, 1715, p. 29). En fait, avec la description de la variété lithologique et de la complexité morphologique des couches, Vallisneri expliquait le parcours souterrain et superficiel des eaux de pluie ou de la neige fondue dans les montagnes. Ce parcours irrégulier était principalement déterminé par le degré de perméabilité des couches due à leur composition lithologique. Par conséquent, selon Vallisneri, les eaux filtraient au-dessous de la surface, à travers les terres et les sables mous, mais elles coulaient

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nécessairement au-dessus des couches massives de roche — selon leur direction et leur inclinaison — en filtrant par leurs fractures. Pour cela, les montagnes couvertes de terre et de forêts étaient normalement riches en sources, tandis qu’aucune source ne se trouvait dans les montagnes de roche massive, sans cassures ou cavités.

Pendant sa recherche des preuves de l’origine des sources, Vallisneri avait

appris de ses observations sur le terrain que les couches n’étaient pas toutes horizontales, uniformes et régulières. Elles pouvaient être verticales, perpendiculaires, inclinées, cassées, pliées ou courbées de différentes façons. D’autre part, Vallisneri avait également noté que la composition lithologique des couches n’était pas directement associée à un caractère morphologique spécifique comme, par exemple, un pli (Vallisneri, 1715, p. 28). Si une couche calcaire était inclinée d’une certaine façon, cela ne signifiait pas nécessairement que toutes les couches calcaires avaient le même genre d’inclinaison. Par conséquent, l’« anatomie des montagnes » (la définition originale de Vallisneri est notomia de’ monti, Vallisneri, 1715, p. 66) impliquait une étude comparative détaillée d’une variété complexe d’éléments, à savoir la lithologie, la direction, l’orientation et la morphologie des couches.

Significativement, dans un texte intéressant rassemblant des instructions

pour faire des observations naturalistiques, écrit après son premier voyage dans les Apennins en 1704-1705, Vallisneri avait déjà souligné la nécessité d’une étude détaillée et de l’analyse chimique des eaux des sources, mais aussi l’importance d’observer la morphologie et la composition lithologique des couches environnant les sources elles-mêmes (Perrucchini, 1726, pp. 405-406). Ensuite, parmi ses instructions, Vallisneri rappelait qu’il fallait observer aussi en détail « la croûte extérieure de toutes les montagnes, sa couleur et qualité, le caractère de la terre qui la recouvre », et ensuite « la structure, le type ou la nature de chaque montagne, en particulier et en général, si elle comporte l’existence de plusieurs cavernes ou si elle est composée de roches massives ; si elle est entièrement composée de couches de pierre superposées, ou si elle est interrompue par d’autres couches de matières diverses ; si ces couches sont tombées ou croulantes, si elles ont beaucoup de sources ou n’en ont pas ; si elles sont couvertes par des forêts et des terres qui boivent l’eau [= perméables] ou si elles sont impénétrables aux eaux ; si il y a des vallées, des plaines, des creusages, des chutes d’eau, et dans quelle direction elles coulent, et enfin, si la terre les a englouties, ou si elles coulent au-dessus de la surface des couches argileuses, ou de pierre » (Perrucchini, 1726, pp. 405 et 409).

Il n’est pas étonnant, donc, que tous ces concepts aient été repris dans la

Lezione Accademica de 1715, où Vallisneri rappellait encore la nécessité d’étudier la grande variété des couches, c’est-à-dire les différents roches, minéraux et fossiles, aussi bien que leurs couleurs, épaisseur, dureté, directions et formes (Vallisneri, 1715, p. 27).

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Bien que Vallisneri eût souvent observé tous ces aspects lithologiques et

stratigraphiques dans les Apennins, il n’avait donné aucune représentation visuelle de cette chaîne de montagnes. Au contraire, à la fin de la Lezione Accademica, il avait inséré une annexe avec une planche, tirée d’un dessin non publié, présenté à Vallisneri à Padoue par le naturaliste suisse Johann Scheuchzer (1684-1738) (Ellenberger, 1995). Vallisneri avait graphiquement simplifié et légèrement modifié les dessins de Scheuchzer, en ajoutant les parcours des eaux douces au-dessus des couches (Vallisneri, 1715, pp. 74-79) (Figure 3).

Figure 3 - Vallisneri, 1715, planche.

