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11 Entretien Littérature et Communication Alain PAYEUR Questions d’Alain Payeur à Jan Baetens, Yves Jeanneret et Thierry Lancien. Comment construire l’objet « Littérature » ? Telle nous paraît être l’une des pre- mières questions à poser dès lors que l’on souhaite valider un point de vue info- communicationnel sur cet objet. De manière générale, sa construction renvoie à deux postures. La première consiste à aborder la littérature comme une sorte d’entité autonome, détachée des réalités, y compris parfois même de manière si radicale que même des composantes qui relèveraient de la subjectivité de l’auteur, sont tenues à distance; la seconde que l’on peut lui opposer, invite à la rattacher à l’ensemble des conditions économiques et sociales de sa production. Entre la littérature arrimée aux problématiques de la langue et la littérature comme champ spécifique des activités expressives mêlées à d’autres pratiques symboliques, et avec lesquelles elle forme finalement une totalité, quels choix, quels déplace- ments, quels aspects particuliers, la réflexion info-communicationnelle permet- elle de prendre en compte ? Dans un numéro consacré à la problématique «Recherche & Communication» (MEI n° 14 , 2001), Thierry Lancien avait indiqué des voies pour interroger les rapports complexes entre Littérature et Communication. L’idée n’est pas de faire le point dix ans plus tard mais de revenir sur certains axes distingués alors. L’objectif est plutôt de présenter ce qui émerge du côté de la recherche. En première ligne, Thierry Lancien avait placé l’axe des significations. A partir des travaux conduits aujourd’hui, est-il possible, d’un côté, de mesurer l’impact des processus communicationnels sur et dans la production et la diffusion (du) «littéraire» ? Mais aussi, d’un autre côté, est-il possible de ré-intégrer les ques- tionnements portant sur les contenus, les savoirs, l’information tout simplement peut-être, dans ce qui est communicationnel ? De manière plus large, quelles perspectives relatives à la construction du sens sont explorées dans notre champ disciplinaire ? Venaient ensuite les questions liées à la relation avec la technique, une relation souvent difficile, voire conflictuelle. Si certains thèmes se rattachaient déjà à cette problématique comme « art et hypertextes », le constat était qu’ils restaient peu traités. Qu’en est-il ? L’axe du rapport à la technique ne devient-il pas prééminent dès lors que la littérature devient numérique et qu’elle se trouve mêlée à d’autres activités artistiques ou communicationnelles, activités souvent placées sous le

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EntretienLittérature et Communication

Alain PAYEUR

Questions d’Alain Payeur à Jan Baetens, Yves Jeanneret et Thierry Lancien.

Comment construire l’objet « Littérature » ? Telle nous paraît être l’une des pre-mières questions à poser dès lors que l’on souhaite valider un point de vue info-communicationnel sur cet objet. De manière générale, sa construction renvoie à deux postures. La première consiste à aborder la littérature comme une sorte d’entité autonome, détachée des réalités, y compris parfois même de manière si radicale que même des composantes qui relèveraient de la subjectivité de l’auteur, sont tenues à distance; la seconde que l’on peut lui opposer, invite à la rattacher à l’ensemble des conditions économiques et sociales de sa production. Entre la littérature arrimée aux problématiques de la langue et la littérature comme champ spécifique des activités expressives mêlées à d’autres pratiques symboliques, et avec lesquelles elle forme finalement une totalité, quels choix, quels déplace-ments, quels aspects particuliers, la réf lexion info-communicationnelle permet-elle de prendre en compte ?Dans un numéro consacré à la problématique «Recherche & Communication» (MEI n° 14, 2001), Thierry Lancien avait indiqué des voies pour interroger les rapports complexes entre Littérature et Communication. L’idée n’est pas de faire le point dix ans plus tard mais de revenir sur certains axes distingués alors. L’objectif est plutôt de présenter ce qui émerge du côté de la recherche. En première ligne, Thierry Lancien avait placé l’axe des significations. A partir des travaux conduits aujourd’hui, est-il possible, d’un côté, de mesurer l’impact des processus communicationnels sur et dans la production et la diffusion (du) «littéraire» ? Mais aussi, d’un autre côté, est-il possible de ré-intégrer les ques-tionnements portant sur les contenus, les savoirs, l’information tout simplement peut-être, dans ce qui est communicationnel ? De manière plus large, quelles perspectives relatives à la construction du sens sont explorées dans notre champ disciplinaire ? Venaient ensuite les questions liées à la relation avec la technique, une relation souvent difficile, voire conflictuelle. Si certains thèmes se rattachaient déjà à cette problématique comme « art et hypertextes », le constat était qu’ils restaient peu traités. Qu’en est-il ? L’axe du rapport à la technique ne devient-il pas prééminent dès lors que la littérature devient numérique et qu’elle se trouve mêlée à d’autres activités artistiques ou communicationnelles, activités souvent placées sous le

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registre, somme toute f lou, de l’interactivité ? A quels développements de la réf lexion sur la littérature aux prises avec la question renouvelée de la technique, du fait de l’essor de nouveaux médias ou de nouvelles médialités, assiste-t-on ? Quels objets communicationnels « littéraires » retiennent l’attention ? Comment tisser les liens entre formes de médiation et médiatisation ? Voilà quelques-unes des interrogations qui sous-tendent l’entretien que nous donnons à lire et qui a réuni Jan Baetens, Yves Jeanneret, et Thierry Lancien.

Qu’ils soient très vivement remerciés, mais, avant de commencer, rappelons en quelques mots, nécessairement réducteurs, que :- Jan Baetens est Professeur à l’Université de Leuven (Louvain). Ses travaux en Sé-miotique portent principalement sur les rapports entre la narration et les images, celles des arts visuels comme le cinéma mais aussi la photographie ou encore celles réalisées dans certains domaines de la paralittérature (bande dessinée, roman photo…).- Yves Jeanneret est Professeur au CELSA, Paris-Sorbonne. Il y poursuit ses re-cherches sur les questions épistémologiques posées par la conception interdisci-plinaire revendiquée en Sciences de l’information et de la communication lorsque celles-ci visent à comprendre la dynamique des pratiques ordinaires signifiantes, autrement dit : la trivialité.- Quant à Thierry Lancien, également Professeur en Sciences de l’information et de la communication, à l’Université de Bordeaux 3, on retiendra de ses nom-breux travaux, ceux qui, à partir d’une approche en Didactique, la didactique des langues principalement, interrogent la multimodalisation des écritures et l’agencement des textes soumis à l’éparpillement de l’hypertextualité et à la mul-tiréférentialité.

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Alain Payeur. –Pour commencer de manière générale, comment pensez-vous que l’on puisse aborder l’objet « Littérature » dans le champ des Sciences de l’information et de la communication ? Faut-il s’en emparer ou le laisser flotter « à la lisière » ?

Jan Beatens. -Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de vous dire d’abord à quel point elles me font plaisir. Tout en étant un littéraire ‘traditionnel’ –grand lecteur, formation de lettres modernes, enseignant tenté par l’écriture : y a-t-il trajectoire plus classique ?–, j’ai toujours été gêné par l’écart entre littérature et société, plus exactement entre littérature comme production textuelle et littérature comme pratique sociale et citoyenne. Il me semble que la littérature doit non seulement parler du réel, sans pour autant le copier servilement (chose du reste impossible), mais aussi servir

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à quelque chose (et point n’est pas besoin d’écrire des textes à connotation réaliste pour remplir cette fonction) –même et surtout lorsqu’il s’agit de textes qui cherchent à innover (qui sont souvent ceux qui me plaisent le plus). Or, quel que soit le but qu’on donne à la littérature, le fait de couper le texte de son lecteur est un contresens absolu, si bien le nouveau rapprochement entre littérature et sciences de l’information et de la communication est une initiative tout à fait heureuse, dont les bénéfices devraient être grandes comme l’une que comme pour les autres. Qu’est-ce qui rend la littérature un objet si intéressant pour les chercheurs en communication ? Abstraction faite de l’intérêt intrinsèque du texte littéraire lui-même, dont il n’est pas facile de juger sans mobiliser de gros arguments idéologiques, je voudrais mentionner ici plus modestement deux aspects: 1) les réseaux communicatifs dans lesquels s’insère le texte littéraire, 2) les théories et les méthodologies qui se proposent d’étudier les liens entre les structures de cet objet et les particularités de ses modes de communication. Je m’explique.Du point de vue communicatif, la littérature devrait intéresser d’abord en en raison de son statut hétérogène et polymorphe. À première vue, le texte est une structure langagière qui se retire du circuit communicatif : en principe, il s’écrit en l’absence de son lecteur, tout comme, non moins en principe, il se lit aussi en l’absence de son auteur. Cette communication « décalée » en fait tout le prix, car elle permet de s’interroger sur la communication là où, apparemment, elle n’a pas lieu. Toutefois, ce principe une fois posé, on se rend vite compte que la « non-communication » dont la littérature représente un cas assez typique, connaît de nombreuses exceptions, qui aident à repenser le concept même de communication. D’un côté, en effet, il est faux de dire que la communication littéraire suppose la disjonction matérielle de l’auteur et du lecteur. Les traditions orales, le théâtre ou les lectures publiques, par exemple, proposent des formes d’échange et de dialogue qui excèdent la situation traditionnelle de la lecture silencieuse d’un texte à auteur absent. Une des particularités les plus remarquables du texte littéraire est de pouvoir se prêter presque sans fin à des recontextualisations communicatives : un texte écrit peut également à être lu à haute voix ou représenté sur scène, se traduire ou s’adapter, être redit ou copié, parfois à très grande distance du premier moment d’énonciation, lui-même du reste difficile à situer : le texte commence-t-il au moment du brouillon, au moment du point final mis par son auteur, au moment de sa publication, au moment de sa première lecture, au moment de sa relecture ? En fait, la structure communicative comprend tous ses aspects à la fois et la complexité de l’objet littéraire lui vient autant de cette étourdissante multiplicité communicative que de la richesse présumée du texte même. Le sens d’une œuvre est la somme de ses lectures, et nul autre médium ne le montre avec autant de clarté que le texte littéraire.

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De l’autre, et de façon plus intéressante encore, l’exercice de la parole littéraire n’a nullement besoin de la présence physique de l’interlocuteur pour installer la communication au cœur même de l’écriture. Comme le dit quelque part Borges, très proche ici d’un Valéry : « Écrire est peut-être un peu le contraire de penser. Quand on écrit, on ne pense pas totalement parce qu’on pense à l’effet qu’on produira sur d’autres » (on me pardonnera, j’espère, de ne plus retrouver la source exacte de cette citation : cela m’arrive souvent avec Borges, qui après tout nous invitait déjà à relire toutes les littératures du monde comme si elles avaient été écrites par… le même auteur). Le texte n’est en d’autres termes jamais qu’un texte, un objet, une chose, il est pris dès le début dans une dynamique communicationnelle qui devrait redonner tout son poids à une discipline de nos jours un peu laissée de côté : la rhétorique. Or, ici encore l’objet littéraire jouit d’un avantage certain : peu d’autres systèmes de signes ont eu autant partie liée avec la rhétorique que la littérature, et pour cette raison les sciences de l’information auraient tort de s’en détourner ou de la reléguer aux marges de ses centres d’intérêt.À cela s’ajoute, et c’est le deuxième temps de ma réponse, que les études littéraires ont également l’avantage d’avoir un long et riche passé et que la complexité communicationnelle qui définit le plus simple des textes, est susceptible d’être éclairée par un grand nombre de théories et de méthodologies dont les tensions, voire les contradictions font tout le prix. La littérature n’est pas un objet qu’il est possible d’aborder d’un point de vue seulement, mais s’ouvre littéralement à une multiplicité foisonnante de lectures que je crois sans égale dans toutes les autres sciences humaines. Les études littéraires, dont l’hétérogénéité pourrait donner le tournis à des non-spécialistes, sont pour moi le meilleur rempart contre le danger tout sauf hypothétique d’une monoculture théorique ou méthodologique.

Thierry Lancien. – Pour ma part, je parlerais plutôt de sciences de la communication comme le faisait d’ailleurs Pascal Lardellier dans une démarche proche de la vôtre, en demandant, il y a quelques années, dans le numéro 15 de MEI (Anthropologie de la communication, MEI, L’Harmattan, 2002), à des chercheurs de dire en quoi l’on pouvait rapprocher l’anthropologie et la communication. Les sciences de l’information renvoient en effet à un tout autre champ d’étude distinct de la communication et qui me semble pour le coup fort éloigné de la littérature.Cela étant précisé, je pense qu’il faut tout d’abord se méfier des frontières disciplinaires érigées par quelques gardiens du temple. Les disciplines définissent quelquefois jalousement leurs objets en considérant qu’il est sacrilège que d’autres disciplines s‘y intéressent. C’est ignorer, d’abord que les objets eux mêmes bougent, se déplacent, s’hybrident et qu’ensuite ce qui est important c’est le type de questionnement qu’une autre discipline peut

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opérer sur un objet qui ne semble pas à priori la concerner directement. En ce qui concerne l’objet littérature, il convient d’abord de noter que depuis longtemps déjà d’autres disciplines que les approches littéraires, l’inscrivent dans leurs approches. On pense bien sûr à la philosophie (Sartre et Flaubert) à la sociologie (voir par exemple le dernier ouvrage de Bernard Lahire sur Kafka), aux orientations psychanalytiques. On pourrait bien sûr multiplier les exemples. En ce qui concerne la communication qui est elle-même une interdiscipline, elle est sans doute prédisposée à questionner des objets très divers. D’autre part, pour ce qui est de l’objet littérature, le fait qu’il prenne aujourd’hui des formes plurielles justifie des approches et des questionnements nouveaux que la communication peut tout à fait prendre en charge. On pense d’abord tout naturellement aux liens qui se tissent aujourd’hui entre le texte littéraire et ses nouveaux supports (numériques et électroniques) ; nous y reviendrons. On pense aussi à toutes ces situations où le texte littéraire entre en relation avec d’autres médias (le mot étant ici à entendre dans un sens élargi) comme la bande dessinée, le cinéma, l’exposition, l’installation. Les médias au sens classique de médias de grande diffusion sont aussi concernés puisque la littérature entretient divers liens avec la presse, la radio et la télévision. Dans ce domaine, il y a des champs qui sont déjà largement abordés par des travaux en communication comme par exemple celui des émissions littéraires à la télévision, d’autres beaucoup moins. A la télévision par exemple, la littérature est présente sous diverses formes : écrivains invités dans les journaux télévisés, références à la des auteurs dans des commentaires, des voix commentaires de reportages. La citation littéraire comme légitimation culturelle du discours journalistique serait par exemple intéressante à étudier.Le rapport de la presse et de la littérature passe bien sûr par les journaux littéraires, les pages littéraires des grands quotidiens. Il s’agit alors de rapports de contenus. Mais il serait intéressant aussi de questionner des rapports formels d’écriture, en se demandant comment les genres journalistiques d’aujourd’hui empruntent à certaines formes littéraires passées. De manière plus générale, on peut estimer que la communication est particulièrement bien armée pour envisager les objets littéraires en termes de réception, de relation que les publics entretiennent avec eux. L’intérêt des chercheurs en communication pour les « cultural studies » est à cet égard intéressant.Il me semble aussi que les approches interculturelles très présentes en communication, notamment dans l’analyse de la réception des médias, pourraient apporter de nouveaux éclairages par rapport à la circulation des œuvres littéraires à l’heure d’une certaine mondialisation.

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Yves Jeanneret.- J’ai tendance à raisonner en termes de relation entre champs théoriques, disciplines et objets historiques et sociaux. L’interdépendance est de fait. Il y a une histoire des croyances quant à la spécificité du littéraire et cette histoire est communicationnelle. Il faut, pour comprendre les relations entre littérature et sciences de la communication, comprendre qu’à l’époque où celles-ci ont été créées les études littéraires étaient en pleine reconsidération de l’objet. C’est pourquoi les interrogations sur la littérature font partie des questions autour desquelles les sciences de l’information et de la communication se sont construites. Chacun a de cette histoire une perception liée à son expérience. À mes yeux, il a un lien historique entre l’analyse sociale des pratiques lectoriales (Robert Escarpit), l’approche du littéraire comme un construit (Roger Fayolle), l’étude de la médiatisation des œuvres (Jean Peytard) et l’élaboration, au sein des études littéraires, d’une théorie de l’écriture fondée sur l’image (Anne-Marie Christin). Tous ces chercheurs ont dirigé les travaux de collègues qui ont participé à la construction des SIC. Roger Fayolle, qui a dirigé ma thèse, approuvait la proposition de Jakobson : l’objet de la recherche n’est pas la littérature mais la littérarité  ; mais il contestait la définition ontologique de la littérarité comme attachée à une forme particulière d’écriture. Au fil de l’histoire, la frontière entre ce qui est littéraire et ce qui ne l’est pas n’a cessé de se déplacer. Anne-Marie Christin, que j’ai rencontrée grâce à Emmanuël Souchier, avait au sein d’une UER (Unité d’Enseignement et de Recherche) révolutionnaire intitulée « Sciences des textes et des documents » à Jussieu, enseigné un regard que ce dernier a su poser très tôt sur ce qu’on nommait au début des années quatre-vingt «  l’écriture informatique ». C’est pourquoi aujourd’hui les chercheurs qui analysent la littérature comme un fait de communication, du côté des études littéraires, comme Alain Vaillant, Jacques Migozzi ou Marie-Ève Thérenty et ceux qui étudient les médiations et les médias avec une méthodologie inspirée des études littéraires, comme Marc Lits, Emmanuël Souchier, Jean-François Tétu ou Adeline Wrona, se rencontrent théoriquement de très près. L’importance de cette convergence se mesure aussi, inversement, dans les limites des théories de la communication qui ne font aucune place au texte.