Cette planche montre quelques plis spectaculaires des couches alpestres situées sur les montagnes autour du lac Uri (près de Luzerne, en Suisse), et dans d’autres régions de la Suisse, de l’Autriche et de l’Allemagne. Il s’agissait

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d’endroits où Vallisneri n’était jamais allé, mais qui étaient bien connus par un de ses plus distingués correspondants scientifiques, Luigi Ferdinando Marsili (1658-1730) (Figure 4), fondateur de l’Institut des Sciences de Bologne en 1714 (Longhena, 1930 ; Stoye, 1994).

Figure 4 - Portrait de Luigi Ferdinando Marsili Marsili était un officier militaire de haut-rang de l’armée impériale des

Habsbourg, qui avait bénéficié d’une préparation technique remarquable. Il avait énormément voyagé dans l’Europe centrale et orientale, et avait acquis une connaissance impressionnante sur les mines, particulièrement de Hongrie, entre 1682 et 1702. Pour cette raison, en 1705, Vallisneri commençait une correspondance avec Marsili, dans le but de rassembler de nombreuses informations sur le comportement des eaux filtrées par la roche et les couches des mines hongroises. La question posée par Vallisneri était si Marsili avait observé des sources pérennes dans toutes les mines qu’il avait visitées, et « s’il

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croyait que toutes les sources fussent venues de la pluie, ou de la neige, ou certaines d’entre elles fussent venues de la mer » (Vallisneri, 1991, p. 282). Prudemment, Marsili préférait la dernière hypothèse, qui ne rejetait pas complètement la théorie « marine », même Vallisneri considérait comme très difficiles à démontrer, par cette théorie, les processus de dessalaison de l’eau de mer destinée à former, soit des sources pérennes, soit des fleuves et des lacs (Vallisneri, 1991, pp. 283-284).

Ce n’est pas par hasard que le contact épistolaire entre Marsili et Vallisneri

— et les questions posées sur les mines — avait eu lieu après le premier voyage de Vallisneri dans les Apennins. En effet, pendant ce voyage, et les suivants, Vallisneri avait toujours fait des observations sur la géomorphologie et la géologie superficielles. Mais il avait aussi visité plusieurs mines et carrières. De plus, il est tout à fait significatif que le premier voyage (été 1704) se soit terminé au centre minier d’extraction du fer de Fornovolasco, dans les Alpes apuanes (Perrucchini, 1726, pp. 388-395). Là, et dans des mines de soufre et de craie, précédemment exploitées dans les Apennins près de Reggio Emilia (Perrucchini, 1722, pp. 279-280), Vallisneri tirait des données importantes sur la morphologie des couches et le comportement des eaux filtrantes dans les couches des montagnes.

La mine et la caverne naturelle étaient considérées par Vallisneri comme

indispensables à l’anatomie des montagnes, tout autant qu’elles étaient nécessaires pour résoudre la question de l’origine des sources. Selon Vallisneri, les couches — leur morphologie et leur composition lithologique — pouvaient fournir une réponse définitive à cette question complexe, et confirmer la théorie de l’origine météorique des sources, mais uniquement si l’on observait exactement les couches depuis le fond des mines jusqu’au sommet des montagnes, c’est-à-dire tous les lieux comportant des affleurements de roches.

Vallisneri attribuait une importance fondamentale aux observations faites

dans les mines, où l’on voyait eau filtrer, sourtout au travers des cassures des couches englobant des veines minérales, et descendre en direction des couches verticales (Perrucchini, 1726, pp. 394-395). Selon Vallisneri, les mines offraient beaucoup d’occasions précieuses de recueillir des informations spécifiques sur le comportement des eaux filtrantes à l’intérieur de la Terre. Ce phénomène naturel n’était certainement pas un phénomène exclusif des mines, et d’ailleurs les cavernes naturelles profondes n’étaient pas nombreuses en Italie. Il était clair que l’origine météorique des sources ne pouvait pas être uniquement prouvée par des observations conduites seulement sur la surface.

Dans sa Lezione Accademica, Vallisneri avait utilisé aussi un texte publié à

la fin du XVIIe siècle (Ramazzini, 1691, réédité en 1713), par un de ses collègues plus âgé de l’Université de Padoue, le professeur de médecine théorique Bernardino Ramazzini (1633-1714) (Figure 5).

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Figure 5 - Texte de B. Ramazzini, 1691, avec planche Comme Vallisneri, Ramazzini adoptait la conception de l’anatomie de la

Terre et établissait sa théorie sur l’origine des sources après avoir observé les excavations des puits artésiens d’eau douce près de la ville de Modène, dans la plaine du Pô. Selon Ramazzini, la source des puits artésiens (et des sources en général) était un réservoir situé au-dessous des Apennins, qui était en correspondance avec la mer par un canal qui parcourait le sous-sol de la plaine du Pô (Figure 6).

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Figure 6 - Explication du fonctionnement des puits artésiens, illustrée par B. Ramazzini, 1691

Ramazzini, malgré son désaccord avec la théorie météorique de Vallisneri,

partageait l’intérêt de son collègue pour les observations sur la composition et la morphologie souterraine des couches de la Terre. Par conséquent, l’occasion d’observer directement l’excavation des puits artésiens avait permis à Ramazzini de rassembler des données essentielles pour élaborer un ordre stratigraphique simple de la plaine du Pô, basé sur l’alternance des couches d’argile (strata cretacea) et des couches de terre (strata palustria = boue durcie).

Après les travaux de Ramazzini et Vallisneri, l’analyse des couches devint un

élément central du débat italien sur l’origine des sources. En 1725, le naturaliste de Florence, Niccolò Gualtieri (1688-1744), publiait ses réflexions sur l’origine des sources (Riflessioni sopra l’Origine delle Fontane), qui critiquait assez durement la théorie météorique de Vallisneri et affirmait que les précipitations atmosphériques étaient insuffisantes pour alimenter les sources pérennes. Selon Gualtieri (1725, p. 17), qui se déclarait défenseur de Ramazzini et de la théorie cartésienne, l’eau marine se dessalait en filtrant à travers la terre argileuse ou bitumineuse du fond de la mer et arrivait aux sources par des canaux souterrains.

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L’importance de la forme et du contenu lithologique des couches n’était pas refusée par Gualtieri, mais, au contraire, utilisée comme une preuve fondamentale de sa théorie. Si les grandes courbures des couches pouvaient canaliser les eaux météoriques vers le bas, les mêmes courbures pouvaient amener les eaux de mer vers le haut (Gualtieri, 1725, pp. 123-125, 166-168).

Voilà donc que Vallisneri était attaqué directement sur son terrain, mais il

ne semblait pas intéressé à répondre. La réaction contre Gualtieri fut pourtant dirigée par les élèves de Vallisneri, tels que Gaston Giuseppe Giorgi et Giuseppe Antonio Pujati (1701-1760). Giorgi organisa la seconde édition de la Lezione Accademica de Vallisneri (1726) (Figure 7).

Figure 7 - Seconde édition de la Lezione Accademica de A. Vallisneri (1726) Elle fut enrichie de douze nouveaux mémoires et de lettres d’auteurs

comme Sebastiano Pauli (1684-1780), Jacopo Riccati (1676-1754), et d’autres,

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qui soutenaient la théorie météorique des sources, associée à l’étude de la structure des montagnes et des roches stratifiées. De son côté, Pujati (1726) confirmait l’importance de faire des observations dans les mines afin d’obtenir une connaissance détaillée de la « structure intérieure des montagnes » et des parcours souterraines des eaux.

Le débat sur l’origine des sources continua après la mort de Vallisneri en 1730, au moins jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, mais toujours sans victoire décisive. Par exemple, le livre du savant jésuite Niccolò Ghezzi (1685-1766), Dell’origine delle fontane e dell’addolcimento dell’acqua marina (Sur l’origine des sources et l’adoucissement de l’eau marine, 1742), reprenait les argumentations de Gualtieri et soutenait que l’eau de mer pouvait filtrer facilement à travers la plupart des couches, et sourtout à travers leurs nombreuses cassures (Figure 8). La même position se trouve dans le traité sur les sources et les fleuves (1750) de Ludovico Barbieri (1719-1791).

Figure 8 - Ouvrage du Jésuite Niccolò Ghezzi, 1742.