AP.- Afin de suivre ce déplacement de frontières, quelles pistes pourriez-vous proposer à de jeunes chercheurs ?

Yves Jeanneret.- Je répondrai si vous le voulez bien à cette question, non à titre personnel, mais en synthétisant les échanges qui ont lieu dans le cadre du groupe « littérature et communication » qui réunit plusieurs des chercheurs que je viens d’évoquer. Trois plans majeurs d’analyse nécessitent un dialogue entre analyse littéraire et sciences de l’information-communication – tout en incluant d’autres communautés, comme l’histoire du livre et du texte ou la

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sociologie des pratiques culturelles. Le plus évident est le champ considérable des médiations triviales du littéraire  : le rôle que les objets et les valeurs littéraires jouent dans des espaces sociaux très divers, critique littéraire sur internet, écriture de la légende dans les guides touristiques, présence de la poésie dans le métro, figures de la lecture à la télévision, pour prendre quelques exemples de recherches menées récemment par des chercheurs. Mais au-delà de cette rencontre sur certains objets, de nombreux problèmes théoriques essentiels ont été travaillés séparément de façon voisine dans les études littéraires et en SIC  : média, écriture, textualité, genre, lecture, récit, etc. Les genres télévisuels, le contrat de lecture, le récit médiatique, l’énonciation éditoriale comptent au nombre des concepts produits par la relecture des travaux littéraires que ceux-ci ne peuvent plus ignorer. Il est essentiel de discuter théoriquement ces travaux pour avancer dans la théorie des phénomènes communicationnels. Enfin, si une certaine tradition littéraire a pu un temps idéaliser le rapport entre le texte, le scripteur et le lecteur – une approche que des travaux de la discipline, comme le livre de Julia Bonaccorsi Le devoir de lecture ont contribué à critiquer – la matérialité des objets, des circuits d’échange, des phénomènes d’énonciation éditoriale nourrit aujourd’hui la compréhension de l’écriture, de la circulation des textes et du rôle joué par l’interprétation sociale dans la culture. Pour moi, c’est à partir de ces trois démarches de fond que peuvent s’envisager les aspects plus concrets ou conjoncturels (mais bien entendu importants) comme les supports numériques, la sérialisation, les styles médiatiques, l’industrialisation du texte.

Thierry Lancien.- En ce qui concerne le rapport entre littérature et médias que je viens d’évoquer, je crois qu’il y a un domaine riche à explorer par les chercheurs et qui est celui des liens généalogiques, formels et de contenus entre certains genres romanesques et de nouvelles manifestations médiatiques : presse people, télé réalité. Dans L’Esprit du temps, Edgar Morin analysait déjà très finement l’héritage dans la culture médiatique de masse des romans bourgeois et populaires. A propos du fait divers, il parlait du « débordement romanesque » ou encore du « talent narratif » de ce genre médiatique qui est donc à mettre directement en relation avec certaines manifestations littéraires. La presse people à laquelle nous avions consacré un numéro de la revue Médiamorphoses (Médias people : du populaire au populisme, Médiamorphoses n°8, septembre 2003), continue à parfaitement actualiser certaines des thèses de Morin comme la problématique des « Olympiens ». Ce qui est d’ailleurs particulièrement intéressant dans les analyses de Morin qui portent sur les années 60 et 70, c’est qu’il se situe déjà dans une perspective qu’on appellerait aujourd’hui intermédiatique. Par exemple, pour lui, les processus de « projection-identification » sont transversaux aux

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films, aux romans, aux nouvelles et aux formes romancées de l’actualité. Ce sont donc à mon avis ces liens auxquels il faut être attentif et qu’il faudrait problématiser pour en faire de véritables objets de recherche. La communication politique s’inscrit elle aussi dans un nouvel espace intermédiatique. Pendant sa campagne, en 2007, Nicolas Sarkozy a fait appel à différentes mises en scène médiatiques et a même placé celle-ci sous le signe de la littérature, puisqu’un auteur, Yasmina Reza, a été chargée de raconter l’épopée politique du candidat (L’aube, le soir ou la nuit, Flammarion 2007). A côté des hybridations dont on parle beaucoup aujourd’hui, il faudrait donc aussi mettre en avant dans les recherches cette question des transversalités.Il est d’ailleurs une autre question qui me semble très intéressante et qui est elle aussi transversale, c’est celle des genres  : genres littéraires, cinématographiques, télévisuels. Comme l’a montré Umberto Eco, les genres sont étroitement liés à des pactes et cette orientation a par exemple été reprise par Francesco Cassetti et Roger Odin pour la télévision, ou par Patrick Charaudeau qui parle plutôt de contrat médiatique tandis que François Jost parle de promesses de genre. Dans leur article « De la paléo à la néo-télévision  », Francesco Cassetti et Roger Odin défendaient déjà l’idée que la privatisation de la télévision (au sens économique du terme) s’était accompagnée d’un mélange des genres télévisuels et donc aussi d’un mélange des pactes. Il me semble que là encore, il ne faudrait pas isoler l’objet télévision mais plutôt faire l’hypothèse que ce mélange des genres est aujourd’hui transversal à différentes formes d’expression. En littérature, on voit apparaître l’autofiction, à la télévision la télé réalité. Ce mouvement est trop important pour qu’il ne soit pas la manifestation d’un nouveau rapport à la représentation qu’elle soit littéraire, télévisuelle ou cinématographique. En ce qui concerne l’autofiction ou la télé réalité, il faut par exemple chercher les origines sociétales, idéologiques de ce mouvement qui est sûrement à mettre en relation avec la montée du privé dans nos sociétés. A cet égard, je pense évidemment aux travaux de Gilles Lipovetski (L’ère du vide, 1983, L’empire de l’éphémère, 1987) mais aussi à ceux de Mona Cholet qui a écrit un livre très intéressant intitulé : La tyrannie de la réalité (Calmann-Levy, 2004).Toujours en ce qui concerne la littérature, je pense que les études en communication sont bien armées pour étudier un phénomène de dissémination des textes en général et donc du même coup des textes littéraires. On peut à mon avis se demander si la multiplicité des supports (livre, revues, sites internet, livre numérique, téléphone mobile) n’est pas en train de transformer le texte littéraire en une espèce de média circulant qui perdrait du même coup certaines de ses caractéristiques. Pour conforter cette thèse, on pourrait aussi remarquer qu’à travers cette nouvelle circulation, les textes ont tendance à s’hybrider, c’est-à-dire à emprunter des caractéristiques d’autres textes. Ce phénomène peut d’ailleurs être présent dès la création

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comme le montre le dernier livre de Houellebecq qui emprunte des passages à Wikipedia. J’ajoute que nous sommes de plus en plus, à cause d’Internet et du numérique en général, dans un régime de l’extrait qui vient accentuer une certaine porosité de la littérature.

Jan Baetens. – A mon sens, les chercheurs en InfoCom devraient se pencher sur au moins trois approches ou trois dimensions des études littéraires, qui chacune peuvent apporter quelque chose à une meilleure compréhension du fait communicatif.Un premier ensemble, non seulement vaste mais aussi un rien éclaté, concerne l’étude des phénomènes de lecture. À l’intérieur de ce champ, aujourd’hui très important, on pourrait distinguer encore entre plusieurs approches  : empiristes (où l’on essaie de décrire ce qui est réellement lu, observé, retenu, à court terme mais aussi à moyen et à long terme), cognitives (où l’on s’interroge sur les mécanismes mentaux qui nous font lire de telle façon plutôt que de telle autre) ou rhétoriques (où l’on tente de comprendre comment les structures d’un texte programment un certain type de lecture). Au-delà des convergences et divergences qui existent entre ces trois approches, dont les travaux de chercheurs comme Michel Charles ou Vincent Jouve permettent de bien prendre la mesure, force est d’admettre que la lecture d’un texte est un sujet vertigineux, d’abord parce qu’il s’avère difficilement saisissable en lui-même, ensuite parce qu’il est malaisé, pour ne pas dire impossible de dissocier la lecture comme activité « technique » de bien d’autres aspects qui semblent être « impurs » (des questions de goût ou des questions idéologiques, par exemple) mais qui n’en sont pas moins au cœur même de toute activité lectorale. Ce que les études littéraires pourraient apporter aux sciences de l’information, c’est une grande prudence en la matière –et peut-être une certaine méfiance à l’égard de toute interprétation par trop quantitative des phénomènes de réception et d’audience.Une seconde discipline non moins intéressante est celle, en apparence un rien poussiéreuse, de l’histoire du livre, bien représentée en France par des chercheurs comme Roger Chartier. Pour les sciences de l’information et de la communication, l’histoire du livre et, plus généralement, toute étude du texte littéraire dans sa dimension matériologique, devraient apprendre au moins trois choses. Premièrement, l’impossibilité de séparer les faits d’écriture et de lecture (ou si l’on préfère de production et de réception) des supports de communication. Aujourd’hui on accepte facilement l’idée que le même texte ne se lit pas de la même façon selon le type de support choisi ou imposé, mais l’idée que la production est elle aussi fortement déterminée par la matérialité de ce support, qui à la fois fait naître certains types d’écriture et en bloque d’autres, gagnerait sans doute à être un peu mieux partagée. Deuxièmement, l’analyse des rapports entre support et contenu, si riche et révélatrice dans

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le domaine littéraire, suggère elle aussi à quel point les faits matériels de l’infrastructure communicative sont traversés de part et d’autre de faits culturels –ce qui est une autre façon de retrouver l’implication réciproque du quantitatif et du qualitatif déjà mentionné. La différence entre tel support et tel autre ne se limite jamais à une série de considérations techniques, mais engage à tous les niveaux des choix culturels, des préférences idéologiques, des défis et des partis pris dont on n’a pas toujours conscience mais qui façonnent la totalité des œuvres lues et produites. Troisièmement et enfin, l’histoire du livre devrait aider aussi à prendre quelque distance par rapport à toute définition identifiant le concept de « médium » à celui de « canal de transmission ». Prolongeant sur ce point des analyses comme celles du philosophe Stanley Cavell1, l’étude des textes littéraires est devenue bien soucieuse de l’interaction permanente entre trois pôles que les sciences de l’information et de la communication continuent parfois à tenir disjoints : la matérialité du support (nommé medium), le type de signes mobilisés (sons, mots, images, etc.), et le contenu des messages proprement dit (examiné souvent comme une dimension autonome de l’œuvre). Même à l’époque où tous les contenus semblent migrer facilement d’un type de signes et d’un type de support à l’autre –phénomène qu’Henry Jenkins a baptisé « convergence culture »2 –, il peut être utile de ne pas oublier les questions de spécificité médiatique, à condition d’entendre cette notion de spécificité au carrefour des trois forces ou des trois pôles de l’œuvre que sont le support, les signes, et le contenu.Une troisième leçon, la dernière que je veux signaler ici, tient à la manière dont les études littéraires ont géré le passage à l’interdisciplinarité. Contrairement aux sciences de l’information et de la communication qui sont en train de chercher leur « propres » méthodologies –mais paradoxalement sans trop se soucier de la spécificité de ce qui est sans doute leur objet typique, à savoir le médium, oublié au profit de l’étude des médias–, les études littéraires sont depuis plusieurs décennies entrées dans une phase radicalement interdisciplinaire. À tel point, mais c’est un autre problème, qu’il n’est plus toujours facile d’assurer leur indépendance par rapport au champ plus vaste et peut-être plus hétérogène encore des études culturelles3. Comme, inévitablement, les sciences InfoCom seront-elles aussi obligées de se définir par rapport aux grands décloisonnements disciplinaires, il peut

1 Voir surtout The World Viewed, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1979. Pour une présentation rapide de quelques idées­clé de Cavell, voir Jan Baetens, “Le roman­photo : média singulier, média au singulier ?”, in Sociétés et représentation («La croisée des médias»), No 9, 2000, 51­59.

2 Henry Jenkins, Convergence Culture, New York, New York University Press, 2006.

3 Le portail Fabula, actuellement le site le plus important des recherches en littérature française, consacrera bientôt un dossier spécial de sa revue LHT ­ Littérature Histoire Théorie, à cette question (www.fabula.org).

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être intéressant de regarder de plus près comment une autre discipline, les études littéraires, a essayé de trouver un nouvel équilibre entre l’ouverture à d’autres objets et d’autres champs de recherche et la nécessité de continuer à offrir quelque chose qui ne se trouve pas ailleurs. Un petit exemple pour suggérer la profondeur des changements qui ont lieu en ce moment. Il y a dix ou quinze ans, il aurait sans doute été impensable que la littérature soit «  défendue et illustrée  » par des objets où le langage écrit paraît minoritaire, voire absent. C’est pourtant chose faite aujourd’hui, maintenant que des romans graphiques, certains privés de tout texte, sont convoqués et étudiés comme source principale de cours et de théories spécifiquement littéraires. Ces mutations demandent de la part des chercheurs en littérature une agilité psychologique et intellectuelle qui pourrait servir de modèle à d’autres qui, en des champs tout différents, pourraient un jour se voir exposés à des défis similaires.

AP.- Selon vous, de nouvelles perspectives ont-elles été ouvertes dans l’analyse des contenus ?

Yves Jeanneret.- Les études littéraires que j’ai suivies me rendent réticent vis-à-vis de l’idée de « contenus » qui suggère un contenant. Le plan de l’expression et celui du contenu sont intimement liés, c’est de leur rencontre que naît la fonction sémiotique, comme l’a montré Hjelmslev ; or cette proposition théorique rejoint une pratique plus intuitive et ancienne, le commentaire de texte qui consiste à ne pas dissocier le fond de la forme. Lorsque vous changez une mise en page, une procédure logicielle, un format d’écriture, vous créez un dispositif de représentation qui affecte tout : la posture de celui qui l’utilise, le mode de production du sens, la nature des rôles dans l’échange des idées et des figures, la forme de la pratique. C’est pourquoi le dialogue avec les littéraires est essentiel, notamment sur le terrain de ce qu’on appelle «  les industries du contenu  ». Les industriels français et la communauté des sociologues, qui était leur principal interlocuteur, ont été réticents sur la théorie des écrits d’écran parce que, dans leur souci d’analyser les usages des « techniques », ils ne construisaient pas leurs objets en termes de dispositifs d’écriture, mais de « nouvelles technologies » ou de « nomadisme » : des catégories comme l’architexte ou le signe passeur leur paraissaient trop littéraires, ce qui a eu pour effet que la rencontre entre analyse de l’écriture et étude d’usages est restée assez confidentielle, liée à certaines expériences exceptionnelles comme l’approche ethnosémiotique développée avec Joelle Le Marec et Igor Babou. Dans ce qu’on appelle « la bataille des contenus », c’est Google qui a exploité le signe passeur mis en liste et Apple qui a pris au sérieux la matérialité de la page, dans une logique d’innovation qui consiste à proposer une ingénierie de l’écrire et du lire destinée à engager

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des pratiques nouvelles, plutôt que de vouloir anticiper des conduites – qui, entretemps, ne sont plus les mêmes parce que la relation technosémiotique s’est transformée. Le faible poids des savoirs littéraires dans la formation des décideurs en France a pu jouer un rôle dans cette approche très restrictive de l’innovation.Mais, symétriquement, ce que les SIC ont apporté de plus déterminant à l’analyse des pratiques littéraires, c’est à mon avis un réel affranchissement des jugements de valeur fondant implicitement l’épistémologie disciplinaire : une posture qui reste très difficile à assumer au sein de la section du CNU spécialisée dans la littérature. Ce qui est en jeu, c’est la capacité à regarder comme créatives les différentes formes de l’expression sociale – ceci, bien entendu, en relation avec les cultural studies – tout en maintenant l’exigence analytique des procédures, des situations et des formes. C’est aussi le fait de reconnaître dans la si importante production du sens le rôle déterminant des médiations sociales par lesquelles il se produit, en dehors des seuls objets. On pourrait dire que si les littéraires ont défait la croyance dans l’existence d’un contenu indépendant des formes, les chercheurs en SIC ont défait la croyance en un sens produit par le texte lui-même.

Jan Baetens.- L’éloignement croissant entre littérature et linguistique fait que les analyses de la sémantique des textes se sont faites relativement rares. L’analyse du contenu s’est déplacée vers l’analyse du discours (représentée surtout par Dominique Maingueneau et son école), qui devrait intéresser les sciences de la communication au plus haut point. Non seulement cette analyse du discours continue à se réclamer d’une approche comme l’anthropologie de la communication, mais les enjeux qu’elle se donne, à savoir analyser l’articulation du texte et du lieu social dans lequel il est produit et analyser la manière dont l’énonciateur comme l’énonciataire sont positionnés par les jeux de langage qui les instituent, ont une pertinence réelle pour les sciences de la communication. L’analyse du discours n’est en effet pas limitée à un seul type de discours, elle s’applique utilement à tout discours mettant en jeu une interaction entre texte et contexte. Avec une technicité beaucoup plus élevée, les développements récents de la sémiotique, notamment du côté de la sémiotique tensive développée par Jacques Fontanille à Limoges4, méritent eux aussi d’être pris en considération, d’autant plus que cette nouvelle sémiotique est très accueillante à l’égard des théories de Peirce, c’est-à-dire des théories qui font une place au récepteur concret, réel –et non plus seulement au récepteur abstrait, idéal ou idéel, de la tradition greimassienne.