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En conclusion, on peut dire que, pendant la première moitié du XVIIIe siècle

en Italie, la tendance à observer la structure des montagnes fut déterminée par la combination de différentes causes, qui contribuèrent à concentrer beaucoup d’études sur la distinction morphologique et lithologique des couches, c’est-à-dire, selon les formes et la composition des différentes roches. Cependant, dans ce contexte, la discussion sur l’origine des sources donna une contribution importante au développement de l’étude détaillée des couches et, plus généralement, des recherches géologiques de campagne. Bibliographie Barbieri, L. (1750), Trattato della origine delle sorgenti e de’ fiumi. Stamperia Lavezari, Vicenza. Biswas, A. K. (1972), History of Hydrology. North Holland,Amsterdam-London. Di Porcia, G.A. (1986), Notizie della vita, e degli studi del Kavalier Antonio Vallisneri [1733]. A cura di D. Generali, Pàtron, Bologna. Ellenberger, F. (1995), Johann Scheuchzer, pionnier de la tectonique alpine. Mémoires de la Societé Géologique de France, nouvelle série, 168, pp. 39-53. Ghezzi, N. (1742), Dell’origine delle fontane e dell’addolcimento dell’acqua marina. S. Occhi, Venezia. Guagnini, E. (1986), La regione e l’Europa. Viaggi e viaggiatori emiliani e romagnoli nel Settecento. Il Mulino, Bologna. Gualtieri, N. (1725), Riflessioni sopra l’Origine delle Fontane. L. Venturini, Lucca. Longhena, M. (1930), Il conte Luigi Ferdinando Marsili. Un uomo d’armi e di scienza. Alpes, Milano. Magnaghi, A. (1911), Il problema dell’origine delle sorgenti da Cartesio (1639) a Vallisnieri (1725). Tip. Licinio Cappelli, Rocca San Casciano. Perrucchini, G.B. (1722), Estratto d’alcune Notizie intorno alla Provincia di Garfagnana, cavate dal primo Viaggio Montano del sig. Antonio Vallisnieri, Pubblico Professore Primario dell’Università di Padova., Supplementi al Giornale de’ Letterati d’Italia 2, pp. 270-312. Perrucchini, G.B. (1726), Continuazione dell’Estratto d’alcune Notizie intorno alla Garfagnana, cavate dal primo Viaggio Montano del Signor Antonio Vallisnieri. Supplementi al Giornale de’ Letterati d’Italia 3, pp. 376-428. Pujati, G.A. (1726), Dissertazioni Fisiche ed un’Ecloga intorno l’origine delle fontane con le necessarie Annotazioni. G.G. Hertz, Venezia. Ramazzini, B. (1691), De fontium Mutinensium admiranda scaturigine. Tractatus Physico-Hydrostaticus. Typis Haeredum Suliani Impressorum Ducalium, Mutinae. Réédité en 1713 à Padoue, J.B. Conzattum. Rappaport, R. (1991), Italy and Europe: the case of Antonio Vallisneri (1661-1730). History of Science 19, pp. 73-98. Stoye, J. (1994), Marsigli’s Europe 1680-1730. The life and times of Luigi Ferdinando Marsigli, soldier and virtuoso. Yale University Press, New Haven-London.

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Vallisneri, A. (1710), Prima Raccolta d’Osservationi e d’Esperienze [...] cavata dalla Galeria di Minerva. G. Albrizzi, Venezia. Vallisneri, A. (1715), Lezione Accademica intorno all’origine delle Fontane, colle Annotazioni per chiarezza maggiore della medesima. G.G. Ertz, Venezia. Vallisneri, A. (1726), Lezione accademica intorno all’origine delle fontane, con le annotazioni per chiarezza maggiore della medesima, [...] Seconda Edizione con la Giunta di varie Lettere Dissertatorie, un’altra Lezione Accademica, Osservazioni, Ragioni, ed Esperienze nuove, dimostranti la verità del proposto Sistema, con la Risposta alle Obbiezioni del dottore N.N. compilata da G. Giorgi. A. Bortoli, Venezia. Vallisneri, A. (1728), Raccolta di varie Osservazioni spettanti all’Istoria Medica, e Naturale, [...] Scritte agli Eruditi, o dagli Eruditi a Lui ; con varie Annotazioni, e Giunte, compilata da G.J. Danielli. D. Lovisa, Venezia. Vallisneri, A. (1991), Epistolario, vol. I (1679-1710), a cura di D. Generali. Franco Angeli, Milano.