4 Voir le site portail des Nouveaux Actes Sémiotiques: http://revues.unilim.fr/nas/

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AP.- Du coup, l’axe du rapport à la technique ne se trouve-t-il pas remis au premier plan ?

Jan Baetens.- Peut-être, mais à vrai dire cela me paraît plutôt un avantage. Dans les études littéraires, l’intérêt pour le contenu, c’est un terrible cliché mais il faut tout de même le répéter encore une fois, ne peut en aucune façon être dissociée de l’attention pour la forme. Programme classique, j’en conviens, mais qui s’est vu heureusement mis en question par l’ouverture au réel (rappelons-nous que Ponge se refusait à choisir entre «  le parti pris des choses  » et «  le compte tenu des mots  ») et la redécouverte de l’infrastructure technologique du texte, qu’il importe de prendre au sens très large du terme, allant de la matérialité de l’objet physique du texte à la matérialité des processus institutionnels qui en assurent la publication, mais aussi l’évaluation, la diffusion, la transmission et partant aussi la censure, la dévalorisation, l’oubli.

Thierry Lancien.- Permettez-moi de rapprocher ces deux dernières questions car elles sont en fait étroitement liées. Il est vrai que ce qu’on appelle aujourd’hui de manière très générale le numérique est souvent abordé avant tout sous l’angle de sa performance technique ou alors de ses usages. Il y a là un danger qui consisterait à faire l’impasse sur les contenus et c’est pourquoi je trouve très intéressante la position d’Yves Jeanneret qui défend la notion de texte et qui propose de la placer au cœur des analyses. Il convient de refuser d’isoler le numérique pour faire plutôt l’hypothèse de circulations, de transformations entre les médias.

AP.- Quel regard faut-il donc accorder à une littérature qui passe désormais aussi par la production de textes électroniques ?

Yves Jeanneret.- La création de textes narratifs ou poétiques n’a jamais été indépendante des conditions matérielles de leur rédaction, de leur partage et de leur transformation. On peut évoquer ici le travail des historiens des pratiques lettrées, mais aussi celui des littéraires. Le passage de la relation de spectacle vivant à la rémunération du livre (manuscrit) à la fin du moyen-âge est essentiel dans le développement d’une écriture à visée esthétique. Le glissement du libraire-imprimeur à la grande édition participe au sacre de l’auteur. L’écriture journalistique avec ses marges contraintes et sa périodicité particulière a été la matrice d’une certaine poétique réaliste. La publication de Jean­Christophe en livraisons semestrielles aux Cahiers de la quinzaine fut déterminante dans la constitution d’un magistère social.

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L’existence de nouvelles matérialités pour le texte, qui ne sont pas seulement «  électroniques  » mais liées au pouvoir des logiciels, est évidemment déterminante dans l’évolution historique de la production, de la jouissance, de l’appropriation du texte. L’essentiel est de ne pas penser seulement comme techniques ces changements. Le dialogue avec les littéraires permet de ne pas simplement juxtaposer ou hybrider « du social » et « du technique » : l’expression «  sociotechnique  », qui a été très utile à une certaine époque, est aujourd’hui un obstacle, parce qu’un média, ce n’est pas du technique + du social, c’est du symbolique élaboré dans des situations, des matérialités et des interprétations. Les modèles hypertextuel ou collaboratif incarnent un imaginaire de la culture. Ce que Louis Quéré et Jean Davallon ont mis en évidence à propos des différents médias comme lieux d’une opérativité symbolique s’applique à ces nouveaux dispositifs

Jan Baetens.- Comme l’a démontré très clairement N. Katherine Hayles dans un petit ouvrage de synthèse qui fait actuellement référence en la matière, Electronic Literature5, c’est désormais la totalité de la production textuelle qui est devenue électronique. Même les textes que nous continuons à lire sur papier, sont traversés d’un bout à l’autre par des processus électroniques. En ce sens, ils sont tout aussi électroniques que les textes qu’on nomme «  digital born  », c’est-à-dire les textes conçus spécialement pour être lus à l’écran et qu’il ne serait même plus possible de lire d’une manière traditionnelle. Toutefois, pour simple que paraisse cette opposition (entre textes ‘purement’ numériques et textes traditionnels ‘numérisables’), le passage à l’électronique touche sans doute moins à l’objet même qu’à sa lecture. D’une part, on a en effet l’impression que la littérature traditionnelle se maintient bien, alors que la littérature strictement numérique continue à nous décevoir, en termes de qualités. D’autre part, et cet aspect du débat me paraît autrement plus important, toute la chaîne du livre est de plus en plus ébréchée ou ébranlée par les nouvelles formes de publication et de distribution, qui touchent au texte à travers les nouvelles formes de lecture qu’elles entraînent. Pour ne citer qu’un exemple : dans un pamphlet fort salutaire sur la crise de l’édition universitaire, menacée par la surproduction comme fausse réponse à l’érosion des ventes par titre, le directeur des presses universitaires de Harvard, Lindsay Waters, souligne à juste titre que le même texte ne se lit pas de la même façon à l’écran et dans un livre. Dans le second cas la lecture est à la fois plus complète (en principe, on lit un livre de A à Z) et plus personnelle, c’est-à-dire plus intersubjective (on cherche à se faire un avis personnel sur le livre en prenant position par rapport à l’avis supposé de l’auteur). Dans le premier cas la lecture est à la fois fragmentée (ce qu’on cherche lorsqu’on lit à l’écran, c’est de l’information sur tel ou tel point, non le point de vue d’un auteur sur telle ou telle question plus vaste) et paradoxalement moins personnelle et subjective (puisqu’on ne chercher plus à prendre position par rapport à autrui)6.

5 Notre Dame, IN. : Notre-Dame University Press, 2008.6 Cf. L’éclipse du savoir, Paris, Allia, 2008.

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On continuera sans doute à produire des textes, que ce soit sous forme traditionnelle ou sous forme numérique, mais qu’en sera-t-il de la lecture de ces textes et des types de communication qui vont s’établir autour d’eux ? La véritable question est là –et bien sûr aussi dans les bouleversements économiques qui restructurent le marché du livre à grande vitesse et qui permettent de vérifier une fois encore à quel point il faut toujours se méfier de la futurologie. Au moment de l’apparition des ordinateurs personnels, puis d’Internet, on s’est extasié devant un futur où tous les acteurs seraient à la fois auteurs et lecteurs. La réalité en train d’émerger sous nos yeux est tout autre  : d’abord parce que le fossé entre ceux qui publient et ceux qui lisent s’est encore creusé, ensuite parce que les concepts mêmes d’auteur et de lecteur sont peut-être en train de s’effacer (qu’est-ce qu’un lecteur, par exemple, si la lecture n’est plus rien d’autre que la recherche d’une parcelle d’information, au lieu d’être cette activité de formation et de construction de soi qu’elle a longtemps été dans l’imaginaire occidental ?).

AP.- Quelle importance faut-il accorder à une littérature souvent placée sous le registre de l’interactivité où, comme vous le soulignez, « tous les acteurs seraient auteurs et lecteurs » ?

Jan Baetens. - Tout dépend ici de ce qu’on entend par interactivité7. Grâce à ses rapports privilégiés avec la rhétorique, l’avantage des études littéraires est peut-être d’avoir compris que l’interactivité ne se limite pas à la seule réaction mesurable d’un public quantifiable. Tout texte est un intertexte, tout texte est dialogue, tant avec le passé (on récrit sans cesse la tradition) qu’avec le futur (on anticipe sur le jugement du lecteur). De même toute lecture est, cognitivement, psychologiquement, idéologiquement, interactive du début à la fin. Les possibilités d’interactivité que nous offre le passage au numérique, qui permet en effet au lecteur de laisser des traces publiques ou semi-publiques de sa lecture, ne font qu’expliciter ce qui se passe dans toute lecture digne de ce nom. Une fois encore, c’est en termes qualitatifs qu’il convient de poser le problème  : si la numérisation permet d’améliorer la qualité de l’interaction permise par un texte, comment ne pas s’en réjouir ? La chose, toutefois, n’est pas toujours certaine. Ce qui est sûr, c’est que le public, apparemment, est moins à la recherche de possibilités interactives (au sens technique et étroit que je viens d’expliquer) que de bons textes (lesquels suscitent des formes d’interaction peut-être moins visibles et mesurables, mais sans doute plus satisfaisantes pour qui se donne encore la peine de vraiment lire un texte).

7 Une étude passionnante reste celle de Serge Fourmentreaux, Art et internet : les nouvelles figures de la création, Paris, CNRS, 2005.

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AP.- Mais peut-on légitimement identifier de nouvelles postures dans lesquelles la lecture ne pourrait plus être comprise comme une simple réception et surtout pas passive ?

Jan Baetens. - L’idée que la lecture serait une simple réception passive ne serait acceptée par personne dans le domaine littéraire ! L’écrivain attend une réception active et critique, le lecteur ne conçoit pas son rôle comme celui d’un consommateur narcotisé, le chercheur s’efforce de mettre au jour les mille et une facettes du dialogue entre tous ceux qui participent à la chaîne communicative du livre. Il se peut que le numérique ait explicité certaines de ces opérations, mais les formes d’interaction les plus authentiques (don Quichotte devenant fou à la lecture des romans de chevalerie, Roger Caillois comprenant qu’il allait faire lui-même des livres après avoir lu Les Indes noires de Jules Verne, Marcel Proust décidant d’écrire des pastiches des écrivains qu’il admire afin de se libérer de leur influence stérilisante) brisent de toutes parts ces schémas trop simples d’action-réaction trop enfermés dans le court terme.

Thierry Lancien. - Là encore je voudrais revenir en même temps sur vos deux dernières questions. Je dois préciser avant d’y répondre que je ne suis pas du tout spécialiste des rapports entre littérature et numérique mais que les questions que vous posez m’intéressent parce que les ai rencontrées dans certains de mes travaux sur les médias (La médiation journalistique au risque du numérique, MEI n°19, L’Harmattan, 2004) ou sur la transmission des savoirs (Multimédia  : les mutations du texte, ENS Editions, 2000). L’un des problèmes que rencontrent aujourd’hui les chercheurs qui travaillent sur des objets numériques, c’est celui des notions et des concepts utilisés. Par exemple la notion d’interactivité que vous évoquez, reçoit différentes acceptions selon les courants de recherche que l’on considère et elle est en plus instrumentalisée par les discours d’accompagnement. Si l’on reprend les choses simplement, on peut dire qu’il existe une distinction maintenant classique entre une interactivité plutôt technique et une interactivité sur les contenus que certains appellent «  sémantique  » . La question pour la littérature comme pour d’autres contenus (médiatiques, télévisuels par exemple avec les webdocumentaires et les écritures dites interactives) est alors de savoir jusqu’où va l’interactivité « sémantique ». C’est sans doute dans le domaine de l’art et de la littérature que le degré d’intervention de celui que certains appellent « l’interacteur » (voir les travaux de Jean-Louis Weissberg et du laboratoire «  Paragraphe  » de Paris 8) est le plus grand. Pour la littérature, on pense bien sûr à ce que permettent des sites d’écriture collective, à l’intervention pour transformer des œuvres. Pour l’art, Edmond Couchot dès 1980 a parlé de véritable dialogue pour caractériser ce que

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pouvait devenir l’intervention d’un « spect/acteur » sur une œuvre. Dans les médias, il me semble que la part d’intervention du lecteur ou du spectateur est beaucoup plus limitée. A cet égard et dans certains cas, l’interactivité est peut-être à considérer comme un mythe postmoderne.Et ce d’autant plus que la proposition qui reviendrait à opposer réception passive (celle du passé) et réception active (celle du merveilleux présent numérique) est tout à fait risquée. D’abord parce que la thèse d’un récepteur passif a été battue en brèche par les études sur la réception des médias, ensuite parce qu’Umberto Eco nous a montré la même chose pour la littérature. Je pense d’autre part que lorsque l’on utilise de telles notions, il faut prendre soin avant de faire des hypothèses hasardeuses sur les objets considérés, de les resituer dans une généalogie.

Yves Jeanneret.- Le terme « interactivité » est l’exemple même d’une catégorie que les disciplines du texte conduisent à dénaturaliser. Les auteurs et les lecteurs doivent regarder comme un texte l’outil qui leur permet de produire des textes. Il n’y a pas d’interaction entre l’homme et la machine, parce que la machine n’agit pas, mais il existe des conditions, liées à l’existence des discours médiatiques et promotionnels, pour la projection imaginaire d’un tel type de relation. Et, d’autre part, le jeu des contraintes et des initiatives, qui existent comme dans d’autres formes médiatiques, est particulier dans l’écriture-lecture-manipulation médiatisée par l’ordinateur. Il faut donc à la fois analyser les nouvelles conditions de l’énonciation, la «  délégation  », selon la formule de Bernhard Rieder, de normes sociales dans les logiciels et le déploiement des imaginaires du rapport culturel. Le reste, pardonnez-moi, l’idée que la lecture serait une réception passive, ou, inversement, qu’il n’y aurait plus de rapports de pouvoir dans l’écriture électronique parce que tout le monde serait pareillement auteur, cela fait partie des frivolités qui circulent durablement, mais cette dissémination ne leur donne pas le début d’une validité quelconque. Ce n’est pas sérieusement envisageable. L’évolution des dispositifs d’écriture redistribue fortement les postures culturelles et elle en fait naître de nouvelles, mais elle n’assure ni horizontalité ni symétrie dans les rôles, ce qui ne signifie pas que ceux-ci ne puissent, dans leur dissymétrie même, connaître la permutation. L’écrit institue des pouvoirs, ils se déplacent et il faut les analyser. Aucune forme de lecture n’est passive, aucun dispositif d’écriture n’est transparent, aucune économie scripturaire ne garantit, ni la créativité, ni la stérilité. Je regrette que la communauté des SIC ne soit pas plus universellement prudente vis-à-vis de ces simplifications : passé contre présent, actif contre passif, livre contre « document numérique ». Mais il est certain que les catégories développées dans le régime, finalement assez récent, de l’éditeur, du grand auteur et du public de librairie ne sont pas capables de bien rendre compte de ce qui se passe aujourd’hui – qui, entre parenthèses, repose surtout sur la circulation entre les supports informatiques, audiovisuels et imprimés.

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AP.- Voyez-vous des «  objets communicationnels  », marqués par la médiatisation technique, dont des analyses littéraires ou, tout au moins, attentives à la production de sens puissent s’emparer ? Quels exemples pourriez-vous donner ?

Yves Jeanneret.- Je préfère « attentives à la production de sens » à « littéraires ». Pour moi, cette exigence est absolue pour toutes les formes de médiation – qui, au passage, ont toutes une composante technique, à commencer par la tablette d’argile. C’est un enjeu majeur de la discipline. Cela passe par une connaissance de l’histoire de ces questions : pourquoi la sémiologie n’est pas une grammaire, pourquoi l’écriture n’est synonyme ni de verbal ni d’alphabétique, pourquoi la communication n’est pas réductible à l’interaction. Très souvent, le texte est identifié à la langue et la sémiologie à l’analyse purement formelle et interne du texte. Ce n’était déjà plus vrai quand la discipline a été créée au milieu des années 70, mais il y a une connaissance insuffisante de ce que Barthes appelait la «  sémiologie littéraire  », qui envisageait le vivre ensemble, la proxémie, le labyrinthe ou encore la photographie, qu’il regardait à partir de la façon dont elle peut émouvoir compte tenu de son substrat à la fois anthropologique et technique. La vraie sémiotique est une sémiotique ouverte (Jean-Jacques Boutaud et Eliseo Verón. C’est l’enjeu épistémologique majeur de la discipline  : ni sémiotique réduite à un exercice formel, ni théorie de la communication sans sémiotique. Parce que certains ont voulu identifier la sémiotique à une pure grammaire, on annonce aujourd’hui qu’on pourrait s’en passer et on rêve d’une communication qui pourrait s’expliquer simplement par les traces, la performativité ou les mobiles immuables. Je renvoie à ce que j’ai dit plus haut : Google, c’est de la liste utilisant le signe passeur, l’iphone, c’est une prise en compte de l’énonciation éditoriale de l’écran et de la page dans leur matérialité.

Jan Baetens. Tout comme l’art, qui depuis deux siècles se donne pour but de donner sens aux nouvelles technologies qui façonnent notre vie, la littérature de l’ère moderne s’est toujours voulue attentive aux nouveaux objets communicationnels. L’intérêt pour les échanges entre presse et littérature, que la presse soit vilipendée ou au contraire citée en modèle, en est un bel exemple (on peut songer ici à des chercheurs comme Alain Vaillant et Pascal Durand, mais il en est évidemment de nombreux autres). Aujourd’hui, c’est évidemment la poésie «  flarf  », une technique de montage-collage à partir de données produites par Google ou un autre moteur de recherche, qui retient le plus l’attention, tellement ce genre épouse et prolonge parfaitement les attentes et opérations d’une certaine tradition d’avant-garde. Cependant, l’évolution la plus intéressante est sans aucun doute la réoralisation de la littérature. La révolution numérique a donné un second souffle à l’audio-livre et la diffusion de la technologie mp3 est en train de créer un nouvel environnement technologique favorable à l’éclosion d’une nouvelle forme de

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textes, faits pour être écoutés plutôt que pour être lus (même si ceci n’exclut pas cela : l’objet littéraire, on l’a vu, est un pervers polymorphe dans le domaine des recontextualisations communicatives).

Thierry Lancien.- Si je comprends bien, vous adoptez la perspective inverse de celle qui présidait à votre première question. Ce qui me paraît frappant, c’est que la littérature a tendance à devenir ce que vous appelez un objet communicationnel car ses supports se multiplient sans cesse. Le phénomène n’est évidemment pas nouveau. Le passage du roman au feuilleton de presse a dû être aussi perçu de cette manière. On passait du support livre au support presse avec toutes les conséquences que cela pouvait avoir, en termes de légitimité culturelle, de représentation de la littérature et, bien sûr, de modes de lecture. Les premières tentatives de roman par épisodes, recevables sur téléphone portable posent les mêmes questions.Du même coup et par rapport à votre question, le texte littéraire serait de plus en plus présent dans un nouvel espace qui en transforme la réception. Les études littéraires et les études en communication auraient alors tout intérêt à croiser leurs approches.

AP.- Dans ce contexte, et pour le chercheur, à quels ajustements invite l’adaptation, voire la conversion, des formes culturelles et, parmi les plus hautes, des formes littéraires à des dispositifs médiatiques nouveaux ? Que font apparaître les situations de nouvelles médialités que vous avez pu observer ?

Thierry Lancien.- J’aimerais prendre l’exemple d’une interaction intéressante entre certaines formes d’écrits et d’images et certains dispositifs de réception. Il s’agit de ce qu’on appelle le micro-récit qui peut recouvrir différents aspects : récit interactif, micro blogging. Dans tous les cas, il s’agit de textes (en mots ou en images) qui sont affectés par la mobilité (portables individuels) et l’interactivité. Ils sont marqués par une rythmique particulière et font place au témoignage, à l’instantanéité, à la spontanéité. Ce qui est très intéressant, c’est que ces textes peuvent aussi rejoindre des formes que l’on a déjà connues comme le cadavre exquis. Les dispositifs technologiques permettent donc ici de nouvelles pratiques discursives que les études littéraires comme celles de la communication vont pouvoir interroger.

Yves Jeanneret.- Faut-il dire que les formes littéraires sont « les plus hautes » ? Et en quel sens  ? Jean-Claude Passeron distingue dans Le raisonnement sociologique trois définitions de la culture, comme substrat de toutes nos pratiques au quotidien, comme culture déclarée et comme confrontation aux œuvres. En fait, la littérature existe surtout par la trivialité, par les classes,

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les classiques, les adaptations. Le problème, c’est de concilier la complexe diversité des créativités culturelles avec la possibilité de poser des catégories de sens, d’effort, de critique. J’ai souvent, comme d’autres, été désigné à la vindicte populaire parce que je critiquais des émissions ineptes de téléréalité ou des productions publicitaires aliénantes. Il faut pouvoir exercer la critique et analyser la circulation sociale des formes, sans choisir entre les deux. Pour moi, la question que vous posez demande une théorie de la trivialité, c’est-à-dire le développement de concepts et de méthodes qui puissent rendre compte de la façon dont les formes, les êtres et les valeurs culturels se produisent, se formulent et se transforment en circulant entre différents espaces sociaux. Ce n’est pas un savoir qui s’ajoute aux savoirs existants en SIC, c’est une façon de concevoir l’objet de ces sciences : il s’agit à la fois de la matérialité des dispositifs, des formes de l’expression, des relations d’expression, des ressources de l’interprétation sociale, de la mémoire sociale des formes.

Jan Baetens.- La littérature échappe d’autant moins aux exigences commerciales et économiques de la migration systématique des contenus d’un environnement médiatique à l’autre qu’elle a toujours été médiatiquement souple et, jusqu’à une certaine hauteur, multiple et indéterminée. La pluralité médiatique de l’objet littéraire et l’adaptation font vraiment partie du système littéraire, au passé comme au présent. Mais est-ce que cela signifie qu’il n’y a aucune différence entre l’époque de Balzac, où tous les romans ayant du succès étaient immédiatement adaptés au théâtre, et la nôtre, où l’on a souvent l’impression que les auteurs n’écrivent plus que dans l’espoir d’être portés à l’écran ? Au moins deux choses semblent avoir changé la donne. D’abord un renversement des hiérarchies. Aujourd’hui, le produit dérivé –le film, essentiellement– semble faire oublier l’original et parfois même prendre sa place, comme on le voit dans la pratique éditoriale qui cherche à faire passer certains livres adaptés à l’écran comme des exemples de « novellisation » (c’est-à-dire de l’écriture d’un roman basé sur un film ou un scénario qui le précède). Ensuite, et de façon plus radicale, un effacement de l’origine même. De plus en plus, les contenus sont faits de telle façon qu’ils se prêtent à un nombre sans cesse croissant d’adaptations médiatiques, dont plus aucune ne représente la forme originale. Livre, film, jeu vidéo, série télévisée, événement médiatique, produits de mode, gadgets de tous ordres semblent conçus, élaborés, produits, diffusés et consommés en même temps, si bien que, paradoxalement, l’idée créatrice finit par être dématérialisée : un bon sujet est alors un sujet qui n’est pas « limité » par son ancrage dans telle ou telle forme médiatique, qui risque toujours d’entraver le transfert à d’autres dispositifs. La tâche des chercheurs en littératures comme des chercheurs en InfoCom devrait être de rematérialiser ces idées, qui de toute façon ne peuvent exister que sous forme d’objets.

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AP.- Pour votre part, à quelles invitations à lire de la «  littérature  » répondez-vous ?

Jan Baetens. Que vous dire ? Je suis un lecteur vorace, et l’âge n’améliore pas les choses. Ma curiosité reste inentamée, tout comme mon plaisir de lire. Il est vrai que je mélange sans arrêt les genres (fiction et non-fiction, plaisir et devoir, littérature légitime et livres moins canoniques), au point que, le même jour, je passe d’une bande dessinée populaire à un essai de pointe ou encore, pour vous donner tout de même quelques noms, de Robyn Warhol à Jean-Christophe Cambier (exemples du jour)8. Et comme beaucoup de personnes moins jeunes, je tente régulièrement (enfin, une fois par an) de « tout lire » d’un classique (Queneau par exemple). Mais n’oublions pas que telle fut déjà la leçon donnée par Paulhan aux débutants…

Yves Jeanneret.- J’hésite à répondre à cette question, parce qu’elle me rappelle ce que Yves Chevalier appelle « la tectonique des compétences », c’est-à-dire l’invitation faite à un chercheur de parler de tout autre chose que son objet d’étude. Ces glissements entre les différentes définitions de la culture évoquent le rôle traditionnel de l’intellectuel qui, comme disait Sartre, « se mêle de ce qui ne le regarde pas ». Si je peux, j’aimerais m’abstenir de donner des conseils de lecture, je ne suis pas loin de penser que c’est une condition pour pouvoir écrire publiquement sur les rapports entre communication et littérature. En tout cas, il est certain que ma rencontre avec Roger Fayolle, il y a quarante ans, s’est faite sous le signe d’une distance vis-à-vis de la place occupée par le jugement de distinction dans l’idéologie littéraire. Fayolle écrivait : « Une curiosité précoce pour la littérature s’accompagnait chez moi de ce que d’aucuns considéraient comme une absence de «sensibilité littéraire», une inquiétante carence du goût » (Sainte­Beuve et le XVIIIème siècle) et je peux reprendre à mon compte cette déclaration. Finalement, le point où les relations avec les littéraires deviennent parfois difficiles pour moi, c’est le moment où il devient, pour appartenir à cette discipline, nécessaire de pouvoir formuler des jugements dont l’évidence combinée à la distinction doit s’imposer à tous. Mais à titre personnel, je pratique la lecture des textes fictionnels, politiques, théoriques rencontrés en librairie ou auprès d’amis comme un entre-deux étrange entre mon travail et ma vie de loisir. Je ne suis pas hostile à l’instrumentalisation des lectures littéraires dans les théories de la communication : c’est très récemment qu’on a considéré que la littérature n’était excellente que quand elle est gratuite. J’ai gardé de la fréquentation

8 Robyn R. Warhol, Having a Good Cry. Effeminate Feelings and Pop-Culture Forms, Columbus, OH.: Ohio State University Press, 2003; Jean-Christophe Cambier, Temps Mort, Bruxelles, Les Im-pressions Nouvelles, 2010.

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de Romain Rolland et de ses amis un attachement pour la littérature du tournant du vingtième siècle qui pose de façon cruciale la responsabilité du geste communicationnel  ; mes recherches sur la vulgarisation de la fin du XIXè siècle m’ont rendu sensible à la circulation des formes entre fiction, traité, manifeste, journalisme ; la rhétorique ancienne et le théâtre grec donnent un recul incroyable pour penser les mutations actuelles  ; mais il arrive qu’un geste d’écriture actuel mette en évidence de façon fascinante un processus de communication  : Jacques le fataliste adapté par Kundera, le roman épistolaire détourné par Kressmann Taylor, la construction des figures systématisée par Les égarés de Frédérick Tristan, les limites de la manipulation décrites par Le pendule de Foucault. Mais je crois comme Barthes que la question de l’écriture ne se pose pas qu’en fiction ou dans la littérature reconnue comme telle. La force de pensée de certains des fondateurs des sciences humaines tient à leur style, qui excite toujours mes idées. La pensée avance lorsque l’écriture travaille.

Thierry Lancien.- Cette question est en effet un peu troublante car elle oblige à se déporter d’un point de vue objectif, analytique à un point de vue plus subjectif. Cela étant, je dis souvent à mes étudiants que le chercheur, specimen objectivant et désincarné qu’on leur recommande d’être, n’existe pas. Il ne faut pas qu’ils tuent en eux une certaine part de subjectivité qui les aidera au contraire dans leurs travaux : proximité avec les objets, goûts, intuitions. D’autre part, nos pratiques personnelles ont évidemment une influence sur le choix des objets. Par rapport à la question suivante, il est par exemple évident que je suis dans une situation inter-générationnelle dans laquelle je fais appel à des supports nouveaux par exemple pour la musique avec un Ipod mais pas encore au e-book.Si je reviens à votre question, je pense être assez éclectique dans ma relation à la littérature. Il y a un socle dur constitué de beaucoup de lectures en poésie (je suis à peu près curieux de tout dans ce domaine) et de lectures de romans français ou étrangers. Il m’arrive de faire des programmes de lecture : littérature de tel pays, ou relecture de tel écrivain mais j’aime bien aussi avoir une relation plus aléatoire avec les livres. Comme je voyage chaque semaine, je laisse un peu de place à l’imprévu, c’est-à- dire à des livres que j’achète à la gare ou dans des librairies où je ne vais pas régulièrement. J’y achète alors des livres que je n’aurais sans doute pas mis dans mes « programmes ». D’où des rencontres, comme celle récente de l’autofiction.

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AP.- Regardez-vous du côté des pratiques alternatives, voire relevant d’un activisme ou au contraire, trouvez-vous un intérêt à renouer avec la littérature au sens classique ?

Jan Baetens.- L’idéal est la combinaison des deux. Et comme la littérature est un médium éminemment disponible –et finalement très bon marché–, aucune excuse n’est ici possible.

AP.- Quelles lectures pourriez-vous conseiller actuellement ? Pourquoi ?

Jan Baetens.-Eh bien, pourquoi pas les deux titres que j’ai déjà cités  ? L’étude de Robyn Warhol est une analyse très novatrice de la littérature sentimentale, tous types et médias confondus, où l’auteur défend trois grandes thèses : 1) il existe des réactions sentimentales qui ne sont pas celles qu’on a théorisées sous le concept de catharsis (on se purge par procuration de certaines tensions négatives) mais qu’il faut rattacher plutôt à des émotions positives (joie, plaisir, triomphe), 2) ces réactions ne sont pas typiquement féminines (on s’en doutait un peu, mais cela fait toujours plaisir de le lire sous la plume d’un bon auteur), 3) ces réactions n’expriment pas quelque « moi profond », mais doivent être pensées comme des réponses à certaines techniques littéraires, décrites avec précision, qui nous aident à nous construire nous-mêmes. Quant au texte de Cambier, il s’agit d’une expérience littéraire hors pair qui explore les limites du dicible, mais d’une façon très contemporaine, et partant très marquée par le registre de l’autofiction. Je suis très sensible à la manière dont ce texte mélange des contenus presque abstraits et une syntaxe d’une grande beauté classique. C’est une expérience des limites, mais dans un style parfaitement mesuré, presque équilibré.

AP.- En transit dans un non-lieu de la modernité comme un aéroport, vous vous précipitez sur votre e-book? Vous sortez un roman pour vous enfoncer dans sa lecture ou pour le plaisir de feuilleter ?

Yves Jeanneret.- Pardonnez-moi, mais je n’aime pas l’alternative. Je recours à la lecture dans ma vie privée, en diverses circonstances. J’aime beaucoup le théâtre, mais, finalement, peut-être tout cela occupe-t-il moins de place finalement pour moi que la musique et ceci me rapproche de Romain Rolland. Les textes littéraires jouent un rôle essentiel, sur un autre plan (je le concède, difficilement séparable) dans l’élaboration théorique  : je partage cela (sans me comparer à lui) avec Barthes, qui utilisait à la fois les romans, les récits intimes, les œuvres d’art et les œuvres théoriques pour étudier la question

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« comment vivre ensemble ». Mais sur ce plan, ce qui me vient à l’esprit, ce sont les mutations dans le métier d’enseignant-chercheur. Malheureusement, dans les aéroports, je passe souvent mon temps à téléphoner, à répondre à des messages, à poster des documents administratifs en retard. Il est de plus en plus difficile de faire de la musique, de lire de la littérature ou d’aller au théâtre et de faire consciencieusement la foule innombrable de choses qu’on attend de nous. J’avoue donc que je fais sans doute partie de ceux que l’évolution du métier éloigne d’un plaisir ou d’une méditation libres d’arrière-pensées. Je voudrais ajouter quelque chose. Maintenant que je suis devenu une sorte de vieux cheval de la discipline, les évaluateurs ne m’embêtent plus guère, mais je reçois périodiquement de mes étudiants des mots écrits à la hâte par des évaluateurs anonymes sur leurs propositions d’articles qui contiennent la formule «  trop littéraire ». Il est rare que cette expression accompagne une fiche de lecture correctement articulée. C’est plutôt le contraire : ce qu’il y a autour ressemble souvent à une bouillie assez informe. Que croient-ils ? Qu’il existe un style canonique de la scientificité ? Cette conception de la scientificité fondée sur une esthétique non dite de la platitude est l’envers, mais aussi la reproduction, des religions du style littéraire. L’interdit fait au style n’est pas plus modeste que la prétention à être un génie.

Thierry Lancien.- Comme je viens de l’indiquer il y a quelques instants, je n’ai aucune proximité avec le e-book et, par contre, je voue un culte au livre en tant qu’objet. Je suis incapable de « désherber » ma bibliothèque et sans être collectionneur, il m’arrive d’avoir plusieurs exemplaires du même roman. J’aime par exemple beaucoup, dans l’édition de poche, voir ce qu’un roman est devenu de sa version Livre de poche à sa version Folio. La matérialité du livre est importante pour moi, notamment dans ces non lieux que vous évoquez. Je laisse alors dans les livres que j’ai avec moi, des tickets, des cartes postales qui sont autant de traces de l’inscription du livre dans des espaces autres que l’espace habituel. Ils deviennent du coup des témoins et je ne vois pas bien le e-book jouer ce rôle.

Jan Baetens.- Jusqu’ici je ne suis pas encore un habitué des e-books, mais cela peut changer. Comme je l’ai dit, le texte littéraire est à la fois déterminé par son support et susceptible de migrer d’un support à l’autre. Je n’ai aucune objection de principe à la lecture électronique, même si je redoute parfois certains de ses effets sur la lecture. Cela dit, je suis parfaitement conscient qu’il existe mille et une façons de lire et qu’il n’y a pas lieu de mépriser la lecture distraite, lacunaire, rapide, diagonale, superficielle etc. Nous qui sommes tous, d’une façon ou d’une autre, des lecteurs professionnels, sommes-nous certains de lire toujours « comme il faut » ?

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AP.- Finalement, comment diriez-vous que la littérature vous accompagne en tant que « lecteur professionnel » dans une société que l’on décrit plutôt comme « conquise par la communication » ?

Jan Baetens.- Comme je l’ai dit, je lis tous les jours et s’il m’arrive d’être privé de lecture pendant deux, trois jours, j’en ressens comme un malaise physique (j’exagère un peu, vous l’avez compris). Mais le fait de ne pas écrire a sur moi les mêmes effets. Tout ce que j’espère, c’est que les étudiants qui connaissent ce petit travers de ma personnalité, se laisseront aussi contaminer un peu, car si notre société ne manque pas de lecteurs –tout le monde semble toujours être en train de lire–, elle manque terriblement de grands lecteurs. Sans eux, la littérature est condamnée à ne survivre que sur le mode du folklore, sous perfusion culturelle.

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